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- N° 176 (décembre 2004)
- FLORE ET VÉGÉTATION LICHÉNIQUES DE LA VALLÉE DE L'EAU D'HEURE (BELGIQUE)
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FLORE ET VÉGÉTATION LICHÉNIQUES DE LA VALLÉE DE L'EAU D'HEURE (BELGIQUE)
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Résumé
Ce travail décrit la flore et la végétation lichéniques de la vallée de l’Eau d’Heure (Belgique). L’inventaire comprend au total 209 espèces de lichens et 6 champignons lichénicoles. Paranectria oropensis est nouveau pour la Belgique et Steinia geophana y a été retrouvé. Buellia ocellata et Verrucaria bryoctona sont nouveaux pour la Wallonie, tandis que Corticifraga fuckelii, Leptogium tenuissimum, Marchan-diomyces aurantiacus,Micarea lignaria var. lignaria, Polysporina simplex, Usnea ceratina et Vezdaea aestivalis le sont pour le district mosan. Plusieurs autres espèces très rares, mais peut-être méconnues, font l’objet de commentaires particuliers. Des inventaires détaillés sont fournis pour les 29 sites prospectés les plus intéressants. La biodiversité lichénique se concentre surtout dans les anciennes carrières et la forêt de Senzeille.
Summary : Lichen flora and vegetation of the Eau d’Heure valley (Belgium).
The lichen flora and vegetation of the Eau d’Heure valley (Belgium) are described. The survey yield a total of 209 species of lichens and 6 lichenicolous fungi. Paranectria oropensis is new to Belgium and Steinia geophana has been rediscovered. Buellia ocellata and Verrucaria bryoctona are new to Wallonia, whereas Corticifraga fuckelii, Leptogium tenuissimum, Marchandiomyces aurantiacus, Micarea lignaria var. lignaria, Polysporina simplex, Usnea ceratina and Vezdaea aesti-valis are new for the Meuse district. Several other very rare, or perhaps overlooked species are documented. Detailed surveys are provided for the 29 most interesting localities prospected. The lichen biodiversity is particularly important in the disused quarries and in the “forêt de Senzeille”.
Tabla de contenidos
I. INTRODUCTION
1L’Eau d’Heure prend sa source dans la grande forêt de Senzeille près de Cerfontaine (province de Namur, Belgique), vers 280 m d’altitude. Son cours d’environ 35 km suit une direction principalement sud-nord pour confluer avec la Sambre vers 100 m d’altitude à Marchienne-au-Pont, à 2 km en amont du centre de Charleroi. La rivière traverse ainsi les entités de Cerfontaine, Silenrieux, Walcourt, Pry, Thy-le-Château, Berzée, Cour-sur-Heure, Ham-sur-Heure-Nalinnes, Jamioulx et Montigny-le-Tilleul. A la sortie de Cerfontaine, l’Eau d’Heure alimente les lacs artificiels du même nom, très touristiques. Son bassin hydrographique est entièrement situé dans l’Entre-Sambre-et-Meuse et le district mosan. Plusieurs ruisseaux alimentent l’Eau d’Heure (fig. 1). Son flanc droit reçoit l’apport de 6 affluents principaux dévalant du plateau de Philippeville : le Ry de Soumoy, le Ry Jaune, le Ruisseau de Dessous la Ville, l’Eau d’Yves, le Thyria, le Ruisseau du Moulin, tandis que la rive gauche reçoit notamment le Ruisseau d’Erpion, le Ry de Coupia et le Ruisseau de Péruwé.
2Au niveau des territoires écologiques, la partie supérieure du bassin versant de l’Eau d’Heure (région de Cerfontaine jusqu’aux lacs de l’Eau d’Heure) est située en Fagne et comprend quelques petites zones de la Calestienne. La partie moyenne et inférieure du bassin est comprise dans le territoire Sambro-Condrusien.
3Récemment, la parution de la checklist annotée des lichens et des champignons lichénicoles de Belgique et du Luxembourg (DIEDERICH & SÉRUSIAUX 2000) a permis une avancée considérable dans la connaissance de la flore lichénique de nos régions. Ce travail précise notamment la fréquence connue de chaque taxon par district phytogéographique. Ces informations sont très utiles actuellement pour orienter les recherches visant à combler les lacunes. Ainsi, nombre d’espèces considérées jusque là comme très rares, se sont révélées beaucoup plus fréquentes suite à des prospections plus poussées du territoire. C’est particulièrement le cas pour les lichens crustacés, moins connus que les macrolichens. La rareté d’autres taxons s’est malheureusement confirmée et s’avère souvent alarmante.
4FIG. 1. – Carte de la vallée de l’Eau d’Heure avec la localisation des sites étudiés (n°1 à 29).
5Quelques travaux ont été consacrés entièrement ou partiellement à l’étude des lichens de l’Entre-Sambre-et-Meuse (LAMBINON 1963, VAN DEN BOOM 1996, ERTZ 1999, 2003a, ELENS 2003). Ils concernent principalement les vallées du Viroin, de la Molignée, de la Meuse et de la basse vallée de l’Hermeton. Par contre, la vallée de l’Eau d’Heure a été jusqu’à présent oubliée des lichénologues, ce qui nous a incités à réaliser cette étude. 29 sites ont ainsi fait l’objet d’une ou de plusieurs visites.
II. GÉOLOGIE
6Dans la vallée de l’Eau d’Heure, les activités humaines ont permis la mise à jour de divers affleurements rocheux via les tranchées de voies de communication (chemin de fer, routes,…) et les activités extractives. On y rencontre des calcaires du Viséen, du Tournaisien et du Frasnien, des schistes et grès du Famennien et du Houiller, et des schistes rouges de l’Emsien. De nombreuses carrières jalonnent ainsi la vallée tout au long de son parcours : carrières de Cerfontaine, du ruisseau de Dessous la Ville, de Gourdinne, de Froidmont, de Cour-sur-Heure, de Jamioulx, … . Elles constituent souvent des habitats de substitution intéressants pour de nombreuses espèces. De nos jours, la biodiversité lichénique originale de la vallée de l’Eau d’Heure se concentre principalement dans les carrières, surtout après l’abandon de toute exploitation, ou dans les massifs boisés.
III. LES SITES
7De nombreux sites ont été prospectés durant la période s’étendant de 2002 à début 2004. Le tableau 1 fournit le détail des inventaires lichéniques pour les 29 sites les plus intéressants. La figure 1 permet de les localiser sur la carte du bassin hydrographique de l’Eau d’Heure. Des champignons lichénicoles ont été occasionnellement notés (tableau 2). La localisation I.F.B.L. (Institut floristique belgo-luxembourgeois) des sites est précisée dans leur courte description ci-après.
8Site 1 : Source de l’Eau d’Heure, à 1,5-2,5 km au sud de Cerfontaine (IFBL J4.26.22-24), 230-265 m alt. : chênaie sur Famennien.
9Site 2 : Forêt de Senzeille, à 2 km au sud de Senzeille (IFBL J4.27 et J4.28), 220 m alt. : chênaie sur schistes famenniens avec une ancienne tranchée de chemin de fer fournissant de beaux talus schisteux éclairés (schistes à nodules calcaires).
10Site 3 : Grande carrière à 1 km au sud-est du centre de Cerfontaine (IFBL J4.17.33), 250 m alt. : carrière de calcaires frasniens avec des éboulis éclairés, de vastes surfaces au sol rendzinique avec une recolonisation forestière débutante par endroits.
11Site 4 : Bois de Stoumont à 1,5 km au nord-ouest du centre de Cerfontaine (IFBL J4.16), 220-260 m alt. : chênaie-charmaie famennienne et frênaie alluviale, déblais de roches diverses en lisière sud.
12Site 5 : Ry Jaune, à 2 km au sud du centre de Silenrieux (IFBL H4.56), 215-260 m alt. : chênaie sur versant exposé au sud, sentiers avec talus schisteux et psammitiques, fond de vallée riche en Salix div. sp. et fourrés de Prunus spinosa en lisière.
13Site 6 : Basse vallée du ruisseau de Dessous la Ville, à 2,5 km au nord-ouest du centre de Daus-sois (IFBL H4.46 et H4.47), 200-220 m alt. : vallée calcaire dans les étages Tournaisien-Viséen comprenant notamment une petite carrière abandonnée sur la rive gauche du ruisseau et des chênaies de versant et de plateau.
14Site 7 : Silenrieux, à 1 km au nord du centre de ce village (IFBL H4.56.22), 230 m alt. : allée de noyers (Juglans regia) le long d’une route agricole sur le plateau et piquets de clôture en bois.
15Site 8 : Berges de l’Eau d’Heure à 200 m à l’est du centre de Silenrieux (IFBL H4.56.22), 190 m alt. : vieux verger à hautes tiges.
16Site 9 : Cimetière de Walcourt (IFBL H4.47.31), 220 m alt. : mur d’enceinte, pierres tombales et bords de chemins.
17Site 10 : Chemin de fer à 600 m au nord-est du centre de Vogenée sur la rive gauche du ruisseau de l’Eau d’Yves (IFBL H4.47.41), 180-200 m alt. : tranchée de chemin de fer avec parois ro-cheuses, suivie d’un éboulis de grès famenniens très pentu, exposé au nord.
18Site 11 : Carrière à 1 km à l’est du centre de Daussois, à l’extrémité sud-ouest du Bois d’Yves (IFBL H4.57.24), 270 m alt. : ancienne argilière en lisière du bois d’Yves, au lieu-dit « au che-min de Jamiolle ».
19Site 12 : Carrière et chemin de fer à 1,2 km au sud-est du centre de Yves-Gomezée, lieu-dit « Les Pètons » (IFBL H4.48.53), 150-200 m alt. : tranchée de chemin de fer dans les calcaires du Tournaisien-Viséen et anciens affleurements rocheux de la carrière, certains en sous-bois.
20Site 13 : Sablière à 1 km au nord-ouest de Saint-Aubin (IFBL H5.41.23), 270 m alt. : petite sablière avec de nombreux talus herbeux ou encore peu colonisés par la végétation herbacée ou ligneuse.
21Site 14 : Pry (IFBL à cheval sur H4.37.33 et H4.47.11), à l’est du lieu-dit « Les roches », 270 m alt. : plateau boisé sur calcaire tournaisien avec de nombreux petits affleurements et éboulis, certains étant dus aux travaux du chemin de fer passant en tranchée.
22Site 15 : Versant droit de l’Eau d’Heure, à 0,5-1 km au nord-ouest du centre de Pry (IFBL H4.36.44), 150-180 m alt. : carrière de calcaire abandonnée et importants fourrés de buis (Buxus sempervirens) sur pente (biotope unique pour le territoire étudié ; au lieu-dit « Les Boussêres »).
23Site 16 : Carrière de Froidmont, à 1,7 km au nord-ouest de Hemptinne, sur la rive gauche du ruisseau d’Yves (IFBL H5.41.31), 230 m alt. : ancienne carrière de calcaire avec de nombreux éboulis, une tranchée de chemin de fer avec une petite pelouse calcaire envahie par les épineux, des murs de briques et une peupleraie.
24Site 17 : Sablières à 1-1,5 km au sud-est du centre d’Oret (IFBL H5.32.21-23), 230-260 m alt. : grande exploitation composée principalement de trois grandes sablières (sable kaolinique) avec de nombreuses parties à l’abandon présentant des stades variés de recolonisation végétale, depuis des parties en exploitation jusqu’à des zones reboisées ; le socle de calcaires tournaisiens a été mis à jour à certains endroits.
25Site 18 : Bois des Minières à 2,5 km au nord-ouest de Saint-Aubin (IFBL H5.41), 260-280 m alt. : chênaie établie sur des calcaires argileux, également nombreux fourrés humides avec Fraxinusexcelsior et Salix div. sp.
26Site 19 : Carrière à 1 km au sud-ouest de Gourdinne (IFBL H4.37.14), 170 m alt. : carrière abandonnée de calcaires frasniens sur la rive droite du Thyria, en versant exposé au sud, fournissant aussi de beaux replats schisteux éclairés, ainsi qu’une peupleraie sur la berge droite de la rivière.
27Site 20 : Carrière à 600 m au nord-ouest du centre de Laneffe, sur la rive droite du ruisseau du Thyria (IFBL H4.38.31), 180 m alt. : ancienne carrière de calcaire avec des rochers éclairés, des plages de sol rendzinique, des groupements relevant du Mesobromion et des fourrés d’épineux.
28Site 21 : Alignement d’arbres (Acer, Fraxinus,…) le long d’une ancienne route au lieu-dit le Pont du Diable, à 1,7 km à l’ouest du centre de Laneffe (IFBL H4.37.42), 190 m alt.
29Site 22 : Bois de Saint-Martin, à 2,5 km à l’est de Laneffe (IFBL H4.38.42), 260-270 m alt. : vieille chênaie sur schistes et psammites famenniens avec une très petite carrière au fond inondé.
30Site 23 : Berges du Thyria et affleurements psammitiques (Les Forges-Thy-le-Bauduin, IFBL H4.38.24), 200 m alt. : ancien verger avec des noyers, frênes en bordure de rivière et affleu-rements gréso-psammitiques le long de la route Laneffe-Thy-le-Bauduin, au lieu-dit « Le Dri Daudot ».
31Site 24 : Bois l’Escou, à 1 km au sud de Hanzinelle (IFBL H5.31.14), 230-250 m alt. : chênaie sur grès et psammites famenniens avec quelques affleurements et éboulis de grès dus à d’anciennes exploitations artisanales.
32Site 25 : Ancienne carrière Ste-Anne, juste à l’est du centre de Cour-sur-Heure (IFBL H4.36.12) 150-170 m alt. : ancienne carrière de calcaires frasniens avec recolonisation forestière importante, gros blocs calcaires en son centre.
33Site 26 : Carrière à 700 m au sud du centre de Jamioulx, sur la rive droite de l’Eau d’Heure, réserve naturelle domaniale (SAINTENOY-SIMON 1998) (IFBL H4.16.42), 130-150 m alt. : carrière de calcaires viséens abandonnée depuis plus de cinquante ans, dont une grande partie s’est reboisée spontanément ; présence d’un front et un replat d’exploitation, des éboulis et des cendrées accumulées au pied d’anciens fours à chaux ; arbres et verger à hautes tiges dans la plaine alluviale de l’Eau d’Heure.
34Site 27 : Bois de Jamioulx et Bois de Magneroule à l’est et au nord-est du village de Jamioulx (IFBL H4.17), ± 200 m alt. : forêt sur schistes houillers, plusieurs pelouses rases sur schiste.
35Site 28 : Carrière du Pont à Nole à 1 km à l’est de Montigny-le-Tilleul, sur la rive droite de l’Eau d’Heure (IFBL H3.56), 90-150 m alt. : calcaires tournaisiens le long du chemin de fer, avec plages de sol rendzinique, parois rocheuses éclairées ou en sous-bois jeune.
36Site 29 : Rive droite du ruisseau de Fairoule à sa confluence avec le ruisseau d’Yves, rive oppo-sée par rapport au bois des Restins (IFBL H4.47.24-42), 210 m alt. : affleurements siliceux avec une ancienne petite carrière, en sous-bois.
IV. LES MILIEUX ET LEUR VÉGÉTATION LICHÉNIQUE
37209 espèces de lichens ont été recensées dans le bassin versant de l’Eau d’Heure (tableau 1). Les champignons lichénicoles observés sont regroupés dans le tableau 2. La nomenclature suivie est celle de la checklist annotée de Belgique et du Luxembourg (DIEDERICH & SÉRUSIAUX 2000), avec les modifications proposées dans SÉRUSIAUX et al. (2003). Les échantillons récoltés ont été déposés dans l’herbier du Jardin Botanique National de Belgique (BR) et l’herbier privé de J.-P. Duvivier (hb Duvivier ou h).
38Quatre grands types de milieux sont particulièrement riches en espèces :
39 les chênaies où l’épiphytisme est important (ex. : sites 1 et 2) ;
40 les carrières de calcaire abandonnées riches en espèces saxicoles et terricoles (ex. : sites 15, 20, 25) ;
41 les exploitations de sable et terre plastique d’Oret, St-Aubin, Fraire et Daussois riches en espèces terricoles (sites 11, 13, 17). Une publication récente a d’ailleurs démontré le très grand intérêt botanique d’une exploitation semblable localisée en Ardenne (REMACLE 2003) ;
42 les talus schisteux ou gréseux éclairés avec leurs espèces de lichens crustacés saxicoles et les pelouses à Cladonia (ex. : sites 5, 10, 23).
43Les fourrés d’épineux (notamment de Crataegus sp. et de Prunus spinosa), les vergers à hautes tiges, les alignements d’arbres aux bords des routes, ainsi que les vieux murs, en particulier ceux en moellons calcaires, présentent aussi un grand intérêt lichénique.
441. L’épiphytisme
45Chênaies
46C’est principalement sur Famennien que se rencontrent les belles chênaies de la vallée. Elles se situent surtout en amont de Walcourt. Les plus intéressantes sont localisées dans la forêt de Senzeille (sites 1, 2).
47L’écorce des troncs de Quercus robur et Q. petraea est colonisée par un cortège important d’épiphytes. Certaines espèces se rencontrent plus particulièrement sur les surfaces lisses des écorces, tandis que d’autres sont liées aux fissures plus ou moins profondes des gros troncs. On observe :
48 les lichens crustacés Arthonia spadicea, A. vinosa, Calicium adspersum, C. viride, Chaenotheca ferruginea, Chrysothrix candelaris, Dimerella pineti, Lecanactis abietina, Lecanora chlarotera, Lepraria incana, Micarea prasina, Ochrolechia androgyna, Pertusaria amara, P. flavida, P. hemisphaerica, P. pertusa, Thelotrema lepadinum, … ;
49 les macrolichens Cladonia coniocraea, C. fimbriata, Evernia prunastri, Flavoparmelia caperata, Hypogymnia physodes, Melanelia glabratula, Normandina pulchella, Parmelia saxatilis, P. sulcata, Parmeliopsis ambigua, Platismatia glauca, Pseudevernia furfuracea, Punctelia subrudecta, Usnea ceratina, U. subfloridana, …
50Dans la strate arbustive, sur les écorces lisses des Carpinus et des Corylus, se rencontre surtout Graphis scripta (parasité parfois par le champignon lichénicole Stigmidium microspilum), qui est fréquemment accompagné des lichens Arthonia radiata, Pertusaria leioplaca, et parfois Arthonia spadicea et Arthothelium ruanum. Ces peuplements du Graphidion sont particulièrement bien développés dans les forêts à humidité ambiante élevée, notamment dans les vallons encaissés ; Anisomeridium polypori est quant à lui omniprésent sur Sambucus nigra. Ce phorophyte porte souvent des peuplements nitrophiles du Xanthorion où se rencontre parfois Lecania cyrtella.
51Aulnaies et frênaies riveraines
52L’écorce lisse des jeunes Fraxinus est souvent colonisée par Phlyctis argena, Porina aenea et plus rarement par Opegrapha rufescens. Les troncs d’Alnus glutinosa constituent un substrat beaucoup moins favorable puisqu’on n’y trouve le plus souvent que des lichens léproïdes du genre Lepraria.
53Alignements d’arbres le long des routes
54Quelques alignements de vieux arbres le long des routes et notamment des Acer ou des Tilia livrent entre autres : Buellia griseovirens, B. punctata, Evernia prunastri, Flavoparmelia caperata, Lecanora expallens, Melanelia subaurifera, Parmelia saxatilis, P. sulcata, Parmotrema chinense, Phaeophyscia orbicularis, Physconia grisea, Pleurosticta acetabulum, Punctelia subrudecta, P. ulophylla, Ramalina farinacea, Xanthoria candelaria, X. polycarpa, X. parietina. Nous n’y avons pas rencontré des espèces plus caractéristiques de ce type de milieu comme Anaptychia ciliaris, Ramalina fastigiata et R. fraxinea, très probablement en forte régression dans nos régions.
55Fourrés d’épineux
56Dans les fourrés d’épineux situés principalement en lisière forestière et en fond de vallée, les branches et branchettes de Prunus spinosa et de Crataegus div. sp. sont riches en épiphytes. Ce sont souvent des espèces nitrophiles qui dominent. On y rencontre Candelariella reflexa, Evernia prunastri, Hypogymnia physodes, H. tubulosa, Lecanora symmicta (observé aussi souvent au niveau des ramifications sur branchettes de jeunes Betula pendula dans les carrières), Lecidella elaeochroma, Melanelia subaurifera, Parmelia sulcata, Phaeophyscia orbicularis, Physcia adscendens, P. tenella, Xanthoria parietina, X. polycarpa et même Usnea subfloridana, rare pour la région.
57Vergers à hautes tiges
58L’agriculture actuelle, trop intensive, n’est plus guère favorable au maintien des vergers à hautes tiges si fréquents autrefois et qui risquent de disparaître presque complètement d’ici quelques décennies. Pourtant, les vieux arbres qu’ils contiennent sont le refuge d’une biodiversité originale. Dans la vallée de l’Eau d’Heure, on y rencontre notamment Bacidia rubella, Candelariella xanthostigma, Lecania cyrtella, Opegrapha rufescens, O. varia, O. vermicellifera, Punctelia subrudecta, P. ulophylla, …
59Lichens lignicoles
60Plusieurs lichens comme Calicium glaucellum et Lecanora saligna se rencontrent sur le bois mort écorcé des troncs éclairés. Même les piquets de clôture (sites 7, 15), les vieux bancs en bois ou les croix en bois dans les cimetières sont colonisés par certains lichens : Micarea denigrata, Hypocenomyce scalaris, Trapeliopsis flexuosa,…
612. Affleurements rocheux
62Schistes
63De nombreux affleurements constitués de schistes famenniens bordent les lacs de l’Eau d’Heure (site 5, Fig. 2) et une ancienne ligne de chemin de fer (site 2). La flore lichénique comprend Acarospora fuscata, Baeomyces rufus, Buellia aethalea, B. ocellata, Cladonia chlorophaea, C. furcata, C. glauca, C. pyxidata, C. rangiformis, C. subulata, Rhizocarpon lecanorinum, R. reductum, Porpidia crustulata, P. tuberculosa, Trapelia coarctata,…
64Grès et psammites
65Les affleurements de grès ou de psammites, en particulier ceux exposés au nord, portent une flore plus acidophile (sites 10, 23) : Cladonia gracilis, Micarea lignaria var. lignaria, Polysporina simplex et Porpidia macrocarpa se rencontrent ainsi dans un éboulis artificiel de gros blocs de grès famennien au bord de la voie ferrée à Vogenée (site 10). Aspicilia caesiocinerea, Diploschistes scruposus et Lecanora polytropa s’observent sur les parois d’une tranchée de chemin de fer ou en bord de route. Opegrapha lithyrga est même présent sur des rochers siliceux ombragés dans le vallon du ruisseau de Fairoule.
66Calcaires compacts
67De nombreuses carrières sont établies aussi bien dans les couches géologiques du Carbonifère (Tournaisien-Viséen) (sites 6, 12, 14, 16, 26) que du Dévonien (Frasnien) (sites 3, 15, 19, 20, 25). Ces milieux sont particulièrement riches en espèces. Certaines carrières abandonnées présentent des replats schisteux en périphérie, ce qui ajoute encore à leur intérêt (site 19 notamment). Des peuplements lichéniques différents coexistent dans ces sites et varient surtout suivant la microtopographie, qui influe grandement sur les facteurs microclimatiques et biotiques.
68Les affleurements situés en sous-bois sont colonisés par des lichens saxicoles comme Gyalecta jenensis, Lecania cuprea, Lepraria crassissima, Opegrapha saxatilis, Petractis clausa, Verrucaria elaeina,ainsi que des espèces muscicoles-terricoles comme Collema auriforme, Myxobilimbia sabuletorum, Peltigera praetextata, …, colonisant surtout les mousses pleuro-carpes des genres Anomodon, Neckera et Thamnobryum.
69Les parois des carrières et les gros blocs rocheux éclairés sont colonisés par Aspicilia calcarea, Clauzadea monticola, Collema cristatum, C. fuscovirens, Lecanora campestris, L. dispersa, Lecidella stigmatea, Protoblastenia rupestris, Solenopsora candicans, Toninia aromatica, Verrucaria subfuscella, V. macrostoma, V. viridula, ...Les peuplements ornithoco-prophiles sont bien développés sur les parties sommitales des affleurements rocheux. Certaines espèces s’y rencontrent préférentiellement : Caloplaca citrina, C. decipiens, C. variabilis, Lecanora muralis, Lobothallia radiosa, Physcia caesia, Phaeophyscia orbicularis,…
70Dans les petits éboulis et les graviers, on rencontre Aspicilia contorta, Catillaria lenticularis, Placynthium nigrum, Rinodina bischoffii, Sarcogyne regularis, Verrucaria muralis, V. nigrescens, …
71Sur les surfaces au sol rendzinique, plusieurs lichens intéressants peuvent être observés parmi les plantes vasculaires annuelles et les bryophytes : Bacidia bagliettoana, Cladonia furcata, C. pyxidata ssp. pocillum, C. rangiformis, Diploschistes muscorum, Endocarpon pusillum, Fulgensia fulgens, Myxobilimbia lobulata, Peltigera rufescens, Placidium squamulosum, Toninia sedifolia, ainsi que Collema coccophorum, une des espèces les plus intéressantes rencontrées.
72Certaines espèces de ces milieux colonisent aussi les vieux murs de briques, en particulier Diplotomma alboatrum et Toninia aromatica.
733. Sablières et argilières
74Des carrières de sable et argile kaolinique ont été exploitées à Oret (Fig. 3), St-Aubin, Fraire et Daussois. Les talus ou replats argilo-sabloneux des anciennes carrières (sites 11, 13, 17) accueillent une flore lichénique des plus intéressantes ; entre autres : Baeomyces rufus, Cladonia cariosa, C. coccifera, C. floerkeana, C. furcata, C. glauca, C. ramulosa, C. scabriuscula, C. subulata, Dibaeis roseus, Leptogium byssinum, L. tenuissimum, Micarea lignaria var. lignaria, Peltigera didactyla, Placidium squamulosum, Steinia geophana, … Sur les petits cailloux dans les pelouses à végétation clairsemée sur sol argileux citons notamment : Porpidia crustulata, Thelidium minutulum, Trapelia coarctata et T. involuta.
V. COMMENTAIRES SUR QUELQUES TAXONS INTÉRESSANTS OU MÉCONNUS
75Les espèces les plus intéressantes récoltées durant la présente étude dans la vallée de l’Eau d’Heure sont commentées ci-après.
76Buellia ocellata(Flot.) Körb.
77Site 5, 2.2003, J.-P. Duvivier s.n. (hb Duvivier, BR), 6.2004, D. Ertz 6910 & J.-P. Duvivier (BR).
78La présence de cette espèce en Belgique n’a été confirmée que récemment, par la récolte d’un spécimen sur un mur de brique d’un cimetière dans le district flandrien (SÉRUSIAUX et al. 2003). Elle fut mentionnée depuis du Brabant flamand à Pepingen (VAN DEN BROECK & APTROOT 2003). Cette espèce est donc nouvelle pour la Wallonie. Dans la vallée de l’Eau d’Heure, elle croît sur les talus siliceux des sentiers le long du lac du Ry Jaune (Fig. 4). Cette espèce pionnière y croit en compagnie notamment de Lecidea fuscoatra et de Rhizocarpon lecanorinum. Elle se distingue du plus commun Buellia aethalea par son thalle présentant une teinte jaunâtre, réagissant C+ orange vif.
79Calicium glaucellum Ach.
80Site 17, 2.2003, D. Ertz 3000(BR) & J.-P. Duvivier s. n. (h).
81Ce lichen à mazaedium n’a été observé que sur un seul tronc mort dressé et éclairé dans une sablière au bord d’un fond humide. Il n’était connu que d’une seule localité dans le district mosan (DIEDERICH & SÉRUSIAUX 2000). Ce taxon est peut-être menacé dans nos régions, mais des prospections floristiques plus intensives seraient nécessaires pour déterminer son statut réel. Dans le même genre, Calicium viride est de loin l’espèce la plus fréquente dans la vallée de l’Eau d’Heure, tandis que C. adspersum n’a été trouvé que sur un seul gros tronc de Quercus robur dans la forêt de Senzeille (site 1).
82Cladonia cariosa(Ach.) Spreng.
83Site 13, 1.2003, D. Ertz 2989, 2990 (BR)& J.-P. Duvivier s. n. (h).
84Ce Cladonia colonise les pelouses sableuses à végétation herbacée clairsemée de la sablière de St-Aubin (Fig. 5). Dans le district mosan, nous l’avons trouvé également en 2002 sur le site minier de Plombières, sur des déblais calaminaires. Il ne fut signalé récemment en Belgique que de deux localités : Bois de la Houssière, dans le district brabançon (ERTZ 2003b) et tout près du camp militaire de Lagland, dans le district lorrain (DIEDERICH et al., 2004), toujours dans des sablières. Ce lichen, peut-être menacé, mérite de faire l’objet d’une recherche ciblée dans ce dernier type d’habitat pour déterminer son statut réel dans nos régions.
85Cladonia scabriuscula (Delise) Leight.
86Site 13, 1.2003, D. Ertz 2987(BR) & J.-P. Duvivier s. n. (h). Site 17, 2.2003, D.Ertz 2997, 2998(BR)& J.-P. Duvivier s. n. (h).
87Ce lichen renseigné comme très rare dans le district mosan est vrai-semblablement plus répandu et abondant que ne le suggère la checklist de Belgique et du Luxembourg (DIEDERICH & SÉRUSIAUX 2000). Il a été trouvé récemment comme nouveau pour le district brabançon (ERTZ 2003b) et pour le district flandrien (VAN DEN BROECK 2003).
88Collema coccophorum Tuck.
89Site 15, 8.2002, D. Ertz 2576(BR) & J.-P. Duvivier s. n. (h). Site 19, 9.2002, J.-P. Duvivier s. n. (h).
90Ce cyanolichen n’était connu jusqu’à présent que d’une localité belge, dans la vallée de l’Eau d’Heure où nous l’avions récolté dans la carrière de Pry (ERTZ 2003a). Depuis, il fut découvert dans une carrière près de Gourdinne. Il y colonise les petites fissures terreuses des parois calcaires. Il se distingue des autres espèces du genre par ses spores uniquement bicellulaires.
91Collema limosum (Ach.) Ach.
92Site 17, 1.2004, D. Ertz 5705 (BR).
93Ce cyanolichen, considéré comme très rare dans le district mosan, a été observé en abondance sur sol argilo-sabloneux dans le fond humide d’une sablière en exploitation. Son thalle est insignifiant, mais il se repère aisément par l’abondance de ses apothécies très apparentes. Dans l’Entre-Sambre-et-Meuse, nous le connaissons également de Merlemont, dans des conditions écologiques similaires.
94Corticifraga fuckelii (Rehm) D. Hawksw. & R. Sant.
95Site 3, 9.2002, D. Ertz 2701, 2703 & J.-P. Duvivier s. n. (h).
96Ce champignon lichénicole a été récolté sur Peltigera sp. Il est nouveau pour le district mosan. En Belgique, il fut trouvé en une localité, dans le district lorrain sur Peltigera rufescens (DIEDERICH et al. 2004).
97Fulgensia fulgens (Sw.) Elenkin
98Site 28, 12.2003, J.-P. Duvivier s. n. (h) & D. Ertz 5690 (BR).
99Ce lichen est abondant dans la carrière de Montigny-le-Tilleul, où il colonise les parois rocheuses bien exposées et moussues. Dans le bassin hydrographique de la Sambre, c’est le seul site connu pour abriter cette espèce. Celle-ci a été presque exclusivement trouvée en Belgique sur des affleurements rocheux subnaturels, en particulier des pelouses du Xerobromion (ERTZ 2003a). Par ailleurs, nous ne l’avons pas rencontrée dans les nombreuses autres carrières de calcaire compact prospectées. L’espèce possède vraisemblablement une capacité de colonisation faible, expliquant sa rareté dans ces biotopes de substitution.
100Lecanactis abietina(Ach.) Körb.
101Site 18, 1.2003, D. Ertz 2935& J.-P. Duvivier s. n. (h). Site 17, 2.2003, D. Ertz 3009 & J.-P. Duvivier s. n. (h). Site 22, 8.2002, D. Ertz 2550 & J.-P. Duvivier s. n. (BR). Sites 1, 2, 4, 5, 18 et 24 : observations de terrain.
102Nous avons rencontré cette espèce sur les gros troncs de chêne dans les forêts gérées en futaie ou taillis sous futaie. Elle colonise principalement les faces abritées des troncs, celles les moins exposées à la pluie. Son thalle blanchâtre parsemé de nombreuses pycnides noires recouvertes d’une pruine blanche permet de la reconnaître aisément. A l’état stérile, une confusion est cependant possible avec Opegrapha vermicellifera. On peut les séparer aisément sur le terrain par les pycnides, qui sont C+ rouge chez L. abietina, mais C- chez O. vermicellifera. Dans les sites 1 et 22, L. abietina est abondamment fertile.
103L’espèce était considérée comme très rare dans le district mosan (DIEDERICH & SÉRUSIAUX 2000), mais y semble beaucoup plus fréquente puisque nous l’avons observée dans pratiquement toutes les vieilles chênaies de la vallée de l’Eau d’Heure, tant en Fagne qu’en Condroz.