Lejeunia, Revue de Botanique

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J. BEAUJEAN

Le « Voyage de Liége » de A. P. De Candolle, 2 Juin – 2 Octobre 1810 (suite 2)

(N° 184 (décembre 2008))
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16 Septembre. J’ai passé une partie de la matinée à rédiger le journal de ma course : puis j’ai été avec Mr Bévin [Béving] voir la pépinière départementale établie par Mr de Lezai ; le local en est vaste et beau ; on y cultive un nombre considérable quoique son origine soit récente […] Cette pépinière a été fort dégarnie de jeunes sujets par l’empressement que Mr de Lezai a mis à distribuer aux mairies ; elle est dirigée par le directeur de l’école secondaire et cultivée par les élèves de l’école normale établie par Mr de Lezai pour former des maîtres d’école de village. De cette manière sa culture ne coute rien et ces jeunes gens y prennent les connoissances les plus nécessaires à leur destination. Après le diner je suis allé faire une grande course à pied sur les bords de la Moselle […]. A la nuit seulement je suis rentré à Coblentz après avoir beaucoup joui du beau coup d’œil qu’offrent les rives de la Moselle ; le vin de ce canton qui est celui de la basse Moselle est peu estimé ; on préfère celui de la partie voisine du Hundsruck.

27 Septembre. J’ai passé ma journée à faire mon journal, à écrire au ministre, à Mr de Lezai, à ma femme. Le soir je suis allé promener à Neudorf. […].

38. 7bre. Je suis parti de Coblentz avec Mr Bévin [Béving] ; nous avons eu un brouillard très épais qui m’a empêché de jouir de la belle vue qu’offre la vallée du Rhin […] nous sommes arrivés de bonne heure à Andernach ou j’ai vu le Maire homme bon actif et habile auquel Mr de Lezai m’avoit adressé. Andernach est à présent une ville de 2400 âmes et paroit avoir été beaucoup plus considérable […] Après cette course j’ai pris congé de Mess. Bévin [Béving] et le maire et suis venu coucher à Brohl […]. j’y ai trouvé pour la 1ère fois en Allemagne une auberge sale et pleine de vermine.

49. 7bre. Je suis parti de Brohl de bonne heure et suis venu déjeuner à Remagen et de là à Bonn […]. Arrivé à Bonn j’ai été voir le Sous préfet Mr Boosfeld qui m’a donné une petite flore de Bonn en allemand [Bönnischer Flora… de J. C. Marterssteck, 1792] qui me paroit bien faite et qui se borne aux environs de la ville. Il m’a mis en relation avec Mr Lainé ancien jardinier de l’Electeur et directeur du jardin actuel au lycée. Ce jardin, reste de celui de l’Electeur est divisé en deux l’un pour les plantes de serre chaude l’autre pour celles de pleine terre ; dans l’un et l’autre j’ai vu des plantes assez belles ; dans celui de pleine terre on voit les arbres indigènes rangés en série sur une terrasse qui en fait le tour et les arbres exotiques sur une autre. J’y ai vu un Celtis dont le tronc est fort raboteux [rude] que Mr L. prend pour l’australis et qui étoit sauvage dans la vallée de l’Aar ; dans une partie de l’ancien parc se trouvent un beau hêtre pourpre, un Pinus strobus très grand, etc. Parmi les plantes de serre chaude j’en ai vu plusieurs de rares qu’il m’a promis d’envoyer à Montpellier de suite par la diligence, entr’autres il m’a promis un jeune Laurus camphora [= Cinnamomum camphora (L.) Sieb. ] […].

510. 7bre. Je suis parti de Bonn de bonne heure et suis venu à Cologne […].

611. 7bre. Quoique la ville de Cologne soit généralement vouée à la bigotterie et à un commerce de commission qui ne tend pas à aggrandir les idées elle a fait cependant quelques institutions scientifiques ; son ancienne université a laissé 30 mille livres de rente qu’on a conservées à une école communale laquelle va être érigée en académie avec 3 facultés de théologie sciences et let-tres ; j’ai été ce matin voir avec Mr Cassel [Franz Peter] juif de naissance professeur de Botanique le bâtiment des anciens Jésuites aujourd’hui consacré à l’instruction ; il y a un cabinet de physique peu moderne mais suffisant, les matériaux d’un cabinet de minéralogie qui contient quelques morceaux curieux sur la minéralogie de ce pays ; j’emporte pour Brongniart [Alexandre] quelques échantillons des tourbières d’où l’on tire la terre de Cologne. J’ai vu un Mr Valraf [Wallraf Ferdinand-Franz] professeur qui a fait cadeau à la ville d’un cabinet de minéralogie très précieux et d’une immense collection de tableaux parmi lesquels se trouve une suite curieuse de tableaux des écoles allemande et flamande qui remonte jusqu’à l’an 1100 ; ces tableaux sont sur bois bien colorés ; ils rapellent le genre du Perugia et leur datte se reconoit par le caractère des écritures qui s’y trouvent. Le jardin de botanique qui est attenant au bâtiment des Jésuites est petit, mais sera fort accru par la démolition d’un bâtiment inutile qui le sépare en deux parties. Les serres sont assez vastes et les plantes y ont en général un air de santé ; j’y ai vu le Crotalaria juncea dont les fleurs fort grandes sont à dix étamines distinctes ce qui annonce qu’il pourroit bien former un genre ; j’y ai vu un Crassula calycina [Crassula calycina Desf., Cat. Hort. Paris (Tableau de l’école de botanique du Museum d’histoire naturelle, Ed. II, 8 + x + 274 p., 1815), cf. p. 187 (nomen) ; = Dasystemon calycina DC., 1828, p. 14 et pl. III] que je croyois perdu dans les jardins, deux Mesembryanthemum que je ne connois pas. Nous sommes convenus d’être en échange de graines cet hiver ; je dois adresser les miennes à Mr Thiriart procureur gérant des Ecoles communales de Cologne.

712. 7bre. Je suis parti de Cologne par un brouillard épais et un temps orageux et j’ai suivi la route de Clèves […]. J’ai quitté Neuss après diner et suis venu par un chemin de Navarre et souvent même à travers champs au château de Dyck chez Mr le comte de Salm [Joseph] ; j’y ai été accueilli par lui et sa femme comme un ancien et intime ami quoique je ne les connusse fort peu, mais c’est qu’a une certaine distance de Paris ceux qu’on voit de cette ville semblent les représentans de tous les amis qu’on y a laissé. J’y ai passé une soirée très agréable à causer botanique avec Mr et littérature avec Mme [née Constance de Théis] celle-ci m’a fait lire un album à la manière allemande qu’elle s’est faite et ou sont des vers de toutes les personnes connues en littérature à Paris ; elle m’a fait promettre d’y mettre quelque chose et en la quittant j’ai passé une partie de la nuit à forger quelques vers.

813. 7bre. J’ai passé ma journée au château de Dyck qui auroit mérité cette station lors même que je n’aurois pas eu du plaisir à en voir les maîtres ; ce château qui étoit autrefois le chef lieu d’un petit état immédiat est un vaste édifice qui paroit du 15e siècle ; il est divisé en trois cours entre les batimens de la ferme qui sont en avant. L’intérieur offre de vastes salles, des galeries, des tours à l’ancienne manière ; il y a une galerie ou sont les portraits en pied mais presque tous idéaux des ancêtres de Mr de Salm jusqu’à l’an 800. Une autre offre une collection curieuse d’armes à feu qui peut même intéresser l’art. On y voit un pistolet à 8 canons lesquels étant tous chargés ne partent que les uns après les autres, arme excellente contre une compagnie de voleurs. Mais ce qui a du m’intéresser d’avantage est le jardin botanique qui a été établi et qui est dirigé par Mr de Salm lui-même ; il a eu la même idée que moi savoir de planter son jardin par groupes dont chacun est une famille naturelle et il est parvenu à faire de ce jardin un endroit agréable à la fois et instructif ; il est vrai qu’il a négligé les rapports de plusieurs grouppes ce qui est permis pour un amateur et ne le serait pas pour un jardin d’instruction ; il a rangé les familles nombreuses en petites plates bandes ; d’autres en bordure ; les Clématites et les Chèvrefeuilles formant des arcades au milieu. Ce jardin n’est pas riche en plantes de pleine terre mais les serres y sont très bien soignées : il y en a deux placées à quelque distance l’une devant l’autre ; l’intervalle est occupé par une large plate bande de terre de bruyère ou sont les rosages [Rhododendron] ; la serre située en avant et protégée par l’orangerie à ceci de singulier que dans le haut elle est vitrée des deux côtés ce qui donne plus de lumière et ce dont Mr de S. dit se trouver fort bien. Une partie des plantes est en pleine terre dans la serre qui est spacieuse ; plusieurs espèces de Passiflores en ornent le comble. Plusieurs figuiers nouveaux y sont en bel état. Mais la partie la plus riche est celle des plantes grasses ; j’y ai vu plusieurs Aloes, au moins 10 crassulas et 30 mesembryanthemum qui m’étoient inconnus, et une collection de plus de 60 espèces de Stapelia dont au moins 50 m’étoient inconnus ; Mr de S. m’a promis une collection de tout ce qui pouvoit m’intéresser pour le jardin de M. [Montpellier]. Il a le talent de peindre en couleurs avec beaucoup de talent et de soins et m’a offert de plus pour la continuation des Plantes Grasses tous les dessins qu’il a fait des espèces qui me manquent. Après avoir visité le jardin nous avons été malgré la pluye voir quelques une de ses fermes. […].

914. 7bre. Après avoir déjeuné avec mes hôtes je les ai quitté pour continuer ma route et suis venu coucher à Julliers [Juliers] ancienne capitale du duché de ce nom : la route traverse un pays peu varié et qui n’offre rien de remarquable […].

1015 et 16. 7bre. Je suis parti de Juliers et suis venu diner à Aix la chapelle. J’y ai passé cette journée et celle du lendemain à voir les curiosités de cette ville célèbre, mais comme elles sont décrites fort au long et mieux que je ne puis le faire après quelques jours, dans un ouvrage que j’emporte je n’entrerai dans aucun détail à cet égard. Le préfet [Ladoucette Jean Charles François] et les personnes aux quelles j’étois recommandé se sont trouvées absentes.

1117. 7bre. Je suis parti d’Aix la chapelle dans un cabriolet et suis venu dîner à Maestricht […] les vignes viennent jusqu’à Visé et Vivignis [Vivegnis] qui est vis-à-vis parce qu’elles sont encore abritées par ces coteaux ; au dessus il n’en vient point hors de quelques treilles de jardins ; la partie de la ville qui est à la rive droite de la Meuse se nomme Vyck [Wyck]. Elle est jointe par un pont de pierre qu’on dit fort ancien […]. Elle est entourée de fortifications très vastes et qu’on dit mal disposées ; il y a un fort sur la Montagne de St. Pierre situé au nord ; les fortifications elles mêmes s’étendent comme à Mayence jusque sur le sommet du coteau qui borde la rive gauche ; la partie faible est le côté Sud ; on a commencé à y construire un fort pour la protéger ; tous les environs de la ville sont cultivés comme un jardin ; les principales cultures en sont diverses espèces de choux, de navets, un peu de colza, beaucoup de pommes de terre mais surtout de la garance et de la chicorée […]. la chicorée est cultivée ici beaucoup plus en grand qu’à Liége ; on la sème très serré parce que sa racine est pivotante ; on ne lui laisse point le temps de fleurir ; on la fauche d’abord et on obtient ainsi une coupe d’excellent fourrage qui donne aux vaches beaucoup de lait. […].

1218. 7bre. J’ai été chez Mr Haenen pharmacien qui s’occupe de Botanique et auquel j’étais adressé par Mr Lejeune ; j’y ai fait connoissance de Mr Nyst [Pierre] jeune homme zélé et instruit en Botanique. Il est essayeur des matières d’or et d’argent depuis 12 ans et désire obtenir une place de contrôleur dans une des villes de Hollande sa patrie : je lui ai promis de le recommander à Mr Sivard [Pierre]. J’ai été avec lui visiter la fameuse montagne de St. Pierre ; il paroit soit d’après la statistique du dépt. [CAVENNE, 1802] soit d’après ce qu’on m’en a dit que Faujas [Barthélemy] l’a fort mal décrite et a parlé de plusieurs endroits ou il n’est point allé ; il a dit qu’on y trouve de la marne qu’on n’y connoit point. Cette montagne se trouve sur la rive gauche de la Meuse au sud de Maestricht. Elle est composée d’un grès [tuffeau ou pierre de sable] qui se taille très facilement et qui forme une pierre très facile à exploiter, bonne pour les fondations et les intérieurs mais qui souffre à l’air ; on l’employe cependant dans la battisse des maisons des gens peu fortunés ; c’est dans cette pierre qu’on trouve dans le bas des ossements et dans le haut des lits de coquillages et plus haut encore des madrépores. Les ossements sont rares très recherchés par les Hollandais : on dit qu’on y a trouvé dernièrement une tortue. J’ai beaucoup demandé de ces ossements pour Mr Cuvier [Georges] mais n’ai pu en trouver à acheter ; Mr Nyst m’en a donnés quelques uns qu’il s’est chargé d’expédier directement à Mr C. L’intérieur de cette montagne est percée par une multitude de galeries tracées pour prendre des pierres, toutes assez larges pour passer une voiture, très hautes et régulières ; on assure qu’elles se prolongent à plusieurs lieues ; j’y ai promené près de deux heures avec un guide qui connoit ce labyrinthe souterrain ; l’endroit le plus remarquable est une petite fontaine formée par une infiltration d’eau qui suinte du plafond et tombe dans un petit bassin destiné à la recevoir ; l’eau a formé au plafond une stalagmite en cône renversé. Tous les murs sont couverts des noms de tous ceux qui y sont venus écrits au charbon ; le guide a une grande torche de poix et un morceau de tourbe pour conserver le feu. Dans cette longue course je n’ai pas apperçu le moindre indice d’ossemens fossiles. La superficie de la montagne offre une pelouse aride et rien de remarquable [Ce n’est évidemment pas l’avis de BORY de SAINT VINCENT, qui explora la Montagne en 1819, et de tous ceux qui ont fait connaître par la suite la richesse botanique de la Montagne Saint-Pierre.]. lorsqu’on approche de Liége la montagne devient de gypse. La rive droite de la Meuse offre un coteau qui est de même nature que celle de la rive gauche. Le village de St. Pierre est flamand et à peine en est on sorti qu’on commence à trouver des maisons isolées qui parlent wallon comme à Liége.

13– Après dîner je suis allé voir le jardin de Mr Haenen qui n’en vaut pas la peine ; la seule chose que j’y aye remarqué est une Pulmonaria à feuilles oblongues-lancéolées tachées qui me paroit être une de celles figurées dans les anciens ; il doit en envoyer un pied enraciné à Mr Lejeune qui me la fera parvenir. Mr Nyst m’a montré son herbier du pays qui paroit assez complet et bien nommé ; il m’a promis une copie d’une flore du Dépt. que j’ai vue chez lui et d’y joindre les noms vulgaires. Mr H. m’a fait remarquer dans les fossés de la ville un chenopodium qui ressemble un peu à l’urbicum mais que je crois nouveau ; il est très rameux, a les feuilles charnues anguleuses, les supérieures entières oblongues, les fleurs en têtes arrondies ou oblongues très serrées, rougeâtres et fort peu semblables à un Blitum ; les terminales sont à 4 ou 5 divisions, les autres à 3 ou 4. Les graines noires lisses plates. [D’après la description, il doit s’agir du très variable Chenopodium rubrum L. Cette espèce est d’ailleurs citée par Lejeune « Se trouve dans les environs de Liége et de Maestricht » (LEJEUNE 1811 ? p. 126)]. II m’en a promis des graines. J’ai cherché inutilement Mr Menbrede [Membrède André Charles] législateur auquel Mr de Salm m’avoit adressé.

1419. 7bre. J’ai été avec Mr Nyst faire une course qui a duré tout le jour pour voir l’entrée de la Campine et particulièrement la partie ou se trouvent les dunes mobiles à une si grande distance de la mer […] en revenant nous avons fait un détour pour voir à quelques distances de la Meuse et au pied des petits coteaux qui marquent la vallée, voir dis je les petits marais ou étangs qui y sont formés par le non écoulement des eaux ; c’est sur le bord peu profond de ces marais que se trouve en été le fameux Lobelia dortmanna, ses feuilles sont presque toujours sous l’eau et sa petite fleur s’élève au dessus. Ces marais sont souvent retenus pour former des étangs qu’on remplit de poissons ; de temps en temps on les vuide et on y sème de l’avoine sans engrais. En voyant cette partie je me croyois en Bresse et auparavant dans les Landes. L’Erica vulgaris et cinerea sont dominantes dans toute la Campine ; on en fabrique des balais qu’on vend à Maestricht. Je suis revenu accablé de fatigue.

1520. 7bre. Après avoir encore revu Mrs Haenen et Nyst j’ai quitté Maestricht par la diligence et suis venu d’abord à Tongres ; le pays qu’on traverse jusque là est fertile bien cultivé coupé de petites collines et n’est pas sol d’atterissement ; Tongres est une petite ville remarquable par son antiquité ; on cite ses rois fabuleux ; on la trouve déjà capitale des Tongriens, sous les Romains et on dit que Pharamond y a été couronné ; c’est une petite ville sur une légère éminence entourée d’un mur et d’un boulevard. Elle est moins bâtie que les villes plus modernes qui l’entourent ; au côté nord de la ville à un petit quart de lieue est une source d’eau minérale froide un peu ferrugineuse mais presque sans saveur et sans odeur ; les habitans assurent qu’elle étoit célèbre du temps des Romains puisque Pline en parle en disant qu’il y a une célèbre fontaine minérale in civitate Tongrorum ; ceux de Spa disent que civitas veut dire pays et que Pline a parlé de leur pouhon. Quoiqu’il en soit celle de Tongres est déserte, mais sur la cabine qui la couvre on a écrit force vers latins pour rappeler le passage de Pline ; on lui attribue une vertu fébrifuge […]. Après avoir visité Tongres (qui a été la demeure de Mr Schwertz [Schwerz] et sur lequel il a écrit son ouvrage sur l’agriculture flamande) je suis venu à St Tron [Saint-Trond] ; ce bourg est sur la route de Liége à Bruxelles ; j’y ai fait un sale souper dans l’auberge ou devoit passer la dili-gence : en l’attendant j’ai été après soupé dans divers caffés du pays ; j’y ai trouvé des hommes et des femmes du peuple jouant aux cartes et buvant de la bière avec sérieux et cela jusques passé dix heures du soir. Le nombre de ces caffés est considérable. On y parle indifféremment flamand wallon et fran-çois. J’ai passé ma nuit à dormir sur une chaise de bois dans l’auberge en attendant la diligence.

1621. 7bre. A deux heures du matin la diligence est venu me réveiller et je suis parti avec elle ; à la pointe du jour nous nous sommes trouvés à Tirlemont jolie petite ville, bien bâtie, ayant une belle place ; il y avoit déjà du monde levé pour l’ouvrage. De la nous sommes venus déjeuner à Louvain ; cette ville est très étendue pour sa population parce que les maisons sont fort basses ; la maison de ville qui semble une église avec deux rangs de croisées gothiques est d’une construction fort singulière. De là nous sommes arrivés à Bruxelles pour dîner ; après dîner j’ai été voir les personnes sur qui je comptois Mrs Van Hultem [Charles] et Dekin [Adrien] ; ils se sont trouvés tous deux absens pour quelques jours et d’après cela je me suis décidé à partir demain pour Mons et Namur ; j’ai été voir le cabinet des tableaux situé dans l’ancien palais et ou il y a plusieurs beaux morceaux de Rubens etc. Les tableaux sont bien disposés dans une suite de petits sallons. Le soir j’ai été au spectacle ou j’ai vu avec plaisir le chevalier à la mode.

1722. 7bre. Je suis parti de Bruxelles par la diligence de Mons. Nous sommes venus déjeuner à Halle [Halle sur Senne] petite ville ou bourg qui est renommé dans la Belgique comme point de pèlerinage à N. D. de Halle ; presque tous les dimanches en été il y arrive de tous les environs des pénitens qui marchent à la file chapeau bas et des pénitentes nus pieds ; ils achètent à Hal de petits drapeaux bénis en papier coloré qu’ils mettent à leur tête au retour ; j’ai rencontré une foule de ces malheureux venant par tous les sentiers. De Hal nous avons passé à Tubize qui est le premier village wallon dans cette direction puis à Braine le Comte petite ville qui commence le Dépt de Jemappes. Tous ces villages sont forts zélés pour le jeu de la paume ; ils s’y exercent entr’eux toute l’année et a certains chermesses [kermesses] les habitans d’un village tous associés jouant contre ceux des autres et on adjuge un prix au village le plus habile. De Braine nous avons passé à Soignies petite ville qui n’a rien de remarquable puis en passant par le hameau de Nimi [Nimy] nous sommes venus à Mons. Le soir même étoit la kermesse ou fête patronale de Nimi qui a une grande célébrité. J’y suis allé pour voir cette réunion qui étoit en effet très nombreuse ; tous les habitans de Mons et des villages voisins y étoient en habits de fête ; les uns tiroient à l’arc pour abattre un but placé sur une perche élevée ; d’au-tres buvoient dans les cabarets du pharo ou bierre forte ; plusieurs dansoient et c’est une chose remarquable que la perfection avec laquelle les gens même de la basse classe de Mons dansent les contre danses les plus nouvelles ; tous ont en général un air d’élégance et de propreté ; leur physionomie est douce gaie ; ils parlent bien françois et ont de la politesse et de la facilité pour s’exprimer.

1823. 7bre. J’ai passé cette journée à visiter Mons et ses environs […] J’ai trouvé dans les environs des remparts le même chenopodium observé à Maestricht […]. Je n’ai pu trouver ici personne qui s’occupât ni de sciences ni d’agriculture d’une manière distinguée et l’aspect uniforme des plaines de ce pays ne m’a pas engagé à y prolonger mon séjour. Le soir je suis retourné promener à la kermesse ou toutes les personnes comme il faut, se trouvoient ; une pluye à verse les a dispersés non sans présenter bien des scènes de comédie.

1924. 7bre. Je suis parti avant jour pour aller à Enghien voir le jardin du Maire Mr Parmentier [Joseph] ; j’ai repassé par Soignies et de la prenant la traverse sur la gauche je me suis dirigé sur Enghien ; la route est de terre argilleuse et limoneuse ou la moindre pluye fait des trous très profonds et qui est impraticable l’hiver ; Enghien est une petite ville flamande assez jolie ; le Duc d’Aremberg y a un château avec un parc immense entouré de murs planté en jardin anglois mais aujourd’hui fort dégradé. Le jardin de Mr Parmentier est fort petit mais fort remarquable ; il y a quelques mois qu’il est allé à Londres et en a rapporté plus de mille espèces de plantes qui sont dans les jardins anglois et qui manquent dans ceux du continent. La plupart sont d’orangerie et indigènes du Cap, j’y ai vu 250 espèces de Bruyères vivantes, et la plupart en fleurs et en bon état. 20 Protea de formes fort singulières, des Pelargonium en grand nombre, un nouveau Thé de chine qui a les feuilles plus longues que l’ordinaire, un genre nouveau de la Chine nommé Hoya serrata qui a les feuilles blanches dessous opposées avec une large stipule intermédiaire et les bords de la feuille fortement dentées en scie, deux nouveaux Correa, 7-8 Haemanthus, 25 Amaryllis, des Epacris, et Styphelia, 15 Platylobium, etc. une foule de camellia de diverses variétés savoir le blanc simple et double, le rouge idem, le panaché et le jaune !, plusieurs variétés nouvelles de Chrysanthemum indicum et de Houx, etc. Parmi les plantes de serre j’ai distingué une nouvelle espèce ou variété de Strelitzia qui a les feuilles plus larges plus courtes et plus obtuses ; deux espèces ou variétés de Pivoine en arbre l’une à fleurs rouges et à feuilles d’Ancolie, l’autre à fleur blanche et à feuille plus grande ; toutes ces plantes proviennent de chez Kennedy [John, pépiniériste à Hammersmith en Angleterre]. J’ai vu aussi plus de 2000 pa-quets de graines que Mr Parm. a acquises du Cap et de la Nouv. Hollande ; il m’a promis de m’en faire un choix en échange d’une collection de mes graines herbacées qu’il se propose d’envoyer en Angleterre. Il m’a montré une monographie des Géraniums sur le modèle du botanist repository dont Andrews [Henry Charles (1794 - † vers 1830) ? botaniste et illustrateur britan-nique] gendre de Kennedy a déjà publié 2 cahiers ; il y a plusieurs espèces nouvelles. Les plantes de Mr P. sont en très bon état et sa culture est la même que celle des jardins anglois. Il place les bruyères et plantes analogues dans une serre peu chauffée bien aérée et dispose le gradin à contresens (Fig. 3) de manière à ce qu’elles ayent la chaleur sans soleil. La coupe transversale en est cicontre. Les vases n’ont pas de soubassement ; le fond est plein de pierres ; la terre est un mélange de terre de bruyère avec une poussière de grès marneux ferrugineux […].

20FIG. 3. – Coupe transversale d’une serre de J. Parmentier à Enghien (p. 127 du Mn).

21Outre ce jardin Mr Parmentier en a commencé un autre destiné aux arbres et plantes vivaces de pleine terre mais il méprise cette partie et y est fort peu assorti. Le Catalpa gèle souvent ici de sorte qu’on ne l’y a presque qu’en buisson. Le Gincko [Ginkgo biloba L.] résiste bien. Après deux longues séances à Enghien je suis revenu très tard pour coucher à Mons.

2225. 7bre. Je suis parti de Mons pour venir directement à Namur ; ces deux villes ont peu de communication ensemble aussi la route s’en ressent elle beaucoup ; de Mons on traverse un pays un peu inégal cultivé alternativement en céréales prairies et forêts. Le village d’Avrai [Havré] a de la réputation pour les houblons et en est tout entouré ; ici ils ne sont point noirs et sont chargés de fruits. Dans tous les autres villages et aussi près de Namur la face supérieure de leurs feuilles est couverte d’une matière noire qui me paroit être la Monilia herbarum ; on y trouve aussi quelques pucerons ; tous les pieds attaqués par cette maladie ne portent que peu ou point de fruits ; les paysans que j’ai consultés sur cet accident m’ont dit que pendant le mois de juin il étoit tombé de l’atmosphère une manne qui avoit rendu les feuilles noires ; il y a eu des brouillards dans ce mois ce qui est rare et c’est peut-être la cause qui a favorisé le développement du Monilia. – Sur la route de Avray [Havré] à Nivelles on traverse le village de … [le nom de la localité n’est pas indiqué, mais il pourrait s’agir d’Ecaussines, célèbre pour ses carrières de petit-granit ou pierre bleue] qui a une carrière d’une espèce de grès dont on fait des pavés, des pierres de taille pour Bruxelles ; c’est aussi près de ce village qu’on exploite le marbre noir fétide et coquillier dont on fait des tables. Nivelles est une jolie petite ville située au pied septentrional d’un coteau assez élevé ; les abords en sont de belles avenues d’ormes élevés et respirant l’aisance. De Nivelles on vient rejoindre la grande route de Bruxelles et on passe à côté des plaines de Flandre illustrées par deux batailles. Pour arriver à Namur on descend une côte assez élevée.

2326. 7bre. J’ai passé la journée à voir la ville de Namur et ses environs ; cette ville est située au confluent de la Sambre et de la Meuse ; elle a une forme triangulaire et est entourée de coteaux assez élevés qui la garantit du Nord ; ces coteaux sont schisteux dans la partie entre Sambre et Meuse qu’est situé le château de Namur ; celui-ci domine la ville et est actuellement presque rui-né ; les coteaux au Nord de la Sambre et à la gauche de la Meuse sont calcaires et font suite au Condroz que j’ai vu en allant de Marche à Liége, tandis que les premiers cités participent déjà à la nature de l’Ardenne. La ville est assez bien bâtie sans avoir d’autre bâtiment remarquable que celui de la préfecture. Les rues sont comme à Liége noircies par l’usage habituel de la houille et le travail des fers. Celui-ci est la principale branche d’industrie ; il y a plusieurs fabriques de couteaux qui ont de la célébrité. Il paroit y avoir ici proportionnellement à la population beaucoup d’ouvriers et d’artisans, peu de gens riches et instruits. En l’absence du préfet [baron Pérès] j’ai vu le secré-taire général [L. A. Fallon] avec lequel j’ai parcouru les environs en suivant la Meuse. Au dessous de la ville on trouve une éminence calcaire assez escarpée toute percée par des carrières d’où on tire la pierre de taille qui s’exporte par la Meuse sous le nom de pierre de Namur ; on l’employe dans toutes les constructions soignées. Du haut de ce coteau on suit le cours de la Meuse encaissé entre deux rochers presque verticaux et couverts de taillis ; ce n’est que dans les endroits ou le roc de la rive droite s’abaisse que celui de la gauche se trouvant exposé au soleil et abrité du nord porte des vignes comme à Huy ; la même chose a lieu à Namur ; devant la ville est une espèce de plaine en prairies et cultures qui fait que le rocher escarpé qui longe entre Sambre et Meuse est exposé au midi du côté de la Meuse ; aussi ce coteau a-t-il été autrefois couvert de vignes. On y récoltait du vin qui du nom du lieu se nommoit vin de Bulei ; il en est fait mention dans des titres anciens et dans certains cérémoniaux de repas conservés à l’hôtel de ville : les habitans soidisant érudis prétendent même que ces vignes alloient jusqu’à Bouvines [Bouvignes] dont le nom signifieroit bout des vignes mais outre que les localités démontrent le contraire le nom de Bouvines signifie Bovines lieu abondant en bœufs. Quand on suit la route des Ardennes qui remonte la Meuse. On voit peu à peu le coteau s’abaisser et la direction devenant perpendiculaire à l’équateur le coteau n’est plus exposé au Sud et n’a jamais pu avoir des vignes. Celles de Bulei ont été supprimées peu à peu parce qu’étant très près de la ville on a préféré avoir des vergers et des jardins plutot que du mauvais vin. Toute cette côte présente de jolis vergers bien soignés, des jardins avec des treilles, beaucoup de maisons de paysans entourées de houblo-nières dont on cueille le fruit en ce moment ; le bord de la Meuse est destiné au chemin de hallage et vivifié par le commerce de transit. Les perches à houblon descendent par la Meuse. A une lieue de Namur commencent des forêts qui sont réellement le commencement de l’Ardenne. J’ai lu et extrait la statistique manuscrite du dépt. que je joins à ce cahier ; elle est fort mal faite et ne mérite confiance qu’avec réserve. L’auteur ne connoit pas la nomenclature pour la botanique ; il a fait la météorologie sans instrumens, ignore les élémens de la physique etc. Ce pays ci est retardé comme Luxembourg malgré sa proximité de la Belgique.

2427. 7bre 1810. Après avoir passé la matinée à courir les environs de Namur je suis parti en cabriolet pour venir coucher à Louvain […] en sortant de Namur on monte une côte fort rapide ou étoit l’ancienne citadelle dont on a conservé quelques casemattes pour magazins. La ville de Louvain est très grande ; il faut presque une demie lieue pour aller du centre à chaque extrémité ; elle est commercante et industrieuse. La limite du wallon au flamand est à environ deux à trois lieues de Louvain et ne semble motivée que par la forêt qui sépare les habitations éparses.

2528. 7bre. J’ai quitté Louvain de bonne heure et suis venu à Vespelaer [Wespelaar] voir le jardin de Mrs Dartois [Artois Léonard] et Verlate [Verlat Matthieu] brasseurs de Louvain : ce jardin est situé à deux lieues de la ville sur la rive est du canal qui conduit à Malines [pour la description de ce jardin, voir Duquenne X. 2001 ; Schayes A. 1833 ; Wauters 1855, II : 746-749] ; la route qui longe le canal est une belle promenade à quatre rangs d’arbres dans la partie voisine de la ville ; plus loin elle est réduite à un seul rang mais est encore une route fort agréable ; son élévation au dessus du sol fait qu’on voit très bien toute la fertile campagne qu’il traverse ; tous les champs sont séparés par des fossés et des rangées d’arbres : ces arbres sont des peupliers blancs ou des ormes ou des chênes ; ils ont une grande valeur pour le propriétaire qui les coupe tous les 25 ou 30 ans ; le fermier n’en a que l’émondage. Le château de Vespelaer est une maison assez laide mais le jardin passe pour le plus beau de Belgique ; devant la maison est un petit lac habité par les oiseaux aquatiques étrangers ; au bout de ce lac est une grotte assez vaste à laquelle se joint un pont très élevé pour ménager par-dessous des points de vue ; un petit pavillon chinois, un temple de diane et quelques mauvaises statues éparses dans le jardin ferment les points de vue ; les arbres sont tous de 10 à 12 ans de sorte qu’il n’y en a encore de bien vieux ; ce qu’il y a de plus beau est un Cupressus disticha [= Taxodium distichum (L.) L. C. M. Rich.; cyprès chauve, acclimaté en Belgique vers 1785] qui forme dès sa base un cône de verdure par la disposition régulière de ses branches étalées ; les plantes d’orangerie sont enterrées pendant l’été et dispersées par groupes le long des chemins ; le Lobelia fulgens est partout en fleurs en pleine terre. Ses serres sont la plupart destinées aux fruits et aux ananas ; il y en a une toute pleine de Celosia cristata de grandeur monstrueuse : la partie botanique de ce jardin quoique fort riche est peu instructive. Après avoir visité le village qui dans son genre vaut le jardin je suis venu à Bruxelles en traversant directement au travers de la campagne dont partout j’ai su admirer la bonne tenue. En arrivant à Bruxelles je n’y ai point trouvé Mr Van Hultem [Charles] que j’ai appris être en Hollande ; j’ai été voir Mr Van Mons [Jean-Baptiste] qui a presque abandonné la chimie pour se livrer à la culture des arbres fruitiers ; il dit avoir plus de 1200 variétés de poiriers et autant de pommiers ; c’est un charlatan a imagination vive et ardente […].

26J’ai été voir le château impérial de Laeken situé sur une éminence à une petite heure de Bruxelles ; la route pour y aller traverse la promenade apellée l’allée verte qui aujourd’hui dimanche est toute couverte de monde et entourée d’estaminets ou l’on boit et mange ; puis la route est bordée de jolies mai-sons de campagnes ; le château est petit mais arrangé à la moderne d’une manière agréable ; le jardin est beau surtout par sa position et sa vue ; la ville de B., le canal de Malines et toute la plaine jusqu’à Louvain semblent faits pour lui ; c’était la demeure d’été de la gouvernante des Pays-Bas Maria Christina [archiduchesse von Habsburg-Lothringen (1742-1798)]. Le soir je suis allé au spectacle.

2729. 7bre. J’ai enfin trouvé Mr Dekin [Adrien] qui m’a accueilli avec toute sa pétulance et sa bonhomie accoutumées ; il s’est consacré à me faire voir la Belgique et dès ce moment je ne l’ai plus quitté. Nous avons d’abord visité ensemble l’établissement dont il est directeur ; cet établissement situé au château du gouvernement se compose de deux parties, un cabinet de physique chimie et minéralogie formé des débris de celui de Louvain et des objets que Dekin a recueillis avec son activité. Le jardin de Botanique est situé sur un terrain inégal incommode et coupé en plusieurs morceaux ; Dekin le jeune [Josse] en est jardinier sous les ordres de son frère qui est professeur ou plutôt qui l’était car l’université l’a déplacé contre l’avis de toute la ville et probablement par erreur ; il a demandé à être adjoint et je me suis chargé d’en parler à Mr Cuvier [Georges]. L’école est un grand carré situé entre le château et l’orangerie ; elle est réservée aux plantes vivaces de pleine terre ; à l’époque actuelle je n’y ai remarqué qu’un Verbascum haut de dix pieds remarquable par le port de ses branches en piramide et qui sauf sa grandeur ressemble au lichnitis. Dans le bassin sont des Stratiotes et des Calla palustris. Sur le penchant d’un coteau escarpé sont les serres qui sont vastes et de belle construction : il y a de beaux bananiers et de grands individus de quelques plantes rares telles que le Camphrier et celle du milieu sont de serre chaude les deux autres d’orangeries ; on fait plus de cas dans ce pays des plantes d’orangerie que des autres ; il y a dans ce jardin une collection de plantes grasses sur de petits rochers qu’on rentre l’hiver dans l’orangerie et qui l’été font paysage. Le feste [= faîte] des terrasses est occupé par les semis de pleine terre les boutures les oignons, le bas est un petit jardin ou se trouve une collection de roses, une banquette de terre de bruyère qui ne prospère pas probablement parce que l’air est trop stagnant dans ce fond. Ce jardin n’a que 2000 francs de dotation et ne se soutient que par le zèle des Dekin et l’intérêt qu’y prennent quelques amateurs riches. Dekin m’a promis tout ce que j’ai désiré de son jardin ; nous avons fait ensemble une liste des plantes et oignons qu’il doit m’envoyer de suite. J’ai pris dans ses graines toutes celles que j’ai voulues et au printemps il doit m’expédier une collection étiquetée avec soin de boutures des Pelargoniums dont on à ici un nombre immense. En échange je dois lui envoyer en février une collection de graines, en mars une de Georgina [= Dahlia, Asteraceae] pour lui et Mr Wiggers [Wiegers Frédéric-Adolphe], et Mme Vilain XIIII, et en mai une de plantes vivantes d’après la note que nous avons dressée. Nous avons été ensemble voir le jardin de Mr Piirs [Piers] ; il est situé au bout de l’allée verte sur la route de Laeken près du canal de Malines qui semble en faire partie ; le local est petit mais sera très joli quand il sera achevé ; il y a une volière sous forme de pavillon chinois et un temple de Flore qui sont très jolis, une petite école de plantes vivaces, mais ce qui est le plus intéressant c’est que toutes les plantes vivaces sont groupées le long des chemins par genres ou familles naturelles ; des places de terre de bruyère présentent tantôt la collection de 12 magnolia, des Kalmia, des rhododendron etc. Ce jardin est riche en Pelargoniums dont Mr Piirs [Piers] m’a promis une collection pour le printemps et sera je crois un jour l’un des plus intéressant de ce pays parce qu’il présentera quelques idées.

2830. 7bre. Après avoir passé ma matinée au jardin des plantes à choisir des graines je suis allé avec Dekin voir Mr de Resnai ancien ami de Ramond et dîner avec eux à la campagne chez Mr Polard ; il y a aussi quelques plantes rares ; la campagne est située dans un vallon près du bord de la forêt de Soignies [Soignes] ou Mr. Polard a beaucoup herborisé ; il possède un herbier du département. Dekin m’a promis de m’en envoyer la liste des espèces rares qui y ont été trouvées ; les néfliers de cette campagne sont tous attaqués par un æcidium qui paroit le cornutum [dans sa Flore Française (1815), De Candolle cite, p. 98, Écidium du néflier. Æcidium mespili. « J’ai trouvé cette espèce en grande abondance dans un jardin fruitier de Bruxelles, à la fin de l’été. »]. Et qui les empêche de porter fruit. L’an passé au printemps tous les platanes d’orient existans dans ce pays ont été tués ; on a proposé un prix pour en savoir la cause ; il paroit que c’est quelque gelée tardive ; on voit encore dans les jardins leurs tronçons dépouillés. Outre les amateurs que je viens de citer il y en a beaucoup d’autres à Bruxelles. Tels que le Duc d’Aremberg [Louis-Engelberg] qui en a fait venir d’Angleterre pour 600 louis et qui aveugle reconnoit dit on assez bien les plantes au tact et à l’odeur, le duc d’Ursel [Charles Joseph] maire de la ville dont le Paeonia arborescens a fleuri l’an passé etc.

291er. octobre. Je suis parti de Bruxelles avec Dekin pour venir à Malines […]. Nous avons été voir à Malines plusieurs jardins intéressans ; de ce nombre est surtout celui d’un brave marchand nommé Wiggers [Wiegers Fr. A.] ; j’en ai le catalogue avec les prix tous marqués d’un quart en sus du prix réel des marchands ; Wiggers paroit un homme loyal et je suis convenu de faire avec lui des échanges de nos plantes indigènes du midi en masse contre des plantes rares. Il a un grand talent pour la multiplication ; j’y ai vu des variétés de Magnolia, de Camellia, greffés les unes sur les autres par la greffe des orangers ; il a une très belle collection de rosiers dont il m’a promis un double ; j’y ai vu le nouveau hêtre commun à feuilles de saules et une var. de faux acacia dont les branches et les feuilles sont toutes tortillées et qu’il a eu de graines ; il employe dans son terreau de bruyère la sciure des bois blancs mêlée avec la terre de marais ; la sciure de chêne est nuisible à cause du principe tanant qu’elle renferme. Mr Coloma [Henri Pierre Philippe] est un vieux amateur de culture qui a une riche collection d’arbres fruitiers et de plantes grasses ; parmi ces dernières sont beaux individus de quelques unes p. ex. un Aloes abyssinica haut de 7 pieds, etc. Ses serres ont ceci de particulier que soit en dessus soit en dessous des vitraux on peut faire dérouler une toile qui sert à protéger du soleil ou du froid sans risquer d’endommager les vitrages ; le sommet est occupé par une soupape qui du bas s’ouvre et se ferme à volonté et sert de ventilateur. D’ailleurs ici comme partout dans ce pays les poêles sont en briques et font par leurs conduits, tout le tour de la serre. Dans le petit jardin de Mr ……. j’ai vu un Glycine frutescens [= Wisteria frutescens (L.) Poir.] dont le tronc a à sa base 9 pouces et demi de circonférence ; il s’élevait autrefois sur une tour qui a au moins 60 pieds de hauteur et la couvroit de fleurs ; on a été obligé de le couper au bas parce qu’il dégradoit le toit de la maison. Chez Mr de Nélis [Jean Charles] j’ai vu un Gincko qui ayant été blessé au sommet à la hauteur de 15 à 20 pieds a fort peu poussé par le haut mais a étendu par le bas des branches horizontales pendantes qui lui donnent la figure d’un cône. Son tronc a 41 pouces de circonférence à sa base. Mr de Nelis s’occupe d’électricité et aime toutes les théories ; il croit que c’est une ancienne conduite de commodités passant près de son Gincko qui est cause de sa grosseur et de son port. Il est l’auteur des lettres sur l’électricité insérées dans le journal de physique et signées M. – Après avoir parcouru les jardins de Malines nous sommes venus coucher à Anvers. La route n’offre rien de remarquable. Le soir nous avons passé notre temps chez le Dr Vandesanden élève de l’école de Paris et homme d’esprit. Il règne en ce moment ici une épidémie de dysenterie très forte.

302. octobre. [ici se termine brutalement le manuscrit].

31 Cependant, dans une lettre reproduite plus loin (Mn ULg n° 2739) adressée d’Alost, le 15 novembre 1810 au docteur Lejeune, F. A. Roucel écrit : « M. Decandolle m’a fait l’honneur de me rendre une visite accompagné de M. Dekin ; il m’a paru s’intéresser beaucoup à la culture du houblon. ».

32 Nous savons également par ses Rapports (1813, p. 12) et par Ch. MORREN (1843, p. 30) qu’il se rendit aussi à Gand : « C’est dans ce mémoire de M. De Candolle que se trouve le mot dont la ville de Gand s’est prévalu en tant de circonstances, et qui a servi puissamment à faire de la capitale des Flandres le centre de cet immense commerce de fleurs, qui rapporte des millions à la Belgique. Gand est la ville privilégiée de la botanique, disait l’illustre botaniste génevois, et la société royale de botanique et d’agriculture de cette ville a inscrit cet éloge mérité en lettres d’or dans ses annales ; il est peu de solennités publiques où le mot ne revienne et ne rappelle son savant auteur. ». De Gand, où il visita le jardin botanique et y rencontra le jardinier en chef, J. H. Mussche. Celui-ci nous dit (MUSSCHE 1817, p. 6) : « Parmi les étrangers qui ont visité notre établissement avec cet intérêt qu’inspire l’amour de la science, nous désignerons encore avec orgueil, le célèbre Willdenow et Mr le Comte Henckel de Donnersmarck, de Berlin ; Mr Decandolle , alors professeur à Montpellier ; […]. Pour terminer son périple, De Candolle passa par Lille et ensuite par Paris pour y récupérer son épouse et son fils et finalement rejoindre Montpellier, ce qui nous laisse à penser que, en moins de 6 mois, il a parcouru plus de 4500 km !

3.    DOCUMENTS ANNEXES

(1) Extraits du Rapport sur un voyage botanique …  (DE CANDOLLE, 1811 et 1813)

33(La pagination suivie ici est celle de la version de 1813 du Rapport).

34 Charles MORREN (1843, p. 31) nous dit : « Ces rapports de M. De Candolle contiennent tant de vues neuves et justes sur notre agriculture, sur le sol de nos provinces, tant de comparaisons entre nos procédés et ceux de la France et de l’Allemagne, que je ne puis m’empêcher d’exprimer le désir de voir reproduire ces pièces, très-peu longues d’ailleurs, sous les auspices de l’académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles, qui, si elle eut existé sous l’empire français, aurait bien certainement reçu de son auteur les prémices d’un travail tout national. D’une rareté excessive, il est aujourd’hui lettre-morte pour nos populations. ». […] « Le seul exemplaire complet de ces rapports, qui, peut-être, existe en Belgique, appartient à mon honorable confrère M. Lejeune. ».

35 Dans cette rare publication, dont nous avons pu nous procurer une photocopie à la bibliothèque du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris, De Candolle résume son voyage dit de Liége. Son voyage ne s’arrêtant pas brutalement le 2 octobre 1810, nous y puisons des renseignements complémen-taires, pour faire suite au manuscrit incomplet.

36p. 3-4 : […] Parti de Montpellier vers la fin du printemps, j’ai, en conséquence, traversé la Bourgogne et la Lorraine avec plus de rapidité que je n’en ai mis dans le reste de mon voyage. J’ai évité, autant que possible, les parties de ces provinces que de précédens voyages m’avoient déjà fait connoître, et je me suis rendu à Colmar et Strasbourg pour prendre une idée de cette belle plaine de l’Alsace qui, aux avantages d’une agriculture très-perfectionnée, joint ceux de l’industrie, du commerce et de l’instruction. De Strasbourg, je me suis dirigé sur Metz, afin de traverser une seconde fois la chaîne des Vosges et une autre partie de la Lorraine. J’étois encore attiré dans cette ville par le désir d’y voir les anciens établissements de M. de Tschoudy [de Tschudy Théodore] qui l’un des premiers, a introduit en France le goût et la connoissance des naturalisations d’arbres étrangers, et qui est aujourd’hui remplacé par son fils [Jean-Joseph-Charles-Richard], héritier de son zèle et de ses talens.

37p. 5 : […] En approchant de Liége, on commence à retrouver une agriculture soignée et florissante. Mais je suis de nouveau rentré dans les déserts en rentrant dans l’Ardenne par Spa ; j’ai traversé toute cette bande, qu’on ose à peine appeler une chaîne de montagnes, en passant par Malmedy et par Pruym ; de là, quittant le terrain schisteux, je suis rentré dans la bande calcaire et volcanisée, connue sous le nom d’Eiffel. Toute cette route, quoique au travers de collines peu élevées, est aujourd’hui plus difficile à franchir que les grands passages des Alpes […].

38p. 6 : […] Après avoir visité les environs de Cologne, je me suis rendu à Neuss, et de là à Dyck, où M. le comte de Salm a fondé l’un des plus beaux jardins de botanique qui existent en France ; j’ai ensuite passé par Neuss, Aix-la-Chapelle et Maëstricht, pour venir visiter une partie de la Campine, vaste désert d’eau et de sable, qui sépare la Belgique de la Hollande […].

39p. 7 : Pour venir d’Anvers à Gand, j’ai traversé le pays de Vaës, qui paroît la partie la mieux cultivée de toute la Flandre, et par conséquent du monde entier. Les environs de Gand ont excité en moi une admiration sans cesse renaissante ; et j’aurai, dans la suite de ce Rapport, occasion de les citer d’autant plus souvent, que M. de Lichterwalde [de Lichtervelde], adjoint au maire de Gand, m’a communiqué à leur égard les renseignements les plus précieux. De Gand, je suis encore venu à Lille, en recueillant quelques observations ; mais alors l’arrivée de l’hiver m’a obligé de terminer mon voyage.

40p. 8-9-10 : La botanique indigène des provinces que j’ai parcourues, cette année, n’offre qu’un intérêt très borné. Ce pays ne présente pas assez de variétés dans les sites, les expositions, les hauteurs des sommités, pour pouvoir offrir une grande variété de végétaux ; et placé, comme il l’est, au centre des régions les plus instruites de l’Europe, il a été déjà souvent exploré par des botanistes habiles. […]. Les plantes de la Lorraine n’ont encore été décrites que par Buc’hoz et Villemet, deux noms peu propres à inspirer de la confiance : aussi M. Mougeot, qui habite Bruyère, a-t-il trouvé encore beaucoup d’additions et de rectifications à faire à la Flore de sa province ; et moi-même, en deux voyages rapides, j’ai eu occasion d’y faire quelques observations nouvelles. La Flore d’Alsace est faite avec le plus grand soin. Mappus et Lindern se sont déjà acquis, depuis plus d’un siècle, une juste célébrité par leurs ouvrages sur les plantes de cette province ; depuis lors, M. Stolz en a publié un nouveau catalogue ; M. Nestler m’a communiqué plusieurs notes intéressantes, insérées dans la Flore française, et prépare une nouvelle Flore alsacienne ; M. Gmelin a compris l’Alsace dans son excellent ouvrage sur les plantes du grand-duché de Bade ; M. de Schombourg a rédigé un catalogue intéressant des plantes du Haut-Rhin, et M. Villars a porté sur celles du Haut-Rhin le même coup d’œil observateur qu’il avoit déjà exercé sur celles du Dauphiné. Le Palatinat n’est pas moins connu que l’Alsace ; Pollich en a donné une Flore qui passe, à beaucoup d’égards, pour le modèle des ouvrages de ce genre. Depuis lors, MM. Koch, de Kaiserslautern, Koeler et Ziz, de Mayence, ont de nouveau exploré ce pays et réparé les omissions échappées à Pollich. Un petit ouvrage allemand, de M. Matersteck [Johann Clemens], qui est à peine connu des botanistes, donne une notice fort exacte des plantes des environs de Bonn. La vaste chaîne des Ardennes a été jusqu’ici complète-ment négligée par les botanistes ; M. Lejeune, médecin instruit, de Verviers, a fait connoître les plantes de la partie de l’Ardenne qui l’avoisine ; il a été puissamment secondé dans ses recherches par Mlle Libert, de Malmedy, qui, dans un séjour si éloigné de toute instruction, s’est livrée à l’étude de l’histoire naturelle de son pays avec un zèle et un talent d’autant plus digne d’éloges, que ses succès n’ont nullement altéré la modestie et la naïveté de son esprit. […]. J’ai aussi herborisé avec soins dans diverses parties de l’Ardenne ; mais ce pays est tellement monotone dans sa nature physique, que le nombre des plantes sauvages y est très borné. Enfin, la Belgique et la Flandre ont été décrites, quant à leurs végétaux indigènes, par Necker, Lestiboudois et Rouçel ; leurs ouvrages, quoique en apparence fort incomplets, laissent cependant peu de chose à désirer, parce que ce pays présente peu de variétés dans sa végé-tation, qu’il n’y a (si j’ose m’exprimer ainsi) plus de place pour les mauvaises herbes. Aussi l’étude des végétaux indigènes est-elle extrêmement négligée en Belgique ; toute l’attention des amis de Flore a été portée sur la culture des plantes étrangères […].

41p. 11-12 : Qu’on me permette de citer ici les principaux jardins de la Belgique afin de donner une idée du point où cette mode est devenue générale. A Enghien, M. le sénateur d’Aremberg a établi des serres très-riches dans son parc, où se trouvent beaucoup d’arbres étrangers ; M. Parmentier, maire d’Enghien, a réuni, dans un espace resserré, un nombre prodigieux d’espèces rares, tirées la plupart de jardins d’Angleterre, et qu’il a l’art de cultiver et de multiplier avec beaucoup de talent. A Bruxelles, MM. d’Ursel et d’Aremberg ont aussi des serres qui renferment beaucoup d’objets rares. M. Pears [Piers] fonde un jardin, aussi remarquable par l’élégance de sa disposition, que par le choix des plantes qu’il y cultive ; les magnoliers et les geranium font l’objet spécial de ses soins. M. Dekin, directeur du jardin public, a fait de cet établissement un des jardins les plus riches de la France, et contribue beaucoup, par son activité et sa complaisance, à étendre autour de lui le goût de la botanique. MM. Verlate et Dartois ont réuni, dans leur magnifique jardin de Vepelaer, une collection riche et précieuse de végétaux exotiques. M. Van Mons a formé une collection immense d’arbres fruitiers. M. Coloma, à Malines, se livre aussi avec un grand succès à ce genre de culture, et y joint une belle collection de plantes grasses. M. Wiggers [Wiegers Fr. A., pépiniériste] possède aussi, à Malines, l’un des jardins marchands les plus riches et les plus soignés qu’on puisse rencontrer. A Anvers, on doit citer seulement le jardin de M. de Smeth, assez intéressant par sa disposition et le choix de quelques-unes de ses plantes. Gand semble être la ville privi-légiée de la botanique ; le marché des fleurs annonce déjà la richesse des jardins marchands ; la collection de M. Van Cassel [François] est digne de rivaliser avec celle des pépiniéristes les plus célèbres ; MM. Pöpeleu [Papeleu], Verdong [Verdonckt], Vander-Voestine [Vande Woestyne Jacques], Bauons [Bauwens], Lebègue, ont tous de petites collections, mais remarquables par le choix et la bonne tenue des plantes. Une Société botanique, composée d’amateurs, distribue deux fois par an des prix à ceux qui peuvent présenter les fleurs les plus rares ; le jardin public, fondé depuis quelques années, et cultivé sous la direction de M. Mass [Maes], présente un beau local, des serres superbes et un choix de plantes précieuses ; enfin, le village de Veteren semble une vraie colonie botanique. M. Opsomer [Hopsomer] ayant reconnu que le sol de son jardin étoit une terre intermédiaire entre celle de marais et celle de bruyère, y a établi une collection remarquable d’arbres et arbustes de l’Amérique septentrionale ; on se promène avec admiration au milieu de gros buissons de rhododendrons, de kalmia, de magnoliers, et on se croit tout d’un coup transporté dans le Nouveau-Monde. Mme Vilainquatorze [Vilain XIIII] a formé près de là un établissement magnifique, dans lequel se trouvent, et les cultures de pleine terre, et des serres vastes et bien meublées, et une bibliothèque botanique ; elle-même dirige ce jardin précieux, et embellit sa retraite par l’étude et le travail. [Ces deux pages du Rapport furent reproduites par Ch. VAN HULTEM (Discours 1817, p.66-67), mais comme l’écrit Ch. MORREN (1843, p .31) « Cet extrait a été choisi plutôt dans l’intérêt des noms propres qui s’y trouvent cités que dans celui de la connaissance des choses. ».

42p. 13 : Toute la partie de la France que j’ai parcourue, cette année, appartient à la région que j’ai désignée dans la Flore française sous le nom de région des plaines du Nord et de l’Est. […].

43p. 14 : […] L’Ardenne n’offre non plus rien de marqué dans sa végétation ; cette chaîne présente un axe primitif très-bas, qui se dirige du sud-ouest au nord-est, et qui n’est visible que dans un petit nombre d’endroits […].

44p. 15-16 : […] L’exemple le plus remarquable en faveur de l’influence des terrains, se trouve dans l’histoire de la viola lutea ; cette plante croît dans les environs de Verviers, toujours, selon M. Lejeune, dans les terrains qui renferment de la calamine. Sans nier cette observation, je ferai remarquer que cette même espèce se retrouve dans plusieurs points des Alpes, du Jura et des Vosges, où l’on ne connoît point de calamine. Mes parties de l’Ardenne les plus intéressantes pour la botanique, sont les marais, connus sous les noms de Hautes Fagnes ou Hautes Fanges ; ce sont des marais situés dans de petits bassins, sans écoulement, placés au sommet des collines de l’Ardenne […] ces marais sont essentiellement formés de sphaignes, dont peut-être ils ont tiré leur nom, et ne servent guère qu’à produire un peu de tourbe ; ils ressemblent beaucoup, pour leur nature physique, aux marais qu’on trouve sur les sommités du Jura ; et comme dans le Jura on y rencontre en abondance, parmi les sphagnum, l’andromeda polifolia, le comarum palustre, le spergula nodosa [= Sagina nodosa (L.) Fenzl], etc. ; les seules plantes propres aux Fagnes de l’Ardenne, sont l’ophrys paludosa, et le saxifraga cœspitosa, qui ne se rencontrent dans aucune autre partie de la France.

45p. 18 : Les vignes suivent aussi le cours de la Meuse ; et, dans cette vallée, leur terme extrême est Vizé [Visé] entre Liége et Maëstricht ; c’est aussi le terme des coteaux exposés au sud.

46p. 19 : La seule partie des Pays-Bas qui offre un intérêt réel pour le botaniste, est ce désert, moitié de sable, moitié d’eau qu’on nomme la Campine ; dans les étangs de ce pays, on trouve quelques plantes du nord de l’Europe, telles, par exemple, que le lobelia dortmanna, inconnu dans le reste de l’Europe. […].

47p. 22 : Les galeopsis grandiflora et tetrahit, confondus dans le pays wallon sous le nom de danot, s’y recueillent en abondance, pour être expédiés en Allemagne, où on les emploie contre la phthisie pulmonaire.

48p. 23 : On trouve, dans les Ardennes, une variété de vaccinium myrtillus, à fruits blancs, qui a une saveur plus grande que celle à fruits noir ; on en recueille les baies, qui se vendent dans les marchés de Malmedy et des villes voisines.

49p. 30 : Dans le Limbourg, tous les paysans étant manufacturiers, ont réduit leur agriculture à sa plus simple expression et à la plus grande économie possible de main-d’œuvre ; leurs propriétés sont fort divisées, séparées par des haies et cultivées en herbages naturels ; leurs bestiaux sans cesse enfermés dans de petites enceintes, y déposent assez d’engrais pour que la terre en pro-fite, et le propriétaire a soin d’en faire extraire par ses enfans toutes les herbes peu profitables ; de sorte que les prairies du Limbourg étonnent par le choix et la vigueur des plantes qui les composent : c’est là que se fabriquent les fromages d’Herve, qui ont quelque célébrité.

50p. 35 : La citrouille se cultive en grand pour la nourriture des cochons et des hommes dans le Haut-Rhin et dans le Bas-Rhin, particulièrement à Lauterbourg.

51p. 40 : Les paysans, d’accord avec les naturalistes, ont remarqué que les pommes de terre crues, données aux bestiaux, sont souvent nuisibles à leur santé, ou du moins ne sont pas, à beaucoup près, aussi nutritives que lorsqu’elles sont cuites, sans doute parce que la cuisson leur enlève la partie extractive, plus ou moins âcre dans toutes les solanées. Pour les faire cuire sans frais, ils ont eu l’idée heureuse de les distiller ; par-là, ils en retirent une espèce d’eau-de-vie qui, quoique très-médiocre, paie les frais de distillation.

52p. 42-43 : Les choux doivent tenir la première place dans cette énumération ; tout le monde sait combien l’emploi est général dans toute la France alle-mande, soit pour légumes frais, soit pour la fabrication du saur-krout [choucroute, surkrut en alsacien] ; la petite ville de Frankenthal fait, en particulier, un grand nombre de plantons de choux qu’elle exporte, soit en Allemagne, soit dans les cantons voisins. Les maraîchers qui sont voués à cette industrie, obtiennent plusieurs récoltes sur le même terrain, toujours à force d’engrais ; ils choisissent, de préférence, pour cette culture, les engrais de nature animale, provenant de rognures de peaux et d’autres objets analogues. [Le cultivar de chou le plus cultivé pour la choucroute est le chou cabus ‘Quintal d’Alsace’, connu aussi sous le nom de ‘Quintal de Strasbourg’ et cultivé en Alsace depuis le 15ème siècle].

53p. 51-52 : Le pavot se cultive principalement en Alsace, dans le Palatinat, le long du Rhin et jusqu’en Belgique. On sait que c’est de sa graine qu’on retire l’huile dite d’œillette, qui sert pour l’usage de la table dans les provinces du nord-est.

54p. 68-69 : M. Bauman, de Colmar, a remarqué que le fruit du ptelea trifoliata a la même saveur que le houblon, et il s’occupe à le faire essayer dans les brasseries ; si cet essai réussit, il ne paroit pas douteux que le ptelea remplaceroit avantageusement la culture du houblon. La cardère, ou chardon à foulon, ne se cultive qu’en fort petite quantité en Alsace, dans le Palatinat et dans la Flandre ; mais elle est, au contraire, un objet assez important dans le pays wallon, comme, par exemple, aux environs de Liége, où le voisinage de la fabrique de Verviers lui a donné plus d’extension.

55p. 70 : La chicorée est l’objet d’une culture plus bornée encore que celle du chardon, et elle ne laisse pas cependant que d’être cultivée en grand dans certains cantons, principalement dans les environs de Liége et de Maëstricht.

56p. 77 : Ayant visité alternativement cette année les provinces de France qui sont le mieux cultivées, et celles qui le sont le plus mal, j’ai recueilli un assez grand nombre de faits sur les assolemens et les défrichemens, et sur-tout sur la liaison que ces deux théories doivent avoir l’une avec l’autre ; mais je n’exposerai ces résultats que dans le rapport général que j’ai projet de publier à la fin de mes voyages, parce que ces théories seront plus claires et plus utiles, lorsqu’elles seront appliquées à l’ensemble de l’agriculture française.

(2) Extraits de la Flore Française (DE CANDOLLE, 1815)

57 Au moment de la parution de l’ouvrage, en 1815, la Belgique est réunie aux Pays-Bas et le territoire visité par De Candolle ne fait plus partie de la France.

58Bien peu des personnes rencontrées lors de son voyage ont l’honneur de voir leur nom figurer dans la préface, dédiée à A.M. de Lamarck.

59p. 8 : « Ces mêmes remercîments, je le dois aussi aux Botanistes qui habitent les provinces ci-devant réunies à la France, et séparées aujourd’hui par le dernier traité. […] MM. Koch, Ziz, Dossin, Lejeune, et mademoiselle Libert, dans les provinces allemandes [?], m’ont fourni sur leur pays des documents précieux, qui quoique devenus moins utiles qu’ils devaient l’être, ont souvent encore servi, par leur comparaison, à éclairer l’histoire des végétaux de la France : je dois d’autant plus leur témoigner ici ma reconnaissance, que j’aurai très-rarement occasion de mentionner leurs découvertes dans le corps même de cet ouvrage ».

60 Néanmoins, il fait référence à quelques végétaux lui signalés lors de son voyage de 1810, surtout des cryptogames (Dossin et Libert) et quelques phanérogames (Dossin, Lejeune, Libert), par exemple : p. 66, Uredo orobi. « Mademoiselle Libert me l’a envoyée des Ardennes » ; p. 71, Uredo polygonorum. « M. Dossin, à Liége » ; p. 256, Calamagrostis Helleriana. « où elle a été trouvée par M. Lejeune » ; parfois il ne cite pas l’auteur de la découverte : p. 275, Bromus grossus. « Verviers, Malmedy, Liége » ; p. 382, Trientalis europœa. Pour cette plante rare, il est beaucoup plus explicite « Elle croît dans les bois montagneux des provinces orientales ; elle a été trouvée en abondance dans les Ardennes près de Saint-Hubert, par M. Redouté [Pierre Joseph], à Spa et Malmedy par M. Lejeune ; dans la forêt de Néau [Eupen] par M. Dossin. ; p. 431, Vaccinium myrtillus var. Fructu albo. « Cette variété, très-remarquable par son fruit blanc, croît très abondamment dans l’Ardenne ; elle a, selon M. Lejeune, les feuilles plus oblongues et plus crénelées. Son fruit se vend au marché de Malmédy, sous le nom de framboise blanche ; en wallon, frambachs blanques. Serait-ce une espèce distincte ? » ; p. 595, Draba subularia. [= Subularia aquatica L.] « Cette plante croît dans les lieux frais et aquatiques, dans la Campine aux environs de Liége. », nous savons cette plante récoltée en dehors du département par Dossin (Subularia aquatica, DURAND 1875, p. 33) et elle figure dans les « Nottes [sic] prises dans l’herbier de Mr. Dossin » du manuscrit original !; p. 619, Viola lutea. [Viola calaminaria (Gingins) Lej.] « Cette espèce fleurit tout l’été, et a été trouvée par M. Lejeune dans les pâturages secs et les terrains calaminaires, à Aix-la-Chapelle, Thimister, Stollberg, et je l’ai cueillie avec lui entre Theux et Malmédy. ».

61Curieusement, les noms de Dekin, Nyst et Haenen n’apparaissent pas : ils ont pourtant, eux aussi, herborisé dans les contrées visitées par De Candolle !

(3) Lettres de Dossin, Lejeune et Libert reçues par A. P. De Candolle (G-DC)

62Correspondance botanique d’Augustin-Pyramus de Candolle (1778-1841). Don de Mme Augustin de Candolle et ses enfants aux Archives du Conservatoire botanique de Genève, 1924.

63 Outre le manuscrit du « Voyage de Liége », nous avons aussi pu nous procurer à Genève, copie de la correspondance reçue par A. P. De Candolle des trois botanistes « liégeois ». Nous la reproduisons ici. Ces courriers, antérieurs ou postérieurs au voyage « de Liége » nous semblent complèter utilement la connaissance sur les échanges épistolaires de Candolle, mais aussi d’échantillons, en particulier avec les botanistes belges de l’époque.

64Pierre Etienne Dossin.

65Lettre 1. A Monsieur Décandolle, Professeur & Directeur du Jardin de Botanique a Montpellier.

66Liége 18 mars 1808

67Monsieur,

68Je m’empresse de profiter d’une occasion pour vous envoyer 25 cryptogames dont je ne connois pas les noms et la Subulaire que j’ai promise à Mr Rohde que j’ai eu le plaisir de rencontrer chez vous et à qui je vous prie de faire mes complimens : cette mousse me paroît être la tortula brevifolia de Bridel ; comme la fructification étoit fort avancée lorsque je l’ai cueillie, je n’ai trouvé qu’un seul péristome qui étoit contourné comme dans les tortula. Je vous prie de faire mes complimens à Mr Nysten [Pierre-Hubert] et de me croire avec la plus parfaite considération votre très dévoué serviteur. [Signé] p. e. Dossin

69Lettre 2. Liége le 22 8bre 1810

70Monsieur

71Je vous envoye 50 Cryptogames parmi lesquelles vous trouverez l’intéressant phascum, auquel je trouve maintenant de la ressemblance avec le phascum rectum bridel. supplément. quant à la leskia palustris et au dicranum rigidulum que vous m’avez demandés, je ne vous les envoye pas à cause que je vois que la première espèce est le hypnum palustre, et que la seconde est une des nombreuses variétés du dicranum varium, au nombre desquelles on mettra peut-être un jour le véritable dicranum rigidulum.

72Vous verrez la junghermannia que je regardois pour la fragilis et qui me paroît être une variété de la viticulosa, ainsi que l’espèce de mousse que je prenois pour le dicranum ovale et qui est donc votre grimmia nigricans ; la fructification étoit trop avancée lorsque je l’ai cueillie, je n’ai trouvé aucun péristome en bon état.

73Je vous envoye aussi le hypnum rusciforme et une espèce qui n’en est peut-être qu’une variété, et qui se rapproche un peu du hypnum uncinatum. L’espèce n° 10 qui se trouve dans l’envoi précédent, me paroît appartenir au hypnum riparium : j’en dirois autant de celle qu’on vous a envoyée avec le nom de fontinalis minor et que j’avois nommée fontinalis n. d’après cela, si je pouvois apercevoir la nervure des feuilles.

74Vous trouverez aussi un hypnum que vous avez vu dans ma collection avec le nom de squarrosulum et qui me paroît être le protensum.

75L’orthotrichum octoblepharis de ma collection est l’orthotrichum affine, dont le péristome a ses 16 dents tellement rapprochées par paires que je n’avois cru n’en voir que 8.

76Je vous envoye la parmelia sarmentosa, 2 lucida, dont l’une que vous avez vue dans ma collection avec le nom de microcarpa, croît dans des landes, et une verrucaria.

77Vous verrez certainement avec plaisir les erysiphe de la bardane et du froment, la sphaeria du Cha…, la puccinia du bluet et les uredo des euphraises, de l’aigremoine, du pissenlit, du fraisier stér…, du quarantain, de la violette des chiens, du mélampyre des prés etc. J’ai mis les noms à toutes les espèces de feuilles parce qu’il s’en trouve que vous reconnoîtriez peut-être difficilement.

78Je vous envoye aussi 2 échantillons du hieracium que vous avez vu dans mon catalogue sous le nom de saxosum, dont l’un garni de fleurs, a cru dans un jardin, et l’autre sur des rochers.

79Mr Le Curé Ramoux a bien voulu se charger de donner la liste des noms wallons des plantes.

80Je vous prie de vouloir bien m’accuser la réception de cet envoi-ci et de me croire avec la considération la plus distinguée votre très dévoué serviteur. [Signé] p. e. Dossin

81p. s. Je vous envoye la leskia polycarpa à cause que je crois qu’on l’a confondu avec la palustris ; il ne me semble pourtant pas que je me sois trompé en la regardant pour la polycarpa.   

82Alexandre Lejeune

83Lettre 1. A Monsieur De Candolle professeur de Botanique à la faculté de Médecine etc. etc. A Montpellier.

84Verviers 4 9bre 1810

85Monsieur,

86J’ai expédié le 2 de ce mois à votre adresse 2 paquets, un contenant des échantillons de plantes de nos montagnes, l’autre renfermant des plantes vivantes dont les noms suivent.

87N° 1 ophrys paludosa ; N° 2 trientalis europaea ; N° 3 narthecium ossifragum ; N° 4 tormentilla reptans ; N° 5 veronica rosea ; N° 6 saxifraga palmata ; N° 7 lysimachia punctata ; N° 8 lysimachia ciliata ; N° 9 sedum saxatile ? ; N° 10 sedum rupestre ?; N° 11 sedum reflexum et var. ; N° 12 poa sudetica ; N° 13 pulmonaria de Haënen.

88Avec les plantes desséchées vous trouverez les graines suivantes, 1 bromus grossus ; 2 lotus conimbrensis var. ß ; 3 Sinapis … ; 4 galeopsis grandiflora ; 5 galeopsis angustifolia ; 6 hyosciamus niger biennis ; 7 hyosciamus niger annuus ; 8 chenopodium blitoides Dec.

89Je vous enverrai l’année prochaine les autres plantes que vous avez désiré recevoir avec celles qu’il vous plaira de me commander.

90Je n’ignore pas que dans le nombre des échantillons, il ne s’en trouve beaucoup qui ne vous offriront qu’un léger intérêt, mais on aime cependant à observer les légères variétés produites dans les espèces par l’influence du climat.

91J’espère Monsieur le professeur, que quand vos nombreuses occupations vous auront laissé le loisir d’examiner mes plantes que vous voudrez bien dissiper mes doutes en m’honorant d’une réponse. Il me reste cependant encore beaucoup de plantes du nord de la France à vous faire connoitre, mais comme la saison étoit trop avancée je n’ai pu en récolter des échantillons je remets cette besogne à l’année prochaine.

92Comme Monsieur le professeur a bien voulu me faire espérer qu’il me transmettroit des graines je prends la liberté de lui me rappeler.

93Si vous avez un échantillon de la Linnea borealis je le recevrois avec grand intérêt.

94Aurez-vous examiné l’Ervum que vous jugez une espèce nouvelle et que je croÿois être le tetraspermum.

95Mess. Haënen et Nÿst me chargent de vous saluer, l’intéressante Melle Libert en fait autant.

96En attendant l’honneur d’une réponse j’ai l’honneur d’être avec mes sentimens de la plus haute considération Monsieur votre dévoué serviteur. [Signé] Lejeune méd.

97 Un brouillon de cette lettre, écrit semble t-il à la hâte par Lejeune se trouve dans les collections de l’Université de Liége (Mn n° 2406, accompagnant la lettre de De Candolle du 20 septembre 1810). L’écriture du docteur Lejeune, lorsqu’il s’appliquait, n’est pas facile à déchiffrer, mais dans le cas de ce brouillon le décryptage en est pratiquement impossible !

98Lettre 2. Verviers 10 décembre 1813.

99Monsieur

100En réponse à la lettre que vous m’avez écrite par la fin de l’été, j’ai le plaisir de vous envoyer 1° 17 échantillons desséchés

1012° 12 paquets de graine

1023° une boëte en fer blanc renfermant les plantes suivantes au nombre de onze.

103Aster annuus, erinus alpinus, viola lutea Smith, Dianthus glaucus, primula integrifolia, lÿsimachia punctata, veronica alternifolia, polÿpodium plukentii Lois. Not., Silene amblevana ou voir Silene nutans, sedum elegans, sedum schistosum ou boloniense.

104J’espère que vous ne serez pas fâché de recevoir cet envoi dans les mois de janvier. Si vous pouvez me passer des graines en me repassant par la messagerie ma boëte je désirerois s’il étoit possible des échantillons vivans suivans.

105Sedum anopetalum, rupestre, cruciatum, dasÿphyllum, hÿbridum, perfidum, spathulatum, altissimim, nudum, primula viscosa, ramondia pÿrenaica, crassula magnolii.

106La proximité du mois de janvier fait que je me hâte de vous passer ce paquet.

107Melle Libert est bien reconnoissante pour votre catalogue.

108Ma flore n’est pas encore tout à fait imprimée,

109J’ai l’honneur de vous saluer en hâte votre dévoué serviteur. [Signé] Lejeune     

110Lettre 3. Monsieur de Candolle Professeur de Botanique à l’université de Montpellier etc. etc. A Montpellier.

111Verviers 23 Xbre 1818

112Monsieur !

113Il ÿ a si longtemps que je n’aie eu l’honneur de correspondre avec vous que dussais-je vous importuner je cède à ma vive impatience.

114Je n’ignore point que les nombreuses occupations qui absorbent tout votre temps vous laissent peu de loisirs pour correspondre avec les botanophiles ; j’ai remarqué cependant avec grande délectation que dans le volume supplémentaire à la flore française et dans votre savant Systema vegetabilium vous faisiez souvent mention de mes plantes ; c’est pourquoi aÿant fait beaucoup de nouvelles découvertes depuis longtemps que je n’ai correspondu avec vous, j’ai cru utile de vous offrir des plantes qui j’espère attireront votre attention et pourront peut-être vous servir dans la rédaction des volumes à paroitre du dernier ouvrage précité vous voudrez donc bien si cela peut vous faire plaisir m’honorer d’une réponse et m’indiquer de la manière que je pourrois vous faire passer les échantillons que je vous destine.

115Mademoiselle Libert livrée avec assiduité aux recherches crÿtogamiques a fait de nombreuses découvertes dans ces plantes. Nous nous proposons de livrer l’été prochain à l’impression la 3e partie de notre flore ; elle m’a chargé bien des fois de la rappeller à votre souvenir.

116La séparation des provinces Belgique de la France rendent il est vrai, de beaucoup moins d’intérêt, les plantes quelles renfermoit, pour le flore française ; mais il me paroit que votre Systema qui considère et énumère toutes les plantes connues du globe ne pouroit qu’acceuillir avec intérêt quelques plantes qui me paroissent inconnues.

117Je ne m’étendrai pas, Monsieur, plus longuement et je finirai en vous priant de croire aux sentiments de la considération la plus distinguée.

118Votre très dévoué serviteur. [Signé] Lejeune Médecin à Verviers.

119Lettre 4. Monsieur le Professeur de Candolle A Genève.

120Verviers 27 juin 1823

121Monsieur !

122Je saisis l’occasion de Mr J. Delamorte qui retourne dans sa patrie pour vous faire l’envoi d’un petit paquet renfermant à peu près une centurie de plantes desséchées, que vous recevrez j’espère avec satisfaction, comme vous rappellant un paÿs que vous avez parcouru, dans l’unique but de connoitre ses pro-ductions végétales.

123Nos relations commerciales avec la ville de Genève, votre première patrie, me permettroient de vous faire de temps en temps de semblables envois si j’avois la conviction que celui-ci vous fut agréable.

124J’attends avec la plus grande impatience le tome 3e de votre célèbre et savant ouvrage, intitulé Systema vegetabilium je ne doute pas qu’il ne paroisse d’abord.

125Je possède dans ma bibliothèque l’ouvrage que vous avez inscrit dans le supplément de votre bibliothèque botanique tome 2e du Systema pag. 706 [qui n’est qu’une liste de références bibliographiques] sous le titre Langi fl. magn., même format même édition de Lÿon que le votre et vous me permettrez de vous observer qu’il ne renferme que des fleurs de Rhéthorique, cet ouvrage semble avoir été composé en faveur des prédicateurs etc.

126Melle Libert s’occupe toujours avec la plus scrupuleuse minutie des recherches crÿptogamiques, je crois qu’elle finira par publier la crÿptogamie de ce pays.

127MM. Nees et Weihe ont bien voulu examiner les nouvelles espèces qui constituent le genre Rubus, et qui croissent dans ce paÿs, ils les ont mis en concordance avec leurs Rubus. Par là je suis certain de trouver une 30e d’espèces de Rubus correspondant avec leur nomenclature. Si vous étiez désireux de les connoitre, je me ferois un devoir de vous les faire parvenir.

128Recevez, Monsieur, l’expression de tous mes sentimens d’estime et de haute considération.

129Votre dévoué serviteur. [Signé] Lejeune Docteur en Med.

130    Le titre exact du Systema cité par Lejeune est : Regni vegetabilis systema naturale. 2 vol. in-8°, Paris, Treuttel et Würtz, I, 1818, II, 1821 ; le Langi fl. magn. est : Langius J., Florilegii magni seu Polyantheae Libri xx. In-folio. Lugdum, 1620.

131Note : Il ne semble pas, à notre connaissance (à moins que Lejeune n’ait pas conservé cette correspondance, ce qui serait très surprenant pour des lettres venant de « son » professeur), que De Candolle n’ait jamais répondu aux courriers qu’il lui a adressés, pas plus d’ailleurs qu’à d’autres personnes.

132Marie-Anne Libert

133Lettre 1. Malmedÿ 13 8bre 1810

134A Monsieur De Candolle à Paris

135Monsieur !

136J’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint la liste des plantes vulgairement connues à Malmedÿ sous les noms wallons désignés ; accompagnée de quelques crÿptogames qui pouront peut être vous être agréables et mériter votre attention ; ma satisfaction sera indicible si vous daignez me l’honorer d’une réponse et m’apprendre les noms des numéros qui représentent ces végétaux. Monsieur Lejeune de Verviers vous a sans doute déjà fait l’envoi des graines et des plantes tant vivantes que desséchées dont je l’ai prié de vous remettre, les autres qu’il m’a été impossible de vous procurer cette année vous seront transmises n’en doutez pas, l’année prochaine avec celles que vous pourriez encore désirer. Soyez certain Monsieur, que vous me rendrez heureuse chaque fois que vous voudrez bien me mettre dans les cas de vous être utile et par conséquent de vous donner des preuves des sentimens reconnoissans qui m’animent envers vous.

137Permettez, Monsieur, que je parle du service important que vous avez rendu à notre famille. Son Excellence le Ministre de l’intérieur ; [J. B. Champagny] auprès de qui vous avez eu la bonté de vous intéresser en notre faveur, a daigné répondre de la Manière la plus obligeante à l’humble supplique que nous avons osé lui adresser pour obtenir la permission de retirer de l’étranger [Angleterre ?] dix mille cuirs en poils ; Son Excellence a bien voulu en outre nous donner les instructions dont nous avions besoin pour présenter notre demande dans les formes prescrites ; mais comme nous n’avons pas encore pu trouver une Maison de commerce avec qui nous aurions pu nous entendre pour pouvoir désigner un navire, pouvons nous espérer que ce retard ne changera rien aux dispositions de son cœur à notre égard ?

138Je vous prie d’agréer mes civilités sincères, et de croire aux sentimens de considération et de respect avec lesquels j’ai l’honneur d’être Monsieur !

139Votre très humble et très obéissante servante. [Signé] Marie-Anne Libert.   

(4) Correspondance adressée au docteur Lejeune de Verviers

140      Ces courriers, datant de la période du voyage, apportent pour leur part un petit éclairage sur la perception du voyage de la part des botanistes belges eux-mêmes, mais aussi celle de De Candolle.

141Extrait d’une lettre de Nyst à A. L. S. Lejeune (Mn. ULg n° 2740)

142Maastricht le 4 décembre 1810 :

143[…] A l’occasion que vous m’avez procuré de faire la connaissance de Mr Decandolle ; je lui ai demandé son sentiment sur le Satyrium repens [= Goodyera repens (L.) R. Brown], dont vous doutiez, en lui mettant sous les yeux cette plante. Il n’a pas hésité un moment pour affirmer que mon S. repens ne fut le véritable. [dans la Flore des environs de Spa, : 192, Lejeune écrira « Obs. Le Satyrium repens L. doit croître sur la montagne de Berg, sur les bords des bois, au rapport de Mr. Nyst »]. Il n’a même élevé aucun doute au sujet du Satyrium albidum [= Pseudorchis albida (L.) Á. et D. Löve] : et lorsque je lui fis part de vos observations il s’est donné la peine de contrôler le Systema vegetabilium [Linné, 1784] pour voir si sa mémoire ne le trompait pas. En outre je lui ai montré la figure 260 de la Démonstration élémentaire de botanique [par l’abbé Rozier et Claret de la Tourette, Lyon, 1766] qui représente très bien cette plante. C’est qui a été une affirmation de plus si cela eut été nécessaire. Ainsi Mr je serois charmé de vous voir de l’avis de ce savant et pour vous donner toute la facilité d’être de son sentiment je vous ferai parvenir ce printemps prochain des individus vivans sur les quels vous pourrez mieux voir les caractères que sur une plantes desseché. J’ai profité du désir que témoignat Mr Decandolle de voir le sable mouvant (qui est situé entre Mechelen et Stokheim et ou j’ai trouvé l’arundo et le Carex arenaria) en lui offrant de l’accompagner ; il a accepté cette offre avec plaisir et à voir avec satisfaction un pays qui lui rappeloit les landes de Bordeaux. Nous y avons trouvé le Carex et l’arundo arenaria qui étoient parfaitement bien desseché dans le sable, et très reconnaissable. Nous y avons remarqué le Sium repens [Apium repens (Jacq.) Lag.] dans un fossé humide.                           

Pour citer cet article

J. BEAUJEAN, «Le « Voyage de Liége » de A. P. De Candolle, 2 Juin – 2 Octobre 1810 (suite 2)», Lejeunia, Revue de Botanique [En ligne], N° 184 (décembre 2008), URL : https://popups.uliege.be/0457-4184/index.php?id=195.

A propos de : J. BEAUJEAN

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