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La ville démesurée
La crise de la dimension humaine dans la littérature flâneuse contemporaine
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Depuis le temps des « villes énormes » de Baudelaire, le flâneur explore les méandres d’une capitale parisienne lancée dans une course à la démesure, et à laquelle il confronte sa propre grandeur : entre « folie des hauteurs » (T. Paquot) et « gigantesque conurbation européenne » à venir (J. Réda), le marcheur travaille à se mesurer à un ensemble qui le dépasse et dont les constructions les plus récentes semblent en avoir oublié l’humaine dimension. De résistance en anticipation, l’œuvre de Jacques Réda et celles des flâneurs contemporains auscultent les complexités de cette crise de l’échelle humaine dans la ville contemporaine, qui se poursuit au tournant du XXIe siècle.
Table des matières
1L’idée d’une démesure de la grande ville n’a rien de foncièrement nouveau. On trouve déjà, dans le Tableau de Paris de Louis-Sébastien Mercier, des remarques qui en attestent l’actualité. Le chapitre III est ainsi intitulé « Grandeur démesurée de la Capitale », et commence par ce constat lapidaire : « Vu politiquement, Paris est trop grand »1. Cette tension paraît dotée d’une pertinence toute particulière dans le contexte contemporain de la métropolisation qui consiste en un « processus d’étalement des très grandes villes, ainsi qu’en leur structuration autour, non plus d’un centre unique, mais de centralités multiples »2. Or, la mondialisation de l’économie qui se fait dans et par les grandes villes amplifie ce processus. « La folie des hauteurs », symbolisée par le « gratte-ciel »3, qui touche les grandes villes, se combine, selon Thierry Paquot, à un ensemble de phénomènes (densification, extension, bétonnisation...) qui concourent à la « mort de la ville »4. L’enjeu n’est pas seulement de constater l’extension des grandes villes qui passent, dans un élan hyperbolique, des « villes énormes » de Baudelaire et des « villes tentaculaires » de Verhaeren, aux villes gigantesques ou gigantales. L’enjeu est tout autant de réussir à penser une ville à laquelle les définitions anciennes ne correspondent plus5. C’est donc bien d’une révolution urbaine qu’il s’agit, d’un changement paradigmatique. Cet « urbain généralisé et sans limites »6, qui succède à la ville des frontières et des murs, marquerait le passage d’une modernité à une post- ou à une sur-modernité urbaine – et coïnciderait alors avec l’affirmation de Marc Augé selon laquelle la surmodernité est « l’ère des changements d’échelles »7. En ce qui concerne plus précisément notre sujet, le constat est partout le même : les nouvelles métropoles « ne donnent plus l’échelle ni le plan de l’humaine condition »8. « Trop gros, trop haut, trop rapide »9, le constat à propos des nouvelles architectures atteste de la folie des grandeurs qui s’est emparée de la construction et de l’aménagement urbains, qui ont ainsi battu en brèche « l’échelle du flâneur baudelairien »10. L’idée selon laquelle nous assisterions aux « derniers pas du flâneur »11 se conjugue donc avec celle d’une démesure scalaire si élevée que la ville aurait rompu tout rapport de grandeur avec son habitant : le citadin.
2Dans ce contexte, en effet, quid de l’expérience du citadin comme marqueur d’échelle ? Si cette dernière est un repère géographique et paysager fondamental, comment penser dans la ville d’aujourd’hui la place de l’homme, dont la grandeur se limite toujours et malgré tout au « pas et [à] la portée de la voix »12 ? Quelle image le marcheur a-t-il d’un ensemble qui vient à en dépasser constamment la commune mesure, et qu’il cherche pourtant toujours à se représenter ? Dans son étude magistrale sur les poètes de la grande ville depuis Baudelaire, Pierre Loubier voyait, dès l’avènement des « villes énormes » du XIXe siècle, une rupture d’équilibre entre « la dimension humaine » et la « dimension spatiale », symptôme d’un « malaise profond dans la civilisation urbaine, celui d’une perte croissante des repères, des échelles, des rythmes et de l’identité »13. La constitution de ce rapport antagoniste engage ainsi avec une acuité nouvelle la réévaluation de la place de l’homme au sein de l’espace qui l’environne. Par ailleurs, il participe pleinement de la « crise figurative »14 qui touche, selon Michel Lussault, la représentation de la ville contemporaine. Nous nous proposons d’analyser les manifestations de cette double crise, paysagère et figurative, de la dimension humaine en postulant qu’elle se poursuit et se renouvelle aujourd’hui. Dans cette perspective, le corpus des écritures de la ville offre un vaste champ d’exploration, qui perpétue l’existence d’une tension entre l’échelle de l’homme et les dimensions de l’espace qu’il habite. L’œuvre de Réda, qui nous délivre certains repères théoriques et pratiques majeurs, entre en dialogue avec certaines œuvres littéraires contemporaines15, qui ont en commun de faire de la ville de Paris le sujet central de leur écriture et de leur démarche, et dans lesquelles on assiste en effet au déploiement de cette crise à travers diverses manifestations. D’une part, c’est le paysage urbain lui-même qui semble se dé-mesurer et perturber ainsi, sur le plan de la « perception », la relation entre les architectures urbaines et la figure humaine. D’autre part, cette démesure donne lieu à une hybris imaginaire qui fait passer de la ville globale à une véritable planète urbanisée, accentuant au-delà du raisonnable le phénomène du changement d’échelle géographique des espaces considérés, et réinterrogeant le thème de « l’impossibilité de la représentation »16 de la ville.
1. La dé-mesure de la ville nouvelle
3L’échelle n’est pas seulement affaire de calcul de réduction17. Elle permet d’identifier une certaine modalité du rapport empirique de l’homme à son environnement ; autrement dit, l’échelle permet de spécifier la relation paysagère de l’homme à la ville. En cela, elle est un mode d’appréhension essentiellement subjectif et intuitif de l’espace. Pour Jean-Marc Besse, pas question, dès lors, de mesure géométrique, mais de « grandeur existentielle, de qualité de grandeur ou de petitesse ». C’est ce qu’il appelle autrement un « sentiment de l’échelle, de la taille ou de la dimension de l’espace où l’on se trouve situé »18. Ce sentiment concerne l’espace environnant dans son ensemble ou, pour le dire autrement, l’espace en tant qu’il environne le sujet : « Ce n’est pas la même chose, individuellement et collectivement de vivre dans un espace sans ampleur, petit, étroit, où l’on peut à peine se tourner, ou au contraire dans un espace immense, où l’horizon recule constamment devant nous »19. Jean-Christophe Bailly ressaisit cette échelle paysagère, ou échelle de perception, sous l’expression d’« échelle d’approche »20. Or, comme il le constate également, la ville contemporaine se présente comme une réserve de « nouveaux paysages »21, qui ne correspondent plus à un certain canon paysager, et remettent ainsi en balance les régimes de perception des échelles de l’ensemble urbain. Ces « nouveaux paysages » sont marqués par des perturbations scalaires fondamentales qui semblent provenir globalement de la disparition de deux échelles de référence : celle de l’homme comme étalon du paysage urbain, et celle de la ville comme totalité22. Ces modifications dans la perception du paysage urbain participent grandement du passage de la « ville » (comme ensemble constitué, englobant et lui-même englobé) à un « urbain » marqué par la disparition de l’échelle humaine sous l’accumulation des « grands ensembles » et des « grands projets ».
4Bon nombre de discours critiques sont dirigés, de ce point de vue, contre l’espace urbain périphérique. François Maspero décrit ainsi l’espace routier qui se déploie autour de l’aéroport, tandis qu’il circule à bord d’un bus de la ligne 350 :
[L]es bâtiments qui se dressent çà et là, bouchant les perspectives, cubes, tours, peu identifiables, […] inutilisables en tout cas, à première vue, comme repères auxquels on puisse se fier, les pistes qui vous passent sur la tête, la voie de chemin de fer, les autoroutes que l’on coupe et recoupe, les ponts et les tunnels, et tous ces véhicules qui filent, se doublent, se mélangent et se séparent, [...] et jamais un piéton qui donnerait à tout cela son échelle23...
5En plus de noter la complication paysagère de l’aménagement aéroportuaire, Maspero souligne avec force et insistance la disparition de repères fiables, et surtout les coupures ou discontinuités physiques qui interdisent tout parcours à pied et fractionnent l’espace. Le premier type de repères semble concerner les formes architecturales elles-mêmes. Recourant essentiellement au champ lexical de la géométrie, il en fait des agents de désordre et de désorientation : dispersés sans être agencés (« çà et là »), sans singularité, instables (tantôt sujets de la phrase, tantôt objets), les « bâtiments » en viennent à perdre une certaine valeur paysagère en se débarrassant de la référence à la dimension humaine. L’égarement géographique qu’évoque Maspero vient en effet en partie de l’inadaptation foncière des aménagements à la taille et à la mobilité humaines. C’est l’échelle même des architectures qui confond l’observateur. Plus loin, le narrateur remarque avec soulagement un « petit bloc aux dimensions presque humaines »24, seul élément rassurant dans un paysage d’angoisse. Les proportions qui le commandent font figure d’exception, sans être entièrement satisfaisantes (ce qu’exprime l’adverbe « presque »). Cette démesure architecturale fait écho, en littérature, à un discours critique dirigé contre l’urbanisme moderne qui prend essentiellement pour cible l’édification des grands ensembles et des quartiers d’affaires dans les grandes métropoles. Céline Barrère peut ainsi constater que, « du milieu des années 1950 au milieu des années 1970 surgit un paysage de barres et de tours inspiré des préceptes de l’architecture moderne et rompant, en termes d’échelle, de matériaux, de techniques constructives et de densité de population, avec le tissu urbain existant »25. Le constat d’une telle rupture devient un topos de la littérature et de l’art contemporain :
La troisième grande période de production de représentations de la banlieue est beaucoup plus immédiatement contemporaine. La réalité massivement référée est cette fois celle du malaise des cités, de la petitesse pavillonnaire et de la démesure scalaire des infrastructures26.
6En art comme en littérature, la remise en cause de la pertinence paysagère de la « bigness »27 semble faire consensus.
2. L’hybris mégapolitaine
7Ainsi troublé, le paysage urbain n’apparaît plus à l’observateur comme un ensemble calibré. L’imaginaire des auteurs exprime alors cette tension sur un mode hyperbolique. De la perception de l’échelle architecturale à la représentation de l’échelle du territoire urbain, apparaît l’image débridée d’une ville prise dans un mouvement d’extension sans limites. Il s’agit dès lors d’extrapoler ce mouvement d’extension que connaissent les grandes villes contemporaines et de le porter au degré suprême : celui de la mondialisation, au sens littéral, de la ville. C’est prendre au mot l’expression de « ville mondiale », popularisée par la sociologue et économiste américaine Saskia Sassen au début des années 199028. Pour les géographes, la ville mondiale n’est pas d’abord une ville aussi grande que le monde, mais une ville qui représente un centre de décision à l’échelle mondiale. Différente de la notion de « ville mondiale », qui désigne la place de premier rang qu’occupe une ville dans l’économie mondiale, celle de « ville-monde » se réfère à la grande ville comme résumé du monde, comme microcosme. Il est alors particulièrement intéressant de voir que « la notion de ville-monde repose sur une liaison fondamentalement métonymique entre la ville et le monde, sur l’inclusion du monde dans la ville »29. Dès lors, dans cette hybris mégapolitaine, le rapport métonymique se transforme en un rapport d’équivalence : il ne s’agit plus d’une « ville-monde » au sens où le monde est contenu dans la ville, mais au sens où le monde est devenu la ville. Pour Réda, et pour nombre d’auteurs, l’expression de « ville mondiale » prend ainsi l’acception, littérale et poétique, d’une ville sans limites qui atteindrait les dimensions du monde – non plus d’un Monde comme ville, mais d’une ville comme Monde.
8Dans bien des cas, l’image se teinte de connotations dysphoriques. Chez Réda, l’idée d’une ville sans fin qui occupe la totalité des espaces de la planète est ainsi assimilée à une forme cauchemardesque :
De rares voitures, aux deux ou trois croisements que j’ai franchis, semblaient fuir la région à toute vitesse. Pour aller où, alors que le monde entier n’est plus qu’une zone pavillonnaire dont on ne sortira plus30?
9On retrouve ici le même procédé d’extrapolation d’une situation mondiale à partir d’une situation locale : puisque je ne perçois plus les limites dans la grandeur ou dans l’étendue du paysage que je contemple, je peux à loisir supposer que ce paysage est sans limites. Ce relativisme radical exprime ainsi l’angoisse d’une ville carcérale en ce qu’elle a éliminé toute possibilité d’un ailleurs, angoisse accentuée par la lecture du déplacement automobile comme « fuite ». Cette conceptualisation de l’espace urbain se fonde sur un des motifs les plus mobilisés par la littérature flâneuse, à savoir celui du labyrinthe. Pierre Loubier en fait même un archétype de la représentation de la ville, « figure synthétique [qui] regroupe toutes les autres métaphores de la ville [mer, femme, monstre, enfer...] » et « concept-image » qui signifie, en fin de compte, « le dessin d’un espace vécu dans sa complexité essentielle »31. Le labyrinthe permet, dans la tradition flâneuse, de rendre compte de la complexité (et de la complication) de l’expérience de la ville. Comme pour le puzzle, l’expérience du labyrinthe est celle d’un jeu entre un concepteur (Dédale, l’urbaniste) et un cobaye (le prisonnier, le promeneur). Comme le rappelle de nouveau Pierre Loubier, le labyrinthe se présente comme « une énigme spatiale à résoudre »32. Mais plus intéressant encore, et plus novateur peut-être, est le sort que fait subir la citation précédente de Réda au labyrinthe. Si le monde s’est mué en une unique « zone pavillonnaire », c’est-à-dire en un modèle générique et périurbain de la ville, alors la ville elle-même est devenue cet espace qui contredit l’essence même du labyrinthe en ce qu’il est dépourvu d’issue. La ville devient ce « labyrinthe sans centre et sans issue où, seul, je dérivais »33 : labyrinthe contradictoire donc, biaisé, truqué, labyrinthe infini dont le flâneur tenterait en vain de résoudre l’énigme parce qu’elle n’a plus de solution. La « dérive »34 chez Réda devient alors une version péjorative de la flânerie en ce qu’elle constitue une perte irrémédiable de sens dans un espace conçu pour piéger le promeneur, qui ne peut plus être ni habité, ni approprié.
10La mobilisation d’un motif fictionnel pour penser la ville contemporaine ne doit pas faire oublier l’aspect réflexif et quasi théorique d’une telle ambition. Réda en particulier, dans les détails qu’il donne de sa conception de ce changement d’échelle de la ville, rejoint les conclusions et spéculations de maints géographes35. Outre cette question de la suburbanisation mondiale, Réda se rapporte à un autre phénomène pour penser l’urbanisation complète du monde, à savoir celui du changement d’échelle des réseaux de circulation. Gares et trains constitue, en 1983, un texte important du point de vue de l’anticipation de l’évolution de la ville. À de nombreuses reprises, Réda souligne ce changement d’échelle à venir. En observant les « petits wagons en baldaquin du chemin de fer de Saint-Germain-en-Laye […] qu’on voit se déclencher vers la campagne de l’Yonne et la vallée du Rhône, bientôt partout », il croit y lire les signes avant-coureurs d’une mutation structurelle :
Ils gardent en plein soleil une allure souterraine, où se dénoncent les effets lointains d’une mutation qu’on avait pu croire circonscrite dans le gypse de Paris. Ils montrent au contraire que l’univers ferroviaire se prépare à devenir une géante extension du métro36.
11Ce mouvement d’extension déborde la capitale. Du point de vue des transports, la transformation du train en « métro » constitue bien un changement d’échelle du territoire urbain : le « métro » est, à l’origine, le « chemin de fer métropolitain », il est donc consubstantiellement lié à la ville. Si cette analyse demeure pour le moment raisonnable, elle atteint très rapidement de plus amples proportions :
On sent là un retard sur la progression du réseau, dont les centres multipliés font éclater les notions de centre et d’axe au profit de la correspondance, simple nœud dans les mailles du filet que tricote l’ubiquitaire circulation. Un jour, dans la globale conurbation de la planète métamorphosée en bouquet de bouquets de banlieues, il n’y aura plus vraiment de départs, plus vraiment d’arrivées (et bien sûr plus de banlieues non plus)37.
12La projection d’un état « mondial » de la nouvelle ville entraîne en même temps sa péremption comme catégorie d’espace urbain, signe du changement de paradigme précédemment évoqué : Réda augure ici l’âge de la post-modernité urbaine en faisant de la « globale conurbation de la planète » la forme accomplie de la ville mondiale. Celle-ci passe selon lui par la domination sans partage de la logique de réseau – comprise comme « ubiquitaire circulation » et rendue par les images du « filet » et du « bouquet »38 – sur celle de territoire, forcément polarisé, ce qui confère encore un sens aux notions de « départs » et d’« arrivées ». De manière tout aussi analytique, Réda explicite cette vision de l’avenir urbain :
Les TGV me semblent une préfiguration des RER qui circuleront à travers les « flaques » de Paris, Lyon, Marseille une fois opérée leur jonction. Il finira par ne plus y avoir qu’une seule gigantesque conurbation européenne, à laquelle échapperont quelques zones montagneuses décidément inconstructibles, et des terrains vagues concédés aux écologistes et aux cultivateurs « bio »39.
13Non sans ironie, le poète rend compte de cette anticipation tout à fait assumée du devenir du monde comme ville, et inversement. Le terme de « conurbation » est de nouveau directement emprunté au vocabulaire géographique et urbanistique, et désigne « une agglomération formée par la réunion de plusieurs centres urbains initialement séparés par des espaces ruraux »40. La conurbation est ici « planétaire » : la jonction des banlieues de chaque centre urbain mondial, « désastreusement en extension partout »41, entraînerait ainsi la constitution d’un seul ensemble urbain multipolaire.
14Si elle renoue avec l’imaginaire de l’hybris urbaine, cette vision n’est pas exclusivement fantasmatique en ce qu’elle coïncide avec les analyses des géographes et des urbanistes. Cette image restitue en effet avec fidélité l’idée d’un « urbain généralisé » ou d’une « planète urbaine ». Dans la révolution anthropologique de la mobilité qu’il voit advenir, Marc Augé intègre le changement d’échelle des transports comme un des pans majeurs de « l’urbanisation du monde »42 : « La ville change d’échelle et le métro de vocation. La ville se décentre et le métro se raccorde à d’autres réseaux »43. Malgré tout, il demeure un fond fantasmatique irréductible en ce que ces images demeurent une projection. Bien qu’elle ait acquis une vraie pertinence, la fortune d’une telle prophétie ne semble toutefois pas totalement assurée chez les urbanistes. « Si quelques signes peuvent faire croire à une ville planétaire indifférenciée, le réel des pratiques urbaines est encore pour le plus grand nombre très circonstancié »44. Cette forme d’hybris scalaire exprime donc le trouble d’un espace sans commune mesure, que les auteurs traduisent par une sorte de fuite en avant fictionnelle, d’amplification imaginaire des effets de grandeur.
3. La littérature comme agent de fragmentation : un art chorographique ?
15Les choix esthétiques et fictionnels jouent donc un rôle majeur dans ces tentatives de mettre en images et en mots la grande ville contemporaine, et en particulier les choix de focalisation. La littérature du XIXe semble globalement relever en majorité du genre du panorama identifié par Walter Benjamin45. La problématique est à coup sûr différente aujourd’hui. Certes, la pratique du panorama est toujours bien vivante46, et l’imaginaire commun a l’habitude de rassembler la ville en une seule entité, en une seule image47. Toutefois, en grande partie, l’image mythique de la ville « une et circonscrite » est mise à mal par ces « nouveaux paysages ». C’est ce basculement même qui fait l’objet de la thèse de Henri Garric. Selon lui, la représentation de la ville dans la littérature contemporaine est le résultat – récent – d’un décalage opéré entre les outils de la représentation (le « parcours » et la « carte ») et leur objet :
Les outils qui nous permettent de représenter la ville ne sont plus adéquats à la ville telle qu’elle est : sans doute le parcours a-t-il toujours construit une représentation fragmentaire de la ville, mais aujourd’hui plus que jamais il est impossible de parcourir exhaustivement la ville ; sans doute la carte a-t-elle toujours construit une image abstraite de la ville, mais aujourd’hui plus que jamais elle doit s’éloigner des détails, schématiser et inventer une frontière qui n’est plus un rempart rassemblant le grouillement dans une forme synthèse, mais un simple trait. L’espace urbain est devenu trop démesuré pour les outils qui servent à le représenter48.
16De la même manière, Marcel Roncayolo affirme que « la crise urbaine est avant tout crise de représentations »49. En ce sens, les textes que nous étudions sont en parfait accord avec les conclusions de Garric. Dans ce basculement paradigmatique de la représentation de la ville, la littérature semble désormais jouer le rôle d’un agent de fragmentation, d’un vecteur de morcellement. L’époque contemporaine verrait passer définitivement la ville de la représentation d’ensemble à un ensemble de représentations. En matière de focalisation, les œuvres littéraires connaissent des modifications du point de vue sur l’ensemble urbain qui correspondent plus fidèlement à l’opération géographique ou cartographique du changement d’échelle. Bien que, au sein d’un ouvrage, on puisse rencontrer de multiples alternances entre les niveaux d’observation (par exemple, de la vue aérienne à la vue au ras du sol), il semblerait que l’on puisse définir une tendance plus générale propre à un auteur, à un ouvrage, ou à une période. Ainsi des auteurs issus du XIXe siècle réaliste et romantique, selon Walter Benjamin ou Antoine Bailly50, adoptaient plutôt un point de vue panoramique sur la ville de Paris. Le XXe siècle voit apparaître des dispositifs d’observation de la ville qui tranchent avec cette posture51. Aragon disait ainsi, dans Le Paysan de Paris, observer la ville depuis son « microscope » et « écrire l’œil à l’objectif »52. Jean-Michel Maulpoix perçoit plus généralement dans le traitement poétique de la banlieue contemporaine les signes de cette rupture :
Sous la plume des contemporains, le traitement est moins complaisant, moins enclin au pathos. Il trouve sa place dans ce que l’on pourrait appeler un nouveau « réalisme lyrique », où prévaut l’attention à des circonstances, des moments, des détails saisis au vol. Le subjectif y passe par l’objectif. Dès lors, la banlieue y est moins appréhendée globalement que par focalisations particulières53.
17Un changement de focalisation – et donc d’échelle – paraît présider à ce renouveau du lyrisme contemporain : la description de la banlieue passe d’une vue d’ensemble à une vue de détail. La littérature « panoramique » du XIXe siècle semble ainsi s’opposer à une littérature du détail, que l’on pourrait aussi nommer « chorographique », dans le sens où elle s’attache à décrire en profondeur et dans leur singularité des espaces à grande échelle54. Les auteurs de notre corpus s’inscrivent dans cette lignée des écrivains de la capitale et paraissent plutôt suivre la voie ouverte par Aragon, et confirmée ensuite par Georges Perec et son attention à l’« infra-ordinaire ». Ce même attrait pour le petit, voire le minuscule, anime les parcours et l’écriture de Réda :
Je n’ai en vérité de Paris aucune représentation intime globale, parce que j’y ai sans doute trop circulé dans le détail, en cherchant à cerner des images de ses sous-ensembles, comme les arrondissements, les quartiers, les rues, jusqu’à m’en dégoûter. Je n’arrive pas à « embrasser » Paris55.
18Le « détail » s’oppose à la vue d’ensemble, c’est-à-dire au panorama, à la globalité rendue par l’image de l’« embrassade ». Il s’agit pour Réda de suivre un désir d’« épuisement » de la ville, pour reprendre un terme cher à Perec, peut-être jusqu’au « dégoût » ou à la « folie », et qui trouve dans la profusion du détail local sa matière. On peut rappeler en effet cette mention entre parenthèses : « (vient un moment où l’on se dit qu’il faudrait tout décrire, centimètre par centimètre, jusqu’à en devenir fou) »56. Ainsi le désir de venir à bout de l’accumulation des éléments à hauteur d’yeux s’oppose-t-il à la saisie panoramique de l’ensemble urbain. En quelque sorte, les écrivains souffrent d’une myopie d’écriture qui leur interdit l’accès net et précis aux lointains et aux plus grandes formes. Ce phénomène rappelle l’opposition que dressait Julien Gracq, au sujet des « impressions visuelles », entre les écrivains myopes et les écrivains presbytes : d’un côté, Breton, qui « ne s’intéressait pas aux vastes paysages, mais [qui] avait une passion pour les petits objets » ; de l’autre, Gracq lui-même, qui s’intéresse « plutôt aux panoramas, aux vastes paysages »57. Réda est assurément du côté des premiers. Si, d’une part, on sait déjà qu’il est très concrètement sujet à la myopie, il ajoute au modèle du microscope précédemment cité celui du kaléidoscope :
Grâce au rétroviseur fonctionnant comme un troisième œil, et à la mobilité du regard qu’il éduque, notre domaine s’élargit aux 360 degrés de l’horizon. Plus que véritablement globale, cette vision fragmentée est en somme kaléidoscopique. [...] On devient comme une vitre sphérique où glisse et se fond la multiplicité des reflets58.
19Dans cette configuration de perception « augmentée » par l’usage du vélomoteur59, l’observateur ne fait qu’expérimenter de nouveau l’échec de la saisie globale. Les « 360 degrés », qui représentent une forme d’accès total au paysage, ne parviennent pas mieux à recueillir le paysage comme totalité. Bien plutôt, c’est la force de fractionnement d’un tel dispositif qui est réitérée. Le « kaléidoscope doué de conscience » baudelairien se mue en un « kaléidoscope » motorisé qui morcelle le paysage en une « multiplicité ». Plus généralement, il semblerait que la vision que possède Réda de toute ville, et a fortiori de Paris, puisse être considérée comme une vision kaléidoscopique. Au sujet de Breille, ville fictive dans laquelle se situe l’action de Aller au diable, il dira ainsi :
Je ne verrais moi-même jamais Breille de cette manière synthétiquement complète. Il n’existait de Breille que ce qu’en j’en percevais de différent et de multiple à chacun de mes moindres déplacements60.
20Ici, Réda emploie avec une grande précision la métaphore in absentia du kaléidoscope. La ville est comme en perpétuelle métamorphose au gré des excursions qui, réparties dans le temps, en reconfigurent les éléments. Elle est fondamentalement perçue de manière analytique et ne fait jamais somme. Dès lors, on peut conclure que, dans l’œuvre de Réda, la vision kaléidoscopique s’oppose à la vision panoramique comme mode de perception de l’ensemble urbain. Elle traduit une caractéristique propre à l’auteur, soulignant la dimension phénoménologique de son œuvre, mais qui fait également sens dans l’évolution historique des modalités de saisie de la ville. Il arrive malgré tout assez fréquemment à Réda de rechercher en ville un point de vue surplombant sur le paysage :
À cinquante pas du potelet d’un 229 dont je suppute les ressources, je me contenterai donc de cette vue générale et en surplomb, où le détail le moins étonnant n’est pas un grand canot à moteur échoué sur la pente, pendant de celui que j’avais remarqué un peu plus haut de l’autre côté de l’avenue dans un jardin61.
21Ici, le point haut est l’occasion d’une lecture plus perspicace du lieu, d’une interrogation quasi omnisciente, mais qui, paradoxalement, lui permet d’observer le « détail ». Ce retour du détail est symptomatique d’une difficulté à passer au niveau supérieur de perception. En effet, dans la plupart de ces rares cas, les vues que dégage le point haut fournissent peut-être moins le cadre idéal d’une véritable clairvoyance sur la ville, au sens littéral et figuré, que l’occasion bien plus baroque d’un brouillage des contours et d’un développement des illusions :
Par exemple, quand je suis sorti hier matin, la lumière brumeuse ne laissait filtrer aucun repère. […] Au bout, il y a un dévalement abrupt de prairies, de bosquets encore ruisselants de nuit violette, et là, devant un horizon d’icebergs creux échoués où des feux clignotent, on s’appuie à une balustrade qui marque la fin du monde connu62.
22Inversion paradoxale : la position qui permet normalement d’incarner la connaissance du paysage (la posture du « voyeur » ou de celui qui « comprend ») devient l’occasion d’un évincement de toute forme de connaissance. Le panorama qui normalement dévoile la ville n’offre plus que le spectacle d’une ignorance. Par un effet de relativisme, Réda fait de sa propre incapacité à constater la continuation du paysage le signe d’un arrêt absolu de ce dernier, de l’impossibilité définitive de supposer sa présence. Les écrivains se replient donc sur la seule échelle qu’ils paraissent pouvoir maîtriser pleinement : l’échelle du lieu. La forme même des œuvres traduit cette préférence accordée au local. Le récit de Un livre blanc63, écrit par Philippe Vasset, est scandé par l’intégration d’extraits d’une carte IGN au 1/25 000e qui fixe en réalité le cadre à l’intérieur duquel se déroule l’exploration. Nombre de recueils de Jacques Réda composent une suite de focalisations précises, sans que parfois aucun véritable système géographique ne les englobe. Jean Rolin lui-même choisit de délimiter précisément la zone qui lui servira de terrain pour son enquête historique et sociologique d’une portion du boulevard Ney64.
23Toutefois les auteurs semblent en même temps animés d’un désir de saisir la ville dans sa globalité. Autrement dit, au-delà des choix d’écriture et de composition des ouvrages, ces écrivains semblent moins avoir renoncé à la volonté panoramique qu’avoir constaté inlassablement, sur le mode de la désillusion, son impossibilité. De ce point de vue, il est symptomatique que l’œuvre la plus emblématique de cette résurgence d’ambition encyclopédique à propos de la ville de Paris, celle de Thomas Clerc, soit restée à l’état d’ébauche : sur la série consacrée à la description quasi exhaustive des arrondissements de Paris, seul le Xe arrondissement a fait l’objet d’un livre publié65. De la même manière, le projet de Jean Rolin dans Zones est bien, d’une certaine manière, d’« embrasser » la ville au sens presque littéral puisqu’il s’agit d’en faire le tour. Mais la fin de l’ouvrage est là encore hautement significative :
Dans l’après-midi, par défaut d’imagination, parce que je me sens irrésistiblement enclin à revenir sur mes pas, à me satelliser une fois pour toutes sur une orbite invariable, je retourne à Nanterre afin d’y inspecter les travaux de l’esplanade Charles-de-Gaulle66.
24Nous trouvons ici une première image de ville-planète, autour de laquelle l’auteur, dans une position de surplomb paradoxale (il ne peut en faire le tour d’un seul regard), gravite. Cette vision macroscopique s’oppose à celle d’Aragon et de Réda. Cependant, c’est pour, à nouveau, aboutir à une forme d’impasse. Les dernières lignes du récit réalisent dans l’œuvre l’image de la « satellisation » définitive : « Passé la limite d’Issy et de Meudon, je prends sur la gauche la rue de Vaugirard en direction du pont de chemin de fer »67. Ce pont de chemin de fer est celui que, cent cinquante pages plus haut, il avait déjà traversé. Autrement dit, cette mise en orbite ressemble fort à une sorte de cercle vicieux qui ferait se répéter à l’infini une figure de l’impossible saisie globale, du panorama constamment avorté par son propre mouvement inachevable. Si nos auteurs font donc le choix d’écriture d’un dispositif qui adhère plutôt à une description de la ville à l’échelle humaine, leurs œuvres restent malgré tout en tension entre deux inépuisables : celui de la profondeur de l’espace vu de près, et celui de son étendue vue de loin.
25À travers certaines œuvres littéraires contemporaines qui s’articulent particulièrement bien avec l’œuvre de Réda, on assiste ainsi au déroulement d’une crise d’échelle à l’occasion de laquelle s’affrontent deux ordres de grandeur : celui de la ville et de ses espaces, et celui de l’homme. Cette crise d’échelle relève en grande partie d’une géographie vécue, incarnée, individuelle ; elle se déploie sur le plan de l’expérience et de la perception. La ville contemporaine, dans toute sa complexité, se dé-mesure surtout parce qu’elle se démesure : prise dans l’élan d’une hybris de la monumentalité, elle laisse le marcheur sans repères de taille, dressant ainsi un parallèle entre le gigantisme (démesure) et la perte de repères (dé-mesure). Le texte littéraire traduit ce désarroi en livrant une vision fragmentaire de la ville. Les auteurs, sans abandonner définitivement l’idée d’une saisie globale de la ville, constatent leur impuissance et privilégient une approche parcellaire de ses espaces. En même temps, l’expression même de l’impossibilité de la représentation reste une manière de dire – de « représenter » –, et la littérature urbaine contemporaine paraît malgré tout fournir des « images [qui] seraient alors celles qui pourraient étalonner l’ordre figuratif de l’urbanité aujourd’hui »68. Autrement dit, chacun des auteurs tente, à sa manière, de répondre à la question que pose le géographe : « l’urbain est-il imageable ? »69 Ainsi mettent-ils en scène cette crise de la dimension humaine maintes fois recommencée, à travers la restitution d’une expérience vécue que la ville ne cesse de mettre à l’épreuve.
Bibliographie
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Notes
1 Mercier Louis-Sebastien, Tableau de Paris. Tome 1, Amsterdam, 1783, p. 13.
2 Pumain Denise, « Métropolisation », in Pumain Denise, Paquot Thierry et Kleinschmager Richard, Dictionnaire La ville et l’urbain, Paris, Economica : Anthropos, 2006, p. 184-185.
3 Paquot Thierry, La Folie des hauteurs : critique du gratte-ciel, Gollion, Infolio, 2017.
4 Paquot Thierry, Désastres urbains : les villes meurent aussi, Paris, La Découverte, 2015. Voir également, à ce sujet, l’article fondateur de Choay Françoise, « Le règne de l’urbain et la mort de la ville », in Dethier Jean et Guiheux Alain, La Ville, art et architecture en Europe, 1870-1993, Paris, Éditions du centre Pompidou, 1994.
5 Voir Choay Françoise, « Le règne de l’urbain et la mort de la ville », in Dethier Jean et al., La Ville, art et architecture en Europe, 1870-1993, Paris, Editions du centre Pompidou, 1994.
6 Mongin Olivier, La condition urbaine : la ville à l’heure de la mondialisation, Paris, Éd. du Seuil, 2007, p. 13.
7 Augé Marc, Non-lieux, Paris, Seuil, 2002, p. 44.
8 Maulpoix Jean-Michel, Le Poète perplexe, Paris, José Corti, 2002, p. 77.
9 Gehl Jan, Pour des villes à échelle humaine, Paris, Ecosociété, 2013, p. 66.
10 Bailly Jean-Christophe, « Les échelles du paysage urbain », Les Mercredis du paysage (séminaire), 30/04/2014.
11 Robin Régine, Mégapolis : les derniers pas du flâneur, Paris, Stock, 2009.
12 Loubier Pierre, Le poète au labyrinthe, Fontenay-aux-Roses, ENS Éditions, 1998, p. 279.
13 Ibid.
14 Lussault Michel, L’Homme spatial, Paris, Seuil, 2007, p. 296.
15 Sans être exhaustif, nous pouvons citer les œuvres de Jean Rolin, Philippe Vasset, François Bon, Thomas Clerc, François Maspero... Ce corpus offre un bon exemple de la continuation de la tradition de la flânerie que l’on peut regrouper, avec Marie-Ève Thérenty, dans la catégorie de la « littérature flâneuse », qu’elle définit comme une littérature « organisée autour de la figure d’un observateur-flâneur, figure qui a fait florès depuis Mercier jusqu’à Aragon suscitant un des paradigmes d’explicitation les plus féconds du XIXe siècle » (Thérenty Marie-Ève, « La rue au quotidien. Lisibilités urbaines, des tableaux de Paris aux déambulations surréalistes », in Romantisme, vol. 171, n°1, 2016). On peut également se référer au corpus que se donne Pierre Loubier dans sa thèse, à savoir « un certain nombre de poètes qui, depuis Baudelaire, ont fait de la grande ville le territoire privilégié d’une pratique particulière de la poésie dans laquelle l’espace et le mouvement (de la ville, du corps, du désir, du texte) participent désormais du même geste d’écriture » (Loubier Pierre, Le poète au labyrinthe, op. cit., p. 12).
16 Garric Henri, Portraits de villes, Paris, H. Champion, 2007, p. 545.
17 C’est la propriété de la seule échelle cartographique.
18 Besse Jean-Marc, « Géographie psychique », Grupen, nᵒ 9, 2014, p. 25.
19 Ibid.
20 Bailly Jean-Christophe, « Les échelles du paysage urbain », op. cit.
21 Ibid.
22 Sur cette deuxième disparition, voir le chapitre intitulé « À la recherche de la totalité perdue » in Lussault Michel, L’Homme spatial, op. cit., p. 290-296.
23 Maspero François, Les Passagers du Roissy-Express, Paris, Éd. du Seuil, 1990, p. 30.
24 Ibidem.
25 Barrère Céline, « L’imaginaire en marge », in TDC. Banlieue et poésie, Paris, CANOPE Editions, 2015, p. 10.
26 Van Waerbeke Jacques, « La poétique spatiale des représentations de la banlieue de Paris », in Géographie et cultures, n°19, 1996, p. 71.
27 Pour Rem Koolhaas, « au-delà d’une certaine échelle, l’architecture acquiert les propriétés de la Bigness » (Koolhaas Rem, Junkspace, Paris, Payot, 2017, p. 31).
28 Sassen Saskia, The Global City: New York, London, Tokyo, Princeton, Princeton University Press, 1991.
29 Arrault Jean-Baptiste, « L’émergence de la notion de ville mondiale dans la géographie française au début du XXe siècle. Contexte, enjeux et limites », in L’Information géographique, n°4, 2006, p. 9.
30 Réda Jacques, Le Citadin, Paris, Gallimard, 1998, p. 21.
31 Loubier Pierre, Le Poète au labyrinthe, op. cit., p. 16.
32 Ibid., p. 43.
33 Réda Jacques, Hors les murs, Paris, Gallimard, 1982, p. 114.
34 Le terme fait d’abord référence à la théorie situationniste. Pour Guy Debord et ses acolytes, la « dérive », technique subversive de l’exploration urbaine, se pratique comme un « passage hâtif à travers des ambiances variées » (Debord Guy, « Théorie de la dérive », Les Lèvres nues 9, novembre 1956, p. 6).
35 Nous pouvons remarquer que la flânerie de Réda est productrice de textes qui, bien que toujours poétiques, possèdent une dimension analytique incontestable, dont l’importance varie en fonction des recueils. Il nous paraît également, de ce point de vue, représentatif de l’écriture flâneuse en général.
36 Réda Jacques, Gares et trains, Paris, ACE, 1983, p. 6.
37 Ibid., p.6-7.
38 Réda parle dans le même passage d’une « transistorisation universelle » provoquée par le basculement vers « une société de circuits » (ibidem). Sur l’imaginaire du réseau, voir l’ouvrage de Tim Ingold, Une brève histoire des lignes, pour qui la société humaine dans sa totalité peut se considérer comme une créatrice de « lignes » plutôt que de territoires. Si, selon Ingold, la modernité correspond à une recherche de la ligne droite, les flâneurs, par leur aversion pour le trajet direct, peuvent être considérés comme des anti-modernes (voir INGOLD Tim, Une brève histoire des lignes, Bruxelles, Zones sensibles, 2011).
39 Réda Jacques, « L’enveloppement et l’apparition », Le Visiteur, n°6, 2000, p. 10.
40 Selon l’INSEE (en ligne : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1406, consulté le 28/06/2018).
41 Réda Jacques, Recommandations aux promeneurs, Paris, Gallimard, 1988, p. 136.
42 Augé Marc, Pour une anthropologie de la mobilité, Paris, Payot & Rivages, 2009, p. 21.
43 Ibid., p. 34-35.
44 Fabre Xavier et al., « Les échelles du site », Les Annales de la recherche urbaine. Les échelles de la ville, n°82, 1999. p. 48.
45 Benjamin Walter, Charles Baudelaire : un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, op. cit., p. 57.
46 À ce sujet, voir Charle Christophe, « Paris dans les livres », Histoire et civilisation du livre, vol. 5, 2009, p. 4-6. Selon lui, on trouve les échos de cette littérature panoramique au moins jusqu’au milieu du XXe siècle.
47 C’est, selon Jean-Christophe Bailly, l’image mythique de la ville compacte, c’est-à-dire de la ville « en tant que forme une et circonscrite, la ville isolat érigée et distincte » (Bailly Jean-Christophe, « Les échelles du paysage urbain », op. cit.).
48 Garric Henri, Portraits de villes, op. cit., p. 545. Au sujet de l’opposition entre la carte et le parcours, et notamment ses enjeux politiques, voir Certeau Michel (de), L’Invention du quotidien, Paris, Gallimard, 1990, p. 170-191.
49 Roncayolo Marcel, « Comprendre la complexité de la ville : la crise de la ville est-elle une crise des représentations ? », in Jean-Pierre Augustin et Michel Favory, 50 questions à la ville : comment penser et agir sur la ville (autour de Jean Dumas), Pessac, MSH Aquitaine, 2010, p. 431.
50 Voir Bailly Antoine, La Perception de l’espace urbain, Paris, CRU, 1977, p. 131 et suiv.
51 Ces dispositifs de perception de la ville en détail ne sont bien sûr pas exclusifs au XXe siècle. Les Petits poèmes en prose de Charles Baudelaire font par exemple état de nombreuses explorations « microscopiques », ou qui n’ont plus simplement pas recours à une référence globale à la ville.
52 Aragon Louis, « Le Paysan de Paris », dans Oeuvres poétiques complètes I, Paris, Gallimard, 2007, p. 165.
53 Maulpoix Jean-Michel, « Échappées contemporaines », in TDC. Banlieue et poésie, Paris, CANOPE, 2015, p. 20.
54 Selon l’étude de Jean-Marc Besse, la chorographie désigne « un type de description de la surface de la Terre en fonction duquel les régions sont considérées à grande échelle, dans la diversité et le détail de leurs caractères. La chorographie est un art de l’attention aux détails et un art de l’inventaire […]. La chorographie est inventaire minutieux des réalités proches, expression de la fréquentation des lieux circonvoisins plutôt qu’ouverture vers les horizons lointains » (Besse Jean-Marc, Voir la Terre, op. cit., p. 42).
55 Reda Jacques, « L’enveloppement et l’apparition », Le Visiteur, op. cit., p. 7.
56 Reda Jacques, La Liberté des rues, Paris, Gallimard, 1997, p. 216.
57 Gracq Julien, « Entretien avec Jean-Louis Tissier », Paris, José Corti, 2002, p. 36.
58 Réda Jacques, Un voyage aux sources de la Seine, Saint-Clément-la-Rivière, Fata Morgana, 1987, p. 12. Le passage ne concerne pas expressément le paysage urbain. Il a plutôt vocation à décrire un mode d’observation du paysage en général propre à Réda, et la conclusion est donc d’abord valable du point de vue de l’observateur et de la focalisation.
59 On peut remarquer, à ce propos, que le temps contemporain de la flânerie est marqué par le recours à des véhicules motorisés (le vélo de Cingria, le solex de Réda, le bus ou le train de banlieue chez François Bon par exemple, voire la voiture dans le cas du « nomade motorisé » défini par Bruce Bégout, Lieu commun : Le motel américain, Paris, Allia, 2011, p. 88-89). Ce recours, sans entrer en contradiction avec l’art de la flânerie, modifie grandement les conditions de la perception, et nuance voire interdit d’appliquer le qualificatif de « marcheur » dans ces cas précis.
60 Réda Jacques, Aller au diable, Paris, Gallimard, 2002, p. 23.
61 Réda Jacques, Accidents de la circulation, Paris, Gallimard, 2001, p. 101.
62 Réda Jacques, La Liberté des rues, op. cit., p. 56.
63 Vasset Philippe, Un livre blanc : récit avec cartes, Paris, Fayard, 2007.
64 Rolin Jean, La Clôture, Paris, P.O.L., 2002, p. 22-25.
65 Clerc Thomas, Paris, musée du XXIe siècle. Le dixième arrondissement, Paris, Gallimard, 2007.
66 Rolin Jean, Zones, Paris, Gallimard, 1995, p. 171.
67 Ibid., p. 175
68 Lussault Michel, L’Homme spatial, op. cit., p. 285.
69 Ibid., p. 283.
Pour citer cet article
A propos de : Théo Soula
Université Toulouse II – PLH/ELH
Agrégé de lettres modernes, ancien élève de l’École normale supérieure de Lyon, Théo Soula a soutenu en novembre 2018 à l'Université Toulouse 2 une thèse intitulée Le Flâneur mégapolitain. Géographie littéraire de Paris dans l’œuvre de Jacques Réda. La perspective interdisciplinaire adoptée dans cette thèse lui a permis de réfléchir aux liens entre les lettres et la géographie autour des enjeux que soulèvent les métamorphoses de la ville contemporaine et de la déambulation urbaine. Doctorant contractuel puis A.T.E.R. à l'Université Toulouse 2, il a participé à de nombreuses manifestions scientifiques littéraires et géographiques, et a co-fondé en 2015 le laboratoire junior « SpatiaLittés ».