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Une « parcelle du pouvoir messianique »
De la philosophie romantique dans les thèses Sur le concept d’histoire de Walter Benjamin
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Cet article défend l’idée d’un lien entre la philosophie romantique et les thèses de Walter Benjamin Sur le concept d’histoire bien plus profond qu’on ne l’a admis jusqu’à présent. Il met plus particulièrement en lumière des parallèles entre la démarche historique de Benjamin et la philosophie de l’histoire des deux principaux penseurs du premier romantisme allemand, Friedrich Schlegel et Novalis, auxquels Benjamin avait déjà consacré sa thèse de doctorat. L’article examine le dernier écrit majeur de Benjamin à la lumière de trois thématiques centrales héritées du romantisme, qui ont été peu approfondies tant dans les études romantiques que dans le commentaire benjaminien et qui sont pourtant décisives pour éclaircir ce qui est en jeu dans ce texte : le rapport à la prophétie ; la question du messianisme ; et l’héliotropisme du passé.
Abstract
This article argues for a much more profound interconnection between philosophical romanticism and Walter Benjamin’s theses On The Concept of History than has been acknowledged up to now. It particularly reveals a number of parallels between Benjamin’s historical approach and the philosophy of history of the two principal thinkers of Early German Romanticism, Friedrich Schlegel and Novalis, who had already formed the object of Benjamin’s doctoral thesis. It examines Benjamin’s final philosophical work in the light of three central topics inherited from Early German Romanticism, which have been less explored in romanticism studies and Benjamin scholarship, yet are decisive for helping clarify what is at stake in Benjamin’s text: the relation to prophecy; the question of messianism; and the heliotropism of the past.
Table des matières
Introduction : une démarche romantique ?
1C’est sous le coup des exigences de la situation présente, aiguillonné par le déclenchement de la guerre et en face du péril fasciste (l’écrivain venait d’être interné pendant trois mois dans un camp de travail), que Walter Benjamin entreprend d’exposer en dix-huit thèses1 ses pensées Sur le concept d’histoire. Il écrit à Gretel Adorno dans une lettre de fin avril-début mai 1940 les avoir contenues en lui pendant vingt ans : « La guerre et la constellation qui l’a amenée m’ont conduit à mettre par écrit quelques pensées dont je peux dire que je les ai tenues enfermées, oui, enfermées face à moi pendant vingt ans2. » Autrement dit, si on fait le calcul : il avait médité ces quelques affirmations denses depuis 1920.Et en même temps, dans ces pages, Benjamin tourne le dos à sa propre époque – époque non seulement du fascisme mais de l’aliénation capitaliste, du « conformisme3 » et de l’optimisme dilettante aussi bien des partis bourgeois que de la social-démocratie, dont le « marxisme vulgaire4 », positiviste, considère la révolution à venir comme la conséquence naturelle ou nécessaire de l’évolution économique et technique. Contre l’idée illusoire de l’avènement de lendemains meilleurs, les « Thèses » proposent une nouvelle compréhension de l’histoire humaine qui regarde en arrière, vers le passé, pour prophétiser le présent : l’émancipation au présent des opprimés.
2Cette posture, on la voit aussi dans l’image centrale de l’Ange de l’Histoire de la thèse IX, illustrée par l’aquarelle de Klee, Angelus Novus : son « visage est tourné vers le passé5 », le regard rivé vers quelque chose dont il s’éloigne, les yeux écarquillés, la bouche ouverte, les ailes déployées, il « ne cesse de tourner le dos6 » à l’avenir vers lequel il est emporté. Il semble que nous soyons là, avec le mouvement de tourner le dos au présent, comme à l’avenir, dans une démarche romantique. On trouve sous la plume de Novalis, une des têtes pensantes du premier romantisme allemand, en 1798/99, une réflexion sur l’« histoire philosophique » qui le laisse à penser : « Seul le regard tourné en arrière porte en avant, puisque le regard tourné en avant mène en arrière7. » Les thèses Sur le concept d’histoire esquisseraient alors un parallèle entre trois gestes, ou trois images : le mouvement de l’Ange de l’Histoire pris dans la tempête du progrès ; l’attitude de l’historien romantique, dans la tradition philosophique de Novalis et de Friedrich Schlegel, qui regarde le passé pour dire le futur ; celle, enfin, de Benjamin lui-même dans le rôle de l’historien, tournant le dos à sa propre époque « à l’instant du danger8 » pour « brosser à contresens le poil […] de l’histoire9 ».
3Les « Thèses » sur l’histoire devaient être le dernier écrit philosophique de Benjamin, de fait testamentaire, même s’il n’envisageait pas de les publier, du moins pas à cette date-là. Un de ses premiers écrits, à l’autre extrémité du parcours, concernait précisément le romantisme. Il s’agit de sa thèse de doctorat sur le « Concept de critique esthétique dans le romantisme allemand » [Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik], soutenue à l’université de Berne en 1919 et publiée en 1920. Le corpus principal de cette thèse en philosophie est fourni par les écrits théoriques de Schlegel et de Novalis : « Au titre de la théorie romantique de la critique, écrit Benjamin en introduction, c’est la théorie de Friedrich Schlegel que nous présenterons ici. [...] En dehors des écrits de Friedrich Schlegel, seul Novalis est à prendre comme source, au sens étroit, de notre exposé10 ». Dès lors, lorsque Benjamin déclare à Gretel Adorno avoir contenu en lui ses pensées sur l’histoire pendant vingt ans, cela signifie : depuis sa thèse doctorale sur le romantisme, plus précisément sur ses deux grandes figures fondatrices, Friedrich Schlegel et Novalis. Adorno, qui réédite la thèse en 1955, la présente en disant d’elle que Benjamin « en avait toujours fait très grand cas11 ». Le texte compte aujourd’hui, pour le noter au passage, comme l’un des plus influents dans l’histoire de la réception philosophique du romantisme d’Iéna. Par son parti-pris rationaliste – à l’encontre d’interprétations réductrices encore dominantes aujourd’hui et qui ne perçoivent dans le romantisme que la poésie informe de l’inconscient et le côté obscur ou nocturne de l’expérience, la thèse de Benjamin met en lumière tout l’arrière-plan épistémologique (fichtéen) de la théorie romantique de la littérature et de la définition de la critique littéraire –, on peut dire que Benjamin a eu, à cet égard, un rôle de précurseur de la renaissance des études philosophiques sur le romantisme menées depuis les cinq dernières décennies12. Ne faut-il pas alors, comme tout cela le suggère, aborder le dernier écrit majeur de Benjamin en regard de la pensée romantique ?
4Il convient d’emblée de préciser que l’appréciation par Benjamin du romantisme allemand n’est pas demeurée identique d’un bout à l’autre de sa course intellectuelle ; nous y reviendrons. La question de la filiation romantique de Benjamin est, par suite, encore très controversée dans la recherche. Bon nombre de commentateurs, à l’instar de Stéphane Moses, Uwe Steiner ou encore Giacomo Marramao, considèrent que, de manière générale, la réception benjaminienne du romantisme allemand se limite exclusivement (ou peu s’en faut) à la thèse doctorale de 1919. Selon Stéphane Moses, la rupture théorique de Benjamin avec le romantisme serait consommée dès le livre suivant sur L’origine du drame baroque allemand13. Dans la perspective qui est celle de ces auteurs, il serait en particulier erroné de prétendre que le messianisme de Benjamin a pour source le romantisme, notamment La Chrétienté ou l’Europe de Novalis14. L’hypothèse que nous défendons est au contraire celle d’un impact rémanent du premier romantisme allemand, celui de Friedrich Schlegel et de Novalis, jusque dans les derniers écrits, comme les thèses Sur le concept d’histoire. Nous voudrions montrer ici que son influence ne s’y exerce pas seulement à travers la mise en cause du capitalisme15 ou le prisme de l’ironie et de la critique. Certes, l’ironie est une notion centrale de ce premier romantisme, tout comme le fragment, et elle est bien présente dans le texte des « Thèses » ; mais ces thèmes-là ont déjà fait l’objet de nombreux commentaires16 et la philosophie romantique ne se réduit pas à une philosophie de la littérature : les recherches les plus récentes ont montré qu’elle recouvre aussi une épistémologie, une métaphysique, une philosophie de la religion, ou encore une philosophie de l’histoire17.
5Par conséquent, nous nous concentrerons de préférence dans ce qui suit sur trois aspects hérités du romantisme qui ont été bien moins approfondis, tant dans les études romantiques que dans le commentaire benjaminien, et qui sont pourtant décisifs pour éclaircir ce qui est en jeu dans le dernier travail de Benjamin : outre la question du type de rapport au passé que nourrit la philosophie romantique de l’histoire, nous examinerons à nouveaux frais la question du messianisme, pour enfin nous pencher sur l’image de l’héliotropisme du passé qui intervient dans la thèse IV. La réception de la philosophie romantique – telle est notre thèse – a contribué de manière beaucoup plus profonde et cohérente qu’on ne le dit à l’élaboration du concept benjaminien de l’histoire. Pour le comprendre, il convient d’être attentif à la conjonction entre ces trois thématiques qui s’impliquent mutuellement.
L’historien-prophète
6Le véritable historien pour Benjamin – l’historien matérialiste – a pour vocation de sauver le passé, les aspirations au bonheur qui ont avorté dans le passé, en les actualisant après coup. Or cette notion d’une actualisation dans l’après-coup, on ne la trouve pas seulement dans la pensée politique de Turgot, une des références de Benjamin, mais dans la philosophie de l’histoire du premier romantisme allemand. Celle-ci est en effet gouvernée par l’idée que la substance du passé est encore à venir.
7Au rebours de l’historicisme du XIXe siècle, l’adversaire principal pour Benjamin en matière de méthode historique, le propos des romantiques d’Iéna, dans le contexte postrévolutionnaire, consiste à dire que le passé n’a de sens que rétrospectivement. Une telle conception de l’histoire va à rebours de l’historicisme au sens où le mot d’ordre de ce dernier est l’empathie, soit une méthode qui prône une approche purement immanente de l’histoire ; Benjamin glose comme suit le précepte formulé par Fustel de Coulanges, un de ses représentants : « si vous voulez revivre une époque, oubliez que vous savez ce qui s’est passé après elle18 », pour éviter que le présent influe sur le récit et l’interprétation des faits passés, autrement dit pour ne pas commettre d’anachronismes. Pour les romantiques, le passé au contraire s’accomplit dans le présent, est relatif à un présent, comme aussi bien à un futur, qui le transcendent ou le débordent. Reinhart Koselleck résume cette idée dans son livre Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques en ces termes: « À cette époque, Geschichte [le mot allemand pour « histoire »] ne signifiait pas le passé avant tout – comme ce sera le cas plus tard sous l’emprise de son traitement scientifique – mais elle visait cet enchevêtrement secret de passé et de futur19 ». L’affirmation de l’historien allemand s’appuie sur un passage du roman de Novalis, Heinrich von Ofterdingen, où l’on peut lire ceci : « Celui-là seul pour qui sera présente la totalité du passé parviendra à découvrir la règle simple de l’Histoire20. » On en retrouve l’écho dans les termes de l’appendice A des « Thèses » de Benjamin, qui stipule que le véritable historien « saisit la constellation que sa propre époque forme avec telle époque antérieure21. »
8Mais ce n’est pas uniquement l’idée selon laquelle les périodes de l’histoire (passé, présent, futur) se lient en constellations singulières que la philosophie romantique apporte. Derrière l’image benjaminienne de l’Ange de l’Histoire qui a non seulement le regard mais tout son visage intensément tourné vers le passé, il y a, comme l’attestent les « Paralipomènes et variantes des Thèses », une référence explicite à une pensée de Friedrich Schlegel, qui indique un apport plus encore essentiel de ce dernier et, partant, du romantisme d’Iéna. Il est en effet question dans les « Paralipomènes » du mot selon lequel « l’historien est un prophète qui regarde en arrière. Il tourne le dos à sa propre époque22 ». La première partie de ce passage : « Der Historiker ist ein rückwärts gekehrter Prophet [l’historien est un prophète qui regarde en arrière] » est une citation directe du célèbre fragment 80 de la revue des frères Schlegel, l’Athenaeum23. L’aphorisme schlégélien inverse la signification qui est habituellement celle du prophète – celui qui annonce par avance, et voyance, un événement futur –, faisant par là se télescoper passé et futur, car les deux temporalités, comme on l’a vu, s’interpénètrent, plutôt qu’elles ne s’opposent. Ce fragment de style typiquement romantique, c’est-à-dire percutant et volontairement provocant, notamment par un semblable jeu de renversement, date de la même année que la réflexion de Novalis précédemment citée sur l’« histoire philosophique ». « Ce chemin paradoxal de l’historien24 », pour reprendre la belle formule de Peter Szondi, lequel a également relevé l’ascendance romantique (schlégélienne) de la formule des « Paralipomènes » aux « Thèses » de Benjamin, n’est pourtant pas un simple effet de rhétorique mais une réciprocité affirmée du passé et du futur : il y a une relation, réelle pour les romantiques, qui conduit du passé au futur, et retour. La pensée benjaminienne de l’histoire s’accorde à cette idée d’une prophétie du passé, car elle est plus conforme au précepte du judaïsme qui interdit de chercher à voir l’avenir, comme l’Appendice B au texte des « Thèses » le rappelle25.
9Au lieu de se replacer dans un passé reculé, l’historien au sens romantique perçoit à partir de sa situation présente et par delà l’abîme des millénaires quelque chose qui déclenche en lui une conscience, une forme d’éveil, de lucidité – son regard « s’allume26 » – dans l’obscurité de ce qui est non pas tant éteint ou « perdu27 » que lointain, moins précis : les « Paralipomènes » parlent de manière imagée des « sommets s’estompant dans le passé crépusculaire des événements antérieurs28 ». Ce regard de voyant sur le passé dont il est question dans le premier romantisme allemandsuppose non seulement la remontée du présent vers le passé mais, réciproquement, le mouvement inverse du passé vers le présent. Une telle actualisation du passé diffère de l’Einfühlung historiciste au sens où, pour l’historien romantique (comme pour l’historien matérialiste), le passé n’est pas un en-soi figé et « une vérité immobile qui ne fait qu’attendre le chercheur29 » mais bien quelque chose qui n’est véritablement donné que par l’activité d’une conscience humaine. On se souviendra que dans la théorie esthétique de l’Einfühlung développée par la science de l’art du xixesiècle30, c’est à même l’objet de l’expérience esthétique que les propres sentiments et émotions du sujet de l’expérience prennent chair en étant projetés dans le monde des corps constitués. Or il en va ici du rapport inverse : c’est à même l’expérience vécue, intérieure, et active, faite en notre conscience, que le passé prend chair, qu’il se constitue.
10La pensée des romantiques d’Iéna recèle d’innombrables formules et images poétiques étayant cette idée d’une expérience avec le passé telle que celui-ci adresse au présent un appel en attente d’une réponse, seule capable de le sauver de la mort, de lui conférer une densité effective, vécue, une intensité. Elle coïncide en cela avec la conception intensive, donc qualitative, du temps historique que Benjamin désigne sous le nom d’« actualité » – la Jetztzeit qui vient rompre avec le temps physique, quantitatif et mécanique, ou le « remplir ». Parmi les textes les plus clairs au sujet de la conception romantique de l’histoire sont ceux qui ont trait à l’« archéologie », entendue dans son sens vieilli d’étude de l’antiquité gréco-romaine telle qu’elle recouvre aussi bien la philologie classique, donc le fragment philologique, que la sculpture antique. Dans un essai sur Goethe qui considère l’opposition de l’antiquité et de la modernité, Novalis déclare ainsi: « on se trompe grandement si l’on pense qu’il y a des antiques. C’est seulement maintenant que l’antique commence à naître31 ».L’entrée 52 du projet novalissien d’encyclopédie dit du« Brouillon général », une entrée que Benjamin connaissait puisqu’il en donne un extrait dans sa thèse de doctorat32, applique à l’étude de l’art du passé le thème du galvanisme, emprunté à la physique, pour parler de la « revivification de l’antiquité33 » : à l’opposé de l’acedia empathique de l’historicisme « renonçant à capter l’image authentique du passé – image fugitive et passant comme un éclair34 », comme l’écrit Benjamin dans la thèse VII, l’expérience faite avec le passé, chez les premiers romantiques allemands, est de l’ordre du choc, du contact fulgurant et d’une tension, de la commotion salutaire dans les cas d’inertie ou d’atonie, le galvanisme étant un moyen d’éveiller la sensibilité et d’exciter l’irritabilité35. Il en va de cette expérience galvanique comme de la « secousse36 » dont il est question chez Benjamin, dans la thèse XVII : elle perturbe le fonctionnement normal de la pensée lorsque l’image dialectique s’y cristallise dans une sorte de raccourci historique. De même, le fragment de Novalis va jusqu’à transformer « l’antique » d’un art qui relève du passé en une catégorie non seulement de la modernité mais du futur: « les antiques sont à la fois des produits de l’avenir et d’un passé éloigné37 ». Ce qui en rend raison, c’est la distinction que Novalis fait entre « l’antique » (die Antike) et « les restes de l’antiquité » (die Reste des Alterthums)38.« L’antique » n’est pas simplement une matière. La matière, c’est à proprement parler le vestige (les « restes »), et il en demeure peu ; le monde moderne ne conserve plus, matériellement, que de faibles restes du monde antique. L’antique au contraire émerge par l’esprit, par le primat de l’esprit sur la matière, d’un esprit qui perçoit et donne un sens à l’être matériel, physique, corporel – la pierre sculptée. Ainsi lit-on encore, dans l’essai sur Goethe : « L’antique n’est pas réalisé avec les mains. C’est l’esprit qui l’engendre à travers l’œil39 ». Ce qui recoupe le propos sur le « regard visionnaire » de l’historien-prophète tourné vers le passé, dans les « Paralipomènes » aux thèses de Benjamin.
11Si la « présence », le sentiment de la présence ou du présent (Gegenwart ; Geistesgegenwärtig-keit), est mise sur le même plan que l’« objectivité » en tant qu’existence brute ou extérieure des choses, il ne faudrait pas pour autant croire que les romantiques d’Iéna font du passé une simple création imaginaire de l’esprit40. Le propos de Novalis n’est pas d’éliminer toute considération de ces « restes de l’Antiquité » ou, plus largement, de tout ce qui, en tant que pure matière, ne dépend pas de nous, et s’offre à la réceptivité de nos sens ; ce serait une lecture trop unilatérale et, par suite, contraire à la philosophie réaliste de Novalis41. Au contraire, les restes matériels du passé lui paraissent essentiels en tant que « stimuli spécifiques pour la formation de l’antique42 ». Les deux pôles, subjectif et objectif, sont donc requis.Par suite, il nous semble que l’héritage romantique de Benjamin permet d’élaborer ou du moins contribue à élaborer le noyau de la solution au problème que soulève le fait que cette démarche d’actualisation du passé, dans les thèses Sur le concept d’histoire, peut être soupçonnée de reposer sur une décision arbitraire43: il y a bien un stimulus extérieur dans les faits du passé, qui ne dépend pas de nous, les véritables images historiques ont bien, dans leur surgissement fugitif, une teneur objective, mais elles ne sont véritablement données que par l’activité d’une conscience, d’une subjectivité. En d’autres termes : Benjamin pense non seulement en kantien mais en romantique l’articulation de la production et de la réception de l’histoire.
12Chez les romantiques d’Iéna, comme chez Benjamin, l’expérience faite avec le passé n’est toutefois pas seulement affaire d’affectivité. Par opposition à l’empathie historiciste dépourvue d’armature théorique, la conception que les premiers romantiques allemands se font du passé est aussi le résultat d’une élaboration rationnelle, d’une construction de l’histoire comme capacité sémiotique et herméneutique de lecture : non seulement le passé adresse au présent un appel en attente d’une réponse, mais il est un système de signes en attente d’entente. Ce n’est pas le lieu de présenter ici cet aspect mieux connu du premier romantisme. Soulignons simplement que la connexion pouvant être faite entre les thèses Sur le concept d’histoire et la sémiotique du romantisme ainsi que sa théorie critique – l’objet de la thèse de doctorat de Benjamin – éclaire la formule à première vue énigmatique de la deuxième des « Thèses » sur l’histoire: « Le passé est marqué d’un indice (Index) secret, qui le renvoie à la rédemption44 », mais aussi, toujours dans la thèse II, la structure de renvoi de l’écho des voix de génération en génération, ou celle du « rendez-vous mystérieux45 » avec l’histoire.
13Les faits du passé sont des documents, des traces, des indices, qui doivent être regardés, lus, interprétés. L’historien-prophète est celui qui est capable de lire de la manière la plus féconde les signes du passé et de s’approprier, à la façon des devins dont il est question dans l’Appendice B des « Thèses », ce que les faits historiques recèlent. C’est ce qui ressort encore d’un autre fragment du Brouillon général de Novalis, qui concerne non seulement l’art et les musées en tant que « chambres à coucher du monde futur », mais la littérature et la nature :
L’historien, le philosophe et l’artiste du futur sont ici [dans les musées] chez eux – ils se forment ici et vivent pour ce monde. Qui est malheureux dans le monde actuel, qui ne trouve pas ce qu’il cherche – qu’il aille dans le monde des livres et des artistes – dans la nature […] et vive dans cette ecclesia pressa du monde meilleur. […] Ils sommeillent mais d’un sommeil prophétique, des plus significatifs […]46.
14La figure du prophète, en l’occurrence sous les traits de l’historien, étant celle qui annonce le messie, soit le libérateur qui instaurera le Royaume de Dieu, il convient de nous pencher maintenant sur cette seconde figure et de se demander comment s’opère la conjonction du romantisme et du messianisme dans la pensée benjaminienne de l’histoire, si, comme nous le prétendons, elle s’y opère bien.
Le messie « au pluriel »
15Avec le motif romantique bien connu d’un retour de l’âge d’or, dont l’idée est posée explicitement par un essai en prose de Novalis, La Chrétienté ou l’Europe (1799), on a affaire à une forme de messianisme, celle du millénarisme ou chiliasme47. Il s’agit d’une conception du messianisme selon laquelle, d’après une interprétation de l’Apocalypse de saint Jean, les élus sont destinés à vivre une période de mille ans de paix, de justice et de fraternité sous la conduite du Christ revenu auprès des hommes, avant la fin des temps (du monde) marquée par le Jugement dernier. En d’autres termes : le cœur du messianisme romantique est dans cet ajustement des deux composantes politico-historique et religieuse. Mêlant plusieurs sources, judéo-chrétiennes, médiévales, piétistes, philosophiques, le messianisme romantique ne relève pas seulement de la théologie, mais d’une philosophie de la religion, et même d’une philosophie de l’histoire. Cet accent mis sur le futur dans la thématique messianique n’est toutefois pas contradictoire avec la conception romantique de l’historien qui serait un prophète tourné vers le passé, précisément en raison de la réciprocité déjà évoquée ci-dessus du passé et du futur, dont le présent – la présence à l’esprit – est le point de rencontre.
16Le fait que le messianisme soit, dans le premier romantisme allemand, ce qui permet de penser l’union de la religion et de l’histoire, ce qui synthétise les deux sphères, est lié précisément à la lecture que les romantiques ont faite de l’événement historique majeur de leur temps : la Révolution française. On trouve dans les Fragments de Friedrich Schlegel parus en 1798 dans l’Athenaeum ce rapprochement, d’apparence paradoxale, entre messianisme et histoire sous les auspices de la Révolution :
Le désir révolutionnaire de réaliser le royaume de Dieu est le point élastique de la culture progressive et le commencement de l’histoire moderne. Ce qui est sans rapport avec le royaume de Dieu n’y joue qu’un rôle accessoire48.
17Mais c’est le texte de Novalis, La Chrétienté ou l’Europe,écrit en 1799 et paru de façon posthume en 1826, qui développe le plus ce rapprochement et montre qu’il n’a rien d’arbitraire, si l’on accepte de prendre au sérieux la conviction affichée par la philosophie romantique que l’humanité accomplie et le perfectionnement de la subjectivité humaine peuvent faire de l’homme un divin terrestre. La lecture de l’histoire humaine faite par Friedrich Schlegel et Novalis établit un lien entre la césure et l’anarchie suscitées par la Révolution politique survenue en France et l’ébullition des sciences et des arts en Allemagne autour de 1800. Dans cette effervescence d’idées, cette période marquée par un essor considérable de l’esprit (philosophique, scientifique, artistique…), où les nouvelles découvertes se succèdent à vive allure, les romantiques d’Iéna perçoivent l’indication des prémices d’une révolution spirituelle, elle-même conçue comme la possibilité d’un nouvel âge d’or, cet état de paix, de justice et de fraternité.
18Un passage célèbre de La Chrétienté ou l’Europe concernant ces signes peut être lu, à cet égard, comme la parfaite illustration de l’idée de l’historien-prophète contenue dans l’aphorisme de Friedrich Schlegel :
Ce ne sont que des indices (Andeutungen), incohérents et bruts, mais ils révèlent (verrathen) à l’œil historique une individualité universelle, une nouvelle histoire, une nouvelle humanité, la plus douce étreinte d’une jeune Église surprise et d’un Dieu aimant, et l’intime conception (Empfängnis) d’un nouveau Messie dans ses milliers de membres à la fois (eines neuen Messias in ihren tausend Gliedern zugleich)49.
19On retrouve ici le motif du regard visionnaire – l’œil de l’historien-prophète – qui perçoit la réalité profonde des choses ; et celui de la capacité sémiotique et herméneutique de lecture de l’histoire qui découvre l’enchevêtrement secret de passé et de futur, une cohérence, une connexion universelle entre des indices épars et fragmentaires. Une telle construction de l’histoire suppose l’analogie, qui a chez Novalis, comme chez Kant et Schiller, un rôle-clé en tant qu’outil épistémologique dans le travail de liaison ou de compréhension de l’entendement, qui cherche un ordre signifiant dans un matériau incomplet (en l’occurrence celui des données historiques lacunaires).
20Ce passage de l’essai novalissien introduit en outre un des traits les plus marquants du messianisme romantique, un trait idiosyncratique, sinon hérétique, à savoir : la pluralisation de la figure du messie. À la formule de La Chrétienté ou l’Europe – la « conception d’un nouveau Messie dans ses milliers de membres à la fois » –fait écho un autre texte qui lui est contemporain, les annotations par Novalis des Idées de Friedrich Schlegel, qui n’ont toutefois été publiées pour la première fois qu’en 192250. On rencontre en effet dans ces quelques pages d’annotations la même idée d’un nouveau messie « dans ses milliers de membres » exprimée différemment : la fin du texte fait intervenir l’expression « Messie au pluriel » (ein Messias im Pluralis). Novalis s’adresse en ces termes à Schlegel:
Tu comprends les mystères du temps – La Révolution a eu sur toi l’effet qu’elle devait avoir, ou tu es bien plutôt un membre invisible de la sainte Révolution apparue sur terre telle un Messie au pluriel51.
21Pour eux, protestants, Chrétiens, le Messie est déjà venu dans le passé. Le temps messianique qui occupe encore les romantiques d’Iéna concerne une autre période : celle des temps modernes, où il revient à chaque individu, à son propre niveau, et collectivement à l’humanité tout entière d’émuler le Messie du passé, c’est-à-dire d’œuvrer dans le sens d’une harmonie et d’une paix universelles, parfaites, paradisiaques. L’émulation du Messie chrétien passe par tout ce qui participe de l’objectivation de la liberté, le prédicat caractéristique de l’esprit. De par la liberté qu’il peut conquérir sur le règne physique – déterministe – de la nature, l’esprit humain peut instituer dans le temps des ordres alternatifs (culturel, politique, social) autonomes, régis par des lois propres qui sont le produit de l’activité humaine.Le romantisme opère ce faisant un tournant vers l’historicisme et l’humanisme : la culture (Bildung) de l’être humain est au centre de la philosophie messianique de l’histoire dans le premier romantisme allemand. Et ce pas uniquement dans l’horizon kantien de sa destination rationnelle (de sa dignité), qui demeure une idée régulatrice, une tâche sans fin à appréhender du point de vue phylogénétique et dans un temps infini, vide et homogène, mais dans l’horizon, aux accents plus schillériens52, de la formation ou complétion de son individualité déterminée, dans la mesure où l’homme, l’individu, est déjà une totalité en lui-même, représentative de l’espèce.
22La pluralisation de la figure du messie multiplie non seulement les sujets libérateurs mais les croyances religieuses pouvant véhiculer un messianisme. Contrairement à une illusion répandue, en prenant le Moyen Âge chrétien comme modèle d’âge d’or passé dans La Chrétienté ou l’Europe, Novalis, qui ne s’est jamais converti lui-même au catholicisme (à la différence de Friedrich Schlegel), ne privilégie pas la seule religion catholique. En effet, la religion mise en avant dans l’essai de 1799 n’est pas le catholicisme comme confession particulière mais la « catholicité vraie », où il faut entendre par « catholicité » l’étymologie grecque de l’adjectif dont elle dérive, katholikos, qui signifie « général », « universel » en parlant de l’Église. En d’autres termes, c’est le catholicisme comme incarnation visible d’une religion universelle non confessionnelle : « le modèle symbolique d’une religion mondiale, disposée à revêtir n’importe quelle forme53». Par suite, les « milliers de membres » formant cet enfant54 voué à être le « nouveau Messie » dont La Chrétienté ou l’Europe prophétise l’avènement sont aussi bien les individus d’une nation que les différents peuples et nations mêmes : le messianisme romantique est porteur d’une pensée capable de percevoir philosophiquement et artistiquement l’harmonie existant entre les diverses religions positives, particulières, propres à tel ou tel peuple.
23Enfin, la pluralisation de la figure du messie multiplie encore les domaines où cette libération peut s’exprimer : le messianisme romantique ne s’applique pas seulement à la religion, en tant qu’émancipation par la culture de soi il a trait aussi à la politique, aux sciences ou encore à l’art. Tel est le sens fondamental du second trait marquant du messianisme romantique, ou plutôt de la troisième formulation d’une seule et même idée : la conception de l’homme comme « Messie de la nature », qui apparaît dans le fragment de Novalis que nous avons déjà cité plus haut à propos de la « revivification de l’Antiquité » et auquel renvoyait déjà la thèse de doctorat de Benjamin :
archÉologie. […] l’homme a toujours exprimé dans ses œuvres d’art et par ses faits et gestes une philosophie symbolique de son être – Il s’annonce lui-même et son évangile de la nature. Il est le Messie de la nature […]55.
24Dans le messianisme romantique, l’esprit humain en tant que vecteur de la liberté est voué à jouer un rôle de libérateur quasi divin de la nécessité naturelle, qu’il vient racheter en la complétant, en l’élevant à une puissance supérieure. Par conséquent, même si chacune met l’accent sur une dimension différente, tantôt plus en rapport avec la religion, tantôt plus avec la politique, tantôt sous les auspices de la science, tantôt sous ceux des arts, le « nouveau Messie dans ses milliers de membres à la fois », le « messie au pluriel », ou encore l’homme comme « messie de la nature » sont autant d’expressions variées d’une idée qui est toujours la même, à savoir que chacun d’entre nous est en un certain sens un messie.
25Comme nous l’apprend une lettre d’avril 1919 au compositeur et écrivain Ernst Schoen, Walter Benjamin avait le thème du messianisme romantique « présent à l’esprit au plus haut point56 » au cours de l’écriture de sa thèse de doctorat sur les romantiques. Jacques-Olivier Bégot rappelle que c’est dans la thèse de 1919/20 « que se trouve en effet une des premières occurrences du terme dans l’œuvre publiée », la problématique du messianisme, soit de l’articulation entre histoire et religion, ayant motivé le choix de Benjamin de se tourner vers le romantisme après avoir été « [d]éçu par l’étude de la philosophie kantienne de l’histoire » et avoir « abandonn[é] son projet de recherche initial (la notion de « tâche infinie » chez Kant) »57. Benjamin avait donc une claire conscience du fait que le messianisme forme le « centre58 » de la philosophie du premier romantisme allemand, pour parler dans le lexique de Friedrich Schlegel lui-même, ainsi que Benjamin le souligne dans une note de l’introduction à sa dissertation doctorale. Or c’est parce qu’il n’était pas en mesure de présenter dans un travail universitaire le centre vital du système romantique – le point de vue du messianisme – que les analyses de Benjamin s’étaient alors installées à sa périphérie, à savoir l’idée romantique de l’art et de la critique d’art :
Elle [la thèse de doctorat] est devenue ce qu’elle devait être : une indication de la vraie nature du romantisme, totalement inconnue dans la littérature, une indication indirecte, parce qu’il ne m’était pas permis de m’attaquer au centre du romantisme, le messianisme – je n’ai traité que la conception de l’art –, pas plus, du reste, qu’à tout ce qui m’est présent à l’esprit au plus haut point [...] Simplement, ce que je voudrais avoir atteint dans ce travail, c’est que l’on puisse en extraire cet état de faits59.
26La thèse précise que « ce n’est pas dans ces pensées-là [la conception de l’art] que le messianisme romantique se manifeste dans toute sa force60 », dans la mesure où elles ne se rattachent pas, du moins pas directement, au point de vue unifiant du messianisme qui détermine l’essence historique du romantisme. Mais on trouve, vers la fin de la thèse, quelques remarques à propos du messianisme romantique en rapport avec la célèbre définition schlégélienne de la poésie romantique comme « poésie universelle progressive61 ». Distinguant entre progressivité et progrès, Benjamin démarque le messianisme romantique de l’idéologie du progrès, la « progressivité » romantique, associée à la notion d’élasticité dans le fragment 222 de l’Athenaeum que nous avons déjà cité plus haut à propos du messianisme, se définissant en termes d’« accomplissement », et de remplissement du temps, plutôt que de « devenir » :
C’est pourquoi la progressivité (Progredibilität) n’est en aucune façon ce que l’on entend sous le terme moderne de "progrès" (Fortschritt) ; ce n’est pas un certain rapport, purement relatif, entre les divers degrés de culture. Elle est, comme la vie entière de l’humanité, un processus infini d’accomplissement (unendlicher Erfüllungsprozess), non un simple processus de devenir (kein blosser Werdeprozess)62.
27Ce que les romantiques d’Iéna appellent histoire, à savoir l’idée d’émancipation progressive d’une humanité en éternel perfectionnement,serait un des avatars de ce que la thèse de doctorat nomme « médium » : l’une des réalisations les plus abouties, à côté de la notion d’art, du milieu dans lequel l’absolu comme réflexion vient s’inscrire. Ce passage recoupe de manière significative la critique que les « Thèses » sur l’histoire développent du concept de progrès au profit d’une compréhension nouvelle de la temporalité historique comme infinité médiale et, comme on l’a déjà vu plus haut, qualitative: « L’histoire est l’objet d’une construction dont le lieu n’est pas le temps homogène et vide, mais le temps saturé d’"à-présent"63. »
28Si la thèse de doctorat en restait à ces indications indirectes, les « Thèses » sur l’histoire, à l’autre pôle, placent le messianisme au centre de l’analyse. L’ajustement de l’histoire humaine, profane, et de la religion est aussi l’enjeu fondamental posé dès la thèse I lorsque Benjamin a recours à l’allégorie du nain caché dans le mécanisme du joueur d’échecs du baron von Kempelen pour définir « l’appareil philosophique » des « Thèses » : la combinaison paradoxale de la théologie et du matérialisme. La notion de messianisme apparaît comme telle dans le texte de Benjamin dès la thèse II et, ici aussi, la façon dont elle intervient saisit par son caractère pour le moins inhabituel : au contraire de la figure traditionnelle du Messie, personnage singulier, être céleste monopolisant l’exclusivité du titre de Sauveur (même si on trouve, dans certaines interprétations du judaïsme, un dédoublement du concept de messie en un messie politique et un messie religieux), ce qui est en jeu dans la deuxième thèse, c’est d’abord une pluralisation de la figure messianique. Citons le passage, dans la version des Écrits français :
C’est donc à nous de nous rendre compte que le passé réclame une rédemption dont peut-être une toute infime partie se trouve être placée en notre pouvoir. Il y a un rendez-vous mystérieux entre les générations défuntes et celle dont nous faisons partie nous-mêmes. Nous avons été attendus sur terre. Car il nous est dévolu à nous comme à chaque équipe humaine qui nous précéda, une parcelle du pouvoir messianique. Le passé la réclame, a droit sur elle. Pas moyen d’éluder sa sommation. L’historien matérialiste en sait quelque chose64.
29Benjamin remplace l’individu messianique, ce messie individuel attendu par les Juifs, reconnu par les Chrétiens dans la personne du Christ, par le « nous » collectif d’un groupement d’individus, d’une génération, un Geschlecht, pour reprendre le terme allemand qu’il utilise (et qui signifie à la fois l’espèce, le sexe, et la génération). Autrement dit, la figure du messie benjaminien n’est pas seulement celle du messie judaïque, ni non plus seulement celle du messie du christianisme. Elle a en revanche des traits romantiques : ceux du concept principal, ou central, du messie dans la philosophie romantique de Friedrich Schlegel et de Novalis – le messie « dans ses milliers de membres à la fois », ou « messie au pluriel65 », ou encore « messie de la nature ».
30À cet égard, le choix de traduction fait par Benjamin, dans sa version française des thèses Sur le concept d’histoire, pour rendre l’expression allemande restée célèbre « eine schwache messianische Kraft66 » dévolue à chacun de nous ne nous semble pas indifférent : dans le français de Benjamin, l’expression n’est pas rendue par « une faible force messianique67 » mais par « une parcelle du pouvoir messianique68 ». Par l’emploi du terme « parcelle », il s’agit de mettre l’accent sur le point de vue quantitatif, plutôt que qualitatif ou intensif. Cela s’accorde avec le grand thème romantique du fragment qui renvoie à un tout qui a été brisé, cassé, dispersé, et qui peut a contrario se recomposer. Ce déplacement d’accent que le choix de traduction benjaminien fait subir au texte allemand original n’est toutefois pas un déplacement capital, dans la mesure où dans le premier romantisme allemand le fragment est également considéré d’un point de vue qualitatif et intensif, comme ce qui peut être « potentialisé », c’est-à-dire élevé à une puissance supérieure, ou, pour le dire dans les termes vitalistes de la philosophie romantique de la nature, comme une force pouvant être galvanisée.
31Tous ces éléments vont à l’encontre d’interprétations des « Thèses » sur l’histoire qui soutiennent que le messianisme, tout spécialement dans sa version romantique, serait voué à l’échec aux yeux de Benjamin et l’objet à ce titre d’un dépassementcritique. Pour Uwe Steiner69, par exemple, Benjamin se serait distancié du romantisme au fil des années. Certes, le philosophe et écrivain était convaincu, à l’époque de la dissertation doctorale, que le romantisme était « le dernier mouvement qui une fois encore sauva dans le présent la tradition70 », ainsi qu’il l’écrit à Scholem en 1917. Mais la recension de l’ouvrage d’Albert Béguin, L’âme romantique et le rêve, que Benjamin fit paraître en 1939 et qui constitue sa dernière prise de position sur le sujet, présenterait, elle, une vue désormais critique du romantisme comme « corruption des enseignements et besoins mystiques71 ». Cela rejoindrait les affirmations relatives au rapport passéiste et régressif que le romantisme entretient avec l’histoire dans le texte de présentation des Régressions de la poésie de Carl Gustav Jochmann. On y lit en effet qu’avec le romantisme à partir de 1800 « commence la chasse aux fausses richesses » visant à « annexer le passé […] par l’imitation, l’acquisition avide de toutes les œuvres des peuples et époques disparues », dans l’impression qu’auraient eu les romantiques que – dans les termes de Jochmann – « toute réalité passée est perdue, et toute réalité perdue ni remplacée ni remplaçable »72. Or il convient ici d’être attentif à la distinction soulignée par Benjamin lui-même à plusieurs reprises dans son œuvre entre la Frühromantik, le « premier romantisme » ou romantisme d’Iéna, qui n’aura duré qu’à peine une demi-décennie (de 1796, avec l’installation des frères Schlegel à Iéna, à la mort de Novalis en 1801), et les deux autres âges du romantisme allemand, le romantisme moyen et le romantisme tardif. La critique de l’accaparement du passé, comme le reproche de corruption de la tradition messianique ne vise que le tournant idéologique opéré à partir de 1800, notamment par la conversion de Friedrich Schlegel au catholicisme romain (en 1808) et son aspiration à la restauration politique d’un régime théocratique. Ce qui fait la « profondeur infinie et [l]a beauté » du romantisme de la première heure « en comparaison de tout le romantisme tardif73 » aux yeux de Benjamin n’a, selon nous, rien perdu de sa force quand il entreprend d’écrire ses thèses Sur le concept d’histoire. Les termes dans lesquels Benjamin explicite, en 1917, l’infinie profondeur et beauté des premiers romantiques peuvent s’appliquer à ce qui fait à son tour l’infinie profondeur et beauté de son dernier écrit, dans sa tentative de dessiner une nouvelle configuration pour l’articulation inouïe du matérialisme historique et de la religion :
[…] c’est de n’avoir pas invoqué les faits religieux et historiques pour lier intimement ces deux sphères [religion et histoire], mais cherché à produire dans leur propre pensée et leur propre vie la sphère supérieure où les deux devaient nécessairement coïncider. Il en est résulté non pas "la religion", mais l’atmosphère dans laquelle tout ce qui était sans elle et ce qu’elle prétendait être est passé par le feu et tombé en cendres74.
32Pour achever de s’en convaincre, arrêtons-nous pour terminer sur un aspect supplémentaire de la filiation romantique du texte de Benjamin, contenu dans la thèse IV, et qui, à notre connaissance, a encore moins retenu l’attention des commentateurs.
Fleurs et héliotropisme mystérieux
33Un autre grand motif romantique est celui de la « fleur bleue », symbole par excellence de l’amour et de la poésie que Novalis voulait opposer à l’apologie de l’utilitarisme bourgeois contenue selon lui dans le Wilhelm Meister de Goethe. C’est autour de ce motif qu’est tout entier construit le roman novalissien que nous avons déjà mentionné plus haut, Heinrich von Ofterdingen, roman inachevé en deux parties, la première partie s’intitulant « L’attente » (Die Erwartung), la seconde « L’accomplissement » (Die Erfüllung). Plus qu’un roman pur et simple, cette œuvre est une romantisation de la philosophie de Novalis, son expression sous une forme poétique ou littéraire.
34L’Ofterdingen de Novalis s’ouvre par la fameuse séquence du rêve dans lequel la fleur apparaît à Heinrich. Ce rêve, le point de départ du long processus de reconnaissance par le personnage éponyme qui se met en quête de cette fleur, est prophétique : il annonce par une inspiration mystérieuse ce que Heinrich ne réalisera qu’à la fin de son voyage, à savoir que la fleur n’est autre que sa bien-aimée, Mathilde. Dans cette scène inaugurale du roman, lorsque Heinrich, dans son rêve, veut s’approcher de la fleur bleue, il la voit subitement se mettre à bouger et s’incliner vers lui, avant que la voix de sa mère ne le réveille brusquement et qu’il ne se retrouve, à son réveil, dans une chambre baignée de la lumière du soleil levant :
[…] les feuilles se faisaient de plus en plus brillantes et venaient se coller contre la tige, qui elle-même grandissait ; la Fleur alors se pencha vers lui, et ses pétales épanouis se déployèrent en une large collerette bleue qui s’ouvrait délicatement sur les traits exquis d’un doux visage. Dans un étonnement émerveillé et délicieux qui ne cessait de croître, il suivait la métamorphose singulière, quand, brusquement, il fut réveillé par la voix de sa mère et se retrouva là, sous le toit paternel, dans la chambre commune où le soleil matinal (Morgensonne), déjà, mettait son or75.
35La fleur bleue réapparait sous une autre appellation dans la seconde partie du roman, « L’accomplissement » : Heinrich est en effet conduit jusqu’à un vieillard qui lui offre, pour le consoler de la perte de sa bien-aimée, Mathilde, une fleur de son jardin, un myosotis, héliotrope bleu, plus connu encore sous le nom allemand Vergissmeinnicht, en français « Ne m’oubliez pas ». Dans la philosophie romantique de Novalis, la fleur est un terme médiateur entre Dieu et les hommes au même titre que le Christ du monothéisme chrétien, car Novalis déploie une vision plus panthéiste de la religion : « Si Dieu a pu devenir homme, il peut aussi devenir pierre, plante, animal ou élément, et peut-être y a-t-il de cette manière une rédemption continue dans la nature76. » En d’autres termes : la fleur est liée chez Novalis à la philosophie de la religion et, plus spécifiquement, au thème du messianisme – au motif du messie, sous l’angle du « messie de la nature ».
36Benjamin connaissait bien le motif de la fleur bleue, devenu emblématique du romantisme. Il ouvre en effet l’écrit sur le « Kitsch onirique » (1925/27), où l’on peut lire : « Rêver de la fleur bleue, ce n’est plus de saison. Pour se réveiller aujourd’hui dans la peau d’Heinrich von Ofterdingen, il faut avoir oublié l’heure77. »Le symbole revient dans la onzième section de L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (1935-39) : « au pays de la technique, le spectacle de la réalité immédiate s’est transformé en fleur bleue introuvable78 ».
37De fleur bleue, il n’est pas directement, ou ouvertement question, en revanche, dans les thèses Sur le concept d’histoire. Mais il y a bien, à la fin de la thèse IV, une allusion aux fleurs dont Benjamin semble faire un usage cryptique, et assurément poétique, tout comme Novalis enveloppe le noyau rationnel de ses idées philosophiques dans une écorce poético-mystique. Prolongeant le thème messianique de la rédemption par une citation de Hegel en exergue de l’original allemand : «Occupez-vous d’abord de vous nourrir et de vous vêtir,alors vous échoira de lui-même le Royaume de Dieu79», la thèse IV développe le point de vue de l’historien matérialiste qui ramène l’histoire, sous l’angle des visées révolutionnaires des écrits marxistes, à ses enjeux politiques de lutte des classes. Or plutôt que de mettre l’accent sur la transformation révolutionnaire de la vie matérielle, la thèse rattache la rédemption, dans le droit fil de l’humanisme romantique, aux qualités spirituelles, morales – confiance, courage, ruse, persévérance et fermeté – qui animent et motivent les acteurs sociaux, la classe dominée dans son combat pour son émancipation sociale. Car pour Benjamin, comme pour les romantiques d’Iéna, le bonheur ne se mesure pas seulement à l’aune du bien-être matériel, privé, il résulte du développement des capacités caractéristiques de notre humanité et individualité. Et c’est à ces qualités spirituelles que l’on peut reconnaître le messie.
38Outre ce motif humaniste, on retrouve dans la thèse IV non seulement le thème de la « présence » d’esprit ou à l’esprit de l’historien de cette histoire des luttes sociales, mais l’orientation rétrospective de son regard qui plonge « dans les profondeurs du passé humain », contre la vision évolutionniste de l’histoire comme « progrès », pour percevoir dans le passé les traces de ces qualités spirituelles intangibles ou invisibles, dont le passé est le dépositaire en tant que forces objectives qui transcendent les luttes ponctuelles et qui toujours peuvent être ranimées, actualisées :
La lutte des classes, qui ne cesse d’être présente à l’historien formé par la pensée de Karl Marx, est une compétition autour de ces choses brutes et matérielles à défaut desquelles les choses fines et élevées ne subsistent guère. On aurait tort, cependant, de croire que ces dernières ne seraient autrement présentes dans la lutte des classes que comme butin qui ira au vainqueur. Il n’en est rien puisqu’elles s’affirment précisément au cœur de cette même compétition. Elles s’y mêlent sous forme de foi, de courage, de ruse, de persévérance et de décision. Et le rayonnement de ces forces, loin d’être absorbé par la lutte elle-même, se prolongent dans les profondeurs du passé humain. Toute victoire qui jamais y a été remportée et fêtée par les puissants – elles n’ont pas fini de la remettre en question80.
39Or c’est là que Benjamin fait intervenir le motif des fleurs héliotropes (qui suivent la course du soleil) et de l’« héliotropisme mystérieux » des choses révolues, qui « se tournent […] vers cet autre soleil qui est en train de surgir à l’horizon historique », tout en soulignant le caractère presque imperceptible de cette révolution (au sens aussi bien mécanique ou astronomique que politique), qui répond à l’essentielle précarité de l’expérience du temps messianique :
Telles les fleurs se tournant vers le soleil, les choses révolues se tournent, mues par un héliotropisme mystérieux, vers cet autre soleil qui est en train de surgir à l’horizon historique. Rien de moins ostensible que ce changement. Mais rien de plus important non plus81.
40À l’image du retournement mise en jeu par le motif de l’historien-prophète – tourner le dos à sa propre époque pour plonger ses regards dans l’obscurité du passé – se substitue ici celle du tournesol : de ces fleurs qui, par torsion du pédoncule, se présentent toujours de face au soleil. L’image de la fleur solaire du passé qu’éclaire le soleil du présent formule autrement l’idée d’une secrète réciprocité déjà contenue dans l’aphorisme de Friedrich Schlegel sur l’historien : pour reprendre les termes du commentaire que Michael Löwy fait de la thèse IV, « le présent éclaire le passé, et le passé éclairé devient une force au présent82 ». Surtout, elle constitue une allusion discrète à l’Ofterdingende Novalis :à la courbure de la fleur bleue du roman, qui penche sa corole vers Heinrich, répond, dans la thèse IV de Benjamin, la torsion de l’héliotrope ; au soleil matinal qui baigne la chambre dans laquelle Heinrich se réveille brusquement de son rêve fait écho, chez Benjamin, le soleil du présent « en train de surgir à l’horizon historique » ; au mystère de ce rêve prophétique de la fleur bleue, le caractère « mystérieux » de l’héliotropisme du passé. Enfin, avec l’appellation de Vergissmeinnicht (« Ne m’oubliez pas ») pour désigner l’héliotrope bleu qu’est le myosotis, il y a en outre le motif central de la mémoire dans la philosophie de l’histoire de Novalis – soit du passé dans le présent, ou rendu présent – à travers cette autre notion centrale de la conception benjaminienne de l’histoire qu’est l’Eingedenken, la « remémoration », que l’Appendice B des « Thèses » réfère à la tradition du prophétisme juif : « On sait qu’il était interdit aux Juifs de sonder l’avenir. La Torah et la prière, en revanche, leur enseignait la remémoration83. »
41L’épisode du myosotis dans le jardin du viellard est l’occasion, dans le roman de Novalis, d’un long passage réflexif sur les fleurs et leur « langage muet », leur « écriture singulière », lisible aux seuls amants qui chaque jour y trouveront des sens nouveaux84. On retrouve en cela le thème d’une construction tant de la nature que de l’histoire comme capacité sémiotique et herméneutique de lecture. Autrement dit : l’idée, avancée également par Benjamin, que le passé ou le texte de l’histoire (mais aussi la nature chez les romantiques) est comme un livre où sont déposées des images qui n’ont pas encore été révélées, ou lues ; et que le véritable historien, l’historien-prophète, est celui qui est capable de « Lire ce qui n’a jamais été écrit85 », de s’approprier ce que les faits historiques recèlent, d’y découvrir, par sa présence d’esprit ou lucidité accrue, des « indications toujours nouvelles86 ».
42Plus largement, c’est au texte tout entier de l’Ofterdingen que les « Thèses » de Benjamin sur l’histoire recèlent une multitude d’échos. À la phrase sur la « règle » de construction de l’histoireque nous avons citée précédemment : « Celui-là seul pour qui sera présente la totalité du passé parviendra à découvrir la règle simple de l’Histoire87 », vient s’ajouter celle prononcée en ouverture de la seconde partie du roman par l’Esprit de la poésie sur l’arrachement au continuum spatio-temporel: « Rien n’est plus ordonné selon le temps et l’espace, / le futur est ici présent dans le passé88 ». Le propos de cette ouverture qui concerne « la parole du prophète89 » est similaire à ce que Benjamin dit du temps messianique comme supposant d’interrompre la continuité du cours du temps par un geste d’actualisation intempestive, porteur d’une expérience véritablement faite avec le passé. Lorsque la deuxième partie du roman de Novalis, « L’accomplissement », renoue ensuite avec le fil du récit, c’est par l’ascension par Heinrich d’une montagne au sommet de laquelle, en proie au désespoir, il se prend « à regarder en arrière90 », scène qui n’est pas sans rappeler la phrase des notes préparatoires aux « Thèses » de Benjamin sur le retournement vers le passé de l’historien-prophète au sens romantique, dont le regard de voyant s’allume à la vue des « sommets s’estompant dans le passé crépusculaire des événements antérieurs91 ». Enfin, tout le passage sur les fleurs, dans l’Ofterdingen, se conclut de manière significative sur une considération relative à la conscience morale comme « médiateur inné » en tout être humain : « Sans contredit la conscience morale, affirma Sylvestre, est le médiateur inné (der eingeborene Mittler) en tout être humain. Elle tient lieu de Dieu sur terre92 ». Ce que Novalis nomme la conscience morale, n’est-ce pas ce que Benjamin avait en tête lorsqu’il parle, pour sa part, dans la thèse IV de l’élévation de ces dispositions d’esprit, fermeté, courage ou encore confiance, qui sont pour les opprimés les armes de leur rédemption ?
Conclusion : prendre la re-ligio au sérieux
43Au terme de cette reconstruction d’une partie de l’héritage romantique des thèses Sur le concept d’histoire, on peut donc affirmer que la démarche de Benjamin dans ce texte est une démarche consciemment romantique. L’image du regard en arrière prémonitoire et la règle de l’histoire comme présence du passé ; le principe de construction qui permet à l’humanité « d’envisager sa propre histoire avec une présence d’esprit accrue et d’y découvrir des indications toujours nouvelles93 » ; la centralité du messianisme comme articulation entre histoire et religion ; la pluralisation de la figure du messie sous les auspices de la Révolution et, partant, la parcelle de pouvoir messianique que chacun d’entre nous possède en propre ; ou encore le tropisme de l’histoire et le motif de la fleur bleue héliotrope qui est aussi la fleur de la remémoration dans l’Ofterdingen de Novalis : la liste d’aspects par lesquels le point de vue de Benjamin sur l’histoire converge avec celui du premier romantisme est longue. L’énumération est pourtant loin d’être exhaustive, nous avons passé ici sous silence les théories romantiques de l’ironie, de la critique, ou encore de l’écriture romanesque, car le dessein de ces pages était d’exhumer les aspects moins connus.
44S’il y a convergence dans toutes ces problématiques, il reste aussi bien sûr des divergences : la pensée de Benjamin ne se confond pas non plus complètement avec celle des romantiques d’Iéna, bien qu’elle la présuppose. Mais elle enseigne en cela aux marxistes, dont elle se réclame aussi, à prendre la religion non pas comme ce qui amoindrit la lucidité, berce la conscience, mais comme ce qui au contraire peut l’éveiller, voire la galvaniser. C’est toutefois à une condition – traiter la religion philosophiquement, comme l’ont fait Friedrich Schlegel et Novalis – que le mécanisme du matérialisme historique « n’aura alors aucun adversaire à craindre94 ». Philosophiquement, c’est-à-dire en partant du concept de religion, plutôt que d’une appartenance à telle ou telle religion positive. Et d’autre part – mais c’est lié – du sens primordial du mot, l’étymologie latine re-ligio95, dont l’ambiguïté même est significative : tout à la fois « lien96 » (à Dieu mais aussi lien social, communautaire et confraternel) et « relecture97 », par scrupule ou exigence de conscience –deux étymologies que la pensée de l’histoire tant des premiers romantiques que de Benjamin semble faire coexister sans les opposer.
Notes
1 Dans la version allemande des Thèses. Voir Benjamin (W.), Über den Begriff der Geschichte, in Gesammelte Schriften [désormais : GS], éd. R. Tiedemann et H. Schweppenhäuser, Francfort, Suhrkamp, vol. I/2, 1991, p. 691-704. Sur la biographie intellectuelle de Benjamin et pour un aperçu général de sa philosophie, voir les études suivantes : Raulet (G.), Walter Benjamin (1892-1940), Paris, Ellipses, coll. « Philo-Philosophes », 2000 ; et BÉGOT (J.-O.), Walter Benjamin, Paris, Belin, coll. « Voix allemandes », 2012.
2 Id., lettre à Gretel Adorno, fin avril-début mai 1940, Correspondance (1930-1940), trad. fr. C. David, Paris, Gallimard, 2007, p. 391.
3 Id., Über den Begriff der Geschichte, Thèse XI, GS I/2, p. 698 ; Sur le concept d’histoire, trad. fr. M. de Gandillac, revue par P. Rusch, in Walter Benjamin, Œuvres, traduit de l’allemand par M. de Gandillac, R. Rochlitz et P. Rusch, Paris, Gallimard, 2000, t. III, p. 435.
4 Ibid., p. 699; Œuvres III, op. cit., p. 436.
5 Ibid., p. 697 ; trad. fr. W. Benjamin, Écrits français, Paris, Gallimard, coll. « folio Essais », 2003 (1re éd. 1991), p. 343. Cf. Œuvres III, op. cit., p. 434.
6 Ibid., p. 698 ; ibid., p. 344.
7 Novalis, Das allgemeine Brouillon, frag. 633, in Schriften. Die Werke Friedrich von Hardenbergs, éd. P. Kluckhohn, R. Samuel, H.-J. Mähl, G. Schulz et al., Stuttgart, Kohlhammer, 1960-2016 [désormais : HKA], vol. 3, p. 381: « Nur der rückwärtsgekehrte Blick bringt vorwärts, da der vorwärtsgekehrte Blick rückwärts führt. » ; Le brouillon général, trad. fr. O. Schefer, Paris, Allia, 2000, trad. mod., p. 165.
8 Benjamin (W.), Über den Begriff der Geschichte, Thèse VI, GS I/2, p. 695 ; Sur le concept d’histoire, Œuvres III, op. cit., p. 431. Cf. Écrits français, op. cit., p. 342.
9 Ibid., Thèse VII, GS I/2, p. 697 ; Écrits français, op. cit., p. 343.
10 Id., Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik, GS I/1, p. 14-15 ; Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, trad. fr. P. Lacoue-Labarthe et A.-M. Lang, Paris, Flammarion, 1986, p. 40. La liste des lectures dressée par Benjamin lui-même permet de prendre connaissance des textes et des éditions qu’il a spécialement utilisés, non seulement pour les écrits de Schlegel et de Novalis mais pour d’autres figures du romantisme allemand. Voir id., Je déballe ma bibliothèque. Une pratique de la collection, trad. fr. P. Ivernel, préface de J. Allen, Paris, Payot & Rivage, « Petite bibliothèque », 2015.
11 Id., Schriften, éd. T. W. Adorno, Francfort, Suhrkamp, 1995, vol. 1, Introduction, p. XXV.
12 Grâce aux travaux – entre autres – de Manfred Frank en Allemagne et de Frederick C. Beiser aux États-Unis. Voir notamment Frank (M.), Das Problem “Zeit” in der deutschen Romantik : Zeitbewusstsein und Bewusstsein von Zeitlichkeit in der frühromantischen Philosophie und in Tiecks Dichtung [1972], Paderborn, Munich, Schöningh, 1990 ; et aussi id., Einführung in die frühromantische Ästhetik,Francfort, Suhrkamp, 1989 ; ainsi queBeiser (F.), German Idealism : The Struggle Against Subjectivism (1781-1801),Cambridge, Harvard University Press, 2002. Cette nouvelle historiographie a pris au sérieux la dimension philosophique, rationnelle, du premier romantisme allemand, contre les vues d’une certaine historiographie d’après-guerre (Isaiah Berlin ; Georg Lukács) selon laquelle l’irrationalisme serait le cœur même du romantisme.
13 Voir Moses (S.), « Das Bild der Romantik im Spätwerk Walter Benjamins », in H. Brüggemann et G. Oesterle, Walter Benjamin und die romantische Moderne, Wurtzbourg, Königshausen & Neumann, 2009, p. 39-48, en particulier p. 40.
14 Voir Marramao (G.), « Messianismus ohne Erwartung. Zur "post-religiösen" politischen Theologie Walter Benjamins », in B. Witte et M. Ponzi (dir.), Theologie und Politik : Walter Benjamin und ein Paradigma der Moderne, Berlin, Erich Schmidt Verlag, 2005, p. 241-253, en particulier p. 242 ; et Steiner (U.), « "Der revolutionäre Wunsch, das Reich Gottes zu realisieren…". Kunst, Religion und Politik in Walter Benjamins Kritik der Romantik », in Walter Benjamin und die romantische Moderne, op. cit., p. 83-104.
15 Sur ce point, voir les analyses de Michael Löwy, notamment in Benjamin (W.), Romantisme et critique de la civilisation, Textes choisis et présentés par Michael Löwy, Paris, Payot-Rivages, 2010.
16 Sur la réception benjaminienne de ces thèmes romantiques de manière générale, on se reportera – entre autres –, pour la période récente, aux contributions à Benjamin (A.) et Hanssen (B.) (dir.), Walter Benjamin and Romanticism, New York, Londres, Continuum, 2002. Dans leurs rapports maintenant aux thèses de Benjamin sur l’histoire, voir Derroitte (É.), « La construction de l’histoire chez Walter Benjamin. L’héritage de Fichte et des Romantiques d’Iéna », Les Carnets du Centre de Philosophie du Droit, n°148, 2009, p. 2-25 ; ou encore Schmidt (C.), « Ironie und Kenosis. Von Kierkegaards zu Schmitts Kritik der romantischen Ironie », in H. Brüggemann et G. Oesterle, Walter Benjamin und die romantische Moderne, op. cit., p. 535-549.
17 Pour un aperçu de l’état de la recherche sur la philosophie romantique, voir Cahen-Maurel (L.), « Le romantisme allemand : une question résolue ? », introduction à id., L’art de romantiser le monde. La peinture de Caspar David Friedrich et la philosophie romantique de Novalis, Münster, Berlin, LIT Verlag, coll. « Ideal & Real. Aspekte und Perspektiven des Deutschen Idealismus », 2017.
18 Benjamin (W.), « Paralipomènes et variantes des Thèses », Écrits français, op. cit., p. 353.
19 Koselleck (R.), Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, trad. fr. J. Hoock et M.-C. Hoock, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1990, p. 310. Koselleck a su tirer toutes les implications des vues de Novalis sur l’histoire en établissant à partir d’elles ce qu’il a désigné comme les deux prémisses anthropologiques de la constitution de l’histoire : le « champ d’expérience » et l’« horizon d’attente ».
20 Novalis, Heinrich von Ofterdingen, HKA 1, p. 258 ; Henri d’Ofterdingen, trad. fr. A. Guerne, Paris, Gallimard, 1997, trad. fr. mod., p. 106.
21 Benjamin (W.), Über den Begriff der Geschichte, Anhang A, GS I/2, p. 704 ; Sur le concept d’histoire, Appendice A, Œuvres III, op. cit., p. 443.
22 Id., « Paralipomènes et variantes des Thèses "Sur le concept d’histoire" », in Écrits français, op. cit., p. 351 ; cf. ibid., p. 353.
23 Schlegel (F.), Fragmente, Athenaeum, vol. 1 (2), 1798, p. 20 ; cf. « Fragments de l’Athenaeum », trad. fr. P. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy avec la collaboration de A.-M. Lang, in L’absolu littéraire. Théorie de la littérature du romantisme allemand, Paris, Seuil, 1978, frag. 80, p. 107.
24 Szondi (P.), « L’espoir dans le passé. Sur Walter Benjamin », trad. fr. M. de Launay, Revue germanique internationale, n°17, 2013, p. 146.
25 Benjamin (W.), Über den Begriff der Geschichte, Anhang B, GS I/2, p. 704 ; Sur le concept d’histoire, Appendice B, Œuvres III, op. cit., trad. mod. p. 443 : « On sait qu’il était interdit aux Juifs de sonder l’avenir. La Torah et la prière, en revanche, leur enseignaient la remémoration. La remémoration, pour eux, privait l’avenir des sortilèges auxquels succombent ceux qui cherchent à s’instruire auprès des devins. »
26 Id., « Paralipomènes […]», Écrits français, op. cit., p. 351.
27 Id., Über den Begriff der Geschichte, Thèse III, GS I/2, p. 694 ; Écrits français, op. cit., p. 340.
28 Id., « Paralipomènes […]», Écrits français, op. cit., p. 351.
29 Id., Sur le concept d’histoire, Thèse V, in Écrits français, op. cit., p. 341.
30 Benjamin connaissait les théories de Heinrich Wölfllin et peut-être même de Wilhelm Worringer. Sur le rapport de Benjamin à Wölfflin, voir notamment Caygill (H.), « Walter Benjamin’s Concept of Cultural History », in David S. Ferris (ed.), The Cambridge Companion to Walter Benjamin, Cambridge, Cambridge University Press, 2004, p. 73-96.
31 Novalis, Über Goethe, frag. 445, HKA 2, p. 640 ; « Sur Goethe », Semences, trad. fr. O. Schefer, Paris, Allia, 2004, p. 237.
32 Voir Benjamin (W.), Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik, GS I/1, p. 118 ; Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, op. cit., p. 175 sq.
33 Novalis, Das allgemeine Brouillon, frag. 52, HKA 3, p. 248 ; Le brouillon général, op. cit., p. 29.
34 Benjamin (W.), Über den Begriff der Geschichte, Thèse VII, GS I/2, p. 696 ; Écrits français, op. cit., p. 342.
35 Ce faisant, les romantiques d’Iéna introduisent dans leur conception de l’histoire une idée centrale de leur philosophie de la nature, qu’ils conçoivent de manière dynamique en termes vitalistes de forces, d’énergies, le courant galvanique étant à leurs yeux la véritable énergie et activité à l’œuvre dans toute la nature.
36 Benjamin (W.), Über den Begriff der Geschichte, Thèse XVII, GS I/2, p. 703 ; Écrits français, op. cit., p. 346.
37 Novalis, Das allgemeine Brouillon, frag. 52, HKA 3, p. 248 ; Le brouillon général, op. cit., p. 29.
38 Id., Über Goethe, frag. 445, HKA 2, p. 640 ; « Sur Goethe », Semences, op. cit., p. 237.
39 Ibid.
40 Comme il a pu leur être vivement reproché, en particulier à propos de leur conception de l’âge d’or, notamment dans l’essai de Novalis La Chrétienté ou l’Europe qui prend le Moyen Âge pour modèle (relatif) d’âge d’or. Pour analyse approfondie du concept d’âge d’or chez Novalis, voir Cahen-Maurel (L.), « L’âge d’or futur : Novalis relu à partir de Schiller et de Hemsterhuis. Le chiasme philosophique du mythe et de l’histoire dans La Chrétienté ou l’Europe », Klesis – Revue philosophique, n° 40, 2018, p. 1-32.
41 Sur la philosophie romantique de Novalis comme « idéalisme réaliste » (ou réciproquement : réalisme idéaliste), voir Cahen-Maurel (L.), L’art de romantiser le monde. La peinture de Caspar David Friedrich et la philosophie romantique de Novalis, op. cit.
42 Novalis, Über Goethe, frag. 445, HKA 2, p. 640 ; « Sur Goethe », Semences, op. cit., p. 237.
43 Voir notamment Raulet (G.), « L’instant et la fin. Sur l’anti-politique de Benjamin », Cités, n° 74, 2018/2, p. 119-134.
44 Benjamin (W.), Über den Begriff der Geschichte, Thèse II, GS I-2, p. 693 ; Sur le concept d’histoire, Œuvres III, op. cit., p. 428.
45 Ibid., p. 694 ; Écrits français, op. cit., p. 340. Cf. Œuvres III, op. cit., p. 428.
46 Novalis, Das allgemeine Brouillon, frag. 686, HKA 3, p. 398 ; Le brouillon général, op. cit., trad. fr. mod., p. 182.
47 Cette dimension a été exposée par Hans-Joachim Mähl dans son étude de référence sur l’idée d’âge d’or dans l’œuvre de Novalis. Voir Mähl (H.-J.), Die Idee des goldenen Zeitalters im Werk des Novalis. Studien zur Wesensbestimmung der frühromantischen Utopie und zu ihren ideengeschichtlichen Voraussetzungen, Tübingen, Niemeyer, 1994 [1reéd. 1965].
48 Schlegel (F.), Fragmente, Athenaeum, vol. 1 (2), 1798, p. 60 ; « Fragments de l’Athenaeum », L’absolu littéraire, op. cit., frag. 222, p. 129.
49 Novalis, Die Christenheit oder Europa, HKA 3, p. 519.
50 Voir « Randbemerkungen von Novalis durch Paul Kluckhohn », in « Novalis und Friedrich Schlegel (Zur 150. Wiederkehr ihrer Geburtstage) », Deutsche Rundschau, vol. CXCII, juillet-sept. 1922, p. 163-168.
51 Novalis, Randbemerkungen zu Friedrich Schlegels « Ideen » (1799), HKA 3, p. 493: « Du verstehst die Geheimnisse der Zeit – Auf dich hat die Revolution gewirckt, was sie wircken sollte, oder du bist vielmehr ein unsichtbares Glied der heiligen Revolution, die ein Messias im Pluralis, auf Erden erschienen ist. »
52 Sur ce point, voir Cahen-Maurel (L.), « Le territoire méconnu de la beauté : la philosophie de l’histoire de Schiller reconstruite », in L. Carré, G. Fagniez et Q. Landenne (dir.), Philosophies allemandes de l’historie, Argenteuil, Le Cercle herméneutique, à paraître en 2018.
53 Novalis, lettre du 26 décembre 1798 à Just, HKA 4, p. 272 : « die symbolische Vorzeichnung einer allgemeinen, jeder Gestalt fähigen, Weltreligion. »
54 La figure de l’enfant et le motif de l’enfance sont un autre grand thème du romantisme allemand. On songera notamment au fragment 97 du Pollen (1797/98) de Novalis, qui stipule que l’âge d’or n’est pas seulement passé ou à venir mais qu’il peut se trouver au présent, être présent au moins partiellement dans la figure de l’enfant : « Là où il y a des enfants, là est l’âge d’or », un âge d’or (Blüthenstaub, HKA 2, p. 457 ; Pollen, Semences, op. cit., p. 91). Il y aurait ici une connexion à faire avec l’importance que le motif de l’enfant et de l’enfance revêt dans l’œuvre de Benjamin. Pour une analyse approfondie de ce thème chez Walter Benjamin, on se reportera à la contribution de Marguerite Dewitte au présent volume : Dewitte (M.), « La 10e thèse et le personnage de l’enfant ».
55 Novalis, Das allgemeine Brouillon, frag. 52, HKA 3, p. 248 ; Le brouillon général, op. cit., p. 29-30.
56 Benjamin (W.), lettre à Ernst Schoen du 7 avril 1919, Briefe, éd. G. Scholem et T. W. Adorno, Francfort, Suhrkamp, 1966, vol. 1, p. 208.
57 Bégot (J.-O.), « Au rendez-vous de l’Histoire : sur le messianisme critique de Benjamin », in J. Benoist et F. Merlini, Une histoire de l’avenir : Messianité et Révolution, Paris, Vrin, 2004, p. 69.
58 Benjamin (W.), Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik, GS I/1, p. 12-13 ; Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, op. cit., p. 37 sq. Une des citations de Friedrich Schlegel donné en note par Benjamin est la suivante : « La religion, mon cher ami, ne nous est nullement matière à plaisanterie, nous pensons au contraire avec le plus grand sérieux que le temps est venu d’en fonder une. C’est là le but de tous les buts et le centre. » (lettre de F. Schlegel du 7 mai 1799 à son frère A.W. Schlegel). Une autre lettre de Benjamin, de juin 1917 à Scholem, l’affirmait déjà alors que Benjamin était encore dans la phase préparatoire du travail : « Le centre du premier romantisme est la religion et l’histoire. » Voir Briefe 1, p. 138.
59 Id., lettre à Ernst Schoen du 7 avril 1919, Briefe 1, p. 208.
60 Benjamin (W.), Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik, GS I/1, p. 92-93 ; Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, op. cit., p. 141.
61 Schlegel (F.), Fragmente, Athenaeum, vol. 1 (2), 1798, p. 28 : « Die romantische Poesie ist eine progressive Universalpoesie » ; « Fragments de l’Athenaeum », L’absolu littéraire, op. cit.,frag. 116, p. 112.
62 Benjamin (W.), Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik, GS I/1, p. 92-93 ; Le concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, op. cit., p. 141.
63 Id., Über den Begriff der Geschichte, Thèse XIV, GS I/2, p. 701 ; Sur le concept d’histoire, Œuvres III, op. cit., p. 439.
64 Id., Sur le concept d’histoire, Thèse II, in Écrits français, op. cit., p. 340.
65 Lorsque les annotations par Novalis des Idées de Friedrich Schlegel paraissent pour la première fois, en 1922, Benjamin apparaît encore proche des premiers romantiques allemands : dans le texte écrit la même année pour annoncer la création de l’Angelus Novus, un projet de revue littéraire avortée, Benjamin se référait au modèle de l’Athenaeum pour caractériser l’essence de toute revue en termes de « véritable actualité ». Voir Id., « Ankündigung der Zeitschrift : Angelus Novus », GS II/1, p. 241 ; « Annonce de la revue Angelus Novus », trad. fr. R. Rochlitz, Œuvres I, op. cit., p. 266.
66 Id., Über den Begriff der Geschichte, Thèse II, GS I/2, p. 694 : « Dann ist uns wie jedem Geschlecht, das vor uns war, eine schwache messianische Kraft mitgegeben ».
67 Comme le fait Maurice de Gandillac : Benjamin (W.), Sur le concept d’histoire, Thèse II, Œuvres III, op. cit., p. 429.
68 Benjamin (W.), Sur le concept d’histoire, Thèse II, in Écrits français, op. cit., p. 340.
69 Voir Steiner (U.), « "Der revolutionäre Wunsch, das Reich Gottes zu realisieren…". Kunst, Religion und Politik in Walter Benjamins Kritik der Romantik », art. cité.
70 Benjamin (W.), lettre de juin 1917 à Gerhard Scholem, Briefe 1, p. 138.
71 Id., « Rezension : Albert Béguin, L’âme romantique et le rêve », GS III, p. 559.
72 Id., « Les Régressions de la poésie de Carl Gustav Jochmann », trad. fr. R. Rochlitz, Œuvres III, op. cit., p. 401-402.
73 Id., lettre de juin 1917 à Gerhard Scholem, Briefe 1, p. 138 ; Correspondance, trad. fr. G. Petitdemange, Tome I – 1910-1928, Paris, Aubier, 1979, p. 128.
74 Ibid. ; trad. mod.
75 Novalis, Heinrich von Ofterdingen, HKA 1, p. 197 ; trad. fr., p. 21.
76 Novalis, Fragmente und Studien 1799-1800, frag. 603, HKA 3, p. 664 ; Art et Utopie : les derniers fragments (1799-1800), trad. fr. O. Schefer, Paris, Éditions de la Rue d’Ulm, 2005, p. 115.
77 Benjamin (W.), « Kitsch onirique », trad. fr. P. Rusch, in Œuvres II, op. cit., p. 7.
78 Id., L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique (première version, 1935), trad. fr. R. Rochlitz, in Œuvres III, op. cit., p. 299.
79 Id., Über den Begriff der Geschichte, Thèse IV, GS I/2, p. 694 ; Œuvres III, op. cit., p. 429. C’est l’inversion ironique d’un passage de l’Évangile selon Matthieu (6, 33) : « Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu ; et toutes ces choses vous seront données par-dessus. »
80 Id., Sur le concept d’histoire, in Écrits français, op. cit., p. 341. Cf. Œuvres III, op. cit., p. 429-430. L’allemand original dit : « sie sind […] in diesem Kampf lebendig, und sie wirken in die Ferne der Zeit zurück » (Über den Begriff der Geschichte, Thèse IV, GS I/2, p. 694).
81 Ibid.
82 Löwy (M.), Walter Benjamin : avertissement d’incendie. Une lecture des Thèses « Sur le concept d’histoire », Paris, PUF, 2001, p. 47.
83 Benjamin (W.), Über den Begriff der Geschichte, Anhang B, GS I-2, p. 704 ; Œuvres III, op. cit., p. 443.
84 Novalis, Heinrich von Ofterdingen, HKA 1, p. 329 ; trad. fr., p. 212.
85 Benjamin (W.), « Paralipomènes […]», Écrits français, op. cit., p. 354.
86 Id., « Les Régressions de la poésie de Carl Gustav Jochmann », Œuvres III, op. cit., p. 401.
87 Novalis, Heinrich von Ofterdingen, HKA 1, p. 258 ; trad. fr. mod., p. 106.
88 Ibid., p. 318 ; cf. trad. fr., p. 198.
89 Ibid.
90 Ibid., p. 320 ; trad. fr., p. 200.
91 Benjamin (W.), « Paralipomènes […]», Écrits français, op. cit., p. 351.
92 Novalis, Heinrich von Ofterdingen, HKA 1, p. 332 ; cf. trad. fr., p. 217.
93 Benjamin (W.), « Les Régressions de la poésie de Carl Gustav Jochmann », Œuvres III, op. cit., p. 402.
94 Id., Über den Begriff der Geschichte, Thèse I, GS I-2, p. 693 ; Sur le concept d’histoire, in Écrits français, op. cit., p. 339.
95 Sur ce point, voir Lavelle (P.), « Religion et histoire : sur le concept d’expérience chez Walter Benjamin », Revue de l’histoire des religions, 2005, vol. 1, Paris, Armand Colin, p. 97-98.
96 Par l’étymologie qui rattache la religion au verbe religare.
97 Par celle qui fait dériver le terme de relegere.
Pour citer cet article
A propos de : Laure Cahen-Maurel
Université Saint-Louis, Bruxelles – Centre Prospéro