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Alix Sacré

« Pénétrer au mieux l’âme de nos sujets ». La perception des coutumes congolaises par les fonctionnaires territoriaux à travers leur contribution au Bulletin des Juridictions indigènes et de Droit coutumier congolais

(Vol. 42 - 2020)
Article
Open Access

Résumé

Issu de recherches effectuées dans le cadre du projet Belgafrican Magistrates Social Networks, cet article se penche sur la contribution des fonctionnaires territoriaux du Congo belge à une revue juridique, le Bulletin des Juridictions indigènes et de Droit coutumier congolais. Il s’agit de montrer en quoi ces écrits sont particulièrement dépendants du contexte de leur rédaction, tant en termes de forme que de contenu ; en cela, ils nous informent sur les préoccupations des territoriaux, sur leur posture vis-à-vis des Congolais et sur la vision qu’ils ont de leurs coutumes. A travers l’analyse de quatre thématiques abordées par ces fonctionnaires, cet article propose ainsi une réponse supplémentaire à la question des liens entre savoir et pouvoir en contexte colonial. Le propos est illustré par plusieurs exemples, issus notamment de la carrière et des travaux rédigés par Fernand Grévisse, administrateur territorial puis commissaire de district du Haut-Katanga.

Index de mots-clés : Congo belge, administration, fonctionnaire territorial, revues juridiques coloniales, coutumes, droit coutumier.

Abstract

The result of research for the Belgafrican Magistrates Social Networks project, this article explores the contribution of Belgian Congo territorial functionaries to a law review: the Bulletin des Juridictions indigènes et de Droit coutumier congolais. The aim was to highlight that those texts are particularly dependant on the prevailing context, in terms of form as well as content; they give us information about the territorial functionaries’ concerns, their attitude towards the Congolese and on the way they consider their customs. Through the analysis of four themes addressed by those functionaries, this article provides an additional answer to the issue of the relationship between knowledge and power in the colonial context. The thesis is illustrated by several examples, among others the career and works of Fernand Grévisse, territorial administrator and later High Katanga district commissioner.

Index by keyword : Belgian Congo, administration, territorial functionary, colonial legal periodicals, custom, customary Law.

Introduction1

1Il n’est pas novateur d’affirmer que la colonisation du Congo par la Belgique a ouvert un nouveau champ de recherches, traduisant un constat d’ignorance et une grande curiosité pour tout ce qui touche à l’Afrique centrale, mais aussi une volonté de mieux la connaitre pour mieux la dominer ou, à tout le moins, pour déterminer les politiques à mettre en œuvre2. Ce constat n’est pas propre au contexte colonial belge : dans la plupart des empires coloniaux, dès le 19e siècle, scientifiques, juristes, missionnaires ou encore membres de l’administration participent au développement d’un savoir nécessaire à la domination, mais aussi à la légitimation de l’« œuvre coloniale »3. La colonie devient donc l’objet d’études géographiques, ethnographiques, ou encore juridiques. En contexte colonial, le droit occupe en effet une place non négligeable : dans le but de contrôler le territoire et sa population, il s’agit d’une part de définir les règles en application, mais aussi de s’intéresser à ce que les colonisateurs nomment « ordre juridique précolonial »4.

2Ces préoccupations suscitent l’apparition de plusieurs revues juridiques coloniales, tant en Belgique qu’au Congo5. Ainsi nait notamment le Bulletin des Juridictions indigènes et de Droit coutumier congolais6, en 1933. Il constitue alors une importante source d’informations pour qui souhaite se renseigner sur l’organisation judiciaire, le « droit coutumier », les coutumes « indigènes »7, etc. Aujourd’hui, son intérêt tient également à ce qu’il révèle sur la manière dont ces sujets sont perçus par l’administration et la justice durant la période coloniale, et à son rôle dans la construction des « sciences coloniales ».

3Parmi ses semblables, le Bulletin constitue un cas particulier : en effet, il s’agit d’une revue juridique, mais la majorité de ses contributeurs sont des fonctionnaires territoriaux, membres de l’administration, dont la plupart n’ont reçu qu’une formation juridique sommaire8. La légitimité de leur activité « scientifique » (qui a d’ailleurs été peu étudiée, contrairement à leur statut, leur formation ou leurs fonctions9) découle plutôt de leur position vis-à-vis des administrés : le discours colonial tend à les présenter comme les plus proches interlocuteurs des Congolais, donc ceux qui en savent le plus à leur sujet. En outre, leurs fonctions administratives les amènent régulièrement à coucher sur le papier quelques lignes relatives aux populations qui les entourent. Contribuer à une revue dépasse toutefois le cadre de leur travail quotidien.

4Profondément ancrés dans leur contexte, les écrits de ces fonctionnaires — et les revues dans lesquelles ils paraissent — doivent être considérés comme des matériaux coloniaux, tant sur leur forme que sur leur contenu. D’une part, le choix des sujets traités est toujours le reflet des préoccupations de l’époque ; d’autre part, loin de « pénétrer au mieux l’âme de [leurs] sujets »10, leur perception des Congolais et de leurs pratiques est biaisée par leur posture de « colonisateurs », comme en témoignent leurs contributions11. Afin de traiter cette problématique, et après avoir présenté le Bulletin et le contexte de sa création, nous dresserons le profil des fonctionnaires territoriaux contributeurs du périodique avant de rentrer dans l’analyse proprement dite des articles, en nous concentrant sur quatre thématiques : les enquêtes sur le « droit coutumier », les coutumes judiciaires, les études ethnographiques et les « croyances ». Pour terminer, nous émettrons quelques hypothèses et pistes sur la valeur « scientifique » des contributions de ces fonctionnaires. Tous ces points seront illustrés — entre autres — par des exemples tirés de la carrière et des recherches de Fernand Grévisse. Fonctionnaire territorial, il se distingue par un grand nombre d’études consacrées aux populations katangaises, qu’il publia dans le Bulletin.

Au Katanga, un nouvel intérêt pour le droit coutumier

5Le Bulletin est une revue juridique coloniale émanant de la Société d’Études juridiques du Katanga. Fondée en 1924 à l’initiative de deux magistrats, Antoine Sohier12 et Joseph Derriks13, il a pour but de développer les études juridiques coloniales. Cet objectif doit être rempli par l’organisation de réunions ainsi que par la publication d’une revue juridique, la Revue juridique du Congo belge14. En 1933 est créé ce qui doit initialement être son supplément (mais qui devient rapidement autonome), le Bulletin des Juridictions indigènes et de Droit coutumier congolais, qui parait de janvier 1933 à septembre 196315. La création de ce périodique est liée aux réorganisations judiciaires entreprises dans les années 1920 :

Nous voulons fournir un guide à ces centaines de juridictions qu’a créées le Décret du 15 avril 1926, juridictions dont l’importance ne peut assez être soulignée, puisqu’elles rendent des milliers de décisions touchant aux points les plus fondamentaux de la vie indigène ; nous voulons travailler à l’étude du droit coutumier ; approfondir la connaissance des coutumes est nécessaire non seulement pour les appliquer, mais aussi pour pouvoir les guider et en guider l’évolution.16

6Le décret en question reconnait certains tribunaux « indigènes » existants et en crée d’autres. Avant ce décret, les justiciables congolais n’ont pas affaire aux tribunaux dits « européens » en ce qui concerne la justice civile. Celle-ci est exercée par les juges qui appliquent ce que les colonisateurs nomment « la coutume ». C’est cette justice « traditionnelle » que le décret de 1926 intègre à la pyramide judiciaire coloniale, sous le nom de « tribunal de chefferie ». Il y ajoute de nouveaux tribunaux créés pour coller à la structure des circonscriptions « indigènes » : les tribunaux de centre, de secteur et de territoire, où siègent exclusivement des juges africains (à l’exception du tribunal de territoire, présidé par l’administrateur territorial)17.

7Cette mise en valeur de la justice dite « coutumière » s’explique de plusieurs manières. D’une part, elle s’inscrit dans une reconsidération plus générale du cadre de vie « traditionnel » des Congolais. Ce dernier est vu par l’administration comme un gage « d’ordre et d’harmonie », qualités qui auraient été perdues suite à l’action des premiers colonisateurs ; elle estime qu’il doit être restauré afin de garantir la stabilité nécessaire à l’exploitation de la colonie18. D’autre part, elle s’explique par la mise en place de l’administration davantage indirecte19. En effet, les premières interventions européennes ont révélé un manque de moyens financiers et humains ainsi qu’une grande incompréhension de la population congolaise, entrainant une difficulté à administrer le territoire de manière directe. L’institutionnalisation de la justice « coutumière » s’inscrit dans cette logique qu’on retrouve dans d’autres contextes coloniaux : il s’agit de renforcer le « prestige » et l’influence des chefs afin de s’appuyer sur ceux-ci20.

8L’appellation de « tribunaux coutumiers » est toutefois trompeuse. La justice est loin d’être laissée aux seules mains des chefs ou des juges coutumiers : elle peut, par exemple, être prise en charge ou suspendue par l’administrateur territorial. La procédure est également largement revue : par exemple, les autorités coloniales peuvent désigner les juges et assesseurs des différentes instances. En outre, ce n’est plus la coutume « traditionnelle » qui y est appliquée, mais sa version remaniée, débarrassée de tout ce que les autorités coloniales jugent contraire à l’ordre public et aux objectifs de la « mission civilisatrice »21. De nombreux auteurs ont d’ailleurs montré qu’il s’agit plus d’une invention ou d’une interprétation des coutumes par le colonisateur que d’une restauration de celles-ci22.

9Ces préoccupations — création des tribunaux « coutumiers » et volonté de « civiliser » la coutume — suscitent l’intérêt pour un nouveau champ des études juridiques coloniales, que les colonisateurs nomment « droit coutumier ». La création du Bulletin témoigne de ce mouvement. Ses fondateurs souhaitent promouvoir l’étude de ce droit pour en faciliter l’application et envisagent, à cette fin, de publier « des travaux sur les coutumes congolaises, de préférence sur les coutumes juridiques […], mais sans nous interdire l’étude des usages qui […] nous permettent cependant de pénétrer au mieux l’âme de nos sujets. »23

10Parler d’« étude du droit coutumier » est cependant inapproprié : par définition, le droit prend une forme écrite, ce qui n’est pas le cas des coutumes que se proposent d’étudier les fonctionnaires et magistrats qui inscrivent leurs travaux dans la branche du « droit coutumier ». Loin d’être la « perpétuation de normes précoloniales », celui-ci doit être considéré comme une production artificielle et dépendante de l’exercice du pouvoir colonial, dont elle est l’un des outils. En d’autres termes, s’il est possible d’étudier les coutumes, le « droit coutumier » est plutôt le produit de cette étude24, à laquelle s’emploient les contributeurs du Bulletin.

11Le périodique est fondé à l’initiative d’Antoine Sohier, qui s’intéresse depuis plusieurs années au droit coutumier25. Celui-ci publie sur le sujet un nombre non négligeable d’articles dans la Revue, le Bulletin et le Journal des Tribunaux d’Outre-mer26, qui constituent de véritables plaidoyers pour la discipline27. La création de la Société et de ces revues est également liée à la situation particulière du Katanga : sa position stratégique, notamment au niveau économique, participe de sa puissance politique et avait justifié, en 1910, la création d’une seconde Cour d’Appel pour le Congo, à Élisabethville. La ville attire alors une nouvelle génération de magistrats, dont fait partie Antoine Sohier. Toutefois, la personnalité de ce dernier et son intérêt pour les coutumes n’expliquent pas, à eux seuls, la longévité de ces publications : elles sont en effet soutenues financièrement par les compagnies industrielles (notamment l’Union minière du Haut-Katanga [UMHK]), pour qui le développement du droit colonial est une condition indispensable au contrôle de la colonie, et donc à sa stabilité économique28.

Les fonctionnaires territoriaux et le service territorial

12En ce qui concerne les contributeurs, le premier article paru dans le Bulletin indique que les auteurs souhaitant être publiés pourront envoyer spontanément leurs textes à la Société. Cet appel à contribution s’adresse non seulement aux magistrats, mais aussi aux missionnaires et fonctionnaires territoriaux29. Ceux-ci font partie du « Service territorial » : créé en 1912, il s’agit de l’un des services de l’administration d’Afrique, dont les membres représentent l’État sur le territoire de la colonie et appliquent la politique coloniale du gouvernement. La structure de ce service est intimement liée à l’organisation administrative du Congo belge : sont considérés comme des « territoriaux » les commissaires de districts, administrateurs et agents territoriaux, ainsi que leurs assistants respectifs30.

13Le « territorial » est décrit comme « l’agent actif et direct de la colonisation » en raison de ses nombreuses activités — perception de l’impôt, recensements, création et entretien des infrastructures, mise en place des politiques agricoles — et de ses fonctions judiciaires31. L’attribution de celles-ci à des membres de l’administration est une constante dans l’histoire de la colonie32 : dans les années 1930, ces fonctionnaires peuvent être commissionnés juges des tribunaux de police et de district ; ils sont aussi officiers de police judiciaire. Enfin, le décret de 1926 désigne les administrateurs territoriaux comme juges des tribunaux de territoire33.

14Il existe plusieurs manières d’intégrer la territoriale. Pour devenir agent, il est nécessaire de posséder un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur. Sont admis comme administrateurs territoriaux de 2e classe les titulaires d’un diplôme universitaire. Tous ces candidats sont soumis à un concours organisé par le Ministère des Colonies afin d’accéder à un cursus de préparation de six mois à l’École coloniale de Bruxelles34. Seuls les diplômés en sciences coloniales et ceux de l’Université coloniale d’Anvers en sont dispensés. Créée en 1920, cette université délivre des diplômes en sciences coloniales et administratives après trois, puis quatre années d’études. Elle a notamment pour but de « former une élite » : un corps de fonctionnaires capables de commander, conscients de leur rôle dans la « mission civilisatrice » et moralement irréprochables, afin de garantir leur prestige et leur autorité35. En témoignent des exigences sévères en termes de réussite, une grande importance donnée à la « morale » des étudiants et une discipline de vie quasi militaire36.

15Il s’agit également de créer et d’entretenir un esprit de corps parmi les futurs territoriaux. La plupart des professeurs sont par exemple issus des milieux coloniaux et leurs séjours répétés au Congo sont leur principale source de légitimité. En outre, des contacts sont entretenus avec des territoriaux en fonction, qui donnent des « causeries pratiques » aux étudiants lors de leurs congés37. L’Université organise aussi des concours destinés à valoriser les travaux de ses anciens, concours dont l’une des éditions est remportée par Fernand Grévisse38.

Après des études à l’Université coloniale, sanctionnées par une grande distinction, Fernand Grévisse est nommé administrateur territorial de 2e classe, à titre provisoire, le 11 septembre 1931. Il est alors désigné pour le territoire de Bukama, en plein cœur du Katanga, où il effectue son stage. À la fin de son premier terme, en 1934, il est nommé administrateur territorial de 2e classe à titre définitif. Après son congé, il est désigné pour le territoire de Jadotville39, comme administrateur territorial assistant. En 1937, il obtient le grade d’administrateur territorial de 1re classe, mais doit attendre 1946 pour être promu administrateur territorial principal, et 1947 pour devenir commissaire de district assistant. Enfin, en 1951, il devient commissaire de district du Haut-Katanga. En tout, il effectuera six termes de trois ans entre 1931 et 195440.

Une certaine vision des coutumes et juridictions congolaises

16Ces territoriaux sont donc les contributeurs les plus représentés au sein du Bulletin. Il est toutefois important de noter que leurs « sujets de prédilection » ne sont pas les mêmes que ceux des missionnaires ou des magistrats, dont les textes côtoient les leurs. Préalablement à l’étude du travail de ces fonctionnaires, nous avons choisi de trier les articles du Bulletin en différentes catégories que nous avons construites afin de distinguer les thématiques abordées.

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Figure 1. Classement des articles du Bulletin des Juridictions indigènes et de Droit coutumier congolais en fonction de leur thématique et de la profession de leur auteur

17Quatre d’entre elles seront abordées ici, à savoir celles où les territoriaux sont les plus actifs : l’enquête sur le droit coutumier, l’organisation et les coutumes judiciaires, les études dites « ethnographiques » et enfin l’univers spirituel des populations.

Enquête sur le « droit coutumier »

18Il est une première catégorie d’articles qui témoigne de la participation du Bulletin à la construction du « droit coutumier » : dès les premiers numéros, une série de contributions ont pour point de départ les relevés de coutumes et les enquêtes effectués par les territoriaux, consacrant ainsi leur rôle dans le périodique. Le souhait de la rédaction, exprimé dans le premier numéro du périodique, de les voir participer au projet semble donc tout à fait satisfait.

19L’une de ces enquêtes connaitra un important écho dans le Bulletin : lancée en 1932, elle se focalise sur les populations du Katanga et consiste en un questionnaire élaboré par le Procureur Paul Van Arenberg41 et transmis aux administrateurs territoriaux de la province, « en leur qualité de présidents des juridictions indigènes »42. Son but est de recenser le « droit indigène » pour en encadrer l’évolution et, à terme, réaliser un répertoire de coutumes à l’usage des juges des juridictions coutumières43. Répondre à des enquêtes fait partie des attributions des fonctionnaires territoriaux : ceux-ci ont l’obligation de consacrer une partie de leur temps à l’étude des populations qui composent leur ressort en entretenant la documentation relative à celles-ci et en rédigeant régulièrement des rapports destinés à leur hiérarchie. Ce savoir a donc une portée utilitaire : connaitre les populations doit permettre de mettre en place une meilleure administration, notamment en termes de contrôle des individus44. Dans sa lettre, qui transmet le questionnaire de 1932 aux territoriaux, le Procureur Léon Bours45 indique d’ailleurs qu’il s’agit « d’un travail essentiellement pratique, qui sera immédiatement utilisable par vous-mêmes et vos auxiliaires, par vos successeurs et par le parquet. »46

20Le recours aux fonctionnaires pour réaliser des enquêtes n’est pas nouveau : en 1887, la première d’entre elles porte sur « l’organisation politique, civile et pénale des tribus du territoire de l’État indépendant »47. Confiée aux agents de l’EIC, aux magistrats et aux missionnaires, elle n’a pas encore pour but l’étude des populations, mais répond plutôt à des préoccupations matérielles liées à l’exploitation des ressources. En 1894, une autre enquête est consacrée aux « coutumes juridiques des peuplades congolaises » puis, au début du 20e siècle, à la structure politique des chefferies. Dès le départ, les agents de l’EIC, puis les fonctionnaires territoriaux du Congo belge sont donc considérés comme les observateurs ad hoc, parce que les autorités coloniales estiment très étroits leurs contacts avec les populations locales48. Ce recours aux membres de l’administration pour réaliser ces enquêtes n’est pas propre au Congo belge : ces pratiques se retrouvent dans d’autres espaces coloniaux au cours des 19e et 20e siècles49.

21L’enquête de 1932 connait une publicité grâce au Bulletin où paraissent, en 1933, deux articles d’Antoine Sohier apportant des précisions quant à la manière de remplir le questionnaire. Il indique en outre que les travaux de valeur seront publiés dans les pages du périodique. Il s’agit tant d’une manière de motiver la participation des administrateurs à l’enquête que de générer de nouvelles publications dans le Bulletin. L’objectif semble d’ailleurs atteint : dans les années qui suivent paraissent plusieurs articles dont la base n’est autre que le questionnaire50.

22En termes de contenu, le questionnaire a pour but de rassembler, outre les renseignements dits « généraux » sur le « groupe » étudié (situation géographique, autorité dirigeante, source de renseignement, etc.), des informations relatives à la famille et surtout au mariage (âge du mariage, cérémonial, mariage des « indigènes convertis à une religion chrétienne », rapports entre les époux et avec les beaux-parents, adultère, etc.), à la propriété mobilière (qui possède, que peut-on posséder, etc.) et foncière (notamment l’existence ou non de la propriété foncière), au droit pénal (infractions, gravité, peines) et à la procédure des tribunaux dits « indigènes »51.

23Indépendamment des réponses fournies par les administrateurs, le questionnaire mérite quelques critiques, notamment quant à sa conception. En effet, les différentes rubriques, dans leur formulation, ne font que reprendre des cadres de pensée européens qui ne sont pas toujours applicables au contexte congolais. Dans la rubrique « propriété foncière », il est par exemple demandé de s’informer de l’existence du concept de nue-propriété ou d’usufruit. Dans la rubrique « droit pénal », il s’agit de recueillir des informations sur les « principales catégories des infractions prévues », à savoir les vols, tromperie, injures, adultère, faux témoignages, coups et blessures, etc.52 Cette conception du questionnaire sur base de notions juridiques européennes semble contredire la volonté d’Antoine Sohier qui, dans un article apportant des précisions quant à la manière de répondre à l’enquête, affirmait que « l’européen lui-même est amené à mal observer les faits, à les déformer, s’il les examine au travers de théories, d’explications ou de formules préalablement élaborées. »53

24Les articles émanant de cette enquête entrent aisément dans la catégorie des « comptes rendus ethnographiques », tels que les décrit Jan Vansina. Ceux-ci répondent à plusieurs caractéristiques : tout d’abord, le propos est organisé en rubriques qui, la plupart du temps, constituent la seule trame des contributions et révèlent l’existence d’un questionnaire préalable à leur rédaction. En outre, ils traitent d’un groupe ethnique spécifique au sein d’un territoire déterminé, ce qui laisse peu de place à l’analyse comparative ou à la synthèse : il s’agit plus de décrire. Enfin, ils traduisent une conception « figée » des populations et de leurs coutumes54.

25Nous ne reviendrons pas sur le formatage des textes par le questionnaire, dans la mesure où tous les articles de la catégorie sont concernés. Quant à leur caractère descriptif, il est intéressant de remarquer que, dans ses consignes relatives à l’enquête, Antoine Sohier souligne la nécessité de « constater les faits ; il faut aussi essayer d’en dégager les règles, les principes, d’en rechercher le sens profond, mais cette partie du travail doit suivre la première et en être la résultante »55. La lecture des articles montre que les fonctionnaires se sont surtout concentrés sur la première instruction, délaissant la « recherche du sens profond ». Il en résulte des textes très descriptifs où l’auteur se contente de transcrire ce qu’il a vu ou ce qu’on lui a raconté. Certains avancent parfois des explications à l’un ou l’autre phénomène, qui restent cependant très partielles, comme on peut le voir dans l’étude de l’administrateur territorial René Wauthion sur le droit coutumier des Bena Bayashi56 : « Leur langue et leurs coutumes primitives semblent s’être fortement modifiées au contact de la langue et des coutumes des Baluba, qui sont leurs proches voisins, et avec lesquels ils paraissent avoir eu de tout temps de nombreux rapports. »57. Nulle part l’auteur n’indique ce qu’il entend par « coutumes primitives », ni lesquelles ont été modifiées par ces contacts ni de quelle manière elles l’ont été.

26Outre ce manque d’analyse, ces contributions révèlent une conception « figée » des coutumes, tant sur le plan social que temporel. Sur le plan social, cette idée relève d’un a priori de la part des colonisateurs : selon eux, les populations d’Afrique centrale sont organisées en « tribus » homogènes (en tout cas avant la colonisation), chacune ayant ses coutumes propres. Cette assertion se remarque dans les écrits des fonctionnaires à travers une tendance à la généralisation : les individus de telle tribu, dans tel contexte, agissent de manière similaire, et le ton utilisé ne laisse place à aucune exception58. Les propos de l’administrateur territorial Armand Van Malderen, au sujet de la propriété foncière des Bazimba59, illustrent ce constat :

Chacun cultive la terre que le chef lui a désignée. Les indigènes savent que la terre appartient au chef. La cession n’est possible qu’avec l’autorisation du chef. La propriété ou plutôt l’autorisation de cultiver une terre désignée cesse avec le décès de l’individu ou lorsque celui-ci quitte la chefferie. Les plantations appartiennent alors de droit au chef.60

27Sur le plan temporel, les fonctionnaires ont aussi tendance à concevoir les coutumes comme des usages très anciens et inchangés au fil du temps. Dans les deux cas, le caractère changeant et adaptatif des coutumes est totalement occulté. Cet aspect est illustré par l’utilisation presque exclusive de ce que Jan Vansina nomme « présent ethnographique », qui révèle une société précoloniale conçue comme figée et destinée à le rester61.

Organisation et coutumes judiciaires

28Cette catégorie regroupe les articles ayant trait à l’organisation judiciaire de la colonie. Il importe cependant de signaler que la plupart d’entre eux se concentrent sur les juridictions dites « indigènes » (tribunaux de territoire, de chefferie, de centre et de secteur), en particulier sur les coutumes qui y ont cours en matière de procédure, de composition, de peines, et sur les principes qui y dictent les jugements. Il est frappant de constater que la moitié des articles classés dans cette catégorie sont écrits avant la Seconde Guerre mondiale (soit en sept ans seulement). Cet intérêt pour les juridictions dites « indigènes » et les coutumes qui y sont appliquées (80 articles, dont 63 écrits par des fonctionnaires territoriaux) est une conséquence directe du décret de 1926 sur les tribunaux dits « indigènes »62. En tant que responsable des circonscriptions « indigènes » qui composent son ressort, le commissaire de district (qui, dans les faits, délègue souvent cette tâche aux administrateurs et agents territoriaux) est chargé d’effectuer une enquête destinée à reconnaitre les juridictions coutumières existantes comme « tribunaux de chefferie »63. L’enquête porte sur les coutumes en matière de procédure, de composition des tribunaux et d’autorité judiciaire (il ne s’agit pas toujours du chef).

29Plusieurs articles du Bulletin font écho à ces enquêtes : dès 1933, l’administrateur territorial Maurice De Ryck écrit par exemple deux articles sur les coutumes judiciaires des Lalia ; en 1934, collègue Guillaume Galdermans, également administrateur territorial, rédige une étude sur la justice chez les Bakumu ; en 1943, leur collègue Albert L’Heureux publie quant à lui les résultats de l’enquête préalable à la reconnaissance du tribunal de la chefferie Mwenge64. Les auteurs des articles ne se privent pas de commenter leurs observations et même de suggérer des « améliorations » à l’organisation en place. À propos de deux chefferies ayant été réunies et ne comptant donc qu’un seul tribunal reconnu, l’agent territorial D. Van Assche écrit, en 1935 :

La chefferie de Kalonga ayant été réunie à la chefferie de Kimese65, il serait de bonne politique pour éviter toute critique de la part des indigènes de Kalonga, de reconstituer le tribunal coutumier de Kalonga […]. Cette suggestion communiquée aux indigènes de Kalonga a entrainé un accord unanime.66

30Ces propos l’incertitude toujours présente quant l’organisation de la justice « indigène » : ils témoignent d’une tension persistante entre la volonté de faire coïncider l’organisation administrative et l’organisation judiciaire, et la question de l’ordre public, matérialisée ici par la crainte de l’agent de subir les « critiques » de ses administrés, qui souhaiteraient conserver leur juridiction propre (en dépit du rassemblement de leur chefferie avec une autre)67.

31Les contributions des fonctionnaires révèlent également la manière dont ils conçoivent ces tribunaux indigènes. Dans son enquête sur le tribunal principal de la chefferie de Kisamamba Kampombwe68, l’administrateur territorial Maurice Lacanne constate l’adoption du vocabulaire européen par les membres de la juridiction locale, fait qu’il commente en ces termes :

Depuis l’occupation européenne, le langage courant les désigne — par imitation — sous le nom de “ba-juges”. Ce terme est naturellement à proscrire, car il est de nature à créer une confusion dans l’esprit des natifs, qui ne sont que trop tentés de copier notre organisation judiciaire (comme toute notre organisation en général), alors que la volonté du législateur est de faire renaitre et de rendre officielle celle qui leur est propre.69

32Indépendamment de son paternalisme flagrant, cette citation est intéressante à plusieurs égards : pour cet administrateur (et pour la plupart de ses semblables), les tribunaux de chefferie, en tant qu’éléments de l’organisation judiciaire coloniale, sont les héritiers directs de la justice des chefs. Rares sont les coloniaux qui perçoivent la mutation radicale opérée entre ces deux institutions. En outre, Maurice Lacanne parle de « confusion » dans l’esprit des natifs, mais on pourrait avancer l’idée qu’ils sont finalement les plus lucides et que, mieux que les territoriaux, ils ont compris ce que signifiait réellement la soi-disant « reconnaissance » de leurs juridictions « traditionnelles ». Des études ont également montré que l’appropriation d’un vocabulaire juridique européen est conçue, par les colonisés, comme une manière de protéger leurs droits au sein d’un système judiciaire changeant70.

33Ces enquêtes portent également une grande attention à l’identification des juges coutumiers. La plupart des articles se penchent, souvent dans les premières lignes, sur l’énumération des notables participant à la justice « coutumière ». C’est le cas de l’article de l’administrateur territorial Marcel Thilmany sur l’organisation politique et judiciaire dans la chefferie Rutuku71 :

Notables de la chefferie […]

  1. – les “BAKATA”, qui sont les notables titrés ;

  2. — les “KAKUNA”, choisis parmi les vieillards ;

  3. — les “BITWALUMBE”, conseil se réunissant à la mort du chef. […]

  4. – les “BILOLO” qui sont les “capita” de village.

Charges actuelles respectives.

Twite. Est juge du tribunal de Chefferie. Est conseiller du chef.

Kianzula. Juge assumé du tribunal de chefferie. Remplace le chef et le twite en cas d’absence de ceux-ci.

Kianzula ya nyma : Adjoint du Kianzula. […]72

34Institutionnaliser la justice des chefs et créer de nouveaux tribunaux dits « indigènes » implique en effet de déterminer la composition de ceux-ci. En ce qui concerne par exemple le tribunal de secteur73, celui-ci est composé de deux juges congolais, choisis par le commissaire de district parmi les chefs et les notables de la circonscription. Le tribunal de centre compte entre un et trois juges. Quant au tribunal de territoire, il est présidé par l’administrateur territorial, assisté de deux assesseurs. Enfin, siègent au tribunal de chefferie les chefs investis74.

35À l’instar des chefs, les juges de ces tribunaux dits « indigènes » sont considérés par les autorités coloniales, dans une logique d’administration indirecte, comme de précieux intermédiaires en ce qui concerne la gestion (et donc l’exploitation) du territoire et de ses ressources (notamment humaines). Dans cette optique, il convient donc de les désigner avec soin, mais aussi de prendre garde à leur légitimité « coutumière ». Or la tâche est délicate. D’abord, les territoriaux sont souvent démunis, notamment d’un point de vue conceptuel, pour comprendre les jeux de pouvoir de la communauté observée. En outre, leurs informateurs congolais profitent parfois de ces lacunes pour faire valoir leurs intérêts ou ceux de leurs proches. Enfin, il arrive que les fonctionnaires choisissent de nommer le candidat qui leur semble le plus à même de servir leurs intérêts. Chefs et juges désignés par l’autorité coloniale sont donc parfois totalement dépourvus de l’autorité coutumière qu’ils sont censés incarner75.

Études de populations : les prétentions ethnographiques76 des fonctionnaires territoriaux

36L’étude des populations congolaises par les fonctionnaires territoriaux ne semble pas s’être cantonnée à la réponse à des questionnaires sur les coutumes et l’organisation de la justice dite « traditionnelle ». En effet, l’analyse de leurs contributions au Bulletin démontre que certains d’entre eux se sont livrés à des travaux plus généraux, s’intéressant tant aux aspects juridiques et judiciaires qu’à l’histoire, au mode de vie, à l’environnement géographique ou aux « croyances » des peuples du Congo. En tout, ce sont 34 articles (dont 32 rédigés par des territoriaux) qui entrent dans cette catégorie.

37On peut relever, parmi ces études, plusieurs constantes. Tout d’abord, elles se distinguent des autres textes parus dans le Bulletin par leur ampleur : généralement, il s’agit d’études totalisant parfois près d’une centaine de pages, et publiées dans plusieurs numéros77. En outre, les thèmes abordés par les auteurs sont bien plus larges que dans les réponses aux enquêtes. Dans son étude sur les Walendu, publiée en 1939, Marcel Maenhaut consacre plusieurs pages à décrire le cadre géographique dans lequel s’inscrit son travail : l’« aspect physique » de la région, l’orographie, l’hydrographie, la nature du sol et du sous-sol, la météorologie ou encore la faune retiennent son attention78. Enfin, à la différence des « comptes rendus ethnographiques », les auteurs cherchent à retracer l’histoire des populations étudiées. Une grande attention est portée à l’origine géographique des « tribus » et des « clans », aux lignées des « chefs »79 ainsi qu’aux migrations, aux rencontres et aux conflits entre « tribus » :

Par la suite de fortes éruptions volcaniques, semble-t-il, les Walese quittèrent ce pays pour chercher une terre plus hospitalière. La tradition explique ainsi cette émigration : “Du feu tombait à torrent des montages, envahissant bientôt la plaine et brûlant tout sur son passage : arbres, maisons, champs. En peu de temps, tout fut détruit et les gens moururent de faim”. Sous la conduite de Kalolu, les Abfunkotu [sous-tribu walese] quittèrent le lac. La première étape connue est le mont Ami. Nous ignorons les trajets effectués par les Walese entre le lac en question et le Mont Ami. Malgré toutes nos recherches, nous ne sommes pas parvenus à combler cette lacune, ce qui est très regrettable.80

38De manière récurrente, légendes et traditions orales sont souvent les seules sources sur lesquelles peuvent se baser les fonctionnaires pour étoffer les « aperçus historiques » des peuples étudiés81. Dans son étude sur les Balala82, l’administrateur territorial Lucien Lambo remarque d’ailleurs que

Comme pour l’ensemble des peuplades du Haut-Katanga, les Balala se souviennent fort mal des faits du passé et n’ont que des connaissances très fragmentaires de leurs ascendants. Ni les Chefs Ngosa Kapenda, Mopala, Mutumbi, Shinkaola, ni leurs notables, ni les anciens de ces chefferies ne sont parvenus à remonter à plus de 3 générations et à me citer les noms des Nfumus [chefs] s’étant succédés [sic].83

39C’est dans cette catégorie que s’illustre Fernand Grévisse, qui publie successivement huit articles sur les Bayeke au cours des années 1937 et 193884. Il y aborde l’histoire, les « croyances », l’organisation familiale, matrimoniale, politique et judiciaire, le statut des personnes, ou encore la propriété de cette communauté établie dans plusieurs chefferies du territoire de Jadotville, où il est alors administrateur territorial85. Dans ce cas-ci, il est difficile de concevoir que ces études constituent simplement la « récupération » de réponses à des enquêtes effectuées dans le cadre de ses attributions territoriales. Il s’agirait plutôt d’une véritable recherche, ce qui transparait notamment dans l’énumération de ses sources :

Les notes qui suivent sont le résultat d’investigations auxquelles nous nous sommes livrés depuis 1933. Complétés au cours d’un voyage que nous avons fait à Bunkeya durant le dernier trimestre de 1935, grâce à la bonne volonté dont ont fait preuve le chef Mwenda Kitanika et ses notables, nos renseignements ont été vérifiés une nouvelle fois. […] Quoique peu nombreux, il existait déjà des documents relatifs aux Bayeke et, qui mieux est, des documents de valeur. Citons ceux dont nous avons eu l’occasion de nous inspirer. D’abord, les Mémoires du chef Mokande Bantu. […] Signalons enfin une étude de Monsieur d’Administrateur territorial Cuvelier G., relative à l’esclavage chez des Bayeke. […] Au Musée de Tervuren il nous a été donné de trouver aussi quelques notes intéressant notre sujet.86

40Outre les investigations effectuées dans le cadre de ses fonctions territoriales, Fernand Grévisse a donc utilisé un panel varié de sources écrites, allant des mémoires aux travaux de ses collègues en passant par la documentation du Musée royal d’Afrique Centrale de Tervuren (sources qui ont sans doute été consultées durant ses congés en Belgique, dans la mesure où, lorsqu’il écrit ces lignes, il est toujours administrateur en fonction). Notre propos n’est pas ici d’évaluer la fiabilité ou l’exhaustivité de ces sources, mais bien de souligner la volonté de ne pas se cantonner aux observations en étayant celles-ci par des recherches complémentaires. À défaut de scientificité, on peut sans doute relever un réel « intérêt savant » pour le peuple étudié.

41Cet intérêt des fonctionnaires territoriaux pour les populations qu’ils côtoient est vivement souhaité par les autorités coloniales87. Il est encouragé par l’Université coloniale, où, selon Édouard De Jonghe, il existe un enseignement « assez complet » en ethnographie et en linguistique congolaise, qui fournit une « initiation suffisante aux recherches et aux enquêtes »88. Plus précisément, une série de professeurs de l’institution semblent pousser certains fonctionnaires vers les recherches sur les populations congolaises. C’est par exemple le cas de Georges Van Der Kerken, titulaire des cours d’ethnographie congolaise et d’institutions indigènes qui, selon Marc Poncelet, « patronne » dans les années 1930 et 1940 quelques jeunes administrateurs que nous retrouvons parmi les contributeurs du Bulletin89.

42Il est néanmoins difficile d’évaluer dans quelle mesure cet intérêt fut réellement présent chez chacun des fonctionnaires, quoique certains extraits nous permettent de penser qu’il n’était pas généralisé, comme nous l’explique Lucien Lambo qui, en 1946, déplore le manque de connaissance de « l’indigène » dont font preuve les jeunes territoriaux :

Fort peu de Territoriaux ne sont pas négrophiles […], mais peu à peu ils en viennent à le considérer comme voleur, paresseux, menteur et souvent font preuve d’une dureté injustifiée due en grande partie à la méconnaissance de la mentalité indigène. Les années venues, combien ce jugement n’évoluera-t-il pas si le Territorial se donne la peine d’étudier l’indigène en son milieu coutumier […], il arrivera à comprendre l’indigène et à trouver légitimes beaucoup de ses défenses et de ses réactions. De jeunes coloniaux arriveront bientôt de Belgique pour assurer la relève et s’ils devaient être désignés pour un “Poste” de l’intérieur, je ne puis que les encourager à s’efforcer de pénétrer la mentalité indigène et pour ce faire étudier les mœurs des indigènes.90

43Le panel dont nous disposons, à savoir les contributeurs du Bulletin, ne permet toutefois pas de répondre à cette question, dans la mesure où nous sommes justement en présence d’individus ayant fait la démarche de publier leurs écrits dans une revue, ce qui témoigne, sinon d’une réelle « passion ethnographique », au moins d’une volonté de « recycler » leurs rapports et autres résultats d’enquêtes menées dans leur circonscription.

44Néanmoins, force est de constater que cet intérêt pour les communautés congolaises n’est jamais indépendant de son contexte. La posture du colonisateur, la conscience de la « mission civilisatrice » à laquelle ils participent expliquent le ton condescendant, voire totalement péjoratif, avec lequel certains administrateurs décrivent les Congolais :

LEUR ÉTAT MENTAL. Les Walendu ont un caractère concentré et la tête dure d’un montagnard ; il est difficile de pénétrer dans les secrets de leurs traditions séculaires. Ils sont peureux parfois jusqu’à la lâcheté et sauvages parfois jusqu’à la cruauté. Plus laborieux que d’autres peuplades, ils sont comme tous nos indigènes réfractaires au travail, leurs terres très fertiles et situées sous un climat très favorable leur permettent d’appliquer la loi du moindre effort […]. Peu accueillants envers les étrangers ils ne fuient cependant plus l’européen dès qu’ils ont confiance en lui. Les Walendu deviendront un jour des sujets d’élite. Ce n’est pas seulement leur soumission que nous avons reçue, c’est leur confiance et leur attachement qu’ils nous donneront au fur et à mesure que nous les apprivoiserons.91

45Cette citation est un condensé de ce qu’on pourrait appeler les « préjugés coloniaux » : outre le titre de la section, qui, à lui seul, pose déjà question, on retrouve la référence à des « traditions séculaires »92, au caractère « sauvage » et cruel ou à la fainéantise. Le paternalisme de l’administrateur envers les Walendu est également bien palpable à travers l’utilisation des termes « confiance », « soumission » ou encore « apprivoiser »93. La rhétorique est à peu près la même chez l’administrateur Paul-Ernest Joset qui, traitant en 1949 des Walese94, écrit que

46« Leur mentalité est meilleure cependant : assez renfermés lords de l’arrivée d’un Européen, ils se familiarisent par un contact prolongé et se dérident ; caractère assez gai, mais ne comprenant pas la plaisanterie ; courageux à la chasse, mais ignorant le dévouement. »95

Univers spirituel et ordre public

47L’univers spirituel des Congolais est un autre sujet abondamment traité par les contributeurs du Bulletin, et notamment par les fonctionnaires territoriaux96. Sous cette dénomination, nous avons regroupé tous les articles abordant courants religieux, croyances, faits de « sorcellerie », « fétichisme », mouvements syncrétiques et autres « sociétés secrètes »97. L’intérêt des fonctionnaires territoriaux pour ces thématiques — en particulier la question des « associations fermées »98 et des « mouvements syncrétiques » — n’est pas non plus étonnant. En effet, durant toute la période coloniale, le sujet intéresse et inquiète les autorités, parce que certaines « sectes » font montre d’une grande force fédératrice et que leur constitution débouche parfois sur des revendications politiques menaçant l’ordre colonial99. En tant que représentants de l’État et responsables de l’ordre public dans leur ressort, les fonctionnaires territoriaux sont donc particulièrement attentifs au développement de ces mouvements qui, selon Flavien Kkay Malu, tiennent une place non négligeable dans « la contestation de l’œuvre coloniale et missionnaire »100.

48Selon ce dernier, on peut distinguer deux nouveaux types de « religiosité » durant la période coloniale : les uns relevant d’un syncrétisme entre christianisme et croyances locales (tel le Kimbanguisme, sans doute l’exemple le plus connu de mouvement syncrétique101), les autres dénués de toute influence chrétienne102. En ce qui concerne les auteurs du Bulletin, ceux-ci se concentrent majoritairement sur le second type, qu’ils désignent sous le nom de « sectes ». Entre 1935 et 1941, l’administrateur territorial Armand Van Malderen signe par exemple sept articles sur le sujet, dans lesquels il ne manque pas de souligner le danger qu’elles représentent :

49« Les Bakazanzi [membres d’une secte cannibale] sont fort nombreux et leur action malfaisante s’étend à tout le Katanga et le Maniema. Ils sont craints à l’égal d’un fléau mortel et n’en sont, malheureusement, que plus puissants. »103

50« Les “bakungwe” (initiés) ne craignent pas le blanc. […] Ne peuvent être admis dans la confrérie que ceux qui ont posé un acte dirigé contre le blanc : vol, refus de travailler, rébellion, etc. »104

51Ces quelques extraits révèlent l’inquiétude des fonctionnaires vis-à-vis de ces mouvements, dont l’existence même témoigne de la fragilité du contrôle des populations par les autorités coloniales, fragilité qui découle notamment du manque de connaissances sur ces mouvements. Malgré la volonté de les documenter pour mieux les comprendre, ils restent pour le moins opaques pour les territoriaux qui s’y intéressent. C’est ce qui transparait notamment dans l’article de l’agent territorial René Bouccin, en 1935, consacré à la secte des Anioto :

Le mobali nomme crime d’anioto tout meurtre commis de façon à laisser croire que la victime a été la proie d’un fauve. A de rares exceptions près, tous les assassinats qui furent portés à la connaissance des européens en pays mobali peuvent être attribués aux anioto. […] De nombreuses études ont été faites sur les anioto ; toutes diffèrent par leurs conclusions. Les unes présentent les anioto comme une bande de bravi chargés d’exécuter les vengeances individuelles ou collectives, d’autres y voient un moyen de domination entre les mains des chefs coutumier ou religieux, enfin, certains les considèrent comme des crimes rituels exécutés après certaines cérémonies […]. Les renseignements récemment recueillis permettent de dire que l’aniotisme comporte en réalité ces trois éléments.105

52Cette incertitude est, selon lui, à imputer aux Congolais eux-mêmes qui refusent souvent de fournir des informations sur les sectes aux autorités :

Il est visible que les Babali craignent avant tout de donner aux européens des renseignements sur ces affaires purement indigènes, d’où leur inclinaison à attribuer tous les méfaits des anioto au léopard, les parents des victimes sont les premiers à faire des déclarations équivoques. La découverte des instruments servant au meurtre […] prouvent que tous les moyens sont mis en œuvre pour provoquer la confusion.106

53La citation est remarquable dans le sens où elle illustre les limites du contrôle colonial sur les natifs. Imputer des crimes aux fauves est une manière de masquer une réalité tout autre et permet au groupe de conserver une certaine autonomie dans ses affaires en se soustrayant à l’influence européenne (ici, en matière de justice). En d’autres termes, l’explication du crime par les Anioto offre aux natifs une marge de manœuvre sur laquelle l’administration a peu de prises. Cette hypothèse semble se confirmer lorsqu’on parcourt la suite de l’article : René Bouccin explique que « certains indigènes disent que les Anioto n’existaient pas avant l’arrivée des européens »107. Il est ainsi possible de comprendre ce mouvement comme une réaction des Congolais au contrôle colonial, destinée à préserver leur autonomie dans certains domaines108.

54Si les territoriaux ont toutefois conscience que quelque chose se déroule à leur insu, ils sont souvent totalement dépourvus des outils nécessaires pour expliquer ces phénomènes. Cette incompréhension des mouvements sectaires par les fonctionnaires entraine ce que les chercheurs ont appelé « anxiétés coloniales » : le manque de connaissance des populations congolaises, de leurs pratiques et de leur univers spirituel conduit inévitablement au développement de craintes vis-à-vis de toute manifestation inconnue, à la volonté de se renseigner le mieux possible sur celle-ci et à une répression souvent violente109. Les mots de Fernand Grévisse à propos des fonctionnaires de la « relève » illustrent ce phénomène :

Ils sont emportés par l’action, sans formation suffisante. Au bout de cette action, il y a […] la vanité des réalisations matérielles qui ne s’accompagne pas […] de la pénétration de la mentalité et des coutumes indigènes, il y a la profonde déception de ne saisir que les apparences des êtres et des choses, de perdre toute sympathie pour la vie indigène et de n’avoir à compter que sur la force pour se faire obéir.110

55Plus largement, cette notion d’anxiété renvoie à la « nature instable » du fait colonial, menacé « par des forces indigènes toujours insuffisamment contenues »111. Nancy Rose Hunt parle quant à elle d’une « paranoïa » qui exprime « la nervosité d’un État sécuritaire »112. Cette anxiété coloniale se retrouve également dans l’évocation des mouvements syncrétiques. Seul un article — anonyme — aborde une forme de syncrétisme, le Kitawala. Né au Nyassaland et en Rhodésie du Nord, ce mouvement constitue une interprétation locale des prédications des missionnaires de la Watch Tower Society (devenus les Jeovah’s Witness en 1934). Le Kitawala atteint le Katanga vers 1922, où il trouve un terrain fertile parmi les ouvriers des exploitations minières. Le mouvement inquiète rapidement les autorités dans la mesure où sa doctrine ne s’adresse qu’aux Congolais et met en valeur une série d’idées millénaristes ne cadrant pas avec l’ordre colonial : égalité des « races », renversement prochain des pouvoirs établis, richesses détenues par des étrangers qui tiennent leur pouvoir de Satan, refus d’écouter les ordres des Européens, etc.113 L’article du Bulletin consacré au Kitawala liste certaines de ces idées :

Ce qu’il importe de ne pas perdre de vue pour l’avenir ce sont les déclarations qui suivent, ouvertement faites au cours de leur propagande par tous les sectateurs du Kitawala ou Watch Tower :

“Un jour, au son de la cloche, il y aura un ralliement de tous les membres de la Watch Tower. Il marquera le début de la lutte contre les blancs dont on prendra les biens”.

“Nous voulons expulser de la terre des noirs, tous les hommes de race blanche et tous ceux qui ne seront pas avec nous partiront avec eux ou seront changés en animaux sauvages et malfaisants”.114

56Il est aisé de comprendre la menace que représente un tel mouvement pour les autorités coloniales, pour qui il constitue une sorte de « contre-pouvoir » ou de « résistance »115. Elles tentent donc de le faire disparaitre, notamment en dispersant ses adeptes à travers la colonie. Ces relégations ne portent pas leurs fruits : au cours des décennies suivantes, le mouvement refait surface de manière épisodique : l’article mentionne des « crimes » commis dans le territoire de Sakania vers 1925, ainsi que des « foyers d’active propagande » découverts à Élisabethville en 1927. Il fera encore surface au lendemain de la Seconde Guerre mondiale116.

57La violence avec laquelle les autorités coloniales combattent ces mouvements (l’article mentionne des auteurs de « crimes » condamnés à la peine capitale117) témoigne, selon Benoit Henriet, de la difficulté qu’elles éprouvent à les comprendre ; en compensation, elles réagissent par « une démonstration de force théâtralisée »118. Cette violence est d’autant plus exacerbée qu’il n’est pas aisé de se débarrasser définitivement de ces « sectes », notamment à cause de leur succès : selon Flavien Nkay Malu, celui-ci s’explique par les « réponses concrètes qu’elles proposaient aux problèmes vitaux de leurs adeptes (la maladie, la sorcellerie, les impôts et les corvées exigées par le colonisateur, la pauvreté, etc.). »119. Florence Bernault indique quant à elle, en ce qui concerne les mouvements syncrétiques, qu’ils « fournissent aux opprimés un moyen d’analyse et de “révélation de leur situation »120. Ces différentes formes de religiosité peuvent donc être interprétées comme une réaction des Congolais à l’exploitation, au manque de reconnaissance sociale et politique dont ils sont victimes ainsi qu’au mépris dont font preuve certains coloniaux vis-à-vis de leur culture121.

De la valeur des études des fonctionnaires territoriaux : quelques pistes

58Avant de conclure, il convient de donner quelques pistes susceptibles d’ouvrir la réflexion sur la valeur des écrits de ces fonctionnaires. Tout d’abord, bien que le discours colonial dominant tende à les présenter comme les « experts » des populations autochtones, leur aptitude à écrire sur des sujets « ethnographiques » ou « coutumiers » est assez discutée durant la période coloniale. Édouard De Jonghe estime que leur formation à l’Université coloniale ou à l’École coloniale leur a fourni les éléments nécessaires pour effectuer des recherches122. Pour d’autres, ils ne sont pas compétents et doivent abandonner ces investigations à de vrais ethnologues ou, à tout le moins, être encadrés par ces derniers. Jean Sohier, fils d’Antoine Sohier et également magistrat, estime quant à lui que l’étude des coutumes doit être d’abord confiée aux juristes (mais ne manque pas de saluer le travail de certains administrateurs qui « se sont fait un nom par leurs publications coutumières »123)124.

59Sur le plan scientifique, la capacité des fonctionnaires à décrire les coutumes et les pratiques des Congolais est donc contestée. Toutefois, leur « proximité » avec les populations, leur connaissance des langues, leur pratique du terrain ne sont presque jamais remises en cause et forment la base de leur légitimité en matière ethnographique. Cette affirmation mérite toutefois d’être nuancée : des études récentes ont montré que cette proximité, déjà bien relative (un territoire représente parfois l’équivalent de plusieurs provinces belges), n’est en aucun cas un gage de connaissance des populations. Cette question est à mettre en lien avec celle des sources : on sait qu’outre leur expérience et leurs observations, les fonctionnaires ont aussi interrogé des Congolais pour rédiger leurs contributions (et, à fortiori, les rapports et autres réponses aux enquêtes, dont ces articles, se font parfois l’écho). Il n’est pas rare que ces derniers fournissent volontairement de fausses informations, notamment pour favoriser leurs intérêts : d’une certaine manière, il s’agit ici d’un acte de résistance aux velléités de « contrôle » par le « savoir ». En outre, la barrière de la langue et le recours à des interprètes, les modalités de l’entretien, la relation entretenue avec l’interlocuteur et l’inévitable interprétation des propos recueillis constituent également des biais en matière de fiabilité de l’information125.

60En ce qui concerne ces informateurs africains, il est intéressant de noter que leur nom n’est que rarement cité126. Les mentions de sources écrites sont tout aussi rares127, ce qui signifie tant un défaut de rigueur en termes de citations qu’un manque de documentation. Dans la plupart des cas, les informations semblent provenir d’études parfois assez anciennes, de recueils de jurisprudence des tribunaux indigènes ainsi que de rapports conservés dans les archives des districts et territoires (notamment des réponses aux enquêtes). Certains auteurs « recyclent » ces rapports, voire des rapports rédigés par d’autres, ce qui donne parfois lieu à du plagiat. La qualité et la fiabilité des articles qui en découlent sont souvent plus que relatives, notamment parce que les informations ne sont pas de première main128.

61Aborder ces rapports nous amène évidemment à la question de l’orientation de ceux-ci. Le contexte de production de ces sources est en effet particulier, parce que leur rédaction est toujours intéressée : ordonnés par les autorités, ces rapports sont révélateurs du fait que la connaissance des populations est considérée comme une condition de leur domination. Ils ont donc une finalité essentiellement pratique, dans la mesure où leur rédaction participe à la gestion quotidienne des territoires. Cette idée s’applique tant aux rapports des fonctionnaires qu’à leurs articles dans le Bulletin : à travers leur contribution à cette revue, ils participent à la constitution des « sciences coloniales » dont la portée est tant scientifique qu’utilitaire. La connaissance de la colonie, de ses ressources et de ses habitants sert tant à déterminer les politiques qu’à légitimer l’entreprise coloniale129.

62Indépendamment de la dimension « utilitaire » de ce savoir, la position de colonisateurs — et d’Européens — qu’occupent ces territoriaux influe de manière inévitable sur leur perception et les empêche d’appréhender correctement les pratiques autres coutumes congolaises qui leur sont données à voir130. Il faut dire que la formulation des questionnaires et autres enquêtes auxquels ils sont chargés de répondre ne les y aide pas. En 1960, Jean Sohier, critiquant un questionnaire conçu dans le cadre d’une campagne de relevé des coutumes, souligne le biais que constitue l’usage de cadres de pensée européens pour étudier les réalités congolaises :

[…] ce plan ne coïncide pas au génie propre au droit coutumier ou de chacune des coutumes en particulier. Certaines matières originales en sont presqu’ainsi escamotées. […] De plus, chaque matière devait être introduite par une définition de droit, énonciation toute européenne qui risquait de gauchir la réalité coutumière.131

63Enfin, les motivations poussant les territoriaux à écrire dans le Bulletin doivent aussi être abordées. Tout d’abord, il ne peut s’agir d’un intérêt financier, la revue ne rémunérant pas ses contributeurs132. On peut imaginer aussi une certaine pression exercée par Antoine Sohier, en tant que supérieur hiérarchique, sur le développement des études de « droit coutumier ». Pour certains, mener des recherches et en publier les résultats est aussi un moyen de se faire bien voir, tant en métropole que par ses supérieurs. Fernand Grévisse, par exemple, tente en 1950 de faire valoir ses recherches pour accéder au grade de Commissaire de District, qu’il finira par obtenir133. En outre, écrire dans le Bulletin peut être une manière de tromper l’ennui : les manuels et les ouvrages d’introduction aux carrières coloniales conseillent en effet à ceux qui s’embarquent pour le Congo de se trouver un passe-temps, par exemple l’étude de questions ethnographiques, botaniques ou zoologiques. À cet égard, Fernand Grévisse mentionne par exemple l’enquête de 1932 sur le droit coutumier qui, selon lui, suscita l’intérêt de beaucoup de territoriaux du Katanga pour ces questions134.

64On ne peut écarter la possibilité que certains de ces fonctionnaires aient éprouvé un intérêt sincère pour les populations congolaises135. Par exemple, les rapports de stage et évaluations de Fernand Grévisse ne manquent pas de souligner, dès le début de sa carrière, qu’il « s’intéresse à tout ce qui est son métier et, plus spécialement, aux us et coutumes des indigènes qu’il tente de pénétrer et de connaitre à fond »136 et que « les études ethnographiques le passionnent »137. Il n’est sans doute pas le seul : il est significatif de remarquer la présence de plusieurs collaborateurs du Bulletin dans les centres de recherches nés dans l’après-guerre (par exemple, le CEPSI138), ce que l’on peut interpréter comme une preuve de leur intérêt pour ces sujets139.

Conclusion

65Au terme de cette démonstration, plusieurs idées méritent d’être soulignées. Tout d’abord, il convient de rappeler à quel point le contexte colonial et la posture de ces territoriaux vis-à-vis de leurs administrés influent sur leurs écrits, et ce, de plusieurs manières. D’une part, indépendamment du contenu des articles, les thèmes abordés par les fonctionnaires sont révélateurs des préoccupations et des inquiétudes de la Territoriale — et, plus largement, des autorités coloniales — : les enquêtes sur le droit coutumier, ainsi que celles préalables à la « reconnaissance » des tribunaux de chefferie sont étroitement liées à certaines tâches confiées à ces fonctionnaires ; elles découlent directement des réorganisations judiciaires et administratives de l’entre-deux-guerres (soulignant ainsi le caractère pragmatique de certaines contributions) ; les articles sur les « sectes » traduisent l’anxiété des territoriaux vis-à-vis de ces mouvements qu’ils peinent à comprendre et qui semblent menacer l’ordre colonial ; enfin, les études sur les populations reflètent l’intérêt manifeste de certains fonctionnaires pour l’histoire, le mode de vie, l’environnement et les coutumes de ces groupes.

66D’autre part, ces écrits sont souvent empreints de nombreux « lieux communs » coloniaux, qui se retrouvent dans la manière dont ces fonctionnaires décrivent les peuples, leurs coutumes et leurs pratiques. Outre l’emploi d’un vocabulaire parfois péjoratif, on relève par exemple une vision figée des coutumes, dont la capacité d’adaptation est pourtant, par définition, l’une des principales caractéristiques. De la même manière, les fonctionnaires ont aussi tendance à concevoir la société congolaise comme composée de tribus aux racines très anciennes, ancrées dans un territoire précis et restées inchangées au fil du temps, ce qui est loin de correspondre à la réalité. Enfin, il est aussi symptomatique de constater que leur position, leurs a priori racialistes les empêchent de comprendre les phénomènes — notamment religieux — qui se déroulent devant leurs yeux.

67Ces considérations permettent de remettre en question l’assertion — largement répandue durant la période coloniale — selon laquelle les territoriaux sont des « experts de l’indigène ». Comme l’a souligné Benoit Henriet, ces fonctionnaires peinent à s’informer sur ce qui les entoure, en raison du refus de certains notables de fournir les renseignements demandés, mais aussi à cause de leur incompréhension de ces phénomènes. De cette incompréhension découle une volonté constante de collecte d’informations, mais aussi une certaine « anxiété » vis-à-vis de ces phénomènes incompris.

68Étudier les contributions des territoriaux à une revue juridique permet aussi de clarifier leur rôle dans la construction des « sciences coloniales belges ». En effet, si tous les fonctionnaires ne publient pas d’articles ou d’ouvrages, ils participent tous, d’une manière ou d’une autre, à la construction du savoir sur les populations du Congo et leurs coutumes, dans la mesure où s’intéresser à ces sujets fait partie de leurs attributions. Tous effectuent des enquêtes, répondent à des questionnaires et rédigent des rapports, qui, s’ils ne donnent pas lieu à une publication par leur auteur originel, peuvent être utilisés par d’autres dans le cadre d’une activité « savante ». Cependant, il convient de souligner la portée utilitaire de ces « écrits de pragmatiques » : il s’agit en effet de récolter des informations pour déterminer les politiques à mettre en œuvre, organiser les circonscriptions ou encore étudier les coutumes pour en favoriser l’application (c’est le cas de l’enquête sur le droit coutumier). Le travail de ces fonctionnaires territoriaux dans la production de ce savoir colonial ne peut donc pas être considéré comme une activité scientifique désintéressée, mais comme la participation à une dynamique dans laquelle le savoir est utilisé à des fins de domination. Écriture, savoir et pouvoir sont ici intimement liés.

69Enfin, certains points de notre exposé pourraient être approfondis. Par souci de concision, nous n’avons par exemple exploité que quatre thématiques, mais d’autres, notamment le mariage et la famille, mériteraient de plus amples développements, les articles concernés constituant un important corpus pour les études sur le sujet. En outre, la valeur « scientifique » des écrits de ces fonctionnaires gagnerait à être étudiée de plus près. Une analyse des citations auxquelles ces travaux ont donné lieu dans d’autres textes devrait pouvoir indiquer dans quelle mesure ceux-ci ont fait ou non autorité dans leur domaine. La question des parcours, des profils et des motivations est elle aussi intéressante dans la mesure où les recherches sur les populations et les coutumes n’ont sans doute pas occupé la même importance dans le travail de tous ces fonctionnaires. Fernand Grévisse, nous l’avons vu, constitue à cet égard un cas particulier. Une piste de réponse serait de se pencher sur la présence des contributeurs du Bulletin dans les divers centres de recherches fondés au Congo dans l’après-guerre. Le dépouillement des dossiers personnels des fonctionnaires, ainsi que des archives de ces centres, devrait pouvoir fournir certaines réponses.

Notes

1 Cet article est issu des recherches effectuées dans le cadre du projet Belgafrican Magistrates Social Networks (Belgafrican Magistrates Social Networks – Présentation du projet, sur Centre de Recherches en Histoire du Droit et des Institutions, ­[en ligne] < https://www.crhidi.be/contrats-de-recherches/belgafrican-magistrates-social-networks/ >, consulté le 10/01/2020 ; voir également E. Ngongo, B. Piret, L. Montel et P. le Polain de Waroux, Prosopographie et biographie : regards croisés sur la magistrature coloniale belge, dans C@hiers du CRHiDI, 2017, n°40, [en ligne], < https://popups.uliege.be:443/1370-2262/index.php?id=356 >, consulté le 05/12/2019).

2 Cet intérêt pour la colonie et ses habitants donne naissance à ce qu’on appelle les « sciences coloniales belges » : voir M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, Paris, Karthala, 2008 ; Id., Colonisation, développement et sciences sociales. Éléments pour une sociologie de la constitution du champ des « arts et sciences du développement » dans les sciences sociales francophones belges, dans Bulletin de l'APAD, n°6, 1993, p. [en ligne] < http://journals.openedition.org/apad/2503 >, consulté le 17/12/2019 ; J. Lagae, Sur la production du savoir et le rôle de la science dans le contexte colonial belge, dans La mémoire du Congo : le temps colonial, éd. J.-L. Vellut, S. Cornelis et D. de Lame, Tervuren / Gand, Musée royal de l’Afrique centrale / Snoeck, 2005, p. 131 ; sur les sciences coloniales dans d’autres contextes coloniaux, voir le travail de Pierre Singaravélou (P. Singaravélou, Le moment « impérial » de l'histoire des sciences sociales (1880-1910), dans Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, vol. 27, 2009, n°1, p. 87-102).

3 De nombreuses études ont déjà mis en relation savoir et pouvoir colonial, et ce depuis les années 1970 (A. L. Stoler et F. Cooper, Between Metropole and Colony. Rethinking a Research Agenda, dans Tension of Empire. Colonial Cultures in a Bourgeois World, éd. Id., Berkeley / Los Angeles / London, University of California Press, 1997, p. 11-18 ; S. Berry, Hegemony on a Shoestring: Indirect Rule and Access to Agricultural Land, dans Africa: Journal of the International African Institute, vol. 62, 1992, n°3, p. 331.

4 Sur cet « ordre juridique précolonial » et ses évolutions, voir notamment J. Vanderlinden, Regards sur la rencontre d’un ordre colonial et d’ordres précoloniaux. Fragments relatifs au destin des droits originellement africains dans le système juridique colonial belge, dans L’ordre juridique colonial belge en Afrique centrale. Éléments d’histoire, éd. E. Lamy et L. De Clerck, Bruxelles, ARSOM, 2004, p. 357-436 ; B. Durand, Introduction historique au droit colonial. Un ordre au gré des vents, Paris, Economica, 2015 ; Id. et P. Vielfaure, Les Justices en monde colonial : un ordre en recherche de modèles, Montpellier, Faculté de droit et de science politique de l’Université de Montpellier, 2016.

5 N. Tousignant, The Belgian Colonial Experience and legal Journals (1908-1960): An Overview, dans C@hiers du CRHiDI, 2015, n°37, [en ligne] < https://popups.uliege.be:443/1370-2262/index.php?id=230 >, consulté le 13/12/2019 ; E. Ngongo, B. Piret, L. Montel et P. le Polain de Waroux, op. cit. ; P. Singaravélou, op. cit.

6 Cité après Bulletin.

7 Loin de cautionner ces termes, nous les utiliserons toutefois entre guillemets afin de marquer notre prise de distance vis-à-vis du vocabulaire colonial de l’époque. Ils seront en outre explicités dans les pages suivantes.

8 N. Tousignant, The Belgian Colonial Experience and legal Journals, op. cit.

9 M.-B. Dembour, Recalling the Belgian Congo. Conversations and Introspection, Londres/New-York, Berghahn, 2000 ; C. Niyihangejeje, Université coloniale de Belgique, 1920-1945, Louvain-la-Neuve, Université catholique de Louvain (UCL), 1976 (Mémoire de licence en histoire) ; P. Vanhay, Travail et progrès : le parcours professionnel et privé des agents de la territoriale congolaise : au Katanga dans l’Entre-deux-guerres, Louvain, UCL, 2012 (Mémoire de master en histoire).

10 La rédaction, A nos lecteurs, dans BJIDCC, t. 1, 1933, n°1, p. 1.

11 A. L. Stoler et F. Cooper, op. cit., p. 17-18 ; . Dewière et S. Bruzzi, Paroles de papier. Matérialité et écritures en contextes africains, dans Cahiers d’études africaines, n°236, 2019, p. 951.

12 Antoine Sohier (Liège, 1885 – Bruxelles, 1863) est un magistrat belge, docteur en droit de l’Université de Liège. Après son stage au barreau de Liège, il devient magistrat au Congo, en 1910. Après un stage au parquet de Lukafu, il débute sa carrière comme juge suppléant au Tribunal de première instance d’Élisabethville (aujourd’hui Lubumbashi) en 1911. En 1912, il est substitut du Procureur du roi. En 1915, lors de son deuxième terme, il devient Procureur du Roi ; en 1922, il est substitut du Procureur général, et en 1925, Procureur général près la cour d’appel d’Élisabethville, poste qu’il occupe jusqu’en 1934. Il retourne alors en Belgique où il gravit les échelons de la carrière judiciaire métropolitaine et devient président de la Cour de cassation en 1960 (E. Lamy, Sohier (Antoine Joseph), dans Biographie belge d’Outre-mer, Bruxelles, Académie royale des Sciences d’Outre-Mer (cité après ARSOM), t. VIII, 1998, col. 392-406 ; E. Ngongo, B. Piret, L. Montel et P. le Polain de Waroux, op. cit. Voir également la contribution de Romain Landmeters au présent numéro).

13 Joseph Derriks (Roclenge-sur-Geer, 1872 – Élisabethville, 1935) est un magistrat belge, docteur en droit de l’Université de Liège. Après une carrière dans la magistrature métropolitaine, il devient en 1924 président de la cour d’appel d’Élisabethville. Outre son travail au sein de la Société d’Études juridiques du Katanga, il contribue à la rédaction de la section Droit colonial des Novelles (A. Sohier, Derriks (Joseph-Marie-Stéphane), dans Biographie coloniale belge, Bruxelles, Institut royal colonial belge, t. III, 1952, col. 208-210).

14 Citée après Revue.

15 Dixième année, dans RJCB, t. 10, 1934, n°1-2, p. 2 ; L. Bours, Le 25e anniversaire de la « Société d’Études juridiques du Katanga », dans JTOM, t. 1, 1950, n°1, p. 9-10.

16 La rédaction, A nos lecteurs, op. cit., p. 1.

17 Pour d’avantage d’informations sur ces tribunaux ainsi que sur l’organisation judiciaire au Congo belge, voir la thèse de B. Piret, La justice coloniale en procès. Organisation et pratique judiciaire, le tribunal de district de Stanleyville (1935-1955), Thèse de doctorat en histoire, inédit, Bruxelles, Université Saint-Louis, 2016.

18 Ce constat n’est pas une spécificité belge. Cette volonté post-conquête de « stabilisation » via la mise en valeur du cadre coutumier prend place dans d’autres contextes coloniaux, à des époques qui diffèrent toutefois (T. Ranger, The Invention of Tradition un Colonial Africa, dans The Invention of Tradition, éd. Id. et E. Hobsbawm, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 249 ; S. Berry, op. cit., p. 334).

19 Voir notamment L. H. Gann, Belgian Administration in the Congo: An Overview, dans African Proconsuls: European Governors in Africa, éd. Id. et P. Duignan, New York, Free Press, 1978, p. 367-373 ; J. Stengers, The Congo Free State and the Belgian Congo, dans Colonialism in Africa, 1870-1960, vol. I : The History and Politics of Colonialism, 1870-1914, éd. L. H. Gann et P. Duignan, Cambridge, Cambridge University Press, 1969, p. 261-292.

20 T. Ranger, op. cit., p. 229 ; A. Lauro, « Une œuvre d’étaiement et de reconstruction ». Notes sur la fabrique du droit coutumier, le pouvoir colonial et l’ordre du mariage dans le Congo belge de l’entre-deux-guerres, dans Droit et Justice en Afrique coloniale. Traduction, production et réformes, éd. B. Piret, C. Braillon, L. Montel et P.-L. Plasman, Bruxelles, Université Saint-Louis, 2013, p. 165 et p. 170-174 ; C. Braillon, Le mariage indigène dans la doctrine juridique du Congo belge, dans L’Afrique belge aux xixe et xxe siècles. Nouvelles recherches et perspectives en histoire coloniale, éd. P. Van Schuylenbergh, C. Lanneau et P.-L. Plasman, Bruxelles, Peter Lang, 2014, p. 179-180 et p. 187.

21 Ibidem ; B. Piret, op. cit., p. 113-124 ; C. Braillon, La représentation du droit autochtone dans le discours colonial, op. cit., p. 241 ; T. Ranger, op. cit., p. 247-249. Sur « l’invention » de la coutume, voir M. Chanock, Law, Custom and Social Order: The colonial experience in Malawi and Zambia, Cambridge, Cambridge University Press, 1985 (African Studies Series n°45).

22 Entendue, selon le colonisateur, comme la « loi de l’indigène », la coutume est considérée comme la seule forme de droit de la société congolaise. L’utilisation du mot « coutume » révèle l’application d’un concept de droit européen (distinguant deux grandes sources du droit : la loi et la coutume – non écrite, synonymes d’usages locaux et d’ancienneté). Cette conception nie la possible évolution de la coutume et témoigne de son incompréhension de la part des colonisateurs : la coutume se caractérise en effet par sa flexibilité et son adaptation continue (C. Braillon., La représentation du droit autochtone dans le discours colonial : le cas du Congo belge et de la « coutume », dans Cahiers du CRHiDI, 2011, n°35-36, p. 141-142 et p. 149-156 ; J. Vanderlinden, Regards sur la rencontre d’un ordre colonial et d’ordres précoloniaux, op. cit., p. 366-369 ; S. Berry, op. cit., p. 328-338).

23 La rédaction, A nos lecteurs, op. cit.

24 E. Ngongo, B. Piret, L. Montel et P. le Polain de Waroux, op. cit. ; C. Braillon., La représentation du droit autochtone dans le discours colonial, op. cit., p. 141-142 ; S. Berry, op. cit., p. 329 ; J.-P. Magnant, Le droit et la coutume dans l’Afrique contemporaine, dans Droit et cultures, vol. 48, 2004, n°2, p. 5, [en ligne] < http://journals.openedition.org/droitcultures/1775 >, consulté le 19/12/2019 ; A. Lauro, « Une œuvre d’étaiement et de reconstruction », op. cit., p. 165-166 ; M. Chanock, op cit.

25 L. Bours, op. cit., p. 9 ; J. Vanderlinden, Regards sur la rencontre d’un ordre colonial et d’ordres précoloniaux, op. cit., p. 361 ; Id., L’ethnologie juridique en Belgique de Post à Lévi-Strauss, dans Rapports belges au Xe Congrès international de droit comparé (Budapest, 23-28 aout 1978), Bruxelles, Émile Bruylant, 1978, p. 2-5 ; J. Jadot, Antoine Sohier, dans Bulletin des séances de l’ARSOM, vol. 10, 1964, t. 1, p. 173 ; C. Braillon, La représentation du droit autochtone dans le discours colonial, op. cit., p. 144 et p. 151-152 ; Id. et E. Falzone, Mariage, droit et colonisation(s) en Amérique hispanique et au Congo belge : quelles concurrences ? dans Concurrences en mission. Propagande, conflits, coexistences (xvie-xxie siècle). Actes du 31e colloque du CREDIC, éd. S. Eyezo’o et J.-F. Zorn, Paris Karthala, 2011, p. 86 ; M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, op. cit., p. 324-329 ; A. Lauro, « Une œuvre d’étaiement et de reconstruction », op. cit., p. 165 et p. 177.

26 Cité après Journal.

27 A. Sohier, Comment étudier le droit coutumier congolais ? dans BJIDCC, t. 8, 1947, n°6, p. 173 ; Id., Le droit coutumier congolais, branche nouvelle du droit, loc. cit., t. 2, 1935, n°6, p. 119-127 ; La rédaction, A nos lecteurs, op. cit., p. 1.

28 M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, op. cit., p. 325-330; E. Ngongo, B. Piret, L. Montel et P. le Polain de Waroux, op. cit. ; N. Tousignant, The Belgian Colonial Experience and legal Journals, op. cit.

29 Le souhait de diversifier l’origine professionnelle des auteurs semble avoir été exaucé (La rédaction, A nos lecteurs, op. cit., p. 1-2 ; Id., Il y a vingt ans, BJIDCC, t. 11, 1953, n°1, p. 1-3 ; Société d’Études juridiques du Katanga. Statuts, dans RJCB, t. 35, 1959, n°2, p. 118-119), ce ce que confirme un relevé de la fonction des contributeurs du Bulletin (voir le tableau infra). sur les 462 études que compte le périodique, 264 (57%) sont écrites par des fonctionnaires territoriaux.

30 L. De Clerck, L’administration coloniale belge sur le terrain au Congo (1908-1960) et au Ruanda-Urundi (1925-1962), dans Annuaire d’Histoire administrative européenne, n°18, 2006, p. 187-193. Sur l’organisation administrative du Congo belge et le Service territorial, voir Id., L’organisation politique et administrative, dans éd. E. Lamy et L. De Clerck, op. cit. ; M.-B. Dembour, Recalling the Belgian Congo, op. cit.

31 Recueil à l’usage des fonctionnaires et des agents du Service territorial (cité après RUFAST), Bruxelles, Somers, 1920, p. 12 ; L. Dekoster, Le rôle de l’administrateur territorial, dans Revue générale belge, n°41, 1949, p. 772.

32 Cette disposition, qui implique une absence de séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire, sera critiquée dès l’État indépendant du Congo (EIC) par la magistrature : selon elle, les fonctions administratives des territoriaux les empêchent de consacrer assez de temps à l’exercice de la justice ; elle conteste aussi leur maitrise du droit et leur reproche d’utiliser leur activité judiciaire pour assurer l’exécution de certains travaux dont ils ont la charge (M.-B. Dembour, Recalling the Belgian Congo, op. cit., p. 28. ; B. Piret, op. cit., p. 39, p. 59-60 et p. 77-80 ; L. de Lannoy, La Justice et ses auxiliaires au Congo, Bruxelles, Imprimerie Essorial, 1929, p. 5-6 ; A. Sohier, Un début de carrière judiciaire, dans JTOM, t. 8, 1958, n°100, p. 145-146 ; J. Sohier, Réflexions d’un juriste sur « L’étude du droit coutumier », par le R. P. de Sousberghe, dans BJIDCC, t. 22, 1955, n°5, p. 113). Sur cette question dans d’autres contextes coloniaux, voir I. Merle, De la « légalisation » de la violence en contexte colonial. Le régime de l'indigénat en question, dans Politix, vol. 66, 2004, n°2, p. 137-162 ; L. Manière, Magistrats et administrateurs en Afrique occidentale française : deux conceptions de l’action judiciaire aux colonies, dans Clio@Themis, 2011, n°4, [en ligne] < https://www.cliothemis.com/Deux-conceptions-de-l-action >, consulté le 12/12/2019.

33 B. Piret, op. cit., p. 38-41, p. 76-80, p. 90 et p. 98-107 ; . Lamy, Le droit judiciaire, dans éd. Id. et L. De Clerck, op. cit, p. 198-204 ; L. De Clerck, L’organisation politique et administrative, op. cit., p. 139 ; Id., L’administration coloniale belge sur le terrain, op. cit., p. 187-193.

34 Sur l’École coloniale, voir J. Vanhove, Histoire du Ministère des Colonies, Bruxelles, ARSOM, 1968, t. 35-3, p. 15 ; A. Dumont, Une formation professionnelle pour les magistrats du Congo belge ? Entre théorie et pratique du droit colonial (1908-1960), dans Revue d’histoire des facultés de droit et de la culture juridique (à paraître).

35 Deux notions étroitement liées dans le discours colonial (E. Saada, The Empire of Law. Dignity, Prestige and Domination in the « Colonial Situation », dans French Politics, Culture & Society, vol. 22, 2002, n°2, p. 98-120).

36 F. Grévisse, Norbert Laude (éloge funèbre), dans Bulletin des séances de l’ARSOM, vol. 21, 1975, t. 1, p. 45-46 ; N. Laude, La formation des administrateurs territoriaux du Congo Belge par l’Université Coloniale de Belgique, Anvers, Le Trait d’Union, 1934, p. 5-15 ; M.-B. Dembour, Recalling the Belgian Congo, op. cit., p. 20 ; L. De Clerck, L’organisation politique et administrative, op. cit., p. 139-140.

37 Ibidem; N. Laude, Introduction aux carrières coloniales, dans Manuel des carrières aux éducateurs et aux jeunes gens, éd. P. Capart, Louvain, Éditions Rex, 1930, p. 273 ; M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, op. cit., p. 279-281 ; L. de Lannoy, op. cit., p. 20 ; A. Dumont, Une formation professionnelle pour les magistrats du Congo belge ?, op. cit., p. 8 ; C. Niyihangejeje, op. cit., p. 93-103.

38 L’étude récompensée porte sur Quelques aspects de l’organisation des indigènes déracinés en territoire de Jadotville (J. Sohier, Fernand Grévisse (éloge funèbre), dans Bulletin des séances de l’ARSOM, vol. 34, 1988, t. 1, p. 111). A noter que durant son congé de 1947, il donnera également une trentaine de conférences à l’Université (Archives des du Service Public Fédéral des Affaires étrangères (cité après AE), Service du personnel d’Afrique (cité après SPA) (K1159) 6919, Lettre du commissaire de district assistant, Fernand Grevisse, au Gouverneur général du Congo Belge, Élisabethville, 24 janvier 1950 ; (K3605) 21 516, Lettre du commissaire de district assistant du Haut-Katanga, Fernand Grévisse, au Gouverneur général du Congo belge, Élisabethville, 22 octobre 1948 ; M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, op. cit., p. 293).

39 Aujourd’hui Likasi, à 120 km au nord-ouest d’Élisabethville.

40 AE, SPA (K3496) 21037, Fiche matricule de Fernand Grévisse ; (K1159) 6919, Lettre du commissaire de district assistant, Fernand Grévisse, au Gouverneur général du Congo Belge, Élisabethville, 24 janvier 1950 ; J. Sohier, Fernand Grévisse (éloge funèbre), op. cit.

41 Paul Van Arenberg (Anderlecht, 1900 – Élisabethville, 1944) entame sa carrière en 1926 en tant que substitut du Procureur du Roi près le parquet d’Élisabethville, puis Kabinda et Jadotville. Il devient Procureur du Roi en 1935 et, en 1942, il est conseiller à la Cour d’appel du Katanga. Il est l’un des fondateurs de la Société d’Études juridiques du Katanga et collabore à maintes reprises à la Revue et au Bulletin, et fut également très actifs dans l’organisation du mouvement scout au Katanga (A. Gille, Arenberg (van) (Paul-Felix-Victor), dans Biographie belge d’Outre-mer, op. cit., t. VII-B, 1944, col. 11-14). 

42 A. Sohier, Enquête sur le droit coutumier, dans BJIDCC, t. 1, 1933, n°2, p. 22.

43 Si des répertoires furent réalisés, les coutumes congolaises ne furent jamais codifiées – notamment à cause de leur diversité et de leur manque d’homogénéité (M. Rolland, L'organisation de la justice au Congo Belge, dans Revue internationale de droit comparé, vol. 5, 1953, n°1, p. 108 ; H. M. G. Ouedraogo, De la connaissance à la reconnaissance des droits fonciers africains endogènes, dans Études rurales, n°187, 2011, p. 86-87 ; M. Chanock, op cit., p. 9) –, contrairement à ce qui se fit dans d’autres espaces coloniaux (voir par exemple M. Rodet, Genre, coutumes et droit colonial au Soudan français (1918-1939), dans Cahiers d’études africaines, n°187-188, 2007, p. 583 ; H. M. G. Ouedraogo, op. cit., p. 80).

44 A. Sohier, Enquête sur le droit coutumier, op. cit. ; Id., Mode d’emploi, loc. cit., t. 2, 1933, n°2, p. 37 ; P. van Arenberg, Coutumes indigènes. Questionnaire, loc. cit., t. 1, 1933, n°2, p. 23-28 ; E. Vandewoude, Documents pour servir à la connaissance des populations du Congo belge, Léopoldville, Archives du Congo belge, 1955, p. 6, p. 10-11, p. 19, p. 37 et p. 57 ; C. Braillon, Le mariage indigène dans la doctrine juridique du Congo belge, op. cit., p. 182 ; Id. et E. Falzone, op. cit., p. 86 ; F. Nkay Malu, Missionnaires belges et recherche ethnographique au Congo, dans Anthropologie et missiologie, xixe-xxe siècles. Entre connivence et rivalité. Actes du colloque conjoint du CREDIC et de l’AFOM, éd. O. Servais et G. Van’t Spijker, Paris, Karthala, 2004, p. 365 ; J. Vansina, The Ethnographic Account as a Genre in Central Africa, dans Paideuma. Mitteilungen zur Kulturkunde, t. 33, 1987, p. 442 ; J. Lagae, op. cit., p. 134 ; E. De Jonghe, Plan d’exploration ethnographique et ethnologique du Congo belge, dans Bulletin des séances de l’ARSOM, vol. 18, 1947, t. 2, p. 429 ; P. Vanhay, op. cit., p. 10-11.

45 Léon Bours (Liège, 1894 – 1981) est un magistrat belge, docteur en droit de l’Université de Liège. Il entame sa carrière au Congo, où il occupe les fonctions de Substitut du procureur du Roi près le tribunal de première instance, d’Élisabethville (1924), Procureur du Roi près le même tribunal (1929), Conseiller à la Cour d’appel d’Élisabethville (1935) et Procureur général près la même cour (1946-1949). À son retour en Belgique, il devient professeur à l’Université coloniale et professeur émérite de la faculté de droit de l’Université de Liège. Il est aussi vice-président de la Société d’études juridiques du Katanga (Base de données et répertoire des magistrats belges, sur Digithemis, [en ligne] < http://www.digithemis.be/index.php/applications/magistrats/acces >, consulté le 4/01/20) ; Le prochain départ de M. le Procureur général Bours, dans RJCB, vol. 25, n°2, p. 74-80).

46 Cité dans A. Sohier, Enquête sur le droit coutumier, op. cit., p. 23.

47 Cité dans C. Braillon, La représentation du droit autochtone dans le discours colonial, op. cit., p. 145.

48 Ibid., p. 145-150 ; Id. et E. Falzone, op. cit., p. 92 ; A. Sohier, Enquête sur le droit coutumier, op. cit., p. 22 ; M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, op. cit., p. 75, p. 95-96 et p. 190 ; Id., Colonisation, développement et sciences sociales, op. cit.,p. 6-7 ; E. Vandewoude, op. cit., p. 13-16.

49 Ibid. ; S. Berry, op. cit., p. 334-335 ; M. Poncelet., Colonisation, développement et sciences sociales, op. cit., p. 12-18 ; P. Singaravélou, op. cit., p. 88 ; V. Dimier, Le Commandant de Cercle : un « expert » en administration coloniale, un « spécialiste » de l'indigène ?, dans Revue d'Histoire des Sciences Humaines, vol. no 10, 2004, n°1, p. 40.

50 A. Sohier, Enquête sur le droit coutumier, op. cit., p. 22-23 ; Id., Mode d’emploi, op. cit., p. 37-39 ; J. Sohier, Réflexions d’un juriste sur « L’étude du droit coutumier », op. cit., p. 114. Certains titres d’articles revoient explicitement au questionnaire (notamment R. Wauthion, Le droit coutumier des Bena Bayashi, dans BJIDCC, t. 1, 1933, n°2, p. 28-3 et n°3 p. 44-54, ou A. Van Malderen, Enquête sur le droit coutumier. Le Droit Coutumier des Bazimba, loc. cit., t. 1, 1933, n°4, p. 67-74 et n°5, p. 89-95).

51 P. van Arenberg, op. cit.

52 Ibidem ; Voir aussi C. Braillon., La représentation du droit autochtone dans le discours colonial, op. cit., p. 144 ; Id., Le mariage indigène dans la doctrine juridique du Congo belge, op. cit., p. 181.

53 A. Sohier, Enquête sur le droit coutumier, op. cit., p. 22.

54 J. Vansina, op. cit., p. 434-439. F. Nkay Malu parle de « monographies régionales » (F. Nkay Malu, op. cit., p. 362).

55 A. Sohier, Enquête sur le droit coutumier, op. cit., p. 22.

56 Établis au nord du Katanga, dans le territoire de Kongolo (actuelle province du Tanganyika).

57 R. Wauthion, op. cit., p. 28.

58 B. Henriet, Des ethnographes anxieux. Pratiques quotidiennes du pouvoir au Congo belge, 1930-1940, dans Vingtième siècle. Revue d’histoire, t. 140, 2018, n°4, p. 43 ; J.-P. Magnant, op. cit., p. 5-7 ; J. Vansina, op. cit., p. 435 ; V. Dimier, op. cit., p. 41-42. Sur la question des tribus, clans et autres catégorisations coloniales, voir S. Berry, op. cit., p. 331-333 ; T. Ranger, op. cit., p. 247-250 ; C. Braillon, Le mariage indigène dans la doctrine juridique du Congo belge, op. cit., p. 182-183 ; M. Chanock, op cit., p. 9-10.

59 Établis sur la rive ouest du lac Tanganyika, autour d’Albertville (aujourd’hui Kalemie, province du Tanganyika).

60 A. Van Malderen, Enquête sur le droit coutumier. Le Droit Coutumier des Bazimba (suite), dans BJIDCC, t. 1, 1933, n°5, p. 90.

61 S. Berry, op. cit., p. 331 ; J.-P. Magnant, op. cit., p. 5-7 ; J. Vansina, op. cit., p. 437.

62 J. Vanderlinden, Regards sur la rencontre d’un ordre colonial et d’ordres précoloniaux, op. cit., p. 370.

63 M.-B. Dembour, Recalling the Belgian Congo, op. cit., p. 22 ; RUFAST, 1930, op. cit., p. 25 et p. 43 ; L. De Clerck, L’organisation politique et administrative, op. cit., p. 137 ; O. Louwers, Codes et lois du Congo belge. Textes annotés d’après les rapports du Conseil colonial, les instructions officielles et la jurisprudence des tribunaux, Bruxelles, Weissenbruch, 1914, p. 103.

64 M. De Ryck, Les coutumes judiciaires des Lalia, dans BJIDCC, t. 1, 1933, n°2, p. 31-34 et n°3, p. 39-41 ; C. Galdermans, La justice chez les Bakumu, dans BJIDC, t. 1, 1934, n°8, p. 155-158 ; A. Lheureux, Enquête préalable à la reconnaissance du tribunal de chefferie Mwenge, dans BJIDCC, t. 6, 1943, n°2, p. 21-22.

65 Situées dans l’actuelle province du Haut-Katanga, à proximité de Sampwe.

66 D. J. Van Assche, Organisation judiciaire coutumière. Enquête sur la composition des Tribunaux coutumiers des chefferies de Kimese et de Kalonga. Territoire d'Élisabethville, dans BIJDCC, t. 2, 1935, n°2, p. 37.

67 C. Braillon, Nouvelles perspectives sur le droit judiciaire du Congo belge et les acteurs de la justice coloniale : la procédure d’annulation des jugements indigènes, dans éd. B. Piret, C. Braillon, L. Montel et P.-L. Plasman, op. cit., p. 148.

68 Actuelle province du Haut-Katanga, au nord de Likasi.

69 M. Lacanne, Enquête sur le tribunal principal de chefferie de Kisamamba Kampombwe, dans BJIDCC, t. 2, 1936, n°7, p. 155.

70 C. Braillon, Nouvelles perspectives sur le droit judiciaire du Congo belge, op. cit., p. 144 ; M. Chanock, op cit., p. 3-4.

71 Située dans le territoire d’Albertville (actuelle Kalemie, province du Tanganyika).

72 M. Thilmany, Organisation politique et judiciaire des indigènes de la chefferie Rutuku, dans BJIDCC, t. 4., 1939, n°1, p. 8.

73 Le secteur rassemble plusieurs petites chefferies (C. Braillon, Nouvelles perspectives sur le droit judiciaire du Congo belge, op. cit., p. 144).

74 Ibid., p. 148-149 ; J. Vanderlinden, Regards sur la rencontre d’un ordre colonial et d’ordres précoloniaux, op. cit., p. 387-405 ; B. Piret, op. cit., p. 115-122.

75 Ibidem ; H. Vanhee, Maitres et serviteurs. Les chefs médaillés dans le Congo colonial, dans La mémoire du Congo : le temps colonial, op. cit., p. 79 ; S. Berry, op. cit., p. 334-340 ; B. Henriet, op. cit., p. 43-44 ; D. Maxwell, From Iconoclasm to Preservation : W. F. P. Burton, Missionary Ethnography, and Belgian Colonial Science, dans The Spiritual in the Secular. Missionaries and Knowledge about Africa, éd. Id. et P. Harries, Grand Rapids / Cambridge, William B. Eerdmans Publishing Company, 2012 (coll. Studies in the History of Christian Missions), p. 161 ; V. Dimier, op. cit., p. 45.

76 Nous utilisons l’expression « prétentions ethnographiques » pour rappeler que les fonctionnaires territoriaux ne sont pas des ethnographes professionnels. Selon Marc Poncelet, il n’existe pas d’ethnographie professionnelle au Congo avant la création, en 1947, de l’Institut pour la Recherche scientifique en Afrique centrale (IRSAC) (M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, op. cit., p. 17-18).

77 L’étude de Fernand Grévisse sur les Bayeke, publiée au cours des années 1937 et 1938, compte 104 pages (F. Grévisse, Les Bayeke, dans BJIDCC, t. 3, 1937, n°1, p. 1-14, n°2 p. 29-40, n°3 p. 65-74, n°4, p. 97-113, n°5, p. 125-140, n°6, p. 165-175 ; t. 3, 1938, n°7, p. 200-216, n°8, p. 238-241) ; celle de Lucien Lambo sur les Balala, en 1946, en compte 88 (L. Lambo, Étude sur les Balala, loc. cit., t. 7, 1946, n°8, p. 231-256 ; n°9, p. 273-300 ; n°10, p. 313-346).

78 M. Maenhaut, Les Walendu, loc. cit., t. 4, 1939, n°1, p. 1-3.

79 Sur l’intérêt pour les généalogies « claniques », voir B. Henriet, op. cit., p. 43-45.

80 P.-E. Joset, Notes ethnographiques sur la sous-tribu des Walese Abfunkotou, dans BIJDCC, t. 9, 1949, p. 3-4.

81 E. Vandewoude, op. cit., p. 46-47.

82 Localisés sur le territoire de Sakania, à proximité de la frontière rhodésienne, dans le district du Haut-Katanga (actuelle province du Haut-Katanga).

83 L. Lambo, Étude sur les Balala, op. cit., n°8, p. 235.

84 F. Grévisse, Les Bayeke, op. cit. Il semble que ces articles soient en fait la reprise, par chapitre de l’ouvrage publié par l’auteur (Id., Les Bayeke, Élisabethville, Éditions de la Revue juridique du Congo belge, 1937), qui semble avoir un certain crédit auprès des magistrats (J. Sohier, Réflexions d’un juriste sur « L’étude du droit coutumier », op. cit., p. 112 et p. 115-116).

85 SPA (K3496) 21037, Fiche matricule de Fernand Grévisse.

86 F. Grévisse., Les Bayeke, dans BJIDCC, t. 3, 1937, n°1, p. 1.

87 N. Laude, La formation des administrateurs territoriaux du Congo Belge, op. cit., p. 10 ; L. Dekoster, Le rôle de l’administrateur territorial, op. cit., p. 772-776. ; D. Maxwell, op. cit., p. 161 ; La rédaction, A nos lecteurs, op. cit., p. 1-2 ; A. Moeller, Préface à P.-E. Joset, Les Babira de la plaine, Anvers, Le Trait d’union, 1936, p. 7-8.

88 E. De Jonghe, op. cit., p. 432-433.

89 Notamment Maurice Willaert, Paul-Ernest Joset, F. De Ryck ou Adolphe Verdcourt. Georges Van Der Kerken préface d’ailleurs certains ouvrages écrits par ces administrateurs, par exemple celui de Verdcourt (A. Verdcourt, Notes sur les populations Badia, Anvers, Le Trait d’Union, 1934) et de De Ryck (F. De Ryck, Les Lalia-Ngolu, Anvers, le Trait d’Union, 1935) ; M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, op. cit., p. 241, p. 281 et p. 364 ; N. De Cleene, Kerken (Van Der) (Georges Louis Charles), dans Biographie belge d’Outre-mer, op. cit., t. VI, 1968, col. 568.

90 L. Lambo, Étude sur les Balala, op. cit., n°8, p. 231.

91 M. Maenhaut, Les Walendu, dans BJIDCC, t. 4, 1939, n°1, p. 6.

92 T. Ranger, op. cit., p. 247.

93 Sur ces « préjugés coloniaux », voir notamment L. Licata et O. Klein, Regards croisés sur un passé commun : anciens colonisés et anciens coloniaux face à l'action belge au Congo dans L’Autre : regards psychosociaux, éd. L. Licata et M. Sanchez-Mazas, Saint-Martin d'Hères, Presses Universitaires de Grenoble, 2005, p. 241-277 ; O. Likaka, Colonialisme et clichés sociaux au Congo belge, dans Africa : Rivista trimestrale di studi e documentazione dell'Istituto italiano per l'Africa e l'Oriente, vol. 52, n°1, p. 1-27

94 Établis dans le territoire d’Irumu, dans la province orientale (aujourd’hui dans la province de l’Ituri).

95 P.-E. Joset, Notes ethnographiques sur la sous-tribu des Walese Abfunkotou, op. cit., p. 6.

96 65 articles, dont 34 par des fonctionnaires territoriaux.

97 Sans grande surprise, cette catégorie est également alimentée par les écrits des missionnaires. Voir notamment F. Nkay Malu, op. cit., p. 346-353 ; T. Ranger, op. cit., p. 251-252 ; D. Maxwell et P. Harries, Introduction, dans éd. Id., op. cit., p. 6-7 et p. 17-18.

98 On préfèrera ce terme à celui de « société secrète », dans la mesure où les activités de ces mouvements se déroulent parfois en public, tandis que l’adhésion à ceux-ci est souvent restrictive (D. Johnson, Criminal Secrecy : The Case of the Zande « Secret Societies », dans Past and Present, n°130, 1991, p. 171, cité dans R. Loffman, On the Fringes of a Christian Kingdom: The White Fathers, Colonial Rule, and the Báhêmbá in Sola, Northern Katanga, 1909-1960, dans Journal of Religion in Africa, vol. 45, 2015, n°3-4, p. 303).

99 F. Nkay Malu, op. cit., p. 353-355 ; B. Henriet, op. cit., p. 47-48 ; D. Maxwell, op. cit., p. 180 ; M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, op. cit., p. 359 ; F. Grévisse, La Territoriale en question, dans Bulletin des séances de l’ARSOM, vol. 30, 1984, n° 4, p. 424.

100 F. Nkay Malu, op. cit., p. 353.

101 W. MacGaffey, The Implantation of Kimbanguism in Kisangani, Zaïre, dans Journal of African History, vol. 23, 1982, n°3, p. 381-394 ; A. Mélice, La désobéissance civile des kimbanguistes et la violence coloniale au Congo belge (1921-1959), dans Les Temps Modernes, 2010, n°2, p. 218-250.

102 F. Nkay Malu, op. cit., p. 353-356.

103 A. Van Malderen, La secte du « Bukazanzi », dans BIJDCC, t. 2, 1935, n°2, p. 42.

104 Id., Bwanga Bwa Tambwe, dans BJIDCC, t. 3, 1937, n°4, p. 119.

105 R. Bouccin, Les Anioto, loc. cit., t. 2, 1936, n°10, p. 252.

106 Ibidem.

107 Ibidem. 

108 P. Halen, Criminels et sectateurs. Quelques enjeux du récit d'énigme policière dans le contexte colonial, dans Crimes et criminels dans la littérature française. Actes du colloque international du CEDIC, éd. C. Foucart, Lyon, CEDIC, 1990, p. 278. Sur la manière dont les Congolais profitent de l’incompréhension de l’administration pour se ménager une marge de manœuvre et échapper à son contrôle, voir également B. Henriet, op. cit.

109 Sur les « anxiétés coloniales », voir N. R. Hunt, A Nervous State: Violence, Remedies, and Reverie in Colonial Congo, Durham / London, Duke University Press, 2016 ; H. Fischer-Tiné et C. Whyte, (2016) Introduction: Empires and Emotions, dans Anxieties, Fear and Panic in Colonial Settings. Empires on the Verge of a Nervous Breakdown, éd. H. Fischer-Tiné et C. Whyte, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2016, p. 1-23.

110 F. Grévisse, Exposé du programme du CEPSI, dans Bulletin du Centre d’Étude des Problèmes sociaux indigènes (CEPSI), 1948, n°7, p. 156.

111 I. Merle, op. cit., p. 161. Voir aussi A. Lauro, Maintenir l’ordre dans la colonie-modèle. Notes sur les désordres urbains et la police des frontières raciales au Congo Belge (1918-1945), dans Crime, Histoire & Sociétés, vol. 15, 2011, n°2, p. 97-98.

112 N. R. Hunt, Espace, temporalité et rêverie : écrire l'histoire des futurs au Congo belge, dans Politique africaine, 2014, n°135, p. 134.

113 F. Nkay Malu, op. cit., p. 354-355 ; Kitawala, dans BJIDCC, t. 6, 1944, p. 231 ; F. Bernault, De la modernité comme impuissance. Fétichisme et crise du politique en Afrique équatoriale et ailleurs, dans Cahiers d’études africaines, n°195, 2009, p. 751 ; M. Batende, La sorcellerie comme pratique sociale des Kumu et l’opposition au Kitawala, dans Social Compass, vol. 26, 1979, n°4, p. 492-494 ; S. A. Msellemu, Common motives of Africa's anti-colonial resistance in 1890-1960, dans Social Evolution & History, 2013, n°13, p. 150-151 ; N. R. Hunt, Espace, temporalité et rêverie, op. cit.

114 Kitawala, op. cit., p. 234.

115 J. Pirotte, Les religions dans les sociétés coloniales. L’Afrique centrale ex-belge, dans Histoire, monde et cultures religieuses, vol. 25, 2013, n°1, p. 124.

116 Ibidem ; Kitawala, op. cit., p. 231 ; M. Batende, op. cit., p. 494.

117 Kitawala, op. cit.

118 B. Henriet, op. cit., p. 49.

119 F. Nkay Malu, op. cit., p. 355.

120 F. Bernault, op. cit.

121 F. Nkay Malu, op. cit., p. 355 ; M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, op. cit., p. 359 ; J. Pirotte, op. cit., p. 125 ; A. Mélice, op. cit., p. 224-225 ; P. Halen, op. cit., p. 278 ; S. A. Msellemu, op. cit., p. 144-145 ; N. R. Hunt, Espace, temporalité et rêverie, op. cit.

122 E. De Jonghe, op. cit., p. 432-433.

123 J. Sohier, Introduction à R. Maes, Rapport sur le relevé des coutumes en circonscriptions Bazela, dans BJIDCC, t. 14, 1960, n°3, p. 180.

124 J. Sohier, Réflexions d’un juriste sur « L’étude du droit coutumier », op. cit., p. 108-109 et p. 118-121 ; E. Vandewoude, op. cit., p. 6-19 et p. 42-43 ; C. Braillon, Le mariage indigène dans la doctrine juridique du Congo belge, op. cit., p. 182.

125 Ibid. ; B. Henriet, op. cit., p. 45-49 ; V. Dimier, op. cit., p. 49 ; I. Merle, op. cit., p. 146 ; J. Lagae, op. cit., p. 138 ; A. Sohier, Enquête sur le droit coutumier, op. cit., p. 22-23 ; J. Vansina, op. cit., p. 434-440.

126 Quelques exceptions cependant, comme l’article de L. Lambo, Étude sur les Balala, dans BJIDCC, t. 7, 1946, n°8, p. 231-232.

127 Quelques exceptions également, notamment les travaux de Fernand Grévisse (voir supra).

128 C. Braillon et E. Falzone, op. cit., p. 86 ; J. Vansina, op. cit., p. 439 ; W. MacGaffey, Nationalisme kongo et ethnographie coloniale, éd. J.-L. Vellut, S. Cornelis et D. de Lame, op. cit., p. 121 ;J. Lagae, op. cit., p. 131-138 ; E. Vandewoude, op. cit., p. 6-19 et p. 42-53 ; J. Sohier, Réflexions d’un juriste sur « L’étude du droit coutumier », op. cit., p. 108 ; A. Sohier, Enquête sur le droit coutumier, op. cit., p. 22-23 ; J. Vansina, op. cit., p. 434-440 ; L. Dekoster, Le rôle de l’administrateur territorial, op. cit., p. 774 ; J. Sohier, Introduction à R. Maes, op. cit., p. 181.

129 Ibid. ; F. Nkay Malu, op. cit., p. 365 ; D. Maxwell, op. cit., p. 161 ; M. Poncelet, L’invention des sciences coloniales belges, op. cit., p. 362-363 ; J. Vanderlinden, L’ethnologie juridique en Belgique, op. cit., p. 5-6 ; E. De Jonghe, op. cit., p. 429 ; P. Singaravélou, op. cit., p. 97.

130 B. Henriet, op. cit., p. 49.

131 J. Sohier, Introduction à R. Maes, op. cit., p. 180

132 La rédaction, Il y a vingt ans, op. cit., p. 1.

133 AE, SPA (K1159) 6919, Lettre du commissaire de district assistant, Fernand Grevisse, au Gouverneur général du Congo Belge, Élisabethville, 24 janvier 1950 ; AE, SPA (K3496) 21037, Fiche matricule de Fernand Grévisse. Il n’est cependant pas certain que les recherches soient toujours considérées comme un plus pour la carrière, étant donné les divergences d’avis sur la question (A. Sohier, Comment étudier le droit coutumier congolais ?, op. cit., p. 174 ; J. Vansina, op. cit., p. 439).

134 F. Grévisse, Exposé du programme du CEPSI, op. cit., p. 156.

135 N. Laude, Introduction aux carrières coloniales, op. cit., p. 273 ; F. Grévisse., La Territoriale en question, op. cit., p. 424.

136 AE, SPA (K3605) 21 516, Rapport de stage de Monsieur l’administrateur territorial de 2e cl. à titre provisoire Grévisse F., rédigé par l’administrateur territorial De Lil, Bukama, 8 mai 1932 ; Rapport de stage de Monsieur Grévisse Fernand administrateur territorial de deuxième classe à titre provisoire, rédigé par l’administrateur territorial principal A. Van der Noot, Jadotville, 17 février 1934 ; Rapport spécial annexé au choix en faveur de Monsieur Grévisse F. Administrateur territorial de 2me cl., rédigé par le commissaire de district du Lualaba, A. Liesnard, Jadotville, 1er mai 1936. En 1948, s’adresse à l’IRSAC, qu’i souhaite intégrer en tant que chercheur, afin de poursuivre ses travaux en cours (AE, SPA (K1159) 6919, Lettre du commissaire de district assistant, Fernand Grevisse, au Gouverneur général, Élisabethville, 31/12/1948 ; AE, SPA (K1159) 6919, Lettre du commissaire de district assistant, Fernand Grevisse, au Président de l’IRSAC, Élisabethville, 31/12/1948).

137 AE, SPA (K3496) 21 037, Rapport spécial pour avancement au grand choix en faveur de Monsieur Grévisse F. Administrateur territorial de Ie classe, rédigé par le commissaire de district du Lualaba, A. Liesnard, Jadotville, 10 novembre 1938.

138 Fondé en 1946, le CEPSI est un centre de recherche destiné à effectuer des études sur les populations congolaises et parrainé par l’UMHK. Témoignant de ce rapprochement avec le milieu économique, le centre proposera notamment des réformes sociales, agricoles, et en matière de gestion de la main d’œuvre (M. Poncelet, Colonisation, développement et sciences sociales, op. cit., p. 12 ; Id. et B. Rubbers, Sociologie coloniale au Congo belge. Les études sur le Katanga industriel et urbain à la veille de l’Indépendance, dans Genèses, vol. 99, 2015, n°2, p. 95-96). Plusieurs contributeurs du Bulletin participeront aux travaux du CEPSI. C’est le cas de Albert Gille, Fernand Grévisse, Ernest Toussaint ou René Marchal.

139 Sur la participation des fonctionnaires aux activités de centres de recherches dans le contexte de la pré-décolonisation et de la transition vers la coopération au développement, voir V. Dimier, Recycling Empire. The Invention of European Development Aid Bureaucracy, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014.

Pour citer cet article

Alix Sacré, «« Pénétrer au mieux l’âme de nos sujets ». La perception des coutumes congolaises par les fonctionnaires territoriaux à travers leur contribution au Bulletin des Juridictions indigènes et de Droit coutumier congolais», C@hiers du CRHiDI. Histoire, droit, institutions, société [En ligne], Vol. 42 - 2020, URL : https://popups.uliege.be/1370-2262/index.php?id=675.

A propos de : Alix Sacré

Alix Sacré est diplômée en Histoire contemporaine de l’Université libre de Bruxelles (2016) et a participé en 2017-2018 au projet Belgafrican Magistrates Social Networks, en tant qu’assistante de recherche. Le présent article est le résultat de recherches menées dans ce cadre. Assistante chargée d’enseignement à l’Université Saint-Louis depuis 2016, elle poursuit en parallèle un master de spécialisation en Urbanisme et Aménagement du Territoire.