Paul Ricœur et Maurice Halbwachs : Pour une analyse socio-phénoménologique de la mémoire collective et de sa spatialisation
Résumé
Cet article vise à développer une analyse socio-phénoménologique de la notion de mémoire collective en reconsidérant l’importance de sa dimension spatiale. Plus précisément, la méthodologie et les thèses pour configurer cette analyse seront recherchées à travers une lecture critique croisant phénoménologie et sociologie de la mémoire. Nous ferons notamment référence à la première partie de l’œuvre de Paul Ricœur La mémoire, l’histoire, l’oubli (2000), intitulée « Mémoire personnelle, mémoire collective », et aux œuvres de Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire (1925), livre fondateur d’une sociologie de la mémoire, et La mémoire collective (1950). D’abord, nous verrons comment penser la continuité entre la mémoire individuelle et la mémoire collective en adoptant une perspective socio-phénoménologique. Ici, la notion phénoménologique d’analogie permettra de comprendre l’équilibre entre le plan de la vie personnelle et le plan de la vie commune. Ensuite, sur la base de l’idée husserlienne de monde de la vie (Lebenswelt), la deuxième partie de cet article sera dédiée au problème de la spatialisation de la mémoire collective.
1À la mémoire des victimes de l’Holocauste…
1. Introduction : la mémoire collective entre subjectivité et espace
2Étroitement liée à celle d’esprit1, la notion de mémoire a attiré l’attention des philosophes depuis l’Antiquité. Néanmoins, comme l’observent Sven Bernecker et Kourken Michelian dans l’introduction de leur volume The Routledge Handbook of Philosophy of Memory, édité et rédigé en anglais, la philosophie de la mémoire n’a pu se distinguer et être reconnue comme domaine de recherche ayant ses problèmes et théories spécifiques que dans ces dernières décades2. Comme le signalent ces auteurs, ceci est assez étonnant. D’un côté, en effet, le problème ontologique de l’être de la mémoire a suscité un vif intérêt parmi les philosophes appartenant à différents courants de pensée. Considérée au sens le plus large comme faculté de conserver le souvenir du passé, la mémoire a constamment été analysée à travers l’étude de sa corrélation avec les autres facultés intellectuelles comme la raison, la perception, l’imagination, la conscience ou le jugement. Mais, d’un autre côté, dans la philosophie contemporaine, la question ontologique de la nature de la mémoire a été négligée par rapport à d’autres questions plus spécifiques comme, pour donner quelques exemples, « le rôle de la mémoire dans la justification épistémique, la mémoire et l’identité personnelle, la mémoire et l’expérience du temps, la mémoire collective, l’hypothèse d’une mémoire extensible, les contenus non-conceptuels de la mémoire, et l’éthique de la mémoire »3. En se situant dans un riche contexte interdisciplinaire animé par les sciences humaines et sociales mais aussi par les sciences cognitives et les neurosciences, la philosophie de la mémoire se trouve aujourd’hui confrontée au défi de redécouvrir l’importance de penser la question ontologique de la mémoire, notamment son être et ses fonctions. Elle doit ainsi chercher à formuler des réponses à la question fondamentale « qu’est-ce que signifie se souvenir ? », sans pour autant perdre de vue l’ampleur des implications épistémologiques et méthodologiques liées à l’étude de la mémoire comme sujet d’intérêt philosophique englobé dans un espace de discussion transdisciplinaire.
3La réflexion philosophique sur ce qu’est la mémoire ne peut pas être circonscrite à son analyse en tant que dimension entrelacée aux capacités de penser, percevoir, imaginer et vouloir, qui caractérisent l’humain4. Autrement dit, même si une approche philosophique de la mémoire considérée à la fois comme capacité unique et comme configuration complexe de fonctions distinctes reste indubitablement nécessaire5, la philosophie de la mémoire doit en même temps s’interroger sur la contextualisation sociale et culturelle de celle-ci, en reconnaissant les liaisons entre sa dimension individuelle et collective, aussi bien que son lien avec le temps et l’espace. Dès lors, la question du statut ontologique de la mémoire concerne cela en tant que dimension structurée dans le cadre des relations intersubjectives et des contextes historiques, sociaux, politiques et culturels qui sont dialectiquement spatialisés dans le temps et temporalisés dans l’espace. Il faut ajouter que « la mémoire peut désigner tout autant un procédé explicite, dans la quête ou le rappel, qu’un processus implicite (la mémoire sociale, culturelle, ou qui régit certaines habitudes) »6. Chercher des réponses au problème ontologique concernant l’être de la mémoire n’est pas possible sans prendre en considération le sujet d’attribution de la mémoire et son objet. La question « qu’est-ce que cela signifie de se souvenir ? » renvoie alors aux questions « qui se souvient ? » et « de quoi se souvient-on ? », lesquelles impliquent notamment de se pencher sur la compréhension du sujet ou des sujets capables de se souvenir ainsi que sur le souvenir comme objet ayant une valeur privée ou collective7.
4En reconnaissant les questions concernant la nature, le sujet, et l’objet de la mémoire comme fondamentales pour toute recherche philosophique à ce sujet, cet article a pour but de tracer les lignes d’une socio-phénoménologie de la mémoire collective qui soit capable de repenser la médiation entre le plan de la vie individuelle et celui du collectif. De plus, l’analyse du lien entre l’individualité et la collectivité de la mémoire sera accompagnée par une reconsidération de la dimension spatiale de celle-ci. La réflexion que je propose de développer se base sur la fécondité du dialogue intellectuel entre la phénoménologie de la mémoire élaborée par Paul Ricœur et l’approche sociologique de la mémoire de Maurice Halbwachs. Ainsi, cet article vise à mobiliser la méthode phénoménologique héritée de Ricœur pour analyser la spatialisation de la mémoire, notamment collective, en dialogue avec Halbwachs. Ricœur offre notamment une lecture critique aux thèses anthropologiques et sociologiques de Halbwachs sur le statut de la mémoire collective dans le troisième chapitre de la première partie de La mémoire, l’histoire, l’oubli (2000), intitulée « Mémoire personnelle, mémoire collective », mais aussi dans le deuxième chapitre de la troisième partie du même ouvrage, dédié au sujet de la condition historique8. En suivant l’analyse proposée par Ricœur, la conception de mémoire collective travaillée par Halbwachs sera investiguée en faisant référence aux œuvres Les cadres sociaux de la mémoire (1925), livre fondateur d’une sociologie de la mémoire, et La mémoire collective (1950), texte posthume publié par sa sœur, Madame Jeanne Alexandre née Halbwachs9. Je montrerai qu’une relecture croisée de ces deux auteurs permet de poser les jalons d’une socio-phénoménologie de la mémoire collective capable d’expliquer à la fois l’engagement de la sphère individuelle et l’importance de la dimension spatiale dans la configuration des mémoires.
5Mon essai se compose de deux parties. D’abord, mon attention sera focalisée sur l’ambiguïté de la notion de mémoire collective. À partir de ce que Ricœur définit comme « l’inquiétant spectacle que donnent le trop de mémoire ici, le trop d’oubli ailleurs »10, le concept de mémoire collective sera considéré comme distinct, mais pas opposé, par rapport à celui de mémoire individuelle. Dans ce contexte, en reprenant la lecture ricœurienne de la conception sociologique de mémoire collective présentée par Halbwachs, nous essaierons de comprendre le lien entre l’unité du soi individuel, la sphère du collectif et le fait social. Nous montrerons que, pour expliquer l’ancrage subjectif du fait social, il nous faut une reprise du concept phénoménologique de monde de la vie (Lebenswelt). C’est à partir de ce concept que, dans la deuxième partie de cet article, le problème de la spatialisation de la mémoire collective sera approché. Selon la perspective sociologique de Halbwachs, l’espace n’est pas seulement une variable d’analyse des faits sociaux. Au contraire, avec le temps et le langage, l’espace est reconnu comme l’un de trois cadres sociaux fondamentaux de la mémoire collective11. Le phénomène de la spatialité, lié à la mémoire collective, se fonde sur une interaction entre la matière, la temporalité, les relations intersubjectives et sociales. Dans son approche phénoménologique de la mémoire, Ricœur travaille aussi — même s’il le fait très brièvement et de façon asystématique — sur la spatialisation de la mémoire, en tissant le thème phénoménologique du corps vécu avec ce qui est « construit, parcouru, habité »12. Il s’agira donc de comprendre comment les analyses de Ricœur et de Halbwachs peuvent s’apporter mutuellement en vue de la compréhension de la nature et de la spatialisation de la mémoire collective.
2. La mémoire collective : au croisement de l’individuel et du collectif
6Dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricœur développe une analyse phénoménologique de la mémoire à travers un dialogue constant avec les sciences humaines et sociales : tant la psychanalyse que l’histoire, l’anthropologie, la sociologie ou la science politique sont prises en compte. La phénoménologie ricœurienne de la mémoire s’insère ainsi dans un contexte pluridisciplinaire. Aux yeux de Ricœur, toute réflexion philosophique sur la mémoire n’est pas possible sans l’écoute patiente des voix du passé et l’attention critique aux défis du temps présent. En déclinant cette écoute et cette attention dans la pluridisciplinarité des méthodes et des perspectives, Ricœur individualise, comme point de départ de son analyse phénoménologique sur la mémoire, le problème de son usage et de ses abus, c’est-à-dire du « trop » et du « trop peu » de la mémoire, mais aussi de l’oubli, qui marquent notre époque13. Selon Ricœur, le déséquilibre entre ce qui peut être nommé l’hypertrophie et l’atrophie de la mémoire et de l’oubli est associé en même temps à la « compulsion de répétition » et au « déficit de critique »14. Pour faire face aux excès et aux défauts de la mémoire et de l’oubli, en particulier à ce que Pierre Nora appelle le « règne de la mémoire généralisée »15, Ricœur propose de rechercher une « juste mémoire »16, qui s’articule à travers une réflexion philosophique sur la nature, le sujet, et l’objet de la mémoire, et qui s’accompagne d’une révision critique des dispositifs de mémoire dans l’espace public. Les sociétés, comme les individus, doivent accomplir « un ‘travail de mémoire’ comme on fait un travail de deuil pour atteindre la ‘juste mémoire’, le bon oubli et la réconciliation avec l’autre autant qu’avec soi-même »17. Dès les premières lignes de son Avertissement à La mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricœur nous fait donc comprendre qu’une phénoménologie de la mémoire a en son cœur la question de la mémoire collective en tant que préoccupation d’ordre civique18. Le souci de rechercher le sens d’une « juste mémoire » ne signifie pas l’abandon de l’importance accordée à la mémoire individuelle. Ricœur comprend bien que, afin d’analyser la mémoire collective comme tâche ouverte au sein de l’expérience intersubjective et sociale, il est d’abord nécessaire d’expliquer son rapport avec la mémoire individuelle. Cette explication est développée par Ricœur en faisant recours aux ressources de la méthode phénoménologique. À cela, s’ajoute la reprise des thèses du sociologue français Halbwachs, reconnu à juste titre par Ricœur comme le fondateur du concept de mémoire collective. La relecture de l’approche philosophique de Ricœur et des travaux sociologiques de Halbwachs sur le thème de la mémoire nous permettra de trouver des éléments indispensables au développement d’une socio-phénoménologie de la mémoire collective qui soit capable de prendre au sérieux l’entrecroisement entre l’individuel et le collectif dans l’espace, c’est-à-dire la connexion entre la singularité, la collectivité et la spatialité des mémoires.
7La notion de mémoire collective est complexe et largement polysémique19. Dans l’avant-propos de son œuvre Les Cadres sociaux de la mémoire, Halbwachs observe qu’il existe « une mémoire collective et des cadres sociaux de mémoire »20. À cette affirmation, il ajoute que « c’est dans la mesure où notre pensée individuelle se replace dans ces cadres et participe à cette mémoire qu’elle serait capable de se souvenir »21. Dans les textes qui composent La mémoire collective, Halbwachs explique que « si la mémoire collective tire sa force et sa durée de ce qu’elle a pour support un ensemble d’hommes, ce sont cependant des individus qui se souviennent en tant que membres du groupe »22. Au sens le plus général, la mémoire collective est une mémoire d’un groupe qui fonctionne comme intermédiaire ou d’une communauté affective. Plus précisément, nous pouvons observer que Halbwachs donne deux définitions principales de mémoire collective23.
8(1) D’abord, il comprend la mémoire collective comme liée aux cadres sociaux, c’est-à-dire aux points de vue du groupe ou des groupes qui composent une société, comme par exemple les groupes familiaux, religieux, ou les classes sociales24. L’effort de préserver un passé qui est retenu comme important pour les groupes et l’ensemble de la société est rendu possible à travers l’usage des représentations, symboles et objets ayant une valeur partagée. Dans ce contexte, les collectivités mettent en place des moyens pour garder et transmettre une certaine mémoire du passé. Parmi ces moyens, les fêtes, les rites, les célébrations, les monuments et les écrits, rendent possible l’expression et la continuation d’une mémoire à large échelle, reliant les collectivités et la sphère sociale. C’est à travers les commémorations et les rituels publics que la mémoire se situe matériellement dans l’espace. Aussi Ricœur, dans La mémoire, l’histoire, l’oubli, définit la mémoire collective comme « recueil des traces laissées par les événements qui ont affecté le cours de l’histoire des groupes concernés, et qu’on lui reconnaît le pouvoir de mettre en scène ces souvenirs communs à l’occasion de fêtes, de rites, de célébrations publiques »25. D’un côté, la mémoire collective opère activement une structuration matérielle de l’espace : « en marquant symboliquement l'espace, nos souvenirs ‘transfigurent’ les lieux auxquels ils sont associés »26. De l’autre, la mémoire collective se trouve « encadrée par des références spatiales : les lieux, les sites, les bâtiments et les rues nous donnent nos repères et nous permettent d'ancrer et d'ordonner nos souvenirs »27.
9(2) D’autre part, Halbwachs met l’accent sur les mémoires individuelles. Autrement dit, il développe la thèse selon laquelle ce sont les individus qui sont capables de se souvenir dans un contexte social. C’est ici sur la base de la reconnaissance du fait original qu’on ne se souvient jamais seul que Halbwachs affirme qu’il existe une mémoire collective et des cadres sociaux de la mémoire, « dans la mesure où notre pensée individuelle se replace dans ces cadres et participe à cette mémoire qu’elle serait capable de se souvenir »28. Dans la ligne de l’École sociologique d’Émile Durkheim, Halbwachs se focalise sur l’inscription des processus de mémorisation et remémoration dans des cadres sociaux. C’est notamment contre Henri Bergson que Halbwachs conclut qu’« on ne se souvient qu’à la condition de se placer au point de vue d’un ou de plusieurs groupes et de se replacer dans un ou plusieurs courants de pensée collective »29. En d’autres termes, comme individus, nous pouvons nous souvenir grâce à la reconstruction de notre passé, à partir des cadres sociaux de mémoire comme la famille, la nation, ou les liens transgénérationnels. Si, dans la première définition, la mémoire collective est connectée aux processus d’externalisation qui sont rendus possibles à travers les représentations collectives, dans la deuxième définition, elle renvoie aux processus d’intériorisation des individus. En étudiant l’humain dans le milieu social, la perspective halbwachsienne sur la mémoire collective contraste l’intérêt quasi exclusif accordé au souvenir à la première personne, typique de l’approche philosophique au thème de la mémoire. Or, si la philosophie peut être accusée de subjectivisme dans le traitement de la notion de mémoire, je suis d’accord avec Ricœur pour dire que la perspective sociologique de Halbwachs se retrouve piégée dans le holisme de la sociologie, qui retient que les comportements individuels sont inexplicables sans référence aux structures sociales et aux milieux sociaux des individus, et piégée aussi dans l’objectivisme sociologique qui étudie les faits sociaux comme extérieurs aux individus au-delà des motivations personnelles des individus agissants. Est-il possible alors de conceptualiser la mémoire collective dans les termes d’une médiation entre individualité et collectivité, subjectivité et objectivité, philosophie et sociologie ? Comment peut-on comprendre le lien entre intériorisation et extériorisation des mémoires dans l’espace ?
10En lisant les œuvres de Halbwachs, Ricœur affirme que nous sommes confrontés à une des apories de la mémoire, notamment à celle de « la difficile conciliation entre le traitement de la mémoire comme une expérience éminemment individuelle, privée, intérieure et sa caractérisation comme un phénomène d’emblée social, collectif, public »30. Il est donc nécessaire d’expliquer comment la mémoire individuelle se rapporte à la mémoire collective, c’est-à-dire de montrer — selon le va-et-vient entre plans de l’individuel et du collectif — dans quel sens les souvenirs individuels se rapportent à ceux d’une communauté ; et comment la collectivité influence à son tour la sphère individuelle. Entre la mémoire individuelle et la mémoire collective, Ricœur attribue aux proches, en particulier la famille, une fonction intermédiaire. Comme il l’observe : « les proches, ces gens qui comptent pour nous et pour qui nous comptons sont situés sur une gamme de variation des distances dans le rapport entre le soi et les autres »31. C’est avec notre acte de naissance que nous sommes originalement situés dans le temps selon notre date de naissance, dans l’espace par rapport au lieu où nous sommes nés, dans notre famille et son histoire, et dans une communauté d’appartenance32. Le souvenir de notre naissance, transmis par nos proches, représente l’événement fondateur de notre existence individuelle et de notre existence au pluriel, notamment comme membres d’une société. Ricœur est donc d’accord avec Halbwachs sur le fait que, pour se souvenir, on a nécessairement besoin de la présence d’autrui dans les « relations courtes » ou interpersonnelles et les « relations longues » ou médiatisées par les institutions33. La mémoire établit donc une permanence relationnelle du sujet dans le temps et dans l’espace privé et public. Par contre, Ricœur critique le sociologue parce qu’il aurait franchi une ligne invisible entre la thèse « on ne se souvient jamais seul » et l’affirmation que « nous ne sommes pas un sujet authentique d’attribution de souvenirs »34. En présentant un propos « durkheimien de stricte obédience »35, Halbwachs insiste sur la mémoire et les représentations collectives au détriment des individus. Afin de pouvoir dépasser l’opposition dangereuse entre un « holisme sans partage et un individualisme sans nuance »36, Ricœur revient à la mémoire collective en faisant référence aux analyses phénoménologiques de Husserl sur le « transfert analogique » ou l’« aperception analogisante »37. Il essaie ainsi de trouver un remède à l’aporie halbwachsienne en utilisant la méthode et les éléments de la phénoménologie husserlienne libérée de sa dérive individualiste.
11Dans l’approche phénoménologique de la mémoire élaborée par Ricœur, la phénoménologie de Husserl est considérée comme utile pour comprendre, du point de vue théorétique, la transition entre le sujet au singulier et au pluriel. Comme Ricœur l’écrit, l’œuvre de Husserl offre des réflexions pour comprendre comment « passer du moi solitaire à un autre susceptible de devenir à son tour un nous »38. Le problème qui se pose ici est donc d’expliquer le passage d’une phénoménologie de la conscience intime du temps à une phénoménologie de la mémoire collective. En d’autres termes, comme Jeffrey Andrew Barash le souligne, la question de la mémoire est fondamentalement tissée au problème de la recherche du principe de cohésion sociale39. Ricœur vise ainsi à individualiser un principe de cohésion qui soit capable de rendre compte à la fois de l’expérience personnelle dans son autonomie et de la dimension méta-personnelle ou collective avec laquelle la première est essentiellement connectée. Dès lors que les individus seulement sont capables de se souvenir, toute dérivation sociologique de la mémoire individuelle comporte une aporie objectiviste. Pour désubstantialiser les entités collectives et s’opposer à l’hypostase sociologique de la mémoire, Ricœur trouve dans la cinquième Méditation cartésienne le cadre conceptuel qui permettrait de structurer la genèse de la mémoire collective sans négliger la valeur des mémoires individuelles. En suivant la pensée de Husserl et son interrogation concernant la possibilité de la saisie originaire de l’autre, Ricœur observe que c’est à travers l’opération de transfert analogique entre l’ego propre et l’alter ego que « nous sommes autorisés à employer la première personne à la forme plurielle et à attribuer à un nous — quel qu’en soit le titulaire — toutes les prérogatives de la mémoire : mienneté, continuité, polarité passé-futur »40. Dans ce sens, le transfert analogique permet d’attribuer les propriétés de la mémoire individuelle aux autres en tant que proches, mais aussi aux « communautés intersubjectives supérieures »41. Comme Ricœur l’observe, selon la perspective phénoménologique husserlienne, l’opération du transfert analogique permet de « tenir ces communautés intersubjectives supérieures, pour le sujet d’inhérence de leurs souvenirs, de parler de leur temporalité ou de leur historicité, bref d’étendre analogiquement la mienneté des souvenirs à l’idée d’une possession par nous de nos souvenirs collectifs »42.
12Bien que l’approche phénoménologique husserlienne accorde une certaine importance à l’intersubjectivité, cela ne permet par contre pas « en retour d’attester pleinement de la structuration proprement sociale de la mémoire individuelle »43. De plus, dans sa théorie de la constitution de l’intersubjectivité, Husserl n’invoque pas la notion de mémoire collective. Si d’un côté la sociologie de la mémoire n’arrive pas à intégrer pleinement les aspects de la mémoire personnelle, de l’autre côté la phénoménologie husserlienne ne rend pas compte de la composante sociale de la mémoire individuelle. Comme Barash l’observe, l’absence du concept de mémoire collective dans la pensée de Husserl n’est pas étonnante44 : dans sa théorie des communautés interpersonnelles, Husserl voit l’ego transcendantal comme « base absolue pour les interactions significatives dans le monde commun de la vie, indépendamment du flux historique et de la contingence »45. Pour Husserl, le principe de cohésion de l’identité collective est l’ego transcendantal, qui est fondement du sens inhérent au monde vécu. Pour ces raisons, bien que Ricœur reprenne le vocabulaire de Husserl, il ne partage pas son idéalisme transcendantal où la souveraineté du moi est mise au cœur de la constitution de l’autre et du sens intersubjectif. Autrement dit, Ricœur utilise le principe de l’analogie comme solution théorétique qui permettrait de rendre intelligible la relation entre la vie personnelle, la cohésion sociale, et la mémoire collective46. Comme Johann Michel le conclut, « la construction mutuelle de la mémoire individuelle et de la mémoire collective s’opère-t-elle sur la base à la fois du cadre transcendantal du ‘transfert analogique’ entre mémoire individuelles et du cadre empirique d’interactions concrètes dans les jeux sociaux »47.
13C’est donc bien dans le contexte d’une opposition entre phénoménologie et sociologie de la mémoire que Ricœur se propose d’explorer les ressources de la complémentarité que peuvent offrir les deux approches. Au-delà de toute réconciliation irénique, l’hypothèse ricœurienne de commensurabilité entre les deux méthodologies antagonistes vise à montrer qu’une phénoménologie de la mémoire qui ne soit pas sujette au préjugé idéaliste nécessite d’être mise en relation avec une perspective sociologique de la mémoire. Si le sociologue nous rappelle que « la mémoire individuelle se définit comme interférence de diverses mémoires collectives »48, « le phénoménologue est là pour rappeler que la mémoire collective, aussi impersonnelle soit-elle, est toujours le produit, non certes de consciences isolées, mais d’échanges répétés entre mémoires individuelles »49. Une socio-phénoménologie de la mémoire collective se base ainsi sur la description de « la réalité sociale, au sein de laquelle s’inscrit la participation de sujet capables de se désigner eux-mêmes comme étant à des degrés différents de conscience réfléchie les auteurs de leurs actes »50. Il s’agit donc de comprendre que « la mémoire collective se dégage à partir d’un cadre intersubjectif, selon des ‘échanges de conscience’, des interactions sociales typifiées et des ‘jeux d’échelles’ multiples »51. Toutefois, dans l’approche ricœurienne de la mémoire collective, il semble manquer une justification plus articulée et précise du lien entre individualité et collectivité à travers l’outil de l’analogie52. Cette justification pourrait être fondée sur la base de son herméneutique du symbole, notamment dans la reconsidération de l’aspect de la médiation symbolique au sein de la discussion sur la mémoire partagée. Mais, comme Barash l’explique53, dans la Mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricœur ne présente aucune analyse du rôle et de la fonction du symbole dans son approche à mémoire collective en tant que phénomène lié à la cohésion sociale.
3. L’aménagement de l’espace de la mémoire collective
14Si nous pouvions individuer une notion dans l’attente d’établir un terrain d’entente ente l’approche phénoménologique et la perspective sociologique sur la mémoire collective, cela serait à mon avis celle du monde de la vie (Lebenswelt). Avec ce terme Husserl entendait « le terrain général de la vie humaine en ce monde »54. Comme il l’affirme dans la Krisis, le concept de monde de la vie n’est pas une idée parfaitement constituée, mais il est plutôt une « rubrique » problématique55. Opposé au monde exact, objet des sciences moderne de la nature, le monde de la vie est le monde tel qu’il se donne à notre conscience. Or, c’est à travers l’intentionnalité de la conscience que je perçois ce monde en reconnaissant que ceci est aussi perçu en même temps par les autres. Le monde de la vie s’articule donc entre l’intentionnalité de la conscience individuelle et son enracinement dans l’intersubjectivité. Ainsi, en accord avec Jean-Luc Petit, nous pouvons définir le monde de la vie comme le monde de « la vie humaine considérée dans sa dimension subjective avec sa double potentialité d’être affectée par des stimulations, motivée par des intérêts, et de s’occuper activement de quelque chose, plus particulièrement dans un contexte d’interaction communautaire »56. Contre toute condition solitaire ou solipsiste, le monde de la vie révèle l’originalité de notre co-existence avec les autres dans un milieu qui est originairement partagé. Il nous faut à présent poser la question suivante : « la mémoire collective se réduit-elle pour autant à des souvenirs, éventuellement partagés, voire à la trace d’une expérience vécue ? »57. Pour expliquer pourquoi, à notre avis, la réponse à cette question est négative, il nous faudra dans les réflexions qui suivent questionner le lien entre la mémoire collective et l’espace.
15Pour comprendre la mémoire collective, il faut alors décrire en quoi consiste sa spatialisation, c’est-à-dire la mémoire dans son rapport avec la dimension de l’espace en tant que lieu de partage. La mémoire spatiale se fonde, comme Ricœur l’écrit, sur « la spatialité corporelle et environnementale inhérente à l’évocation du souvenir »58. À cette spatialité incarnée s’ajoute le lien avec la terre habitée (qui représente l’objet d’étude de la géographie). Dans ce contexte, le monde de la vie dessine les contours fondamentaux de notre relation avec l’espace. Du point de vue sociologique, Halbwachs reconnait aussi la continuité entre mémoire et espace vécu. Plus précisément, nous trouvons dans l’œuvre de Halbwachs une analyse sociologique du lien entre le monde de la vie quotidienne et la spatialisation des faits sociaux qui expliquent notre relation aux autres. Dans son ouvrage intitulé La Topographie légendaire des évangiles en Terre sainte. Étude de mémoire collective59, qui reste peu connu surtout dans le monde académique anglophone, Halbwachs tente de comprendre la relation entre la mémoire collective des chrétiens en Terre sainte et les lieux correspondants. Comme Gérôme Truc l’observe, « Halbwachs nous offre une aide précieuse pour comprendre les relations qui s'établissent, de manière générale, entre les lieux d'un tragédie collective (génocide, attentat, catastrophe naturelle, accident d'avion, mort d'un personnage célèbre, etc.) et la mémoire collective de l'événement »60. Pour expliquer l’importance de la localisation des mémoires dans l’espace, Halbwachs — dans la conclusion de La Topographie — s’appuie sur l’exemple d’un groupe qui partage les mêmes mémoires mais qui doit se diviser. D’un côté, une partie du groupe reste à l’endroit originel. Dans ce cadre familier et local, la mémoire de ce groupe évolue en suivant de près les changements matériels de l’espace. D’un autre côté, une autre partie du groupe s’éloigne du lieu d’origine en gardant à l’esprit son image spirituelle. Différemment du premier groupe, les membres qui se sont éloignés ne peuvent pas percevoir les changements de l’espace d’origine : ils conservent une image fixe du lieu dont ils se souviennent et en font une représentation symbolique61. En reprenant les mots de Truc, « d'une part, nous avons la ‟mémoire des lieux”, qui est fidèle mais vulnérable, et, d'autre part, des représentations qui agissent comme des matrices pour la désignation des ‟lieux de mémoire”, qui sont des versions simplifiées, mais plus robustes »62. Dès lors, la mémoire collective des chrétiens a pu être transmise, même après plusieurs changements de la ville de Jérusalem, parce qu’un cadre symbolique a été élaboré. C’est notamment grâce à cela qu’il est « devenu possible de créer des lieux de mémoire, qui remplacent la mémoire perdue des lieux originaux »63.
16Nous pouvons observer que aussi dans les œuvres Les cadres sociaux de la mémoire et La mémoire collective, le sociologue introduit ses analyses sur la mémoire en considérant en premier lieu deux situations spatialisées, d’une part l’histoire d’une fille en provenance d’un des peuples de l’Arctique et, d’autre part, le récit autobiographique de Halbwachs lui-même concernant son arrivée dans la ville de Londres. Avec ces deux exemples, Halbwachs veut montrer comment la mémoire personnelle nécessite de l’entourage social, c’est-à-dire comment la dimension privée du souvenir se rapporte à un contexte qui est socialement structuré et spatialisé. Autrement dit, le sociologue veut justifier le fait que la mémoire n’est pas une dimension purement privée, mais que celle-ci est toujours accompagnée par les mémoires des autres dans leurs présences et aussi dans leurs absences. C’est cette connexion entre individualité et socialité qui nous permet de tisser les souvenirs et de les encadrer dans un espace. Dans son avant-propos [des] Cadres sociaux de la mémoire, inspiré par le volume du Magasin Pittoresque paru en 1849, Halbwachs reprend le récit d’une jeune fille sauvage de dix ans environ qui avait été retrouvée dans les bois en France, près de Châlons, en 1731. Cette fillette abandonnée se retrouvait totalement coupée des cadres collectifs de la mémoire que lui assurait sa société d’origine. Au moment où elle fut retrouvée, la jeune fille affirmait de ne pas avoir de souvenirs de son enfance au point qu’elle ne savait pas où elle était née ni d’où elle venait. C’est grâce à la vision des images « qui représentaient soit des huttes et des barques du pays des Esquimaux, soit des phoques, soit des cannes à sucre et d’autres produits des îles d’Amérique »64 que la fille arrivait à évoquer son passé avec la stimulation visuelle reliée aux lieux. Elle se souvenait alors d’avoir traversé la mer deux fois et d’avoir été l’esclave d’une maitresse. C’est avec les images des objets, des plantes, des animaux, qui font partie des paysages de son lieu d’origine que nous découvrons que la fille est d’origine esquimaude. Plus précisément, nous comprenons que notre relation au passé est liée aux souvenirs images « que produisent les cadres sociaux de la perception (espace social, temps social, langage) et les catégories dominantes du groupe »65. Sans la mémoire collective, nous ne serions donc pas capables de nous souvenir. Halbwachs conclut alors que nous pouvons nous souvenir seulement parce que nous sommes englobés dans un entourage social qui prend forme dans l’espace. C’est donc seulement dans une structure matérielle spatialisée que l’individu et les groupes peuvent prendre conscience d’eux-mêmes. Ainsi, Halbwachs affirme que le monde matériel dans lequel la société est insérée offre à la pensée du groupe « un principe de régularité et de stabilité, tout comme la pensée individuelle a besoin de percevoir le corps et l’espace pour se maintenir en équilibre »66. Toutefois, je pense que Halbwachs n’a pas pleinement utilisé l’exemple de la fillette pour expliquer le phénomène de la mémoire collective. En effet, s’il est vrai qu’elle a besoin des visions sociales du monde pour avoir des souvenirs, son histoire montre clairement qu’il existe un rapport corporel aux espaces où elle peut se relocaliser en utilisant l’imagination et les images. Il me semble que Halbwachs ne prête pas assez attention à cet aspect corporel. Une attention sociologique au corps aurait pu ouvrir la voie à une théorie sociologique de l’espace incarné allant du privé au collectif. C’est dans ce sens que l’exemple de la fillette montre qu’il n’existe pas simplement une continuité entre mémoire personnelle et mémoire collective, mais aussi entre mémoire et corps, imagination et perception individuelle ou collective de l’espace ou des espaces.
17Nous pouvons à nouveau observer cette relation entre mémoire et espace dans La mémoire collective. Halbwachs fait ici référence à son histoire personnelle, notamment à son séjour dans la ville de Londres. Le sociologue se souvient que la première fois qu’il s’était promené dans cette ville, en pouvant admirer la cathédrale Saint-Paul, la Mansion-House, l’avenue Strand, les alentours des Court’s of Law, son expérience spatialisée le renvoyait aux romans de l’écrivain Charles Dickens, qu’il avait lu dans son enfance. C’est en ce sens que Halbwachs, décrivant son expérience spatiale londonienne, affirme de manière figurative : « je m’y promenais donc avec Dickens »67. Sa mémoire de la ville de Londres est renforcée par des voix des amis avec lesquels il avait pu entreprendre des relations lors de son premier voyage. Il mentionne notamment un architecte, une peintre, un historien, un commerçant et un homme d’affaires, qui lui avaient fait observer et apprécier certaines caractéristiques de la ville selon des perspectives différentes. À ce point, il ajoute qu’il ne lui semble pas nécessaire que ces amis soient présents avec lui en chair et en os pour découvrir la ville selon leurs points de vue. Comme il l’affirme, « quand même je n’aurais pas marché à côté de quelqu’un, il suffit que j’aie lu des descriptions de la ville, faites de tous ces divers points de vue, qu’on m’ait conseillé d’en voir tels aspects, plus simplement encore, que j’en aie étudié le plan »68. En retournant à Londres la deuxième fois, Halbwachs observe de ne pas être seul : « puisqu’en pensée je me replaçais dans tel ou tel groupe, celui qui je composais avec cet architecte, et, au-delà de lui, avec ceux dont il n’était que l’interprète auprès de moi, ou avec ce peintre (et son groupe), avec le géomètre qui avait dessiné ce plan, ou avec un romancier »69. Il reconnaît donc une profonde interaction entre les groupes sociaux et leurs espaces, la société et la matière, le palier sociologique des relations et le palier géographique de la terre habitée70. En développant ce que nous pouvons définir comme une théorie de la spatialité sociale, Halbwachs considère d’un côté les structures sociales comme inscrites dans un espace physique et se déployant en fonction de cet espace, de l’autre côté il reconnaît ce dernier à la fois comme transformable par les groupes et comme constitutif du fait social. À ce point, il nous faut reconnaître qu’il y a une différence sur le rapport entre la mémoire individuelle et la mémoire collective dans les deux exemples que nous venons d’analyser. Dans le deuxième cas, autobiographique, la mémoire individuelle n’est plus comprise simplement comme reflet de la mémoire collective. Au contraire, la mémoire individuelle est liée à la mémoire collective entendue comme point de rencontre d’une pluralité de mémoires. Par conséquent, la mémoire est comprise comme espace « de significations plurielles, problématiques, qui redonne à l’individu une liberté face à chacun des faisceaux de mémoire du réseau au centre duquel il vit »71.
18Le lien entre mémoire et espace est aussi reconnu par Ricœur. Dans son approche phénoménologique, il focalise son attention sur le caractère spatial de la mémoire collective en faisant référence à la question anthropologique de l’habiter. Plus précisément, il ne considère pas l’habiter dans un espace domestique, mais le construire et l’habiter dans l’espace urbain. Il affirme en effet que « la ville suscite aussi des passions plus complexes que la maison, dans la mesure où elle offre un espace de déplacement, de rapprochement et d’éloignement. On peut s’y sentir égaré, errant, perdu, tandis que ses espaces publics, ses places bien nommées invitent aux commémorations et aux rassemblements ritualisés »72. Sur la base de cette thèse, nous pouvons proposer les deux argumentations suivantes.
19(1) En premier lieu, nous pouvons observer qu’il manque dans l’œuvre de Ricœur une analyse de l’espace domestique et de ses composantes, notamment la « maison » comme habiter physique-construit et le « chez-soi » comme habiter incarné-ressenti73. Cela est étonnant si nous considérons que dans ses analyses sur la mémoire Ricœur reprend la pensée de Gaston Bachelard, auteur qui dans son œuvre La poétique de l’espace (1957) s’est concentré sur l’expérience de la maison comme coffre des souvenirs74. Je crois qu’une analyse sur l’espace de la maison et le sens du « chez-soi » aurait permis à Ricœur de mieux approfondir le lien entre mémoire individuelle et mémoire collective, notamment d’élargir ses considérations sur cette dernière en tant que liée aux proches, aux générations passées et à l’héritage des générations futures75. La maison aurait pu être analysée dans ce contexte comme premier espace structurant de la collectivité. Plutôt qu’approfondir la question de la maison, Ricœur propose une lecture croisée entre la phénoménologie de la place et du lieu de Edward Casey76, la phénoménologie de la perception de Maurice Merleau-Ponty77 et la poétique de l’espace de Bachelard78. Il observe ainsi que « entre l’espace vécu du corps propre et l’environnement et l’espace public s’intercale l’espace géométrique […] C’est aux confins de l’espace vécu et de l’espace géométrique que se situe l’acte d’habiter »79. Contrairement à Halbwachs, dans son approche de la mémoire, Ricœur souligne clairement le lien entre corps et mémoire du lieu. Cette attention à la corporéité peut être ici lue comme aboutissement de ses premières analyses phénoménologiques sur la volonté humaine où Ricœur avait proposé sa réappropriation de la distinction husserlienne entre corps objet et corps vécu80. Plus précisément, en se focalisant dans la Philosophie de la volonté sur le thème de l’habitude, Ricœur affirme que celle-ci avance avec une « espèce de germination »81 dans le sens que s’approprient des « choses qui deviennent les prolongements habités du corps qui acquiert une ‘puissance de facilitation’ et une ‘spontanéité naturelle’ »82. Dans la Mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricœur aborde de nouveau la relation entre le corps et l’espace habité en reconnaissant que c’est sur la base de la localisation du corps propre que « le souvenir de l’espace habité fournit au témoignage les fragments d’une mémoire intime et partagée entre proches »83. Or, même si Ricœur ne semble pas souligner de façon claire le lien entre le corps et l’espace dans sa réflexion sur la mémoire collective, la spatialité de cette mémoire collective peut être expliquée en faisant référence à une phénoménologie de l’incarnation : « c’est seulement parce que des subjectivités sont incarnées qu’elles sont en mesure de développer une mémoire spatiale »84.
20(2) En deuxième lieu, nous pouvons remarquer que lorsque Ricœur, dans la Mémoire, l’histoire, l’oubli, présente son idée d’espace proprement humain comme étant marqué par l’acte architectural et urbanistique, il ne se réfère pas aux analyses proposées par Halbwachs sur la ville et les cadres spatiaux des groupes. Celles-ci avaient été présentées par le sociologue dans le dernier chapitre de La mémoire collective intitulé « la mémoire collective et l’espace »85. Selon Ricœur, « l’architecture serait à l’espace ce que le récit est au temps, à savoir une opération ‘configurante’ un parallélisme entre d’une part construire, donc édifier dans l’espace, et d’autre part raconter, mettre en intrigue dans le temps »86. Il étend cette analogie entre œuvre architecturale et mise en intrigue, entre construction et récit, à la question de la mémoire collective. En reconnaissant la continuité temporelle et spatiale de la mémoire collective, Ricœur approche « l’environnement matériel qui est projeté et réalisé par le travail architectural comme l’état dur des souvenirs pluriels »87. Autrement dit, la mémoire collective, comme expression d’une symbolicité partagée, s’inscrit à travers l’architecture dans les espaces habités. L’espace habité est ainsi élu comme lieu de la mémoire collective. Or, nous devons reconnaitre que ce rapport entre construction et mémoire ne va pas de soi. Pour expliquer cette relation, il nous faut ici considérer le texte « Architecture et narrativité » publié en 199888. Ce dernier est une reprise de la participation de Ricœur intitulée « De la mémoire » au Groupe de réflexion des architectes qui avait été organisée par la Direction de l’Architecture et du Patrimoine à Paris en 1996. Dans ce texte, Ricœur essaye d’expliquer la relation entre mémoire et acte architectonique, se souvenir et bâtir, en appliquant la Triple mimesis de la configuration du récit, notamment le processus de préfiguration, configuration, refiguration, dans le champ de l’architecture. La préfiguration concerne ici l’acte d’habiter selon le rapport entre s’abriter et se déplacer dans une ville ; la configuration se réfère à l’acte de construire, au paysage urbain et à son intertextualité et intelligibilité par rapport à l’ensemble des bâtiments, des rues, et des villes ; la refiguration se rapporte à l’échange entre habiter et construite et à la possibilité d’une opposition dialectique entre ces deux actes. C’est dans ce contexte que nous pouvons dire que la ville « contribue à articuler, voire à raconter l’ancien et le nouveau, le symbolique et le fonctionnel, l’émotif et l’économique, le familial et le politique »89. Comme le récit, l’acte architectonique est le résultat de trois moments mimétiques, fondés sur une opération imaginative qui a le rôle de médiation entre la matière et le sens. Lorsque le récit assure une durée à la chose littéraire à travers l’écriture, l’architecture assure la durée des choses construites grâce à la dureté des matériaux. C’est sur la base de ces thèses que Ricœur comprend l’architecture comme ce qui inscrit et solidifie la mémoire dans l’espace habité. Ainsi, la mémoire collective fait sens en s’inscrivant dans l’espace construit. En d’autres termes, Ricœur nous invite à penser la phrase « j’y étais »90 comme trait d’union entre une mémoire personnelle temporalisée et spatialisée et une mémoire collective vue comme dimension d’un imaginaire symbolique partagé qui est en même temps durable dans le temps et consolidé dans l’espace. Mais, comme Barash le souligne et comme nous l’avons déjà vu dans la première partie de cet article, dans la Mémoire, l’histoire, l’oubli, Ricœur ne valorise pas le rôle de l’imaginaire symbolique91. La mémoire collective est inscrite dans un espace habité qui est com-pati. Nous trouvons un lien entre consolidation de l’espace à travers l’acte architectonique et compassion dans un espace construit à travers les relations intersubjectives et sociales. Plus précisément, la composante affective dans l’espace construit se développe selon les rites et les gestes, qui sont inscrits dans celui-ci, et qui « polarisent les changements temporels, dessinent des trajets affectifs, synthétisent les lieux où les interactions majeures de la vie se déroulent »92. L’expérience de la mémoire collective passe à travers l’expérience esthétique de l’espace habité et l’expérience sociale du partage. Dans cette ligne de discours, Ricœur pense que la mémoire collective ne peut pas être simplement liée à la répétition ou à l’oubli actif. Se réconcilier avec le passé dans l’espace nécessite un « travail de la mémoire »93 impliquant le travail du deuil. C’est seulement avec ce double travail dans l’espace que nous pouvons « comprendre autrement pour bâtir autrement »94.
4. Conclusions
21Dans cet article, nous avons introduit le problème de la mémoire collective comme « notion difficile, dénuée de toute évidence propre »95 en proposant une compréhension de son rapport avec la mémoire individuelle. Spécifiquement, nous avons vu comment penser le lien entre mémoire individuelle et la mémoire collective en utilisant les ressources de la phénoménologie proposées par Ricœur et les analyses sociologiques de Halbwachs. Dans ce contexte transdisciplinaire, nous avons individualisé la notion d’analogie comme indispensable pour la configuration d’une socio-phénoménologie de la mémoire collective. Ensuite, le dialogue entre phénoménologie et sociologie de la mémoire a été élargi à travers la reprise de la notion phénoménologique de monde de la vie (Lebenswelt). À partir de cela nous avons approfondi la discussion concernant la nature de la mémoire collective en insistant sur l’inséparabilité entre celle-ci et la dimension de l’espace. Discussion d’où l’on peut tirer les deux conclusions suivantes.
22La mémoire collective est inséparable de la mémoire individuelle. D’un côté, l’approche sociologique de Halbwachs nous a fourni les éléments pour penser la contextualisation sociale de la mémoire. De l’autre côté, la pensée de Ricœur nous a permis de faire face à ce qui peut être défini comme le trop de social de l’analyse halbwachsienne sur la mémoire collective. Néanmoins, nous avons critiqué Ricœur pour ne pas avoir valorisé l’importance de l’univers symbolique et le rôle de l’imagination productrice dans la formation d’une mémoire collective qui soit capable de tenir compte des individualités au-delà de toute somme ou fusion. Pour comprendre comment situer la mémoire collective dans son rapport à la mémoire individuelle, Ricœur aurait dû reprendre ici la thèse selon laquelle la mémoire collective peut être située dans une variété de niveaux dont la puissance réside dans la valeur communicative des symboles96. Sans référence à la théorie ricœurienne du symbole, nous ne pouvons pas pleinement comprendre comment la notion d’analogie peut suffire à expliquer la continuité entre individualité et collectivité.
23Nous avons souligné qu’on ne se souvient jamais seul. Cela signifie qu’on se souvient toujours dans un espace qui est originalement social. Cette thèse ne peut pas être comprise sans faire référence à la notion d’habitus et à l’analyse phénoménologique du corps vécu. L’histoire de la fillette perdue dans un bois présentée par Halbwachs implique une réflexion sur ce que le sociologue définit comme la « familiarité des souvenirs »97. Comme la fillette, nous développons dans nos vies personnelles un rapport de familiarité avec les lieux où nous vivons. Dans notre vie quotidienne, nous faisons constamment une expérience des lieux qui est reproductive. Par exemple, en sortant de chez nous, nous reconnaissons notre rue, nous savons comment aller au centre de la ville, nous nous trouvons chaque jour entourés des mêmes bâtiments et magasins de notre quartier. Si nous rencontrons quelqu’un qui est perdu dans notre voisinage, nous sommes capables de lui donner des indications spatiales pour lui permettre de s’orienter dans un espace qui apparait comme nouveau pour lui. Cela dit, nous constatons que l’habitude accompagne chaque jour la mémoire que nous avons des espaces. C’est en effet le croisement de la phénoménologie de la chair et de la phénoménologie de la mémoire qui permet de prendre en compte ces routines ; j’approuve ici la critique de Bernhard Waldenfels, qui souligne le fait que Ricœur a partiellement omis ce point98. De plus, dans le récit autobiographique de son voyage à Londres, Halbwachs confirme que même si entre le premier et le deuxième voyage dans cette ville il y a eu une interruption d’ordre temporel, la conscience de la mémoire spatiale est possible en reprenant les habitudes précédentes qui ont laissé une trace sur sa vie comme des tournants spatiaux. Ricœur affirme que la mémoire des lieux partagés est assurée « par des actes aussi importants que s’orienter, se déplacer, et plus que tout habiter. C’est sur la surface de la Terre habitable que nous nous souvenons avoir voyagé et visité des sites mémorables »99. Si Halbwachs se focalise surtout l’habitude en tant que contextualisée dans le domaine social, du point de vue phénoménologique Ricœur comprend que cela n’est pas explicable sans référence au corps, c’est-à-dire sans considérer l’importance de la mémoire corporelle100. Dans cette perspective, l’habitude est conçue à la fois comme dimension privée et comme dimension partagée, parce que le corps est la première source des valeurs sociales101. Je soutiens que la phénoménologie ricœurienne sur le corps et l’habitude peut s’allier à l’approche sociologique de Halbwachs sur la familiarité des souvenirs en permettant une compréhension cohérente du lien entre mémoire collective et espace. Cela permettrait aussi de mieux comprendre comment, au-delà de toute répétition, la mémoire collective dans sa spatialisation doit s’accompagner d’une curiosité du nouveau et d’une réorganisation de l’ancien102.
Notes
1 Je tiens à remercier Audran Aulanier (EHESS, Paris) pour son aide précieuse lors de la révision stylistique de cet article.
2 S. Bernecker, K. Michaelian (eds.), The Routledge Handbook of Philosophy of Memory, London and New York : Routledge 2017. Voir aussi K. Michaelian, D. Debus, D. Perrin (eds.), New Directions in the Philosophy of Memory, London and New York : Routledge, 2018.
3 S. Bernecker, Memory: A Philosophical Study, Oxford : Oxford University Press, 2010, p. 2. (La traduction française est mienne).
4 A. J. Barash, Collective Memory and the Historical Past, Chicago and London : University of Chicago Press, 2016, p. 3.
5 J. Michel (dir.), Mémoires et histoires, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 9.
6 A. Mouratian, « Paul Ricœur et la mémoire des proches. Moi, les collectifs, les proches », Études Ricoeuriennes / Ricoeur Studies 10 (2019), p. 88.
7 M. C. C. Vendra, « Paul Ricœur on Collective Memory: the Cohesion of Social Life », Voluntas Revista Internacional de Filosofia 10 (2019), p. 87-107.
8 P. Ricœur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris : Seuil, 2000. Par la suite, on le citera comme MHO.
9 M. Halbwachs, Les cadres sociaux de la mémoire, Paris : Librairie Félix Alcan, 1925. Par la suite, on le citera comme CS ; La mémoire collective, Paris : Albin Michel, 1950. Par la suite, on le citera comme MC.
10 MHO, p. 1.
11 T. Beaubreuil, « Le ‘spatialisme’ du dernier Halbwachs », Espaces et sociétés 144 (2011), p. 157-171.
12 MHO, p. 191.
13 « Le trop de mémoire rappelle particulièrement la compulsion de répétition, dont Freud nous dit qu’elle conduit à substituer le passage à l’acte au souvenir véritable par lequel le présent serait réconcilié avec le passé : que de violences par le monde qui valet comme acting out ‘au lieu’ du souvenir ! […] le trop peu de mémoire relève de la même réinterprétation. Ce que les uns cultivent avec délectation morose, et ce que les autres fuient avec mauvaise conscience, c’est la même mémoire-répétition ». MHO, p. 96.
14 Ibid.
15 P. Nora, « L’ère de la commémoration », Les lieux de mémoire, T. 3, Paris : Gallimard, 1997, p. 4687-4719.
16 MHO, p. 82.
17 M.-C. Lavabre, « La ‘mémoire collective’ entre sociologie de la mémoire et sociologie des souvenirs ? », texte mis en ligne sur HAL-SHS, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01337854/document
18 MHO, p. 1.
19 M.-C. Lavabre, « La ‘mémoire collective’ entre sociologie de la mémoire et sociologie des souvenirs ? », art. cit. « L’inventaire des définitions, explicites ou implicites, dans les travaux de sciences sociales ou dans les débats publics, met cependant au jour la très grande fluidité voire l’extrême polysémie de cette notion. »
20 CS, p. xiv.
21 Ibid.
22 MC, p. 33.
23 A. Cordonnier, O. Luminet, « La mémoire collective, au-delà de l’individu », in O. Luminet, D. Grynberg (dirs.), Psychologie des émotions : concepts fondamentaux et implications cliniques, Louvain-la-Neuve : De Boeck Supérieur, 2021.
24 Halbwachs, CS, Chapitre 5 : « La mémoire collective de la famille » ; Chapitre 6 : « La mémoire collective des groupes religieux » ; Chapitre 7 : « Les classes sociales et leurs traditions ».
25 MHO, p. 145.
26 G. Truc, « Memory of places and places of memory: for a Halbwachsian socio-ethnography of collective memory », International Social Science Journal, 203-204 (2011), p. 148 (la traduction française est mienne).
27 Ibid.
28 CS, p. xvi.
29 MC, p. 63.
30 P. Ricoeur, « Passé, mémoire, oubli », conférence prononcée en 1997, Histoire et mémoire, centre régional de documentation pédagogique de l’Académie de Grenoble, p. 31-32.
31 MHO, p. 161.
32 « À la contemporanéité de « prendre ensemble de l’âge », ils ajoutent une note spéciale touchant les deux « événements » qui limitent une vie humaine, la naissance et la mort. Le premier échappe à ma mémoire, le second barre mes projets. Et les deux n’intéressent la société qu’au titre de l’état-civil et du point de vue démographique du remplacement des générations. Mais les deux ont importé ou vont importer à mes proches. Quelques-uns pourront déplorer ma mort. Mais auparavant quelques-uns ont pu se réjouir de ma naissance et célébrer à cette occasion le miracle de la natalité, et la donation du nom sous lequel, ma vie durant, je me désignerai moi-même désormais. Entre-temps, mes proches sont ceux qui m’approuvent d’exister et dont j’approuve l’existence dans la réciprocité et l’égalité de l’estime », MHO, p. 162.
33 P. Ricœur, « Le socius et le prochain », Histoire et vérité, Paris : Seuil, 1955, p. 99-111.
34 MHO, p. 149.
35 J. Craig, « Maurice Halbwachs à Strasbourg », Revue française de sociologie, 20 (1979), p. 279.
36 J. Roberge, Paul Ricœur, la culture et les sciences humaines, Laval : Les Presses de l’Université Laval, 2014, p. 85.
37 E. Husserl, Méditations cartésiennes : introduction à la phénoménologie, (éd Gabrielle Peiffer, Emmanuel Levinas), Paris : Vrin, 1931. P. Ricœur, À l’école de phénoménologie, Paris : Vrin, 1986, p. 253.
38 MHO, p. 143.
39 J.A. Barash, « Qu’est-ce que la mémoire collective ? Réflexions sur l’interprétation de la mémoire chez Paul Ricœur », Revue de métaphysique et de morale, 50 (2006), p. 185-195.
40 MHO, p. 145.
41 Ibid.
42 MHO, p. 145-146.
43 J. Michel, « Esquisse d’une socio-phénoménologie historique de la mémoire collective », dans Johann Michel (dir.), Mémoires et histoires, op. cit., p. 89.
44 P. Ricœur reconnait également cette absence dans MHO, p. 143.
45 A. J. Barash, Collective Memory and the Historical Past, op. cit., p. 74 (la traduction française est mienne).
46 MHO, p. 145.
47 J. Michel, « Esquisse d’une socio-phénoménologie historique de la mémoire collective », art. cit., p. 90.
48 M.-C. Lavabre, « La ‘mémoire collective’ entre sociologie de la mémoire et sociologie des souvenirs ? », art. cit.
49 J. Michel, « Esquisse d’une socio-phénoménologie historique de la mémoire collective », art. cit., p. 90.
50 MHO, p. 158.
51 J. Michel, « Esquisse d’une socio-phénoménologie historique de la mémoire collective », art. cit., p. 103
52 M. C. C. Vendra, « Paul Ricœur on collective memory: the cohesion of social life », Voluntas: Revista Internacional de Filosofia, 10 (2019), p. 103.
53 A. J. Barash, « The Time of Collective Memory », Études Ricœuriennes/Ricœur Studies, 10 (2019), p. 104.
54 E. Husserl, La crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale (1935-36), Paris : Éditions Gallimard, 1976.
55 J. Farges, « Monde de la vie et philosophie de la vie. Husserl entre Eucken et Dilthey », Études Germaniques, 242 (2016), p. 192.
56 J-L. Petit, « Le tournant diltheyen de la phénoménologie. Ricœur et Husserl », in P. Bühler, D. Frey (dirs.), Paul Ricœur : un philosophe lit la Bible. À l’entrecroisement des herméneutiques philosophique et biblique, Genève : Labor et Fides, 2011, p. 170.
57 M.-C. Lavabre, « La ‘mémoire collective’ entre sociologie de la mémoire et sociologie des souvenirs ? », art. cit.
58 MHO, p. 184.
59 Halbwachs, La Topographie légendaire des évangiles en Terre sainte. Étude de mémoire collective, Paris : PUF, 1941.
60 G. Truc, « Memory of places and places of memory: for a Halbwachsian socio-ethnography of collective memory », art. cit., p. 148 (la traduction française est mienne).
61 Ibid, p. 149 (la traduction française est mienne).
62 Idem.
63 Idem.
64 CS, p. xv.
65 T. Beaubreuil, « Le ‘spatialisme’ du dernier Halbwachs », p. 160.
66 M. Halbwachs, La morphologie sociale, Paris : Librairie Armand Colin, 1938, p. 12.
67 MC, p. 3.
68 Idem.
69 Idem.
70 T. Beaubreuil, « Le ‘spatialisme’ du dernier Halbwachs », art. cit., p.159.
71 C. Torner, Shoah, une pédagogie de la mémoire, Paris : Les Éditions de l’Atelier, 2001, p. 60.
72 MHO, p. 187.
73 Pour une analyse philosophique sur le thème de la maison, voir E. Coccia, Philosophie de la maison, Paris : Rivages, 2021.
74 J. D. Bernardes, « Habiter la mémoire à la frontière de l’oubli : la maison comme seuil », Conserveries mémorielles, 7 (2010).
75 P. Ricœur reprend le vocabulaire utilisé par A. Schütz. Pour une analyse sur la mémoire collective entre Ricœur et Schütz, voir l’article de A. Mouratian, « Paul Ricœur et la mémoire des proches : ‘moi, les collectifs, les proches’ », art. cit.
76 E. Casey, Remembering, Bloomington: Indiana University Press, 1987.
77 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris : Gallimard, 1945.
78 G. Bachelard, La poétique de l’espace, Paris : PUF, 1957.
79 MHO, p. 186.
80 M. Breviglieri, « L’espace habité qui réclame l’assurance intime de pouvoir. Un essai d’approfondissement sociologique de l’anthropologie capacitaire de Paul Ricœur », Études Ricœuriennes/Ricœur Studies 3 (2012), p. 34-52.
81 P. Ricoeur, Philosophie de la volonté 1. Le volontaire et l’involontaire, Paris : Aubier 1950, p. 273.
82 M. Breviglieri, « L’espace habité qui réclame l’assurance intime de pouvoir. Un essai d’approfondissement sociologique de l’anthropologie capacitaire de Paul Ricœur », art. cit., p. 41.
83 Idem.
84 F. D’Alessandris, « La durée dans la dureté. Espaces de la mémoire et mémoires de l’espace chez Paul Ricœur », Études Ricœuriennes/Ricœur Studies 10 (2019), p. 58-72, ici p. 66.
85 M. Halbwachs, « La mémoire collective et l’espace », MC, p. 130-167.
86 P. Ricœur, « Architecture et narrativité », Urbanisme, 303 (1998), p. 47.
87 D’Alessandris, « La durée dans la dureté. Espaces de la mémoire et mémoires de l’espace chez Paul Ricœur », art. cit., p. 61.
88 P. Ricœur, « Architecture et narrativité », art. cit. : « Par-là, je voudrais montrer que ce qui se construit dans mon exposé et dans notre histoire, c’est justement cet espace-temps raconté et construit. L’idée développée par Evelina Calvi dans son essai de Tempo e progetto. L’Architettura come narrazione est celle que j’ai adoptée ici ».
89 L. A. Umbelino, « Herméneutique, architecture et humanisation de l’espace. L’architecture des lieux de la mémoire selon Paul Ricœur », Revue d’Histoire et de Philosophie religieuses, 91 (2011), p. 77.
90 MHO, p. 183.
91 A. J. Barash, « Qu’est-ce que la mémoire collective ? Réflexions sur l’interprétation de la mémoire chez Paul Ricœur », art. cit., p. 190.
92 L. A. Umbelino, « Herméneutique, architecture et humanisation de l’espace. L’architecture des lieux de la mémoire selon Paul Ricœur », p. 74.
93 MHO, p. 183.
94 L. A. Umbelino, « L’étoffe spatiale de la mémoire. Lectures de M. Merleau-Ponty et P. Ricœur », Studia Phaenomenologica, 13 (2013), p. 325-334.
95 P. Ricœur, Temps et récit, vol. 3, Le temps raconté, Paris : Seuil, 1985, p. 216.
96 A. J. Barash, « Qu’est-ce que la mémoire collective ? Réflexions sur l’interprétation de la mémoire chez Paul Ricœur », art. cit., p. 190.
97 CS, p. 114.
98 Voir B. Waldenfels, « Paul Ricœur : Raconter, se souvenir et oublier », Études Ricœuriennes / Ricœur Studies, 10/1 (2019), p. 10 - 26.
99 MHO, p. 49.
100 Pour une analyse plus détaillée du rapport entre mémoire, habitude et habiter, voir F. D’Alessandris, « La durée dans la dureté. Espaces de la mémoire et mémoires de l’espace chez Paul Ricœur », art. cit., p. 67-69.
101 MHO, p. 226. Ici Ricœur se réfère à N. Eliais et P. Bourdieu. Sur ce point, voir aussi M. C. C. Vendra, « Paul Ricœur Phenomenological Diagnostic of the Body. Being Corporally Situated in the Sociohistorical World », in R. Savage (éd.), Paul Ricœur and the Lived Body, Lanham : Lexington Books, 2020, p. 153-174.
102 Pour commencer à se pencher sur ce sujet, voir P. Ricœur, « Architecture et narrativité », art. cit., p. 51.