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De l’existence à l’histoire de l’être : Raison et liberté chez Heidegger
Table of content
Introduction
1Il peut sembler difficile de traiter du rapport entre raison et liberté dans le sillage de la pensée heideggérienne. En effet, Heidegger accorde un traitement très différencié et même antagoniste de ces deux notions. Il promeut la liberté au rang de détermination fondamentale de l’existence humaine, en un sens probablement inédit par rapport à l’histoire du concept de la liberté dans la tradition philosophique occidentale ; en effet la liberté est tellement définitoire de la réalité humaine, ou de ce que Heidegger appelle le Dasein, cet étant que je suis et qui en son être se rapporte compréhensivement à l’être, qu’elle n’est même plus appréhendable comme une faculté, ou bien comme une synthèse entre facultés (volonté et entendement chez Descartes) ; la liberté précède les facultés, elle est l’essence de l’homme en tant que son essence est l’existence, et Heidegger dira même dans une formule mystérieuse, que loin que l’homme possède la liberté, c’est au contraire la liberté qui possède l’homme. Donc, d’un côté, la philosophie de l’existence à laquelle contribue beaucoup Heidegger, à la suite de Kierkegaard, fait une place royale à la liberté. Mais, d’un autre côté, cette promotion de la liberté est concomitante, très manifestement, d’une dévalorisation de la raison, traitée par Heidegger dans de nombreux textes avec soupçon, voire avec dédain. On songe par exemple au fameux commentaire du principe de raison leibnizien dans le texte éponyme, où Heidegger soutient que la raison est liée au calcul, elle est essentiellement instrumentale ou calculante et préside dans les temps modernes à l’accélération de l’emprise de la technique sur le monde, et détourne, ce faisant, de cette forme plus haute de rapport à l’être que Heidegger appelle pensée (Denken), ou méditation (Besinnung) :
Car ratio, depuis toujours, ne signifie pas seulement compte à rendre au sens de ce qui justifie, c’est-à-dire fonde, une autre chose. Ratio veut dire aussi rendre compte, justifier, au sens de ce qui, par le calcul, atteint une chose, l’établit comme fondée en droit, comme exacte, et, par ce même calcul, l’assure. Ce calcul au sens large est la manière dont l’homme accueille, entreprend et assume, c’est-à-dire d’une façon générale appréhende, ap-prend quelque chose […]. [La puissance du principe de raison] marque du sceau le plus intime, mais en même temps le plus secret, l’époque de l’histoire occidentale que nous appelons les temps modernes. [….] L’homme moderne […] se soumet à la puissance du principe de raison d’une manière toujours plus prompte et plus exclusive. […] Nous savons aujourd’hui, sans le comprendre encore tout à fait, que la technique moderne nous pousse constamment à conférer à ses dispositifs et produits une perfection totale et aussi haute que possible. Cette perfection consiste en la réussite totale d’un calcul mettant en sûreté sans exception, et les objets, et le calcul qu’on en fait, et l’assurance que les possibilités de calcul sont elles-mêmes calculables. […] La calculabilité des objets présuppose la validité universelle du principe de raison. Enfin la domination, ainsi entendue, du principe caractérise l’être de l’époque moderne, de l’âge technique1.
2La raison, pensée à l’aune du cadre fixé par le principe de raison, promeut le calcul et l’instrumentalité à mesure qu’elle refoule la possibilité de la pensée méditante. En effet : « Si nous devons parvenir à un chemin de pensée, il nous faut avant tout découvrir une distinction qui nous rende visible la différence de la pensée simplement calculante et de la pensée méditante »2. Inutile de rappeler à cet égard la phrase célèbre de Heidegger selon laquelle « la science ne pense pas »3, sentence qui lui valut de nombreuses critiques de la part de ses détracteurs, au motif qu’il y aurait chez lui comme une sorte d’apologie de l’irrationalisme4. On tâchera de montrer que cette attaque est certainement injuste, et que la critique heideggérienne du concept de raison suit une logique que l’on retrouve souvent dans les analyses historiques de type herméneutique qu’il effectue à l’endroit des différents concepts majeurs de la tradition métaphysique : la raison — tout comme les concepts de cause, de vérité, de jugement, etc. — est en réalité un concept qui dissimule et refoule un sens plus originaire et plus positif qu’il appartient à la pensée, plutôt justement qu’à la science, de se réapproprier, ce qui passe par une méditation du type d’expérience que les Grecs faisaient du logos, avant sa traduction romaine par le concept de ratio.
3Si l’on ne faisait pas ce travail qui consiste, par-delà la destruction (Abbau) méthodique de la notion latine de raison, de voir en quoi cette destruction n’est en aucun cas un procédé simplement négatif, mais vise à ressaisir l’impensé que ce concept métaphysique de raison a recouvert, alors on ne comprendrait même pas comment Heidegger peut, par ailleurs, entériner la liberté comme détermination d’essence de l’être de l’existence, ou du Dasein. En effet, la liberté se comprend traditionnellement comme la détermination d’un être raisonnable, d’un être dont l’essence ne s’épuise pas dans la seule naturalité ou matérialité, ni même dans la seule animalité, mais comporte une spiritualité en laquelle s’exprime le propre de son être. « L’animal rationale », qui traduit le zôon logon ekhon grec, se caractérise en son aptitude métaphysique à démêler et à dire le vrai du faux, à suivre le bien en évitant le mal, et à réfléchir aux conditions de son propre salut. Or ces trois formes fondamentales de l’expérience de la raison théorique, pratique, sotériologique (et dont la tripartition est reprise par Kant dans les trois parties de l’idée de système : critique de la raison pure théorique, critique de la raison pratique, critique de la faculté de juger), engagent toutes la notion de liberté comprise comme détermination d’un être qui en son être n’est pas rivé à la matière, mais est capable de s’élever au-delà du factum de l’être pour se rapporter à des buts idéaux. De ce point de vue, si la liberté est impossible sans engager du même coup la raison, alors il faut s’attendre à ce que chez Heidegger l’importance conférée à la liberté ne soit pas séparable d’une réévaluation concomitante de la raison, fût-ce sous une forme archéologiquement plus pure car plus originaire, avant son recouvrement historial par la pensée romaine, puis chrétienne et enfin moderne. Contrairement à tout procès en irrationalisme, il faut veiller à souligner que pour Heidegger la liberté ne peut être comprise comme l’essence du Dasein que pour autant que celui-ci se définit comme l’ouverture au sens de l’être, sens de l’être qui est posé explicitement par le paragraphe 7 d’Être et Temps comme le transcendantal pur et simple, et l’atteinte du sens de l’être n’est rien de moins que celle de l’universel, au sein d’une connaissance transcendantale :
L’être, en tant que thème fondamental de la philosophie, n’est pas un genre d’étant, et pourtant il concerne tout étant. Son « universalité » doit être cherchée plus haut. Être et structure d’être excèdent tout étant et toute déterminité étante possible d’un étant. L’être est le transcendens par excellence. La transcendance de l’être du Dasein est une transcendance insigne, dans la mesure où en elle résident la possibilité et la nécessité de la plus radicale individuation. Toute mise à jour de l’être comme transcendens est connaissance transcendantale. La vérité phénoménologique (ouverture de l’être) est veritas transcendantalis5.
4Ce texte prescrit le thème de la philosophie, la connaissance de l’être qui est connaissance transcendantale, donc Heidegger reprend sans conteste le flambeau du rationalisme kantien ou husserlien, puisque la marque propre du Dasein est de se rapporter à l’universel, assimilé par Heidegger à l’être dans sa différence ontologique d’avec tout étant. Ce rapport à l’universel, cette ouverture au sens de l’être qui constitue si l’on veut la spiritualité du Dasein, est précisément caractérisée ici en termes de transcendance, c’est-à-dire dans le langage de Husserl en termes d’intentionnalité, qui est le propre de la liberté, ce que le paragraphe 9 d’Être et Temps nomme l’existence (Existenz). Le second Heidegger ne variera pas substantiellement sur ce point, même s’il ne parle plus alors du sens de l’être, mais plutôt de la vérité de l’être à laquelle le Dasein est ouvert par le recueillement (où il faut entendre ici le logos grec en ce qui le caractérise : le legein, qui signifie recueillir dans l’unité d’une saisie la multiplicité qui se donne à voir, ce que la tradition ultérieure aura tôt fait de traduire par jugement, intellection, ou justement raison).
5Mais si la liberté constitue la substance même de notre humanité spirituelle en tant qu’elle est capable de se hisser au-delà du particularisme et de la relativité de sa condition matérielle, biologique, culturelle, sociale, historique, pour se tourner vers l’universel, en quoi Heidegger apporte-t-il quoi que ce soit de neuf ? C’était déjà chez Husserl le sens de la réduction phénoménologique, comme manifestant la forme supérieure d’une liberté motivée par rien d’autre que la propre décision spontanée de la conscience d’interrompre son immersion dans l’attitude naturelle et, par une conversion radicale du regard, de se tourner vers les conditions de possibilités des significations mondaines réales, de la perception aux idéalités mathématiques6. Chez Husserl, au terme de ce parcours fondé sur la liberté de la conscience de s’extirper hors du monde, la conscience prenait comme il est bien connu conscience d’elle-même comme origine constituante ultime du champ phénoménal. Heidegger refuse certes cette solution comme étant ontique, où le caractère subjectiviste de la démarche est symptomatique d’une confusion entre le plan de l’être et celui de l’étant (puisque l’absolu se voit assimilé par Husserl à cette région originaire qu’est la conscience comprise comme champ phénoménal, comme a priori de la corrélation entre l’objet transcendant et ses modes subjectifs de donation, ou encore comme structure corrélationnelle noético-noématique ; mais quelle que soit la façon dont on pose les choses, Husserl confond l’absolu avec la conscience, donc avec le mode d’être d’un étant). Ceci dit, Heidegger accepterait-il pour autant la forme de la démarche husserlienne, à savoir que par son existence libre le Dasein est appelé à se hisser hors de la clôture de son monde fini et des réalités particulières qui l’habitent pour se tourner vers l’universel par un processus d’infinitisation spirituelle ?
6Pour répondre à cette question, on procédera en trois temps. Dans un premier temps, s’appuyant sur la première pensée de Heidegger, celle qui culmine dans la position philosophique d’Être et Temps, on soutiendra que la liberté est conditionnée et strictement encadrée par la finitude de l’existence humaine, et qu’il s’agit là d’un apport original de la pensée de Heidegger à cette question de la liberté7. Dans la seconde partie, on posera le problème de savoir si cette équation entre finitude et liberté permet à Heidegger de surmonter l’écueil du subjectivisme. En réponse à cela, on suggérera comment le tournant de Heidegger, à l’orée des années 30, modifie le sens de la liberté afin de la débarrasser de son ancrage dans le Dasein, pour en faire un trait d’essence de la vérité de l’être elle-même. Cela mènera dans un dernier temps à un ultime problème : si la liberté est moins une faculté humaine que le miroir dans l’existence de l’ouverture ontologique (ouverture par l’être de la présence), bref si nous ne sommes libres que pour autant que nous sommes ouverts à l’ouverture de l’être, alors la liberté de l’existence n’est-elle pas conditionnée par l’initiative de l’être à bien vouloir se donner (s’ouvrir) ? S’il s’avère que la vérité de l’être vient dans l’histoire (la fameuse histoire de l’être qui est en même temps l’histoire de la métaphysique) à se retirer, à se dissimuler, alors le Dasein soumis à l’errance n’est-il pas privé du bénéfice de la liberté ? La liberté comprise à la lueur de l’histoire de l’être elle-même comprise comme l’histoire de l’oubli croissant de la vérité de l’être, ne se renverse-t-elle pas en servitude, et le rationalisme ontologique de Heidegger selon lequel l’essence de la raison réside dans la vérité de l’être, ne bascule-t-il pas dans une forme d’irrationalisme, dès lors qu’il serait entendu que l’être refuse d’accorder au Dasein sa vérité, de façon toute semblable à l’esprit du gnosticisme, auquel on a dit que Heidegger avait succombé8?
1. Liberté et finitude
7L’existence libre du Dasein est-elle vouée à transcender la finitude de sa condition pour se rapporter à l’absolu qu’est l’être et à la vérité transcendantale qui le caractérise ? Non, tout au contraire, et l’originalité de la position heideggérienne consiste à promouvoir tout autant l’essentielle liberté du Dasein que d’insister ce faisant sur son sens fini. La finitude est comprise comme l’horizon indépassable de la liberté du Dasein, et cette finitude n’est pas un pis-aller (coupant de l’infinitude divine par exemple), mais la condition de possibilité pour la manifestation du sens de l’être. En aucun cas le Dasein n’est donc libre en tant qu’il serait voué à s’infinitiser (par la réduction phénoménologique, chez Kant par la moralisation où il atteindrait graduellement un règne nouménal des fins, chez Hegel en se laissant subsumer par l’esprit universel se réalisant dans le monde). Bien plutôt, le Dasein n’est libre que pour autant qu’il est fini, c’est-à-dire qu’il existe en vue des possibilités d’être qu’il a à être, à la différence des choses matérielles simplement présentes, indifférentes au fait d’être, et qui n’ont pas à décider de ce qu’elles sont, mais se contentent simplement d’être ce qu’elles sont. Heidegger anticipe ici la distinction sartrienne entre pour-soi et en-soi, et le Dasein caractérisé comme existence au paragraphe 9 d’Être et Temps est immédiatement assimilé à un pouvoir-être (Seinkönnen). Cette liberté finie culmine dans l’une des thématiques centrales de l’opus magnum de 1927, à savoir l’être pour la mort (Sein-zum-Tode) qui établit que la mort, comprise comme possibilité suprême, « possibilité de ne plus avoir de possibilités », révèle au Dasein précisément qu’il est un être possibilisant. Ainsi la mort me révèle ma propre liberté en tant que liberté finie. Elle me montre précisément que ma liberté consiste à exister en avant de soi, projeté sur des possibilités d’avenir que j’ai à être, et à la lumière desquelles j’éclaire la situation où je me trouve jeté, afin d’y puiser les ressources présentes dont je dispose. C’est dire que la liberté heideggérienne, de façon semblable à ce que fera Sartre dans l’Être et le Néant, est si grande, dans sa finitude même, qu’elle n’est limitée que par l’avenir de la mort, et non pas tellement par les contraintes susceptibles de s’imposer au Dasein sur le mode du fait accompli, et pour tout dire comme relevant de son passé (contraintes du corps, de la classe sociale, de la culture, de l’enracinement historique dans une époque déterminée, etc.). En effet, les contraintes de notre situation — de notre Geworfenheit, données dans l’affectivité (Befindlichkeit) — trouvent leur sens à la lueur seulement des projets que nous avons d’abord effectués ; la contrainte n’est vivable comme contrainte que parce qu’elle présuppose la liberté préalablement9.
8Pour compléter ce tableau, il faudrait ajouter que chez Heidegger la théorie de l’existence libre se double pourtant d’une tendance pour le Dasein à ne pas assumer cette liberté présentée comme un fardeau : fardeau ou lourdeur existentielle consistant à être jeté dans l’être tout en ayant pourtant la charge ontologique de décider du sens de cet être (cf. la facticité au paragraphe 29 d’Être et Temps). D’où alors la tendance pour le Dasein à exister sur un mode impropre ou inauthentique, à ne pas assumer ses structures d’existence encadrées par son essentiel pouvoir-être soucieux, mais à s’écraser sur le monde et à se comprendre plutôt sur le modèle des choses — les choses d’usage, les ustensiles (Zuhanden) ; ou bien les choses simplement là, présentes et subsistantes (Vorhanden). Cette tendance à la déchéance (Verfallen) caractérise le Dasein dans la médiocrité de son existence quotidienne, en un sens non pas moral du terme, mais au sens ontologique d’une existence moyenne, habituelle. La déchéance est une expression de la liberté, quoique vécue sur un mode inauthentique (avec mauvaise foi dira Sartre). Il y a dès lors, on le comprend, deux niveaux de liberté, existential et existentiel. Le niveau existential désigne la liberté comme structure incessible de l’existence, en tant qu’ouverture à l’être sur le mode du projet : le Dasein a à être son être, qu’il le veuille ou non, qu’il l’assume ou le fuie. Mais à un niveau modal, ou existentiel, la liberté consiste dans l’aptitude à se saisir positivement de ce pouvoir-être, à l’assumer pleinement, et l’attitude qui caractérise cette assomption est décrite dans des pages bien connues d’Être et Temps comme « résolution » (Entschlossenheit) et « devancement » (Vorlaufen), qui naissent de la saisie angoissée de la possibilité de ma mort qui, loin de me figer dans une torpeur paralysante, me rend libre pour mon existence, et enfin véritablement maître de ma vie et de mes possibles.
9Cette finitude essentielle qui donne à la liberté son cadre constitue donc bien un apport important de Heidegger sur cette question. La finitude de la liberté, et partant de la raison humaine pour autant encore une fois que la liberté désigne la condition même d’un être spirituel, reviendra sous une forme spectaculaire dans la querelle bien connue qui opposa Heidegger à Cassirer lors du fameux débat de Davos en 1929, dans leurs interprétations respectives de la Critique de la raison pure de Kant. Cassirer, fidèle au cadre du néokantisme, reconnaissait certes dans son interprétation une limitation de la connaissance par l’horizon fini de la sensibilité et de ses formes spatio-temporelles, mais il rappelait néanmoins que la raison est capable d’infinitisation, et que celle-ci est la marque d’un être libre, d’un être métaphysique apte à viser l’inconditionné (cette visée de l’inconditionné n’étant pas seulement une errance inévitable pour la raison incapable de s’en tenir aux bornes de l’expérience sensible, mais ayant une véritable positivité pour la possibilité même de la connaissance scientifique de la nature ; chez Kant les Idées de la raison, en effet, ont un usage régulateur et donnent un maximum de systématicité à la visée scientifique, et à l’histoire de son progrès téléologique10). Quand bien même cette visée serait problématique du point de vue de l’intérêt théorique, sans qu’une connaissance ne soit jamais possible des objets visés par la métaphysique, il reste que cette visée est elle-même une élévation hors de la sensibilité, pour trouver sa réalisation effective dans le cadre de la raison pratique, dès lors que la raison pure pratique découvre en elle-même le principe autonome de sa volonté : la loi morale par quoi le sujet raisonnable se pose comme nouménal, c’est-à-dire irréductible au champ de la phénoménalité mondaine réglée par les formes du temps et de l’espace. L’interprétation de Heidegger consistait au contraire à insister contre Cassirer sur le fait que les concepts kantiens, même purs (les catégories) n’ont de sens (en langage kantien : ne sont représentables) que pour autant qu’ils trouvent un support sensible (et surtout temporel), d’où l’importance extrême de l’imagination transcendantale conçue chez Kant comme une faculté médiatrice permettant, dans le schématisme, de rendre sensible la catégorie, c’est-à-dire représentable objectivement. L’usage des catégories hors du champ de la connaissance où l’entendement préside, lorsqu’il est mis à la solde de l’intérêt de la raison pour viser l’absolu inconditionné, ne sape pas le travail du schématisme et de l’imagination pensée comme une exhibitio originaria, et c’est pourquoi Heidegger pouvait soutenir tout au long de son interprétation le caractère structurant de la finitude y compris dans le cadre d’une dialectique transcendantale de la raison dans son élévation problématique vers l’infini inconditionné. S’agissant de la morale, voilà ce que Heidegger répondait :
Cassirer veut montrer ensuite que la finitude est transcendée dans les écrits éthiques. Dans l’impératif catégorique, il y a quelque chose qui va au-delà de l’essence finie. Mais le concept de l’impératif comme tel montre précisément le rapport interne à un être fini. Cette transcendance elle-même demeure à l’intérieur de la finitude11.
10D’où alors cette conséquence que tire Heidegger : si la transcendance est comprise comme arrachement au fini, infinitisation, alors soit ; mais cela, loin de signifier que le Dasein est susceptible de s’affranchir du fini, ne fait que confirmer encore une fois le caractère indépassable de la finitude, qui encadre la transcendance du Dasein :
L’homme n’est donc jamais infini et absolu dans la production de l’étant lui-même, mais il est infini dans le sens d’une compréhension de l’être. Cette infinitude de l’ontologique est essentiellement liée à l’expérience ontique, si bien que l’on doit dire inversement : cette infinitude qui se fait jour dans l’imagination [exhibitio originaria] est précisément l’argument le plus fort pour la finitude. L’ontologie est un indice de la finitude. Dieu ne la possède pas12.
11Le problème que l’on posera en guise de transition vers la seconde partie de cette réflexion, est celui-ci : à force de penser la finitude du sens en termes de possibilités libres qui, en tant que possibilités, sont encadrées par la mort, elle-même entendue comme la possibilité suprême, certaine, incessible, celle de ne plus avoir de possibles, Heidegger reste-t-il fidèle à son projet initial dans Être et Temps qui est de s’appuyer sur l’ouverture finie du Dasein en vue de cheminer vers la question de l’ouverture du sens de l’être en général ? N’y a-t-il pas un risque, dans la mise en œuvre d’une analytique existentiale des structures d’être du Dasein, cet étant que je suis et qui en son être se rapporte à l’être, de ne pas pouvoir mener à bien ce pour quoi après tout l’analytique existentiale n’est qu’une méthode et non une finalité, à savoir l’ontologie fondamentale elle-même, avec son objectif qui est de poser à nouveaux frais la question du sens de l’être en général ? La question est importante pour nous : si en effet il était avéré que la liberté du Dasein, tout compte fait, se résume à la projection de possibles, à l’injonction qui est donnée à cet étant que je suis de s’auto-déterminer, de se choisir sur un sol qui est celui de la contingence, alors pouvons-nous maintenir le lien entre liberté et raison, laquelle raison réside, nous le notions, dans l’aptitude de se tourner vers les lois universelles et les structures nécessaires de l’être, bref vers l’absolu ? Si, tout compte fait, le Dasein n’est ouvert qu’à lui-même, ou bien, à l’échelle communautaire, à sa propre nation, ou à sa propre culture (voire encore à sa propre époque), ne courons-nous pas le risque d’un relativisme consistant à conditionner le sens ouvert par le Dasein sur sa seule structure existentiale ? À défaut de tomber dans l’irrationalisme, Heidegger dans sa promotion d’une liberté finie ne cède-t-il pourtant pas à un particularisme, au relativisme et même à l’arbitraire du sens et de la vérité dont le Dasein serait la seule mesure, ce que confirment les paragraphes 32 et 44 d’Être et Temps, où le sens (Sinn) et la vérité (Wahrheit, Unverborgenheit) sont tour à tour présentés comme des structures existentiales du Dasein lui-même, et non pas comme on s’y serait attendu des propriétés de l’être même, dans sa généralité et sa transcendance ? Chez Heidegger, le projet d’une connaissance transcendantale de l’être n’est-il pas alors vicié dans le geste même où il est entrepris, la connaissance de l’être en tant qu’être étant barrée par la méthode de l’analytique existentiale qui ne permet d’exhiber que le seul horizon fini de l’être du Dasein ?
12À titre de parenthèse, on sait qu’Husserl, sans doute le plus grand des phénoménologues rationalistes, ne craignait pas seulement l’emprise des sciences objectivistes de son époque et les ravages du naturalisme sur le champ du spirituel ; il désespérait par-dessus tout face aux dérives anthropologisantes émergeant du sein même de l’école phénoménologique (chez Scheler et Plessner par exemple, mais également chez Heidegger lui-même, lui dont l’analytique existentiale se réduisait, selon Husserl, à une simple anthropologie philosophique des structures de l’existence humaine). Cet anthropologisme, variante du psychologisme, était même aux yeux du père fondateur de la phénoménologie encore à l’œuvre dans la philosophie transcendantale kantienne, laquelle n’était pas immunisée tout compte fait contre l’irrationalisme professé et assumé par un empirico-sceptique comme Hume, dès lors que la recherche de l’universel et de la nécessité des lois de la nature par la science était sinon illusoire (chez Hume), du moins (chez Kant) biaisée par la structure finie (fût-elle transcendantale) des facultés de l’esprit humain13. L’ontologie fondamentale de Heidegger pouvait-elle tomber sous le couperet de la même critique ?
2. L’essence de la vérité
13À bien des égards le tournant (Kehre) de la pensée de Heidegger constitue une tentative de répondre à ces critiques et de sortir l’ontologie d’une ornière dont on ne dira pas avec Husserl qu’elle est coupable d’anthropologisme (Heidegger estima toujours que ce jugement concernant sa première philosophie relevait du contresens), mais qu’elle fait reposer trop fortement les structures du sens de l’être sur la constitution existentiale du Dasein. Si l’on considère maintenant la conférence « De l’essence de la vérité » de 1930, Heidegger fait un lien célèbre entre vérité de l’être et liberté, autour de la thèse que l’on commentera brièvement selon laquelle l’essence de la vérité est la liberté. La liberté cesse définitivement d’être pensée comme une faculté humaine, ou comme le propre du Dasein, mais elle devient une détermination essentielle de l’être même : la liberté convoque dès lors l’homme au Dasein, c’est-à-dire à « être le là de l’être », autrement dit à s’ouvrir à cela qui s’ouvre déjà, la présence des étants, pour la recueillir et la saisir, au sens du logos (qui est le concept approprié de la raison, que le concept romain de ratio vient recouvrir). La liberté du Dasein est désormais le miroir de la liberté de l’être, liberté consistant à accorder (Seinlassen) la présence au sein de laquelle le Dasein peut parachever ce don en l’élevant à la discursivité. C’est en ce sens que la Lettre sur l’humanisme parlera de l’homme comme du « berger de l’être ».
14Heidegger dans cette conférence commence par méditer sur le sens de la vérité (qui est classiquement, rappelons-le, l’un des trois vénérables idéaux de la raison, avec le bien et le beau). Il s’agit de sauver d’abord la vérité des rets d’une théorie adéquationniste, bien en place depuis Thomas d’Aquin, et qui remonte à la théorie platonicienne de la vérité comprise en termes d’homoiosis, correspondance entre la proposition et l’état de chose, ce que Thomas nomme fameusement adæquatio rei et intellectus ; conception de la vérité qui loin de la définir en réalité la présuppose déjà, puisqu’elle part du principe que derrière un tel accord l’étant s’est déjà manifesté. Or cette manifestation préalable est la vérité proprement dite, comprise phénoménologiquement en termes de dévoilement, et ce conformément à la pensée grecque, que Heidegger cherche à se réapproprier (la vérité comme alètheia), soulignant ainsi que la vérité n’est pas fondée sur une faculté ou une aptitude humaine (langage, intellection, démonstration, etc.). Reste que cette éclaircie de la présence, ce dévoilement préalable, nécessite la disposition ontologique d’un étant, le Dasein, de faire face à ce qui se montre, à pouvoir en son être s’ouvrir à l’ouverture si l’on veut, et c’est justement cette aptitude ontologique qui constitue la liberté :
D’où l’énoncé qui rend présent tient-il la consigne de s’orienter vers l’objet et de s’accorder selon la loi de la conformité ? [Autrement dit : qu’est-ce qui fonde ou rend possible la vérité au sens de la correspondance entre une proposition qui dit quelque chose de quelque chose — legein ti kata tinos — et l’état de chose auquel il se rapporte ?] Pourquoi cet accord est-il déterminant pour l’essence de la vérité ? Comment seul peut s’effectuer le don préalable (Vorgabe) d’une mesure et comment se produit l’injonction de s’accorder ? C’est ce qui ne se réalisera que si cette donation préalable (Vorgeben) [nous] aura déjà rendus libres à l’ouvert pour ce qui se manifeste en lui et qui va lier toute présentation. Se libérer pour la contrainte d’une mesure n’est possible que si on est libre à l’égard de ce qui est manifeste au sein de l’ouvert. Une pareille manière d’être libre se réfère à l’essence jusqu’à présent incomprise [dans toute la tradition] de la liberté. L’ouverture du comportement, ce qui rend intrinsèquement possible la conformité, se fonde dans la liberté. L’essence de la vérité est la liberté14.
15Cette perspective est bien différente de celle d’Être et Temps où Heidegger fondait encore la vérité, qu’il interprétait déjà certes en termes phénoménologiques comme dévoilement, dans l’existentialité du seul Dasein compris comme être-découvrant ; loin que la vérité ne désignât alors une détermination d’essence de l’être même, elle était ramenée à la structure existentiale du Dasein, ce qui revenait à l’onticiser et à passer inévitablement à côté de la différence ontologique. Maintenant Heidegger, dans ce texte qui signe le fameux tournant (Kehre), vise à immuniser la vérité de l’être contre toute fondation ontique, et ce faisant on peut avancer qu’il poursuit le projet d’un rationalisme conséquent visant à sauvegarder l’universalité et la nécessité de la vérité, elle-même absolutisée, de toute fondation indue dans un étant (si au contraire la vérité était relative à la structure existentiale du Dasein, il pourrait y avoir autant de vérités que de types de structures existentiales — pensons par exemple à un Dasein non humain doté d’un autre type d’existentialité, ou bien à ce qu’il en serait si le Dasein venait à disparaître de la surface de la terre : on peut douter que l’anéantissement du Dasein implique la fin de la vérité elle-même, laquelle semble indépendante au contraire des vicissitudes du monde). Voilà pourquoi Heidegger peut écrire que la liberté consiste pour le Dasein à se laisser convoquer par la vérité elle-même conçue comme la structure ordonnée des choses se dévoilant en présence :
La liberté n’est pas seulement ce que le sens commun aime à faire passer sous ce nom : le caprice qui parfois surgit en nous, de pousser notre choix vers telle ou telle extrémité [le libre arbitre avec en toile de fond la fameuse liberté d’indifférence cartésienne]. La liberté n’est pas une simple absence de contrainte relative à nos possibilités d’action ou d’inaction. Mais la liberté ne consiste pas non plus en une disponibilité à l’égard d’une exigence ou d’une nécessité [cf. la loi morale kantienne] […]. Avant tout cela (avant la liberté « négative » ou « positive ») la liberté est l’abandon au dévoilement de l’étant comme tel. Le caractère d’être dévoilé de l’étant se trouve préservé par l’abandon ek-sistant ; grâce à cet abandon (Sich-einlassen : engagement), l’ouverture de l’ouvert c’est-à-dire la « présence » (Da), est ce qu’elle est15.
16Dès lors, pour sortir des préjugés métaphysiques à l’égard de la liberté (des préjugés qui la définissent tour à tour comme absence de contrainte, liberté de l’arbitre, indépendance par rapport à ce qui ne dépend pas de soi, ou bien, chez Kant, autonomie), il faut l’envisager dans son essence la plus profonde comme « laisser-être » (Seinlassen) :
La liberté a été déterminée d’abord comme liberté à l’égard de ce qui est manifeste au sein de l’ouvert. Comment faut-il penser cette essence de la liberté ? Le révélé (ce qui est manifeste), auquel se rend adéquat le jugement apprésentatif en tant qu’il est conforme, est l’étant tel qu’il se manifeste pour et par un comportement ouvert. La liberté vis-à-vis de ce qui se révèle au sein de l’ouvert laisse l’étant être l’étant qu’il est. La liberté se découvre à présent comme ce qui laisse-être l’étant16.
17Mais cela est possible à son tour parce que plus fondamentalement « laisser-être l’étant […] signifie s’adonner à l’ouvert et à son ouverture, dans laquelle tout étant entre et demeure, et que celui-ci apporte, pour ainsi dire, avec lui. Cet ouvert, la pensée occidentale l’a conçu à son début comme ta aletheia, le non-voilé »17. Ainsi la liberté est ekstatique, elle est l’ouverture (du Dasein) à l’ouverture (aletheia) de l’être qui abrite l’étant. Cette ouverture libératoire est la marque de l’ek-sistant (le Dasein), qui dépasse l’étant dévoilé pour le saisir à l’aune de l’ouvert. Vient alors cette remarque capitale :
L’homme ne « possède » pas la liberté comme une propriété, mais tout au contraire : la liberté, le Da-sein eksistant et dévoilant, possède l’homme, et cela si originairement qu’elle seule permet à une humanité d’engendrer la relation à l’étant en totalité et comme tel, sur quoi se fonde et se dessine toute l’histoire18.
18On voit donc que Heidegger inverse le rapport entre l’homme et la liberté, en montrant que la liberté est plus ancienne que l’homme, qu’elle le possède, parce que la liberté est à comprendre non comme une faculté d’un être raisonnable, mais du point de vue de l’essence de la vérité de l’être qui est de laisser être l’étant dans l’ouvert. Le point intéressant, qui servira de transition pour une dernière série de réflexions, c’est l’entrée en scène, dans l’analyse du lien entre liberté et vérité (laquelle est encore une fois le cœur du rationalisme bien compris de Heidegger), de l’histoire. Pourquoi l’entrée en relation du Dasein avec l’étant en totalité fonde-t-elle l’histoire ? Le lien à la vérité n’est-il pas au contraire anhistorial, la vérité ne désigne-t-elle pas le plan de l’universel et du nécessaire, indépendamment des vicissitudes du temps ? L’histoire ne doit-elle pas à la rigueur désigner simplement la durée sur le temps long où se déroule le progrès des connaissances humaines (ou le cas échéant leur déclin) dans l’histoire des sciences et des techniques, guidées par l’idéal régulateur d’une saisie intégrale de la vérité ? Or ce n’est pas ainsi que Heidegger envisage le lien constitutif entre vérité et histoire.
19Sur ce point, il faut donc rappeler la grande thèse de Heidegger concernant l’articulation entre vérité de l’être et histoire de l’être : c’est parce que la vérité, comprise à partir du grec a-letheia (dé-voilement), comporte une part constitutive de voilement, que l’histoire advient (Geschichte), histoire qui est dès lors celle de l’oubli graduel de l’être. Mais pourquoi y a-t-il un voilement de l’être, une dissimulation essentielle qui empêche le Dasein de voir la différence ontologique et qui le condamne, dans toute l’histoire de la métaphysique, au nom de sa liberté même, à confondre l’être avec des figures diverses de l’étant (eidos chez Platon, energeia chez Aristote, hen chez Plotin, Dieu dans la tradition chrétienne, substance dans le panthéisme spinoziste, subjectum dans la modernité post-cartésienne, volonté chez Schopenhauer, Geist chez Hegel, ou encore volonté de puissance chez Nietzsche) ? En formulant la réponse à cette question, il faudra être attentif à ce qu’elle ne prête pas le flanc à une nouvelle forme d’irrationalisme dans la pensée du second Heidegger, très différente et plus virulente peut-être que le relativisme existential à l’œuvre dans sa première pensée.
3. Vérité et historicité
20Dans le texte de 1930, « De l’essence de la vérité », Heidegger indique que la dissimulation de la vérité de l’être est la contrepartie inévitable du don de la présence par l’être : il fallait que l’instance donatrice — le Es gibt Sein dont parlera bien plus tard la conférence Temps et Être, où le Es se verra qualifié comme un « événement appropriant » (Ereignis) — s’éclipse ou se retire pour laisser advenir le don, à savoir la présence des étants qui capte le regard du Dasein. Comme Heidegger l’écrit en deux temps :
[Au commencement de la philosophie occidentale], l’étant en totalité se découvre comme physis, « nature », terme qui ne vise pas encore ici un domaine particulier de l’étant, mais l’étant comme tel en sa totalité, perçu sous la forme d’une présence en éclosion. Ce n’est que là où l’étant lui-même est expressément élevé et maintenu dans son non-voilement, là où ce maintien est compris à la lumière d’une interrogation portant sur l’étant comme tel, que commence l’histoire19.
21En effet :
Dans la mesure où le laisser-être laisse être l’étant auquel il se réfère dans un comportement particulier, et ainsi le dévoile, il dissimule l’étant en totalité. En soi, le laisser-être est donc du même coup une dissimulation. Dans la liberté ek-sistante du Dasein se réalise la dissimulation de l’étant en totalité. Ici a lieu l’obnubilation20.
22On entendra dès lors l’histoire de l’être (Seinsgeschichte) en un autre sens que l’histoire au sens de la suite de faits datables dans un laps temporel donné (ce que Heidegger qualifie comme Historie). L’histoire de l’être a une signification métaphysique : elle est l’histoire de la métaphysique elle-même depuis les Grecs jusqu’à l’ère contemporaine, comprise comme l’oubli croissant de la vérité de l’être en sa différence ontologique d’avec l’étant, au sein d’une suite d’époques (grecque, romaine, médiévale, moderne, contemporaine), chacune mettant en exergue des étants distingués qui servent ensuite de paradigmes pour la recherche de la vérité dans tous les différents domaines de la rationalité (science, éthique, religion, politique, art, technique, etc.). Or du fait de la structure transitive de la liberté — la liberté consistant dans le mouvement de « laisser-être l’étant » dans l’ouvert —, il est inévitable que le Dasein se laisse captiver par l’étant se manifestant, d’où la tentation de confondre l’ouverture avec un tel étant suprême. Il ne s’agit pas d’une simple maladresse métaphysique sans conséquence, car la métaphysique pour Heidegger régit le cours de toutes les options fondamentales de l’existence humaine, et la prédominance de la technique à l’époque moderne et contemporaine (planétaire) est la conséquence logique de cette histoire. Mais dans ce cas, il s’ensuit que la liberté du Dasein, celle de laisser-être l’ouvert et de le recueillir (de le comprendre), se retourne dialectiquement dans son contraire, dans une « insistance » à errer, errance historique consistant à ne pas comprendre l’être en sa vérité, c’est-à-dire à refouler systématiquement et opiniâtrement la différence ontologique entre l’être et les étants. On notera bien au passage qu’à la différence d’Être et Temps où la non-vérité était à mettre au compte de l’inauthenticité — elle-même liée à cet existential majeur qu’est la déchéance (Verfallen) —, Heidegger indique désormais que cette insistance dans l’errance n’est pas de la responsabilité du Dasein, mais a son origine dans la structure transcendantale de la vérité de l’être elle-même :
L’homme erre. L’homme ne tombe pas dans l’errance à un moment donné. Il ne se meut que dans l’errance parce qu’il in-siste [in-sistiert] en ek-sistant et ainsi se trouve toujours déjà dans l’errance. L’errance au sein de laquelle l’homme se meut, n’a pas la forme d’un ravin qui longerait son chemin et dans lequel il lui arriverait quelquefois de choir ; au contraire, l’errance fait partie de la constitution intime du Da-sein à laquelle l’homme historique est abandonné [in das der geschichtliche Mensch eingelassen ist]21.
23Mais si les choses sont ainsi, peut-on encore parler de liberté si la contrepartie de celle-ci est le retrait de la vérité et l’impossibilité pour le Dasein de pouvoir recevoir le bénéfice de sa liberté, puisqu’il est condamné en un sens, non pas à être libre comme dira Sartre, mais à ne pas pouvoir se saisir de sa liberté ? Cette impossibilité, et la servitude qui en découle pour le Dasein d’être balloté par l’histoire de l’être où il est abandonné, semble même tout à fait flagrante pour ce qui concerne le concept de raison lui-même, et la façon dont il se retourne dialectiquement pour Heidegger dans une déraison plus profonde. S’il est vrai, comme on le remarquait au début de cette réflexion, que pour Heidegger la notion romaine de raison obscurcit le sens originaire du logos grec, et que l’ancienne raison spéculative (ce que Heidegger appréhende comme une « pensée méditante ») se voit détrônée dans l’histoire au profit des formes instrumentales d’une rationalité tournée vers la domination et l’exploitation technique de la nature (ou « pensée calculante »), alors le Dasein lui-même devient une fonction de ce processus de plus en plus anonyme, et s’expose à être liquidé en lui.
4. Raison scientifique et historicité
24Dans ce contexte, c’est en particulier le sens historique de la rationalité scientifique qui se voit affecté et modifié en profondeur par cette série de mutations époquales, au cours desquelles le « principe de raison » ou principe de rationalité de l’enquête scientifique, passe tour à tour par une série de concepts fondamentaux — axioma chez les Grecs, principium chez les latins, fondement chez les modernes, proposition fondamentale (au sens du Grundsatz) chez les contemporains — qui ne sont pas de simples traductions neutres pour désigner une seule et même réalité, mais entraînent bien au contraire un recouvrement graduel de cela même qui demande à être pris en vue, à savoir l’être et l’ouverture de la présence préalables aux découpages régionaux constituant les domaines d’objets des différentes sciences. Comme l’écrit par exemple Heidegger dans Le Principe de raison :
À quoi tendent ces remarques sur les termes d’axiome, de principe et de Grundsatz ? À nous rappeler que, depuis longtemps, ils sont employés les uns pour les autres en philosophie et dans les sciences, bien qu’ils appartiennent à des domaines différents de représentation […]. Le grec axioma est dérivé de axioo, j’estime quelque chose. […]. Que veut dire « estimer quelque chose », au sens où les Grecs pensaient le rapport originel de l’homme à ce qui est ? Estimer veut dire : faire apparaître une chose dans la considération (Ansehen) où elle se tient et l’y conserver. L’axiome montre ce qui se tient en la plus haute considération […]. Pareille considération repose dans l’aspect (Aussehen) qu’elle-même présente. Ce qui, de soi, se tient en la plus haute considération ouvre au regard une échappée (Aussicht) vers cette altitude, dont l’aspect est tel qu’à partir de lui toute autre chose à tout moment reçoit son aspect et possède sa considération22.
25Les Grecs comprenaient la raison non pas comme une faculté humaine capable de poser le vrai aux fins de la maîtrise et de la domination de la nature, mais comme le recueillement (logos) et l’estimation (axioma) de l’étant dans sa tenue et dans l’aspect (Aussehen qui traduit chez Heidegger l’eidos) sous lequel il apparaît, sur le fond de l’éclaircie de la présence. Comme le montre bien D. Pradelle dans sa conférence « Système et historicité des sciences », la synonymie entre axioma, principium et Grundsatz
masque l’hétérogénéité des espaces de pensée auxquels ils appartiennent : avec le principium (ce qui est saisi en premier et contient ce qui est premier, ce qui dans un ordre sériel se trouve à la première place) s’expose le paradigme de la mise en ordre des connaissances, le primat cartésien de l’enchaînement cognitif des choses. Ce n’est plus l’eidos de l’objet qui prime, ce qui compte c’est son insertion dans un ordre sériel. L’étant devient Gegenstand : objet, corrélat d’un acte de penser23.
26Comme l’indique en outre D. Pradelle, avec le Grundsatz à l’époque contemporaine, le rapport moderne au savoir comme mise en ordre continue de prévaloir mais à ceci près que le secteur de mise en ordre est rapporté au système apophantique des propositions, et non plus à l’étant :
Les Grundsätze sont désormais des propositions premières prises dans un système de propositions et les axiomes ont la fonction d’assomptions censées garantir la construction d’un système propositionnel […]. Le système est sans objet : gegenstandlos. Les propositions fondamentales sont ainsi les pièces d’une concaténation démonstrative sans objet, comme en témoigne par exemple l’axiomatique formalisée de Hilbert24.
27L’étant disparaît concomitamment dans le fonds disponible (Bestand), lui-même compris de plus en plus comme un stock matériel soumis à cette forme de rationalité hégémonique dont on voit bien qu’elle est une rationalité technique et instrumentale.
28Autrement dit, la raison est un concept qui, dans l’histoire de l’être, entraîne graduellement non seulement la suppression de l’essence de l’être, mais aussi, la suppression de l’étant en général au profit du fonds matériel exploitable (Bestand), et donc, celle de l’homme lui-même en particulier, à savoir le Dasein, dès lors qu’il devient en tant qu’étant une partie de ce fonds disponible, une variable dans ce processus de plus en plus aveugle de la rationalité technique. C’est alors, comme le dira Heidegger, que l’homme n’est plus qu’un animal déréglé, soumis tout autant que les choses qu’il exploite à cette même logique de l’arraisonnement (terme qui traduit bien le Gestell, le dispositif, la raison menant à l’arraisonnement).
5. Liberté et historicité
29Face à cette situation, on pourrait estimer que Heidegger envisage la philosophie, dont la sienne constituerait un exemple, comme une restitution et une réactivation du sens originaire de la vérité de l’être au-delà des obscurcissements charriés par l’histoire de l’être. Et certes, c’est bien en un sens ce qu’il prétend accomplir dans un texte comme les Beiträge zur Philosophie, où il en appelle à une élite philosophique, un aristocratisme des penseurs rares et peu nombreux (die Seltenen und die Wenigen), capables de réinstaurer les possibilités les plus hautes du questionnement philosophique. Le sens ou le contenu de cet élitisme n’a d’ailleurs plus du tout le même sens que celui de la première pensée de Heidegger : l’aptitude du Dasein dans Être et Temps à faire face, authentiquement, à ses propres possibles dans la résolution et le devancement face à sa mort cède désormais la place à l’idée que les rares et les peu nombreux, ceux capables d’endurer la solitude et la détresse (Not), plutôt que la mort et l’angoisse, sont appelés à préparer le terrain pour un nouveau commencement après l’histoire de la métaphysique qui s’épuise après la fin du déploiement en présence de l’être (Wesung des Seins) initié par le premier commencement grec :
S’il devait nous être donné d’avoir encore une fois une histoire, celle d’être, à partir de l’appartenance à l’être, exposés comme créateurs au sein des étants, alors est inéluctable cette détermination-ci : avoir à préparer l’espace-temps de la dernière décision — celle de savoir si nous avons l’expérience de cette appartenance, si nous savons en assurer la fondation, et comment25.
30Ou encore :
Quelle que soit la manière dont puisse être tranchée la décision concernant l’historialité ou l’absence d’historialité, ceux qui questionnent, eux qui préparent pensivement cette décision, il faut qu’ils soient ; que chacun, venue son heure suprême de vérité, sache supporter la solitude26.
31Il semblerait dès lors que la liberté du Dasein réside dans l’aptitude à décider au sein d’une alternative que seule peut supporter une élite philosophique (condamnée peut-être à l’ésotérisme tant les sentiers battus du rationalisme techniciste ont ravagé le monde et détruit la possibilité d’une raison authentique) :
Cette nécessité [de fonder la vérité de l’estre — Seyn] s’accomplit dans la décision constante qui régit toute humanité historiale, celle-là même qui fait apparaître l’alternative : est-ce que l’être humain, à l’avenir, appartient en propre à la vérité de l’être, et ainsi, à partir de cette appartenance et pour qu’elle soit, met à l’abri la vérité […] des étants, ou bien est-ce que l’entrée en scène du dernier homme accule ce dernier à n’être plus qu’animalité déréglée et refuse à l’être humain historial le dernier Dieu27?
32Pourtant, cette décision a-t-elle véritablement encore un sens ? Pensons à ce que dit Adorno de la dialectique négative28, ou de cette raison totalitaire29 dont le déploiement historique implique inévitablement la dissolution des individus et l’exploitation intégrale de la nature au sein d’une domination purement instrumentale, au mépris des formes supérieures de la raison spéculative. Cette dernière semble de plus en plus, au fil de cette dialectique, n’avoir été qu’un leurre ou un narcotique, comme si la croyance en la transcendance et dans un règne spirituel non concerné par les tribulations de la matière représentait une illusion utile dont l’histoire s’était nourrie tout le long de son déploiement pour mieux occuper les hommes et les mettre au travail pour servir cette raison instrumentale vorace et tentaculaire… Sommes-nous à une époque post-métaphysique où les masques et les mirages de la raison spéculative sont tombés ? Mais si tel est le cas alors la liberté n’est-elle pas tout bonnement impossible, et la soi-disant élite philosophique que Heidegger appelle de ses vœux, capable de réfléchir les mystères de l’entrée en présence, n’est-elle pas alors condamnée à n’avoir aucune influence sur le cours des choses, sur le destin d’une humanité historiale à venir ?
33Heidegger avait manifestement conscience de cette extrémité, comme en témoigne d’ailleurs une certaine tonalité à l’œuvre dans les passages des Beiträge évoqués à l’instant : la décision pour ou contre la vérité de l’être implique un combat, une lutte avec l’être qui, en son fond, se caractérise moins par une générosité évanescente (celle de se retirer pour laisser advenir la présence), que par un refus opiniâtre et presque maléfique d’accorder au Dasein son sens. Cette idée traverse les Beiträge, et plus généralement la pensée heideggérienne des années 30.
34Cela a pour conséquence une ambiguïté ou un flottement conceptuel dans le traitement heideggérien d’un concept fondamental pour penser la liberté : celui de la décision (Entscheidung). D’un côté la décision semble l’œuvre du Dasein lui-même (comme nous l’avons vu), mais d’un autre côté elle s’apparente à une détermination de la vérité de l’être elle-même. Mais si l’être décide de ne pas accorder sa vérité, ou plutôt joue à leurrer le Dasein en l’exposant de plus en plus dans son histoire aux ravages de la technique (laquelle est pensée à partir du concept de Machenschaft, que l’on peut traduire par machination, afin de faire ressortir la duplicité inhérente à ce destin de l’être qui s’abat sur le Dasein dans son histoire), alors Heidegger ne tombe-t-il pas dans une forme subtile d’irrationalisme gnostique plus ou moins assumé, consistant à penser le monde historique comme une chute hors de l’esprit pur, chute qui serait en un sens le résultat d’une expulsion et d’un refus de l’instance supérieurement divine de partager sa vérité avec la créature, au sein d’une perspective qui de fait confère à l’esprit une malignité irréductible ? On envisagera par exemple ce texte aux accents nihilistes des Cahiers noirs où Heidegger écrit :
Est-ce là maintenant la seule décision : la destruction totale et le chaos ou bien la coercition d’une contrainte complète30 ? (« Ist dieses jetzt die einzige Entscheidung : völlige Zerstörung und Unordnung oder Verzwingung eines vollständigen Zwangs ? »).
35*
36Comme si dès lors l’homme, otage impuissant face à la surpuissance de l’être, assistait démuni et innocent à l’accomplissement d’une trame dont l’issue serait soit l’embrasement du monde dans un feu chaotique et destructeur (Heidegger pensait évidemment à la seconde guerre mondiale), soit la soumission intégrale de l’homme déchu de son Dasein à la logique coercitive de la machination soumettant tout étant au règne de la calculabilité en vue de la domination et de l’exploitation technique intégrale (forme prédominante de la rationalité déchue), à travers quoi la vérité de l’être se retire définitivement du monde, laissant celui-ci dans une désolation sans témoin. Cette image évidemment très pessimiste et qui ne représente sans doute pas le dernier mot de la pensée de Heidegger — même si elle continue à peser sourdement sur ses derniers textes (songeons à la formule énigmatique de Heidegger dans son entretien du Spiegel en 1966 : « Seul un Dieu peut encore nous sauver ») —, pose alors la question, à laquelle l’on ne répondra pas ici, de savoir pourquoi l’être — disons l’esprit puisqu’il s’agit de cela après tout (et même de l’esprit absolu, dès lors qu’on ne le réduit pas comme Hegel le fait encore à un étant) — refuserait d’accorder sa vérité ? Une telle perspective, qui engage manifestement une forme d’irrationalisme pour autant qu’elle brise l’identité éléatique de l’être et du pensable, a sa dignité philosophique, mais la question est bien de savoir si l’on est prêt à s’y engager ; sur ce point peut-être que tout est affaire, sinon de liberté, du moins de sensibilité.
37Heidegger
38
39Plessner
40
41Scheler
42
Notes
1 M. Heidegger, Le Principe de raison, trad. A. Préau, Paris, Gallimard, 1992, p. 253-255.
2 Ibid., p. 256.
3 M. Heidegger, « Que veut dire penser ? » dans Essais et conférences, trad. A. Préau, Paris, Gallimard, 1958, p. 157 : « [L]a science ne pense pas. Elle ne pense pas, parce que sa démarche et ses moyens auxiliaires sont tels qu’elle ne peut pas penser — nous voulons dire penser à la manière des penseurs ».
4 L’un des premiers à intenter ce procès d’irrationalisme étant G. Lukács dans La Destruction de la raison. De l’après Nietzsche à Heidegger et Hitler, tome 3, trad. D. Renault, Paris, Delga, 2017.
5 M. Heidegger, Sein und Zeit, Tübingen, Niemeyer, 1960 ; Être et Temps, trad. fr. E. Martineau
6 E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures. Tome premier : Introduction générale à la phénoménologie pure, trad. P. Ricœur, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1985, § 32, p. 102 (je souligne) : « Quand je procède ainsi, comme il est pleinement au pouvoir de ma liberté […], j’opère l’épochè phénoménologique ».
7 Cette affirmation gagnerait toutefois à être nuancée tant la pensée de Kierkegaard, dont l’influence sur Heidegger n’est évidemment pas à minorer, avait déjà fait une première percée dans la mise en relation de la liberté et de la finitude, autour de l’expérience de l’angoisse. Ainsi, dans Le Concept d’angoisse, trad. fr. K. Ferlov et J.J. Gateau, Paris, Gallimard, 1935, p. 48, Kierkegaard écrit : « On peut comparer l’angoisse au vertige. Quand l’œil vient à plonger dans un abîme, on a le vertige, ce qui vient autant de l’œil que de l’abîme, car on aurait pu ne pas y regarder. De même l’angoisse est le vertige de la liberté, qui naît parce que l’esprit veut poser la synthèse et que la liberté, plongeant alors dans son propre possible, saisit à cet instant la finitude et s’y accroche. Dans ce vertige la liberté s’affaisse ».
8 Cf. H. Jonas, « Gnosticism and modern nihilism » dans Social Research, vol. 19, n° 4 (1952), p. 430-452.
9 De façon toute semblable, Sartre écrira par exemple dans L’Être et le Néant, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1943, p. 368 : « Un obstacle matériel ne saurait figer mes possibilités, il est seulement l’occasion pour moi de me projeter vers d'autres possibles, il ne saurait leur conférer un dehors ».
10 E. Kant, Critique de la raison pure, trad. A. Trémesaygues et B. Pacaud, Paris, puf, 1971, p. 453-454 : « Je soutiens donc que les idées transcendantales n’ont jamais d’usage constitutif qui fournisse à lui seul des concepts de certains objets, et que, dans le cas où on les entend ainsi, elles sont simplement des concepts sophistiques (dialectiques). Mais, en revanche, elles ont un usage régulateur excellent et indispensablement nécessaire : celui de diriger l’entendement vers un certain but qui fait converger les lignes de direction que suivent toutes les règles en un point qui, pour n’être, il est vrai, qu’une idée (focus imaginarius), c’est-à-dire un point d’où les concepts de l’entendement ne partent pas réellement — puisqu’il est entièrement placé hors des bornes de l’expérience possible —, sert cependant à leur procurer la plus grande unité avec la plus grande extension ».
11 M. Heidegger, « Conférence de Davos » cité à partir de H. Declève, « Heidegger et Cassirer interprètes de Kant. Traduction et commentaire d’un document », dans Revue philosophique de Louvain, n° 96 (1969), p. 527.
12 Ibid.
13 « Kant
14 M. Heidegger, « De l’essence de la vérité », trad. A. de Waelhens et W. Biemel, dans Questions I et II, Paris, Gallimard, 1990, p. 172 (désormais cité « EV »).
15 EV, p. 176-177.
16 Ibid., p. 175.
17 Ibid., p. 176.
18 Ibid., p. 178.
19 Ibid., p. 177-178.
20 Ibid., p. 182.
21 Ibid., p. 186.
22 M. Heidegger, Le Principe de raison, op. cit., p. 67-68.
23 D. Pradelle, « Système et historicité des sciences ». Il s’agit d’une conférence donnée en 2017 à l’Université Laval (Québec), dans le cadre du colloque organisé par C. Sommer et S.-J. Arrien, « Heidegger aujourd’hui. Actualité et postérité de la pensée de l’Ereignis ». La publication des actes de ce colloque est en cours, mais cette conférence est accessible sur internet à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=6nXwWqcxkjQ).
24 Ibid.
25 M. Heidegger, Apports à la philosophie. De l’avenance [Beiträge zur Philosophie. Vom Ereignis], trad. fr. F. Fédier, Paris, Gallimard, 2013, § 5, p. 27, traduction modifiée (désormais cité « Beit. »).
26 Beit., § 5, p. 28, traduction modifiée.
27 Beit., § 8, p. 45, traduction modifiée.
28 T. W. Adorno, Dialectique négative, trad. fr. du groupe de traduction du Collège de philosophie, Paris, Payot, 2001, passim.
29 Cf. M. Horkheimer et T. W. Adorno, Dialectique de la raison, trad. fr. E. Kaufholz, Paris, Gallimard, 1974, p. 27 : « La raison se comporte à l’égard des choses comme un dictateur à l’égard des hommes : il les connaît dans la mesure où il peut les manipuler […]. La nature des choses se révèle [être] toujours la même : le substrat de la domination ». C’est en ce sens que « la Raison est totalitaire » (M. Horkheimer et T.W. Adorno, Dialectique de la raison, op. cit., p. 24).
30 M. Heidegger, Überlegungen VII-XI (Schwarze Hefte) (1938-1939) dans Gesamtausgabe, vol. 95, Frankfurt/Main, V. Klostermann, 2014, p. 70.