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- Volume 19 (2023)
- Numéro 3: Il ne suffit pas d'ouvrir les yeux: Intu...
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L’historicité des mathématiques comme forme de médiatisation de l’intuition chez J. Cavaillès
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Résumé
À partir d’une mise en rapport de la phénoménologie husserlienne avec la pensée de Jean Cavaillès, cet article vise à examiner l’historicité comme l’un des traits qui caractérisent les objets mathématiques comme tels et essaie d’interroger la forme de l’intuition qui permet l’accès à ces objets. En nous appuyant sur la pensée de Cavaillès, nous interprétons son article Transfini et continu comme affirmant une historicisation de l’intuition dont la forme est imposée par le domaine d’objets auquel elle permet l’accès. Cela permet de considérer des domaines d’objets plus abstraits comme offrant des bases intuitives pour des nouvelles opérations d’ordre supérieur. La construction des nombres réels selon Dedekind offre un exemple de cette idée.
Tabla de contenidos
Introduction : historicité et intuition des objets mathématiques
1L’objet de ce texte est d’envisager la connaissance mathématique en tant que domaine privilégié pour exposer l’idée d’un accès intuitif médiat aux objets idéaux qui lui sont propres. L’idée fondamentale, c’est que le mode de constitution des objets mathématiques affecte d’une façon essentielle leur mode de donation. Il faut donc questionner les modes spécifiques de constitution des différentes sortes d’idéalités afin de prendre en compte leurs modes de donnée qui s’avèrent être multiples et à chaque fois propres au domaine considéré. Ce propos demande, d’abord, une double délimitation.
2Premièrement, il est manifeste que le débat sur les fondements des mathématiques interroge le rôle et la position de l’intuition dans la connaissance mathématique. Comme le montre Jean Cavaillès, en se référant, par exemple, aux descriptions du développement de l’Analyse mathématique faites par Léon Brunschvicg dans Les étapes de la philosophie mathématique (1912), la croissance de la pensée mathématique au cours du xixe siècle exige « un changement de type d’évidence »1 qui fait de l’intuition naïve une base illégitime pour garantir l’existence des objets mathématiques. Le mémoire Rein analytischer Beweis de Bernard Bolzano, cité maintes fois par Cavaillès, illustre de manière paradigmatique cette exigence qui correspond à l’instauration de la démonstration en tant que critère de fondation des théories. La prise de distance par rapport au rôle de l’intuition s’accompagne d’une critique de la vision kantienne de celle-ci, dans la mesure où elle correspond à la structure a priori figée de la subjectivité transcendantale.
3Deuxièmement, du point de vue phénoménologique, l’idée d’un rapport intuitif aux objets idéaux et la question du mode de donnée intuitive des idéalités découlent de l’un des principes fondamentaux de la phénoménologie husserlienne, établissant que, une fois admise la possibilité d’une intuition d’essences, il devient nécessaire d’envisager une extension corrélative des concepts d’intuition et d’objet au plan de la généralité. En examinant la formation des concepts mathématiques, il semble que les idéalités ne s’offrent pas dans une donation complète et absolue qui s’exprime sous la forme d’une intuition immédiate. Il reste cependant légitime de s’interroger sur la conscience d’objet qu’elles rendent possible et qui fait de l’évidence une propriété articulée et dépendante des champs d’objets particuliers à chaque fois considérés. En effet, c’est Husserl lui-même qui considère la possibilité d’une spécification des types d’évidence en fonction des différentes régions d’objets. Il le dit par exemple au § 138 des Ideen I :
À toute région et à toute catégorie d’objets présumés correspond phénoménologiquement non seulement un type fondamental de sens ou de proposition, mais encore un type fondamental de conscience originairement donatrice de tels sens et, appartenant à ce type de conscience, un type fondamental d’évidence originaire, eidétiquement motivée par un donné originaire de ce type.2
4Il nous faut donc suivre l’indication husserlienne consistant à considérer l’objet comme le véritable fil conducteur transcendantal et nous interroger sur la manière dont la possibilité et la modalité d’accès aux objets dépend strictement de leurs modes de constitution. Ainsi, il est possible de voir à l’œuvre le principe selon lequel c’est plutôt à l’objet qu’il revient de définir une structure réglant le je transcendantal, d’après l’indication que l’on trouve au § 22 des Méditations cartésiennes.3
5Dans ce propos, nous nous attacherons de manière spécifique à l’historicité essentielle qui affecte la constitution des idéalités mathématiques pour argumenter en faveur de la possibilité de formes de remplissement médiat qui seraient le résultat d’une relativisation des facultés subjectives aux modes des formations des objets. Cette relativisation prend notamment la forme d’une historicisation de l’intuition, qui doit être vue comme le corrélat du développement autonome des concepts mathématiques. L’historicité qui affecte la constitution des idéalités implique, du côté subjectif, une historicisation de l’intuition. Nous faisons pour cela référence à la philosophie de Jean Cavaillès et nous prenons appui sur la conception de la pensée mathématique propre au mathématicien allemand Richard Dedekind, qui constitue l’une de ses sources fondamentales d’inspiration. Notre but, c’est d’exposer comment la réflexion de Cavaillès sur l’idée d’une structure étagée de la zone intuitive peut s’articuler avec la phénoménologie husserlienne en montrant une possible forme de médiatisation du rapport intuitif aux objets mathématiques, qui est exigée par l’historicité de la constitution de ces objets. Il se trouve que la possibilité de remplissements médiats est explicitement admise par Husserl en ce qui concerne la formation de concepts mathématiques au § 18 de la sixième Recherche logique. Ce type de remplissement prend alors la forme de chaînes de remplissement.
Toute formation de concepts mathématiques qui s’explicite par un enchaînement de définitions nous prouve la possibilité de chaînes de remplissements qui, chaînon par chaînon, se constituent d’intentions signitives. [...] Le remplissement qui s’effectue ici médiatement ne peut jamais se produire en même temps immédiatement.4
6Plus précisément, nous exposerons les thèses sur la structure de l’intuition que Cavaillès développe dans l’article Transfini et continu.5 Ensuite, nous tâcherons de donner corps aux thèses de Cavaillès en faisant référence à la manière dont Dedekind conçoit la génération des nombres réels dans Stetigkeit und irrationale Zahlen (1872) et à l’interprétation qu’en donne Cavaillès. Dans cette lecture, nous essayons ainsi de mettre en relation la pensée de Cavaillès avec des problématiques proprement phénoménologiques telles que le caractère médiat de l’intuition dans le cas spécifique des objets mathématiques, en nous appuyant également sur les reformulations des conceptualités husserliennes offertes par Jean-Toussaint Desanti et sur les analyses proposées, plus récemment, par Dominique Pradelle.6
L’historicité des mathématiques selon Cavaillès : la progressivité objective de la pensée mathématique
7En premier lieu, il faut nous arrêter sur la notion d’historicité pour essayer d’en dégager la portée précise qu’elle possède chez Cavaillès. Quel est le sens de cette notion qui, d’après lui, affecte les mathématiques d’une façon essentielle ? Il s’agit d’abord de caractériser d’une certaine manière la pensée mathématique et la dynamique à la base de son développement afin de justifier une vision des objectités idéales comme constitutivement affectées par une médiation historique. Quel type de médiation historique est à l’œuvre dans la constitution des idéalités ? Loin de comprendre cette médiation dans les termes d’une genèse psychologique progressive des notions, il s’agit d’une médiation qui doit être conçue comme totalement interne aux enchaînements conceptuels et qui fait de l’histoire des mathématiques un devenir original caractérisé par une nécessité interne. Comme Cavaillès le dit lors de sa conférence avec Albert Lautman où il présente les résultats de ses thèses, ce devenir qui sont les mathématiques se caractérise par deux traits corrélatifs, à savoir son autonomie par rapport aux autres domaines de connaissance et la nécessité interne qui justifie la délimitation et la fermeture de ce domaine :
Ce devenir est autonome, c’est-à-dire que, s’il est impossible de se placer hors de lui, on peut, en étudiant le développement historique contingent des mathématiques, tel qu’il se présente à nous, apercevoir des nécessités sous l’enchaînement des notions et des procédés.7
8Pour paraphraser une formule que l’on trouve dans l’introduction de sa thèse complémentaire, Remarques sur la formation de la théorie abstraite des ensembles, il y a une objectivité du devenir mathématique et cette objectivité est, à son tour, fondée mathématiquement.8 Cela veut dire que le sens des nouvelles théories n’apparaît qu’à la lumière de la place qu’elles occupent à l’intérieur des mathématiques qui sont déjà établies et par rapport à la capacité synthétique qu’elles peuvent apporter.
La réalité d’un raisonnement se trouve en quelque sorte mesurée par son brassage de matière mathématique, par l’unification qu’il procure entre objets — procédés — déjà mathématiquement existants.9
9C’est une perspective qui est très fortement influencée par le développement des mathématiques structurelles, mais qui attribue, en même temps, un rôle fondamental à l’idée que les différentes théories sont gérées par des relations asymétriques de fondation qui dérivent de la temporalité spécifique propre à leur constitution. Les recherches historiques permettent donc une compréhension des nouvelles théories en lien avec leur formation et avec les autres parties des mathématiques précédemment constituées, c’est-à-dire une vision synthétique qui met en premier plan la notion de portée d’une théorie ou d’une méthode.
10Dans sa thèse principale, Méthode axiomatique et formalisme, Cavaillès caractérise cette historicité autonome comme une forme d’engendrement indéfini des objets dans le champs thématique, expression, qui, avec l’emploi de la notion de « champ thématique », montre l’influence de la pensée husserlienne sur le lexique de Cavaillès. De manière plus fondamentale, on peut retrouver l’inspiration à la base d’une pareille caractérisation de la pensée mathématique, conçue comme une dynamique généralisante où des nouveaux objets sont introduits à chaque moment opératoire, en prenant en compte la pensée de Dedekind et notamment son discours d’habilitation prononcé en 1854 Über die Einführung neuer Funktionen in der Mathematik. La vision de Dedekind représente parfaitement l’approche conceptuelle-abstraite propre à l’École mathématique de Göttingen qui est à l’origine de l’algèbre moderne avec les travaux de David Hilbert, Emil Artin et Emmy Noether et dont l’inspiration remonte à Carl Friedrich Gauss et Bernhard Riemann. Cavaillès se forme d’un point de vue mathématique en strict contact avec cette tradition : il lit d’abord Felix Klein, et il fréquente ensuite l’Institut des mathématiques de Göttingen où il travaille à côté d’Emmy Noether à l’édition de la correspondance Cantor-Dedekind, à laquelle Cavaillès s’intéresse suite à la lecture d’un article de Fraenkel.10
11Dans son discours d’habilitation de 1854, Dedekind expose de manière programmatique sa conception du développement progressif des mathématiques qui procède par extension des domaines d’objets et généralisation des opérations. Ce développement n’est pas arbitraire, mais dépend d’une nécessité interne aux concepts, c’est-à-dire d’exigences qui sont propres au champ opératoire considéré.
Les définitions mathématiques apparaissent elles aussi sous une forme nécessairement limitée au début, et leur généralisation résulte ensuite d’un développement ultérieur. Mais, et par là la mathématique se distingue à cet égard des autres sciences, ces élargissements des définitions ne laissent plus aucune place à l’arbitraire ; au contraire elles résultent selon une nécessité contraignante [zwingender Notwendigkeit] des définitions antérieures plus limitées, lorsqu’on applique le principe de considérer comme universellement valides les lois qui proviennent des définitions initiales et sont caractéristiques des concepts qu’elles désignent.11
12Comme le note Cavaillès,12 la nécessité interne qui préside au progrès de la pensée mathématique s’exprime selon un double mouvement, d’une part, dans l’extension du domaine d’objets considéré au départ (par exemple, lorsqu’on considère l’élargissement du concept de nombre à ses différentes espèces), d’autre part, dans une généralisation des opérations dans ce nouveau champ, par rapport à leur signification initiale, ce qui implique une redéfinition intensionnelle des opérations dans le nouveau champ. Ici, déjà chez Dedekind et ensuite, et plus en profondeur, chez Cavaillès, l’extension d’un domaine d’objets et la généralisation des opérations, à savoir ce qui représente la fécondité propre d’une méthode, possèdent un rôle épistémologique fondamental dans la mesure où ils sont vus comme des principes d’intelligibilité et d’évaluation de la raison mathématique. D’ailleurs, c’est Dedekind lui-même qui souligne le rapport entre la façon de concevoir le développement progressif de la science et son organisation systématique qui correspond à sa reconstruction axiomatique. C’est là l’un des indices du fait que l’omnitemporalité qui caractérise les objets mathématiques ne peut se manifester qu’en se référant au contexte opératoire où les objets sont thématisés. Pour reprendre les termes avec lesquels Desanti discute la connexion des notions de genèse et de structure en mathématiques, « une structure formelle définie renvoie aux schèmes de genèse qui lui sont spécifiques ».13 Cela veut dire, pour continuer à citer Desanti, que « domaine d’idéalité et domaine de constitution paraissent inséparables. Le premier trouve dans le second un champ d’effectuation et une source de problèmes ».14
13Il est important de remarquer que Dedekind conçoit la progressivité des mathématiques comme une véritable création de nouveaux objets. Cette idée apparaît déjà dans le discours d’habilitation du 1854 mais elle est reprise dans la célèbre formule du mémoire du 1888 Was sind und was sollen die Zahlen ? selon laquelle « les nombres sont des libres création de l’esprit humain ». Cependant, dans les lignes immédiatement précédant ce même passage, il prononce son adhésion à une forme de logicisme et réfute clairement la thèse de reconduire le concept de nombre aux intuitions de l’espace et du temps.
En considérant l’Arithmétique (l’Algèbre, l’Analyse) comme une simple partie de la logique, j’exprime déjà que je tiens le concept de nombre pour totalement indépendant des représentations ou intuitions de l’espace et du temps, et que j’y vois plutôt une émanation directe des pures lois de la pensée.15
14La thèse réfutée avec cette déclaration manifeste son origine kantienne, bien que Dedekind l’associe plus vraisemblablement ici à William Hamilton, dont il avait lu l’ouvrage Lectures on Quaternions (1853) en 1857. C’est en effet à la position kantienne et notamment au rôle de l’intuition qu’il nous faut maintenant revenir brièvement parce que c’est justement à une critique de la philosophie des mathématiques de Kant que Cavaillès se livre dans les considérations conclusives de l’article Transfini et continu qui nous intéressent ici.
La position kantienne et le rôle de l’intuition dans la formation des concepts mathématiques : construction dans les activités effectives de la conscience
15Comme on le sait, Kant définit les mathématiques comme connaissance rationnelle qui procède par construction de concepts, où construire un concept signifie le représenter dans une intuition a priori correspondante.16 L’intuition kantienne à l’œuvre dans les mathématiques engage donc une construction des objets idéaux et, par conséquent, une position active du sujet connaissant qui opère la construction et permet une mise en évidence des idéalités. Cette activité de construction s’explique grâce à la doctrine du schématisme transcendantal selon laquelle le nombre, en tant que schème de la catégorie de quantité, est moins un véritable objet qu’un procédé de construction qui rend possible l’application de la catégorie de quantité à un divers sensible. Toute construction des concepts mathématique semble donc être soumise à sa représentation effective dans la conscience. Cela veut dire que l’activité mathématique se trouve limitée par les possibilités offertes par la constitution subjective, c’est-à-dire, par son articulation dans des facultés qui sont déterminées d’une manière rigide et par la possibilité de représentation dans la conscience.17 Les conséquences d’une pareille limitation, on peut les retrouver dans maints exemples à la fois chez Kant et chez les mathématiciens auxquels Cavaillès s’intéresse dont l’inspiration épistémologique remonte, au fond, à la philosophie kantienne. Pour ce qui est de Kant, Cavaillès fait mention, dans Transfini et continu, de l’exclusion du nombre infini que l’on trouve dans la Dialectique transcendantale de la Critique de la raison pure.18 Dans la remarque à propos de la thèse de la première antinomie, Kant définit l’infini de la manière suivante :
Le véritable concept (transcendantal) de l’infinité réside en ceci que la synthèse successive de l’unité, dans la mesure d’un quantum, ne peut jamais être achevée.19
16Cette intromission de l’intuition temporelle dans le concept de nombre a typiquement été la cible des critiques logicistes et, dans son article sur La philosophie des mathématiques de Kant (1905), Louis Couturat commentait ainsi ce passage :
Les antinomies procèdent, non des notions propres de l’espace et du temps, mais uniquement de la notion de l’infini qu’on leur applique ; on ne peut donc rien en conclure touchant l’idéalité de l’espace et du temps. On ne peut en conclure, selon nous, qu’une chose : c’est que Kant s’est fait un concept contradictoire de l’infini, parce qu’il introduit arbitrairement la notion de temps dans le nombre et dans la grandeur.20
17La conception kantienne des mathématiques semble donc strictement déterminée par la structuration des formes a priori de la subjectivité transcendantale qui impose les possibilités effectives de construction des objets idéaux. La construction dans l’intuition implique une articulation des facultés (sensibilité, imagination et entendement) établie d’une manière rigide. Dans Transfini et continu, Cavaillès met en cause la position kantienne en raison du fait qu’elle permet une prise en compte des positions contemporaines sur les conditions de l’existence en mathématiques. D’après Cavaillès, « la théorie kantienne des mathématiques obsède encore logiciens et mathématiciens, mais par ce qu’elle présente de superficiel et d’illégitimement interprétable en termes psychologiques ».21
18Au sein du débat sur les fondements, l’idée qui permet de ramener une variété de positions à leur inspiration kantienne commune, c’est la notion de construction. L’idée selon laquelle les objets mathématiques sont construits au cours de l’activité mathématique s’oppose d’emblée aux positions qui considèrent les objets mathématiques comme indépendants de tout activité subjective de pensée. Dans ce dernier cas, il s’agit d’une forme de réalisme ou de platonisme qui peut bien ressembler les points de vue, toutefois très différents, de Cantor et de Frege. Cette opposition fondamentale de deux points de vue fondationnels, on la retrouve, par exemple, dans un article de Fraenkel de 1935, cité par Cavaillès dans sa thèse principale, dans lequel il voit la position constructiviste héritée de Kant comme essentiellement caractérisée par la thèse suivante : « C’est la possibilité de construire qui est décisive, et pour cette raison les mathématiques sont un monde de construction qui s’exécutent dans le temps ».22
19Cette position est partagée à la fois par le pré-intuitionnisme de l’école française de Borel, Baire et Lebesgue et par l’intuitionnisme proprement dit de Brouwer et Becker. En particulier, le point de vue propre à Becker, est défini par Fraenkel comme une forme d’anthropologisme et il souligne immédiatement l’opposition qu’il a suscitée au sein du débat sur les fondements :
Un emploi si illimité de l’anthropologisme en mathématiques, emploi qui, à vrai dire, conviendrait mieux à d’autres sciences, a évidemment fait surgir des opposition chez les philosophes. Parmi eux Cassirer est à citer en premier lieu ; Husserl lui-même a souligné franchement son opposition et s’est joint à l’attitude réaliste de son grand prédécesseur Bolzano pour affirmer que l’existence mathématique se réduit à la non-contradiction. C’est dans une parole de Dedekind, connue seulement depuis peu de temps, qu’on trouvera la thèse la plus opposée à la conception anthropologique.23
20L’idée de Dedekind à laquelle Fraenkel fait référence ici, c’est que la force créatrice par laquelle l’activité mathématique introduit de nouvelles notions est supérieure à toute constructibilité.
21C’est justement à partir de cette exigence de constructibilité que les membres de l’école française de Borel pensent le statut des objets mathématiques qu’ils considèrent comme légitimes. L’introduction de la thèse principale de Cavaillès s’ouvre précisément avec une discussion de cette position empiriste ou pré-intuitionniste. Face aux paradoxes de la théorie des ensembles, elle essaie d’apporter une solution qui permette de manipuler avec sécurité une certaine région d’objets mathématiques. Il s’agit pour eux d’opérer une limitation du domaine d’objets qui sont acceptés comme légitimes à l’intérieur des mathématiques. Cette limitation est opérée à travers la notion d’objet défini.
Ici intervient la notion d’intuition opposée au discours, caractéristique du système de Borel. Il rejette toutes « les mathématiques verbales » ou « construction logiques […] dans lesquelles on jongle avec des symboles auxquels ne correspond aucune intuition ». Correspondent à une intuition d’une part le nombre entier, d’autre part le continu géométrique : c’est à partir d’eux et d’eux seulement que pourront être engendrés les objets mathématiques. L’engendrement est soumis au même contrôle : si la suite indéfinie des entiers est parfaitement claire, c’est-à-dire quelque chose que « chacun comprend et est assuré de comprendre […] comme son voisin », c’est qu’elle est fondée sur la proposition – résultat d’un acte effectif de l’esprit – « après chaque entier il y en a un autre ».24
22Il y a donc une césure nette, à l’intérieur des mathématiques, entre une partie concrète qui a à faire avec des objets immédiatement donnés et appréhendés dans une intuition directe et qui permet un engendrement d’autres objets sur la base des opérations effectives de la conscience, et une partie purement symbolique qui n’a aucune contrepartie intuitive correspondant à des véritables objets. On voit bien à quel point Borel assume à son compte l’opposition kantienne entre intuitivité et discursivité afin de déterminer au sein de la pensée mathématique une zone de sécurité pour opérer à l’abri des antinomies de la théorie des ensembles. Au début de ses Leçons sur la théorie des fonctions (1898), il se pose le problème de déterminer dans quelles conditions un ensemble peut être dit donné.
Nous sommes ainsi amenés à proposer la définition suivante : Nous dirons qu’un ensemble est donné lorsque, par un moyen quelconque, on sait en déterminer tous les éléments les uns après les autres, sans en excepter un seul et sans répéter aucun d’eux plusieurs fois.25
23C’est donc à travers une procédure de détermination des ses éléments, qui correspond à une possibilité effective de construction des objets, que s’explique le critère de l’existence mathématique qui peut être considérée comme légitime. Construction veut donc dire ici effectuabilité dans des actes de l’esprit. Les possibilités de construction au sein d’un certain champ opératoire se trouvent donc normées de l’extérieur en fonction de l’effectuabilité subjective des opérations et, par conséquent, de la possibilité de représentation dans la conscience ; position à la fois psychologiste et finitiste qui exclut toute idée d’enchaînement autonome entre les objets idéaux et qui ne laisse pas de place à l’infini actuel, considéré, en revanche, comme un objet mathématique à part entière par Cantor.
24Il en va de même pour Cavaillès, d’après lequel « avec l’infini commence la véritable mathématique ».26 Tout en donnant une importance centrale à l’idée que les mathématiques sont une forme de pensée effective, qui n’est donc pas réductible à la logique et qui se caractérise par une dynamique de construction conceptuelle qui opère sur des véritables objets, Cavaillès pense la construction comme un trait proprement interne aux enchaînements conceptuels ; son modèle, c’est plutôt l’idée de Begriffsbildung développée au sein de l’algèbre abstraite de Artin et de Noether et que Van der Waerden utilisait dans son Moderne Algebra pour caractériser les mathématiques modernes comme un monde des concepts [Begriffswelt].27 Il réfute d’une manière claire l’idée d’une intuition donatrice qui garantirait l’accès à une région d’objets immédiatement saisissables de manière directe à partir desquels peuvent s’édifier des théories ultérieures. Ce ne sont pas les formes de la subjectivité qui peuvent imposer des limites à la construction des nouveaux concepts. « L’activité mathématique en réalité s’éprouve elle-même dans son développement original : on ne peut la définir mais la poursuivre ».28 La position de Cavaillès est donc ouvertement anti-finitiste, et anti-intuitionniste, et cela bien qu’il ne s’aligne pas à une position platoniste ou réaliste au regard des objets mathématique en s’accordant, au contraire, à la thèse qui établit une corrélation fondamentale entre objets idéaux et activité subjective :29 « L’objet mathématique se trouve ainsi, à mon avis, toujours corrélatif de gestes effectivement accomplis par le mathématicien dans une situation donnée ».30
25En essayant de saisir l’historicité essentielle qui affecte la constitution des idéalités et qui détermine un mouvement nécessaire de la pensée mathématique, Cavaillès suit le principe qui consiste à élucider les différentes modalités d’engendrement des objets. On voit cette inspiration à l’œuvre dans ses thèses et on peut comprendre que, s’il affirme bien une corrélation entre les objectualités et les actes noétiques subjectifs, c’est pour mettre en évidence un inévitable primat de l’élément noématique.31 On peut à cet égard reprendre une remarque de Husserl selon lequel « le problème phénoménologique de la relation de la conscience à une objectité possède avant tout sa face noématique ».32 La perspective de Cavaillès nous amène à envisager l’idée d’une constitution a-subjective des idéalités par le fait qu’elle dépend d’exigences qui sont internes à la structuration problématique d’une situation théorique donnée. L’activité mathématique possède bien les caractères propres à une expérience, à savoir à une pratique réglée dans ses possibilités opératoires qui s’exercent sur un certain domaine d’objets préalablement constitué et qui entretient un lien avec la dimension sensible en opérant sur des signes ou sur des figures géométriques. En tant que pensée effective, les mathématiques ne forment pas un domaine figé d’objets, mais elles se constituent au cours d’une activité qui se situe au niveau de l’expérience, ce qui implique un engagement de la conscience qui intervient avec la pluralité de ses activités noétiques. Cet engagement de la conscience se trouve dans l’idée qu’à l’extension du domaine d’objets correspond, corrélativement, une extension de l’expérience et le développement dialectique de l’expérience implique un élargissement de la conscience.33 Cavaillès reprend cette idée de Brunschvicg pour l’approfondir et élargir de manière significative la notion d’expérience.34 « Le sensible, conscience concrète immédiate, n’est pas abandonné : ce n’est pas le quitter que d’agir sur lui ».35
26Face aux développements multiples des domaines d’idéalités, il en suit, du côté subjectif, la nécessité de redéfinir la notion d’intuition relativement à la constitution autonome des idéalités pour en faire, en quelque sorte, un produit de l’historicité essentielle des concepts. C’est dans cette direction que semblent aller les considérations de Cavaillès dans les pages conclusives de l’article Transfini et continu, que nous pouvons maintenant aborder de plus près.
L’idée de transformation de la zone intuitive : relativité des étages intuitifs au développement du concept
27Cet article porte initialement sur le problème du continu et sur les efforts d’en élaborer une définition dépourvue de toute référence à l’intuition, qui sont caractéristiques du mouvement d’arithmétisation tout au long du xixe siècle. Le but des constructions de Cantor et de Dedekind est précisément d’éliminer l’élément géométrique en faisant recours à la notion d’ensemble. En reprenant les conclusions de sa thèse complémentaire, Cavaillès considère les difficultés ultérieures suscitées par l’hypothèse du continu et l’acceptabilité de l’axiome du choix. À cet égard, il évoque les résultats de Zermelo et de Fraenkel pour aboutir aux travaux de Gödel, qui démontrent la non-contradiction de l’axiome du choix et de l’hypothèse du continu avec les autres axiomes de la théorie des ensembles. La deuxième partie de l’article est consacrée à la démonstration de Gödel et à ses prolongements chez Church et Kleene sur la notion de fonction régulièrement calculable pour s’achever sur des remarques concernant le rôle de l’intuition. Nous nous limitons à la portée philosophique générale de ces analyses sans entrer dans les détails techniques.
28Premièrement, la discussion autour de l’acceptabilité de l’axiome du choix possède, aux yeux de Cavaillès, une valeur paradigmatique pour la notion générale d’existence en mathématique. Contre toute position formaliste stricte qui considère la non-contradiction comme critère de l’existence en mathématiques et contre toute position qui prétend limiter les raisonnements aux ensembles finis, Cavaillès souligne la relativité des démonstrations de non-contradiction au contexte opératoire où elles sont formulées et à l’exigence, pour caractériser un système formel comme tel, de se référer à des instruments extérieurs au système-même. Il s’agit donc d’une critique précisément dirigée contre le programme de Hilbert et les positions finitistes qui considèrent l’arithmétique comme un domaine de sécurité absolue donné intuitivement, sur lequel fonder une fois pour toutes les mathématiques.36
En fait, une démonstration de non-contradiction n’a de sens que relativement aux moyens qu’elle utilise. C’est un rapport entre une zone absolue de sécurité et le nouveau domaine qu’on veut fonder sur elle. Mais y a-t-il une zone de sécurité absolue ?37
29Deuxièmement, la technique d’arithmétisation des énoncés élaborée par Gödel et rendue possible par les notions de calcul régulier et de fonction quasi récurrente apporte une solution fondamentale. En effet, ces notions rendent possible une maîtrise du caractère effectif du calcul sans que celui-ci soit réduit aux possibilité mathématiques actuelles, en permettant ainsi une prolongation de l’intuition en ce qu’elles permettent un maniement opératoire qui n’est pas accessible dans l’intuition directe. On voit que les résultats techniques obtenus par Gödel, Gentzen et Church exigent une modification de ce qu’on doit comprendre comme « zone intuitive ».
Ici le régulier prolonge l’intuitif concret, le calculable, le fini.38
On se souvient qu’en 1905 Borel et Lebesgue avaient discuté sur les notions de nommable et d’effectif. [...] En obligeant un calcul à être effectif, Lebesgue se trouvait amené à le transformer en calcul effectué, s’il voulait chasser l’indéterminé de « un calcul ». Mais c’eût été rendre impossible tout progrès. Les notions corrélatives de calcul régulier et de fonctions quasi récurrentes introduites grâce aux travaux de Gödel échappent à ce dilemme.
Il y a par le moyen de ce numérotage et de ces relations récurrentes un contrôle permanent de l’effectivité du calcul.39
30Troisièmement, le problème qu’indique Cavaillès en se référant à la position de Borel et de Lebesgue réside dans la confusion entre calcul effectif et calcul effectué et il est important de remarquer qu’il s’agit des mêmes termes avec lesquels il indique la confusion fondamentale qui affecte la philosophie kantienne. Cette position a pour résultat de négliger l’historicité essentielle qui affecte le développement de la pensée mathématique en ce qu’elle rend impossible tout progrès. Un point de vue strictement finitiste ne peut donc être admis en aucune manière.
Les conditions posées par les finitistes de stricte observance à l’existence mathématique manifestent une méconnaissance de ce qui fait la réalité même de l’objet. Il n’y a pas d’absolu au départ.40
31Ce que Cavaillès veut mettre en lumière, c’est l’enchaînement intelligible des contenus formels et les différentes étapes opératoires qui marquent l’histoire de la pensée mathématique. Si on a bien à faire avec quelque chose comme une expérience mathématique, nous sommes amenés à penser une genèse des idéalités où la constitution du sens n’est pas vue dans les termes d’une donation de sens qui dépend des opérations de la subjectivité transcendantale. Ce qu’indique la notion mathématique d’effectivité, c’est la possibilité de contrôle des procédés à travers un calcul plutôt que l’accomplissement des opérations dans l’activité de la conscience. Si la pensée mathématique passe nécessairement à travers ses étapes, il ne s’agit pas là des étapes de la conscience dans un sens brunschvicgien, mais plutôt d’étapes purement opératoires.41
32On l’a vu, Cavaillès reconduit cette difficulté à la théorie kantienne de la construction des concepts dans l’intuition et à la doctrine du schématisme pour signaler la confusion fondamentale qui l’affecte :
Elle reste inadéquate en tant qu’elle confond le moment dialectique de la position du concept et le moment transcendantal de sa schématisation. La notion de construction dans l’intuition doit concilier l’exigence de domination par le concept avec l’insertion de son objet dans une multiplicité qui lui procure une sorte d’indépendance par rapport à tout contenu actuel de pensée.42
33Cavaillès distingue deux moments : le moment dialectique de la position du concept et le moment transcendantal de sa schématisation. Le premier correspond à la structure noématique et désigne le contenu objectif, le deuxième correspond à l’activité noétique et indique l'activité constitutive spontanée de la conscience. Cavaillès donne place à l’activité mathématique qu’il ne conçoit pas comme donation d’objets mais plutôt comme construction.43 Or, il se trouve que les objets montrent « une sorte d’indépendance par rapport à tout contenu actuel de pensée », ce qui veut dire qu’ils excèdent toujours l’activité de la conscience subjective et que, par conséquent, ils ne s’offrent pas dans une donation immédiate et sans reste. L’erreur fondamental de la position kantienne consiste donc dans l’interprétation de la structure noématique en termes d’activité noétique, c’est-à-dire dans l’interprétation du procès effectif comme procès effectué.44 De cette manière, la construction des concepts mathématique est considérée comme représentable dans une conscience et limitée dans ses possibilités par les articulations de la subjectivité.
34Contre cette conception, une élucidation des modalités propres de l’engendrement des objets dans l’activité mathématique, telle que Cavaillès la développe dans ses thèses sur la théorie des ensembles et sur le débat sur les fondements, montre une pareille indépendance des opérations par rapport à l’activité subjective. Considérons par exemple le cas de l’addition où on peut passer par thématisation à l’étude des lois d’associativité et de commutativité.45 De cette manière, une opération est prise comme objet d’ordre supérieur par rapport aux termes sur lesquels elle s’applique, afin d’en dégager les principes sur un autre plan où on considère des opérations ayant un plus haut niveau de généralité. Chaque opération n’indique donc pas un acte subjectif, mais elle désigne plutôt un procédé constructif noématique-idéal.46 On voit bien que l’enjeu concerne la façon dont on il faut concevoir la notion d’opération. Celle-ci doit être comprise en lien avec le plan noématique en ce qu’elle n’est pas soumise à la possibilité de représentation dans la conscience. Comme l’observe aussi Husserl dans ses analyses sur le fonctionnement des systèmes axiomatiques :
Opérations : cela veut dire textuellement productions [Operationen: Das sagt dem Wortlaut nach Erzeugungen]. Ce sont les modes des déterminations (relationnelles) d’un objet au moyen d’objets donnés et entre de tels modes, qui peuvent continuellement s’accomplir à nouveau dans l’objet qui est déjà déterminé, avec le secours de nouveaux objets.47
35D’après Cavaillès, la philosophie transcendantale d’origine kantienne se base, au contraire, sur une confusion entre « la condition de la représentation » et « les représentations de condition ».48 L’intuition désigne alors, de manière générale, la possibilité de maniement opératoire à l’intérieur d’un certain champ d’expérience.
36Du coté subjectif, la notion d’intuition demande alors une relativisation aux enchaînements conceptuels.49 Loin de pouvoir constituer une base immuable qui nous permette une traduction des objets abstraits dans une forme représentable, l’intuition doit être comprise comme une possibilité opératoire au sein d’un domaine d’idéalités, « marque de la présence contraignante de l’objet »,50 ce qui veut dire en envisager les transformations possibles qui sont corrélatives au développement du concept. À l’opposé de la confusion kantienne qui comprend la structure noématique comme activité noétique, c’est cette dernière et ses modalités qui se règlent sur les structures des champs d'objets.51
La solution consiste dans une transformation de la zone intuitive c’est-à-dire des règles qui en posent l’emploi de pensée, ou système schématique. L’exemple le plus frappant est le continu numérique avec la définition donnée par Dedekind. Autrement dit l’intuition dans sa quiddité progresse parallèlement à l’enchaînement dialectique des concepts. Elle n’est que la manifestation pour la conscience empirique, d’une indépendance relative des méthodes et des théories, qui permet des élaborations autonomes provoquant par leurs résultats rencontres et renversements.52
37Une fois constitué par des procédés formels, un certain domaine d’objets devient une base intuitive dans la mesure où il constitue le milieu d’effectuation de nouvelles opérations. Les objets idéaux déjà constitués demeurent donc intuitivement disponibles pour les opérations successives. L’intuition ne possède pas de structure fixe dépendante de la structure architectonique des facultés subjectives mais révèle sa structure étagée qui est corrélative de la structure étagée propre au domaine des objets idéaux en tant qu’objectualités fondées de manière stratifiée.
Le continu arithmétique chez Dedekind comme exemple du progrès par superposition intuitive
38En exploitant la référence de Cavaillès, on peut maintenant revenir à Dedekind pour essayer d’illustrer cette idée d’une transformation de la zone intuitive en prenant appui sur sa construction des différentes espèces des nombres et, en particulier, sur sa fondation du continu arithmétique, à partir de la lecture qu’en donne Cavaillès.53
39D’après Cavaillès, les constructions des nombres irrationnels de Cantor et de Dedekind étaient explicitement motivées par la volonté d’évacuer la référence à l’intuition géométrique.54 C’est dans le mémoire de 1872 Stetigkeit und irrationale Zahlen que l’on trouve une telle démarche. L’effort de Dedekind est de caractériser d’une manière générale l’essence de la continuité. La démarche qu’il met en place se base sur le concept de coupure [Schnitt] et procède avec une méthode génétique55 à partir du domaine des rationnels pour lesquels le développement de l’arithmétique est supposé déjà connu (§ 1). Premièrement, Dedekind précise que les nombres rationnels ont été introduits en raison de la nécessité opératoire de rendre possibles les opérations inverses à l’addition et à la multiplication, qui ne sont pas possibles dans le domaine des entiers naturels, selon une exigence que l’on a déjà vu à l’œuvre dans le discours d’habilitation de 1854.56 Il caractérise ensuite le domaine des rationnels comme un système infini totalement ordonné d’une manière linéaire et dense. En particulier, cela veut dire que, pour tout rationnel a, les nombres du système R se répartissent dans deux classes, où la première classe comprend tous les nombres qui sont inférieurs à a, la seconde classe comprend tous les nombres qui sont supérieurs à a et où le nombre a lui-même peut être rangé indifféremment dans la première ou dans la deuxième classe.57 L’intérêt du concept de coupure consiste dans le fait qu’il peut être défini déjà dans le domaine des rationnels et il ne suppose que ce domaine de base. La création des irrationnels est donc fondée sur des phénomènes que l’on peut déjà constater clairement dans le domaine R. Dedekind procède analogiquement en instituant un parallèle entre les propriétés des nombres rationnels et les points de la droite géométrique, qui est ensuite considérée comme une véritable corrélation. De cette corrélation, il apparaît qu’il existe sur la ligne droite une infinité de points qui ne correspondent à aucun rationnel. Cela motive l’introduction, ou la création, des nouveaux nombres qui sont les nombres réels.58
La droite L est infiniment plus riche en individus ponctuels que le domaine R des nombres rationnels en individus numériques. Si maintenant on veut — tel est mon souhait — suivre arithmétiquement tous les phénomènes sur la droite, les nombres rationnels n’y suffisent pas, et il devient alors absolument nécessaire d’affiner substantiellement l’instrument R, construit par la création des nombres rationnels, en créant de nouveaux nombres de telle sorte que le domaine acquière la même complétude, ou, disons-le tout de suite, la même continuité que la ligne droite.59
40Finalement, Dedekind trouve l’essence de la continuité dans l’inverse de la propriété de coupure.
J’ai attiré l’attention sur le fait que tout point p de la droite en opère un partage en deux portions telles que tout point de l’une est situé à gauche de tout point de l’autre. Je trouve l’essence de la continuité dans la réciproque, donc dans le principe suivant : si tous les points de droite sont répartis en deux classes telles que tout point de la première classe est situé à gauche de tout point de la seconde, alors il existe un et un seul point qui opère [hervorbringt] cette distribution de tous les points en deux classes, cette découpe de la droite en deux portions.60
41À chaque fois qu’une coupure n’est pas opérée par un nombre rationnel, nous créons un nouveau nombre qui est totalement défini par cette coupure. Le système des nombres réels se présente comme une extension du domaine des rationnels en ce qu’il conserve les mêmes propriétés du domaine précédent avec, en plus, le fait qu’à toute partition du système des nombres réels en deux classes correspond un et un seul nombre réel qui opère cette partition (proposition IV, § 5). On a donc une création qui prend le sens d’une définition générale des nombres réels et non seulement de ces nombres réels dont l’existence dépend d’une construction géométrique. Il en suit que la notion de continuité que l’on peut dégager n’est pas limitée à sa signification au sein de la géométrie.
42Il nous faut alors mettre en lumière deux aspects de la création des réels tel que Dedekind l’expose : premièrement, loin que la droite géométrique fournisse le modèle intuitif sur lequel fonder les nombres réels, elle nous semble constituer uniquement le domaine d’apprentissage (selon l’expression de Desanti), qui permet de dégager la notion de continuité en toute généralité.
Le report à la droite n’est qu’un allègement, il est inutile de chercher pour elle, ni comme signification ni comme fondement, autre chose que la relation mathématique exacte qu’elle explicite.61
43Les nombres réels sont créés à partir des rationnels à travers des procédés purement arithmétiques et sans sortir du domaine des nombres. Dedekind insiste précisément sur la nécessité pour l’arithmétique de « se développer à partir d’elle-même » et c’est justement le concept de continuité (compris comme le réciproque de la propriété de coupure) qui, une fois dégagé, peut être appliquée à la ligne droite pour en penser la continuité. Deuxièmement, Dedekind insiste sur le fait que les nombres réels ainsi définis ne s’identifient pas avec les coupures qu’ils produisent, mais ils se présentent comme des véritables objets nouveaux. Il le dit très clairement dans une lettre du 24 janvier 1888 adressée à Heinrich Weber :
C’est exactement la même question que tu abordes à propos de ma théorie des irrationnels à la fin de ta lettre, quand tu dis que le nombre irrationnel n’est, dans le principe, rien d’autre que la coupure elle-même, alors que moi je préfère créer quelque chose de nouveau, différent de la coupure et lui correspondant, dont je dis qu’il engendre, produit la coupure. Nous avons le droit de nous conférer un tel pouvoir créateur et, par ailleurs, il convient beaucoup mieux de procéder ainsi à cause de l’identité de nature [Gleichartigkeit] de tous le nombres.62
44Il est important de remarquer que le principe de continuité est introduit à titre d’axiome et que la création dont Dedekind parle correspond plutôt à un travail d’analyse, de critique logique et de définition des notions.63 La perspective de Dedekind est purement structurelle et la légitimité des nouveaux axiomes dépend de leur insertion dans un certain contexte mathématique. « L’indépendance et la sûreté qu’ils procurent aux mathématiques ne sont pourtant pas absolues : chaque énoncé est conditionné par une activité mathématique antérieure ».64 Encore une fois, on peut voir cela comme la reconnaissance du rôle de l’historicité constitutive des mathématiques. On trouve la même inspiration méthodique à l’œuvre dans le cas de l’élucidation du concept de nombre naturel dans le mémoire Was sind und was sollen die Zahlen? (1888). Comme on l’a vu, bien que Dedekind considère les nombres comme des libres créations, cette création n’est pas un acte subjectif mais un procédé intrathéorique qui dépend d’exigences structurelles du champ opératoire. De cette manière, le travail mathématique se montre comme une activité qui procède par paliers, c’est-à-dire étape par étape, travail qui détermine le caractère séquentiel et progressif de l’entendement mathématicien qui en est corrélatif. C’est cette idée qui est parfaitement saisie dans le texte de Dedekind avec l’expression de Treppenversand, que l’on trouve dans la Préface à la première édition de Was sind und was sollen die Zahlen?65
45Si l’on suit génétiquement avec Dedekind la constitution des idéalités, on peut voir leur structure stratifiée et articulée par niveaux de sens. En particulier, les objets d’ordre supérieur sont fondés sur les objets d’ordre inférieur qui constituent leur base intuitive. Une fois constitués, les objets d’ordre supérieur peuvent devenir à leur tour la base intuitive pour des nouvelles formations idéales. La zone intuitive est donc à chaque fois relative à un certain état de théorisation. C’est, il nous semble, précisément le sens de l’expression de Cavaillès, d’après lequel « les exigences de théorisation sont chaque fois relatives à l’étage intuitif, c’est-à-dire à la multiplicité inhérente au système conceptuel mathématique ».66 Le progrès de l’entendement mathématique se produit alors par superposition intuitive et, à cette superposition intuitive s’accompagne une soumission du transcendantal à ses étapes.67 L’article de Cavaillès s’achève donc avec la reconnaissance de la dépendance des niveaux de conscience des niveaux propres aux idéalités en tant que reflet transcendantal de ces derniers.68
Intuitif est synonyme de conscience effective (ou effectuante), transcendantal de constitutif (ou constituant), relativement à un système conceptuel donné. Pas plus qu’il n’y a de système clos, il n’y a de transcendantal absolu.69
46Il nous semble, pour conclure, que lorsque l’on s’interroge sur la structure du remplissement propre aux objets idéaux, il nous faut suivre les modes constitutifs qui s’établissent dans les différents champs d’objets. Cela nous amène à considérer la médiation historique nécessaire à la constitution de tout contenu idéal. Cette médiation dépend d’un caractère essentiel de la pensée mathématique qui tient au mode de manifestation des idéalités (le fait qu’elles se présentent dans un certain champ opératoire qui fonctionne comme domaine d’apprentissage et qui permet, ensuite, une thématisation explicite des nouvelles notions). Corrélativement, ce n’est que négliger la progressivité propre à la raison mathématique que de supposer qu’elle puisse procéder par des constructions normées extérieurement par l’activité de la conscience subjective. La possibilité de manipuler concrètement des domaines d’objets de plus en plus abstraits dépend donc de la reconnaissance de la relativité historique de la structure de l’intuition à l’enchaînement conceptuel. Cette relativisation implique une régionalisation de l’évidence qui se présente plutôt comme un produit ou, comme le dit Desanti, « une propriété locale de champ ». Bien que la nature même de l’activité mathématique mobilise une forme de subjectivité (à travers les moments d’apprentissage, de création, etc.) il ne s’agit pas d’une structure normative, mais bien plutôt de quelque chose qui est un produit de la constitution des objets et qui se présente sous la forme d’un pôle de référence pour l’articulation de procédés opératoires.
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Notes
1 J. Cavaillès, Sur la logique et la théorie de la science (1947), in Œuvres complètes de philosophie des sciences (= OC), Paris, Hermann, 1994, p. 501.
2 E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique (1913), tome 1, § 138, trad. franç. J.-F. Lavigne, Paris, Gallimard, 2018, p. 411.
3 « Toute objet en général (et aussi tout objet immanent) définit une structure réglant le je transcendantal » (E. Husserl, Méditations cartésiennes (1931), § 22, trad. franç. Marc De Launay (dir.), Paris PUF, 1994, p. 99).
4 E. Husserl, Recherches logiques, tome 3. Éléments d’une élucidation phénoménologique de la connaissance, Recherche VI (19212), § 18, trad. franç. H. Élie, A.L. Kelkel et A. Schérer, Paris, PUF, 20095, p. 90-91.
5 Écrit en 1940-1941, cet article fut remis à la Revue philosophique en 1941 mais ne fut publié que posthume en 1947 par les soins de Cartan et Chevalley. Il fut ensuite ré-publié en 1962 dans le volume Philosophie mathématique, Paris, Hermann, p. 255-274 (désormais in OC, p. 453-472).
6 Voir en particulier : D. Pradelle, Généalogie de la raison. Essai sur l’historicité du sujet transcendantal de Kant à Heidegger, Paris, PUF, 2013, dont le chapitre iv — Relativisation génétique des facultés transcendantales (Husserl et Cavaillès) constitue, en quelque sorte, le point de départ de notre analyse où nous tâchons de montrer dans quel sens l’historicisation de l’intuition qui est corrélative du développement autonome des mathématiques peut être vue comme une forme de médiatisation de l’intuition.
7 J. Cavaillès, La pensée mathématique (1939), OC, p. 600.
8 J. Cavaillès, Remarques sur la formation de la théorie abstraite des ensembles (1938), OC, p. 226.
9 Ibid., p. 362.
10 A. Fraenkel, « Georg Cantor », Jahresbericht der Deutschen Mathematiker-Vereinigung, n° 39, 1930, p. 189-266.
11 R. Dedekind, Sur l’introduction de nouvelles fonctions en mathématiques (1854), trad. franç. H. Benis-Sinaceur, in R. Dedekind, La création des nombres, Paris, Vrin, 2008, p. 224.
12 « Ici intervient la nécessité d’un double mouvement : d’une part l’opération restreinte posée exige, soit en elle-même, soit par son rapport aux opérations déjà existantes, un élargissement du champ des individus sur lesquels elle porte ; d’autre part, dans ce nouveau champ, les relations posées provoquent la substitution d’une nouvelle définition à la définition initiale » (J. Cavaillès, Méthode axiomatique et formalisme (1938), OC, p. 61-62).
13 J.-T. Desanti, Remarques sur la connexion des notions de genèse et de structure en mathématiques (1965), in D. Wittmann (éd.), Mathesis, idéalité et historicité, Lyon, ENS Éditions, 2014, p. 137.
14 Ibid., p. 135.
15 R. Dedekind, Que sont et à quoi servent les nombres ? (1888), trad. franç. H. Benis-Sinaceur, in R. Dedekind, La création des nombres, Paris Vrin, 2008, p. 134.
16 Cf. I. Kant, Critique de la raison pure (1781/1787), trad. franç. A. Renaut, Paris, Flammarion, 20063, p. 604.
17 « L’activité mathématicienne se trouve limitée par les conditions strictes qui sont imposées par l’exigence d’intuitivité, c’est-à-dire par les limites qui caractérisent la faculté finie d’intuition et de construction intuitive : les possibilités de la raison mathématicienne sont pré-tracées par la structure des facultés subjectives » (D. Pradelle, Généalogie de la raison, op. cit., p. 173).
18 J. Cavaillès, Transfini et continu (1947), OC, p. 470.
19 I. Kant, Critique de la raison pure, op. cit., p. 434.
20 L. Couturat, La philosophie des mathématiques de Kant (1904/5), publié en appendice à Les principes des mathématiques (1905), Paris, Albert Blanchard, 1980, p. 302. Sur la proximité entre les critiques de la philosophie kantienne des mathématiques par Couturat et Cavaillès voir D. Pradelle, « Le sens de l’antikantisme en philosophie des mathématiques: Cavaillès et Couturat », Les Cahiers Philosophiques de Strasbourg, n° 26, 2009, p. 171‑199.
21 J. Cavaillès, Transfini et continu (1947), OC, p. 469.
22 A. Fraenkel, « Sur la notion d’existence dans les mathématiques », L’enseignement mathématique, n° 34, 1935, p. 20.
23 Ibid., p. 24-25.
24 J. Cavaillès, Méthode axiomatique et formalisme (1938), OC, p. 15.
25 E. Borel, Leçons sur la théorie des fonctions, Paris, Gauthier-Villars, 1898, p. 3.
26 J. Cavaillès, Sur la logique et la théorie de la science (1947), OC, p. 555.
27 H. Benis-Sinaceur, « Structure et concepts dans l’épistémologie mathématiques de Jean Cavaillès », Revue d’histoire des sciences, n° 40, 1987, p. 20.
28 J. Cavaillès, Méthode axiomatique et formalisme (1938), OC, p. 33.
29 Cf. P. Cassou-Noguès, De l’expérience mathématique. Essai sur la philosophie de sciences de Jean Cavaillès, Paris, Vrin, 2001, p. 194-195.
30 J. Cavaillès, La pensée mathématique (1939), OC, p. 602.
31 « Dans l’idée de corrélation noético-noématique entre objets idéaux et actes de la conscience, c’est le plan noématique qui jouit désormais d’un primat essentiel » (D. Pradelle, Généalogie de la raison, op. cit., p. 184).
32 E. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie pure et une philosophie phénoménologique, tome 1 (1913), § 128, trad. franç. J.-F. Lavigne, op. cit., p. 382.
33 Cf. J. Cavaillès, Méthode axiomatique et formalisme (1938), OC, p. 184-185.
34 « L’expérience mathématique […] est un double champ, un champ de gestes et de signes combinatoires et un champ latent d’opérations et d’objets mathématiques. Et ce double champ se développe à partir de l’expérience sensible. […] L’expérience sensible est l’analogue de la première étape de l’expérience mathématique. […] Nous avons commencé par emprunter à Brunschvicg la notion d’expérience, pour découvrir ensuite que l’expérience contient plus que ne le croyait Brunschvicg, ce qui nous a conduit à élargir la notion d’expérience » (P. Cassou-Noguès, De l’expérience mathématique, op. cit., p. 211-212).
35 J. Cavaillès, Méthode axiomatique et formalisme (1938), OC, p. 186.
36 Une des conclusions théoriques de Transfini et continu est, en effet, la suivante : « Toute tentative de régularisation inconditionnée est frappée de caducité : ainsi pour l’arithmétisme fin de Kronecker, pour la théorie weierstrassienne du calcul infinitésimal, pour le finitisme hilbertien » (J. Cavaillès, Transfini et continu (1947), OC, p. 472).
37 Ibid., p. 459.
38 Ibid.
39 Ibid., p. 461-462.
40 Ibid., p. 469.
41 « Il suffit qu’une règle détermine les étapes de son effectuabilité. « Effectif » n’est pas « effectué », mais « effectuable ». L’effectivité mathématique c’est le contrôle, et non forcément l’accomplissement, des étapes de la construction » (H. Benis-Sinaceur, Jean Cavaillès. Philosophie mathématique, Paris, Vrin, 20192, p. 129.
42 J. Cavaillès, Transfini et continu (1947), OC, p. 469.
43 « Cavaillès, dont la position épistémologique consiste à penser en termes de construction plutôt que de donation d’objets » (H. Benis-Sinaceur, Jean Cavaillès, op. cit., p. 100).
44 Cf. D. Pradelle, Généalogie de la raison, op. cit., p. 172.
45 Cf. J. Cavaillès, Sur la logique et la théorie de la science (1947), OC, p. 513-514.
46 D. Pradelle, Intuition et idéalité. Phénoménologie des objets mathématiques, Paris, PUF, 2020, p. 436.
47 E. Husserl, Le domaine d’un système d’axiomes (1901), trad. franç. J. English, in E. Husserl, Articles sur la logiques, Paris, PUF, 1995, p. 541-542.
48 J. Cavaillès, Transfini et continu (1947), OC, p. 470.
49 « Du fait de l’historicité de l’activité mathématicienne, il existe une transformation de la zone intuitive, de sorte que cette ligne de partage s’avère elle-même mobile, historiquement déterminée - interdisant par là toute référence normative à un sujet constituant dont les facultés et les structures demeureraient invariantes » (D. Pradelle, Généalogie de la raison, op. cit., p. 176).
50 H. Benis-Sinaceur, Jean Cavaillès, op. cit, p. 133.
51 D. Pradelle, Intuition et idéalité, op. cit., p. 466.
52 J. Cavaillès, Transfini et continu (1947), OC, p. 470-471.
53 Cavaillès se réfère à l’œuvre de Dedekind dans plusieurs passages de ses textes, mais il prend en compte la construction des nombres irrationnelles notamment dans Remarques sur la formation de la théorie abstraite des ensembles (1938), OC, p. 234-237 et dans Méthode axiomatique et formalisme (1938), OC, p. 63-66.
54 « Ç’avait été l’intention décisive des créations de Cantor et de Dedekind d’éliminer le géométrique de l’analyse grâce à la notion d’ensemble » (J. Cavaillès, Transfini et continu (1947), OC, p. 453).
55 Bien qu’il faut préciser : « Dedekind insiste sur le fait qu’il construit les réels à partir des rationnels. […] Mais observons que si la démarche de Dedekind est bien de type génétique dans la mesure où il procède par extensions successives de l’ensemble des entiers naturels, les caractérisations qu’il donne de chaque domaine séparément sont assurément de type axiomatique » (H. Benis-Sinaceur, Note introductive à « Continuité et nombres irrationnels », in R. Dedekind, La création des nombres, op. cit., p. 30-31).
56 « In this lecture, he proposed a genetic viewpoint on the number systems » (J. Ferreirós et E.H. Reck., « Dedekind’s Mathematical Structuralism: From Galois Theory to Numbers, Sets, and Functions », in E.H. Reck, et G. Schiemer, (dir.), The Prehistory of Mathematical Structuralism, Oxford, Oxford University Press, 2020, p. 73).
57 « C’est de cette dernière propriété que va naître la notion de coupure, la notion d’ensemble est don ici encore à la base de la théorie » (J.-P. Belna, La notion de nombre chez Dedekind, Cantor et Frege, Paris, Vrin, 1996, p. 66, n. 3). Pour une définition du concept de coupure : « A Dedekind-cut <A1, A2> on ℚ is a pair of (non-empty) sets A1, A2 such that each element of A1 is less than any element of A2, i.e., ∀x ∈ A1 ∀y ∈ A2 (x < y) » (J. Ferreirós et E.H. Reck, « Dedekind’s Mathematical Structuralism », op. cit., p. 74).
58 « Il y a des coupures du système auxquelles ne correspond aucun élément ; intervention de la mathématique en acte » (J. Cavaillès, Méthode axiomatique et formalisme (1938), OC, p. 63.).
59 R. Dedekind, Continuité et nombres irrationnels (1872), trad. franç. H. Benis-Sinaceur, in R. Dedekind, La création des nombres, op. cit., p. 69.
60 Ibid., p. 72.
61 J. Cavaillès, Méthode axiomatique et formalisme (1938), OC, p. 63
62 R. Dedekind, lettre à H. Weber du 24 janvier 1888, trad. franç. H. Benis-Sinaceur, in R. Dedekind, La création des nombres, op. cit., p. 292-293.
63 Cf. H. Benis-Sinaceur, Note introductive, op. cit., p. 37.
64 J. Cavaillès, Méthode axiomatique et formalisme (1938), OC, p. 64.
65 R. Dedekind, Que sont et à quoi servent les nombres ? (1888), op. cit., p. 136.
66 J. Cavaillès, Transfini et continu (1947), OC, p. 471.
67 Ibid., p. 472.
68 Cf. D. Pradelle, Intuition et idéalité, op. cit., p. 426.
69 J. Cavaillès, Transfini et continu (1947), OC, p. 472.