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- Volume 20 (2024)
- Numéro 1: Phénoménologie de la question. Questions...
- Sur la phénoménologie et la dynamique des questions “fondamentales”
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Sur la phénoménologie et la dynamique des questions “fondamentales”
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Résumé
En questionnant le fait de se montrer, de s’imposer, des questions fondamentales, cet essai s’engage à trouver une voie moyenne, si l’on veut alternative, aux deux grand paradigmes fondateurs de l’analytical-continental divide, qui ressortent historiquement de la critique carpienne à “Was ist Metaphysik?” de Martin Heidegger, formulée de façon claire dans “Überwindung der Metaphysik durch logische Analyse der Sprache”. Si dans cet essai, tout comme dans “Empiricism, Semantics and Ontology” il en va de questions — et notamment de la distinction, fondamentale, entre questions internes (légitimes) et questions externes (illégitimes) à un cadre (framework) — la pensée heideggérienne s’est aussi construite sur un intérêt constant pour les “questions fondamentales” en prenant une position diamétralement opposée. On essayera de montrer comment, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les deux paradigmes de l’analytical-continental divide partagent — justement en relation au questionner qui devrait orienter l’activité philosophique — beaucoup plus et notamment la méconnaissance de la plasticité et de la dynamique — spéculative et historique — des « questions fondamentales » comme formes plurielles de manifestation de la demande de sens. En maintenant phénoménologiquement les questions fondamentales dans leur pluralité et en les regardant du point de vue de leur dynamique intrinsèque, on pourra définir un horizon à l’intérieur duquel penser un projet de rationalité (Rationalitätsentwurf) alternatif à ceux ressortissants du paradigme analytique d’un côté et continental-herméneutique de l’autre.
Inhoudstafel
1. La question phénoménologique des « questions fondamentales » (Grundfragen)
1Ces réflexions pourraient être considérées comme variation sur le thème à partir d’une des nombreuses intuitions géniales que l’on trouve dans ce monument à la pensée philosophique qu’est Le visible et l’invisible de Maurice Merleau-Ponty :
La philosophie ne pose pas des questions et n’apporte pas des réponses qui combleraient peu à peu des lacunes. Les questions sont intérieures à notre vie, à notre histoire : elles y naissent, elles y meurent, si elles ont trouvé réponse, le plus souvent elles s’y transforment, en tout cas, c’est un passé d’expérience et de savoir qui aboutit un jour à cette béance. La philosophie ne prend pas pour donné le contexte, elle se retourne sur lui pour chercher l’origine et les sens des questions et celui des réponses et l’identité de celui qui questionne, et, par là, elle accède à l’interrogation, qui anime toutes les questions de connaissance mais qui est d’autre sorte qu’elles.1
2Comment alors les questions « fondamentales », en s’inscrivant dans un mouvement de questionnement philosophique qui appartient à la vie mais qui ne l’absorbe pas entièrement, se laissent-elles ramener à cet horizon ultime auquel appartient le questionnement qui les active, les pose, les anime ?
3A-t-on réfléchi attentivement à ce que sont réellement les questions fondamentales (Grundfragen), indépendamment des réponses qu’on attend de recevoir ou de trouver en les posant ? A-t-on eu le souci de les examiner, de façon lucide, analytique, dans leur texture ? Cette modeste intervention aura tout de même la petite utilité d’éclairer un passage de l’introduction de Philosophie et demande qui aura étonné, pour ne pas dire scandalisé, tout lecteur attentif, critique, mais même distrait, un passage qui ouvre une question, la question précisément des questions fondamentales :
Le premier chapitre, à partir de l’expérience de perte de sens du philosopher, fixe tout d’abord la relation essentielle entre demande de sens (où, si l’on veut, la quête de sens) et questionner, en expliquant comment et de quelle façon la question (même la question théorique plus abstraite ou la question supposée être « fondamentale »), comme acte, est tout d’abord et premièrement à considérer comme demande. Les chapitres restants de la première partie (II-V) prennent en considération chacune des quatre demandes/questions fondamentales pour nos recherches […] Par leur assomption et par l’analyse de leur dynamique interne, chacune d’elle amène à une situation qui, à partir de son développement et de son exploration, ouvre une dimension2.
4Rien de plus étrange, rien de plus bizarre, rien de plus abstrait : sauve qui peut ! Car le bon sens voudrait que la question fondamentale soit en demande de quelque chose de fondamental. Par conséquent, la seule démarche à faire serait de “donner à ronger” à la question le fondamental qu’elle demande ou l’indication de quelque chose de fondamental. Toutefois ce bon sens, s’il en est un, n’est que la sédimentation d’une pratique possible à l’intérieur d’une approche « métaphysique ». Qu’en est-il lorsque l’impossibilité de cette métaphysique fait de ce bon sens une chimère ? A-t-on vraiment interrogé — et a-t-on le courage d’interroger — les questions fondamentales [Grundfragen] ou celles qui sont censées être les questions fondamentales ? A-t-on vraiment interrogé le questionnement et posé les bonnes questions par rapport au questionnement ? Qu’est-ce qu’il arrive à l’homme, à l’individu, lorsqu’il se met à la hauteur de se regarder dans le miroir de son propre questionner ?
5En fait, c’est justement pour répondre à cette dernière question que nous interrogeons les questions fondamentales. Nous ne les interrogeons pas en vertu de la présupposition, non questionnée, qu’elles seraient à prendre dogmatiquement comme fondamentales, comme si leur être de telles questions ne pouvait pas et à tout jamais être mis en discussion. Nous interrogeons, nous mettons en question les questions fondamentales pour voir l’expérience qu’on en fait et pour saisir le chemin spéculatif qu’une pensée peut entreprendre sur la base d’une telle expérience. Peut-on, par conséquent, attribuer une teneur d’expérience aux questions et, plus en particulier, aux questions fondamentales ?
6Il faudrait répondre par la négative, si l’on considère la question comme quelque chose de statique, un caput mortuum que l’expérience proprement dite — mais en fait, elle-aussi, juste assumée de façon dogmatique — viendrait revitaliser. Par là, la question ne serait qu’une forme d’expérience inauthentique, bâtarde. La question n’est pas, en revanche, une forme bâtarde d’expérience ni un capuut mortum, quelque chose de statique — et de vide. Elle est quelque chose qui abrite — ou entremêle — une double dynamique, une dynamique interne et une dynamique externe. La première, la dynamique interne, s’inscrit dans une structure et s’articule selon cette structure. La seconde, la dynamique externe, est externe tout d’abord parce qu’elle s’enracine dans un monde, dans une forme de vie [Lebensform], s’entremêle aux textures de cette multi-dimensionnalité plastique qui est la Lebenswelt3. On pourrait donc penser attribuer la tâche de la fixation de la première dynamique à une analyse « syntaxico-sémantique » des questions tandis que la tâche de la fixation de la dynamique externe pourrait être prise en charge par une analyse « analytico-existentielle » ou historico-culturelle.
7Toutefois, comme nous le verrons au cours de nos réflexions, une telle attribution aseptique de tâches est fautive. Elle est fautive pour plusieurs raisons : tout d’abord parce que prendre la question “fondamentale”, d’un côté, tout simplement, en se plaçant pour ainsi dire in medias res, à savoir en essayant d’analyser les questions comme si de rien n’était — à partir de leur forme logique « proto-propositionnelle » — occulte sa dynamique phénoménologique. Elle est aussi fautive parce que poser une question fondamentale, ou la reconnaitre immédiatement au cœur de la philosophie — en renouant avec une rhétorique d’inspiration socratique — et en faire le pilier d’une « nouvelle philosophie », ne fait qu’occulter comment et selon quelles textures historiques, théoriques, sociales, existentielles elle s’inscrit dans le monde de la vie. Ce dernier est finalement le geste de la « problématologie » de Michel Meyer. Le fait de refaire des questions le pilier d’une « nouvelle philosophie » c’est un point de départ à l’apparence très simple, presque banal : « au lieu de nous intéresser aux réponses, prêtons attention à l’existence même de l’interrogation, car elle constitue le fondement ultime de la pensée ». C’est à partir de ce changement de perspective que l’on passerait à redéfinir, dans la Problématologie a) la nature de la philosophie ; b) ce qu’est un problème philosophique ; et c) la rationalité interrogative…— comme si la rationalité n’avait jamais été, auparavant, déjà radicalement interrogative ! Par conséquent, selon cette dichotomie fautive, on perd la dynamique phénoménologique de la question (prétendue ou prise comme) fondamentale. D’un côté la question est pensée tout simplement comme une complexion syntaxico-sémantique (bien que tout-à-fait particulière) à traiter de façon aussi simplement (bloss) logique : à ce propos il y a la littérature très riche et aussi en grand partie fort intéressante de la “erotetic logic” à partir de Jakko Hintikka. Si pensée ainsi, elle peut être aussi une simple complexion syntaxico-sémantique à traiter de façon computationnelle : une telle analyse va de pair avec toute l’histoire du problem solving en informatique, et donc avec la genèse elle-même de l’informatique. De de l’autre côté elle est placée tout simplement, de façon immédiate, selon un geste plus que classique, au cœur de la philosophie ou au cœur de la raison, bien évidemment par le mésusage d’une métaphore physiologique que l’on n’a pas suffisamment interrogée. Cela advient car on prétend tout d’abord savoir :
81) Ce qu’est la philosophie ou ce qu’elle devrait être ;
92) quelles questions devraient se trouver finalement « en son cœur ».
10En fait, dans les deux cas, la question est considérée comme un caput mortuum, et associée — ou consignée — d’un coté à une sorte de cerveau sans esprit et, de l’autre, à un cœur sans corps. Cela n’étonnera point, dans la mesure où cette divergence, cette incommunicabilité est à reconduire à deux tendances bien définies qui se sont esquissées à partir de l’analytic-continental divide et notamment à partir des approches radicalement opposées (mais en vérité profondément proches de deux points de vue), c’est-à-dire les approches de Carnap (et Quine) et de Heidegger.
2. Le clivage des questions fondamentales : Heidegger et Carnap
11Bien que toute la problématisation des questions fondamentales ne se joue pas au sein de la dialectique/polémique entre “Qu’est-ce que (la) métaphysique ?”4 de Heidegger et “Le dépassement de la métaphysique par l’analyse logique du langage”5 de Carnap, ici s’esquisse tout de même l’essentiel de deux styles de pensée. Cet “essentiel”, c’est-à-dire la méconnaissance de la nature phénoménologique particulière des questions (prétendues) fondamentales, n’intéresse pas tout simplement la question ou une topique des questions, mais l’idée elle-même de la pensée. En fait, si l’on lit attentivement “Le dépassement de la métaphysique par l’analyse logique du langage” (comme prélude thématique de Empiricism, Semantics and Ontology6) ce premier texte laisse toujours de côté la question comme objet fondamental de la recherche. La question fait soudainement son apparition lorsqu’il s’agit de qualifier la propriété logique « être dépourvu de sens » :
En disant que lesdites propositions de la métaphysique sont ‘dépourvues de sens’ nous entendons cela dans son acception la plus ‘stricte’. Au sens large, il est habitude de qualifier parfois comme ‘dépourvues de sens’ une proposition ou une question, si le fait de la prononcer ou de la poser est tout à fait ‘futile’ (par exemple la question ‘quel est le poids moyen de ces habitants de Vienne dont le numéro de téléphone se termine par 3 ?’) ou bien si une proposition est entièrement fausse7.
12Par là Carnap opère l’identification ou, pour mieux dire, l’assimilation intégrale du régime du questionnement au régime du propositionnel. Ce qui excède le propositionnel est de nature strictement pratique, car au sens large — et non pas au sens strict — une question est dépourvue de sens lorsqu’elle est futile. S’esquisse ici — même si avec des différences non négligeables — une quadri-partition (ou une tripartition) des questions qui sera clairement reprise dans Empiricism, Semantics and Ontology. Le fait d’être dépourvue de sens d’une question, au sens strict, suite à l’assimilation intégrale au propositionnel, ne serait que la forme syntaxico-sémantique contraire à la grammaire de la proposition mise en forme interrogative. Le fait d’être dépourvu de sens au sens de sa futilité ne concernerait donc pas la grammaire, mais la situation. Il y a donc bien, au sein des questions bien formulées du point de vue grammatical, donc susceptibles de réponse ou bien logique ou bien empirique, des questions utiles ou futiles. La futilité ne concerne pas la grammaire mais quelque chose d’extérieur à la grammaire. Dans Empiricism, Semantics and Ontology, la question — qui est ici en revanche faite objet d’une analyse plus explicite et mise au centre de l’enquête — suit toutefois les assomptions centrales de l’essai de ’29.
13Bien que — comme le montre de façon très pertinente Graham H. Bird8 — il y ait une quadripartition des questions et non pas une simple bipartition, tout se joue encore, mais de façon cette fois plus définie, autour du concept de framework. Car les deux types de questions internes, les questions internes particulières et les questions internes générales se laissent toutes légitimement admettre en vertu du framework épistémique à l’intérieur duquel elles sont posées. Les questions externes se partagent entre pratiques et théoriques dans la mesure où les seules questions « pratiques » sont admises, car elles concernent l’adoption ou pas d’un framework et l’adoption — conséquente et nécessaire — de son « ontologie » : « Should we accept, or adopt, the X-Language ? »9. En fait, il n’y a pas de question externe théorique — donc susceptible de réponse — qui soit admissible mais uniquement des questions méta-épistémiques, “responsibles” [answerable] de façon tout simplement pragmatique, sur la base de l’adoption de frameworks.
14Une situation exactement spéculaire est à trouver, sans trop de difficulté, chez Heidegger. Heidegger marginalise — ou ignore, par une sorte de snobisme spéculatif anti-scientiste, en les considérant comme absolument non dignes d’être posées (nicht frag-würdig) — les questions qu’il attribue aux domaines (selon lui bien fixés et ontiquement sécurisés) des sciences ainsi qu’un questionnement qui pourrait les inclure dans un horizon de pensée plus vaste (comme une Wissenschaftstheorie). Il y a ici une concentration radicale, presque obsessive, sur certaines « questions fondamentales » qui sont tout de même à ramener toutes à la Seinsfrage, à la question de l’être10. À part l’approche à la structure formelle de la question, sur laquelle Vishnu Spaak nous éclaire dans ce volume11, qui demeure — même malgré l’édition des Leçons sur les synthèses passives, d’où elle vient avec grande probabilité — la seule approche du questionnement au sein de la phénoménologie, Heidegger se concentre, à vrai dire peu, trop peu sur la nature des questions (même fondamentales). Il s’y concentre presque uniquement pour montrer 1) leur convergence nécessaire vers (ou leur dépendance de) la Seinsfrage ; 2) qu’elles entrainent la pensée quelque part. Ce fait d’ “entrainer la pensée quelque part”12 sera justement essentiel pour notre approche. De Qu’est-ce que (la) métaphysique ?, l’essai explicitement visé par Carnap dans sa polémique anti-métaphysique, il y a à vrai dire très peu à tirer sur la question comme forme d’expérience. Par la question « Was heisst Metaphysik ? » dit Heidegger, plutôt que développer un discours sur la métaphysique, il faut extraire une question métaphysique « bien déterminée » pour rentrer à l’intérieur de la métaphysique. Il continue, tout au début du texte :
Toute question métaphysique embrasse toujours la totalité de la problématique de la métaphysique. Mieux, elle est de fois en fois cette totalité elle-même. Toute question métaphysique peut être ensuite posée uniquement de telle façon que celui qui la pose — en tant que tel — est pris dans la question, c’est-à-dire qu’il est mis en question. De ceci nous obtenons l’indication du fait que tout questionner métaphysique doit être posé de façon totale, intégrale, et à partir de la situation essentielle du Dasein qui questionne. Nous questionnons hic et nunc, et pour nous13.
15La question qui concerne le Dasein est bien évidemment la question sur le néant, qui ne peut point être posée — ici Heidegger a bien raison — au sein d’un framework. En effet le néant ne se laisse pas encadrer épistémiquement, sinon comme nihil negativum ou nihil privativum, négation de quelque chose, stèresis. S’il est pensé comme, réduit à, (la figure du) nihil negativum repraesentabile, il ne concernerait point le Dasein questionnant. Il s’ensuit une digression sur les sciences, laquelle anticipe ce qui sera affirmé — toujours par rapport au questionner — dans la Conférence de Brème (en citant par ailleurs un passage de Goethe) :
“Comment ? Quand ? Et où ? — Les dieux doivent rester muets/ Tiens-toi au parce que et ne demande pas pourquoi !”
Le pourquoi se développe dans les questions : Comment ? Quand ? Où ? Le « pourquoi » questionne sur la loi du temps et du lieu où cela advient. Le fait de s’interroger sur les processus réglés en termes causaux-spatiaux-temporaux est la façon par laquelle la recherche scientifique va à la chasse du « pourquoi ?14
16Nous allons questionner par la suite l’approche fondamentale de Heidegger. Tenons-nous pour l’instant à la dynamique qu’il esquisse. Après ce bref excursus Heidegger affirme que « la question ‘Was ist das Nicht ?’ montre quelque chose de plus ». Elle montre tout d’abord la suspension de la « logique comme instance suprême » [« la question métaphysique sur le néant ne reconnaît pas la logique comme instance suprême »] et elle montre aussi et en même temps les deux caractéristiques des questions métaphysiques mentionnées auparavant :
171) Toute question métaphysique embrasse toujours la totalité de la métaphysique.
182) Dans toute question métaphysique le Dasein qui questionne est toujours appelé en cause par la question. La question métaphysique questionne nous-mêmes qui questionnons.
19La question toutefois disparaît soudainement. Elle apparaît, pour mieux dire elle était déjà apparue, dans Vom Wesen des Grundes :
La question « pourquoi ? » contient la réponse originaire première et ultime à tout questionner. La compréhension de l’être comme réponse plus préventive en absolu, représente la fondation première et ultime, et ce qui donne une fondation c’est la transcendance en tant que telle. [note 1929] L’essence d’une telle réponse : la référence de l’être (Seyn), en tant qu’être à l’être humain15
20Nous chercherons en vain un lien, ou la tentative de montrer aussi seulement de quelle façon la question posée par Leibniz s’apparente à la Seinsfrage ou de quelle façon elle serait à considérer comme une formation [Gestaltung] particulière, ou antécédente, de la Seinsfrage… et cela vaut aussi pour le texte magistral des années ’50, Der Satz vom Grund, dans lequel toutefois la question est absente. Un pas plus loin nous est permis tout à la fin de l’essai « De l’essence de la vérité » où l’on apprend quelque chose de plus substantiel, pour ainsi dire, sur les questions fondamentales :
La progression du questionner est en soi le chemin d’une pensée qui, plutôt que fournir des représentations et des concepts, fait expérience d’elle-même et se met à l’épreuve comme changement de la référence à l’être16
21Cette progression s’annonce — et elle est de facto implicitement mais fortement maintenue — dans les Beiträge zur Philosophie bien que l’attention au questionnement s’épuise très tôt, soudain. Si, comme nous le lisons au chapitre, point 1 [Les Beiträge questionnent sur une voie] « dans le domaine de ce que plus que toute autre chose est digne de question [fragwürdig], l’agir peut être uniquement un seul questionner », les points les plus intéressants viennent un peu plus tard :
5. De l’événement
Ici tout se tient dans la seule question de la vérité de l’Être : sur le questionner. La force de la question. Pour que cette tentative devienne une motivation, on doit faire l’expérience de la merveille (Wunder) du questionner et on doit la rendre efficace pour éveiller et augmenter la force de la question.
Le questionner suscite immédiatement le suspect d’un entêtement vide sur cela qui est incertain, indécis et indécidable. Il se présente comme un geste qui ramène en arrière le savoir dans une méditation qui stagne. Il apparaît comme une restriction, une inhibition, ou aussi même une négation. Et pourtant, dans le questionner il y a l’assaut pressant de dire “oui” à ce qui n’est pas dompté […] Questionner est la libération pour une nécessité cachée.
La question du sens, c’est-à-dire, selon l’élucidation fournie dans Être et temps, la question de la fondation dans le milieu du projet, en bref : la question de la vérité de l’être, est et demeure ma question, et elle est ma seule question, car elle concerne justement ce qui, plus que tout, est unique. À l’époque de l’absence totale de questions, il suffit de poser une fois pour toute la question de toutes les questions17.
Ceux qui questionnent — solitaires et sans l’aide d’un enchantement — établissent le rang nouveau et plus haut de l’insistance au centre de l’Être, dans le fait essentiel du “se présenter” de l’Être (l’évènement) comme centre »18.
22Après avoir mentionné une transformation non “existentiale” mais “conforme à l’être-là (daseins-mässig)”, Heidegger parle ensuite “d’élever à question l’essence de la vérité”:
Si une question pensante [denkerische Frage] n’est pas si simple ni si prééminente, c’est-à-dire telle qu’elle peut déterminer la volonté et le style de la pensée de siècles en leur confiant la tâche de penser ce qu’il y a de plus haut, le mieux est qu’elle demeure non questionnée. Car — si la question est purement récitée — elle ne fait que multiplier la foire continue des « problèmes » qui se suivent sans ordre déterminé, ces « problèmes » qui ne saisissent rien, et par lesquels personne n’est frappé19.
23Laissons pour un moment de côté ces indications fondamentales, même si fondamentalement éparpillées, sur le questionnement fondamental et sur sa dynamique, pour nous concentrer tout d’abord sur les affinités méta-philosophiques profondes entre Heidegger et Carnap.
3. Les présupposés métaphilosophiques d’arrière-plan
24Ces affinités, comme déjà anticipé, ne touchent pas seulement les questions mais révèlent, dans la prise de position par rapport au questionner, une conception de la pensée philosophique et de l’activité philosophique :
251) très claire — même trop claire — dans les deux cas ;
262) très similaire, du point de vue ontologique et méta-philosophique (même dans une inversion spéculaire tout à fait particulière).
27Cela pourrait tout d’abord étonner. Cela n’étonne pas, en revanche, si l’on considère la topographie de l’activité du savoir qui émerge nécessairement à partir de leur approche au questionnement. Et cette « topographie » est d’héritage husserlien, ou présente deux versions « sclérosées » de l’héritage husserlien. Car, si l’on considère les deux perspectives de plus près, on voit bien qu’elles se fondent sur une dichotomie absolue, radicale, entre le macro-domaine à l’intérieur duquel les questions peuvent recevoir une réponse claire, univoque (même si modifiable et perfectible dans le temps) et un « domaine » qui n’accepte pas l’emprise de la logique et qui ne permet pas que les questions qui s’y placent soient « susceptibles de réponse » [answerable]. Cela correspond — en deçà des axiologies méta-philosophiques qu’on y associe — à une conception ontologique très claire qui remonte à Husserl (d’où la tâche des eidétiques régionales, Ideen I et III, § 14-18), à savoir celle de la partition du terrain de l’expérience en ontologies régionales, susceptibles de fournir un pavage exclusif de la manifestation et, par là :
281) des questions qui se lient à (ou se placent à l’intérieur de) ces ontologies ;
292) des structures qui édifient — même si de façon différente — un monde au sens de sa construction phénoméno-logique, épistémique ou en tout cas rationnelle.
30Selon ce schéma, qui n’en est pas seulement un, car il détermine l’impensé de l’approche fondamentalement ontologique des deux démarches, les questions fondamentales sont de quelque façon ‘dé-territorialisées’, ‘apatrides’. Dans l’une de ces deux approches, celle que Alexandre Monnin a définie comme “l’ingénierie philosophique de Carnap”20, les questions fondamentales sont à bannir, à marginaliser du travail rationnel jusqu’à l’épuisement, ou à la disparition. Dans l’autre, justement parce qu’elle ne relèvent pas d’une partition ontologico-régionale, elles doivent être prises en charge, elles-seules, par la philosophie — une philosophie appelée à être, davantage, Fundamentalontologie et rien d’autre.
31Il en reste tout de même qu’il y a un schéma directeur non interrogé dans les deux démarches, un impensé beaucoup plus fondamental, structurel et structurant de ce que l’on imagine. Ce schéma directeur consiste à penser la pluralité des “domaines” du réel par rapport à un unum. Et cet unum, auquel il faut “reconduire” la pluralité des formes d’objets, est ce qui détermine l’idée de philosophie.
32Heidegger, sur la base d’un présupposé métaphysique d’empreinte clairement aristotelicienne par rapport à l’ontologie, laquelle affecte aussi — même si de façon moins déterminante — l’approche husserlienne, suppose que le réel du monde phénoménal se fixe au niveau ontique, dans des ontologies régionales horizontalement exclusives les unes des autres, qui en structurent en retour les saisies épistémiques ou experiencelles21.
33Carnap, qui refuse le présupposé aristotélicien, reconduit la multiplicité des formes d’approches au réel à un unum, le substrat matériel, qu’il revient en dernière instance à la physique de décrire, avec la conséquence, fondamentale, que la tâche essentielle de la philosophie s’avère être une sorte de légitimation de cette possibilité de réduction22. Toutefois le présupposé ontologique (moniste-matérialiste) n’est pas moins lourd que le premier et, comme le montrera Quine, radicalement affecté par des apories.
34Par conséquent, si l’on veut reconstruire le schéma conducteur de l’argument :
351. une idée métaphysique — même si pas clairement discernable de premier abord
36 esquisse
372. une topographie ontique ou onto-epistémique laquelle
38 détermine
393. la tâche de la pensée philosophique et
40 se reflète
414. sur les questions
42 par lesquelles cette pensée, en dernière instance, procède
434.1 ou bien, comme chez Carnap, à une construction rationaliste et réductionniste presque obsessive du monde ;
444.2 ou bien, comme chez Heidegger, à l’exploration des dimensions souterraines du Grund et, ensuite, de l’Abgrund.
45C’est justement en vertu de cette tâche, ou de cette idée — point libre de présuppositions tout d’abord métaphysiques et ensuite ontologiques — que la pensée heideggérienne, tout en reconnaissant une certaine « phénoménologie » et une dynamique sui generis des questions fondamentales [Grundfragen], montre une tendance fortement réductrice — au sens de la reductio ad unum, là où cet unum est bien évidemment à considérer comme la Seinsfrage. Par un passage — bien fondé à notre avis — du texte à l’œuvre heideggérienne tout entière (ou presque) on pourrait réaffirmer, avec Heidegger :
La question de la vérité de l’être, est et demeure ma question, et elle est ma seule question, car elle concerne justement ce qui, plus que tout, est unique. À l’époque de l’absence totale de questions, il suffit de poser une fois pour toute la question de toutes les questions”23.
46Or, le problème est qu’aussi bien à l’intérieur de la philosophie qu’à l’intérieur de ces horizons plus vastes qui sont le savoir humain ou la spiritualité, le fait de se tenir à ce mouvement de reductio ad unum s’avère être extrêmement appauvrissant et, comme on le verra, faux, dépourvu de fondement (aussi tout simplement scientifique). Tout d’abord parce que — et cela vaut aussi pour Carnap — l’assomption métaphysique de fond selon laquelle le réel se réfléchirait, sans exception ou rupture, au sein des ontologies régionales logiquement constructibles dans leur stratification est tout simplement fausse. Ainsi considérées ces ontologies régionales sont ce que Hegel aurait défini selbstständige Reflexionsbestimmungen, des déterminations réflexives mortes, dépourvues de mouvement, d’instabilité, de vie.
47Toutefois ce présupposé n’est pas tout simplement critiquable du point de vue d’une pensée spéculative dynamique, malgré les attentes de l’ingénieur philosophique carnapien. Ce présupposé est faux du point de vue scientifique. Ceci est un acquis théorique et épistémologique fondamental, par lequel on fixe philosophiquement ce point de rupture qui n’est point à sous-estimer : le réel tel qu’il se fixe dans nos approches épistémiques ou tout simplement expériencielles d’une phénoménalité complexe brise tout d’abord la règle de la juxtaposition fixe et fixée une fois pour toutes, horizontale (pavage) ou verticale (layer cake) des ontologies régionales. Il brise aussi la possibilité d’encadrer ou de construire chaque phénomène au sein d’une et une seule ontologie régionale ou tout aussi bien de le réduire au monisme physique des constituants ultimes de la matière décrits par la physique24. Le réel, tel qu’il est saisi par nos prises conceptuelles, épistémiques ou tout simplement expériencielles toujours plus raffinées de nos formes de savoir et de vie — et tel qu’est expériencié [erfahrene] au sein de nos formes d’expérience toujours plus hybrides et complexes, entremêlées — suspend le présupposé ontologico-fondamental. Par cette brisure, il s’agit d’abandonner (sur la base d’évidences scientifiques) l’idée d’une phénoménalité qui se laisse :
481) ou bien caser, sans résidu, dans une ontologie régionale (Husserl) ;
492) ou bien réduire au langage universel de la physique (Carnap) ;
503) ou bien ramener à une dynamique ontologico-fondamentale ou abyssale (Heidegger).
51Car, en tout cas, elle se laisse saisir par une forme « trop » bien définie de pensée philosophique, conçue ou bien comme ingénierie philosophique (chez Carnap) ou bien comme Fundamentalontologie (chez Heidegger). C’est ce présupposé multiforme qui est radicalement entrainé par cette auto-destruction. On pourra remarquer que par là s’esquissent les situations fondamentales, et fondamentalement privatives :
52- de la méta-philosophie (point 3), à savoir d’une suspension radicale, ou perte des présupposés qui affectent notre idée de philosophie et de ses tâches constitutives ;
53- de la méta-ontologie (point 2), à savoir une suspension radicale de nos approches aux domaines ontiques, ni fixes ni fixés une fois pour toutes, qui doivent être investis par un autre regard interrogatif ;
54- et de la méta-métaphysique (point 1) dans la mesure où cette double suspension révoque l’idée elle-même que l’on puisse aboutir à un point de vue ultime (view from nowhere) sur ce qui est fondamental, soit-il l’être ou la matière subatomique.
4. Une nouvelle approche des « questions fondamentales »
55Si donc par là ces deux projets philosophiques perdent de façon définitive leur droit à se présenter comme deux voies ou deux options réciproquement exclusives d’une philosophie ou de rationalité philosophique en général, c’est aussi notre regard sur les questions (fondamentales) qui doit se métamorphoser. Car l’hybridation et la complexification constante et changeante du phénoménal auquel nous sommes exposés existentiellement et épistémiquement libère aussi, par ce parcours à rebours, la dimension des questions fondamentales. Car elles ne se laissent ni marginaliser comme des tentatives confuses d’une pensée qui ne peut pas ni ne sait ou ne veut point se laisser encadrer dans un framework (la caricature n’est ici qu’une façon de synthétiser l’enjeu de la pensée carnapienne) ni ne veut se laisser ramener à un unum, de façon réductive, c’est-à-dire la répétition, en forme d’hésychasme, de la Seinsfrage.
56Cela est montré de façon presque inéquivocable par J.-L. Marion dans un essai qu’il faudrait chérir pour plusieurs raisons : « Mihi magna quaestio factus sum. Le privilège d’inconnaissance »25. Une de ces raisons, qui ne touche pas au personnel, est qu’ici Marion — pour ceux qui savent lire Augustin — livre une analyse d’une radicalité extrême de la question augustinienne « qui suis-je ? »26. Cette dernière n’est que l’expression du se regarder de chacun dans le miroir de son existence, ou, si l’on veut, le regard paulinien de l’existence per speculum in aenigmate. La quaestio de l’écriture dépasse a parte ante, car elle anticipe existentiellement et philo-génétiquement la Seinsfrage ou même la question leibnizienne sur le Grund qui, d’après Heidegger, s’y laisse ramener :
Car, il se pourrait que l’Écriture ne pose pas la question « Pourquoi quelque chose plutôt que rien ? », non par ignorance, mais pour ne pas présumer d’horizon, même celui de l’être, à la question de l’homme.
57Une telle question est toutefois posée, ajoutons-nous, à la première personne, nue, non pas à la façon architectonique de Kant. Une telle question interroge, ajoute Marion,
plus radicalement encore le monde et l’homme que la pensée de l’être ne le permettra jamais. Ce que l’Écriture répond à l’interrogation qu’elle pose reste par définition une question sans fond, puisque la pérennise rien de moins que l’incompréhensibilité de Dieu. Si questionner définit la piété de la pensée, alors, parce qu’elle seule laisse le questionner de sa question à jamais libre et intact, l’Écriture déploie aussi cette piété ici27.
58Ici plusieurs aspects émergent. Tout d’abord la relation essentielle, « spéculative », instituée par la question, une relation spéculative qui devient une topologie métaphysique impensée d’Augustin même jusqu’à Kant et qui occulte cette topologie ouverte de la pensée grecque incarnée dans le mot de thêoria28. L’autre aspect est que — n’en déplaise à Marion — ce n’est pas la caractéristique de la seule Écriture d’instituer ce spéculatif à l’état brut, nu, mais de tous les grands textes de la spiritualité, des Upanishad à la parodos anapestique de l’Agamemnon d’Eschyle pour arriver à la Gnose et au Soufisme. Il ne s’agit pas là de développer ou de s’engouffrer dans un syncrétisme vide mais de laisser émerger, scientifiquement, des invariants, et plus précisément un invariant et son potentiel pour une pensée rigoureuse et spéculative à la fois.
59La demande de Sens, qui s’exprime dans cette situation nue, à l’état brut, du questionner par des questions fondamentales, et très souvent par la question “que/qui suis-je ?”, anticipe toute configuration philosophique, déjà trop philosophique, des questions fondamentales. Du point de vue strictement phénoménologique, si la question advient « car originairement motivée par des évènements de la sphère passive »29, ce qui caractérisera la question fondamentale comme cristallisation théorique de la demande de sens devra se trouver sur un seuil qu’une forme, un format de rationalité philosophique ne pourra jamais inclure ou maitriser entièrement.
60Pour simplifier coupablement, le fait que les questions fondamentales adviennent et persistent toujours sur l’arrière-plan est motivé aussi par des événements qui se situent à la frontière de la sphère passive aussi bien du point de vue ontogénétique — relatif à l’existence de tout chacun — que phylogénétique. Par conséquent ni une simple analyse phénoménologique de la structure syntaxico-sémantique des questions fondamentales ni une analyse toute orientée vers leur histoire ne serait suffisante. Pourquoi, plus précisément, serait-il insuffisant d’en fournir une simple analyse intentionnelle ?
61Parce que — comme il arrive aussi à Husserl30 — le cadre intentionnel au sein duquel on pense en pouvoir fixer la nature et la dynamique n’épuise pas leur richesse, qui est la richesse de leur détresse, c’est-à-dire l’indice de la situation privative dont elles se font l’expression :
La question ‘que suis-je ?’ ‘qu’est-ce que l’homme, l’humanité ?’ trouve une réponse grâce à la philosophie transcendantale par son interprétation profondissime [tiefste] de la subjectivité comme constituant elle-même et le monde. Mais, comme dit, dans le progrès émergent aussi ici des problèmes plus profonds. Nous mentionnions auparavant le problème de l’infinité de la subjectivité transcendantale comme infinité de sujets transcendantaux singuliers, mais aussi de leur ‘mondanisation’ [Verweltlichung], ainsi que le problème, de quelle façon leur totalité est à penser. Mais aussi dans une autre direction : l’interprétation d’un homme comme lié à son monde pré-donné, à comprendre comme vivant activement dans ce monde, faisant l’expérience de lui-même par rapport au monde, pensant, évaluant, se relationnant, et intervenant pratiquement, le changeant selon des intentions, des fins.
62La structure des questions fondamentale montre un résidu à la pure analyse intentionnelle. Tout d’abord en vertu de leur équivocité foncière ; ensuite par le fait qu’elles traversent l’ouverture au monde phénoménal que nous sommes tous ; enfin en vertu de leur hétérogénéité (ou même en vertu de la dynamique intrinsèque de leur interrogé particulier). En ce sens, une pure analyse phénoménologico-intentionnelle ne ferait que fixer, dans une seule dynamique (ce qui est toutefois déjà un acquis en soi), la double issue d’une analyse
63-tout simplement carnapienne, c’est-à-dire le fait constitutif de leur équivocité au niveau intentionnel ;
64-ou tout simplement heideggérienne, c’est-à-dire une sorte d’enracinement vertical, qui est à retrouver, aussi dans les questions fondamentales, comme évènement dans la sphère passive onto- et phylo-génétique.
65On pourrait aussi interpréter cet enracinement comme entremêlement de l’évènement de la question avec la texture multidimensionnelle du monde-de-la-vie, de la Lebenswelt, sans toutefois avoir fait un grand pas en avant. Cependant, l’approche phénoménologique est capable au moins d’indiquer ce résidu. Encore figée dans son regard « unitaire », elle montre justement que, en tant « qu’acte de questionner », elle est déclinaison active, volontaire, par rapport à la simple indécision, à la simple Un-erfulltheit théorique du doute.
66La question fondamentale, en tant que question, n’est pas tout simplement théorique, ni tout simplement interne ou externe, ni une question a priori fondamentale. Son écorce simplement théorique répond, par le fait d’être une question intentionnellement [absichtlich] posée dans telle ou telle autre situation, une situation plus fondamentale, son être constitutivement « en demande de sens ». Son entremêlement avec une ou plusieurs textures de notre ouverture au monde phénoménal en révèle une topologie transversale, [queer-topologisch], ni interne ni externe, mais qui ouvre un regard à partir d’une situation. Pour cette raison elle n’est pas a priori, une fois et pour toute, fondamentale, mais se manifeste comme « fondamentale » à partir d’une situation bien précise. Toutefois, ce « répondre à », ce « correspondre à » ne doit point signifier un acheminement définitif vers la verticalité absolue du Grund et de la Seinsfrage, là où, dans l’obscurité, toutes les questions fondamentales s’équivalent, reviennent au même.
67La question fondamentale en tant que « correspondante à la demande de sens », en tant qu’une de ses déclinaisons possibles, et imprévisibles, est un « acte pratique ». Si, pour s’exprimer avec John Dewey, les certitudes obtenues par les philosophies dites classiques, où même par des formes « autres », antérieures, de spiritualité « sont pourvues des valeurs qui correspondent à nos aspirations »31, les questions fondamentales ou même le questionner fondamental dont ces certitudes sont (ou prétendent être) le remplissement, sont la forme d’une aspiration, l’aspiration d’un homme — toujours pour paraphraser Dewey — d’un homme vivant dont le Sens unitaire de son exposition au monde des phénomènes lui échappe.
68La position d’une question fondamentale, c’est un acte par lequel nous explorons l’ouverture spirituelle au monde de phénomènes que nous sommes, là où, par « spirituelle », il faudrait entendre ce que Pierre Hadot a défini comme spirituel, à savoir une ouverture “non seulement de la pensée mais de tout le psychisme de l’individu”32 , une ouverture “qui engage tout l’esprit [scil. la pensée, l’imagination, la sensibilité la volonté]”33. Il s’ensuit que la position d’une question fondamentale est l’acte par lequel on essaye de donner sens, théorique, à ce ‘se regarder soi-même per speculum in aenigmate’.
69Toutefois, si l’on s’arrêtait à cette indication, encore en quelque sorte générale, on demeurerait encore presque au seuil de l’analyse formelle, ou pour ainsi dire, généralisante, des questions fondamentales. Nous le rappelons :
70- équivoque du point de vue simplement intentionnel ;
71- enracinée dans une dimension hypogée ante-prédicative ;
72- acte pratique (praxiologique) d’exploration.
73La teneur praxiologique, le fait d’être “acte”, révèle quelque chose de plus, qui nous fait nécessairement sortir de la généralité car, dans l’horizontalité de l’ouverture au monde phénoménal que nous sommes tous, la nature particulière d’une question fondamentale demande une approche encore plus perspicace.
74Toutes les questions fondamentales ne sont pas posées à partir du même lieu, de la même situation de cette ouverture, toutes les questions fondamentales ne rencontrent pas la même constitution de cette ouverture. Toutes les questions fondamentales ne montrent pas la même dynamique ni la même équivocité, à savoir la dynamique par laquelle et selon laquelle celui qui les pose, celui qui demande par là le Sens, accède à une ouverture thématique bien définie. Bien loin d’être le simulacre d’une seule vraie question fondamentale, bien loin d’être quelque chose à assigner au seul sentiment de vie [Lebensgefühl], chaque question fondamentale, à sa façon, explore et, pourvu que l’on sache l’interroger, laisse découvrir une texture, une granularité de l’ouverture au phénoménal :
75À ce point la phénoménologie, ou toute autre approche syntaxique-sémantique et intentionnelle d’une question fondamentale, ne sont pas abandonnées mais élargies dans la mesure où c’est au sein de cette analyse uniquement que peut émerger l’essentiel et la nature essentiellement spéculative d’une telle approche. Tenons-nous à la métaphore catoptrique — qui est beaucoup plus qu’une métaphore, c’est-à-dire un invariant structurel — de toute question fondamentale (et non seulement de la seule question « que/qui suis-je ? »)34 comme expression du ‘se regarder soi-même per speculum in aenigmate’ ! La consistance particulière de toute question fondamentale prise par elle-même, singulièrement, comme surface catoptrique, comme un miroir, renvoie et ouvre le regard sur un arrière-plan qui n’est pas identique, un regard dont l’ouverture dépend de la constitution, de l’épaisseur (même historique) de cette question. Ici la base d’analyse phénoménologique livrée magistralement par Husserl dans les chapitres sur les modalisations dans les Leçons sur la synthèse passive35 doit s’élargir et arriver à saisir la texture du monde de la vie à laquelle renvoie — et s’entremêle — cette question fondamentale par sa dynamique intrinsèque, ses concrétions de sens.
76Il faut apprendre, encore une fois, immer wieder, à persister dans la question fondamentale particulière et apprendre à décrypter l’expérience toute particulière, spécifique, qu’elle nous laisse découvrir par sa dynamique intrinsèque. Tout d’abord le fait de considérer la question « que/qui suis-je ? » comme une question simplement (bloss) philosophique serait du moins inapproprié, pour ne pas dire fautif — car elle ouvre, laisse éclore une dimension extra- et pré-philosophique dont les trames traversent non seulement ce que l’on prétend être « la philosophie » mais aussi l’horizon de l’épistème de part en part. De même le simple fait de poser la question méta-philosophique « Qu’est-ce que la philosophie ? » pour en chercher une réponse — sans qu’elle soit inscrite dans un mouvement spéculatif — occulte toute la richesse de l’expérience que l’on en fait, à ce moment précis de ce que nous sommes devenus, de ce que notre idée de rationalité est devenue, pourrions-dire, après la métaphysique. Car la réponse ne serait en fait, en vertu de l’équivocité et du dynamisme interne de la question, qu’une réponse partielle, arbitraire, une parmi les milliers que nous nous affolons à donner. On pourrait affirmer la même chose de la Seinsfrage elle-même, dont la simple position ne suffit point pour la comprendre, pour en comprendre le mouvement spéculatif, en la laissant juste répéter et envelopper d’une aura d’originaire. Ce mouvement spéculatif émerge uniquement à condition que l’on sache persister dans l’état de suspension, dans la situation particulière d’absence de Sens et de concrétion de sens qu’elle nous ouvre, justement en vertu de son épaisseur historique mais aussi théorique, et qui s’esquisse à partir de son mouvement interne.
Conclusion et “ouvertures”
77La « chose » même de toute question fondamentale prise et développée spéculativement ‘dans sa specificité’, sa ‘Sache’, réside dans la texture de notre ouverture au monde qu’elle ouvre et montre aussi dans son épaisseur aussi historique, onto- et philo-génétique. C’est en ce sens que l’on peut penser de faire de la phénoménologie dynamique de notre expérience des questions fondamentales — laquelle s’avère être en même temps spéculative au sens intégral d’un voir de loin (prospicere de specula) et d’un se regarder soi-même dans un miroir (videre per speculum) — le fil conducteur pour le déploiement d’une idée nouvelle de mathesis. Il s’agit une mathesis non métaphysique au sens responsif du terme, c’est-à-dire au sens d’une Letztbegründung, fondation ultime, ou Verabgründigung, mise en abîme, ou encore au sens fondamentalement asphyxique d’une ingénierie philosophique.
78Cette mathesis, ou les formes de cette mathesis, s’esquissent au contraire par les descriptions de ces textures, qui décrivent des topologies variables et plastiques de la pensée, et qui traversent de part en part non seulement l’épistème ou les epistêmai mais l’existence humaine — la communauté historique (d’ou on vient et/ou que l’on veut laisser derrière nous) sur laquelle doit se fonder une paideia. Le fait de chercher dans la phénoménologie et dans la dynamique des questions fondamentales le fil conducteur pour une telle mathesis — dont le travail essentiel ne s’épuise point dans et par cette phénoménologie dynamique ni par l’expérience essentiellement spéculative que l’on fait par et grâce au regard rationnel porté sur ces questions — ce fil conducteur [Leitfaden] montre plusieurs choses à la fois, des choses minimales, si l’on veut, mais qui s’avèrent être décisives.
791. Tout d’abord il montre que l’impensé de la protè épistème et sa dimension nécessairement spéculative réside dans les trames, dans les textures que la theôria entretient, partage, non seulement avec l’épistème bien évidemment mais — à la fois et aussi nécessairement — avec la communauté humaine dans sa dimension historique, des trames qui les traversent (la theôria aussi bien que l’épistème) car elles appartiennent à l’horizon de l’existence.
802. Ensuite il montre que cet horizon est à considérer comme l’ouverture première et ultime au monde phénoménal au sens d’une ouverture essentiellement pré- et extra-philosophique, dont la teneur spirituelle — toujours au sens d’Hadot mais aussi, nous pourrions dire, d’Hegel et d’Husserl — laisse éclore la rationalité et ne s’en laisse pas exclure ou marginaliser.
813. Dans sa processualité, ce mouvement montre aussi qu’uniquement en saisissant ces trames complexes quelque chose comme le travail rationnel peut envisager de s’orienter à l’idée de mathesis, une mathesis ‘autre’ — universalis non pas au sens de la « complétude » mais au sens cosmique du Weltbegriff kantien — dont les formes correspondent au questionnement “fondamental”, car émergent à partir de ses trames cachées. Au sein de ce questionnement, les questions fondamentales doivent être prises dans leur “unicité” et dans leur spécularité dynamique et pas juxtaposées comme figures, ou simulacres, du même.
824. Il montre enfin qu’uniquement en ce lieu, qui s’avère être un multivers, l’existentiel et l’épistémique se reflètent et peuvent s’avérer comme les deux faces d’un seul mouvement spéculatif. Que ce mouvement spéculatif soit susceptible d’être saisi entièrement à l’intérieur de la phénoménologie n’est pas si certain, c’est même très douteux, mais cela ne touche en rien la puissance de son projet de rationalité (Rationalitätsentwurf).
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Voetnoten
1 M. Merleau-Ponty, Le visible et l’invisible, Paris, Gallimard, 1964, p. 141.
2 F. Fraisopi, Philosophie et demande. Sur la métaphilosophie, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 20-21.
3 E. Husserl, Die Lebenswelt, Hua. 39, Berlin – New York, Springer, 2009, Nr. 12, § 2, p. 112.
4 M. Heidegger, Wegmarken, in GA 9, Frankfurt a/M, Klostermann, 1976, p. 103-122 (Nachwort [1943] 303-312, Einleitung [1949] 365-384).
5 R. Carnap, “Überwindung der Metaphysik durch logische Analyse der Sprache”, in Scheinprobleme der Philosophie und andere metaphysikkritische Schriften, Hamburg, Meiner, 2004, p. 81-110.
6 R. Carnap, “Empiricism, Semantics and Ontology”, Revue Internationale de Philosophie, 4 (11), 1950, p. 20-40.
7 R. Carnap, “Überwindung der Metaphysik”, loc. cit., p. 84.
8 G. H. Bird, “Carnap and Quine : Internal and External Questions”, Erkenntnis, 1995, 1, p. 42-64.
9 Ibid., p. 43.
10 Cf. à ce sujet, de façon très critique, T. W. Adorno, Jargon der Eigentlichkeit, Frankfurt a/M, Suhrkamp, 1965, p. 26.
11 Cf. supra C. Spaak, « L'irréductibilité de la question et le destin ontologique de la phénoménologie (Husserl, Heidegger) », p. 68-98.
12 Plus tard, Heidegger spécifiera que, pour se laisser entrainer vers ce quelque part, ce lieu originaire de la Grundfrage, la pensée doit developper (ou assumer) l’ethos d’une “Gelassenheit zum Fragwürdigen” [M. Heidegger, « Aletheia », in Vorträge und Aufsätze, GA 7, Frankfurt a/M, Klostermann, 2000, p. 259.
13 M. Heidegger, “Was ist Metaphysik”, in Wegmarken, op. cit., p. 103.
14 M. Heidegger, Der Satz vom Grund, GA 10, Frankfurt a/M, Klostermann, 1997, p. 185.
15 M. Heidegger, Vom Wesen des Grundes, in Wegmarken, op. cit., p. 123-176, p. 169.
16 M. Heidegger, Vom Wesen der Wahrheit, in Wegmarken, op. cit., 177-202, p. 202.
17 M. Heidegger, Beiträge zur Philosophie (Vom Ereignis), in HGA, Frankfurt a. M., Klostermann, 1989, p. 10/11.
18 Ibidem, p. 12/13.
19 Ibidem, p. 19.
20 A. Monnin, « L’ingénierie philosophique de Rudolf Carnap. De l’IA au Web sémantique », Les Cahiers Philosophiques, 141, 2015, p. 27-53.
21 Cf. à ce sujet D. Pradelle, « Husserl contra Carnap : la demarcation des sciences », in C. Ierna, H. Jacobs, F. Mattens (éds), Philosophy, Phenomenology, Sciences. Essays in commemoration of Edmund Husserl, Springer, Phaenomenologica n° 200, 2010, p. 157-190.
22 R. Carnap, “Die physikalische Sprache als Universalsprache der Wissenschaft”, Erkenntnis, 2, 1931, p. 432-465, p. 469. Ce présupposé s’explicite de façon claire, et en forme de projet ‘philosophique’ dans P. Oppenheim & H. Putnam, “Unity of Science as a Working Hypothesis”, Minnesota Studies on the Philosophy of Sciences, 1958, p. 3-36.
23 Loc. cit.
24 Cf. à ce sujet, S. Mitchell, Unsimple Truths. Science, Complexity and Policy, London, The University of Chicago Press, 2009, p. 34-44 ; P. Humphreys, “How Properties Emerge”, Philosophy of Science, 64, 1997, p. 1-17.
25 J.-L. Marion, “Mihi magna quaestio factus sum”. Le privilege d’inconnaissance, Filosofia della religione oggi, Archivio di filosofia, 2007, p. 235-250.
26 Augustinus, Confessiones, IV, 4, 9 X, 17, p. 126.
27 J.-L. Marion, cit., p. 248/9.
28 À ce sujet je me permets de citer deux études sur le sujet : la première thématise l’ouverture d’une dimension spéculative de la pensée dans la logique hégélienne grace à la philosophie de Kant, et notamment la Critique de la faculté de juger ; l’autre thématise l’occultation de la “topologie ouverte” de la thêoria grècque et sa redécouverte ou réactivation chez Husserl. Cf. F. Fraisopi, « Hegel et l’idée d’une logique spéculative I : Le spéculatif et l’ontologie (dialectique) de la représentation », Les Archives de Philosophie, 1, 2023, p. 163-186 ; “Horizon and Vision. The Phenomenological Idea of Experience versus the Metaphysics of Sight”, Horizon. Studies in Phenomenology, 4 (1), 2015, p. 124-145.
29 E. Husserl, Erfahrung und Urteil, § 78, Prag, Academia/Verlagsbuchhandlung, 1938, p. 371.
30 E. Husserl, Studien zur Intersubjektivität. Dritter Band (1929-1935), Hua. 15, Den Haag, M. Nijhoff, 1976, p. 153.
31 J. Dewey, La quête de certitude, Paris, Gallimard, 2014, tr. fr. p. 53.
32 Cf. P. Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, Albin Michel, 1993, p. 21.
33 Ibid., p. 77.
34 Sur la dynamique pourtant essentielle de cette question, cf. Untersuchungen über die Formen der Mathesis, §§ 16-29, p. 191-236 et, sur ce même sujet, J.-B. Fournier, « Entretien avec Fausto Fraisopi : Questions sur la phénoménologie de la question », Entretien paru chez Actu Philosophia, Juin 2023, https://www.actu-philosophia.com/entretien-avec-fausto-fraisopi-questions-sur-la-philosophie-de-la-question/?fbclid=IwAR1ASeJskbND85cKYZNGzpo5aTBqViD2xWPvwLHFCno4EcNYcZL5D-Bje6U
35 E. Husserl, Analysen zur passiven Synthesis, Hua 11, Den Haag, M. Nijhoff, 1966, § 8-9, p. 33-38.