- Startpagina tijdschrift
- Volume 21 (2025)
- Numéro 1
- Pierre Bourdieu, la croyance originaire et la phénoménologie
Weergave(s): 85 (2 ULiège)
Download(s): 23 (5 ULiège)
Pierre Bourdieu, la croyance originaire et la phénoménologie

Documenten bij dit artikel
Bijlagen
Résumé
Pour Pierre Bourdieu, les conclusions de l’analyse phénoménologique de la doxa demandent à être elles-mêmes interrogées sur leurs conditions sociales de possibilité. Bruce Bégout crédite Bourdieu d’avoir montré que la prétendue originarité phénoménologique est elle-même le résultat d’une orthodoxie. Cependant, tout en considérant que Bourdieu dégage à juste titre la stratégie de domination d’une classe sur une autre, il propose d’interroger en outre la domination de la quotidienneté sur toutes les classes.
Inhoudstafel
1Dans Le Sens pratique, Pierre Bourdieu définit ce qu’il appelle « la doxa originaire ». « La croyance pratique n’est pas un “état d’âme” ou, moins encore, une sorte d’adhésion décisoire à un corps de dogmes et de doctrines instituées (“les croyances”), mais, si l’on me permet l’expression, un état de corps. La doxa originaire est cette relation d’adhésion immédiate qui s’établit dans la pratique entre un habitus et le champ auquel il est accordé, cette expérience muette comme allant de soi que procure le sens pratique originaire1 ». Outre qu’elle allègue l’idée d’une croyance par corps2, cette définition noue plusieurs des concepts autour desquels s’est forgée la pensée de Bourdieu : sens pratique, habitus, champ, croyance pratique. Elle caractérise la doxa comme une espèce d’adhésion, une espèce de l’adhésion, une adhésion immédiate.
2Le chapitre important que consacre Le Sens pratique à comprendre « La croyance et le corps » commence en se penchant avec insistance sur la spécificité de cette adhésion. Il détermine la croyance que suppose l’appartenance originaire à un champ en l’opposant « diamétralement à la “foi pragmatique” dont parle Kant dans la Critique de la raison pure », c’est-à-dire, précise-t-il, à cette « adhésion décisoirement accordée, pour les besoins de l’action, à une proposition incertaine »3. À l’opposé, l’adhésion aux présupposés d’un champ que suppose la foi pratique consiste en « l’adhésion indiscutée, préréflexive, naïve, native, qui définit la doxa comme croyance originaire4 ».
3Une remontée historique trouverait ici sa place, et Bourdieu ne manque pas de l’ébaucher lui-même. Ainsi rappelle-t-il, dans ses entretiens avec Loïc Wacquant, la phronesis aristotélicienne ou encore (« ou mieux », dit-il) l’orthè doxa du Ménon platonicien5. C’est dans le Ménon que Platon introduit la notion d’opinion vraie6. Socrate y déclare qu’« au point de vue de l’action, l’opinion vraie (orthè doxa) n’est en rien moins bonne ni moins utile que la science, et l’homme qui la possède vaut le savant7 ». Cependant, davantage qu’à la théorie platonicienne, c’est à la conception phénoménologique de la doxa que Bourdieu se réfère surtout. Son cours du 12 octobre 1982 au Collège de France évoque « le rapport doxique, très bien analysé par les phénoménologies, et par Husserl le premier ; ce sera le rapport au monde social comme allant de soi, comme se donnant immédiatement dans son sens : devant le marteau, on ne se pose pas une question d’archéologue (“À quoi ça sert ?”), on le prend et on tape un coup8. » Or, se référer sur ce philosophème à la phénoménologie, c’est prendre acte d’une mutation axiologique considérable, aux allures de renversement. Si Platon fait en quelque sorte de l’épistémè la norme, c’est, à l’opposé, de la doxa que Husserl fait la norme dont s’écarte l’épistémè. Avec la notion de Lebenswelt, Husserl procède à une réhabilitation philosophique de la doxa, des croyances ordinaires.
L’expérience doxique selon Bourdieu
4Une précaution initiale. Louis Pinto écrit que « Bourdieu a joué alternativement sur deux sens (“platonicien” et phénoménologique) du mot doxa9 » ; mon analyse s’en tiendra au rapport explicite que la praxéologie de Bourdieu noue avec la seule Urdoxa phénoménologique.
5Je n’envisage pas de procéder ici à une recollection exhaustive des occurrences du concept de doxa chez Bourdieu. Je me précipite plutôt vers le dernier ouvrage publié par celui-ci en 1997, les Méditations pascaliennes. On peut, sans pour autant s’accorder avec leur indifférence à la dimension politique de la question, « s’appuyer sur les analyses phénoménologiques de l’“attitude naturelle”, c’est-à-dire l’appréhension première du monde social comme allant de soi, naturel, évident, pour rappeler l’extraordinaire adhésion que l’ordre établi parvient à obtenir10 ». Parler d’adhésion, c’est reprendre tacitement le terme qui soutient de nombreuses définitions de la croyance. Quand il parle de la croyance comme d’une adhésion11, Bourdieu semble retrouver le terme qui, depuis la définition canonique que Durkheim en a donnée, constitue le prédicat essentiel de la croyance religieuse12. Toutefois, c’est plutôt de la conception phénoménologique de la croyance qu’il paraît se rapprocher quand, comme il le précise ailleurs, la croyance qu’il analyse « n’est pas une croyance explicite, posée comme telle par rapport à la possibilité d’une non-croyance, mais une adhésion immédiate, une soumission aux injonctions du monde […] »13. Pareille conception, en effet, n’était pas tout à fait étrangère à la phénoménologie de la perception. Sans doute Sartre définissait-il la croyance de façon restrictive comme « l’adhésion de l’être à son objet, lorsque l’objet n’est pas donné ou est donné indistinctement »14. Mais pour sa part, Merleau-Ponty s’inscrivait plus strictement dans l’orthodoxie phénoménologique pour élargir la foi ainsi conçue à la perception : « La foi — dans le sens d’une adhésion sans réserves qui n’est jamais motivée absolument — intervient dès que nous quittons le domaine des pures idées géométriques et que nous avons affaire au monde existant. Chacune de nos perceptions est foi, en ce sens qu’elle affirme plus que nous savons à la rigueur, l’objet étant inépuisable et nos connaissances limitées »15.
6Pierre Bourdieu a lui-même précisé le rapport que sa pensée entretient avec la conception phénoménologique de la doxa. Il lui est arrivé de rejeter carrément tout rapprochement avec cette dernière et d’invoquer, dans son Esquisse d’une théorie de la pratique, une « théorie de la pratique et de l’expérience première de la pratique qui n’a rien à voir avec une restitution phénoménologique de l’expérience vécue de la pratique »16. La sentence paraît sans appel ; peut-être conviendrait-il pourtant de la nuancer.
7Dans Raisons pratiques, Bourdieu trace les limites à l’intérieur desquelles s’enferme la description phénoménologique. Certes, les phénoménologues ont « porté au jour » l’expérience du monde compris comme « monde du sens commun »17. Il leur a cependant manqué de se poser la question de sa fondation ; il leur a manqué, autrement dit, « d’en rendre raison ». Aussi faut-il leur objecter que « l’expérience première du sens commun », la doxa, est en plus profonde interrogation, une orthodoxie, c’est-à-dire « une vision droite, dominante »18. L’attitude naturelle qu’ils décrivent résulte elle-même d’une construction. Les catégories de la perception qui rendent possible l’attitude naturelle invoquée par les phénoménologues résultent elles-mêmes d’affrontements entre des visions concurrentes. « La doxa est un point de vue particulier, le point de vue des dominants, qui se présente et s’impose comme un point de vue universel19. » Plutôt que de révoquer la description phénoménologique, Bourdieu en relativise la portée. De même, l’esthétique de la troisième Critique kantienne, violemment contestée dans La Distinction, ne lui apparaît, tout bien pesé, pas dénuée de pertinence. Plus exactement, l’universalité sans concept qu’elle met au jour possède sa justesse, mais une justesse limitée. Elle vaut, lira-t-on dans Méditations pascaliennes, en tant qu’« analyse quasi phénoménologique de l’expérience esthétique qui est accessible à certains “sujets” cultivés de certaines sociétés historiques20 ». Kant accomplit une manière de « phénoménologie de l’expérience esthétique » qui, en droit, érige en universel l’expérience particulière de « la fraction dominée de la classe dominante »21. Or, ce diagnostic que formule Bourdieu ne se conclut pas tant sur une fin de non-recevoir que par une relativisation : « Je suis prêt à admettre que l’esthétique de Kant soit vraie, mais seulement au titre de phénoménologie de l’expérience esthétique de tous les hommes et les femmes qui sont le produit de la skholè. C’est dire que l’expérience du beau dont Kant nous fournit une description rigoureuse a des conditions de possibilité économiques et sociales ignorées de Kant et que la possibilité anthropologique dont Kant dessine l’analyse ne pourrait devenir réellement universelle que si ces conditions économiques et sociales étaient universellement distribuées22 ». Ce que Kant décrit et qui correspond à « l’usage transcendantal de la sensibilité » suppose lui-même des conditions de possibilité, plus exactement « des conditions historiques et sociales de possibilité »23. Aussi, parler sans grande rigueur d’« esthétique populaire » revient à élargir à une culture populaire le cas particulier d’une prétendue universalité du plaisir esthétique désintéressé « qui doit pouvoir être éprouvé par tout homme » ; à supposer ainsi à tous les hommes, « de manière inconsciente et toute théorique », « le privilège économique et social qui est la condition du point de vue esthétique pur ». Autrement dit encore, à universaliser « purement et simplement, le cas particulier dans lequel nous nous trouvons », c’est-à-dire à universaliser « le privilège économique et social qui est la condition du point de vue esthétique pur »24. Faire l’impasse sur ses propres conditions sociales se ramène, écrit Bourdieu en termes ironiquement kantiens, à ignorer « ses propres limites »25. Ou encore, en termes ironiquement phénoménologiques, à omettre de « faire l’épokhè des conditions sociales de l’épokhè des intérêts pratiques que nous opérons lorsque nous portons un jugement esthétique pur26 ». Il importe au contraire de creuser plus profond pour mettre au jour les « conditions sociales de production » du jugement esthétique27. Ramassé à l’extrême, le projet qui anime Bourdieu, et que la phénoménologie ne conduit pas à son terme, consiste à « mener jusqu’au bout une réalisation historiciste du projet transcendantal » 28.
8Il n’est pas anodin de se réclamer de la sorte du « projet transcendantal ». La « réalisation historiciste du projet transcendantal », précise Bourdieu dans Les Règles de l’art, demande de dégager les « conditions sociales de possibilité »29 de l’esthétique formaliste. Elle consiste plus précisément à dégager « les conditions sociales de la production (ou de l’invention) et de la reproduction (ou de l’inculcation) des dispositions et des schèmes classificatoires qui sont mis en œuvre dans la perception artistique, de cette sorte de transcendantal historique qui est la condition de l’expérience esthétique telle qu’elle [l’analyse d’essence] la décrit naïvement30 ».
9À suivre Bourdieu lui-même, la phénoménologie indiquerait, d’une certaine façon, la voie à suivre pour commencer de se déprendre de « la relation de soumission doxique qui nous lie à l’ordre établi31 ». Bien comprise, elle demanderait toutefois à être reprise à nouveaux frais ; ses conclusions elles-mêmes devraient être interrogées sur leurs conditions sociales de possibilité. Comme il le déclarait à Loïc Wacquant, il s’impose de « sociologiser complètement l’analyse phénoménologique de la doxa comme acceptation indiscutée du monde vécu quotidien32 ». Et dans un cours du 19 avril 1984 : « Schütz est celui qui a le plus développé la notion de “cela va de soi” ou de doxa, qu’il prend chez Husserl, et il insiste sur le fait que l’expérience du monde ordinaire est l’expérience du monde comme allant de soi. Simplement, il oublie d’en tirer les conséquences et de dire ce qui fait que le monde ordinaire va de soi. Quelles sont les conditions sociales de possibilité de l’expérience du monde ordinaire comme allant de soi ? Il faut être drôlement bien dans ce monde pour qu’il aille de soi33. » Cette référence aux travaux d’Alfred Schütz est tout sauf anecdotique. Comme Laurent Perreau l’a souligné, plus qu’à Husserl Bourdieu renverrait en effet à Schütz, dont il conserverait une part des analyses34.
10Or, et ce n’est pas anodin, la phénoménologie sociale de Schütz ne se calque pas étroitement sur celle de Husserl. Le point d’hérésie réside dans l’usage de l’épokhè. Dans un texte de 1945 intitulé « Sur les réalités multiples », Schütz marque lui-même sans ambiguïté ce qui le sépare de la conception husserlienne de l’épokhè. « La phénoménologie nous a enseigné le concept de l’épokhè phénoménologique, ou suspension de notre croyance à la réalité du monde comme instrument qui nous permet de dépasser l’attitude naturelle en radicalisant la méthode cartésienne du doute philosophique. Nous pouvons risquer de suggérer que l’homme dans l’attitude naturelle utilise également une épokhè spécifique, qui est bien sûr tout autre que celle du phénoménologue. Il ne suspend pas sa croyance au monde extérieur et à ses objets, mais au contraire, il suspend tout doute quant son existence. Ce qu’il met entre parenthèses est le doute que le monde et ses objets puisse être autre qu’il ne lui apparaît. Nous proposons d’appeler cette épokhè l’épokhè de l’attitude naturelle35. » Comme l’a montré Bruce Bégout, ainsi entendue par Schütz comme épokhè constitutive de l’attitude naturelle, l’épokhè reste prise dans une position doxique. Dès lors qu’elle reste attachée à l’existence, la neutralisation de l’attitude naturelle n’échappe pas elle-même à la naturalité, mais accomplit une naturalisation de la réduction. En d’autres termes, parce qu’elle ne suspend pas la position d’existence, la phénoménologie de Schütz s’en tient à la certitude du monde de la vie. De la sorte, estime Bégout, l’épokhè telle que l’entend Schütz se ferme au plus fondamental de la réduction husserlienne ; elle s’interdit l’accès, que la réduction délivre, « à un domaine de sens, absent de toute présupposition36 ».
L’Urdoxa selon Husserl (Bruce Bégout)
11Husserl ne constitue pas la référence majeure de Bourdieu. En revanche, c’est en quelque sorte sous l’impulsion de Bourdieu, ou, si l’on préfère, à partir du point de vue conquis par Bourdieu, qu’il est permis, dans le sillage de Bégout, de mieux prendre la mesure de la complexité de la conception husserlienne de la doxa. Nous nous arrêterons au seuil du dépassement ontologique de la théorie praxéologique de Bourdieu que propose Bégout.
12Selon Bégout, qui évoque à ce propos Merleau-Ponty, Patočka et Schütz, l’Urdoxa ne constituerait rien de moins que « le dogme central de toute phénoménologie du monde37 ». La croyance qui soutient cette dernière devrait être elle-même interrogée sur sa prétendue originarité. L’Urdoxa, « cette confiance primitive dans le monde tel qu’il apparaît », « cette croyance originelle, antérieure à tout jugement, à toute conviction », cette « adhésion antéprédicative et quasi charnelle au monde qui se passe de toute prise de conscience », cette « foi perceptive », « cette confiance naturelle dans le monde ambiant », « cette foi plus vieille que toute croyance en quelque chose »38, ne serait-elle pas elle-même réductible ? Et sa prétendue originarité ne serait-elle pas elle-même, quoi qu’elle en ait, « le résultat d’une formation cachée qui, précisément parce qu’elle est passive et préthéorique, laisse croire qu’il n’y a rien avant elle39 ? » Reconsidérer la phénoménologie sous l’angle de la « théorie de la pratique » élaborée par Bourdieu dévoilerait ce présupposé : loin d’être originaire, la croyance dans le monde correspond elle-même à un résultat − « le résultat d’une “orthodoxie” », écrit Bourdieu. À savoir, explicite Bégout, le résultat « d’une construction sociale, économique et politique qui a tout intérêt à assimiler cette croyance naïve à l’ordre des choses »40. Bref, Bourdieu délivre une manière d’impensé qui déborderait les limites effectives de la pensée phénoménologique, laquelle « ne se risque pas effectivement jusque-là41 ».
13Lorsque Husserl interroge la genèse des sciences, il consacre ce que Bruce Bégout interprète comme un « renversement des valeurs42 ». Le primat de l’intuition entraîne la supériorité des évidences du monde de la vie : « Du point de vue de l’intuition (unique critère de vérité de la phénoménologie), les évidences du monde de la vie sont en effet souvent considérées par Husserl comme “plus hautes” que celles, formelles et abstraites, de la théorie scientifique43 ». Loin qu’il faille attendre de la science qu’elle corrige les approximations de l’expérience doxique, c’est, à l’inverse, l’expérience antéprédicative qui peut éclairer la pensée scientifique. Bégout invoque à ce propos la Krisis, qui établit que les validités prélogiques de la Lebenswelt se trouvent au fondement des vérités théorétiques et que « toute évidence des opérations objectivo-logiques […] se trouve fondée quant à la forme et au contenu, possède les sources cachées de son fondement dans l’opération ultime qui est celle de la vie44 ». Husserl, remarque Bégout, approfondit et élargit les réflexions qui figurent dans ses Analysen zur passiven Synthesis (1918-1926). Alors que les analyses du début des années vingt portent sur l’expérience sensible individuelle, les analyses de la Lebenswelt s’étendent « au monde de la vie sociale et historique », à une sphère passive collective anonyme, « à travers la tradition et la praxis, la sédimentation et la quotidienneté »45.
14Sèchement schématisée, resserrée autour de quelques citations prélevées dans le corps du texte, l’argumentation développée par Bruce Bégout dans La Découverte du quotidien pourrait se résumer comme suit.
151. « Dans son rapport immédiat et irréfléchi au monde qui l’entoure, l’homme vit, pour reprendre une formule de Merleau-Ponty, une “foi perceptive” absolue46 ». « L’Urdoxa désigne […] une adhésion antéprédicative et quasi charnelle au monde qui se passe de toute prise de conscience » (p. 160).
162. « C’est cette fiabilité continuelle du monde de la vie qu’exprime directement l’Urdoxa » (p. 161). « Ce n’est que dans un second temps que cette croyance peut, selon diverses circonstances qui viennent battre en brèche sa certitude absolue, se modifier en doute, négation, supputation, probabilité, etc. » (p. 161).
173. « Si absolue soit-elle, la certitude antéprédicative du monde repose quand même sur une croyance, à savoir sur une attitude psychique et subjective, celle d’un ego passif et préconscient. […] On peut […] se demander si cette confiance naturelle dans le monde environnant se manifeste dès l’origine avec une telle évidence intégrale » (p. 162).
184. C’est à ce moment de l’argumentation que Bégout fait intervenir décisivement la référence au « rôle fondamental » des « analyses anthropologiques » de Pierre Bourdieu (p. 163). Ces dernières invitent à « examiner en profondeur les conditions de possibilité socio-transcendantales de cette évidence naturelle et mettre en doute son caractère originel et originellement absolu. » (p. 165).
195. Or, dans cette perspective ouverte par le soupçon que Bourdieu fait porter sur la doxa originaire, il est légitime, dans un mouvement de rétrospection, de considérer que Husserl avait lui-même déjà laissé entendre que « le monde ne possède pas cette évidence que l’attitude naturelle lui accorde à bon compte » (p. 165).
206. « En effet pris avec la distance qu’implique la réduction phénoménologique, le monde révèle son caractère incertain, relatif, présomptif » (p. 165). […] [C]e caractère présomptif signale simplement le fait que le monde est en soi contingent, qu’il peut ne pas être. » (p. 174). « La fin du monde est inscrite dans sa nature. Qu’il puisse ne plus être caractérise en effet, plus que toute autre propriété eidétique, son être » (p. 166).
217. « C’est l’un des enseignements fondamentaux à mettre au crédit de la réflexion transcendantale que de divulguer le caractère constitué de l’évidence naturelle » (p. 176) et « le caractère construit de l’Urdoxa. » (p. 177).
22En somme, Bégout met en évidence ce qui sépare Husserl de la foi perceptive. Il fait droit à la portée critique de la pensée husserlienne de l’Urdoxa. L’attention qu’il porte au caractère fondamental du monde de la vie par rapport aux autres mondes ne conduit pas Husserl à conférer à celui-ci « le statut transcendantal d’un fondement47 ». Il n’accorde pas à la donation du monde de la vie une « confiance absolue » ; au contraire, il « aperçoit clairement le caractère construit de l’Urdoxa48 ».
23Cette thèse selon laquelle Husserl soupçonne « la supercherie de l’Urdoxa49 » conduit Bégout à conclure, d’une tournure aux accents inévitablement sartriens, que « la foi perceptive est de mauvaise foi50 ». Il allègue le passage de la Krisis qui délivre ce qu’il interprète comme « une intersubjectivité sociale et pratique51 ». Au § 38, Husserl remarque en effet que « [p]armi les objets du monde de la vie nous trouvons aussi les hommes, avec toute leur activité humaine, leur agir et leur pâtir, vivant en commun dans l’horizon du monde, chaque fois dans des liens sociaux, et sachant qu’ils y sont52. »
24Il reste que la solution que Husserl apporte à sa critique de la doxa réside dans la réduction à l’ego transcendantal et ignore la constitution sociale du monde de la vie. « Malheureusement, déplore Bégout, Husserl dépasse rapidement ce premier niveau de la vie opératoire, intersubjective et pratique pour atteindre ce qu’il pense être l’élément véritablement constituant du monde de la vie : la subjectivité transcendantale. Il manque par là même, de notre point de vue, l’instance socio-transcendantale de la quotidienneté. […] [S]i capitale soit-elle, la démarche constitutive husserlienne demeure ici pour nous incomplète. Nous ne pouvons pas la suivre dans sa mise en avant exclusive de l’ego. Ce n’est que par rapport au sujet constituant, campé sur ses positions d’absolu, que le monde prédonné et sa certitude prétendument totale sont relativisés53. » Bégout recourt alors à ce qu’il désigne du terme de quotidianisation : « Pour le dire simplement, le monde de la vie n’est pas le produit de la simple donation de sens subjective. […] Cette “vie opératoire universelle”, qui constitue le sens du monde de la vie comme réalité indiscutable, ne renvoie pas à l’ego transcendantal, mais à une socio-genèse passive de la quotidianisation54 ». Par quotidianisation, Bégout entend le « processus d’aménagement matériel du monde incertain en un milieu fréquentable », c’est-à-dire le « travail de dépassement de la misère originelle de notre condition par la création de formes de vie familières »55. Plus lapidairement, « [l]e processus de quotidianisation a pour seule et unique finalité de produire un monde sûr et hospitalier56 ».
258. Parler de quotidianisation, c’est dévoiler une idéalisation passive qui opère déjà au niveau du monde de la vie : « De même qu’il existe une idéalisation scientifique du monde dans l’hypostase de la réalité en soi, il existe aussi une idéalisation préscientifique sous la forme naturelle du monde de la vie. Cette idéalisation passive du monde de la vie consiste dans un premier temps à masquer le monde originel et dans un deuxième temps à donner pour naturel ce qui est en fait construit. Le quotidien est le produit idéalisé de la quotidianisation57 ».
L’Urdoxa à l’épreuve de Bourdieu
26C’est à propos de l’habitus58 que Bégout propose de « compléter » la théorie phénoménologique de Husserl par la théorie praxéologique de Bourdieu. S’agissant de la doxa, il faudrait citer en totalité la longue note qui court de la page 163 à la page 165, dans laquelle Bégout crédite Bourdieu d’avoir réveillé de leur sommeil dogmatique59 les phénoménologues de la Lebenswelt. Cette appréciation élogieuse s’assortit cependant d’une restriction. D’un côté, Bourdieu creuserait plus profond que les phénoménologues et mettrait en lumière que l’Urdoxa résulte d’« une lutte politique entre les classes ». Mais, d’un autre côté, son « analyse généalogique » demanderait à être elle-même approfondie car elle s’arrête au moment où elle rencontre le jeu de pouvoir au sein d’un champ social et considère ce champ en tant qu’il est déjà constitué. Bourdieu dévoilerait ainsi une « construction sociale secondaire » et il laisserait inexpliquée la « constitution sociale primaire ». C’est à raison qu’il dégage l’indéniable « stratégie de domination d’une classe sur une autre ». Mais ce faisant, il reste néanmoins insoucieux de la domination qui s’exerce quotidiennement sur toutes les classes sans exception. Il ne se préoccupe pas de la nécessité du quotidien qui pèse sur chacun et à laquelle personne n’échappe : « Le quotidien n’est pas plus bourgeois qu’ouvrier, pas plus issu du camp des dominants que de celui des dominés ». Non, certes, que le monde commun, le monde quotidien, s’impose de manière égale selon les classes sociales et les sexes. Il n’est pas niable, d’une part, que « [l]e quotidien d’un homme n’est pas celui d’une femme, le quotidien d’un avocat américain n’est pas celui d’un pasteur Himba ». Mais à un autre niveau, qu’on peut dire existential, « le processus de quotidianisation demeure identique pour tous » et « l’ensemble disparate de ces mondes quotidiens est sans arrêt soumis à une même force de familiarisation qui recherche, partout et avec les mêmes moyens, à éloigner l’inquiétude de l’être-au-monde et à instaurer un environnement sûr et familier »60. Pour Bégout, d’un mot, « ce qui est premier, ce n’est pas la croyance, mais le doute61 ». En d’autres termes, la « tonalité première de l’existence humaine » réside dans « une crainte du monde »62. Venir au monde, c’est se trouver d’emblée plongé violemment « dans un état d’incertitude ontologique ». Autrement dit encore, « la modalité doxique de tout nouvel être au monde, totalement dépassé par ce qui lui arrive n’est plus — et ne peut plus être — la croyance franche et totale ; c’est la brutalité du doute63 ».
27Je ne développerai pas davantage l’ontologie philosophique du monde quotidien64 que s’emploie à élaborer Bruce Bégout. Je me limiterai ici à souligner qu’à la croyance originaire au monde, à l’adhésion65 que suppose la croyance, elle substitue « une inquiétude originelle » conçue comme un existential, à savoir un mode fondamental et an-historique de l’être-au-monde de l’existant humain66. Sans aucunement récuser l’analyse de la domination sociale, elle en appelle en outre à une analyse de « la domination absolue de la quotidienneté sur toutes les classes » en termes d’être-au-monde67. Comprenons que « [t]andis que toutes les différentes normes extraquotidiennes (esthétiques, économiques, religieuses, politiques, scientifiques, etc.) veulent imposer, par divers moyens coercitifs, une certaine vision du monde ou une hiérarchie de la société qui, par essence, doit créer des inégalités entre les hommes dans la relation non isonomique au pouvoir instituant, la normalisation quotidienne est la même pour tous et ne profite à aucun en particulier. Elle quotidianise le riche comme le pauvre, le maître comme l’esclave, et personne ne peut s’instituer comme son garant. Nul n’échappe à la quotidianisation, car elle apprivoise tout le monde de la même façon. Ce n’est qu’au niveau des valeurs sociales secondaires qu’apparaissent les différences dans le rapport que chacun peut avoir avec sa vie quotidienne68 ».
Conclusion
28À la phénoménologie, Bourdieu reconnaît la légitimité de ses descriptions et de ses analyses. Toutefois, il ne se satisfait pas, comme il l’exprime ironiquement, de son recours à l’épokhè. « Schütz a oublié de faire l’épokhè de sa propre position sociale dans le monde social, et c’est ce que je reproche aux phénoménologues de façon un peu obsessionnelle : ils font l’épokhè de tout, sauf des conditions sociales de possibilité de l’épokhè, c’est-à-dire d’eux-mêmes en tant que sujets sociaux »69. En somme, la phénoménologie indiquerait, mais n’accomplirait pas le projet transcendantal qui anime également mais autrement, la pensée de Pierre Bourdieu.
29Suivant Bourdieu, les limites mêmes de la phénoménologie font de celle-ci un puissant révélateur. « L’analyse phénoménologique, si parfaitement “neutralisée” politiquement qu’on peut la lire sans en tirer aucune conséquence politique, a la vertu de rendre visible tout ce qu’accorde encore à l’ordre établi l’expérience politique la plus para-doxale ». Reconsidérée sous cet angle, l’analyse phénoménologique aurait « la vertu de rappeler ce qui est le plus particulièrement ignoré ou refoulé, […] c’est-à-dire le rapport de soumission souvent insurmontable qui unit tous les agents sociaux, quoi qu’ils en aient, au monde social dont ils sont, pour le meilleur et pour le pire, les produits »70. La phénoménologie manifesterait malgré elle l’emprise de la doxa.
30Non que la démarche phénoménologique se fourvoie ; il semble plus exact de dire que son pas reste suspendu. « [L]es phénoménologues ne se posent jamais la question des conditions de l’expérience doxique du monde, ils ne se demandent jamais comment il se fait que les agents appliquent au monde des catégories telles que le monde leur paraît aller de soi, omettant donc de poser le problème de leur genèse71 ». Avec la phénoménologie, Bourdieu partage le souci de faire droit à la doxa. Comme les analyses phénoménologiques, ses analyses anthropologiques confèrent à la croyance, jusqu’à un certain point de décentrement72, un caractère fondamental. La phénoménologie dévoile l’adhésion au monde ; mais elle se dispense d’en interroger la genèse. Elle s’interrompt, estime Pierre Bourdieu, avant d’en rendre raison. Du sein de la phénoménologie, Bruce Bégout met en valeur l’expérience para-doxale de l’expérience la plus quotidienne. Il déplace ainsi l’incidence politique de la démarche phénoménologique. Elle n’est pas seulement une attitude préparatoire à une critique sociologique des rapports de domination naturalisés, étrangement aveugle aux limites de sa propre réflexivité. On doit aussi considérer qu’elle accorde à chaque personne, également, la capacité d’agir dans un monde partagé et de répondre à ce qui, dans ce monde qui est le sien, l’interpelle et la menace.
Voetnoten
1 Pierre Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Minuit, coll. Le sens commun, 1980, p. 115.
2 On lit plus loin (ibid., p. 123) : « Le corps croit en ce qu’il joue : il pleure s’il mime la tristesse. Il ne représente pas ce qu’il joue, il ne mémorise pas le passé, il agit le passé, ainsi annulé en tant que tel, il le revit ». Bourdieu se réfère en note au Bergson de Matière et mémoire « qui fournit, en négatif, des éléments importants pour une description de la logique propre de la pratique (par exemple, la “pantomime” et “les mots naissants” qui accompagnent le passé agi) ».
3 Ibid. p. 113. Bourdieu précise que cette adhésion décisoirement accordée procède « selon le paradigme cartésien des voyageurs égarés en forêt qui se tiennent à une décision arbitraire ».
4 Ibid.
5 Pierre Bourdieu, Loïc Wacquant, Invitation à la sociologie réflexive, Paris, Seuil, coll. Liber, 2014, p. 177.
6 Cf. Yvon Lafrance, La Théorie platonicienne de la Doxa, Montréal-Paris, Bellarmin — Les Belles Lettres, coll. Noêsis, 1981, p. 83.
7 Platon, Ménon, 98 c, traduction A. Croiset et L. Bodin, Paris, Les Belles Lettres, 1960.
8 Pierre Bourdieu, Sociologie générale, vol 1, Paris, Seuil, coll. Points, 2015, p. 249. Bourdieu parle des phénoménologies. Il cite ici Husserl ; nous constaterons l’importance qu’il accorde à Schütz.
9 Louis Pinto, « Doxa », in Gisèle Sapiro (dir.), Dictionnaire international Bourdieu, Paris, CNRS Éditions, 2020, p. 261.
10 Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, coll. Points, 2003, p. 249.
11 Gisèle Sapiro : « Concept clé de l’œuvre de Pierre Bourdieu, la croyance fonde l’ordre social, en ce qu’elle est à l’origine de l’adhésion des agents à l’ordre symbolique et oriente leurs stratégies », dans Gisèle Sapiro (dir.), Dictionnaire international Bourdieu, op. cit., p. 212.
12 La définition de Durkheim dans Les Formes élémentaires de la vie religieuse est à ce point classique qu’elle figure à l’article « Religion » du Vocabulaire technique et critique de la philosophie d’André Lalande : « Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent. »
13 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, coll. Points, 1994, p. 188.
14 Jean-Paul Sartre, L’Être et le Néant, Paris, Gallimard,1943, p. 103.
15 Maurice Merleau-Ponty, Sens et Non-Sens, Paris, Nagel, 1965, p. 317.
16 Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Seuil, coll. Points, 2000, p. 236.
17 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, op. cit., p. 125.
18 Ibid., p. 128.
19 Ibid., p. 129.
20 Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, op. cit., p. 109.
21 Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, coll. Le sens commun, 1979, p. 568.
22 Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, op. cit., p. 224-225.
23 Ibid., p. 223-224.
24 Ibid., p. 224.
25 Ibid., p. 225.
26 Ibid., p. 224.
27 Pierre Bourdieu, Sur l’État, Paris, Seuil, coll. Points-Essais, 2012, p. 564.
28 Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, coll. Points-Essais, 1996, p. 508. On remarquera dans cette perspective que Bourdieu recourt à l’intuitus originarius kantien pour s’en déprendre. Dans Méditations pascaliennes (op. cit., p. 351), on peut lire que « l’État, pareil à l’intuitus originarius, divin selon Kant, fait exister en nommant, et en distinguant ». Dans Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, coll. Points-Essais, 2014, p. 66, Bourdieu attribue au discours juridique le pouvoir créateur de faire exister ce qu’il énonce « comme l’intuitus originarius que Kant prêtait à Dieu, fait surgir à l’existence ce qu’elle énonce. ». Dans La Distinction (op. cit., p. 573), l’expérience artistique se voit conférer le privilège de côtoyer « l’expérience divine de l’intuitus originarius, perception créatrice qui, sans reconnaître d’autres règles ou contraintes que les siennes propres, engendre librement son propre objet ». Outre l’art, La Distinction évoque l’amour. En se référant à l’analyse sartrienne de l’amour, Bourdieu suggère que l’amour « est sans doute l’occasion par excellence d’une sorte d’expérience de l’intuitus originarius […] qui fait du sujet percevant et nommant […] la raison d’être de l’être perçu » (p. 270-271).
29 Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art, op. cit., p. 490.
30 Ibid., p. 470. Il s’agit de comprendre « l’héritage culturel, qui existe à l’état matérialisé et à l’état incorporé (sous la forme d’un habitus fonctionnant comme une sorte de transcendantal historique) » (ibid., p. 445-446).
31 Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, op. cit., p. 255.
32 Pierre Bourdieu, Loïc Wacquant, Invitation à la sociologie réflexive, op. cit., p. 117.
33 Pierre Bourdieu, Sociologie générale, vol 2, Paris, Seuil, coll. Points, 2016, p. 274.
34 Cf. Laurent Perreau, Bourdieu et la phénoménologie. Théorie du sujet social, Paris, CNRS Éditions, 2019.
35 Alfred Schütz, Le Chercheur et le quotidien. Phénoménologie des sciences sociales, Paris, trad. fr. A. Noschis-Gilliéron, Paris, Klincksieck, 1987, p. 127.
36 Bruce Bégout, Le Phénomène et son ombre, Chatou, La Transparence, 2008, p. 43. Il n’est pas négligeable que Bégout suggère également de lire Schütz autrement − de le lire contre lui-même. Dans une telle perspective, non seulement « Husserl dévoile clairement la fausse évidence du monde de la vie » − quoiqu’il ne sache pas « où chercher ensuite les causes d’une telle mystification » (La Découverte du quotidien, Paris, Fayard/Pluriel, 2018, p. 180) − mais il « n’est pas le seul à entrevoir la supercherie de l’Urdoxa » (p. 185). Quand il invoque une « épokhè de l’attitude naturelle », « Schütz relativise malgré lui le caractère absolu de l’attitude naturelle » (p. 185).
37 Bruce Bégout, La Découverte du quotidien, op. cit., p. 161. En réalité, ce n’est pas la moindre originalité de Bégout de faire voir que, « [à] la différence de Fink, de Merleau-Ponty ou de Schütz qui acceptent le monde de la vie tel qu’il se (pré-)donne avec une confiance absolue, Husserl aperçoit clairement le caractère construit de l’Urdoxa » (p. 177). J’y reviens plus loin.
38 Ibid., p. 159, 160, 162, 163-164.
39 Ibid., p. 164.
40 Ibid., p. 162-163. Bégout cite là l’Esquisse d’une théorie de la pratique de Pierre Bourdieu.
41 Ibid., p. 163.
42 Bruce Bégout, L’Enfance du monde, Chatou, La Transparence, 2007, p. 75.
43 Ibid., p. 75.
44 Edmund Husserl, La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, § 34 d, trad. fr. G. Granel, Paris, Gallimard, coll. Tel, p. 145.
45 Bruce Bégout, L’Enfance du monde, op. cit., p. 76. Par quotidien, Bégout dit entendre « tout ce qui, dans notre entourage, nous est immédiatement accessible, compréhensible et familier en vertu de sa présence régulière […]. La répétition dans le temps (habitudes, coutumes, traditions, etc.) et dans l’espace (endroits familiers, le chez soi, les parcours habituels) définit donc en première approximation le quotidien. » (La Découverte du quotidien, op. cit., p. 39-40). Il précise préférer, d’un point de vue phénoménologique, « employer le terme de quotidien pour qualifier le monde de la vie » (p. 41).
46 Bruce Bégout, La Découverte du quotidien, op. cit., p. 159.
47 Ibid., p. 177.
48 Ibid.
49 Ibid., p. 185.
50 Ibid., p. 186.
51 Ibid., p. 178.
52 Edmund Husserl, La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, op. cit., p. 166.
53 Bruce Bégout, La Découverte du quotidien, op. cit., p. 178-179.
54 Ibid., p. 179. Ou aussi : « À la recherche de la raison ultime du quotidien, nous avons mis au jour […] ce qui nous paraît être la tendance primordiale de la constitution du monde de la vie, à savoir le processus de quotidianisation lui-même, en tant qu’il réside dans la domestication de l’univers inconnu au profit de la création d’un environnement familier » (p. 15).
55 Ibid., p. 225.
56 Ibid., p. 319.
57 Ibid., p. 184-185.
58 Ibid., p. 271, note 261 : « Dans notre perspective qui est de penser l’habitude comme corrélation co-intentionnelle d’une disposition subjective et d’une coutume objective, nous devons donc compléter la théorie phénoménologique de Husserl, essentiellement centrée sur la faculté subjective de contraction, par la théorie praxéologique de Bourdieu qui met en évidence l’incorporation des régularités mondaines, qu’elles soient sociales ou symboliques ». Je n’étudierai pas ici la confrontation, l’articulation et le dépassement qu’entreprend Bégout des conceptions respectives de l’habitus suivant Husserl et suivant Bourdieu.
59 Je note au passage que Bourdieu reprend lui-même l’expression kantienne dans sa Leçon inaugurale au Collège de France, le 23 avril 1982 à propos de la pensée de Marx. Il s’agirait de « s’arracher au sommeil dogmatique pour mettre à l’œuvre, c’est-à-dire à l’épreuve, dans une pratique scientifique, des théories et des concepts auxquels la magie de l’exégèse toujours recommencée assure la fausse éternité des mausolées » (Leçon sur la leçon, Paris, Minuit, 1982, p. 11-12).
60 Bruce Bégout, La Découverte du quotidien, op. cit., p. 165, note 187.
61 Ibid., p. 189.
62 Ibid., p. 191.
63 Ibid., p. 191.
64 Ibid., p. 35 : « Les quelques rares qui se sont attachés, depuis Husserl et Wittgenstein, à examiner le quotidien l’ont surtout fait d’un point de vue socio-politique (Lefebvre, Heller) ou anthropologique (de Certeau) ; jamais ils n’ont véritablement cherché à poser les bases sérieuses d’une ontologie philosophique du monde quotidien, à savoir de déterminer son essence fondamentale, ses structures élémentaires et les manières dont il apparaît dans l’expérience commune. »
65 « [L]a phénoménologie husserlienne (mais aussi celle de Fink, de Patocka et de Merleau-Ponty) […] conçoit […] l’être-au-monde originel comme assurance (Urdoxa, foi perceptive ou adhésion) » (ibid., p. 191).
66 Qu’on y prenne garde, « l’inquiétude originelle » n’est pas identifiable à l’angoisse. Pour l’homme inquiet, l’abîme originel n’est pas angoissant mais menaçant : « moins tragique, mais plus dramatique » (p. 205). Alors que l’angoisse mène à la paralysie de la consternation devant le néant, l’inquiétude « pousse à agir, dans la fuite ou la prouesse » (p. 208). Je renvoie au commentaire relatif à Heidegger, notamment p. 196-198.
67 Ibid., p. 164, note 187.
68 Ibid., p. 463-464.
69 Pierre Bourdieu, Sociologie générale, vol. 2, op. cit., p. 274.
70 Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, op. cit., p. 249-250.
71 Pierre Bourdieu, Sur l’État, op. cit., p. 290.
72 Cf. Daniel Giovannangeli et Anne Mélice, « Le décentrement anthropologique de la philosophie chez Pierre Bourdieu », Revue philosophique de Louvain, vol. 118, n° 4, 2021, p. 531-547.