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Danilo Saretta Verissimo

La dynamique d’institution de dimensions d’expérience perceptive chez Merleau-Ponty

(Volume 21 (2025) — Numéro 5 : Perception amodale, intersensorialité, synesthésie (Actes n°15))
Article
Open Access

Résumé

Nous élaborons, à partir de l’œuvre de Merleau-Ponty, une discussion qui problématise la puissance de transformation de la perception en se basant sur l’expressivité du schéma corporel et sur son pouvoir de constituer des habitudes sensorimotrices. Notre dessein est d’investiguer la définition d’un ethos des sens prenant son origine dans la transformation des schémas perceptifs. Au fil du texte, nous analysons les dimensions praxiques et intentionnelles attachées au schéma corporel ; nous abordons le développement constant du schéma corporel par l’acquisition d’habitudes sensorimotrices ; nous suggérons le concept de niveau, emprunté par Merleau-Ponty à la tradition gestaltiste, comme outil permettant d’appréhender le processus corporel de constitution de nouveaux seuils de perception et d’action dans le monde ; enfin, nous posons les jalons d’une exploration des dédoublements critiques et sociaux des investigations merleau-pontiennes de la perception calquées sur la plasticité expressive du schéma corporel.

Keywords : perception, body, habit, Merleau-Ponty

Introduction

1Notre dessein, dans ce travail, est d’identifier et de discuter, dans l’œuvre de Merleau-Ponty, principalement dans la Phénoménologie de la perception1, des indications concernant la dynamique d’institution des dimensions de l’expérience perceptive. La question de l’habitude, liée à l’expressivité du schéma corporel, servira de base à notre problématisation. Nous avons l’intention de montrer que le schéma sensorimoteur, tel qu’il est pensé par Merleau-Ponty, implique une dialectique de transformation de la perception calquée sur la constitution active de niveaux perceptuels. Peut-être pourrons-nous, par là-même, distinguer, dans sa philosophie, un ethos des sens fondé sur la possibilité d’un développement continu des schémas perceptifs.

2Le texte se déploie en quatre moments. Nous livrons d’abord une analyse des dimensions praxiques et intentionnelles attachées au schéma corporel, tel que l’entend Merleau-Ponty. Nous abordons ensuite le développement constant du schéma corporel en fonction de l’acquisition des habitudes sensorimotrices. Dans la troisième partie de notre étude, nous suggérons le concept de « niveau », emprunté par Merleau-Ponty à la tradition gestaltiste, comme outil permettant d’appréhender le processus corporel de constitution de nouveaux seuils de perception et d’action dans le monde. Enfin, nous posons des jalons pour l’exploration des dédoublements critiques et sociaux des investigations merleau-pontiennes de la perception, calquées sur la plasticité expressive du schéma corporel.

Le schéma corporel

3Les habitudes s’érigent, selon Merleau-Ponty, au croisement de la perception et de l’action, c’est-à-dire dans l’opération d’un schéma sensori-moteur, examiné par le philosophe en se fondant sur la notion de schéma corporel. Celui-ci, à son tour, est décrit par l’auteur comme un « système d’équivalences intersensorielles immédiates », en circuit avec l’espace extérieur, et capable « de s’incorporer tout ce qui sert à son action »2. Il se révèle ainsi dynamique en tant que « fond d’une praxis »3. Pour Merleau-Ponty, la référence à l’unité sensorimotrice du corps désigne également son unité intersensorielle, dans la mesure où le corps, dans son indivision, se dirige vers un monde unique.

4Prenons par exemple le travail de Head et Holmes dans lequel le concept de schéma corporel est conçu comme un ensemble de représentations ou d’images motrices, modèles psychiques posturaux, alimentés par des trajets nerveux afférents, provenant des plus diverses parties du corps vers les centres cérébraux4. Ce mélange de représentationalisme psychologique et neurophysiologique marque, encore aujourd’hui, les théories du schéma corporel5. La notion de schéma corporel a été toutefois suggérée dans le cadre de la neurologie et de la psychologie, dans le but d’exprimer le caractère primordial et vécu de l’unité spatio-temporelle, intersensorielle et sensorimotrice du corps. C’est la synergie du corps dans son mouvement vers le monde qui provoque l’étonnement, et qui justifie la création de concepts comme celui de schéma corporel. Dans les acceptions théoriques traditionnelles, la consonance du corps est renvoyée, selon des « méthodes anciennes », à l’association de sensations fortuites et éparses6. Mais la reprise de contact avec notre corps et avec le monde perçu révèle que nous sommes corporellement dévoués aux situations dans lesquelles nous nous trouvons.

5La description, de la part de Merleau-Ponty, de notre relation corporelle avec les choses et avec les autres, révèle une dynamique de sensibilité indirecte et impliquée. Dans un passage du chapitre de la Phénoménologie de la perception intitulé « La spatialité du corps propre et la motricité », Merleau-Ponty définit l’espace corporel en ces termes :

L’espace corporel [...] est l’obscurité de la salle nécessaire à la clarté du spectacle, le fond de sommeil ou la réserve de puissance vague sur lesquels se détachent le geste et son but, la zone du non-être devant laquelle peuvent apparaître des êtres précis, des figures et des points7.

6Le corps « existe vers » ses tâches, converge vers elles, ainsi que pour les « figures privilégiées sur des fonds indifférents », en d’autres termes, pour les choses qui se distinguent dans son champ d’action8. Il faut donc reconnaître que les choses qui nous occupent, auxquelles nous nous consacrons avec plus ou moins d’attention, se distinguent sur un double horizon : l’horizon — ou fond — de monde, qui correspond à ce que nous pouvons appeler, selon Gurwitsch, contexte et marge perceptifs, et l’horizon corporel. Si nous devions, à chaque mouvement, à chaque intention motrice, nous concentrer sur notre propre corps, mobiliser, dans un effort de volonté expresse, ses parties, et distinguer celles qui, selon notre compréhension, siéraient le mieux à l’activité visée, nous ne serions plus attentifs aux choses et au travail qu’elles demandent. Ce que Merleau-Ponty affirme à propos de la structure basique de toute scène perceptive vaut également pour la participation du corps dans le champ perceptif : les alentours doivent être endormis pour qu’un objet puisse prendre du relief. Nous ne nous consacrons pas à tous les éléments du champ perceptif simultanément, corps y compris.

7Merleau-Ponty progresse dans son travail descriptif en entrelaçant toujours plus théorie du corps et théorie de la perception. Le philosophe affirme que « [l]a théorie du schéma corporel est implicitement une théorie de la perception »9. Avant cela, il écrit : si le corps « est une unité expressive qu’on ne peut apprendre à connaître qu’en l’assumant, cette structure va se communiquer au monde sensible »10. De telles assertions se fondent sur la reconnaissance, de la part du philosophe, du fait que le sujet d’un comportement ne s’oriente ni par la pleine possession de soi, ni par celle des choses à quoi il s’intéresse. Notre mode corporel lié au fait d’avoir un monde, ou de comprendre le monde, au sein de l’activité motrice ne dépend pas de représentations ni ne se trouve subordonné à une fonction objectivante du corps ou des choses. Notre prise corporelle sur les choses montre plutôt un savoir praxique, une practognose originale par rapport aux formes réflexives d’action. Cette practognose, plus encore, mérite d’être identifiée comme originaire, au sens de primaire et fondatrice, en ce qui concerne toute forme d’action et de savoir. Merleau-Ponty écrit :

L’expérience motrice de notre corps n’est pas un cas particulier de connaissance; elle nous fournit une manière d’accéder au monde et à l’objet, une « praktognosie » qui doit être reconnue comme originale et peut-être comme originaire11.

8Nous sommes capables de représenter l’espace, mais cette activité est basée sur l’appropriation par mon corps des territoires qu’il fréquente. Selon un exemple mentionné par Merleau-Ponty, je peux survoler, en pensée, mon appartement, ou élaborer un plan de ma résidence. L’unité de l’appartement, conçue dans ce cas comme vue de dessus, n’est pas pour autant étrangère à mon expérience corporelle. Puis, quand je m’installe effectivement dans la résidence, j’en viens à connaître ses parties, ses distances et ses recoins, de sorte que la manière de me mouvoir à l’intérieur se passe de tout système explicite de correspondances afin de rendre possible sa fréquentation. C’est ainsi qu’en règle générale, nous sommes au monde. Les actes de pensée, comme les actes exigés dans l’élaboration du dessin de l’appartement, se nourrissent de cette expérience sensorimotrice. Dans l’exemple de la résidence, qui équivaut à tout type de territoire familier, les directions et les objets se trouvent à disposition, « dans les mains », « dans les jambes », soutenus par une « multitude de fils intentionnels » ancrés dans notre corps12.

9Notre familiarité avec le monde et avec les choses peut être observée à un niveau encore plus fondamental. Je perçois une chose quelconque : un livre, un cube ou une cheminée. Je la perçois dans son « évidence propre »13. Ce n’est pas en faisant coïncider une série d’aspects du livre que je conclus à l’existence de l’objet comme signification commune de toutes ses perspectives. C’est en elle, dans la chose-même, que se donne l’assurance de trouver, au fil de l’expérience perceptive, différents aspects de l’objet. Quand je perçois un cube, j’observe ses côtés l’un après l’autre, jamais d’un seul coup. Je dois me lancer dans « l’épaisseur du monde » par l’expérience perceptive, qui est un mouvement de perception14. En ce sens, on peut dire que mon regard « est sollicité ou motivé »15. Cependant, les perspectives du cube ne me servent pas à atteindre l’idée du cube. Celui-ci se trouve devant moi et se révèle par le biais de ses perspectives. Je n’ai pas besoin, pour le voir, pour avoir l’expérience du cube, d’actes objectivants dédiés à l’analyse de mes mouvements et de leur corrélation avec les apparences de l’objet que j’explore. Cette corrélation est déjà donnée, « la nouvelle apparence est entrée en composition avec le mouvement vécu et s’est offerte comme apparence d’un cube », commente Merleau-Ponty16. Même si nous reconnaissons, via une attention réflexive, la déformation de ses côtés par la perspective dans le déroulement de nos mouvements, le cube n’en reste pas moins un cube. Non que nous nous attachions, rappelons-le, à une constance inférée par une pensée géométrique. « Chaque élément du cube [...] mentionne le point de vue actuel de l’observateur », dit Merleau-Ponty17. Ceci parce que l’objet et le corps se trouvent situés dans un système d’ensemble. Chaque moment du corps, « comme point de vue sur les choses », est immédiatement significatif d’un moment d’apparition de l’objet perçu18. Quel est cet acte qui appréhende « la possibilité de toutes les apparences »19 ? C’est le regard même, ou le geste même, qui, « au-dessous du sujet pensant », « sait donner aux choses la réponse juste qu’elles attendent pour exister devant nous », avance Merleau-Ponty20.

10L’objet perçu est le terme transcendant « d’une série ouverte d’expériences ». L’objet échappe continuellement à notre emprise, et cette « absence perpétuelle » est l’autre face de sa « présence irrécusable » . L’objet ne peut jamais être atteint dans sa totalité, ou, selon le langage philosophique, dans son ipséité. Chacun de ses aspects en cache autant d’autres, configurant une invitation à en percevoir encore plus. Le processus perceptif est marqué par des arrêts momentanés, dans chacun desquels on observe la « monstration » de la chose en fonction de l’exposition de certaines de ses faces, et qui, par ailleurs, renvoient l’observateur à d’autres moments perceptifs possibles de la même chose, à ses horizons. Ceux-ci figurent, par conséquent, comme des éléments corrélés à la puissance contenue dans les gestes qui parcourent une chose perçue. Il y a, ainsi, dans la relation avec le perçu, un inachèvement continu.

11L’unité du schéma corporel suppose une ouverture et une indéfinition compatibles avec l’incomplétude de la perception. Le schéma corporel et les objets perçus s’ajustent dans le mouvement, et c’est donc dans le mouvement, dans lequel se donne le croisement du corps et du monde, que le schéma corporel peut être compris21. Le geste de la main ou la manière de regarder conservent une référence anticipée à l’objet, non en tant que fruit d’une représentation, mais justement comme thème d’exploration dont les caractéristiques exigent certains types d’action. C’est ainsi que l’on peut comprendre les indications que Merleau-Ponty donne sur l’identité de la chose et du corps propre. L’auteur affirme :

L’identité de la chose à travers l’expérience perceptuelle n’est qu’un autre aspect de l’identité du corps propre au cours des mouvements d’exploration, elle est donc de même sorte qu’elle : comme le schéma corporel, la cheminée est un système d’équivalences qui ne se fonde pas sur la reconnaissance de quelque loi, mais sur l’épreuve d’une présence corporelle22.

12Dans un autre passage, le philosophe écrit : « La chose et le monde me sont donnés avec les parties de mon corps, non pas par une “géométrie naturelle”, mais dans une connexion vivante comparable ou plutôt identique à celle qui existe entre les parties de mon corps lui-même »23. En d’autres termes, de même que l’unité corporelle ne s’assujettit pas à des représentations psychologiques ou physiologiques du corps, l’unité des objets n’est pas subordonnée non plus à la subsomption de ses parties à un signifié réflexif. Il faut toutefois distinguer l’expérience que nous faisons des choses de celle que nous avons de notre corps. Les choses sont perçues en profondeur ; elles sont ici ou là, distantes ou proches, à droite ou à gauche. En ce qui nous concerne, lors d’un examen conduit à la première personne, nous ne nous percevons pas ainsi. Je ne suis pas devant ou derrière moi. Je ne suis pas là. Ni ici, du moins pas de la manière dont un objet quelconque est « ici » ou « là »24. Je ne trouve pas mon corps en un lieu pour l’amener dans un autre ; « il est déjà avec moi », rappelle Merleau-Ponty25.

L’habitude

13Avec Merleau-Ponty comme avec ses interprètes et continuateurs, on peut affirmer que le schéma corporel est, de ce fait, un schéma de perception, qui se réalise dans le mouvement en direction des choses, et en s’ajustant, par conséquent, à ce qu’elles requièrent du corps. Pour progresser dans l’analyse, il s’agit d’observer que la perception se trouve en « développement continu ». Le mouvement perceptif, axe qui traverse le corps et le monde, se révèle aussi ouvert et inachevé que le champ phénoménal, marqué par la structure objet-horizon. Nous pouvons trouver dans les discussions de Merleau-Ponty autour de la question de l’habitude une orientation qui le pousse à l’examen de la plasticité du schéma corporel et, ainsi, de la perception.

14Chez Merleau-Ponty, la discussion de l’habitude se fait via l’analyse d’une variété d’exemples issus du quotidien de la vie sociale occidentale, tels que celui du match de football, de la danse, de la dactylographie, de la musique — à travers la figure de l’organiste —, de la conduite de véhicules et de l’utilisation d’instruments comme la canne, le bâton ou le chapeau. En termes conceptuels, il est question, dans tous ces exemples, de l’incorporation de dispositifs technico-culturels, et de leurs implications dans la structure de la perception à partir du « remaniement et renouvellement du schéma corporel »26.

15Dans La structure du comportement, Merleau-Ponty affirme que le terrain de football, « pour le joueur en action », n’est pas le terme idéal d’une multiplicité de perspectives possibles. Le terrain se trouve au contraire organisé par « des lignes de force », qui articulent des secteurs, comme les espaces entre les adversaires, ou la direction du but, qui « appellent un certain mode d’action », et qui sont ressenties par l’athlète comme les modèles de son propre corps27. En réalité, dans le raisonnement de Merleau-Ponty, dire que la conscience habite ce milieu n’est pas suffisant : le terrain « fait corps » avec le joueur. L’enjeu ici est ce que Merleau-Ponty, dans le dernier chapitre de Phénoménologie de la perception, appelle discrètement de « valorisation spontanée »28, et qui se réfère à l’activité naturelle, préréflexive, de s’unir au monde de façon qu’un ensemble de choses émerge de l’informe en s’exposant comme quelque chose « à toucher », « à saisir », « à dépasser », etc. Dans le cas du joueur, la question se pose des valorisations qui se manifestent à partir de la fréquentation du football et qui sont conquises par la pratique continue du sport.

16L’un des problèmes qui guide Merleau-Ponty sur le sujet de l’acquisition des habitudes motrices est celui de comprendre, à l’instar des discussions sur le schéma corporel, en quelle mesure celle-ci doit être attribuée à des actes d’entendement qui organiseraient les éléments de l’action. Une fréquentation livresque assidue des principes du football serait-elle suffisante à l’acquisition de l’habileté sensorimotrice présentée par le joueur ? Suivons encore un autre exemple : les premiers pas d’une nouvelle danse se prêtent bien à des analyses et peuvent être représentés par des formules de mouvement. Pour que ces formules puissent acquérir une expression motrice, l’exercice moteur est cependant inévitable. C’est par l’activité physique que le corps comprend le mouvement. Il faut, dit Merleau-Ponty, que la danse reçoive une « consécration motrice »29.

17L’exemple des instruments de musique renforce cette position, et prouve combien l’habitude est disjointe de la pensée. Merleau-Ponty évoque l’image d’un organiste expérimenté, capable de se servir d’un instrument avec lequel il n’est pas familiarisé30. Après un temps de répétition raisonnablement court, le musicien est capable d’exécuter son programme musical sur le nouvel orgue. Que s’est-il passé ? S’agit-il d’adapter des montages moteurs à un nouveau schéma conditionné, ou d’arriver à une nouvelle représentation des touches, des pédales et de leur relation dans l’espace ? Rien n’indique, lors de la répétition, que le musicien réalise un tel repérage. Le musicien actionne les pédales et manie les claviers dans le but de se familiariser aux dimensions du nouvel instrument. En d’autres termes, le professionnel « prend mesure de l’instrument avec son corps ». D’après Merleau-Ponty, « il s’installe dans l’orgue comme on s’installe dans une maison » . L’objet intentionnel, dans cette scène, n’est pas l’acte moteur, ou l’instrument, mais la musique qui doit être exécutée. Il est vrai que l’intention qui tend vers la pièce musicale devra se trouver perturbée lors de la brève incorporation de l’instrument. Toutefois, lorsque l’installation dans le nouvel orgue est réalisée, l’organiste se met entièrement à disposition de la musique. Nous voyons, par contraste, combien est ardue la tâche de l’apprenti dans le maniement de l’instrument musical. Bien qu’il ait de l’intérêt à jouer de la musique, il devra nécessairement être longtemps attentif aux exercices pour coordonner ses mouvements avec les parties de son instrument. Tant que son corps et l’instrument ne seront pas dans une action synergique, l’attention à la musique sera compromise en faveur de l’attention à la mécanique du mouvement. Avec le temps, et la fréquentation de l’instrument, l’action corporelle pourra être prolongée par l’orgue dans des intentions motrices dédiées à l’expressivité musicale.

18Quelque chose de très similaire peut être avancé sur l’activité de dactylographier. La personne qui domine la pratique peut aussi bien être incapable d’indiquer le lieu des lettres sur le clavier, note Merleau-Ponty. Ce qui importe dans la dactylographie n’est pas la désignation objective des touches du clavier, mais l’incorporation de l’ustensile dans une familiarité qui augmente l’effort corporel dédié à l’écriture, celle-ci se distinguant ainsi comme objectif intentionnel. La machine à écrire, à partir de l’exercice devenu habitude, devient une extension de notre corps, ce qui vaut pour celui-ci valant aussi pour elle. Si je ressens le besoin de me gratter l’oreille, je n’ai pas besoin de représenter les parties de mon corps engagées dans cette action ; de la même manière, le dactylographe exécutera les mouvements nécessaires à rédiger ce qu’il a en vue. « Il est vrai, à la lettre, que le sujet qui apprend à dactylographier intègre l’espace du clavier à son espace corporel », affirme Merleau-Ponty31. Le corps étant un « espace expressif »32, qui mobilise la puissance nécessaire à l’exécution de ses activités dans le monde, les instruments qu’il est capable d’incorporer seront à disposition de ce pouvoir d’action.

19Mais l’un des exemples les plus célèbres mobilisés par Merleau-Ponty en référence aux habitudes motrices est encore le bâton, utilisé dans l’absence de vision pour l’exploration de l’environnement. L’exemple gagne encore en importance si nous nous rappelons le rôle de la « métaphore du bâton » dans la théorie de la vision élaborée par Descartes dans sa Dioptrique. Bien que Descartes ait pu faire allusion au bâton des aveugles comme à « l’organe de quelque sixième sens, qui leur a été donné au défaut de la vue »33, son intention était surtout de développer un modèle de rationalisation des phénomènes visuels. À cette fin, Descartes place deux genres de phénomènes naturels côte à côte : l’action des corps sur la main de l’aveugle par le bâton et l’action de la lumière dans les yeux, propagée par l’air34. D’Alembert résume bien l’intention de Descartes en écrivant : « les rayons de la lumière sont le bâton des clairvoyants »35. Merleau-Ponty, pour sa part, accepte l’idée du bâton comme organe de perception, mais pas celle du bâton comme moyen de propagation des informations sensibles de l’environnement. L’auteur signale la séparation, dans l’intellectualisme, entre signe et signification, due à l’objectivation des contenus sensibles, desquels rien ne subsiste, sinon d’être le motif d’une activité intellective capable de leur attribuer du sens. À celui qui utilise le bâton, selon ce cadre théorique, il faut traduire les pressions de l’ustensile comme des signaux des objets extérieurs. Il arrive peut-être quelque chose de proche dans l’usage du bâton par les novices. Leur impéritie dans l’utilisation de l’instrument doit être compensée par l’effort de conscience de soi et de ce qui peut être indiqué en tâtonnant avec le bâton. Comme nous le rappelle Simone Weil, qui s’intéressait fort aux problèmes qui nous occupent ici, on ne passe pas directement à l’habitude. Il faut faire des efforts avant que l’habituation laisse « le passage libre à l’action »36, jusqu’à ce que l’on puisse se passer du recours de la conscience explicite de soi et des actes exécutés. L’adaptation, selon l’autrice, exige le dépassement de la conscience de soi. Mais l’attention à soi et à ses propres gestes, bien qu’elle perturbe l’attention aux choses et au travail qui leur est lié, ne configure pas un intellectualisme. L’analyse intellectualiste, celle qui écarte le sens du signifié, « masque le rapport organique du sujet et du monde », dit Merleau-Ponty. À partir du moment où le bâton n’est plus perçu comme un objet familier à celui qui le manie, et qu’il disparait du champ intentionnel, il devient « une extension de la synthèse corporelle »37. Ainsi, le rayon d’action du toucher s’allonge. L’extrémité du bâton devient une zone sensible. En cela, Merleau-Ponty affirme que le toucher assume un pouvoir analogue à celui de la vue, dans le sens où il se dégage des limites de l’épiderme. On comprend plus clairement, par l’exemple du bâton, ce qui vaut pour tous les autres : que l’habitude motrice est tout autant un phénomène d’habitude perceptive, et vice-versa.

Le niveau perceptuel : indices pour un ethos de la perception

20Le schéma corporel et l’habitude, tels qu’ils sont pensés par Merleau-Ponty, acquièrent un caractère existentiel et, par conséquent, éthique, dans la mesure où ils décrivent « le pouvoir que nous avons de dilater notre être au monde »38 et la capacité de nous réorganiser dans notre relation avec les choses et autrui39. Le développement d’habitudes perceptives par de nouvelles pratiques corporelles et l’annexion d’instruments implique, selon le philosophe, l’«  acquisition d’un monde », c’est-à-dire, la constitution de nouvelles configurations mondaines, et, ce faisant, de nouvelles formes d’action dans le monde40. Nous aimerions invoquer ici un élément conceptuel capable de nous amener à une compréhension plus épurée de cette acquisition de monde. Il s’agit de la notion de niveau, très présente dans la philosophie de Merleau-Ponty depuis la Phénoménologie de la perception. Elle trouve, dans son œuvre, une généralisation des plus fécondes, au point de pouvoir être indiquée comme l’une des principales matrices de sa pensée, notamment de ses exercices d’ontologie41.

21Le fond perceptif ne correspond pas seulement, chez Merleau-Ponty, à la dimension d’horizon apte à devenir figure via un nouvel arrangement de la relation mouvante entre le sujet percevant et l’environnement. Le philosophe, en se basant sur des études gestaltistes, attribue également au fond perceptif la fonction de niveau. Le champ perceptif, dans une large mesure, se fonde sur la possibilité que nous avons d’assumer des niveaux de perception, de nous y installer, d’apprendre leur logique. Citons comme exemples de niveaux perceptifs, les paramètres spatiaux, l’illumination, la mode, les tonalités musicales, c’est-à-dire, des phénomènes qui ont plus un rôle de régulation des figurabilités que celui d’être objets de perception. Remarquons qu’en résonance avec la mention à la musique et aux tendances sociales et vestimentaires, les niveaux de perception valent pour tous les sens corporels, autant que pour des manifestations de nature spatiale, temporelle, sociale, culturelle, etc. Selon Merleau-Ponty, le niveau s’installe quand s’opère un ajustement qui permet au sujet la jouissance de l’espace, et aux choses une « puissance directe »42 sur le corps.

22Merleau-Ponty porte une attention particulière aux niveaux spatiaux, qui concernent nos modèles les plus simples d’orientation et sont, de ce fait, imperceptibles et, en large mesure, ignorés de la recherche scientifique. À l’exception de cas expérimentaux et pathologiques, nous nous mouvons dans l’espace de manière organisée, selon des modèles stables de verticalité, d’horizontalité, de profondeur et de direction (au-dessus, en-dessous, à gauche, à droite, etc.). Merleau-Ponty commence le chapitre de la Phénoménologie de la perception consacré à la discussion de l’espace en citant l’étude de Georges Stratton basée sur l’inversion des images rétiniennes, dans laquelle on décrit le lent processus d’accommodation du comportement à l’expérience du cadre visuel tête en bas. Plus avant, dans le même chapitre, le philosophe invoque une étude semblable conduite par Max Wertheimer, mais dont les démarches, moins radicales, permettent un rapide ajustement de la part du percevant. Nous choisissons de nous centrer sur celle-ci. Un sujet se trouve dans une chambre qui ne peut être vue sans l’intermédiaire d’un miroir qui reflète l’environnement dans une inclination de 45 degrés par rapport à la verticale. De prime abord, l’environnement provoque le trouble. Se déplaçant à travers la chambre, en regardant toujours le miroir, le sujet a l’impression de marcher sur un plan incliné. Quand il porte son attention sur la chute d’un objet, il le voit tomber en direction oblique. Rapidement, cependant, la scène est perçue à la verticale. Selon Merleau-Ponty, le sujet, avant l’expérience, se trouvait ajusté à un certain « niveau spatial », de telle sorte que le cadre expérimental lui semble déconcertant au début43. Néanmoins, les points tactiles d’ancrage du spectacle, comme les murs, les portes, et le corps même du sujet, s’ils apparaissent biaisés au niveau expérimental, indiquent également des directions privilégiées et forcent la reconduction au niveau de perception spatiale du palier commun. Dans cet exemple, on distingue surtout le rôle du corps « comme système d’actions possibles » dans un environnement défini par la situation du sujet percevant et par les tâches qu’il exécute44. Dans la mesure où le sujet, sur la scène expérimentale, commence à se servir des choses qui l’entourent, comme une armoire, une chaise ou une table, un environnement praticable surgit, avec l’oscillation du niveau spatial. Dans l’expérimentation de Wetheimer, la tension entre la normativité spatiale proposée par l’image spectaculaire et la normativité habituelle, actualisée par l’activité motrice du sujet, se résout dans le sens de cette dernière. Le niveau se révèle, ainsi, à partir de cet exemple, comme « une certaine possession du monde par mon corps, une certaine prise de mon corps sur le monde »45. Nous ne nous laissons pas prendre à l’impression d’une primordialité du corps dans l’établissement du niveau perceptif ; après tout, il s’agit du corps comme structure active, c’est-à-dire une entité entièrement tournée vers son entourage, et vers les tâches que le corps doit ou désire réaliser. De fait, dans son texte, Merleau-Ponty fournit une définition plus complète du niveau :

Il apparaît normalement à la jonction de mes intentions motrices et de mon champ perceptif, lorsque mon corps effectif vient à coïncider avec le corps virtuel qui est exigé par le spectacle et le spectacle effectif avec le milieu que mon corps projette autour de lui. Il s’installe quand, entre mon corps comme puissance de certains gestes, comme exigence de certains plans privilégiés, et le spectacle perçu comme invitation aux mêmes gestes et théâtre des mêmes actions, s’établit un pacte qui me donne jouissance de l’espace comme aux choses puissance directe sur mon corps46.

23Il parait clair, dans ce passage, que le niveau perceptif, ici le niveau spatial, est constitué dans l’entre-deux qui unit le sujet corporel et le territoire qu’il habite. C’est un point sensible pour des théories de la perception postérieures aux contributions de Merleau-Ponty, comme la théorie des affordances, de James Gibson. D’après Berque, les affords sont des indications ou des prises offertes à la perception par l’environnement et par les objets avec lesquels nous interagissons47. Le terme se réfère également à la capacité qu’a la perception de se lier à ces opportunités, de façon que les affords ne peuvent être situés, pour ainsi dire, ni au pôle objectif, ni au pôle subjectif de l’expérience. L’idée de niveau chez Merleau-Ponty, héritée des gestaltistes, sert, justement, à penser cette réalisation dans le monde phénoménal, attribuant à l’action corporelle, au corps comme être connaissant, l’élément extatique de la constitution des niveaux perceptuels. Merleau-Ponty conclut la discussion sur le niveau perceptif affirmant : « mon corps est en prise sur le monde quand ma perception m’offre un spectacle aussi varié et aussi clairement articulé que possible et quand mes intentions motrices en se déployant reçoivent du monde les réponses qu’elles attendent »48. Il faut distinguer l’idée du « possible » attaché à la clarté et à l’articulation du champ perceptif. C’est dans le cadre de la possibilité, des contingences, que les niveaux perceptuels peuvent être générés, ce qui recèle d’importants éléments situationnels du sujet percevant et du territoire de perception.

24Cette rencontre nécessairement situationnelle amène la question de la perception optimale et de la disposition à percevoir49. D’après Merleau-Ponty, notre perception tourne autour d’une « norme », d’un « point de maturité »50, qui caractérise une « perception privilégiée ». Celle-ci dépend de la chose même qui est perçue. « Pour chaque objet », affirme le philosophe, « comme pour chaque tableau dans une galerie de peinture, il y a une distance optimale d’où il demande à être vu, une orientation sous laquelle il donne davantage de lui-même » . La perception privilégiée dépend également du corps percevant, de ses possibilités sensibles. Le corps humain possède une structure sensible propre, distincte de celle d’autres animaux, qui peuvent compter sur des appareils sensorimoteurs spécifiques, comme le sonar de la chauve-souris, par exemple51. Dans le cas du corps humain, la sensibilité varie aussi en fonction des conditions des organes sensoriels. Que l’on pense à la presbytie et aux ajustements qu’elle exige pour que la personne puisse « voir mieux ». La perception optimale est attachée au processus perceptif même, principalement à sa cohérence et sa continuité. Nous sommes invités, dans la perception, à expérimenter l’ajustement des différents aspects des choses en unités de sens. Celles-ci concernent un autre élément important de la vie perceptive : son caractère dispositionnel ou habituel. C’est ce qui rend possible l’anticipation du dédoublement perceptif, et ce qui fait de l’expérience perceptive une capacité de communication avec les choses, en les classant comme familières ou comme surprenantes52.

25Avec la question du caractère dispositionnel de la perception, nous revenons à la gamme d’habitudes motrices et perceptives que nous sommes capables de développer, depuis celles attachées à notre condition la plus basique au monde, comme l’équilibre et l’orientation spatiale, jusqu’à celles qui concernent les systèmes techniques et symboliques, comme l’écriture à la machine, le match de football, la danse, la conduite de véhicules, en plus des expressions les plus variées liées à des contextes culturels, éducationnels et pédagogiques capables de générer des formes d’expérience, liées, quant à elles, à l’institution de niveaux perceptifs. Plusieurs de ces formes d’expérience, il est important de le souligner, ne sont partagées que par ceux qui dominent les méthodes et compétences engagées en elles.

26Un autre élément de base de notre expérience perceptive, lui aussi débattu par Merleau-Ponty à partir des gestaltistes, est le phénomène d’illumination. Le traitement que le philosophe lui confère approfondit notre compréhension des attributs des niveaux perceptifs. À tout moment, nous appréhendons des couches de lumières en tant qu’illumination au lieu d’être attentifs à celles-ci comme objets de perception. Plus encore, nous prenons en compte « la logique de l’éclairage » au point de ne plus nous laisser tromper par le ton doré d’un papier blanc sous une lumière jaune53. Le papier blanc ne change pas de couleur sous l’illumination teintée de jaune ; il demeure blanc à nos yeux. C’est que l’illumination « tend vers le zéro de couleur », dit Merleau-Ponty, elle se configure comme niveau. L’auteur écrit : « Le niveau s’établit, et avec lui toutes les valeurs colorées qui en dépendent, quand nous commençons à vivre dans l’atmosphère dominante et redistribuons sur les objets les couleurs du spectre en fonction de cette convention fondamentale »54. Merleau-Ponty ajoute que notre installation dans le paysage coloré, avec toutes les transpositions, relations et équivalences qui se réalisent, est une « opération corporelle ». Appuyons également sur le fait que l’illumination, sans une attitude critique, comme celle que nous développons ici, passe inaperçue, se contentant de la fonction de médiatrice de la perception. On peut donc affirmer, pour généraliser, que les niveaux perceptuels « conduisent notre regard au lieu de le retenir »55. C’est dans la fonction d’«  intermédiaires discrets » que nous trouvons, par conséquent, les niveaux perceptuels. Il s’agit d’éléments qui participent à « l’articulation de l’ensemble du champ »56. Même les niveaux les plus fondamentaux de notre relation avec le monde ont besoin d’acquérir une condition de prise dans le développement de l’activité perceptive. La structure de l’illumination et des objets illuminés possède des analogies imprécises dans le domaine tactile, de façon qu’une personne aveugle de naissance, et qui, par une intervention chirurgicale, acquiert le sens de la vision, cherche à toucher un rayon de soleil, commente Merleau-Ponty en s’appuyant sur une étude de psychologie neurologique de son époque57. Dans la littérature psychologique et philosophique contemporaine, des situations comme celle-ci sont appelées cécité expérientielle (experiential blindness). Malgré la myriade de sensations visuelles expérimentées par le sujet opéré, on vérifie un lent processus d’intégration de la stimulation sensorielle qui débouche sur la constitution de l’habilité à voir58.

27Il s’agit d’établir de manière plus explicite, la relation entre les niveaux perceptifs et les habitudes sensorimotrices, pour cela, nous recourons aux contributions de Bredlau59 et Crawford60. Dans l’intention de problématiser l’apprentissage de nouveaux schémas perceptifs depuis l’œuvre de Merleau-Ponty, Bredlau analyse la différence entre ce que voient une conductrice expérimentée et un passager qui ne sait pas conduire. Sa thèse est la suivante : selon lui, apprendre à conduire requiert le développement de la perception. Il ne s’agit pas, prévient l’autrice, de considérer le champ perceptif de l’apprenant comme une représentation toute faite dans laquelle de nouveaux détails doivent être vus, ni simplement de dire que le chauffeur voit en tant que figure des fragments de la scène perceptuelle qui demeurent comme un fond pour celui qui ne domine pas la pratique de la conduite. Selon Bredlau, « la structure du champ de la conductrice est unique pour son activité en tant que conductrice, et la structure du champ du passager est unique pour son activité de passager »61. Ceci parce que le champ perceptif ne se caractérise pas seulement par des formes et des couleurs, mais par ce que l’autrice appelle territoire, terme que nous allons utiliser dans ce texte. Le choix de définir le champ perceptif comme territoire ne concerne pas l’exemple spécifique de la conduite de véhicules. Il concerne plutôt le fait que l’expérience que nous faisons de toute scène perceptive implique l’engagement corporel dans l’entourage, avec les lieux, les choses et les personnes, et ce sont les opportunités et les limites de l’entre-deux, de la rencontre du sujet avec le territoire, qui caractérisent ce dernier. C’est seulement la pratique, l’installation dans le paysage ou dans les instruments, comme dit Merleau-Ponty, qui confère au sujet la possibilité d’adhérer à des aspects du monde qu’il ne soupçonnait pas. Ce qui implique justement la constitution et la sensibilité à de nouveaux niveaux perceptuels, qui institueront « un sol perceptif, un fond de ma vie, un milieu général pour la coexistence de mon corps et du monde »62. Crawford, quant à lui, dans un livre traitant de l’attention comme problème culturel, fait l’analyse de la liberté que l’on constate dans l’action d’improvisation d’un musicien expérimenté. « Il peut faire ce qu’il veut », sommes-nous tentés de dire, lorsque nous sommes en présence d’un musicien comme Pat Metheny, célèbre guitariste de jazz. Nous oublions, toutefois, que cette liberté sur le plan artistique a été conquise à partir de l’insertion dans des modèles musicaux spécifiques, qui englobent des caractéristiques de l’instrument utilisé au style de musique adopté, même si, dans son processus de composition et dans les improvisations auxquelles il participe, il flirte constamment avec la création de nouvelles formes d’expression. « L’apprentissage du musicien », commente Crawford, » met en lumière une caractéristique fondamentale de l’agence humaine [human agency], à savoir, le fait qu’elle se dédouble [arise] seulement à l’intérieur de limites concrètes »63. C’est par une pratique continue de l’instrument et du jeu en groupe que se révèlent les opportunités et limites qu’ils atteignent, les codes et les signaux du style musical, ces éléments étant contenus dans l’idée gestaltiste de niveau.

28Les niveaux perceptuels sont, donc, constitués au sein de nos pratiques concrètes auprès des territoires, des choses et des personnes que nous fréquentons. L’institution de niveaux implique l’acquisition de nouvelles configurations phénoménales, c’est-à-dire, l’organisation de formes rénovées de perception, toujours dans l’espace intermédiaire de l’adhésion corporelle aux possibilités du monde.

Vision critique

29Il reste à esquisser la définition d’un ethos des sens, auquel nous faisions référence au début de ce texte, et d’aborder le potentiel critique des apports offerts par Merleau-Ponty autour du schéma corporel, des habitudes et des niveaux perceptifs. C’est dans le cadre social, culturel et historique, que se manifeste la dimension critique de la phénoménologie de la perception. Au fil de ce texte, le monde social n’a pas été absent de notre argumentation. Les techniques et instruments impliqués dans le développement des habitudes sensorimotrices analysées par Merleau-Ponty font partie de la vie sociale et culturelle dans un champ donné de possibilités historiques. L’objet culturel révèle toujours, directement ou indirectement, la présence d’autrui. Il est possible toutefois de porter notre attention spécifiquement sur la question des conditions sociales de la perception, des structures sociales qui contextualisent et motivent les habitudes perceptives, surtout celles liées aux relations sociales. Nous pouvons, dans ce domaine, thématiser des niveaux perceptuels d’ordre social, c’est-à-dire, des structures de normes ou de références sociales qui imprègnent notre expérience collective. À la reconnaissance des habitudes de perception sociale et de leurs systèmes de référence, on joint également l’identification de structures d’oppression et de violence, et la possibilité de bâtir des expériences transformatrices.

30Merleau-Ponty lui-même livre des indications importantes au sujet de la problématisation des niveaux sociaux. Dans le chapitre « La spatialité du corps propre et la motricité » de la Phénoménologie de la perception, il discute les impacts de la maladie neurologique sur un patient examiné minutieusement par Kurt Goldstein. Le philosophe invoque alors l’image d’un « arc intentionnel », distendu dans le cas du malade. Avec cette idée d’arc intentionnel, Merleau-Ponty se réfère au fait que nous nous maintenons spontanément situés en relation « à notre passé, notre avenir, notre milieu humain, notre situation physique, notre situation idéologique, notre situation morale » , dans un réseau de sens expressifs liés à la sensibilité, à la motricité et à l’intelligence. Plus avant dans le livre, le philosophe se réfère à ces éléments comme à « des dimensions fondamentales de l’existence », avec une mention spéciale pour le temps et la coexistence64. Ces dimensions existentielles conforment notre « champ de présence », le fond sur lequel s’écoulent nos expériences65. Dans un exemple ayant trait à la temporalité, Merleau-Ponty parle de la présence, même quand je n’y pense pas, de l’après-midi qui arrive, comme la présence de l’arrière d’une maison dont j’admire la façade ou du fond d’une figure. On peut dire la même chose de l’atmosphère sociale et culturelle : sa présence est constante, non comme thème de perception directe, mais dans la qualité du champ selon lequel nous nous orientons. Dans une annotation sur l’histoire, l’auteur fait référence au fond établi par le « drame social et économique»66, et que chacun déchiffre à sa manière. Dans le chapitre final du livre, qui est dédié à la liberté, Merleau-Ponty s’oppose autant à la pensée objective qu’à la position idéaliste concernant nos relations avec l’histoire. Dans la pensée objective, la conscience de classe est déterminée par les caractères objectifs des relations de travail. La conscience d’être prolétaire ou bourgeois adviendrait, en termes de cause, de la vente de mon travail ou de ma solidarité avec le système capitaliste. Dans la pensée idéaliste, je deviens ouvrier ou bourgeois à partir de la décision de comprendre l’histoire sur la base de la lutte des classes. Je prends alors conscience de ma condition prolétaire ou bourgeoise. Une méthode existentielle, d’un autre côté, révèle que « j’existe bourgeois » ou « j’existe prolétaire ». Il s’agit, dit Merleau-Ponty, d’un « mode de communication avec le monde et la société qui motive à la fois mes projets révolutionnaires ou conservateurs et mes jugements explicites »67. Le philosophe continue :

Ce n’est pas l’économie ou la société considérées comme système de forces impersonnelles qui me qualifient comme prolétaire, c’est la société ou l’économie telles que je les porte en moi, telles que je les vis, — et ce n’est pas davantage une opération intellectuelle sans motif, c’est ma manière d’être au monde dans ce cadre institutionnel. J’ai un certain style de vie [...]68.

31Ce que Merleau-Ponty appelle style de vie peut être compris en référence à un « horizon d’une vie particulière », au fait d’être « socialement situé », ce qui conforme une relation de motivation avec nos projets implicites, ou existentiels, à ce que nous faisons et comment nous le faisons ou que nous abandonnons, et qui est ignorée par l’idéalisme et par la pensée objective69. La relation de motivation est donc fondée sur notre lien tacite, mais engagé, avec une condition, avec une atmosphère sociale, dans laquelle nous nous installons corporellement et qui est assumée comme norme. Nous sommes d’accord avec Čapek quand il propose, en ce qui concerne l’hypothèse d’un système de référence social, « une analogie lointaine et pourtant importante » avec la manière dont Merleau-Ponty décrit notre installation dans un environnement illuminé, et qui renvoie à la prise sur l’illumination comme une norme pour le regard70. Comme dans le cas de la perception spatiale, il s’opère, dans la perception sociale, une évaluation tacite de notre milieu qui n’est pas faite par nous, mais en nous, et qui nous dispose à la discrimination d’un comportement « propre », « adapté » ou « bon ». Nous revenons à l’idée de « valorisation spontanée », qui englobe, donc, une dimension normative, et révèle combien la perception et l’action sont traversées par une normativité latente.

32Refermons à présent la Phénoménologie de la perception et penchons-nous sur l’article « La guerre a eu lieu » publié la même année que le livre. Nous y trouvons ce passage : « Chacun de nous dans la coexistence se présente aux autres sur un fond d’historicité qu’il n’a pas choisi, se comporte envers eux en qualité d’“aryen”, de juif, de Français, d’Allemand [...] »71. Dans ce texte, Merleau-Ponty reprend le problème de la liberté, en s’opposant à la conception intellectualiste qui attache la liberté à la possibilité du sujet de choisir son mode d’être et d’agir. Au contraire, dit l’auteur, la vie sociale semble un dialogue et une bataille de fantômes. Les consciences « ont l’étrange pouvoir de s’aliéner », affirme-t-il, comme dans le cas de l’acteur qui, s’il est talentueux, incarne « un rôle qui le dépasse, qui modifie le sens de chacun de ses gestes »72. L’acteur anime un grand fantôme et, en même temps, devient captif de celui-ci, dit le philosophe. Plus tard, dans les cours du Collège de France intitulés Le monde sensible et le monde de l’expression, déjà cités dans le présent travail, Merleau-Ponty définit la conscience perceptive comme expression, dans la mesure ou les choses et les sens se manifestent par rapport à des normes qui ne se présentent pas elles-mêmes, et qui sont, dans cette mesure, inaperçues, dans le sens où elles se révèlent via une sensibilité latérale, indirecte73. Des choses apparaissent, par conséquent, en fonction de notre complicité avec un champ normatif exprimé dans l’acte de percevoir quelque chose. Bien que les analyses du philosophe dans ces cours privilégient la perception spatiale, on y trouve tout un travail indicatif concernant les domaines institutionnel et culturel de la perception.

33Ces mentions doivent être suffisantes pour mettre en évidence l’applicabilité du prolongement de la théorie du niveau perceptuel au cadre de la perception sociale. Nous percevons, agissons et sommes perçus à la lumière des sens qui, même sans se présenter de manière positive et achevée, sont anticipés par notre intentionnalité corporelle et incorporés dans un système de significations dans lequel nous percevons et agissons en fonction d’un fond perceptif, de façon que l’action perceptive exprime une certaine structure sensible74.

34Le principe de réorganisation de la structure sensorimotrice associée à l’institution de nouveaux niveaux de perception et de nouvelles formes d’agir reste valide ici. C’est ce que remarquent des auteurs comme Al-Saji75, Čapek76 et Weiss, Murphy et Salamon77. Selon Al-Saji, une phénoménologie de la vision comme celle de Merleau-Ponty attache la « normalisation de la vision à des modes habituels et socialement sédimentés de voir »78. Il faut, partant de cela, soutenir la possibilité d’une « vision critique » capable de discerner des habitudes de perception, aussi bien que « les structures sociales qui contextualisent et motivent sa formation »79. L’autrice traite la vision critique comme une forme de mémoire destinée à l’examen de deux dimensions temporelles impliquées l’une dans l’autre : une mémoire du présent, qui se réfère aux conditions diacritiques et formelles de la visibilité actuelle, aux structures qui configurent ce que nous voyons ; et une mémoire du passé, c’est-à-dire, des habitudes et sédimentations, des modes institués de voir qui soutiennent la vision actuelle. L’attention requise dans la vision critique possède une portée éthique. Le corps, à mesure qu’il conserve des expériences d’attente, d’admiration et de surprise, génère une ouverture à d’autres formes de voir et d’être. Se crée alors une configuration d’un double effort, l’un négatif, qui retarde l’installation du regard objectivant, et l’autre positif, qui se maintient « affectivement ouvert à d’autres historicités et rythmes, d’autres énergies affectives et formes de voir »80. Une vision critique est, par conséquent, également éthique, si elle offre la possibilité d’une transformation des habitudes de voir. Čapek, qui discute la liberté chez Merleau-Ponty en se basant sur les concepts de motivation et de normativité, souligne que, si la liberté est pensée à la lumière de la structure normative et répétitive de la perception et de l’agence humaines, elle peut être définie en référence à sa régularité, à ce que Merleau-Ponty appelle « sens spontané de ma vie »81. La liberté surgit alors comme un détour par rapport au « sens spontané d’un certain style de vie » ou comme une adhésion à ce style de vie avec une « perspective nouvelle » . Il ne s’agit pas ici d’une liberté affirmée via une décision réflexive, « création absolue »82, mais via « une série de glissements »83 par rapport aux motivation habituelles de notre vision et de notre action. Il nous faut prendre conscience de nos motivations. Ainsi, le détour devient possible, ou même l’émergence d’une condition qui dépasse le sens spontané. Ce que Merleau-Ponty appelle valorisation spontanée, et qui n’est pas créée par nous, exprime un sens dispositionnel de l’expérience, un savoir-faire, un savoir-regarder, une disposition, affirme Čapek. Même au regard de cette tendance, de la persévérance dans une forme d’agir et de percevoir, on n’exclut pas la possibilité de transformation de cette disposition. La normativité, rappelle l’auteur, n’est pas extérieure à nous. « Elle est portée par nous », dit-il : «  [I]l n’y a de normes que pour un être capable de les assumer, de les porter, et, dans certains cas, de s’en détourner » . Nous pouvons ne pas avoir la liberté de renoncer à être normatifs, mais nous sommes libres de réfléchir à nos « anticipations spontanées » et aux « structures qui pré-organisent notre expérience ». « Cette liberté n’est pas le contraire de la normativité, elle en est l’envers », affirme encore Čapek84. Bien qu’étant sous l’effet de références sociales, nous sommes en mesure de les analyser, même si en y réfléchissant, nous n’abandonnons jamais la condition d’êtres expressifs par rapport à des champs sensibles. Weiss, Murphy et Salamon, dans la présentation d’un livre dédié aux débats autour de la conception d’une phénoménologie critique, renforcent l’importance, dans la phénoménologie de Husserl et de Merleau-Ponty, de la structure figure-fond et de son potentiel à inclure un « horizon multiple de signification », qui comprend les dimensions temporelle, spatiale, historique, culturelle, politique et institutionnelle85. Elles soulignent également la description merleau-pontienne à propos de la sédimentation de modèles perceptifs sous la forme d’habitudes. Si par les habitudes, s’instaurent des niveaux d’action et de perception qui permettent des formes de familiarité et de stabilité dans l’expérience du monde social, il faut rester attentif, rappellent les auteurs, à la nécessaire exclusion d’autres perspectives et possibilités. Sur cette base, ce qui inspire une phénoménologie critique, orientées vers des approches disciplinaires telles que les théories féministes, les théories critiques du problème racial et les théories décoloniales, est de reconnaître que nos capacités perceptives sont, dans une large mesure, fonction des relations de pouvoir et de leurs inégalités conséquentes, « internalisées comme des inclinations personnelles et des habitudes »86.

35Il y a donc une place, à partir de l’œuvre de Merleau-Ponty et en se basant sur les questions suscitées par sa problématisation du schéma corporel, des habitudes et des niveaux perceptuels, pour penser l’institution de dimensions d’expérience perceptive dans un cadre sociohistorique. La discussion acquiert clairement un accent éthique quand la fonction critique de l’attention accordée à la structure sensible élucide le potentiel transformatif des analyses concernant les schémas perceptifs.

Considérations finales

36En résumé, nous nous sommes attachés à analyser le problème de la dynamique d’institution de dimensions d’expérience perceptive à partir de l’œuvre de Merleau-Ponty. Centrés principalement sur la Phénoménologie de la perception, nous élaborons une discussion qui, basée sur l’expressivité du schéma corporel et sur son pouvoir de constituer des habitudes sensorimotrices, problématise la puissance de transformation de la perception. Notre travail a été orienté par l’intention d’investiguer la définition d’un ethos des sens fondé sur la transformation des schémas perceptifs.

37Le parcours de notre argumentation implique de reconnaître que la perception, attachée au schéma corporel, compris comme un système d’incorporation d’instruments, de mouvements et de sens qui servent à l’action, demeure en développement continu. Selon Merleau-Ponty, on trouve ici le caractère existentiel du schéma corporel et de l’habitude : dans la possibilité permanente de modification et de réorganisation de notre relation avec les choses et autrui. Nous avons vu, en outre, comment la théorie merleau-pontienne des niveaux de perception sert de fondement à la compréhension de la plasticité de notre sensibilité et de notre agence. L’acquisition de schémas perceptifs et moteurs s’attache à la reconfiguration de la structure figure-fond, à la possibilité de nous installer dans de nouveaux paramètres qui régulent des figurabilités — ce qui apparait et comment il apparait. L’action impliquée dans les territoires les plus variés que nous fréquentons rend possible la sensibilité à de nouveaux systèmes de référence. En d’autres termes, l’action même participe à la réorganisation de la puissance que l’environnement sera capable d’avoir sur le corps propre. D’autre part, les habitudes motrices et perceptives que nous pouvons développer, depuis celles qui sont liées à la perception spatiale, jusqu’aux habitudes propres aux systèmes techniques et symboliques d’une culture donnée, conforment la dimension dispositionnelle de la perception. On peut dire que la sensibilité s’actualise autour de normes et de tendances de perception et d’action.

38Quand, disposant de ces apports théoriques, nous nous intéressons au cadre social, culturel et historique, le potentiel critique et éthique de la phénoménologie de la perception surgit. C’est ce que nous espérons avoir mis en évidence dans la dernière partie de notre texte. Pour Merleau-Ponty, notre implication pratique — en qualité de sujets qui fréquentent des territoires sociaux en communiquant, travaillant, s’amusant, apprenant, etc. — dans une condition historico-culturelle donnée —, inclut l’émergence de systèmes de référence sociale, des formes de vie auxquelles l’auteur se réfère comme « style », et qui imprègnent notre expérience intersubjective, communautaire et macrosociale. L’accent mis sur la plasticité de notre structure de participation corporelle auprès des choses et d’autrui permet que l’exercice critique d’identification des structures de perception et d’action sociale soit associé à la possibilité d’expériences de transformation des habitudes de perception sociale. Le thème est présent dans l’œuvre même de Merleau-Ponty, par exemple quand il thématise, dans le problème de la liberté, le dépassement d’un sens spontané sous la forme d’un « nouvel engagement »87. Une littérature récente renforce la portée éthique de l’attention dévolue à la structure normative de la perception.

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Notes

1 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.

2 M. Merleau-Ponty, Le monde sensible et le monde de l’expression : cours au Collège de France, notes, 1953, Genève, Metispresses, 2011, p. 129.

3 Ibid., p. 133.

4 H. Head, G. Holmes, « Sensory disturbances from cerebral lesions », Brain, 34, 1911, p. 102-254.

5 S. Gallagher, How the body shapes the mind, Oxford, New York, Oxford University Press, 2005.

6 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 114.

7 Ibid. p. 117.

8 Id.

9 Ibid. p. 239.

10 Id.

11 Ibid. p. 164.

12 Ibid. p. 151.

13 Ibid. p. 216.

14 Ibid. p. 236.

15 Ibid. p. 305.

16 Ibid. p. 237.

17 Ibid. p. 347.

18 Id.

19 Ibid. p. 305.

20 Id.

21 D. Morris, The sense of space, Albany, State University of New York Press, 2004, p. VIII.

22 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 216.

23 Ibid. p. 237.

24 D. Morris, The sense of space, op. cit., p. 02-03.

25 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 110.

26 Ibid. p. 166.

27 M. Merleau-Ponty, La structure du comportement (1942), Paris, PUF, 2006, p. 183.

28 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 503.

29 Ibid. p. 167.

30 Il faut avoir à l’esprit la grande variété de tailles et de systèmes que comportent les orgues classiques autrefois installées dans les églises et les temples.

31 Ibid. p. 169.

32 Ibid. p. 171.

33 R. Descartes, « La dioptrique » (1637), dans R. Descartes, Œuvres et Lettres (Bibliothèque de la Pléiade) (180-229), Paris, Gallimard, 1953, p. 182.

34 V. Le Ru, « La Lettre sur les aveugles et le bâton de la raison », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 28, 2000, p. 25-41.

35 Ibid. p. 26.

36 S. Weil, Œuvres complètes, Tome I : Premiers écrits philosophiques, Paris, Gallimard, 1988, p. 383.

37 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 178.

38 Ibid., p. 168.

39 M. Merleau-Ponty, Psychologie et pédagogie de l’enfant : cours de Sorbonne 1949-1952, Lagrasse, Verdier, 2001, p. 269.

40 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 178.

41 F. Colonna, Merleau-Ponty et le renouvellement de la métaphysique, Paris, Hermann, 2014. Selon Colonna, « la notion de niveau apparaît chez Merleau-Ponty comme la figure ultime de l’originaire » (p. 197).

42 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 289.

43 Ibid., p. 287.

44 Ibid., p. 289.

45 Ibid., p. 290, l’auteur souligne.

46 Ibid., p. 289.

47 A. Berque, Écoumène : introduction à l’étude des milieux humains (1987), Paris, Éditions Belin, 2015.

48 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 289-290.

49 J. Čapek, « Motivation et normativité : réflexions sur le concept de liberté à partir de Merleau-Ponty », Bulletin d’Analyse Phénoménologique, 16(2), 2020, p. 138-155.

50 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 349.

51 T. Nagel, Thomas, « What is like to be a bat? », The Philosophical Review, 83(4), 1974, p. 435-450 ; É. Bimbenet, L’Animal que je ne suis plus, Paris, Gallimard, 2011.

52 J. Čapek, « Motivation et normativité : réflexions sur le concept de liberté à partir de Merleau-Ponty », op. cit.

53 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 361.

54 Ibid., p. 359.

55 Ibid., p. 357.

56 Ibid., p. 355.

57 M. Von Senden, Raum und Gestaltauffassung bei operierten Blindgeborenen, vor und nach der Operation, Leipzig, Barth, 1932.

58 A. Noë, Action in perception, Cambridge / London, The MIT Press, 2004.

59 S. Bredlau, « Learning to see: Merleau-Ponty and the navigation of “terrains” », dans R. Barbaras, M. Carbone, L. Lawlor, J. Russon, Chiasmi International: Merleau-Ponty – Science et Philosophie (Vol.8.) (191-200), Paris / Milano / Memphis, Vrin / Mimesis / University of Memphis, 2006.

60 M. Crawford, The world beyond your head : on becoming an individual in an age of distraction, New York, Farrar, Straus & Giroux, 2015.

61 S. Bredlau, « Learning to see : Merleau-Ponty and the navigation of “terrains” », op. cit., p. 195.

62 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 290, l’auteur souligne.

63 M. Crawford, The world beyond your head : on becoming an individual in an age of distraction, op. cit., p. 128.

64 Ibid., p. 188.

65 Ibid., p. 475.

66 Ibid., p. 201.

67 Ibid., p. 506, nous soulignons.

68 Id.

69 Ibid., p. 510.

70 J. Čapek, « Motivation et normativité : réflexions sur le concept de liberté à partir de Merleau-Ponty », op. cit., p. 153.

71 M. Merleau-Ponty, « La guerre a eu lieu » (1945), dans M. Merleau-Ponty, Sens et non-sens (169-185), Paris, Gallimard, 1996, p. 175, l’auteur souligne.

72 Id.

73 M. Merleau-Ponty, Le monde sensible et le monde de l’expression, op. cit.

74 E. Saint Aubert, « “C’est le corps qui comprend” : le sens de l’habitude chez Merleau-Ponty », Alter : Revue de Phénoménologie, 12, 2004, p. 105-128.

75 A. Al-Saji, « A phenomenology of critical-ethical vision : Merleau-Ponty, Bergson, and the question of seeing differently », dans R. Barbaras, M. Carbone, W. Froman, L. Lawlor, P. Rodrigo, L. Vanzago, (eds.), Chiasmi International, vol. 11: Penser sans dualismes aujourd’hui, Paris / Milano, Vrin / Mimesis / Edizioni, 2009, p. 375-399.

76 J. Čapek, « Motivation et normativité : réflexions sur le concept de liberté à partir de Merleau-Ponty », op. cit.

77 G. Weiss, A. Murphy, G. Salamon, « Introduction: transformative descriptions », in G. Weiss, A. Murphy, G. Salamon (org.), 50 concepts for a critical phenomenology (XIII-XIV), Evanston, Northwestern University Press, 2020.

78 A. Al-Saji, « A phenomenology of critical-ethical vision », op. cit., p. 375.

79 Id.

80 Ibid., p. 387.

81 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 511.

82 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 519.

83 Id.

84 Id..

85 G. Weiss, A. Murphy, G. Salamon, « Introduction : transformative descriptions », op. cit., p. XIV.

86 Id.

87 M. Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, op. cit., p. 519.

Para citar este artículo

Danilo Saretta Verissimo, «La dynamique d’institution de dimensions d’expérience perceptive chez Merleau-Ponty», Bulletin d'Analyse Phénoménologique [En ligne], Volume 21 (2025), Numéro 5 : Perception amodale, intersensorialité, synesthésie (Actes n°15), URL : https://popups.uliege.be/1782-2041/index.php?id=1569.

Acerca de: Danilo Saretta Verissimo

Université de l’État de São Paulo (UNESP)

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