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Thibault De Meyer

Un miroir olfactif. Ou l’effet Molyneux en éthologie

(Volume 21 (2025) — Numéro 5 : Perception amodale, intersensorialité, synesthésie (Actes n°15))
Article
Open Access

Résumé

La spécialiste de la cognition animale Alexandra Horowitz met en place un test pour déterminer si les chiens sont capables de se reconnaître eux-mêmes. La chercheuse estime que si les chiens échouent au traditionnel test du miroir, c'est parce que la vue est moins importante dans les interactions sociales chez cette espèce que chez les primates notamment. Horowitz s’attèle alors à construire un « test du miroir » olfactif de reconnaissance de soi. En analysant l’émergence de ce test, sa mise en œuvre et les controverses qu’il a générées, nous nous demanderons ce que prendre en compte une nouvelle modalité sensorielle exige, comment cette prise en compte modifie les sciences comportementales tant au niveau méthodologique que théorique. Nous appellerons ces changements liés à la prise en compte d'une nouvelle modalité sensorielle « l’effet Molyneux ».

Keywords : Horowitz, self-recognition

1. Devenir chien

1Le point de départ de la réflexion que nous développerons ici est un court article d’Alexandra Horowitz1. Avant d’aborder cet article intitulé « Smelling themselves », il convient de présenter en quelques mots cette autrice fort originale. Horowitz est une éthologue spécialiste des chiens. Elle a défendu en 2003 à l’Université de Californie, à San Diego, une thèse sur la cognition des chiens, plus particulièrement sur leurs compétences en matière de jeux. Depuis lors, elle continue ses recherches à l’université Columbia, à New York. Elle a publié quatre livres dont trois qui ont pour thème les chiens. Le premier, paru en 2009, Inside of a dog est traduit en français sous le titre Dans la peau d’un chien2. Horowitz y présente une sorte d’état de l’art concernant la cognition des chiens. Son dernier livre, paru en 2019, Our dogs, ourselves. The story of a singular bond relate, quant à lui, la co-évolution des chiens et des humains3.

2Entre les deux, en 2016, Being a dog. Following the dog into a world of smell, se penche sur un aspect plus particulier du chien, à savoir son flair (le titre français est d’ailleurs Le flair du chien)4. Ce livre nous intéressera davantage dans le cadre de notre propos, d’une part car il traite directement du sujet que nous allons aborder, à savoir l’olfaction, mais d’autre part aussi parce qu’Horowitz y réalise un geste symétrique d’une certaine façon (on le verra) à celui qu’elle propose dans l’article d’où émergera notre réflexion. Dans ce livre, elle commence par décrire les faits remarquables dont les chiens sont capables grâce à leur truffe : ils sont notamment capables de sentir quelques gouttes d’huile de banane diluées dans une piscine ou de trouver en moins de deux minutes un humain caché dans un immeuble de plusieurs étages.

3L’autrice ne s’arrête néanmoins pas à célébrer les compétences exceptionnelles des chiens. En effet, par la suite, elle se demande si nous, humains, ne sommes pas également capables de choses extraordinaires avec notre nez. Elle se met alors à renifler ce que ses deux chiens, Finnegan et Upton, reniflent, car elle veut apprendre avec eux à sentir le monde. Pour perfectionner son odorat, elle s’inscrit en outre à des promenades olfactives. Elle se rend aussi chez des personnes qui ont acquis une grande sensibilité olfactive tels des médecins traditionnels chinois ou des pisteurs d’animaux. Enfin, elle examine la littérature scientifique où elle trouve notamment des études dévoilant certaines de nos compétences insoupçonnées, par exemple celle de distinguer les chemises de nos amis simplement grâce à leurs odeurs.

4Nous pensons être mauvais en matière de senteurs, mais en fournissant un petit effort, en exerçant notre nez, en cherchant bien, on se rend compte qu’on est capable de bien plus de choses que ce qu’on s’imagine au début. Elle met ainsi en pratique un adage de Gilles Deleuze : « vous ne savez pas d’avance ce que peut un corps [que ce soit le vôtre ou celui d’un autre] »5. La question que propose Horowitz dans ce livre prend ainsi la forme d’un défi : si les chiens sont capables de réaliser telle ou telle performance, en sommes-nous aussi capables ? Sommes-nous capables des choses dont les chiens sont capables ? Pouvons-nous, en d’autres termes, devenir un peu chien, acquérir quelques-unes de leurs compétences ? Le livre, qui s’intitule Being a dog, aurait tout aussi bien pu s’intituler Becoming a dog.

5Une petite remarque s’impose encore avant de passer enfin à l’article dont il sera question aujourd’hui. Horowitz a publié un seul livre qui ne porte pas sur les chiens, mais qui suggère tout de même le mode particulier d’attention qu’elle cultive. En effet, dans On looking, paru en 2013, elle tente d’apprendre avec des « experts » à prêter attention à des détails dont on ne s’aperçoit pas lorsqu’on se promène dans nos villes modernes6. Comme exercice, elle réalise onze fois un même parcours dans New York, mais chaque fois en compagnie d’une autre personne, une artiste-historienne de l’art, un ornithologue… Parmi ces experts, elle comptait aussi son jeune fils (qui lui a appris à suivre les ombres notamment) mais aussi son chien Finnegan. C’est dans ce livre en effet qu’elle entame son projet qui consiste à renifler ce que les chiens reniflent ; le chapitre sur Finnegan préfigurait son livre de 2016. L’exercice dans ces onze promenades consiste à apprendre à prêter attention aux détails auxquels nos compagnons de route prêtent attention.

2. Le test du miroir

6On retrouve un même goût pour les détails dans l’article d’Horowitz « Smelling themselves », « Se sentir soi-même », publié en 2017 dans la revue Behavioural Processes. Le sous-titre suggère plus explicitement dans quel champ de la recherche éthologique elle se situe : « Dogs investigate their own odours longer when modified in an “olfactory mirror” test », « Les chiens examinent plus longuement leurs odeurs lorsqu’elles sont modifiées dans un test de “miroir olfactif” ». Une manière peut-être un peu curieuse d’entrée en matière, c’est de s’arrêter sur un détail scriptural, à savoir l’utilisation des guillemets dans le sous-titre. C’est peut-être inhabituel d’introduire un article en commençant par un tel détail, mais c’est Horowitz elle-même qui nous y invite, en fait, car en plus d’être scientifique, elle est aussi une véritable écrivaine. En parallèle à ses cours sur la cognition animale, elle enseigne l’écriture créative (creative nonfiction writing). Elle confère une importance particulière aux ponctuations, aux parenthèses, à la forme de la page et à d’autres techniques scripturales. Pour preuve, dans les pages dédiées à l’actualité des livres dans le New York Times, dans l’édition du weekend, elle commentait ainsi la lente et à son avis triste disparition des notes de bas de pages dans les livres électroniques7. Un autre indice de cet intérêt : dans son livre Being a dog, elle inventa, à la place de l’index des noms ou de l’index des concepts, une nouvelle sorte d’index, un index des remerciements (qui fait songer à certaines des inventions scripturales de Marshall McLuhan8).

7Ce goût pour les inventions scripturales, tout comme l’inquiétude pour les notes de bas de page, laissent penser qu’Horowitz n’utilise pas les guillemets de manière irréfléchie. On peut parier qu’elle doit les avoir bien pesés. On aurait pu s’attendre à ce que les guillemets soient placés, ou plutôt décalés, dans ce même sous-titre, autour de « test du miroir », ce qui est plus habituel, et indiquerait le fait que ce test, dit du miroir, est un protocole technique particulier, qui a été en quelque sorte labellisé. Le choix de placer les guillemets autour de « olfactif mirror », « miroir olfactif » ou « odorant » signale la volonté de mettre en exergue un paradoxe. De par sa définition — « surface polie, métallique ou autres, qui réfléchit les rayons lumineux », pour citer le
Larousse —, le miroir n’est-il pas intrinsèquement un outil visuel lié aux rayons de lumière visibles ? En apposant l’adjectif « olfactif » au substantif « miroir », Horowitz infléchit par conséquent cette définition — cette inflexion étend le champ sémantique du terme « miroir », elle brouille les frontières catégorielles dans lesquelles le miroir est habituellement assigné, celles qui inscrivent le miroir dans le
territoire sensoriel exclusif de la vision. Dans le miroir, en principe, on ne peut se réfléchir qu’en image.

8Néanmoins, avant d’expliquer comment elle vint à infléchir la définition du miroir, il faut présenter le champ de recherche dans lequel s’inscrit son article. De fait, dans celui-ci, Horowitz, à l’instar de tant d’autres psychologues des animaux, se positionne par rapport à une publication datant de 1970 de Gordon Gallup9. Dans « Chimpanzees : Self-recognition », Gallup présentait « le test du miroir » (« the mirror test ») qu’il appelle aussi parfois « le test de la tache » (« the mark test »). Il n’est presque pas nécessaire de présenter ce test devenu un classique : pour déterminer si les chimpanzés sont capables de se reconnaître dans la glace, le psychologue plaça sur leur joue une trace, une marque. Les deux chimpanzées, femelles, qui avaient pris part à ce test n’accordaient aucune attention à cette tache quand elles n’étaient pas devant le miroir, ce qui indique, précisait Gallup, que cette tache n’était ni odorante ni urticante. Cela était important, car l’idée était de savoir si, au moment où on place un miroir devant elles, ces deux singes allaient toucher la tache dans le reflet, sur la surface de la glace, ou au contraire, à l’instar des humains, allaient-elles (c’est ce qui s’avéra le cas) toucher la tache sur leur propre visage. Ce résultat suggère que les singes sont capables de se reconnaître eux-mêmes. C’est ce résultat qui fût retenu pour le titre de l’article : « La reconnaissance de soi chez les chimpanzés ». À l’inverse, les macaques ne réussirent pas à passer ce même test, ce qui conduit le psychologue à conclure que ces petits singes n’avaient donc pas cette capacité.

9Par la suite, depuis les années 2000, l’histoire du test du miroir chez les macaques a pris d’autres tournants : la conclusion de Gallup était sans nul doute prématurée ou trop catégorique. Nous n’allons toutefois pas ici entrer dans cette histoire, au demeurant passionnante et riche, car les scientifiques ont depuis lors inventé d’autres moyens pour étudier les comportements des singes devant la glace10. Notons néanmoins que depuis l’article séminal de Gallup, le test du miroir a été administré chez de nombreuses espèces dont huit au moins l’ont réussi assez clairement : les humains (on s’en doute, mais même dans ce cas l’histoire est plus compliquée, car tous les enfants ne touchent pas la tache)11 ; les chimpanzés (on l’a déjà dit avec Gallup) ; les orang-outans12 ; les bonobos13 ; les gorilles (pour eux, il a fallu adapter un peu le test, car ce sont des singes qui n’aiment pas qu’un congénère les regardent droit dans les yeux, ce qui les rend très suspicieux de leur reflet, ils ne s’approchent dès lors pas spontanément du miroir)14 ; les dauphins (où il ne s’agissait pas de toucher la marque, mais d’observer les contorsions de leur corps devant le miroir)15 ; les éléphants et les pies16. Pour chacune des espèces, il y aurait moyen de décrire plus finement comment le dispositif expérimental a été modifié. Il faudrait aussi s’attarder sur tous les tests qui ont échoué, car ceux-là aussi sont riches d’enseignements, mais cela nous éloignerait de l’objet de notre préoccupation présente.

10Nous n’allons pas non plus déplier la longue préhistoire du test du miroir, tout aussi passionnante. Car depuis Charles Darwin, qui tendit une glace à Jenny et Tommy, deux orang-outans du jardin zoologique de Londres, les psychologues des animaux ont proposé un certain nombre de descriptions des comportements des grands singes devant leur reflet17. La description la plus connue et qui a eu le plus d’impact au début du siècle dernier est probablement celle que fit Wolfang Köhler18. Précisons que les mêmes descriptions qui permettaient au psychologue allemand de conclure que les chimpanzés se reconnaissent dans la glace ont été interprétées tout autrement par des collègues, à l’instar de Jacques Lacan notamment. En citant les travaux de Köhler, celui-ci estimait que les singes ne se reconnaissaient pas dans le miroir19. C’est dans ces débats d’interprétation que Gallup s’inséra ; et c’est cette multiplicité interprétative qu’il cherchait, en 1970, à restreindre grâce à son test de la tache.

11Indiquons dès à présent, nous y reviendrons, que Gallup trouble, sans le dire (peut-être même sans le vouloir), la théorie du stade du miroir de Lacan. Selon le psychanalyste, le miroir éclaire un aspect structurel de notre psyché, à savoir qu’au moment où on se voit soi-même, on ne se voit pas vraiment soi-même. On voit notre image plane dans le miroir (c’est-à-dire ailleurs que là où l’on se trouve), et on se voit sans odeur, sans chaleur, notre image est aussi froide que la glace sur laquelle elle est posée. Ce décalage entre le soi et la connaissance de soi comme la volonté de résorber ce décalage sont constitutifs de notre être psychique, selon le psychanalyste. Or, dans son test, Gallup ne cherchait justement pas à diminuer l’écart entre le soi et le reflet, mais au contraire à augmenter ce décalage en produisant une image encore plus déformée dans le reflet, une image de soi avec une tache sur le visage.

12Même si nous n’entrons pas plus précisément dans l’histoire du test du miroir qui précède l’article de Gallup, nous pouvons néanmoins encore tirer une autre ficelle de cette préhistoire du test du miroir. Dans l’article de Gallup et chez ses prédécesseurs, il n’était pas question simplement des comportements des animaux devant le miroir. Au contraire, ce comportement était étudié car il promettait de revisiter les idées bien établies au sujet des compétences cognitives des animaux. Dieu sait combien la reconnaissance de soi a joué un rôle crucial dans la philosophie et la pensée occidentale, depuis l’injonction socratique du « connais-toi toi-même » jusqu’au Cogito de René Descartes et au-delà. C’est d’ailleurs souvent cette connaissance de soi qui a servi de marqueur de distinction entre les humains et les animaux. C’est ce qu’affirmait notamment Leibniz : « la connaissance de nous-mêmes », la connaissance que nous avons de nous-mêmes, les « actes réflexifs, qui nous font penser à ce qui s’appelle Moi » (une jolie tournure de phrase du philosophe) serait précisément ce qui « nous distingue des simples animaux »20.

13Que nous sommes, nous humains, capables de nous connaître nous-mêmes, que nous sommes capables de dire « je », cela semble assez évident21. Cependant, comment être sûr que les animaux ne se connaissent pas également eux-mêmes ? Comment déterminer qu’ils ont ou qu’ils n’ont pas un concept de soi ? Sans s’y attarder et de manière incidente seulement, Leibniz donnait en fait déjà, mais dans d’autres écrits, une piste : il nous enjoignait à regarder « un chien [qui] aboie contre son image dans le miroir »22. Ceci démontrerait que ces animaux n’ont pas de concept de soi. L’idée du test du miroir était ainsi lâchée au début du dix-huitième siècle. Conjointement et implicitement, s’établissait l’association très forte entre la reconnaissance de soi et la perception visuelle.

3. Un nouveau reflet

14C’est cette association que Marc Bekoff mit en question en 200123. La position de départ, la posture heuristique de cet éthologue spécialiste des canidés est intéressante : chaque fois qu’un test tend à démontrer l’incompétence des chiens, il met d’abord en doute le dispositif expérimental ; il interroge le test, avant de mettre en doute les compétences des chiens. Cette posture est symétrique, rappelons-nous, à celle d’Horowitz dans son livre Being a dog, où elle espérait arriver à trouver chez les humains des compétences canines. Symétrique, certes, mais visant à produire pragmatiquement des effets similaires : d’une part, rendre perceptibles des compétences canines (c’est bien ce que fait finalement Horowitz en les rendant autrement signifiantes pour nous, en déterritorialisant ces compétences24) et, d’autre part, encourager les scientifiques à inventer de nouvelles manières de poser des questions, souvent de façon originale et un peu décalée.

15Bekoff n’acceptait donc pas immédiatement l’idée selon laquelle les chiens ne sont pas capables de se reconnaître. Cela lui semblait difficile d’ailleurs à concevoir tant d’un point de vue de la vie sociale des chiens que d’un point de vue évolutif (comment des pans entiers de formes de vie pourraient être dépourvus d’une telle capacité et comment aurait-elle pu apparaître de manière abrupte chez d’autres ?). Il remet donc en question l’universalité du test du miroir de Gallup en soulignant que celui-ci repose exclusivement sur la vision. Or les chiens ont une vision moins bonne que les primates et ne confèrent pas une grande importance à l’apparence physique. Se pourrait-il, se demande alors l’éthologue, qu’ils se reconnaissent néanmoins sous une autre modalité ? Qu’ils se reconnaissent par exemple olfactivement ?

16Pour vérifier cela, Bekoff observe et consigne les comportements de son chien Jethro (un berger allemand) pendant cinq hivers consécutifs. Ces observations devaient se dérouler en hiver, lorsqu’il neigeait à Boulder (la petite ville de résidence de Bekoff et Jethro, située dans le Colorado). L’éthologue jouait de drôles de tour à son compagnon canin : chaque fois que celui-ci ou qu’un autre chien urinait, discrètement, Bekoff déplaçait le morceau de neige jaune. Qu’est-ce qui ressortit de ses observations ? Jethro reniflait, lorsqu’il repassait sur les lieux de marquage, beaucoup moins longtemps sa propre urine que celle d’un congénère. Par ailleurs, il urinait au-dessus de sa propre urine moins souvent que sur celle d’un autre. Si ces observations suggèrent certainement que les chiens se comportent différemment par rapport à leur propre urine que par rapport à l’urine d’un autre, elles ne permettent pas de conclure qu’ils se reconnaissent eux-mêmes. Bekoff remarque en fait un gradient : lorsqu’un chien renifle l’urine d’un chien familier (d’un chien qui vit dans la même maison), il la renifle également moins longtemps (mais plus longtemps cependant que sa propre urine). Il se pourrait donc qu’il y ait juste un effet d’habituation et que les chiens sont tellement habitués à leur propre odeur qu’ils finissent par s’y désintéresser et à moins la renifler.

17C’est le problème qu’Horowitz pointe dans son commentaire concernant le test conçu par Bekoff (qui est, notons-le, un collègue et mentor avec qui elle a mené des projets de recherche également25). Le problème de ce test est qu’il se focalise sur l’absence ou le manque d’intérêt pour leur odeur. Dans le test du miroir, chez toutes les espèces, il y a toujours des animaux qui se désintéressent de leur reflet et ne touchent jamais la tache. C’est le cas par exemple chez les chimpanzés : sur les 163 chimpanzés qui ont passé le test durant les cinquante dernières années, seuls 70, soit seulement un peu moins de la moitié, l’ont réussi26. Néanmoins, dans le cas du test du miroir classique, l’absence de réponse au reflet ne signifie pas automatiquement l’absence d’une compétence cognitive : certains ne réussissent pas le test simplement parce que le miroir ne les intéresse pas. Pour que le test du miroir fonctionne, il faut donc arriver à motiver les animaux afin qu’ils se regardent dans la glace. Or un élément du test lui-même permet de stimuler la curiosité, à savoir que devant le miroir l’animal testé ne se voit pas tel qu’il est d’habitude ; son image est modifiée, car il a une tache sur le visage. Cette altération du soi rend le reflet déjà plus intriguant. Le test du miroir vise donc à étudier la capacité de se reconnaître soi-même mais avec un soi modifié, un « soi tacheté ». Pour Horowitz, l’originalité du test du miroir réside justement dans cette altération de soi qui motive les animaux étudiés à rester davantage de temps devant leur image. Or, à l’inverse, dans le test de Bekoff rien n’encourageait les chiens à s’intéresser à leur propre urine, car cette urine n’était pas modifiée. C’est cela qui rend ses résultats compliqués à interpréter : l’absence de réaction de Jethro par rapport à sa propre urine pourrait être due soit à une reconnaissance de soi, soit à un désintérêt pour une odeur à ce point familière qu’elle ne recèle plus aucune surprise.

18Horowitz s’attela donc à créer un « miroir odorant » à la manière de Bekoff, mais qui en plus permettrait de déformer le « reflet » renvoyé aux chiens. Elle reprend le travail de Bekoff, mais au lieu d’étudier les comportements liés à l’urine dans un espace ouvert, elle propose de le faire dans son laboratoire à New York. Trente-deux chiens prennent part à l’expérience qui se déroule dans une salle de vingt-cinq mètres carrés. Chaque chien, testé séparément, est accompagné d’une personne responsable. Le chien commence par s’asseoir à l’entrée de la pièce. Dans un second temps, il peut s’approcher des deux gamelles qui lui sont présentées à quelques mètres de distance. Les gamelles contiennent alternativement : l’urine du chien testé (condition S, pour « self ») ; l’urine du chien testé modifié par un agent chimique (condition SM pour « self-modified ») ; le produit modificateur de senteur (condition M, pour « modifier ») ; l’urine d’un chien que le chien testé ne connaît pas (condition O, pour « other ») ou d’un chien familier qui vit dans la même maison que le chien testé (condition F, pour « familiar »). Grâce à des caméras qui filment les chiens lorsqu’ils reniflent les gamelles, Horowitz peut mesurer précisément combien de secondes ils restent à proximité (à moins de 30 centimètres) de chaque gamelle. Cette étude confirme d’abord les résultats obtenus par Bekoff : lorsque les chiens peuvent choisir entre la gamelle S et la gamelle O, ils préfèrent cette dernière, ce qui suggère qu’ils s’intéressent davantage à l'urine des autres qu’à la leur. Lorsqu’ils doivent choisir entre la gamelle S ou la gamelle SM, c’est également cette dernière qui attire le plus les chiens.

19Cette dernière observation est cependant difficile à interpréter, car dans un troisième arrangement où les chiens doivent choisir entre une gamelle S et une gamelle M, ils s’arrêtent plus longtemps devant le produit modificateur que devant leur propre urine. Dans l’arrangement antérieur (S-SM), les chiens auraient donc simplement privilégié ce produit modificateur, composé de tissus infectés de microbes, plutôt que leur urine modifiée. Horowitz conçoit alors une deuxième batterie de tests où le produit modificateur est moins puissant, plus discret, ressemblant alors davantage, au niveau olfactif, à la petite marque dans le test du miroir. Dans ce test, les chiens se montrent plus intéressés par leur urine modifiée (SM) que par leur urine seule (S), d’une part. D’autre part, ils restent plus de temps à renifler l’urine modifié (SM) que le produit modificateur seul (M). Il y aurait donc là un comportement dirigé vers un soi modifié, comme si les chiens se rendaient compte que quelque chose leur était arrivé, « mon corps, mon odeur n’est plus la mienne ».

4. Un soi dispersé

20Dans sa théorie psychanalytique, Jacques Lacan remarquait le décalage qu’introduit le miroir dans la constitution du concept de soi : le soi apparaît dès l’origine autre que soi. Le test de Gallup, nous l’avons déjà souligné, ne cherche pas à résorber la distance entre le soi et le reflet de soi, mais exacerbe au contraire le contraste entre le soi ressenti et le soi vu en modifiant le corps de l’animal étudié. C’est un même geste — exacerber la différence — que produit Horowitz dans son test du « miroir olfactif ». Comme si pour rendre la réflexion de soi intéressante, il fallait produire auparavant une diffraction du soi, pour parler avec la philosophe des sciences Karen Barad : comme si la diffraction, la différence, était antérieure ou première par rapport à la réflexion qui incarne l’allégorie de l’identité, du même27. Bien qu’Horowitz se place dans la lignée des travaux qui poursuivent les recherches initiées par Gallup, ce dernier (qui, signalons-le, à quatre-vingts ans, continue ses recherches à l’université Albany, à New York) a néanmoins critiqué le test du « miroir olfactif »28.

21Sa critique est double, car elle porte à la fois sur le dispositif expérimental et sur la notion du concept de soi. Concernant la première, il note d’abord l’absence d’un test-contrôle où l’on comparerait le temps qu’un chien passe devant une gamelle avec sa propre odeur modifiée (SM) et devant une autre qui contiendrait l’urine d’un congénère qui aurait été modifiée (condition qu’on pourrait appeler OM pour « other-modified »). Ce contrôle aurait permis d’éliminer l’hypothèse alternative à celle de la reconnaissance de soi qui poserait que les chiens aiment simplement cette odeur d’urine bizarre, car altérée, peu importe que ce soit leur propre urine ou celle d’un autre. Par ailleurs, Gallup remarque que dans le test du miroir classique, quand un animal réussit le test, il passe du temps devant son reflet, certes, mais par ailleurs, il touche son corps pour essayer d’enlever sa tache. Il y a un aller-retour qui se crée entre le reflet et le corps qui est absent dans le test d’Horowitz : les chiens passent davantage de temps devant leur urine modifiée, mais ils ne semblent pas essayer de comparer cette odeur modifiée à leur propre odeur (en tournant par exemple leur tête vers leur propre corps après avoir reniflé la gamelle SM).

22Cette seconde critique concernant le dispositif expérimental d’Horowitz se fonde sur une conception ininterrogée de ce qu’est un corps, celle selon laquelle l’épiderme marquerait la limite du corps. Selon cette conception, chaque corps est parfaitement séparé des autres. La philosophe Salomé Voegelin interroge cette manière de concevoir la corporéité29. Elle argue que cette conception des corps (et plus généralement des choses) comme des entités clairement distinguées les unes des autres dépend de la modalité visuelle. Voegelin, qui cherche à construire une philosophie sonore, estime qu’en partant des bruits plutôt que de la vue, les entités fondamentales de l’être ne sont pas les mêmes. Pour expliquer cette idée, elle décrit une installation de l’artiste sonore Patrick Farmer intitulée This has already had a history. Dans cette installation sonore, l’artiste capte le bruit de pierres qui s’entrechoquent. Si chaque pierre peut être vue indépendamment l’une de l’autre, les pierres ne peuvent être entendues que lorsqu’elles entrent en contact les unes avec les autres. Les sons ne sont donc pas des choses en tant que telles, mais des « entre-choses », des rencontres. Une philosophie qui se construirait à partir de l’expérience sonore serait dès lors fort différente, argue Voegelin, de la philosophie qui nous est familière et qui se base sur l’expérience visuelle.

23Voegelin ne discute pas des autres sens pour se focaliser exclusivement sur le contraste entre les sensibilités sonores et visuelles. S’ouvrent avec sa critique des pistes prometteuses : les autres sens offrent aussi des sensibilités spécifiques, encore plus marginalisées dans notre tradition gréco-chrétienne — des sens qui pourraient tout autant mener vers de nouvelles ontologies. Au livre de Voegelin Sonic possible worlds, il faudrait inventer une suite, Olfactive possible worlds, car les odeurs aussi pourraient nous inviter à développer d’autres logiques et d’autres ontologies.

24Or, c’est ce qu’on commence à pressentir dans l’article d’Horowitz, et qui est particulièrement perceptible dans ses hésitations grammaticales. Dans la partie conclusive de son article, l’éthologue affirmait ainsi qu’« un tel comportement [les chiens qui s’attardent davantage sur leur urine modifiée] suggère que le sujet reconnaît l’odeur comme étant ou provenant de soi », « as being or from themselves »30. Elle explique : « Bien que l’odeur de soi chez les humains puisse être reconnue comme émanant de soi, elle n’est habituellement pas considérée comme identique au ‘soi’ »31. Se pourrait-il que la situation soit différente chez des animaux qui ont un odorat plus développé et qui, par ailleurs, entretiennent des relations sociales grâce à leurs odeurs ? Un corps ne se limiterait dans ce cas pas à la peau, mais se propagerait dans l’espace. Les limites du corps seraient aussi plus poreuses et moins faciles à désigner du doigt. L’aller-retour entre le soi et l’image de soi dont parle Gallup n’a dès lors peut-être pas tant de sens, car l’odeur dans la gamelle pourrait déjà être considérée comme le soi et non pas une image de soi.

5. Un laboratoire chamboulé

25William Molyneux, qui était marié à une femme aveugle, envoya en 1692 une lettre à John Locke. Il posait comme hypothèse fictive une personne aveugle de naissance qui recouvre la vue. Il demandait au philosophe si cette personne pourrait reconnaître les formes des objets par la vue uniquement alors que toute sa vie elle aurait appris à les reconnaître exclusivement par le toucher : cette personne reconnaîtrait-elle un cube ou une sphère32 ? Ce problème, repris par Locke dans ses Essais, livre 2, chapitre 9, préoccupera de nombreux philosophes européens. Dans la formulation du problème de Molyneux apparaît l’idée qu’un cube peut être connu de deux manières différentes, visuellement et tactilement. Y aurait-il derrière ces diverses voies de connaissance également un concept neutre de cube ?

26C’est dans des termes pratiquement identiques que Gallup formule le second volet, théorique, de sa critique concernant le test d’Horowitz :

Si des animaux qui ont des yeux n’arrivent pas à se reconnaître dans un miroir, leur serait-il possible de se reconnaître dans un autre domaine sensoriel ? Alternativement, si un organisme est capable de se reconnaître dans plusieurs modalités différentes, serait-ce qu’il possède un ensemble de concepts de soi sensoriels distincts (tels un soi visuel, un soi olfactif, un soi auditif)33 ?

27Le psychologue répond à ces questions de manière catégorique : « Nous pensons que la réponse à ces deux questions est non ». Selon lui, il y aurait un seul concept de soi qui peut être connu par plusieurs voies. Lorsqu’un animal est capable de se reconnaître dans une modalité sensorielle, il doit nécessairement en être également capable dans une autre modalité. Gallup fonde son argumentation sur une étude réalisée avec des collègues34. Sur un écran d’ordinateur, les personnes qui participaient au test voyaient défiler des photos avec des visages humains. Lorsque la photo montrait leur propre visage, les participants devaient pousser sur un bouton. Le temps de réponse (en millisecondes) était mesuré. Lorsqu’on diffusait dans la salle l’odeur du participant, celui-ci se reconnaissait plus vite sur les images que lorsqu’on ne diffusait pas d’odeur particulière ou lorsqu’on diffusait l’odeur d’une autre personne. Ceci fait dire à Gallup que la reconnaissance olfactive de soi active les mêmes zones cérébrales que la reconnaissance visuelle de soi : c’est pour cela qu’une exposition préalable d’une odeur de soi accélère la reconnaissance visuelle, car la zone concernée est déjà éveillée.

28La modalité sensorielle qui permet de se connaître soi-même ne modifierait donc rien au concept de soi. Dans ce cas, toujours selon Gallup, le concept de soi est à rechercher dans le cerveau car il serait corrélé à une zone cérébrale. Ce mouvement qui consiste à chercher le « cœur », la « substantifique moelle » du concept de soi est en fait caractéristique d’une certaine conception des compétences animales : celles-ci leur seraient intrinsèques. Nous ne voulons toutefois pas balayer d’un revers de main la critique de Gallup, car celle-ci ouvre de nouvelles questions et de nouvelles voies d’investigation. Il faudrait notamment vérifier son hypothèse d’un soi univoque. En revanche, nous voudrions proposer un changement de focal : au-lieu de penser le « problème de Molyneux », nous voudrions penser « l’effet Molyneux ». Quel effet cela fait d’investiguer la reconnaissance de soi de manière olfactive plutôt que visuelle ? En d’autres termes, au lieu de regarder ce qui se passe dans le cerveau des animaux, au lieu de chercher à comprendre ce qui se passe à l’intérieur des animaux, nous voudrions porter notre regard sur ce qui se passe autour d’eux.

29Notre attention se porte alors sur les nombreuses différences qui existent entre le dispositif du miroir classique et celui du miroir olfactif. Dans le premier dispositif, les expérimentateurs prêtent attention à la taille du miroir et à la distance entre celui-ci et les animaux étudiés. À l’inverse, dans la section sur les précautions méthodologiques, Horowitz mentionne entre autres les produits de ménage qui ont été utilisés pour nettoyer la salle avant l’arrivée des chiens, une précision qui n’avait jamais été indiquée dans les articles sur le test du miroir visuel. Horowitz explique que « le déplacement des stimuli visuels vers les stimuli olfactifs entraîne des défis qui modifient la nature même du test »35. En d’autres termes, quand les chiens mettent leur truffe, quand ils fourrent leur nez, quand ils ouvrent leurs narines dans le laboratoire, le laboratoire change de forme, car les scientifiques sont contraints d’être attentifs à d’autres aspects du dispositif.

30Nous proposons ainsi un déplacement de la question phénoménologique concernant « l’effet que cela fait » (« what does it feel like ») de sentir comme un chien vers la question pragmatique dont la formulation en français ne change presque pas, mais qui se révèle pourtant bien différente : quel effet cela fait dans le laboratoire (ou dans telle ou telle situation) que les chiens perçoivent le monde principalement par l’odorat ? L’objectif du pragmatisme n’est dès lors plus de se représenter subjectivement ce que cela fait d’être un chien, mais de regarder comment le monde se met à changer autour de nous lorsqu’on vit et interagit avec des chiens. Le fait que les chiens perçoivent très bien olfactivement a pour effet entre autres de changer l’agencement du laboratoire. Ce sont aussi, nous l’avons vu, le concept de soi et celui de corps qui sont altérés.

6. Des compagnons de jeu

31On l’a vu, Gallup espérait trouver un test pour clore les débats d’interprétation concernant les comportements des grands singes devant leur reflet. Son test ambitionnait de donner une réponse claire qui permettrait de discriminer entre les espèces qui se reconnaissent elles-mêmes et les autres qui en sont incapables. Le test du miroir a donné des résultats importants. Néanmoins, il ne faut pas réduire une compétence au test qui permet de l’étudier. Le test de miroir vise à répondre à une question, mais il est aussi, il est peut-être même fondamentalement une sorte de jeu proposé aux singes — ceux-ci peuvent ou non y participer. C’est sous le signe du jeu qu’il faut également lire l’article d’Horowitz. S’il ne nous semble pas très intéressant (ni légitime) de nous prononcer définitivement sur le fait que, oui ou non, les chiens se reconnaissent eux-mêmes, en revanche, au-delà et avant même d’obtenir un quelconque résultat, le dispositif mis au point par Horowitz est lui aussi déjà une sorte de jeu (ou de blague) proposé aux chiens. On les invite à faire de nouvelles expériences olfactives. On leur fait sentir des odeurs curieuses, des odeurs d’urine modifiée.

32Nous avons indiqué que dans notre tradition philosophique la reconnaissance de soi est un élément constitutif de ce qu’est un être humain. Les résultats du test du miroir devraient ainsi nous dire si « les animaux sont aussi des personnes ». En 2013, Gregory Berns publiait un article portant ce titre dans le New York Times : « Dogs are people, too »36. Berns étudie la neuroscience canine. Dans ses expériences, lorsqu’il présente des problèmes psychologiques, les chiens activent les mêmes zones cérébrales que les humains. C’est cela qui lui fait dire que les chiens sont des personnes. Vinciane Despret, qui commente cet article de Berns, estime que c’est avant tout dans le protocole expérimental de Berns que la personnalité des chiens est prise en compte, voire déjà mise en œuvre, et qu’elle se met à exister pour les scientifiques37. De fait, dans le cadre de ses expériences, il a besoin que les chiens puissent rester immobiles dans les scanners IRM qui sont fort bruyants. Pour cela, Berns anime des ateliers spécifiques où des personnes viennent avec leurs chiens pour les habituer à cet exercice. Les chiens reçoivent au bout de quelques séances un brevet « RMI-certified ». Il fait en outre signer aux accompagnateurs un consentement éclairé où est expliqué qu’à tout moment le chien ou l’accompagnateur peut interrompre le déroulement de l’expérience.

33De même, les chiens qui participent au test d’Horowitz ont tous au préalable pris part à des séances de « travail de narine » (« nosework »). Il s’agit de séances organisées entre autres par Horowitz, mais aussi par d’autres collègues, où les chiens et les humains qui les accompagnent apprennent à mieux distinguer les odeurs. Sélectionner des chiens singuliers et les habituer aux conditions du dispositif expérimental en les considérant comme des êtres qui ont des intentions, des désirs, qui peuvent être ou non intéressés, est une manière de prendre en compte (c’est-à-dire de faire compter) la personnalité des participants au test. Par ailleurs, aucun chien n’était obligé de prendre part au test. Certains n’ont d’ailleurs jamais accepté de s’approcher des gamelles. Les conditions mêmes du test considèrent les chiens comme des personnes. C’est dans les conditions de rencontre et non pas tant dans les résultats des tests que la personnalité des chiens se manifeste et est reconnue.

34Lorsque les scientifiques veulent établir la personnalité d’un animal, ils listent en général les compétences cognitives de cette espèce. De ce fait, il considère la personnalité comme une qualité intrinsèque à l’animal. À l’inverse, en suivant les pratiques de certains éthologues, il est possible d’imaginer une conception interactive de la personnalité. C’est dans l’interaction entre les humains et les chiens que les uns et les autres deviennent des personnes dans la mesure où ils apprennent à considérer les choix, les intérêts, les émotions des autres. Dans cette conception, une personne est avant tout un compagnon avec qui on peut jouer et explorer le monde. C’est là une autre leçon que nous enseignent les travaux d’Alexandra Horowitz.

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Voetnoten

1 A. Horowitz, « Smelling themselves. Dogs investigate their own odours longer when modified in an “olfactory mirror” test », Behavioural processes, vol. 143, 2017, p. 17-24. J’ai présenté à Maud Hagelstein de manière informelle, au détour d’un couloir, les idées défendues dans le présent article. C’est elle qui m’a encouragé à les élaborer et à les présenter au colloque concernant « La perception amodale, l’intersensorialité et la synesthésie » organisé par le Centre de recherches phénoménologiques de l’Université de Liège, 19-23 avril 2021. Je la remercie très chaleureusement. Je remercie également Vinciane Despret qui a relu, corrigé et augmenté une version antérieure du manuscrit.

2 A. Horowitz, Inside of a dog. What a dog see, smell, and know, New York, Scribner, 2009 (traduction française de C. Rosson, Dans la peau d’un chien, Paris, Flammarion, 2018).

3 A. Horowitz, Our dogs, ourselves. The story of a singular bound, New York, Scribner, 2019.

4 A. Horowitz, Being a dog. Following the dog into a world of smell, New York, Scribner, 2016 (traduction française de H. Borraz, Le flair du chien, Paris, Novateur, 2022).

5 G. Deleuze, Spinoza. Philosophie pratique, Paris, Minuit, 1981, p. 166.

6 A. Horowitz, On looking. Eleven walks with expert eyes, Scribner, New York, 2013 (traduction française de M.-F. Desjeux, Le monde est magique ! Onze balades insolites pour changer de regard sur ce qui vous entoure, Paris, Flammarion, 2014).

7 A. Horowitz, « Will the e-book kill the footnote ? », The New York Times, 7 octobre 2011.

8 Voir par exemple M. McLuhan & Q. Fiore, The medium is the message. An inventory of effects, New York, Bantam Books, 1967 ; McLuhan avec W. Watson, From cliché to archetype, New York, Viking, 1970. Dans le premier, certaines pages sont notamment écrites en miroir ; dans le second, tous les chapitres sont mis en ordre alphabétique (l’introduction arrive donc au milieu de l’ouvrage, à la lettre « i »).

9 G. Gallup, « Chimpanzees : Self-recognition », Science, vol. 167, 1970, p. 86-87. Sur l’histoire de ce test de Gallup, voir K. Guenther, « Monkeys, mirrors, and me : Gordon Gallup and the study of self-recognition », Journal of the history of the behavioral sciences, vol. 53, n° 1, 2017, p. 5-27 (cet article n’entre néanmoins que fort peu dans la « préhistoire » de ce test).

10 F. de Waal et al., « The monkey in the mirror : Hardly a stranger », PNAS, vol. 102, 2005, p. 11140-11147 ; A. Rajala et al., « Rhesus monkeys (Macaca mulatta) do recognize themselves in the mirror : Implications for the evolution of self-recognition », PlosOne, vol. 5, accès électronique, 2010.

11 Voir, par exemple, H. Keller et al., « Parenting styles and the development of the categorical self : A longitudinal study on mirror self-recognition in Cameroonian Nso and German families », International Journal of Behavioral Develoment, vol. 29, n°6, 2005, p. 496-504.

12 J. Lethmate & G. Dücker, « Untersuchungen zum Selbsterkennen im Spiegel bei Orang-Utans und einigen anderen Affenarten », Zeitschrift für Tierpsychologie, vol. 33, n° 3-4, 1973, p. 248-269.

13 G. Westergaard & C. Hyatt, « The responses of bonobos (Pan paniscus) to their mirror images : evidence of selfrecognition », Human evolution, vol. 9, n° 4, 1994, p. 273-279.

14 S. Posada & M. Colell, « Another gorilla (Gorilla gorilla gorilla) recognizes himself in a mirror », American journal of primatology, vol. 69, n° 5, p. 576-583.

15 D. Reiss & L. Marino, « Mirror self-recognition in the bottlenose dolphin : A case of cognitive convergence », PNAS, vol. 98, n°10, 2001, p. 5937-5942.

16 J. Plotnik, F. de Waal & D. Reiss, « Self-recognition in an Asian elephant », PNAS, vol. 103, n°45, 2006, p. 17053-17057 ; H. Prior, A. Schwarz & O. Güntürkün, « Mirror-induced behavior in the magpie (Pica pica) : Evidence of self-recognition », Plos Biology, vol. 6, n° 8, accès internet, 2008.

17 Sur cette expérience de Darwin, voir J. van Wyhe & P. Kjærgaard, « Going the whole orang. Darwin, Wallace and the natural history of orangutans », Studies in history and philosophy of science (Part C), vol. 51, 2015, p. 53-63.

18 Voir l’annexe de W. Köhler, The mentality of apes, seconde édition augmentée, Londres, Kegan, 1925.

19 J. Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », dans Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 99-100. Sur l’usage de Köhler chez Lacan, voir M. Billig, « Lacan’s misuse of psychology : Evidence, rhetoric, and the mirror stage », Theory, culture, and society, vol. 23, n°4, 2006, p. 1-26.

20 G. W. Leibniz, Monadologie, §§29-30 (on trouvera une version de ce texte dans Leibniz, Discours de métaphysique, Monadologie et autres textes, Paris, Gallimard, 2004).

21 Il faudrait en fait interroger cette évidence également, car que fait-on lorsque lon utilise le pronom « je », se réfère-t-on vraiment à une personne ? Sur l’usage du pronom « je » comme une forme non personnelle, voir V. Descombes, Le parler de soi, Paris, Folio, 2014.

22 G. W. Leibniz, Les nouveaux essais, Paris, Flammarion, 1990 [1704], p. 106.

23 M. Bekoff, « Observations of scent-marking and discriminating self from others by a domestic dog (Canis familiaris). Tales of displaced yellow snow », Behavioural processes, vol. 55, n°2, 2001, p. 75-79.

24 Et en déterritorialisant les humains qui se prêtent à cette expérience dans le même geste. L’expérience symétrique de Horowitz a ceci d’intéressant qu’elle ne s’inscrit pas dans cette sorte de compétition pour les talents — c’est certain que nous ne ferons pas aussi bien que les chiens et là n’est pas l’enjeu — mais à la fois à honorer cette compétence chez eux et sa possibilité chez nous par une forme de création de proximité à rebours (d’habitude, nous demandons : est ce qu’ils sont capables de faire ce que nous sommes particulièrement capables de faire ?).

25 Ils ont notamment collaboré pour une étude sur l’utilisation de l’anthropomorphisme. Voir A. Horowitz & M. Bekoff, « Naturalizing anthropomorphism. Behavioral prompts to our humanizing of animals », Anthrozoos, vol. 20, n°1, 2007, p. 23-35.

26 K. Swartz, D. Sarauw & S. Evans, « Comparative aspects of mirror self-recognition in great apes », The mentalities of gorillas and orangutans, éd. Sue Parker, Robert Mitchell & Lyn Miles, p. 283-294, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.

27 K. Barad, « Diffracting-diffraction : Cutting together-apart », Parallax, vol. 20, n°3, 2014, p. 168-187.

28 G. Gallup, « The “olfactory mirror” and other recent attempts to demonstrate self-recognition in non-primate species », Behavoural processes, vol. 148, 2018, p. 16-19.

29 S. Voegelin, Sonic possible worlds. Hearing the continuum of sound, New York, Bloomsbury, 2014. Voir également mon commentaire dans T. De Meyer, « Salomé Voegelin, Sonic possible worlds », Lectures, accès internet, 2015.

30 A. Horowitz, « Smelling themselves », art. cit., p. 20.

31 Ibid., p. 23 : « among humans one's own odour may be ac- knowledged as emanating from oneself, it would not be considered identical with one's “self” ».

32 Sur le problème de Molyneux, voir M. Paterson, « Molyneux problem (language) », Encyclopedia of the Early Modern philosophy and the sciences, accès internet, 2020.

33 G. Gallup, « The “olfactory mirror” », art. cit., p. 16-17 : « If visually capable animals fail to recognize themselves in mirrors would it be possible for them to recognize themselves in other sensory domains ? Alternatively, if an organism can recognize itself in several different modalities does this mean it has an ensemble of separate sensory self-concepts (e.g., a visual self, olfactory self, auditory self)? ».

34 S. Platek, J. Thomson & G. Gallup, « Cross-modal self-recognition : The role of visual, auditory, and olfactory primes », Consciousness and cognition, vol. 13, n°1, 2004, p. 197-210.

35 Horowitz, art. cit., p. 23 : « the move from visual stimuli to olfactory stimuli has challenges that also change the nature the test ».

36 G. Berns, « Dogs are people, too », The New York Times, 5 octobre 2013.

37 V. Despret, « Enquêter auprès des morts », L’Homme, vol. 230, 2019, p. 5-26, voir en particulier p. 6-7.

Om dit artikel te citeren:

Thibault De Meyer, «Un miroir olfactif. Ou l’effet Molyneux en éthologie», Bulletin d'Analyse Phénoménologique [En ligne], Volume 21 (2025), Numéro 5 : Perception amodale, intersensorialité, synesthésie (Actes n°15), URL : https://popups.ulg.be/1782-2041/index.php?id=1620.

Over : Thibault De Meyer

Université de Namur

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