depuis le 05 février 2011 :
Visualisation(s): 2705 (12 ULiège)
Téléchargement(s): 617 (5 ULiège)
print        
Grégori Jean

Habitude, effort et résistance : Une lecture du concept henryen de passivité

(Volume 8 (2012) — Numéro 1: Le problème de la passivité (Actes n°5))
Article
Open Access

Document(s) associé(s)

Annexes


1S’il va de soi que le projet de dégager différentes figures du concept de passivité dans la tradition phénoménologique se doit de rencontrer, à un moment ou à un autre, la pensée de M. Henry, il est beaucoup moins certain que la genèse de ce concept dans la philosophie henryenne puisse être retracée au fil directeur de son rapport explicite à une telle tradition. Notre conviction — et ainsi notre hypothèse de lecture — est en effet que c’est bien plutôt en se confrontant à un tout autre courant de pensée, avec laquelle la phénoménologie n’entretient apparemment que peu de rapports — bien plus, si l’on s’en tient à la phénoménologie française et à sa réception « agres­sive » de Bergson, avec laquelle elle a explicitement tenu à n’entretenir que peu de rapports — et qui n’est autre que celui du « spiritualisme français ».

2Comme l’on sait, si l’on excepte son mémoire de fin d’étude sur Spinoza, c’est en effet avec un livre sur Maine de Biran que M. Henry inaugure sa carrière philosophique. On sait également que ce livre — Philo­sophie et phénoménologie du corps. Essai sur l’ontologie biranienne — qui servit à Henry de thèse complémentaire, fut, bien que publié après, rédigé avant L’essence de la manifestation — et bien avant, puisque sa rédaction s’achève en 1949, plus de dix ans par conséquent avant sa soutenance. Sans doute le parcours ultérieur de M. Henry semble-t-il nous enjoindre à y voir malgré tout un livre de phénoménologie, dans lequel Henry lirait Maine de Biran avec les yeux du phénoménologue qu’il est déjà. Ligne interprétative apparemment justifiée par le fait que, comme il le déclare lui-même, ce livre devait constituer le premier chapitre, par là même introductif, de cette « ontologie phénoménologique » qu’est L’essence de la manifestation — tout se passant comme si ces deux textes constituaient deux pans d’un même chantier intellectuel.1 Mais outre la difficulté à considérer qu’un livre puisse à proprement parler en introduire un autre écrit, après un colossal travail préparatoire, dix ans plus tard, force est de constater que les liens que ces deux textes entretiennent sont beaucoup plus complexes que celui d’une introduction à la pensée qu’elle introduit. Bien plutôt — mais il faudrait le montrer en détail — Philosophie et phénoménologie du corps constitue-t-il comme l’envers de l’ensemble de L’essence de la manifesta­tion, envers qui pourrait bien constituer son endroit, c’est-à-dire son fonde­ment, un fondement que L’essence se serait évertuée à traduire et à transposer dans le cadre d’une problématique et d’une conceptualité cette fois proprement phénoménologique. Et il suffit à vrai dire de parcourir Philosophie et phéno­ménologie du corps pour se convaincre que Henry n’y maîtrise encore clairement ni la conceptualité phénoménologique ni le sens plein de ses problématiques fondatrices. Plutôt que d’estimer qu’il y lit Maine de Biran « en phénoménologue », il nous paraît donc philologique­ment plus juste de considérer qu’il ne découvrira la phénoménologie — ou du moins qu’il ne s’engagera dans un débat authentique avec des textes phénoménologiques qu’il avait bien sûr, du moins pour certains d’entre eux, déjà lus — qu’avec les yeux du « biranien » ou du pseudo-biranien qu’il était déjà.

3Dès lors, si l’on s’accorde pour situer Maine de Biran au fondement d’une tradition qui, via Cousin, Ravaisson, Lachelier, Paul Janet et d’autres jusqu’à Bergson, allait constituer le spiritualisme français, on percevra l’ambiguïté d’un certain nombre de critiques adressées à M. Henry : qu’il s’agisse par exemple de L. Tengelyi qui, dans un article de 2006, déclarait que « la phénoménologie matérielle comporte le risque — risque au moins pour la phénoménologie — de dire “chair” pour désigner le corps vivant, mais de n’entendre par ce mot en réalité que l’esprit »2 ou, fait plus étrange pour l’auteur d’une remarquable « généalogie du spiritualisme français », des critiques bien connues de D. Janicaud, on ne peut pas ne pas être tenté de déceler dans le reproche de spiritualiser la phénoménologie une possible inversion de perspective : s’il fallait vraiment trouver une formule de ce type, peut-être est-ce davantage l’hypothèse d’une « phénoménologisation » du spiritualisme qu’il s’agirait d’envisager.

4Soit, pour commencer, la définition que donne Ravaisson dans un passage faussement prophétique de son fameux « rapport » de 1867 sur La philosophie en France au XIXe siècle :

À bien des signes, il est […] permis de prévoir comme peu éloignée une époque philosophique dont le caractère général serait la prédominance de ce qu’on pourrait appeler un réalisme ou positivisme spiritualiste, ayant pour principe générateur la conscience que l’esprit prend en lui-même d’une existence dont il reconnaît que toute autre existence dérive et dépend, et qui n’est autre que son action.3

5On le voit, il ne s’agit pas seulement pour le « spiritualisme » de reconnaître une hétérogénéité de l’esprit et de la nature, ni même la transcendance ou la supériorité du premier sur la seconde, mais 1/ de faire de l’esprit un principe, entendu non comme une fonction logique, idéale ou formelle, à la manière du kantisme ou d’un certain néo-kantisme, mais comme une existence réelle — d’où le terme de « réalisme » ou de « positivisme » spiritualiste, duquel Bergson acceptera lui-même de se revendiquer4 ; et 2/ de reconnaître à ce « principe existant » une efficience rompant avec toute inertie d’une « substance », et se confondant finalement avec sa puissance d’engendrement ou, comme le dit Ravaisson, son « action ».

6Or, on ne peut à première vue qu’être frappé par la proximité entre le projet spiritualiste tel qu’il se formule ici et un certain nombre d’intuitions fondatrices de la pensée henryenne : réaliser le principe en effet, faire du « principe générateur » une existence réelle — et non abstraite ou idéale —, une existence telle qu’elle se manifeste, dans sa réalité même, à la conscience, et telle qu’elle constitue la réalité même de tout ce qui pourra être nommé « réel », n’est-ce pas tout autant l’objectif de la phénoménologie henryenne que celui — dans leur commune manière notamment d’hériter d’un cartésianisme dont le propre, après tout, aura bien été de « réaliser » le principe « logique » de l’identité, en en faisant l’identité vécue à soi d’un existant5 — que du spiritualisme de Ravaisson ? Pour le moment, ces questions doivent rester en suspens — et elles le resteront tant que n’aura pas été précisé et discuté l’aspect de cette définition qui, au contraire, semble induire entre l’une et l’autre démarche philosophique une distance irréductible : car si Ravaisson — dans une thèse directrice qui traverse l’ensemble du spiritualisme français — conçoit cette « existence » comme une action ou, selon une autre formule couramment employée, une activité pure, c’est au contraire au prisme d’une pure passivité que la phénoménologie henryenne entend l’appréhender.

1. Position henryenne du problème de l’habitude : le renversement du spiritualisme

7Afin de poser correctement le problème de cet antagonisme — qui, nous allons le voir, ne va nullement de soi — renouons d’abord avec le fil de notre développement, et avec l’évaluation de ces deux démarches au fil de la lecture qu’elles proposent de leur ancêtre commun : Maine de Biran. Car c’est justement de n’être pas parvenu à cette théorie de l’esprit comme instance réelle porteuse d’une pure activité, autrement dit, c’est de n’avoir pas vu, sous une passivité résiduelle, la présence larvée de cette activité spirituelle, que reprochait déjà Ravaisson à Maine de Biran en 1838 dans De l’habitude — le « spiritualisme » naissant, du moins en partie, de cette mise en question de ce qui, dans la lignée des « idéologues », subsistait de « passivité », au sens cartésien du terme, dans le biranisme. Et rien ne témoigne justement mieux de cette opposition de Ravaisson à Maine de Biran — opposition dont, une fois encore, les enjeux dépassent largement le cadre d’une interprétation du biranisme — que la manière dont tous deux abordent la question de l’habitude.

8En effet, c’est de manière intrinsèque qu’elle se trouve liée à celle de la duplicité, voire de l’opposition, de la passivité et de l’activité — et d’abord parce qu’elle produit des effets inverses selon qu’elle s’applique à la dimension active ou passive de la vie subjective. Comme le résume Ravaisson — à la suite de Biran, mais aussi de Destutt de Tracy, Dugald Stewart, Butler, Bichat, Schrader (« La plupart des auteurs qui ont traité de l’habitude ont aperçu cette loi »6) : « La continuité ou la répétition de la passion l’affaiblit ; la continuité ou la répétition de l’action l’exalte et la fortifie.7 » Et c’est ce qu’écrivait déjà Maine de Biran dans son mémoire sur l’Influence de l’habitude sur la faculté de penser :

La sensation continuée ou répétée se flétrit, s’obscurcit graduellement sans laisser après elle aucune trace. [En revanche] le mouvement répété devient toujours plus précis, plus prompt et plus facile.8

9D’où, en effet, la structuration du Mémoire biranien en deux parties — Habi­tudes passives, Habitudes actives —, mais également la fonction épistémo­logique et heuristique que l’habitude, en raison de la diversité de ses effets selon les « facultés » sur lesquelles elle s’applique, se trouve de fait acquérir : « L’influence de l’habitude est une épreuve certaine à laquelle nous pouvons soumettre ces facultés, pour reconnaître l’identité ou la diversité de leur origine…9 » Bref, la faculté ou plus généralement la dimension de la vie subjective dans laquelle l’habitude introduit ou produit un affaiblissement sera dite « passive », et au contraire « active » celle que l’habitude renforce­ra. Or c’est justement cette dissociation que les « spiritualistes » refuseront au Maine de Biran du Mémoire sur l’habitude — ou plus précisément est-ce la volonté d’en tirer une duplicité ontologique rigide incompatible avec la reconduction spiritualiste de la « nature » à l’esprit qui l’engendre. Ainsi de la mise en question, chez Lachelier, de cette opposition même :

L’opposition du passif et de l’actif n’a pas ici de valeur absolue ; ces expressions répondent même imparfaitement à la distinction qu’a voulu marquer Maine de Biran. Les habitudes qu’il appelle passives sont actives à leur manière, mais d’une activité purement vitale.10

10Ainsi, si c’est ce que soulignait déjà Ravaisson lorsque, dans De l’habitude, il attribuait aux organes des sens « une sorte d’activité obscure »11 tranchant avec le statut purement passif accordé par Biran aux « impressions » sen­sibles, l’idée selon laquelle la passivité n’est que le plus bas degré de l’activité de l’esprit, celui où ce dernier, se faisant « vie », n’en devient pas pour autant inerte, constitue de manière générale l’une des thèses directrices du spiritualisme français et le nœud de son opposition au biranisme. Aussi, qu’ils en fissent une lecture exacte ou non, les tenants du « spiritualisme français » ne purent hériter de la pensée de Maine de Biran qu’en en proposant une critique qui, même si elle s’applique davantage aux premières qu’aux dernières œuvres, ne se démentira jamais, et que nous formulerons de la manière suivante : l’absence d’une théorie ontologique de l’esprit comme « activité », fût-elle obscure ou larvée, condamne Maine de Biran à maintenir une duplicité activité/passivité redoublant finalement le dualisme cartésien de l’âme et du corps et qui, rejouant la problématique des Passions de l’âme, le rend aveugle à cette proto-activité qui habite les couches les plus passives de la vie subjective.

11Or, et tel est le premier point auquel il nous faut être attentifs, c’est l’objection absolument inverse que semble d’abord formuler Michel Henry à l’encontre de Maine de Biran :

Maine de Biran, après avoir identifié l’ego et l’effort, se trouve totalement démuni lorsqu’il s’agit pour lui de rendre compte de la vie affective, de l’imagination et de la sensibilité. Il se borne alors à emprunter à d’autres philosophies des conceptions qui semblent faire partie intégrante du bira­nisme, mais qui ne font, en réalité, que masquer sa lacune essentielle : l’ab­sence de toute théorie de la vie affective, imaginaire et sensible, c’est-à-dire l’absence de toute théorie ontologique de la passivité.12

12Plus loin, après avoir de nouveau souligné combien « la limitation de l’ego cogito au sujet qui fait effort a profondément faussé la signification ontologique du biranisme »13, c’est encore cette « solidarité étroite qui existe entre la limitation du cogito à l’activité et l’absence de toute interprétation satisfaisante du phénomène de la passivité » qui se trouve affirmée.14 Formellement, la critique henryenne de Maine de Biran semble donc bien constituer le contrepoint exact de sa critique spiritualiste : cécité à l’activité d’un côté, à la passivité de l’autre.

13Le sens toutefois d’une telle critique — et d’une telle divergence avec la tradition spiritualiste naissante — doit être clairement circonscrit. Car ce reproche adressé par Henry à Maine de Biran se formule en deux temps, dont le premier — mais, telle est la difficulté, le premier seulement — rejoint finalement sa critique par Lachelier ou Ravaisson. Ou pour le dire autrement, l’ « absence de toute théorie ontologique de la passivité » signifie deux choses opposées, qui rapprochent d’abord Henry du spiritualisme avant de l’en éloigner d’autant plus radicalement :

141/ Négativement, ce reproche signifie d’abord pour Henry que Maine de Biran est « resté dupe » d’un dualisme « de type cartésien »15, opposant certes au sensualisme de Condillac une activité « hyperorganique », mais le conservant toutefois lorsque ce même esprit se trouve passivement affecté par une vie « organique » en elle-même « étrangère au moi ».16 Contre l’esprit même de sa doctrine, il aurait ainsi confondu le phénomène de la passivité vécue avec l’effet d’une action ontique affectant l’esprit de l’extérieur, bref, aurait expliqué au lieu de décrire :

Sans doute, dire que l’ego est passif, c’est dire qu’il se trouve en présence d’une réalité radicalement différente, d’un être étranger dont il fait précisé­ment l’expérience. Autre chose pourtant est de décrire phénoménologique­ment cette expérience telle qu’elle est vécue par l’ego au sein du rapport transcendantal de l’être-au-monde, autre chose de prétendre expliquer l’Erleb­nis comme l’effet d’un processus de causalité en troisième personne agissant sur la conscience et en quelque sorte par derrière elle.17

15Positivement dès lors, une telle critique conduit Henry à replacer la passivité dans l’intériorité même de la subjectivité, et à déceler, derrière ce qu’il diagnostique d’ « embarras », ou d’ « incertitude », dans les analyses que l’Essai consacre par exemple au « sentir », ce que le spiritualisme français reprochera bon gré mal gré à Biran d’avoir méconnu — le caractère actif de la vie passive :

Disons […] que la vie passive n’est pas privée d’intentionnalité, que cette dernière n’est pas réservée aux modes proprement actifs du vouloir et de l’effort, mais qu’elle intervient aussi, comme synthèse passive, dans les déterminations de la vie de l’ego décrites comme affectivité, sensibilité, imagination, etc.18

[En ce sens] il n’y a pas de différence ontologique essentielle : activité et passivité sont bien plutôt deux modalités différentes d’un seul et même pouvoir fondamental qui n’est rien d’autre que l’être originaire du corps subjectif.19

16Or, comment ne pas percevoir dans une telle remarque, ou plutôt comment ne pas lire dans une telle conclusion une exacte réplique de celle que Ravaisson ou Lachelier tiraient de l’analyse de l’habitude biranienne ?

172/ Seulement, et tel est l’important, si la critique du biranisme aboutit bien à la reconnaissance d’une vie intérieure indifférente à l’opposition de l’activité et de la passivité — c’est justement pour autant que passivité et activité sont entendues dans le cadre d’un dualisme ontique dont il s’agit de s’émanciper. Dès lors qu’il ne s’agit plus de distinguer par leur moyen deux « régimes » de la subjectivité, mais de déterminer l’être même de cette vie intérieure, le propre de son unité et de l’unité de ses modes, ces concepts, et leur opposition, acquièrent de nouveau une portée essentielle — la problème devenant en effet celui-ci : l’unité de la passivité et de l’activité est-elle elle-même « active » ou « passive » ? Une note préparatoire à Phénoménologie et philosophie du corps accrédite clairement un tel déplacement :

Distinguer la passivité qui s’oppose à l’activité (activité de Biran par exemple) et la passivité ontologique originaire (auto-connaissance de la subjectivité). […] La première passivité (celle qui s’oppose à l’activité) n’a qu’un sens existentiel, mais elle a même statut ontologique que l’activité et ce statut c’est la passivité ontologique originaire.20

18Mais la question n’en devient bien sûr que plus pressante : quel est le sens de cette passivité ontologique originaire que Maine de Biran, et a fortiori le spiritualisme français qui, se limitant au concept dérivé de passivité, tentera d’y réinjecter une activité latente dont il fera l’essence de l’Esprit, auraient méconnu — et, surtout, quelle première attestation Henry en fournit-il dans Philosophie et phénoménologie du corps, attestation qui s’avèrera détermi­nante là même où elle se trouvera ressaisie des années plus tard dans un cadre « phénoménologique » ? À ces questions, un passage de Philosophie et phénoménologie du corps répond de façon à la fois synthétique et mysté­rieuse :

La racine commune de notre agir et de notre sentir est un pouvoir plus profond, qui les fonde l’un et l’autre, c’est l’habitude sur laquelle s’appuie l’unité de notre vie corporelle à travers toutes les modalités par lesquelles celle-ci se déploie, c’est l’être originaire du corps, enfin, c’est-à-dire l’ego. Ce qu’est, d’une façon plus précise, cette racine commune, seule une théorie de la passivité ontologique originaire nous permettrait de le comprendre. Mais ce que nous pouvons comprendre dès à présent, c’est la nécessité de l’existence d’un principe qui fonde l’unité de notre vie corporelle, unité dont cette vie est l’expérience même.21

Nous appelons habitude l’être réel et concret de la possibilité ontologique et nous exprimons aussi bien l’idée que le corps est un pouvoir en disant qu’il est une habitude, l’ensemble de nos habitudes.22

19De telles déclarations nous permettent dès lors de tracer différentes directions de travail. En premier lieu, force est de constater que si, comme nous allons le montrer, cette théorie de l’habitude constitue probablement le trait le plus intéressant — mais aussi le plus fondamental parce que fondateur pour son propre cheminement intellectuel — de la lecture henryenne de Maine de Biran, il n’en reste pas moins qu’il concentre également la plus grande violence interprétative. Henry, du reste, semble en être conscient : « nous appelons habitude… », écrit-il, « nous », c’est-à-dire « lui », non pas Maine de Biran, et cela pour une raison de principe dont le sens s’éclairera facilement pour autant que nous nous remémorions nos développements précédents. Si le spiritualisme — et d’abord Maine de Biran — pose expli­citement, et de manière centrale, le problème de l’habitude, c’est bien, nous l’avons vu, comme celui de l’effet d’une répétition « dans » le temps d’un acte ou d’une impression. Or si, alors même qu’il confère à l’habitude un rôle déterminant dans sa lecture du biranisme, Henry non seulement n’évoque jamais cette problématique, mais bien plus, ne se réfère à aucun moment au mémoire sur L’influence de l’habitude sur la faculté de penser, c’est justement parce qu’il entend donner à l’habitude une tout autre signification : celle d’être un habitus, entendu comme possibilité d’agir et cause efficiente d’un certain type d’action, dont il s’agira d’interroger le mode d’être sans jamais le référer ni à celui des actes qui, génétiquement, ont pu, par leur répétition successive, lui donner naissance, ni à celui des actes qui, effectuant cette possibilité, se trouveraient chargés de la « réaliser ». Pour le dire autrement, le trait le plus frappant de la théorie henryenne de l’habitude est d’interroger le mode d’être de la possibilité d’agir pour lui-même en en faisant le corrélat d’une expérience pleine et entière, en gommant toute référence à l’actualité des actes ayant présidé à sa genèse ou étant rendus possibles par sa constitution — en gommant par conséquent toute référence à l’activité. Et ici réside finalement l’équivocité de la lecture henryenne de Biran. Si Henry, en effet, fait de l’habitude le fondement de « l’unité de notre vie corporelle à travers toutes les modalités par lesquelles celle-ci se déploie », autrement dit l’assimile à « l’être originaire du corps », et finalement à « l’ego lui-même », force est de constater que non seulement cette thèse n’est pas biranienne, mais qu’elle constitue même la thèse opposée à celle de Biran — pour lequel l’ego s’assimile au contraire à l’action effective, à l’effort en train de se déployer, effort ou activité en acte que vient précisément gommer ou neutraliser l’habitude dès lors que, comme « habitude active », elle se trouve pensée à partir d’eux et comme leur répétition successive. Dire de l’habitude qu’elle est « l’être réel et concret de la possibilité ontologique », c’est donc, sous l’aspect d’une simple définition, opérer une série de passages à la limite : en reconduisant le concept méta­physique du « possible » à celui de la « possibilité » d’agir, en inscrivant ainsi le possible dans la réalité même du corps vécu, en conférant à la possibilité une réalité pleine et première se livrant dans l’expérience de l’habitus comme « je peux », une réalité ne devant rien — et ne se confondant donc pas avec — la moindre « actualité » d’un « acte » effectivement accompli, Henry propose finalement de définir l’ego par autre chose que l’actualité, par une possibilité qui la précède et entretient avec elle un rapport de fondation tout autre que celui, classique, du possible au réel. Des facultés kantiennes aux pouvoirs henryens, c’est donc bien de conditions transcendantales de la connaissance qu’il s’agit, à ceci près qu’en tant qu’ensemble de « pouvoirs corporels », et pour non-actuel qu’il soit, l’a priori henryen n’en est pas moins et « réel » et le lieu d’une authentique expérience transcendantale — ou, dans la terminologie qu’il choisit ici, « ontologique » — celle, justement, du pouvoir en tant que pouvoir :

Notre corps n’est pas exactement une connaissance, il est plutôt un pouvoir de connaissance.23

[La] connaissance […] n’est pas le fait d’un acte isolé, mais de la subjectivité elle-même, c’est-à-dire d’un pouvoir, ou si l’on préfère, [elle n’est pas] une connaissance empirique mais une connaissance ontologique.24

20De même donc que la tradition spiritualiste se caractérisait, nous l’avons vu, par la volonté de conférer une réalité à l’esprit comme action ou « pure activité », de même la possibilité, entendue comme le cadre a priori régissant une série d’actes, n’est-elle pour Henry rien d’idéal et n’est surtout en attente d’aucune réalité qui viendrait la « remplir » ou l’effectuer ; bien plutôt est-elle la réalité elle-même comme fondement de toute ontologie concevable, et ceci en tant qu’elle n’est rien d’autre que le mode d’être du corps — ce corps qui, dès lors, ne se définit qu’en tant qu’il est le support ou le lieu de cette « possibilité réelle » :

L’être de la connaissance ontologique a été identifié par Maine de Biran avec celui de l’ego, mais l’ego, c’est le corps. Voilà pourquoi la connaissance ontologique n’est pas une possibilité vide, pourquoi son existence n’est pas une existence virtuelle […], pourquoi […] elle est un être réel, parce qu’elle est l’être même de notre corps…25

21Mais n’est-ce pas dire, dès lors, que le but de la lecture henryenne de Biran n’est autre que de changer radicalement le sens — la « polarité » — de son « fait primitif » ? C’est ce dont la mise en lumière nous permettra en effet non seulement de lever les ambiguïtés — ou de les accentuer, mais en connaissance de cause — de l’interprétation proposée par M. Henry, mais aussi de nous acheminer vers une détermination rigoureuse de son concept de « passivité ontologique originaire ».

2. Effort et passivité : le problème de la résistance

22Il est vrai, en premier lieu, que Henry semble clairement hésiter entre deux lectures du « fait primitif » biranien, dont l’ensemble des lectures critiques proposées par les spécialistes de Maine de Biran revient à souligner l’incompatibilité : d’une part, Henry reconnaît bien sa dualité irréductible — il n’y pas l’effort puis la résistance, comme deux termes qui, si intrinsèque­ment liés qu’ils soient, seraient cependant extérieurs à leur relation, mais un seul « fait », précisément « primitif », celui de cette corrélation elle-même, dont les termes ne peuvent être isolés que par abstraction26. Mais d’autre part, c’est pourtant un primat de l’auto-révélation de l’effort, de l’expérience interne transcendantale du mouvement indépendamment de son terme qu’affirme Henry, et qu’il affirme comme circonscrivant le lieu de l’imma­nence de l’ego à lui-même, autrement dit de l’être même de la subjectivité. Or comment concilier en même temps l’irréductibilité d’une relation en tant que relation et l’idée que l’un de ses termes se fonde dans l’autre qui, en lui-même non-fondé, n’a pas besoin de cette relation pour se manifester dans son être ? Entre ces deux manières de concevoir le rapport de l’effort et de la résistance, il faudrait donc choisir — choisir d’être biranien dans un cas, henryen de l’autre, en soulignant en tout cas l’incompatibilité de ces deux options.27

23De telles critiques, aussi fondées soient-elle du point de vue du biranisme, nous semblent toutefois problématiques ; plus précisément, elles nous semblent justes dans ce qu’elles nient — que la dualité primitive de Biran puisse se résorber dans l’unité de son terme inférieur en tant qu’il fonderait l’autre et en serait indépendant — mais tort dans ce qu’elles affirment — que Michel Henry aurait fait de la saisie de l’effort pour lui-même, dans son primat et son indépendance à l’égard de la résistance, l’être de la subjectivité. Car contre cette dernière proposition, et sur le fondement de nos développements précédents, il nous faut bien reconnaître que, selon Michel Henry, l’être de la subjectivité ne réside absolument pas dans l’effort. Qu’il s’éloigne par là même de Biran, c’est un fait, et en ce sens, les critiques que nous venons de rappeler nous semblent tout à fait justifiées — et d’autant plus justifiées que l’un des objectifs explicites du livre est de montrer qu’il est nécessaire de s’en éloigner ; mais s’il s’en éloigne, ce n’est nullement en dressant la figure d’une subjectivité dont l’être s’épuiserait dans l’auto-aperception immédiate d’un effort saisi indépendamment de toute résistance, puisque c’est précisément le contraire — contre Maine de Biran en effet, mais aussi contre la tradition qui s’en voudra l’héritière — qu’il entend montrer, au prix d’une position tout autre du problème de la résistance, en tant qu’elle se confond justement avec une passivité déterminée ontologique­ment.

24Pour le montrer, et à vrai dire poser correctement le problème, repartons d’abord d’un texte synthétique où Henry formule le problème de la « duplicité » du fait primitif :

La désignation de l’être de l’ego comme identique à celui de la subjectivité signifie […] que, pour Maine de Biran, le moi n’est pas un étant. Parce que le moi n’est pas un étant, l’opposition du moi et du non-moi ne peut se définir, elle non plus, en termes ontiques. Car une opposition s’institue nécessaire­ment entre des éléments homogènes. Comme le moi, le non-moi doit avoir, en tant que tel, une signification ontologique. L’interprétation traditionnelle de l’opposition biranienne du moi et du non-moi comme étant celle de l’effort et du réel qui lui résiste, est irrecevable. Car l’effort est encore quelque chose et, pareillement, le réel auquel il se mesure. C’est l’être de l’effort, son mode originaire de présence à lui-même qui constitue l’ipséité du moi, c’est le mode de manifestation du continu résistant, son extériorité, qui lui permet de se donner d’ores et déjà, antérieurement à sa résistance et indépendamment d’elle, comme autre, comme cela même qui est l’autre. L’opposition du moi et du non-moi est une opposition entre l’être de l’effort et l’être du monde, c’est une opposition ontologique.28

25De ce texte, il s’agira d’abord de retenir une série de thèses :

261/ l’objectif henryen est de déplacer l’analyse biranienne du couple effort/résistance d’un plan ontique — ou l’un et l’autre, et leur relation, appartiendraient au règne de l’étant — à un plan ontologique, c’est-à-dire pour Henry au plan d’une analytique des types d’apparaître dans leur diffé­rence à l’égard de ce dont, ontiquement, ils rendent l’apparaître possible. Que l’on accepte ou non ce geste — qu’on considère ou non que le geste biranien lui-même demeure un geste « ontique » — reste qu’un tel préalable à la position phénoménologique du problème de la résistance n’a rien de particulièrement subversif. Et c’est par exemple la manière dont, négative­ment certes, Heidegger lui-même s’en saisit dans Être et temps, dans un paragraphe consacré à une critique de Dilthey et de Scheler, mais qui, mutatis mutandis, vaudrait aussi pour Maine de Biran : « L’expérience de la résistance […] n’est ontologiquement possible que sur la base de l’ouverture du monde. […] La résistance caractérise le “monde extérieur” au sens de l’étant intramondain, mais jamais au sens de monde. »29 Or c’est également ce qu’écrit Henry : « L’effort est encore quelque chose et, pareillement, le réel auquel il se mesure ». Parce qu’ils sont « quelque chose » — des « étants » — ils ne peuvent être considérés comme le point de départ de la probléma­tique ontologique, laquelle suppose une interrogation explicite sur ce qui ouvre le champ de l’apparaître où de tels termes ainsi que leur relation pourront se manifester, de manière dérivée, sur un mode ontique — « dérivation » dont, du reste, Henry esquisse la théorie dans le chapitre consacré à l’union de l’âme et du corps. Il ne s’agit donc pas de refuser la dualité du rapport effort/continu résistant, mais de la muer en dualité de ou dans l’apparaître lui-même, autrement dit en dualité de l’ « être de l’effort » — entendu comme « être du moi » — et de « l’être du monde ». Bref, non pas de gommer la duplicité du fait primitif, mais de substituer à sa lecture ontique sa lecture ontologique.

272/ Mais précisément — et telle serait à cet égard l’inflexion de Henry par rapport à la perspective heideggérienne — cette distinction entre l’ontologique et l’ontique se traduit directement, dans Philosophie et phénoménologie du corps, en une distinction entre la possibilité ontologique, réelle en tant que possibilité et constituant l’être de la subjectivité, et l’acte effectif, l’effort actuel qu’elle rend possible comme l’un de ses modes, et qui se manifeste « ontiquement ». Et c’est justement la raison pour laquelle la question de la résistance est tout à fait secondaire : car ce à quoi le « continu résistant » résiste, avec les étants intramondains qui s’y découpent, ce n’est pas à l’être de l’effort entendu comme « possibilité ontologique », mais seulement à ce qui y puise sa possibilité et en dérive, à savoir « l’acte isolé », l’acte singulier — l’acte effectif expérimenté dans l’effort « au présent ».

28Ce point difficile mais essentiel, c’est celui qu’établira clairement et définitivement Henry dans la répétition proposée par Incarnation de l’analyse biranienne : si la « venue en soi de la vie » est ce qui fait du moi un « je peux », c’est-à-dire un pouvoir d’agir ou encore, dit souvent Henry, un « pouvoir de pouvoir », et si c’est par conséquent une telle « venue » qui rend possible le déploiement effectif et singulier d’une « action », le « monde » comme continu résistant n’est justement tel que comme le terme et le corrélat de telle ou telle effectuation, et non pas de cette « hyperpuissance » générale qui lui donne de s’exercer. Autre manière de dire que le « quelque chose » qui se donne au mouvement, le « continu résistant » lui-même, se donne bien au mouvement et non à la possibilité de mouvement — laquelle n’est ni un mouvement ni une action.30 Et Henry, conformément au texte biranien, l’écrit explicitement dans Incarnation : « le continu résistant » surgit « au moment où, dans l’effectuation du pouvoir qui le meut, il devient impossible à mouvoir »31 : dans l’effectuation du pouvoir, non dans le pouvoir lui-même, et justement « au moment où » il s’effectue, dans l’acte singulier de l’effort singulier, dans l’acte au présent. Mais précisément : si, comme corrélat effectif de l’effort effectif, le « monde » n’est qu’une donnée ontique — ne possédant en elle-même pas d’autre unité que celle d’une sommation d’efforts chaque fois singuliers — alors c’est dès lors selon Henry — dépassant en ce sens et la lettre et l’esprit du biranisme — de ce pouvoir en tant que pouvoir que le sens cette fois « ontologique » du monde doit être saisi. Or tel est le sens de l’exigence de saisir ontologiquement la duplicité de l’ego et du monde : si ce n’est qu’à titre de corrélat immanent d’un effort effectif que le « monde » peut se manifester comme un « continu résistant », et dans sa postériorité ontologique par rapport à l’effort, que dire du monde en tant qu’il se donne dans la sphère de la possibilité qui précède l’effort et le rend possible, tout comme elle rend possible la manifestation de son « terme » comme « continu résistant » ? C’est ce que, sans doute encore timidement, Philosophie et phénoménologie du corps tente d’approcher :

L’unité de notre corps […] est l’expérience immédiate de ce pouvoir onto­logique. […] C’est en elle et par elle qu’est constituée l’unité du monde, elle est elle-même l’unité transcendantale qui en est le fondement […], un seul et même pouvoir dont l’exercice ne se laisse pas réduire à la détermination de cet acte-ci, de ce mouvement-ci, à l’individuation d’une connaissance dont l’être serait voué à être emporté par le temps.32

29Or parce que ce « pouvoir ontologique », qui survole le temps et rend justement possible toute action et tout effort « au présent », est justement ce qui se présente antérieurement à tout acte effectif — antériorité que les développements sur l’habitude dans Philosophie et phénoménologie du corps finiront par tenter de se saisir dans les termes d’une mémoire ontologique marquant le toujours-déjà du rapport de la possibilité réelle et du monde qu’elle ouvre avant toute exploration ontique de sa résistance33 — alors c’est le monde lui-même, en tant qu’il n’est justement pas le corrélat d’une action effective mais, dans son unité, de ce pouvoir ontologique réel, qui se manifeste avec un tel sens d’antériorité, et comme le corrélat d’une telle « mémoire » :

C’est […] parce que l’être originaire du corps subjectif est l’être réel de la connaissance ontologique, c’est parce qu’il est une possibilité de connais­sance en général, un savoir du monde en son absence, qu’il est aussi, et pour cette raison, souvenir du monde, mémoire de ses formes, connaissance a priori de son être et de ses déterminations.34

30Voilà pourquoi Henry déplace radicalement les coordonnées conceptuelles de la problématique de l’effort ; et voilà pourquoi — quand bien même elles seraient davantage « biraniennes » — les critiques adressées à la lecture henryenne nous semblent l’expression d’une sorte de confusion architecto­nique : il s’y agit en effet de faire valoir contre Henry le caractère « dual » du fait primitif biranien, et l’impossibilité de séparer l’effort de la résistance — et ainsi de s’opposer à l’idée supposée henryenne d’une auto-saisie imma­nente de l’effort indépendamment de toute résistance, et définissant l’être même de la subjectivité. Mais à une telle critique, nos développements précédents permettent déjà de répondre : 1/ que cette assimilation de l’ego à l’effort — autonome ou non par rapport à une résistance du « monde » — est justement la thèse que critique le plus frontalement Henry chez Biran ; et 2/ que l’alternative ne saurait dès lors être pour lui de savoir si l’effort est ou non indépendant de la résistance qu’il rencontre, puisque cette problématique s’avère en elle-même dérivée par rapport à celle de la duplicité de l’être de l’effort et de l’être du monde en tant qu’il précède et diffère en nature de sa résistance.

31Reste toutefois qu’une question n’en continue pas moins de se poser : quand bien même le déplacement de l’analyse biranienne permet à Henry de neutraliser le caractère supposé originaire de la duplicité effort/résistance, faut-il considérer que sa fondation ontologique laisse inchangée la détermina­tion biranienne de sa dimension ontique ? Faut-il considérer qu’aussi éloig­née qu’il en soit ontologiquement, Henry reste « ontiquement » biranien ? Ou pour le dire autrement encore, si l’être de l’effort ne se confond pas avec l’effort, ce dernier, de son côté, continue-t-il à être qualifié comme effort indépendamment de son être, et en tant que, ontiquement, il rencontre la résistance d’un « monde » ne se confondant pas, lui non plus, avec son « être » ? Bref, l’effort possède-t-il dans le dispositif henryen une densité proprement ontologique, ou n’est-il qu’une détermination dérivée qu’il ne serait légitime de conserver qu’à ce titre ?

32À vrai dire, la force de Henry nous semble résider dans sa capacité à « ontologiser » le phénomène de l’effort — et par là même de la résistance — après avoir neutralisé leur interprétation ontique, « ontologisation » dont le fondement phénoménologique se confond précisément avec le sens lui-même ontologique conféré au concept de « passivité ». Car telle est finalement l’une des thèses centrales de la phénoménologie henryenne : l’être de l’ego —ce que L’essence de la manifestation nommera « la vie » — ne se confond nullement avec son effort ou son activité, mais au contraire avec une passivité ontologique originaire qui, comme passivité à l’égard de soi, est un s’auto-éprouver comme poids avant toute activité, poids qui, parce qu’il rive la subjectivité à elle-même, la met à la fois en possession de ses « pouvoirs » et la rend capable d’agir, et à la fois résiste intrinsèquement à cette action, précisément, « de tout son poids ». Ou pour le dire autrement, la vie est ce qui, pour Henry, originairement pèse sur la subjectivité avant même qu’elle agisse, en même temps que, parce qu’elle la rive à elle-même, elle en fait un « je peux » réel capable, contre son propre fondement, de déployer effectivement — et dès lors dans un effort immanent — l’ensemble de ses « pouvoirs ». À la question de savoir quel poids le sujet, pour autant qu’il agit, doit soulever, et soulever de telle manière que cette action puisse légitimement être nommée effort — une fois dit qu’il ne saurait être ni celui du monde qu’il ouvre ni celui, secondaire, des étants intramondains résistant ponctuellement à tel ou tel effort effectif ponctuel — la réponse n’est donc autre que celle-ci : son propre poids, ou plus exactement le poids de ce qui fait de lui un sujet, à savoir sa propre vie.

33Une telle détermination de la vie comme poids originaire, dont La barbarie posera qu’il « lui appartient par principe, n’étant pas un caractère empirique » mais résultant « de l’opération de la vie comme son effet, un effet transcendantal comme son opération »35 — traverse à vrai dire l’ensemble du corpus de la phénoménologie matérielle, pour autant qu’elle constitue, dans le dispositif henryen, l’essence même de l’affectivité comme « se souffrir soi-même ». Ainsi dans ce passage — parmi bien d’autres possibles — de L’essence de la manifestation :

L’essence de l’affectivité réside dans le souffrir et se trouve constituée par lui. Dans le souffrir le sentiment s’éprouve lui-même dans sa passivité absolue à l’égard de soi, dans son impuissance à se changer lui-même, il s’éprouve et fait l’expérience de soi comme irrémédiablement livré à soi pour être ce qu’il est, comme chargé à jamais du poids de son être propre.36

34Et de la même manière, Incarnation évoquera

cette passivité radicale qui appartient à toute modalité de la vie parce qu’elle appartient à la Vie elle-même, qui accable toute souffrance, tout désir, l’im­pression la plus humble, de son propre poids.37

35Mais le texte le plus explicite à cet égard — le plus à même à tout le moins de nous permettre de saisir le lien d’une telle détermination avec la problématique de Philosophie et phénoménologie du corps — reste le passage suivant de Voir l’invisible. Citant une déclaration de Kandinsky selon laquelle « La notion “poids” ne correspond pas à un poids matériel mais est l’expression d’une force intérieure [...] d’une tension intérieure », Henry ajoute :

Comment pourrais-je bien savoir en effet ce qu’est un poids indépendamment de l’expérience que j’en ai, de l’effort que je fais pour le soulever et de la peine inhérente à cet effort ? Ultimement le poids est le poids de la vie, c’est l’épreuve qu’elle fait d’elle-même, la façon dont, totalement passive à l’égard de ce qu’elle est chaque fois, incapable de se séparer de soi ni d’échapper à ce que son être a d’oppressant, elle le subit dans un subir plus fort que toute liberté et dans la souffrance de ce subir. C’est à ce « fardeau de l’existence » identique à l’essence de la subjectivité que renvoient des notions aussi simples et aussi courantes que celles de poids, de densité, de contrainte, de pesanteur ou à l’inverse de légèreté, d’ascension, de souplesse, de bonheur, de liberté.38

36À la lecture de ce texte, on comprend dès lors que si le concept de résistance, malgré la mise en question de sa version biranienne, demeure un concept henryen, le problème ne saurait être de savoir si elle se trouve ou non intrinsèquement liée et séparable de l’activité auquel elle résiste, puisque précisément, comme résistance de la vie elle-même en vertu de son propre poids, elle précède, et bien plus fonde toute possibilité d’action, et ainsi toute action effective possible. Et c’est très précisément ce qu’établira — cette fois sans équivoque possible — la relecture de Biran que proposera Incarnation :

Parce que l’action d’un pouvoir quelconque présuppose en lui celle du « je peux », alors c’est cette capacité originelle de pouvoir qui doit d’abord se mettre à l’œuvre à partir de soi, arc-boutée sur soi comme sur son propre sol, s’arracher à cette passivité radicale en laquelle elle est donnée dans l’auto-donation de la vie absolue : tout sentiment de l’action est en réalité, selon l’intuition inouïe de Maine de Biran, un sentiment d’effort39

37Sur le fondement de nos développements précédents, ce texte nous place donc face à une évidence déjà annoncée mais devant laquelle nous ne pouvons ni ne devons plus reculer : l’effort n’est pas effort « contre » mais bien « à partir de » — et c’est le poids ontologique de « ce à partir de quoi » il y a effort, et non la résistance de « ce sur quoi » il vient se heurter en tant que « pure spontanéité » — aucune résistance de ce type n’est ici mentionnée — qui définit justement l’effort comme effort — l’intensité de l’effort renvoyant au différentiel entre la passivité et l’activité qui s’y arrache ; de sorte que ce « à partir de quoi » il y a effort, ce à quoi l’effort s’arrache pour déployer sa propre activité est la sphère de la passivité ontologique originaire dans laquelle l’individu est donné à lui-même, dans ses « pouvoirs », dans ses « habitudes propres ». Dès lors, si « tout sentiment de l’action est en réalité, selon l’intuition inouïe de Maine de Biran, un sentiment d’effort… », il faut ajouter que c’est, aux yeux de Henry, pour une raison rigoureusement inverse à celle avancée par les textes biraniens : la résistance, qui fait de l’action un effort, n’est pas celle du réel auquel l’effort s’applique, mais celle de la passivité originaire à laquelle doit d’abord s’arracher l’activité avant même de se heurter à une quelconque résistance « extérieure ». Bref, ce qui résiste ici c’est la Vie elle-même, en raison de son mode propre de phénoménalisation — de ce mode de phénoménalité qu’elle est, avec lequel elle se confond et dans lequel elle s’épuise — et non le « monde » qu’elle « rencontrerait », fût-ce dans l’immanence.40

Conclusion

38Notre point de départ résidait dans la lecture henryenne du problème de la passivité dans l’œuvre de Maine de Biran, en tant qu’en elle nous semblait se cristalliser son rapport à la tradition dont il est bon gré mal gré — avant de l’être de la tradition phénoménologique — l’héritier : celle du spiritualisme français. Ce rapport semblait d’abord pouvoir se formuler simplement : là où le spiritualisme reprochait à Biran d’avoir trop insisté sur le phénomène de la passivité, au risque de ne plus percevoir dans la vie subjective l’activité larvée de l’Esprit, Henry lui reprochait au contraire de l’avoir méconnu et de s’être contenté d’assimiler l’ego à l’activité et à l’effort. Or c’est justement ce premier constat qu’il nous a fallu dépasser, pour autant que c’est le sens même de la passivité qui, dans un tel reproche, est en question. Tout comme les spiritualistes, Henry critique d’abord chez Biran son « dualisme cartésien », et la conception « externe » de la passivité qui en découle : tel est le sens, notamment, du geste consistant à faire valoir l’existence de « syn­thèses passives » manifestant l’activité du sujet au cœur même de sa vie dite « organique ». Seulement, il n’y a là qu’un trait inessentiel — et finalement, nous l’avons vu, ambigu — de cette critique. Car la passivité qu’a méconnue, selon Henry, Maine de Biran — et avec lui, malgré les critiques qu’il lui adresse, le spiritualisme français — n’est justement pas la passivité opposée à l’activité, mais cette passivité supérieure qui constitue l’unité même de l’opposition dérivée de l’actif et du passif — passivité supérieure auquel Henry donne le nom de « passivité ontologique originaire ». Or si l’opposi­tion de l’actif et du passif s’avère être, selon Philosophie et phénoménologie du corps, « dérivée », c’est en ce sens précis qu’elle ne vaut que du point de vue d’occurrences singulières de la vie subjective, qu’il s’agisse d’interpréter tel ou tel vécu « passif » ou de saisir sur le vif l’effort accompagnant tel ou tel acte. Mais l’être du corps, et aussi bien de la subjectivité elle-même, ne saurait être conçu en acte, et c’est tout le sens de la théorie henryenne — dont nous avons montré à quel point elle s’éloigne du traitement que lui réserve Maine de Biran — de l’habitude : l’être du sujet n’est pas l’action mais la possibilité d’agir, et c’est cette possibilité qui, constituant le sens plein et premier de la réalité, doit être conçue comme la sphère de cette « passivité ontologique originaire ». Dès lors est-ce une nouvelle interpréta­tion de l’effort qui s’ouvre à nous : l’effort n’est pas tel parce qu’il ren­contrerait, à son terme, une résistance, mais bien parce qu’il est arrachement à un poids ontologique qui le précède et le rend impossible dans le mouve­ment même de sa paradoxale « possibilisation ». À cet égard, nous conclurons notre propos par une double remarque. La première concerne le statut du « monde » dans la phénoménologie henryenne. Nous l’avons vu, la « possibilité ontologique » qui fait de la subjectivité une subjectivité réelle, n’est la possibilité qu’elle est qu’en tant que donnée à elle-même dans le poids ontologique originaire de l’existence, auxquels les pouvoirs doivent, dans l’effort, s’arracher pour passer dans l’effectivité. Seulement, nous l’avons également indiqué, c’est le « monde » lui-même qui, en tant qu’il ne se confond pas avec les étants intramondains qui résistent secondairement à l’action, et à vrai dire avant même l’ouverture de son extériorité, se trouve « tenu » par la vie elle-même dans la sphère de sa passivité ontologique originaire, dans son antécédence à l’égard de toute action. Or si tel est bien le cas — pour l’établir définitivement, il s’agirait ici de prendre garde à l’usage que Henry propose dans Généalogie de la psychanalyse du concept nietzschéen d’imago comme saisie a priori, passive et affective du monde avant l’ouverture de l’extériorité elle-même — n’est-ce pas dire que pour la subjectivité, s’arracher à la vie pour agir est tout autant s’arracher au monde qu’elle retient dans son propre poids — s’arracher par conséquent à cette unité primitive de la vie et du monde que La barbarie nommera « corpspropriation », et que les analyses de Marx établissent déjà claire­ment ? Ainsi dans ce passage de Du communisme au capitalisme :

Cette co-appartenance originelle de l’individu vivant et de la Terre est essentiellement pratique, elle a son site dans la vie et repose en elle. La force avec laquelle l’Individu et la Terre cohèrent dans cette primitivité sans âge, c’est la force de la vie. Le travail vivant n’est que la mise en œuvre de cette force […], l’actualisation en lui du pouvoir par lequel la vie retient l’univers.41

39Mais si le « travail » n’est en effet que l’actualisation de cette corpspropria­tion, de ce monde-vie originairement passif, comment appréhender dès lors l’action effective, si ce n’est comme la rupture de ce lien par l’arrachement à sa cohésion — si ce n’est comme ce que le Marx nomme « abstraction » ? En ce sens, la fondation du monde dans la transcendance ne serait aucunement un « engendrement » ou une « genèse » — dont on pourrait reprocher à Henry de ne pas les avoir pensés dans leur possibilité propre — mais précisément, comme celle de l’économie et au même titre, une proto-séparation : le monde n’apparaîtrait comme tel que dans la séparation de cette unité passive Vie-Monde, et comme corrélat de la transcendance en tant qu’elle n’est elle-même rien d’autre que l’effort ou l’activité qui n’est ce qu’elle est que parce qu’elle s’y arrache — proto-séparation ontologique dont, enfin, la thèse même d’une « duplicité » de l’apparaître ne serait que l’expression, juste à cet égard mais en tant que telle dérivée.

40Mais c’est également dire — tel sera le second point de notre conclusion — que la pensée de Michel Henry, comme philosophie de la « passivité ontologique originaire », est une paradoxale phénoménologie de la liberté — de sorte que dans ce paradoxe se concentrerait l’essentiel de son opposition au spiritualisme français, mais aussi aux différentes « phénomé­nologies de la liberté ». Car la liberté henryenne n’est ni une liberté qui devrait se déployer en dépit d’une passivité extérieure plus ou moins apparente qui viendrait la limiter, ni — dans un renversement important de cette problématique initiale qui, conservant toutefois l’essentiel de ses coordonnées ontologiques traditionnelles, fait par exemple tout le sens de Le volontaire et l’involontaire de Ricœur — une liberté qui devrait prendre appui sur ce qui la borne pour se déployer, mais une liberté qui trouve dans une non-liberté fondamentale et ontologiquement première la condition permanente de son être même. Cette fondation de la liberté dans la non-liberté — ou, dans une terminologie également mobilisée par Henry, du possible dans l’impossible —, cette version inédite de l’acte même de fondation, est explicitement formulée et assumée dans L’essence de la manifestation :

En tant que le « ce à partir de quoi » d’un pouvoir est son « au-delà », l’au-delà de tout pouvoir et de toute possibilité de pouvoir en général, l’impossibilité, c’est à partir de celle-ci, à partir de l’impossibilité, que s’accomplit toute possibilité. Ce à partir de quoi s’accomplit toute possibilité et qui, comme impossibilité, se tient au-delà d’elle, est l’irrémissible, est l’absolu.42

41Ce qui rend possible l’action est précisément l’impossibilité de l’action — ou pour le dire autrement, c’est à cette passivité, à cette non-liberté, à cette impossibilité telle qu’elle se manifeste dans l’être-rivé à soi de l’affectivité, que le sujet doit s’arracher pour ouvrir, à partir de cette origine même, le présent de son acte libre. Intuition profonde dont le jeune Henry reconnais­sait déjà, dans une note de jeunesse inédite, qu’elle était précisément la sienne :

La théorie de l’affectivité transcendantale se confond avec la théorie de la liberté (l’intuition profonde de ma philosophie).43

Notes

1 M. Henry, Philosophie et phénoménologie du corps. Essai sur l’ontologie biranienne, Paris, puf, « Épiméthée », 1997, avant-propos.
2 L. Tengelyi, « Corporéité, temporalité et ipséité. Husserl et Henry », dans Michel Henry. Pensée de la vie et culture contemporaine, Paris, Beauchesne, 2006, p. 66.
3 F. Ravaisson, La philosophie en France au XIXe siècle, suivi de Rapport sur le prix Victor Cousin (Le scepticisme dans l’Antiquité), Paris, Hachette, 4e édition, 1895, p. 275
4 Cf. le témoignage de I. Benrubi, selon lequel Bergson acceptait, pour désigner sa pensée, « le terme de “réalisme spiritualiste” forgé par Ravaisson et Lachelier » (Souvenir sur Henry Bergson, p. 53 ; cité par D. Janicaud, Ravaisson et la métaphysique. Une généalogie du spiritualisme français, Paris, Vrin, 1997, p. 7).
5 Voir sur ce point le beau développement de G. Deleuze dans le cours de Vincennes du 17/05/1983 (Texte disponible à l’adresse : http://www2.univ-paris8.fr/deleuze/ article.php3?id_article=236)
6 F. Ravaisson, De l’habitude, nouvelle édition précédée d’une introduction de J. Baruzi, Paris, puf, 1957, p. 21.
7 Ibid., p. 27.
8 Maine de Biran, Influence de l’habitude sur la faculté de penser, éd. Tisseran, Paris, puf, 1954, p. 97.
9 Ibid., p. 198.
10 Note de J. Lachelier à l’article « habitude » du Vocabulaire technique et critique de la philosophie, dirigé par A. Lalande, Paris, puf, « Quadrige », 2010, p. 395.
11 F. Ravaisson, De l’habitude, p. 30.
12 M. Henry, Philosophie et phénoménologie du corps, p. 219-220.
13 Ibid.
14 Ibid., p. 220.
15 Ibid., p. 213.
16 Ibid., p. 218.
17 Ibid., p. 220-221.
18 Ibid., p. 224-225.
19 Ibid., p. 226.
20 Ms A 5-10-3071. Nous remercions le professeur Jean Leclercq, directeur du Fonds Michel Henry à l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve, de nous avoir permis de consulter et de citer les manuscrits inédits de Michel Henry. Pour plus d’informations concernant les manuscrits du Fonds Michel Henry — et notamment le système de classement employé — voir J. Leclercq, « Éditorial » in Revue Internationale Michel Henry, n° 2 : Inédits sur l’expérience d’autrui, Presse Universitaire de Louvain, décembre 2010, p. 9-14, et notre présentation » De l’expérience métaphysique d’autrui à l’intersubjectivité en première personne », p. 18 sqq.
21 M. Henry, Philosophie et phénoménologie du corps, p. 227.
22 Ibid.
23 Ibid., p. 131.
24 Ibid.
25 Ibid., p. 131. C’est donc tout autant comme une critique du spiritualisme que du néo-kantisme qu’il s’agira de lire la page suivante de L’essence de la manifestation : « Les discussions relatives au “substantialisme” spirituel ne font qu’illustrer la contradiction où s’enfonce inévitablement l’idéalisme. Dans la mesure où il tient la subjectivité pour un fondement ontologique, il lui fait déposer pour un temps sa réalité d’existant et, si l’entreprise se révèle impossible, il cherche du moins à minimiser cette réalité. La subjectivité ne sera donc point une substance, mais seulement un acte, — non pas un acte à proprement parler, un acte particulier et déterminé, mais plutôt une activité en général, une activité virtuelle, la possibilité pure et par elle-même vide d’accomplir des actes de pensée ; dans la mesure où ceux-ci sont “réels”, ils n’appartiennent plus qu’à une “subjectivité empirique” qu’il ne faut point confondre avec la “subjectivité transcendantale”. Celle-ci seule peut prétendre au rôle de fondement. Déjà l’idéalisme pressent que la signification ontologique d’un tel fondement implique le dépouillement de l’existence singulière, l’abandon de toute réalité effective. Aussi voit-on la subjectivité de l’idéalisme laisser là tout contenu réel pour n’être plus qu’une “pure forme”, la forme “vide” d’une pensée en général. » (Paris, puf, « Epiméthée », 1990, p. 30).
26 Cf. M. Henry, Philosophie et phénoménologie du corps, p. 49.
27 Cf. F. Azouvi, Maine de Biran. La science de l’homme, Paris, Vrin, 1995, p. 238-239, et P. Montebello, La décomposition de la pensée, Grenoble, Millon, 1994, p. 129-131. Voir aussi la mise au point critique de S. Laoureux, L’immanence à la limite. Recherches sur la phénoménologie de Michel Henry, Paris, Cerf, 2001, p. 135 sqq., et celle, davantage critique encore, de C. Riquier, « Henry, Bergson et la phénoménologie matérielle », Studia Phaenomenologica, vol. IX, 2009, notamment p. 162 sqq.
28 M. Henry, Philosophie et phénoménologie du corps, p. 176.
29 M. Heidegger, Être et temps, trad. fr. E. Martineau, Paris, Authentica, 1985, p. 209-211.
30 M. Henry, Incarnation. Une philosophie de la chair, Paris, Seuil, 2000, p. 210.
31 Ibid., p. 228.
32 M. Henry, Philosophie et phénoménologie du corps, p. 138.
33 Sur le sens et les enjeux d’une telle répétition temporelle, nous nous permettons de renvoyer à notre texte : « Quand peut un corps ? Corporéité, affectivité et temporalité chez Michel Henry », dans Studia Phaenomenologica, vol. XI, 2011, p. 327-344.
34 M. Henry, Philosophie et phénoménologie du corps, p. 137-138.
35 M. Henry, La barbarie, Paris, puf, « Quadrige », p. 172.
36 M. Henry, L’essence de la manifestation, Paris, puf, « Épiméthée », 1990, p. 827.
37 M. Henry, Incarnation, op. cit., p. 329 ; nous soulignons.
38 Michel Henry, Voir l’invisible. Sur Kandinsky, Paris, Bourin, 1998, p. 106-107.
39 M. Henry, Incarnation, p. 268.
40 Du reste, c’est une telle conception que critique Henry dans une note importante de L’essence de la manifestation — texte dans lequel, rappelons-le, Maine de Biran n’est cité qu’une seule fois (p. 531) : « Les grands thèmes de la philosophie de la conscience trouvent leur origine dans la structure interne de l’essence de la manifestation telle qu’elle la comprend. L’idée de l’inachèvement du sujet et du caractère abstrait de son être considéré dans sa pureté, l’affirmation de l’existence nécessaire d’un terme radicalement étranger par rapport à lui, la conception de ce terme comme d’une “limite”, d’un “obstacle”, d’une “résistance” opposée à ce sujet, et bien d’autres thèses de la philosophie classique, ne sont en fait pour celle-ci que diverses manières d’exprimer, sans toujours les porter à la clarté du concept, les présuppositions qui définissent l’idée ultime qu’elle se fait de l’essence de la phénoménalité. […] Ainsi la volonté est-elle dite ne devenir consciente que sur l’obstacle auquel elle se heurte. Sans cette limite qui lui permet de “se sentir”, la volonté ou l’action, ou encore la liberté, reste “indéterminée”, c’est-à-dire “inconsciente”. De même le mouvement ne parvient à la conscience de lui-même que si quelque chose s’y oppose. L’idée psychologique d’une résistance à vaincre, le prolongement et l’élargissement de cette idée dans une éthique de la tension et de l’effort compris comme impliquant, à titre de condition de leur dynamisme interne, l’existence d’un obstacle à surmonter et, comme tel, jamais surmonté, les constructions pathétiques auxquelles peut conduire cette conception d’une lutte aussi éternelle que le principe ennemi qui la suscite, tous ces développements ont leur fondement dans l’ontologie. » (p. 143, n. 1).
41 M. Henry, Du communisme au capitalisme, Paris, Odile Jacob, 1990, p. 134-135.
42 M. Henry, L’essence de la manifestation, p. 369.
43 Ms A 6-4-3855. Cf. aussi Ms A 6-3-3715 : « Intuition profonde de ma philosophie : la théorie de l’affectivité transcendantale se confond avec la théorie de la liberté. »

Pour citer cet article

Grégori Jean, «Habitude, effort et résistance : Une lecture du concept henryen de passivité», Bulletin d'Analyse Phénoménologique [En ligne], Volume 8 (2012), Numéro 1: Le problème de la passivité (Actes n°5), URL : https://popups.uliege.be/1782-2041/index.php?id=516.

A propos de : Grégori Jean

FRS-FNRS, Fonds Michel Henry

Appels à contribution

Appel à contributions permanent

Plus d'info