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- Volume 8 (2012)
- Numéro 1: Le problème de la passivité (Actes n°5)
- Sur la notion de schéma corporel dans la philosophie de Merleau-Ponty : de la perception au problème du sensible
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Sur la notion de schéma corporel dans la philosophie de Merleau-Ponty : de la perception au problème du sensible
Table des matières
1Dans cet article, nous nous proposons d’établir une analyse comparative entre l’approche de la notion de schéma corporel dans la Phénoménologie de la perception1 et dans les Cours de Sorbonne, réalisés entre 1949 et 1952, et dédiés, surtout, à la psychologie de l’enfant. Dans la Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty critique le caractère associationiste qui a marqué l’émergence de la notion de schéma corporel dans la neuropsychiatrie au passage du xixe au xxe siècle. Pour le philosophe, le sens vraiment fructueux de ce dispositif repose dans son caractère intentionnel. Merleau-Ponty opère une désubstantialisation de la notion concernée. De représentation ou de noyau cognitif organisateur de notre expérience corporelle, elle passe à fonction pré-cognitive, expression de la perméabilité des parties de notre corps les unes en relation aux autres, et, également, de la perméabilité du corps au monde et à autrui. Après la Phénoménologie de la perception, cette perméabilité sera pensée de plus en plus dans les termes d’une « proximité vertigineuse » entre nous et les objets, entre nous et autrui. Le passage, que réalise Merleau-Ponty, de l’idée d’incarnation à la conception de chair commence à être conçu dans la période entre 1945 et 1952, et se nourrit de discussions concernant la corporéité à l’intérieur, principalement, de la psychologie de l’enfant et de la psychanalyse, ainsi que des réflexions concernant le schéma corporel. Dans ce contexte, la notion de schéma corporel, dont l’interprétation intellectualiste de représentation ou d’image de notre corps ne peut plus être soutenue depuis la Phénoménologie de la perception, ne se contente pas d’être conçue comme connaissance pré-cognitive de notre corps dans le monde : elle exige d’être conçue dans les termes de notre participation prodigieuse au monde, sens qui se met en évidence dans la période des Cours de Sorbonne.
1. La notion de schéma corporel dans la Phénoménologie de la perception
2Merleau-Ponty entre en contact avec la notion de schéma corporel en étudiant la littérature neuropsychologique des débuts du xxe siècle. On attribue au neurologue Henry Head les premières élaborations de la notion de schéma corporel. À partir de recherches sur des perturbations de la capacité de localiser des stimulations externes, Head a admis l’existence de modèles ou de schémas tactiles, visuels, posturaux et moteurs du corps2. Il s’agirait d’un système dynamique qui constitue des modèles organisés concernant notre condition corporelle et qui gouverne, principalement, notre posture et notre motricité. Selon le neurologue, ce système reste au dehors de nos domaines conscients3. Klaus Conrad4 nous invite à porter notre attention sur l’ambiguïté de la notion de schéma corporel dans la pensée de certains auteurs. Elle est conçue soit comme un fait psychologique, soit comme un fait physiologique. Quoiqu’il en soit, on tourne autour d’un idéal empiriste. Il incomberait aux données interoceptives et propriocetives d’alimenter des schémas associatifs d’ordre purement physiologique ou de donner lieu à des schémas associatifs d’ordre représentationnel qui, même non conscients, seraient toujours prêts à agir.
3Dans la Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty désubstantialise la notion de schéma corporel. Le philosophe s’efforce de déployer un dialogue de co-appartenance entre sujet et objet. Cette communication s’établit sur notre unité corporelle, qui, à son tour, fait unité avec le monde. De ses études concernant la spatialité et la motricité du corps propre découle une telle organicité entre sujet et monde que tant le mouvement que l’espace perçu cessent de figurer comme des éléments de représentation. Le schéma corporel apparaît comme fonction de transposition tacite établie « sur l’unité et l’identité du corps comme ensemble synergique »5, de manière que, à travers la motricité, on voit apparaître entre le corps et les phénomènes extérieurs un système unifié analogue à la synergie du corps propre.
4Le mouvement corporel et l’espace se laissent prendre comme des facteurs subordonnés à des actes exprès de représentation seulement dans les cas de perturbation du schéma corporel, comme on le trouve dans plusieurs études6. Dans les cas pathologiques, on remarque la désintégration de l’unité pré-reflexive entre sujet et monde, ce qui révèle à Merleau-Ponty la complicité entre le corps et le monde. Face à ce constat, le philosophe s’éloigne des synthèses conscientes opérées par la conscience, de l’ « intentionnalité de représentations », et souligne une « intentionnalité motrice », en prenant le corps pour « sujet de la perception »7. La notion de schéma corporel est, donc, intégrée dans l’activité intentionnelle du sujet psychophysique.
5Dans la dynamique du chapitre La spatialité du corps propre et la motricité, de la Phénoménologie de la perception, la notion d’intentionnalité motrice déplace des analyses d’empreinte intellectualiste établies sur la notion de fonction symbolique vers le caractère intentionnel de l’activité motrice. Cela implique le déclin d’un dispositif théorique anthropologique au profit d’un autre. La notion de fonction symbolique8 est annulée et une importance croissante est donnée au concept de schéma corporel. La critique de la fonction symbolique est opérée dans le débat sur la distinction entre des mouvements concrets et des mouvements abstraits né à partir d’études sur l’apraxie. Plusieurs auteurs9 ont observé que leurs patients réalisaient sans effort des activités simples et concrètes, comme coiffer les cheveux ou allumer une pipe, mais échouaient devant des sollicitations dépourvues d’un sens vital comme soulever le bras à la demande du médecin. Les malades réalisaient de grands efforts pour « trouver » le membre impliqué dans la tâche, ensuite pour « trouver » leur tête, indication de l’ « en haut », et, finalement, pour réaliser les oscillations corporelles qui pouvaient culminer dans le mouvement attendu. Les chercheurs ont attribué ces dysfonctionnements à la désorganisation de la fonction symbolique, responsable de la capacité que nous avons de nous guider non seulement dans le milieu immédiat, mais aussi à travers d’éléments représentés.
6Selon Merleau-Ponty, la distinction entre le comportement concret et le comportement abstrait nous ramène à une distinction d’ordre ontologique entre l’être comme chose et l’être défini « par l’acte de signifier »10, entre l’automatisme et la conscience. Le philosophe observe que les patients reconnaissent les ordres, aussi bien que les mouvements sollicités quand enfin ils sont réalisés. L’auteur commente : « Si la consigne a pour lui [le malade] une signification intellectuelle, elle n’a pas de signification motrice, elle n’est pas parlante pour lui comme sujet moteur »11. Et il continue :
Ce qui lui manque n’est ni la motricité, ni la pensée, et nous sommes invités à reconnaître entre le mouvement comme processus en troisième personne et la pensée comme représentation du mouvement une anticipation ou une saisie du résultat assurée par le corps lui-même comme puissance motrice, un « projet moteur » (Bewegungsentwurf), une « intentionnalité motrice » sans laquelle la consigne demeure lettre morte12.
7Dans la condition pathologique, la définition objective de l’espace et du mouvement ne garantit pas son application au corps propre. Pour Merleau-Ponty, cela signifie que le corps possède un monde sans se subordonner à une fonction de représentation, ou fonction symbolique. C’est plutôt la « capacité de différenciation motrice du schéma corporel dynamique »13 qui acquiert, aux yeux du philosophe, une fonction originaire.
1.1. Le monde perçu
8Dans la première partie de la Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty affirme : « Le corps, en se retirant du monde objectif, entraìnera les fils intentionnels qui le relient à son entourage et finalement nous révélera le sujet percevant comme le monde perçu »14. Plus avant, dans l’introduction à la partie dédiée au monde perçu, il écrit : « La théorie du schéma corporel est implicitement une théorie de la perception »15. Il se trouve, donc, que la perception du corps propre comme schéma corporel, dans le sens phénoménologique du concept, et la perception extérieure constituent « les deux faces d’un même acte »16. La connaissance pré-reflexive que nous possédons en rapport à notre corps, la synergie qui caractérise la « connexion vivante » de leurs parties, forme, avec la perception extérieure, un système.
9Merleau-Ponty va encore plus loin et entrelace l’unité de l’objet perçu à la cohésion de notre expérience corporelle. L’auteur déclare :
L’identité de la chose à travers l’expérience perceptive n’est qu’un autre aspect de l’identité du corps propre au cours des mouvements d’exploration, elle est donc de même sorte qu’elle : comme le schéma corporel, la cheminée [un objet quelconque] est un système d’équivalences qui ne se fonde pas sur la reconnaissance de quelque loi, mais sur l’épreuve d’une présence corporelle17.
10En procédant par analogie, Merleau-Ponty étend la structure de transposition de sens vivants qui correspond au schéma corporel à l’unité des choses, qui acquièrent cohésion dans la mesure où leurs parties sont renvoyées continûment les unes aux autres. Si le sujet de la perception coïncide avec « l’unité elle-même ouverte et indéfinie du schéma corporel »18, nous devons dire aussi que « la synthèse perceptive ne possède pas plus le secret de l’objet »19 et que, donc, « l’obscurité gagne le monde perçu tout entier »20.
1.2. La perception d’autrui
11Le schéma corporel se constitue comme « fonction générale de transposition tacite »21. Cette unité pré-logique originale se révèle « dans l’unité d’un “je peux” »22, donc dans sa dimension intentionnelle. En outre, la synthèse de notre corps propre est coextensive à la synthèse perceptive du monde. La même chose est valable à propos de la perception d’autrui, qui, à l’exemple du monde perçu, est ménagée par le schéma corporel. À partir de la pensée objective, on conçoit l’existence de deux manières d’être : l’être en soi, être matériel et passible d’objectivation, et l’être pour soi, ou conscience constitutive, capable d’établir le monde et le corps selon un « système de corrélations objectives »23. De cela on déduit que, concernant la perception d’autrui, seul un « raisonnement par analogie » me permet d’avoir l’expérience de l’autre. Un raisonnement où mon psychisme, au moyen de l’observation de l’activité motrice d’autrui, estime l’existence de tels et tels contenus psychiques qui gouvernent le corps que je vois. Merleau-Ponty, d’autre part, considère que « le raisonnement par analogie présuppose ce qu’il devait expliquer »24 : notre participation dans le monde comme « sujets anonymes de la perception »25. Ni notre moi n’est vécu de manière transparente, ni nous ne constituons le monde avec des limites bien définies. Et si je ne suis pas une subjectivité absolue, autrui cesse d’être un objet pour moi et vice versa. L’expérience d’autrui s’offre à nous à l’intérieur d’un tableau unitaire et spontané. C’est pour cela qu’un bébé de quinze mois, qui n’a jamais reconnu complètement sa face dans un miroir, est capable d’ouvrir la bouche quand, en jouant, nous plaçons un de leurs doigts entre nos dents. Merleau-Ponty affirme :
C’est que sa propre bouche et ses dents, telles qu’il les sent de l’intérieur, sont d’emblée pour lui des appareils à mordre, et que ma mâchoire, telle qu’il la voit du dehors, est d’emblée pour lui capable des mêmes intentions. La « morsure » a immédiatement pour lui une signification intersubjective. Il perçoit ses intentions dans son corps, mon corps avec le sien, et par là mes intentions dans son corps26.
12C’est ce qui se produit quand le bébé imite autrui. À propos des instruments dont l’enfant voit se servir l’adulte, le philosophe écrit :
Il en prend possession, il apprend à s’en servir comme les autres s’en servent, parce que le schéma corporel assure la correspondance immédiate de ce qu’il voit faire et de ce qu’il fait et que par là l’ustensile se précise comme un manipulandum déterminé et autrui comme un centre d’action humaine27.
13Le corps propre forme un système avec le monde et avec les autres corps que habitent le monde.
[C]’est justement mon corps qui perçoit le corps d’autrui et il y trouve comme un prolongement miraculeux de ses propres intentions, une manière familière de traiter le monde ; désormais, comme les parties de mon corps forment ensemble un système, le corps d’autrui et le mien sont un seul tout, l’envers et l’endroit d’un seul phénomène et l’existence anonyme dont mon corps est à chaque moment la trace habite désormais ces deux corps à la fois28.
14C’est, donc, pour cela que des perturbations du schéma corporel peuvent être diagnostiquées à partir de la difficulté qu’éprouve le malade à indiquer sur le corps du médecin la partie qui a été touchée sur son propre corps.
2. La notion de schéma corporel dans les cours de Sorbonne
15Dans les cours de Sorbonne dédiés à la psychologie de l’enfant, le recours à la notion de schéma corporel prend place au sein du problème de l’intersubjectité. Merleau-Ponty juxtapose la perception du comportement d’autrui et la perception du corps propre en tant que schéma corporel, organisation unitaire où survient l’identification entre moi et autrui29. Ce sujet est présent spécialement dans le cours intitulé Les relations avec autrui chez l’enfant, dans lequel Merleau-Ponty s’intéresse à la genèse de la perception de l’autre30. Dans quelles conditions l’enfant commence à établir un contact avec autrui ? Quelle est la nature de cette relation ? Comment est-elle possible au début de la vie, se demande le philosophe ?
16Nous avons vu précédemment que, dans la sphère des préjugés de la philosophie et de la psychologie classiques, nous arrivons à une impasse concernant le problème de la perception d’autrui. Selon Merleau-Ponty31, au-delà de l’abandon de l’idée de psychisme, la résolution de cette difficulté passe par la réforme de la notion de cénesthésie au profit de la notion de schéma corporel. Le philosophe affirme :
Si mon corps doit pouvoir reprendre à son compte les conduites qui me sont données en spectacle, il faut qu’il me soit donné, non plus comme une masse de sensations rigoureusement privées, mais plutôt par ce qu’on appelle un « schéma postural », ou « schéma corporel »32.
17En ce qui concerne la notion de schéma corporel, c’est à Henri Wallon que Merleau-Ponty fait appel dans la discussion sur les relations avec autrui dans l’enfance. Le philosophe se fonde sur les critiques du psychologue à propos de l’idée de cénesthésie, ainsi qu’à ses descriptions sur le progrès de l’ouverture du corps propre au monde et sur les réactions de l’enfant devant la perception de son propre corps.
18Wallon analyse la prise de conscience et le processus d’individualisation du corps propre33. Selon l’auteur, l’ensemble de sensibilités intéroceptives et proprioceptives qui soutient l’activité du nouveau-né configure déjà un système synergétique qui garantit l’unité organique du bébé. Le progrès de ce système implique l’établissement de relations de plus en plus précises avec les excitations venues du monde extérieur. Cela signifie que la condition indispensable au développement du moi corporel n’est pas l’intuition coordonnée des organes et de son activité, mais la liaison entre l’activité tournée vers le monde et celle rapportée aux nécessités et attitudes du corps.
19Dans ce sens, Merleau-Ponty affirme que la constitution d’un schéma corporel, c’est-à-dire l’acquisition d’une expérience organisée du corps propre, coïncide avec la possibilité que cette expérience soit transférée à autrui, dans la mesure où autrui apparaît comme un être tourné vers un monde partagé. L’image d’autrui peut être « immédiatement “interprétée” par mon schéma corporel »34.
20Jusqu’ici nous ne nous éloignons pas beaucoup du régime de l’intentionnalité tel qu’il est conçu par Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception. Une avance claire a lieu lorsque le philosophe commence à explorer le fait, exposé par Wallon, que le développement des synergies intersensorielles liées au développement de l’extéroceptivité initie les réactions de l’enfant face à son propre corps. Wallon commente, par exemple, qu’entre le troisième et le sixième mois de vie, il est commun d’observer la surprise de l’enfant devant le surgissement fortuit de ses membres, principalement ses mains, dans son champ perceptif. Il n’est pas rare que, en prenant un objet quelconque, le bébé se retienne devant sa main et la déplace à la hauteur des yeux. Pour Wallon, tout se passe comme s’il était pris par les sensations proprioceptives et visuelles liées à l’événement. Si le bébé, dans ses mouvements, prend une main avec l’autre, « il regarde la première avec surprise, la main inerte retenant davantage son attention parce que, sans doute, la suite des sensations y est moins prévue que dans la main active »35.
21On voit, donc, que les actions de l’enfant révèlent progressivement une unité corporelle affinée avec le développement de la perception extéroceptive, ce qui, à son tour, entraîne des progrès dans l’ajustement de la perception externe et de la sensibilité proprioceptive en ce qui concerne le corps propre. Wallon écrit :
L’enfant sait se sentir à la fois présent dans l’impression visuelle et dans le membre en mouvement, d’où possibilité et besoin pour lui de déchiffrer comment les deux sensibilités se correspondent. [...] Ce qui le surprend, s’il saisit l’une [de ses mains] avec l’autre, ce n’est ni leur dualité ni leur similitude, dont ses impressions visuelles ou motrices lui donneraient une intuition bien plus décisive. Ce sont les effets du contact, doublement et différemment sentis dans les deux mains, et ce sont les correspondances qu’il découvre entre ces effets36.
22On connaît l’importance que l’expérience du touchant-touché, figure de la dimension polysémique du caractère sensible du corps, acquiert peu à peu dans la philosophie de Merleau-Ponty. Notre corps est « sentant sensible », affirme le philosophe dans Le visible et l’invisible37, au moment où il atteste la liaison primordiale entre notre exploration du monde et ce qu’elle nous présente, le pacte entre nous et les choses. Notre corps est aussi accessible du dehors, comme démontre suffisamment tôt l’expérience de toucher une main avec l’autre. La main qui se sent, dans les termes de la proprioceptivité, est en même temps tangible. Merleau-Ponty commente : la main « prend place parmi les choses qu’elle touche, est en un sens l’une d’elles, ouvre enfin sur un être tangible dont elle fait aussi partie »38. Le corps est, donc, incorporé par l’univers interrogé dans le croisement du touchant et du tangible. L’ontogenèse du corps elle-même le lie directement aux choses, affirme Merleau-Ponty, en soudant « la masse sensible qu’il est et la masse du sensible où il naît par ségrégation »39. En tant que voyant et touchant, le corps reste ouvert à cette masse du sensible.
23De retour aux cours de Sorbonne, on voit que Merleau-Ponty, en mobilisant la notion de schéma corporel, s’approche du champ conceptuel qui culminera dans la conception tardive de la chair, du corps comme sentant sensible. Au début de la vie, il n’y a pas un « schéma corporel total »40. L’activité sensori-motrice de l’enfant ne consiste cependant pas en des « expériences multiples et disjointes »41. Dès le début, nous identifions des structures globales qui, peu à peu, s’enrichissent et se différencient. Le schéma corporel s’intègre progressivement dans la forme d’un événement unitaire, conjugaison de toutes les données sensorielles et qui englobe, essentiellement, la situation du corps dans l’espace, dans le monde. On doit remarquer, néanmoins, que l’orientation archéologique impliquée dans le traitement du corps propre à partir de la psychologie de l’enfant nous amène à l’approfondissement du système pratique formé entre l’espace corporel et l’espace extérieur, tel que présenté dans la Phénoménologie de la perception. Dans ce livre, sous l’égide d’une intentionnalité motrice, Merleau-Ponty écrit :
Dans le geste de la main qui se lève vers un objet est enfermée une référence à l’objet non pas comme objet représenté, mais comme cette chose très déterminée vers laquelle nous nous projetons, auprès de laquelle nous sommes par anticipation, que nous hantons42.
24Le philosophe prend en considération notre liaison originaire avec le monde antérieure à l’ordre de la représentation, et la cohésion du monde perçu apparaît rattachée à la cohésion du corps phénoménal, à l’unité du schéma corporel. Dans les cours de Sorbonne, l’intégration progressive du schéma corporel signifie l’acquisition graduelle du caractère de visibilité du corps propre, et, donc, implique une nouvelle dimension de la spatialité.
25En effet, l’intégration du schéma corporel semble résulter d’une fissure au sein de la corporéité. Par cette nouvelle organisation, le dehors s’insère dans l’intimité de notre expérience43, de même que nous sommes précipités dans l’aspect public de l’expérience. Ainsi le schéma corporel ne représente plus le véhicule de notre liaison primordiale avec le monde et commence à anticiper la notion de chair comme visibilité de l’invisible44. L’idée de percepi, qui se possède soi-même aussi bien qu’il est possédé, ne pourrait mieux correspondre à ce corps propre récemment intégré. La généralité de cette spatialité originaire du corps propre, si radicalisée, nous amène à penser la chose perçue elle-même comme un organe45.
26Les expériences de l’enfant devant son propre corps inaugurent cette sensibilité réversible. Merleau-Ponty commente : « Toutes ces expériences visent à familiariser l’enfant avec la correspondance qui existe entre la main qui touche et la main qui est touchée, entre le corps tel qu’il est visible, et le corps tel qu’il est senti par l’intéroceptivité »46. D’où l’importance attribuée par le philosophe aux exercices de l’enfant face à son image spéculaire.
2.1. Le stade du miroir
27Une expérience plus organisée du corps propre, le développement d’un « schéma corporel total », passe par l’acquisition, de la part de l’enfant, d’une image visuelle du corps propre tel qu’il advient dans le cas où il perçoit son image dans le miroir. Wallon s’intéresse à la manière dont l’enfant se rend capable de reconnaître son aspect extéroceptif exactement comme « sien », aspect que « le miroir lui traduit de la façon la plus complète et la plus évidente »47.
28Selon le psychologue, vers le huitième mois de vie, on peut observer la surprise de l’enfant à chaque fois qu’il rencontre son image spéculaire. L’enfant attribue une valeur de réalité à l’image et s’étonne quand il perçoit la solidité du miroir. En même temps, si on l’appelle par son nom, il est possible qu’il se tourne vers l’image. Des intermittences comme celle-ci sont dues au problème que l’enfant a devant lui, considère Wallon. Il s’agit de joindre la vision directe et fragmentée de son propre corps, la sensibilité intéroceptive, la sensibilité proprioceptive et l’image visuelle de son corps dans le miroir. Avant tout, il s’agit de comprendre que l’image n’est pas elle-même, puisqu’elle se trouve où elle se sent.
29Le progrès dans la résolution de cette tâche compliquée, affirme Wallon, dépend de la capacité de l’enfant à acquérir une représentation symbolique de son propre corps. Elle doit se rendre capable de dissocier l’expérience immédiate et la représentation des choses, les impressions et les actions impliquées dans son propre corps et les qualités qui lui sont propres. Wallon écrit : « Il n’y a de représentation possible qu’à ce prix. Celle du corps propre, dans la mesure où elle existe, doit nécessairement répondre à cette condition. Elle ne peut se former qu’en s’extériorisant »48. Il faut bien comprendre : en s’extériorisant comme image, comme symbole. L’enfant doit entendre qu’il y a des images qui possèdent seulement l’apparence de réalité, en même temps qu’il y a des images réelles qui échappent à la perception, « images sensibles, mais non réelles ; des images réelles, mais soustraites à la connaissance sensorielle »49. C’est le cas de l’enfant agé d’un an et qui, en passant devant le miroir, dirige la main au bonnet qui lui protège la tête. À propos de cet exemple, Wallon affirme :
L’image dans le miroir n’a plus d’existence pour elle-même ; elle est immédiatement reportée par l’enfant sur son moi proprioceptif et tactile ; elle n’est plus qu’un système de références, apte à orienter les gestes vers les particularités du corps propre dont elle donne l’indication. En se vidant de l’existence, elle est devenue purement symbolique50.
30Sur ce point, Merleau-Ponty s’éloigne de Wallon. Il a toujours gardé une distance critique face à la psychologie génétique, spécialement en ce qui concerne les théories de Piaget. Il y découvre des conceptions idéalistes du développement, vu qu’elles marquent le passage de la vie infantile à la vie adulte par un processus de libération en rapport aux conditions spatio-temporelles propres à la vie perceptive et motrice, en considérant l’acquisition de la dimension objectivante de l’intelligence51. Merleau-Ponty s’intéresse certes à la critique que Wallon adresse à la notion classique de cénesthésie : les conceptions du psychologue concernant les relations archéologiques entre la vie infantile et la vie adulte sont considérées comme satisfaisantes52. Il ne se prive néanmoins pas de critiquer la proximité qu’on observe dans certaines conceptions de Wallon avec cette psychologie génétique d’empreinte intellectualiste. C’est le cas de l’interprétation que Wallon fournit à propos de l’organisation de l’expérience du corps propre à partir de la conquête de sa visibilité, qui s’établit, selon lui, sur la constitution d’une fonction symbolique, capable de dépasser le présent sensori-moteur. Pour le philosophe, les manifestations continues d’animisme de la part de l’enfant devant le miroir révèlent un progrès par rapport au sens de l’image spéculaire. Cette transformation ne peut pas être réduite à un phénomène intellectuel stricto sensu. La distance que l’enfant conquiert au sujet de son image « n’est pas celle du concept »53, dit Merleau-Ponty. Il se produit, en effet, une vrai « restructuration » de cette expérience.
31En ce qui concerne les questions relatives à l’individualisation du corps propre en fonction des expériences spéculaires, Merleau-Ponty trouve dans la psychanalyse la possibilité d’avancer conceptuellement. Le philosophe se consacre particulièrement aux considérations de Lacan dans son article intitulé « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je »54. Dans ce texte, Lacan avertit dès le commencement que sa conception du stade du miroir se trouve aux antipodes des philosophies du Cogito. Selon l’auteur, la jubilation de l’enfant devant l’expérience ludique de la relation entre le complexe virtuel de l’image et la réalité de ses mouvements propres révèlent un processus d’identification, au sens que l’analyse psychanalytique est capable de montrer. Lacan55 définit l’identification comme suit : il s’agit de la « transformation produite chez le sujet, quand il assume une image ».
32Si on prend en considération que le tout petit enfant se caractérise par son état d’impuissance motrice et de dépendance nutritionnelle, les processus d’identification qu’y se produisent doivent être considérés, dit Lacan, comme la manifestation d’une « matrice symbolique », une forme primordiale de moi antérieur à l’objectivation impliquée dans l’identification avec autrui et à la fonction de sujet qui émerge à travers le langage. L’identification de l’enfant avec son image spéculaire révèle le surgissement d’un « je-idéal », considéré comme une instance du moi dans une « ligne de fiction »56 irréductible. Cette imago corporelle « symbolise la permanence mentale du je en même temps qu’elle préfigure sa destination aliénante »57, puisque l’enfant est enlevé de sa réalité immédiate et orienté vers ce qu’elle se voit être ou vers ce qu’elle s’imagine être58. Dans un autre passage, Lacan affirme : « L’image spéculaire semble être le seuil du monde visible »59. En effet, le stade du miroir prend pour thème le processus de décentration de l’enfant, événement qui possède en contrepartie l’ouverture d’un monde. Il s’agit, néanmoins, d’un monde non frontal, aussi comblé d’imagos que le je qui s’inaugure dans le processus spéculaire.
33Aux yeux de Merleau-Ponty, les réflexions lacaniennes expriment, en ce qui concerne les expériences de l’enfant devant leur image spéculaire, des « rapports d’être avec le monde, avec autrui »60, et non, simplement, des rapports de connaissance. En premier lieu, la compréhension de l’image dans le miroir implique une auto-reconnaissance, l’appropriation d’une image visuelle. L’enfant fait l’essai de lui-même comme « spectacle », dit Merleau-Ponty61. La réalité d’abord confuse du corps propre gagne une nouvelle visibilité, plus complète. Ce passage d’un état de personnalité marqué par un ensemble de pulsions senties confusément à un état marqué par l’image idéale d’elle-même, à la constitution d’un sur-moi, implique la constitution d’une fonction narcissique. Il ne s’agit pas ici d’un renforcement de la subjectivité, mais, plutôt, de ce que Lacan62 définit comme la « fonction aliénante du je ». C’est l’aliénation mise en place au moment où l’on cesse d’être ce qu’on se sentait être de manière immédiate pour passer à être l’image offerte par le miroir. Le philosophe commente :
Du coup je quitte la réalité de mon moi vécu pour me référer constamment à ce moi idéal, fictif ou imaginaire, dont l’image spéculaire est la première ébauche. En ce sens je suis arraché à moi-même, et l’image du miroir me prépare à une autre aliénation encore plus grave, qui sera l’aliénation par autrui63.
34En second lieu, la présence du monde elle-même se restructure. Le passage de l’état de dispersion du corps à la récupération du corps propre64 implique une « restructuration du schéma corporel »65. Celui-ci, comme nous l’avons déjà vu, configure un système qui attache la perception du corps propre, la perception d’un comportement, c’est-à-dire, d’autrui, et la perception d’un monde. En effet, la restructuration du schéma corporel met en cause l’acquisition d’un nouveau sens de la spatialité. Le corps qui se libère de l’extase d’un état purement vécu, c’est le corps qui acquiert une visibilité. Merleau-Ponty, en parlant de l’importance de l’image spéculaire dit que le « corps est placé sous la juridiction du visible »66. L’espace lui-même acquiert un effet déréalisant, affirme Lacan67. Avec la conquête d’un schéma corporel total, nous sommes lancés dans le centre du monde, dans le centre du regard d’autrui et dans le centre d’un moi imaginaire, de manière que s’instaure l’ambiguïté de la dialectique entre réel et imaginaire, si souvent explorée par la psychanalyse. Le corps en tant que « sentant sensible » ne représente pas seulement l’incorporation du visible au voyant, mais l’incorporation du voyant au visible68.
3. Autour de la question de la passivité
35Dans les travaux postérieurs à 1945, Merleau-Ponty conserve le problème de la perception comme sujet de recherche69. Ses études restent tournées vers l’expérience brute du monde, pour ce qui précède et dépasse la réflexion et l’analyse scientifique. On remarque, pourtant, que l’étude de la perception souffre une importante transformation en devenant une recherche sur le sensible. Pour Merleau-Ponty, le corps cesse d’être simplement le sujet de la perception et se révèle aussi comme être perçu, être sensible dans toute l’amplitude polysémique du terme. Selon Renaud Barbaras, il s’agit d’affirmer « l’implication du sujet dans le monde comme inhérente à la structure de l’apparaître »70. La notion de schéma corporel, qui réapparaît dans les cours de Sorbonne dédiés à la psychologie infantile, fait partie de ce processus. En vue de cela, nous pouvons la prendre comme principe emblématique des torsions conceptuelles opérées dans le passage du problème de la perception au problème du sensible. Plus que cela, nous pouvons affirmer que la notion de schéma corporel se révèle un instrument théorique important dans la germination du projet ontologique de Merleau-Ponty.
36Les implications de ce passage et le rôle que la notion de schéma corporel y occupe peuvent être abordés par le biais de la question de la passivité. Le problème de la passivité dans l’œuvre de Merleau-Ponty est un héritage de la pensée de Husserl, qui menait la recherche phénoménologique selon deux méthodes complémentaires. D’une part, il cherchait à expliciter la dépendance de l’objet constitué en regard des actes constitutifs de l’ego transcendantal. D’autre part, il remettait l’acte subjectif dans son horizon temporel, en révélant l’atmosphère passive par laquelle l’ego est enveloppé. Husserl admettait que, avant et après l’acte réflexif, le champ de significations auquel l’ego s’applique s’organise de façon autonome71. À propos du corps, le rôle que Husserl lui attribue dans la constitution du sens de l’expérience est ambigu. Si le corps apparaît comme partie intégrante de la cohésion de l’expérience transcendantale, il est considéré aussi comme objet de synthèses perceptives72.
37La position assumée initialement par Merleau-Ponty est une réponse à cette tension à l’intérieur de la pensée de Husserl. Dans la Phénoménologie de la perception, la dimension passive de l’expérience est attachée à l’intentionnalité motrice. Le sujet de la passivité, de cette façon, laisse la région de la conscience et se lie au corps propre. C’est ce qu’on constate dans les analyses de Merleau-Ponty sur l’acquisition de l’habitude, cas de « remaniement et renouvellement du schéma corporel »73. Les théories mécanistes l’expliquent à partir de l’hypothèse d’une soudure entre des mouvements et des stimulations individuelles. Le phénomène de l’apprentissage, néanmoins, est systématique, et révèle l’acquisition du pouvoir de répondre à une certaine forme de situations au moyen d’un certain type de solutions. Il resterait à attribuer l’origine de l’habitude à des processus de synthèse intellectuelle responsables de l’organisation des éléments intéro et exteroceptives. Est-ce que l’acquisition de l’habitude de danser pourrait, cependant, être réduite à la compréhension de la formule d’un mouvement ? Merleau-Ponty répond négativement, en disant que la formule de la danse reste lettre morte tant qu’il n’y a pas une espèce de « consécration motrice ». Le philosophe écrit : « C’est le corps, comme on l’a dit souvent, qui “attrape” (kapiert) et qui “comprend” le mouvement. L’acquisition de l’habitude est bien la saisie d’une signification, mais c’est la saisie motrice d’une signification motrice »74.
38En ce qui concerne la notion de schéma corporel, nous affirmions que, dans la Phénoménologie de la perception, elle occupe la place confiée avant cela à la notion de fonction symbolique, ou attitude catégorielle, désormais attachée à une sémantique chargée d’intellectualisme. Cela veut dire que le schéma corporel ne se constitue pas comme image généralisante du corps propre et de ses possibilités dans le monde, mais comme synergie active, constamment ouverte aux possibilités d’action, considérées non comme des représentations, mais comme des horizons temporels. Autrement dit, le schéma corporel ne figure pas comme la loi de constitution du corps. Celui-ci reste, selon les mots de Merleau-Ponty, « une unité expressive qu’on ne peut apprendre à connaître qu’en l’assumant »75.
39Il s’établit, néanmoins, une tension à l’intérieur de la Phénoménologie de la perception. Il s’agit maintenant du problème de l’intégration de la passivité et de l’activité. Comment concevoir le surgissement de l’activité dans un sujet qui est originairement passif76 ? Comment la vie humaine peut-elle échapper au « narcissisme vital » et s’ouvrir à un monde unique et intersubjectif ? La démarche de Merleau-Ponty dans la Phénoménologie de la perception implique la recherche de l’origine naturelle de la conscience et résulte, selon Étienne Bimbenet77, dans la circonscription d’une « vie narcissiquement enfermée en elle-même ». Dans ces termes il est difficile d’expliquer le décentrement vers une objectivation du milieu.
40Devant cette impasse, les travaux postérieurs à la Phénoménologie de la perception partent de la prétention à la vérité que toute perception suppose. Cela explique l’attention particulière que Merleau-Ponty dédie à la question de l’intersubjectivité. Le philosophe peut alors commencer à esquisser une démarche vraiment archéologique. Il s’agit d’enquêter sur les formes qui ne coïncident pas avec la vie de la conscience proprement dite, mais qui préfigurent, dans le silence, sa force, tels que le comportement animal et le comportement infantile78. D’où l’importance du débat autour de la valeur d’image que le schéma corporel acquiert dans le stade du miroir. L’acquisition de l’image du corps s’oppose à la dispersion du corps et inaugure un perspectivisme capable de désarticuler la simple opposition entre passivité et activité. Cela parce que, contrairement à l’idée soutenue par Wallon, Merleau-Ponty attache cette image du corps non au jaillissement d’une fonction symbolique, mais à la possibilité soulignée par Lacan de l’identification de l’enfant avec l’image. L’enfant peut, donc, se reconnaître comme spectacle, et s’ouvrir au fait que l’espace occupé par nous est accessible à autrui, ainsi que l’espace qu’il occupe nous appartient aussi79.
41Pour Merleau-Ponty, ce que Lacan appelle stade du miroir se rapporte au processus de décentration comme opération vitale. Selon lui, la décentration est traitée par Piaget comme un phénomène primordialement intellectuel. Il s’agit de l’évolution qui va de l’indifférenciation entre le moi et le monde extérieur à la possibilité de s’accommoder au réel et de l’interpréter au moyen des manifestations de la pensée formelle. En ce qui concerne l’acquisition infantile de l’image spéculaire, l’interprétation réalisée par Wallon donne à Merleau-Ponty l’impression d’un processus centré, exactement, sur « un travail de connaissance », sur « une synthèse entre certaines perceptions visuelles et certaines perceptions intéroceptives »80. Lacan, par contre, aborde la naissance du je et d’autrui à partir de l’appropriation, de la part de l’enfant, des images de soi révélées dans l’expérience. Au moyen du miroir, l’enfant s’identifie avec la Gestalt visuelle de son propre corps. Elle est captée par l’image, par l’anticipation, dans le plan mental, d’une unité fonctionnelle encore sans correspondance dans le corps vécu81. Il faut dire que le regard maternel, lui-même, fonctionne comme un premier miroir, en considérant que dans le visage attendri de la mère le bébé se sent exister82. De toute façon, au moyen de ces situations on parle d’une aliénation fondamentale du sujet, qui se reconnaît comme image. Pour Merleau-Ponty83, l’aliénation du moi immédiat, c’est-à-dire, « sa confiscation au profit du moi visible dans le miroir », éclaircit la fonction déréalisante de l’image, qui nous arrache à la réalité immédiate.
42Notre relation perspective avec l’espace peut être « le motif d’un étonnement majeur »84, non seulement parce que nous voyons toujours de quelque part, mais parce que nous échappons à l’enfermement dans un locus immédiatement vécu. On conçoit facilement que le caractère perspectif de la perception exige un espace universel, dans lequel on peut assumer une place, et que le processus de développement humain doit arriver exactement à ce point-là, c’est-à-dire à la capacité d’opérer avec un espace objectif. Plus difficile, et c’est là que réside le vrai « motif d’étonnement » du perspectivisme, est de commencer la recherche philosophique par la spatialité non objective, c’est-à-dire, celle d’un être vivant ouvert à un espace qui le concerne, à un espace fonctionnel. É. Bimbenet85 commente : « Le perspectivisme devient étonnant si on accepte de le faire marcher non sur la tête mais sur ses pieds d’homme ». Merleau-Ponty se rapporte à la captation de l’enfant par l’image comme phénomène central pour l’ouverture d’un monde visible qui pourra être dominé par le regard. Il s’agit, dans la démarche merleau-pontienne, de faire remarquer que le développement intellectuel se soutient sur un développement vital et affectif.
Notes
Pour citer cet article
A propos de : Danilo Saretta Verissimo
Universidade Estadual Paulista (Brésil)