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- Volume 9 (2013)
- Numéro 4
- Le remplissement des objets idéaux : Sur la théorie du remplissement catégorial dans la VIe Recherche logique de Husserl
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Le remplissement des objets idéaux : Sur la théorie du remplissement catégorial dans la VIe Recherche logique de Husserl
Résumé
Ce travail porte sur la question du remplissement des visées d’objets idéaux. Dans la VIe Recherche logique Husserl soulève cette question en introduisant un nouveau concept : le concept d’intuition catégoriale. La connaissance des objets idéaux passe selon Husserl par un remplissement qui se réalise au moyen d’une intuition particulière, dans laquelle l’objet idéal se donne en personne, et qui s’oppose à l’intuition sensible. Dans quelle mesure une telle intuition est-elle possible ? Qu’est-ce qui est à proprement parler intuitionné en elle et comment cette intuition se rapporte-t-elle aux intuitions sensibles ? Telles sont les principales questions que je soulèverai dans cette étude. Ce travail me permettra ensuite de formuler un diagnostic sur les tensions qui persistent dans les Recherches logiques, et qui ne seront résolues que par la réduction transcendantale.
Inhoudstafel
1La question que je voudrais poser dans cette étude concerne la théorie husserlienne de la connaissance et, plus précisément, la connaissance qui est en jeu là où il s’agit d’objets idéaux. En effet, il me semble que dans les Recherches logiques1 Husserl essaie de maintenir deux prétentions qui se trouvent en tension. D’une part, Husserl opère dans les Prolégomènes la fameuse critique du psychologisme, qui concerne en particulier les objets idéaux : ceux-ci relèvent d’une connaissance qui ne dépend nullement des actes psychiques empiriques dans lesquels elle se réalise. D’autre part, dans la VIe Recherche logique, Husserl donne à la question de la connaissance des objets idéaux une réponse positive qui passe par le concept de remplissement : la connaissance des objets idéaux dépend du remplissement adéquat d’actes de signification catégoriaux dans lesquels ces objets sont visés.
2Quand Husserl parle, dans la VIe Recherche logique, de remplissement, celui-ci est interprété en termes de « plénitude », c’est-à-dire comme présence effective, en personne, de l’objet visé, sous la forme de ses esquisses, dans un acte intuitif remplissant. Ce n’est pas là un simple détail, mais l’essence même de la plénitude : la seule différence entre un acte intuitif et un acte de signification vide est que le premier possède des contenus représentatifs qui peuvent assurer la plénitude de l’acte synthétique de remplissement2. Ce qui semble résister à toute explication de la connaissance qui passe par le concept de remplissement est alors justement cette catégorie d’objets qui semblent se donner uniquement sous le mode de la signification : les objets idéaux. L’exemple le plus évident est celui des objets mathématiques, qui paraissent à un premier regard confinés à la sphère de la pure signification. Si l’on pose la question de leur remplissement, on est obligé ou bien de revenir à une forme ou une autre de psychologisme empirique, qui consisterait à affirmer que ces actes se remplissent dans des exemples particuliers sensibles3, que par exemple les nombres doivent toujours être ramenés à des perceptions de groupes d’objets, ou bien de renoncer à la thèse de l’universalité du remplissement4. Mais Husserl n’est prêt à concéder ni l’un ni l’autre des deux termes de l’alternative. En effet, le premier conduit à une fondation psychologiste des sciences contre laquelle se dressent dès le départ les Recherches logiques. L’autre amène à accepter que les actes qui visent les objets idéaux sont de simples significations auxquelles ne correspond aucune intuition, ce qui rend leurs objets évanescents, des quasi-objets, similaires aux objets fictifs. Or, les objets idéaux, pour être de véritables objets et jouer le rôle qui leur revient dans les sciences, doivent non seulement faire l’objet d’un remplissement intuitif mais aussi, et surtout, d’un remplissement adéquat. C’est la solution que Husserl envisage à ce problème que je voudrais clarifier davantage dans ce qui suit5.
3L’une des thèses principales des Recherches logiques est que toute intention objectivante est ou bien une intuition, ou bien un acte de signification. Mais du fait que ces deux types d’intentionnalité peuvent se rapporter au même objet, il résulte que, tout en étant distincts, ils entretiennent un rapport très étroit. Le rapport à l’objet est en effet définitoire pour un acte intentionnel : l’acte n’est ce qu’il est que parce qu’il se rapporte de telle façon déterminée à tel objet déterminé. Et donc, si deux actes ont le même rapport à l’objet il s’ensuit qu’ils sont essentiellement apparentés. Leurs essences intentionnelles, ce qui fait de ces actes précisément les actes qu’ils sont, coïncident. Ce rapport de coïncidence entre les essences intentionnelles de deux actes, dont l’un présente intuitivement l’objet que l’autre simplement signifie, est ce que Husserl nomme « remplissement ». Le remplissement est la synthèse de deux actes, un acte de signification et un acte intuitif, visant le même objet.
4Le rôle du concept de remplissement est donc essentiel pour la théorie de la connaissance des Recherches logiques, car il explique la façon dont une simple visée de signification peut se confirmer, et devenir ainsi une véritable connaissance. Un acte de signification dit simplement quelque chose d’un objet. Si cet objet est donné effectivement dans un acte d’intuition correspondant, si je vois effectivement qu’il est tel que je le décrivais (ou, au contraire, qu’il n’est pas ainsi), alors la simple signification acquiert une valeur de vérité. C’est donc la synthèse de remplissement qui, dans les Recherches logiques, rend compte du fait que les contenus de nos actes de signification peuvent être vrais ou faux. Par cette synthèse, les contenus intuitifs propres à l’acte intuitif viennent « remplir » l’acte de signification, qui est « vide ». Cette métaphore du vide et du plein concerne précisément les contenus intuitifs, c’est-à-dire, les esquisses sous la forme desquelles un objet peut se présenter à la conscience. Le remplissement peut être plus ou moins adéquat, mais dans le cas d’une connaissance positivement vraie, le remplissement doit être adéquat : l’objet doit pouvoir être saisi dans une intuition correspondant parfaitement à la visée de signification.
5Il n’y a donc pas pour Husserl de connaissance sans intuition6. Or, dans le cas des objets idéaux, dont le statut d’objets vrais, donc d’objets corrélats d’un remplissement adéquat, est l’enjeu principal des Recherches logiques, Husserl devra montrer en quoi consiste précisément leur intuition adéquate. Les objets idéaux sont, en effet, ceux par rapport auxquels l’exigence du remplissement adéquat se formule par excellence. Il est essentiel pour les objets idéaux, à la différence des objets fictifs, qui dépendent entièrement de la conscience qui les crée, d’être vrais7.
6Dans ce qui suit je me propose donc d’expliquer ce que ce remplissement adéquat pourrait être dans le cas des objets idéaux (par exemple les objets mathématiques). C’est justement par rapport à ce type d’objet que se pose essentiellement le problème de la connaissance. Or, nous nous trouvons dans l’embarras si la connaissance est conditionnée par la possibilité d’une intuition adéquate correspondant au simple acte de signification. Car il est difficile d’imaginer quelle pourrait être l’intuition correspondante à un nombre imaginaire ou à un triangle en général. Pour répondre à ce problème, Husserl introduit, au chapitre vi de la VIe Recherche logique, ce concept dont le caractère problématique est évident : l’intuition catégoriale8. L’intuition catégoriale est ce qui est censé correspondre, du côté de l’intuition, aux significations catégoriales, c’est-à-dire, en fin de compte, à toutes les significations qui ne sont pas des noms ou des équivalents, mais qui présentent une forme propositionnelle ou une articulation quelconque. Or l’intuition ne peut, normalement, présenter que des objets sensibles, qui sont des individus particuliers9.
7Dans un premier temps je montrerai ce qu’est, dans les Recherches logiques, le catégorial, indépendamment de la question du remplissement, et par quels moyens il se constitue. Une fois le statut du catégorial dans les Recherches éclairci, je porterai mon attention sur ce qui correspond au catégorial du côté de l’intuition. C’est ainsi que j’attaquerai la question centrale de cette étude : qu’est-ce que l’intuition catégoriale ? Comment s’opère-t-elle ? Et, le plus important, dans quelle mesure est-elle une intuition alors qu’elle se distingue radicalement de l’intuition sensible ? Enfin, dans un troisième temps, je tenterai d’esquisser la solution que Husserl propose dans les Recherches à notre problème : comment un acte visant un objet idéal peut-il se remplir et que présuppose plus précisément ce remplissement10 ? Cette analyse me permettra de formuler un diagnostic sur les tensions qui me semblent persister dans les Recherches entre d’une part la critique du psychologisme et l’exigence d’une distinction définitive entre logique et psychologique, et d’autre part une théorie de la connaissance fondée sur le concept de remplissement.
1. Qu’est-ce que le catégorial ? Les formes du catégorial
8Avant d’aborder la question de l’intuition catégoriale, voyons ce que Husserl entend en général par « catégorial ». Le catégorial est conçu tout d’abord, à partir du dernier chapitre de la Ire Recherche logique, comme ce qui constitue le domaine propre de la logique. C’est à partir du catégorial que se constituent les lois qui régissent la pensée. Ces lois sont essentiellement de deux types : syntaxiques et sémantiques.
9Les lois syntaxiques, qui sont de l’ordre de la grammaire, sont traitées en détail dans la IVe Recherche logique. Il s’agit des lois qui, en faisant abstraction du contenu sémantique des significations, veillent à ce que la composition des significations se fasse correctement. Ces lois préviennent les non-sens (Unsinne) syntaxiques du type Vert est ou, mais ne disent rien sur les contradictions de contenu. La prévention de celles-ci revient aux lois sémantiques qui sont de l’ordre de la logique11. C’est grâce à ces lois que nous pouvons identifier les propositions formées de telle façon qu’aucun objet ne peut leur correspondre. Il s’agit de ce que Husserl appelle, dans la IVe Recherche logique, les Widersinne, les contradictions d’ordre sémantique du type « ce cercle est carré », qui ne sont pas des non-sens — car la signification est correctement construite du point de vue formel —, mais auxquelles aucun objet ne peut correspondre. Ainsi, il y a une double portée des lois logiques : elles règlent la forme des jugements du point de vue de leur contenu sémantique et, par là même, elles rendent également compte de leurs corrélats objectifs correctement ou incorrectement composés.
10Si l’on doit donc définir le catégorial de manière très générale, on constate qu’il couvre le domaine de ce qui peut être pensé, ainsi que les lois qui régissent ce domaine. Et ces lois se divisent en deux catégories que Husserl distingue dans la VIe Recherche logique comme lois de la pensée au sens propre et lois de la pensée au sens impropre. Les lois de la pensée au sens impropre, ou les lois syntaxiques de la grammaire pure, ne gèrent que l’aspect de la pensée qui tient à la signification, le côté formel, et ne disent rien sur le contenu objectif, sur ce qui est pensé effectivement12. Du point de vue de la grammaire les lois règlent les limites à l’intérieur desquelles on peut changer les mots salva significatione, c’est-à-dire sans que l’énoncé devienne un non-sens. Elles tolèrent néanmoins les contradictions, c’est-à-dire des expressions correctement formées qui sont cependant contradictoires quant à leur contenu. En revanche, les lois de la logique pure, qui sont des lois de la pensée au sens propre, concernent la connaissance proprement dite et, plus précisément, le remplissement catégorial : le rapport entre les jugements et l’objet qui leur correspond. Du point de vue de la logique, donc, les lois logiques configurent les limites dans lesquelles on peut varier le contenu sémantique de nos énoncés salva veritate. Le catégorial va donc de pair avec le formel en ce sens que, partout où il y a du catégorial, le contenu peut varier indéfiniment. Le catégorial est donc ce qui reste fixe dans cette variation, c’est-à-dire la forme de l’articulation des contenus13.
11On identifie alors le catégorial à plusieurs niveaux. Peut être catégorial un énoncé qui a une forme propositionnelle, en ce sens que des mots sont reliés ensemble en une forme qui peut accommoder aussi d’autres mots. Nous sommes ici au niveau de la grammaire, où le critère qui règle cette variation est le fait que l’énoncé ait toujours une signification, même si celle-ci est absurde, contradictoire. Nous trouvons aussi du catégorial au niveau de l’articulation des significations. On peut nommer catégorial l’acte de signification dans lequel apparaît la forme catégoriale, mais aussi l’acte d’intuition qui remplit cette visée catégoriale vide. Et enfin, on peut nommer « catégorial » l’objet qui est visé dans ces actes14.
12Laissons de côté pour l’instant l’énoncé effectif, l’articulation des signes, pour nous concentrer sur le problème que nous avons soulevé : celui du remplissement catégorial. Nous avons donc des actes catégoriaux et des objets catégoriaux qui correspondent à ces actes. En ce qui concerne les actes, ils sont soit de simples visées catégoriales (donc des actes de signification), soit des intuitions catégoriales15. Ces actes ne sont catégoriaux que dans la mesure où les objets qu’ils visent sont eux-mêmes catégoriaux. Ce sont ces objets qui posent en effet problème, car il faudra clarifier leur statut là où ils sont visés dans un acte intuitif, dont l’exigence est que l’objet soit donné pour ainsi dire « en personne ».
13Qu’est-ce qui peut être objet catégorial ? Dans cette catégorie Husserl range deux types d’objets dont le statut est encore à établir : les états de choses et les concepts16. Chacun de ces objets est obtenu par un procédé propre. Les états de choses sont le résultat d’une mise en évidence des relations dans lesquelles sont pris les objets sensibles. Ces relations peuvent être internes (entre le tout et la partie) ou externes, entre deux parties appartenant à un tout. La mise en relief de ces relations correspond à la visée catégoriale d’un état de choses. En ce qui concerne les concepts, ils sont obtenus par un procédé détaillé dans la IIe Recherche logique : l’abstraction17. Celle-ci est à son tour de deux types : sensible ou catégoriale. L’abstraction sensible consiste à isoler dans un tout perçu une partie qui est elle-même sensible, et à la viser pour elle-même. Je peux ainsi viser « le rouge de cette pomme » — par là même j’opère une abstraction qui isole une partie sensible dans un tout sensible. On décrit ainsi le concept classique, empiriste, d’abstraction. Mais Husserl refuse de suivre Locke jusqu’au bout et d’accepter que cette abstraction peut se trouver à la base des concepts généraux. Pour obtenir du général il ne suffit pas d’isoler une partie du sensible, mais de la viser autrement, de la viser justement dans sa généralité. Ainsi, viser le rouge de cette pomme et viser le rouge en général, cela ne revient pas au même. Il s’agit toujours, dans le deuxième cas, d’une abstraction, mais d’une abstraction idéatrice, ou généralisante, qui isole aussi, à partir d’une intuition sensible, mais ce qu’elle isole n’a plus rien de sensible. Autrement dit, ce dont on fait abstraction dans le cas de l’abstraction idéatrice c’est justement ce qu’il y a de sensible dans l’intuition sur la base de laquelle se produit l’abstraction18.
14Les objets catégoriaux sont donc le résultat soit de la mise en relation des parties et des touts sensibles, soit de l’abstraction à partir d’une intuition sensible. Et les deux types d’objets catégoriaux semblent, à première vue, radicalement différents. Les états de choses sont des articulations d’objets ou de parties d’objets selon une forme catégoriale qui est elle-même visée par l’acte catégorial. Par forme catégoriale, Husserl entend un élément syncatégorématique qui assure la liaison entre le tout et la partie, ou entre plusieurs parties d’un tout. Il s’agit par exemple de la copule « est », de la disjonction « ou », de la conjonction « et », mais aussi des articles définis, du si, du alors, de tous et aucun, de quelque chose et de rien, etc. Ce sont des éléments propositionnels qui font bien partie de la visée de signification catégoriale, mais pour lesquels on ne trouve pas de correspondant intuitif tant que nous concevons l’intuition uniquement comme intuition sensible19.
15En ce qui concerne les concepts, en tant que résultats de l’abstraction, nous en trouvons une définition et une classification à la fin de la IIe Recherche logique20. On peut envisager un concept en tant que prédicat d’un sujet, ou en tant que sujet d’un jugement. On peut dire, par exemple, que « la pomme est rouge », mais aussi que « le rouge est une couleur ». Dans ce dernier cas, on n’a plus affaire à un simple concept, c’est-à-dire à un prédicat, mais à un objet de concept, c’est-à-dire à un prédicat devenu lui-même l’objet sur lequel porte le jugement. Or cette distinction a des effets sur le plan des objets. On retrouve maintenant, à côté des objets individuels, concrets, des objets de concepts, ou des objets « généraux », qui peuvent, à leur tour, avoir des prédicats21. Ainsi, la distinction se fait entre d’une part des prédicats (des concepts) et d’autre part des objets qui peuvent avoir des prédicats mais qui n’en sont pas eux-mêmes (les objets sensibles). Mais au niveau de la IIe Recherche logique cette thèse reste encore chargée d’équivoques, que Husserl constate lui-même. Il est en effet presque inévitable de confondre le niveau de la signification et le niveau proprement objectif là où il s’agit de concepts devenus objets :
Par suite d’une équivoque on donne le nom « concepts » aussi bien aux objets généraux qu’aux représentations générales (aux significations générales) […]. L’un a manifestement avec l’autre le même rapport que la signification Socrate avec Socrate lui-même22.
16Et encore, dans le cas de Socrate, on a affaire à un individu sensible, alors que dans le cas du « rouge général » on a du mal à voir ce qui correspond à la signification sur le plan objectif. Il faudra attendre la deuxième section de la VIe Recherche logique, et notamment la découverte de l’intuition catégoriale, pour avoir une réponse à cette question.
2. L’intuition catégoriale
17Le point de départ de la deuxième section de la VIe Recherche logique est le constat qu’il y a des actes de signification catégoriaux qui prétendent à la vérité. Il faut donc rendre compte de leur remplissement intuitif. Mais avant de commencer l’analyse de l’intuition catégoriale, il faudrait que l’on distingue entre deux niveaux du questionnement. L’intuition catégoriale répond tout d’abord, dans la VIe Recherche logique à la question de savoir ce qui correspond dans l’intuition à la forme catégoriale de l’énoncé, qui est donnée dans un élément syncatégorématique. Le questionnement porte donc sur un niveau où des éléments sensibles s’articulent à l’aide d’un élément qui ne peut pas être sensible (la copule « est », par exemple). Cependant, savoir ce qui correspond au niveau intuitif aux éléments syncatégorématiques est un problème différent de celui que nous avons posé d’emblée, qui était de savoir ce qui correspond intuitivement aux concepts généraux. Ceux-ci ne sont manifestement pas des éléments syncatégorématiques, mais justement des objets qui peuvent jouer le rôle de sujet dans un jugement. On a donc deux problèmes différents :
181. Qu’est-ce qui correspond dans l’intuition à un énoncé propositionnel de perception (le problème de la copule) ?
192. Si le remplissement est universel, qu’est-ce qui correspond aux énoncés qui ne portent pas sur des objets de la perception sensible ?
20L’intuition catégoriale est censée répondre aux deux questions23. Voyons donc comment elle est mise en place dans la VIe Recherche logique.
21Le questionnement porte tout d’abord sur le remplissement des visées de signification qui ont une forme propositionnelle et qui portent sur des objets sensibles. Quand nous avons un énoncé de perception, à cet énoncé correspond nécessairement la perception qui est exprimée. Mais nous constatons qu’il n’y a pas une correspondance point par point entre ce que nous disons et ce que nous voyons. Il y a un excès du côté de la signification : dans l’expression « le papier est blanc », il y a quelque chose de plus par rapport à l’intuition du papier blanc. Dans l’expression, l’objet et son prédicat ne sont pas donnés comme un tout homogène, mais dans une articulation dont le signe est la copule « est ». Autrement dit, l’expression a une forme catégoriale, elle s’articule selon un modèle qui peut être rempli par des contenus différents, alors que dans l’intuition du papier, il n’y a strictement rien qui pourrait correspondre à cette forme catégoriale (au mot « est »).
22Une solution tentante serait d’affirmer que l’intuition qui correspond à la copule est de l’ordre de la perception interne : je perçois par la réflexion l’acte de signification dans lequel j’utilise la copule, et dans cette perception interne cet acte de signification est donné comme objet et non plus comme acte. Ainsi, tout ce dont on ne peut pas rendre compte par la perception externe est objet de la perception interne. En d’autres termes, il s’agit là d’actes de significations objectivés, nominalisés, rendus disponibles en tant qu’objets du fait d’être visés par un acte réflexif. L’intérêt de cette solution est qu’elle permettait de maintenir la thèse de l’universalité du remplissement sans élargir le domaine ontologique des objets.
23Cependant, Husserl est extrêmement clair dans le rejet de cette thèse24. Et pour une bonne raison : pour qu’il y ait remplissement il faut que les deux actes, l’acte de signification et l’acte intuitif, aient la même matière intentionnelle, c’est-à-dire qu’ils visent le même objet exactement de la même façon. C’est uniquement par cette coïncidence parfaite de matières que l’acte intuitif parvient à fournir à l’acte de simple signification son contenu intuitif, et par là même confirmer qu’il y a bien un objet qui répond à cette visée. Or, si nous prenons l’acte catégorial d’une part, et d’autre part la perception interne de cet acte donné dans la réflexion, on voit que cette perception vise l’acte d’un seul coup, en faisant abstraction de son articulation catégoriale. Dans l’intuition interne d’un acte de signification, il n’y a rien de catégorial. C’est pourquoi ce ne peut pas être le même objet qui est visé dans l’acte réflexif et dans l’acte intuitif catégorial25. Alors même qu’elle constitue déjà un élargissement du concept habituel de perception, qui implique la présence d’un objet physique spatio-temporel, en acceptant comme objets de perception des objets qui ne sont que temporels, qui manquent donc de la dimension spatiale (les vécus), la perception interne n’est pas pour autant catégoriale. Dans la réflexion on vise un acte, qui par là même devient objet sensible, donné dans la perception interne d’un coup, sans aucune articulation, alors que l’intuition qui remplit la visée catégoriale doit viser le même objet que celle-ci, c’est-à-dire un objet catégorial présentant une forme catégoriale. Ce que nous obtenons par la voie de la réflexion, selon Husserl, ce sont des concepts comme ceux d’affirmation, de jugement, de perception, de négation, de colligation (des actes objectivés, ou nominalisés), et leur visée se remplit par n’importe quel exemple concret de tel acte. Mais nous n’obtenons pas par la réflexion est, un, tous, etc. Est ne peut se remplir par rien de perceptible (ni donc par la perception interne au sens des Recherches logiques, synonyme de réflexion26).
24Cependant, là où Husserl doit donner une alternative positive, où il doit expliquer comment les actes catégoriaux se remplissent effectivement, on a l’impression que, pour répondre à l’exigence d’un remplissement catégorial, Husserl sortira pratiquement de son chapeau l’intuition catégoriale. L’argument est formulé à peu près ainsi : on a des intentions de signification qui présentent un format propositionnel — il faut bien qu’elles puissent se remplir. On ne trouve cependant rien de l’ordre de la perception sensible qui puisse remplir les formes syncatégorématique contenues dans ces propositions. Donc les visées catégoriales ne peuvent pas se remplir point par point, il faut que leur remplissement soit global, de sorte que, dans la foulée, les formes catégoriales soient aussi remplies27. C’est ce que Husserl semble suggérer aux §§ 46 et suivants, où il approfondit la distinction entre perception sensible et perception catégoriale. La perception catégoriale n’est établie dans sa spécificité que par contraste à la « simple » perception sensible28.
25La différence essentielle entre une intuition sensible et une intuition catégoriale est que la première est un acte qui porte directement sur un objet sensible alors que l’intuition catégoriale est un acte qui se construit sur la base d’autres actes qui, eux, sont des perceptions sensibles. Ainsi, un acte catégorial présuppose au moins deux couches d’actes, alors que la perception sensible n’en présuppose qu’une. La différence entre les deux types d’intuition tient, pour le dire clairement, au fait que l’intuition catégoriale est un acte fondé, dans lequel sont mis en relation des actes fondateurs qui, eux, sont des intuitions sensibles donnant directement leurs objets29.
26On pourrait aussi objecter que tout objet simple s’offre à la perception dans une articulation d’esquisses et qu’il n’y a donc, finalement, qu’un seul type d’intuition, l’intuition catégoriale. Le problème serait ainsi très économiquement résolu. Sauf que cette solution ne dit rien de plus sur la nature propre de l’intuition en question et ne fait en réalité que repousser le problème au niveau de l’articulation des esquisses perceptives. Or ce problème, Husserl le résout en soulignant l’unité de l’acte dans lequel cette multiplicité d’esquisses est donnée : les esquisses sont toutes les esquisses d’un seul et même objet qui est visé unitairement dans l’acte. L’essentiel de l’acte de perception sensible est de viser tel objet, et non pas de viser les esquisses qui se présentent une à une aux sens. Ces esquisses, qui constituent le contenu intuitif de l’acte, rendent simplement compte de la présence en personne de l’objet et font ainsi de l’acte une véritable intuition, qui peut par la suite s’articuler à la visée de signification du même objet dans une synthèse de remplissement. Le point important est que l’objet est visé directement, d’un seul trait, indépendamment de la multitude des facettes qui apparaissent successivement dans l’intuition.
27On pourrait être tenté par la possibilité qu’au bout du compte ce soient toujours les actes sensibles qui remplissent la visée catégoriale. Mais c’est précisément là la raison pour laquelle Husserl introduit ce nouveau concept d’intuition catégoriale qui s’oppose aux intuitions sensibles : on a besoin d’un remplissement spécifique des visées catégoriales. Le remplissement se produit au moment où il y a une intuition qui vise le même objet que la visée vide et précisément de la même façon. Or il y a un gouffre entre les simples perceptions sensibles et les visées catégoriales. N’étant pas des actes du même niveau, ils ne peuvent pas avoir exactement la même matière intentionnelle. C’est pourquoi les intuitions sensibles ne peuvent pas entrer dans une synthèse de remplissement avec la visée catégoriale. Et par là même, une intuition catégoriale, quoique fondée dans les intuitions sensibles, ne reprend pas simplement les objets de celles-ci, mais introduit une nouvelle objectivité, catégoriale, qui lui est propre30.
28On voit donc que les actes catégoriaux ne peuvent se remplir ni par la réflexion qui transforme les actes en objets de la perception interne, ni par les perceptions d’objets sensibles qui jouent pour eux le rôle d’actes fondateurs. Dans un cas comme dans l’autre l’objectité visée (qu’elle soit un acte ou un objet sensible) n’a rien de catégorial. Elle n’est donc pas la même que l’objectité visée par l’acte catégorial pour lequel on cherche un remplissement. Le fondement minimal de la synthèse de remplissement, le fait qu’un même objet soit visé dans l’acte vide et dans l’acte qui le remplit, n’est assuré dans aucune des deux perspectives. C’est pourquoi, là où l’on parle d’intuition catégoriale, c’est une nouvelle objectité, elle-même catégoriale, qui doit jouer le rôle d’objet d’intuition.
3. La Repräsentation catégoriale
29En quoi consiste cette nouvelle objectité ? En réalité elle n’est, paradoxalement, rien d’autre que la même objectité qui était visée par l’intuition sensible. On peut appréhender un objet sensible de deux manières : soit directement, de manière simple, comme dans le cas de la perception sensible (et dans ce cas toutes ses déterminations sont implicites, aucune n’est mise en relief), soit justement en exhibant l’un de ses aspects. Dans les deux cas il s’agit toujours du même objet, mais ce qui change, ce sont les actes, plus précisément leur matière intentionnelle, la façon dont l’objet est appréhendé (Auffassung). Ainsi l’intuition catégoriale « que le papier est blanc » implique une intuition simple du papier et une intuition simple différente qui porte uniquement sur la blancheur du papier. Et l’acte catégorial dans lequel est donné « l’être blanc du papier » est une synthèse entre ces deux actes simples. L’objet complexe ne peut pas se constituer sans les actes simples, qui fondent l’acte catégorial, mais en tant qu’objet d’un acte fondé il est essentiellement différent des objets des perceptions sensibles fondatrices. Cet objet n’est ni le papier (objet sensible), ni la blancheur (moment de l’objet sensible), mais un état de choses.
30La fondation est donc symétrique : à l’acte fondé (l’intuition catégoriale) correspond un objet fondé, l’état de choses, qui n’est plus un objet sensible, même s’il se constitue sur la base d’objets sensibles. Cependant, il ne faut pas se tromper. En réalité, ontologiquement il n’y a qu’un seul objet : le papier blanc. Quand nous parlons d’objet catégorial par opposition à l’objet sensible, ce que nous avons en vue, ce sont les objets intentionnels, les objets en tant que visés, et plus précisément les matières intentionnelles des deux actes : l’acte sensible et l’acte catégorial. La distinction entre sensible et catégorial se fait donc du côté des actes, plus précisément du côté de ce qu’il y a d’objectif dans les actes, et non pas du côté de l’objet réel, de l’objet indépendant par rapport à ces actes. Dans les deux actes, le corrélat objectif est le même. Certes, dira Husserl,
la partie se trouve dans le tout avant toute articulation, et elle y est appréhendée tout ensemble avec l’appréhension perceptive du tout ; mais le fait qu’elle y est impliquée n’est, tout d’abord, que la possibilité idéelle de l’amener, elle et son être-partie, dans des actes articulés et fondés, au niveau de la perception31.
31C’est donc le même objet réel qui est visé dans les deux actes, mais il n’est pas visé de la même façon. C’est la matière intentionnelle qui, dans l’acte catégorial, est différente par rapport à l’acte sensible, alors que le corrélat ontologique reste le même. Le changement qui passe du sensible au catégorial est un changement de perspective, non pas d’objet. C’est le côté objectif « à l’intérieur des actes » qui change, la matière intentionnelle : viser tel objet et le viser de telle façon déterminée (was et als was). Donc la distinction entre une intuition sensible et une intuition catégoriale est que l’une est un acte qui se rapporte directement à un objet sensible, que sa matière intentionnelle est simple, alors que l’autre est un acte fondé dans les matières d’autres actes, qui présuppose donc une couche d’actes fondateurs qui, eux, se rapportent directement à des objets sensibles.
32Tout le poids de la catégorialité revient donc à l’acte32 et non pas à l’objet, quoique, par un effet de retour, l’objet d’un acte catégorial soit conçu lui-même comme étant catégorial, comme présentant une articulation qui n’apparaissait pas dans la visée simple. Dans ce contexte, les intuitions catégoriales, de même que les intuitions simples, présentent trois composantes : la qualité, la matière ou le sens d’appréhension, qui dans le cas de l’intuition catégoriale présente la forme d’une articulation, et ses représentants qui assurent réellement le remplissement33.
33La question de savoir ce qui est effectivement intuitionné dans l’intuition catégoriale revient ainsi subrepticement, car on se demande quelle est la nature de ces représentants desquels dépend le remplissement catégorial. En effet, dans l’acte d’intuition catégoriale, si c’est la matière qui rend compte de son caractère catégorial, ce sont bien ces représentants, que Husserl appelle aussi « contenus intuitifs », qui font que l’acte soit une intuition proprement dite. Donc la question revient de savoir si ces représentants, qui dans l’intuition simple ne sont rien d’autre que des esquisses sensibles de l’objet, sont dans l’intuition catégoriale d’une tout autre nature, ou bien si ce sont les mêmes. Et pour les deux solutions on peut trouver facilement des contre-arguments. Si en effet, comme nous l’avons vu, l’objet visé dans l’intuition catégoriale, l’objet transcendant qui est son corrélat ontologique, n’est pas autre que dans le cas de l’intuition sensible, alors ses esquisses ne peuvent pas non plus être différentes : il s’agit, encore une fois, de sensations provoquées par l’objet. Mais dans ce cas, on en revient à la thèse que nous venons de rejeter selon laquelle en réalité le remplissement intuitif se réaliserait par des données sensibles n’ayant rien de catégorial. Et, du même coup, on perd la possibilité de distinguer les diverses actes catégoriaux ayant la même forme catégoriale. Au niveau de l’intuition simple, on pouvait distinguer entre l’intuition d’une maison et l’intuition d’un arbre en identifiant une variation de la pure matière d’acte. Au niveau catégorial, on a l’impression que la connexion est toujours la même par exemple dans tous les cas de conjonction (dans « rouge et noir » et dans « Platon et Socrate » le « et » est exactement le même), alors que la seule variation possible se fait au niveau des actes fondateurs34. Ce qui revient, encore une fois, à chercher le remplissement des actes catégoriaux au niveau des actes fondateurs simples35. D’autre part, cependant, comment envisager des représentants de l’objet qui, tout en étant des représentants intuitifs (par opposition aux simples représentants signitifs), sont d’un tout autre ordre que les représentants dans les intuitions simples ? Que pourraient-ils être dans ce cas ?
34La solution de Husserl devra se préfigurer comme un juste milieu entre ces deux hypothèses, ce qui reviendra à dire que les représentants de l’intuition catégoriale sont effectivement les esquisses de l’objet sensible sans pour autant l’être au même sens que dans le cas de l’intuition simple. Les représentants catégoriaux à la fois sont et ne sont pas exactement les mêmes que les représentants de l’intuition simple.
35Le problème est de montrer en quel sens un état de choses serait un objet d’intuition s’il est essentiellement différent d’un objet sensible, ou alors en quoi il est réellement différent de l’objet sensible visé par les actes fondateurs. Il faudra surtout montrer comment il peut assurer le remplissement en l’absence de caractères sensibles qui remplissent normalement cette tâche. Au niveau des actes sensibles, il est en effet facile de distinguer une simple visée d’un acte intuitif remplissant, car le dernier présente, à côté de son contenu signitif, un contenu intuitif qui présentifie l’objet (les esquisses)36. Mais comment faire en sorte qu’un état de choses soit donné en personne dans une intuition catégoriale censée remplir la simple visée catégoriale, s’il n’est pas un objet sensible et donc si les seules esquisses qui entrent ici en ligne de compte sont les esquisses des actes simples qui fondent l’acte synthétique ? Au § 49 Husserl répondra qu’en réalité ce sont les mêmes esquisses que dans le cas des actes sensibles qui assurent à l’acte catégorial son caractère intuitif. Les actes sensibles fondateurs reçoivent une nouvelle forme dans l’acte catégorial fondé
de telle manière qu’ainsi le contenu sensible de l’objet phénoménal demeure inchangé. L’objet n’apparaît pas avec de nouvelles déterminations réelles, il est là, bien le même, mais là selon un mode nouveau. L’insertion dans le contexte catégorial lui confère une place et un rôle déterminés, le rôle de membre d’une relation, spécialement d’un membre sujet ou objet37.
36On voit ainsi en quoi consiste la subtilité de la position husserlienne. Il s’agit d’introduire une nuance intermédiaire entre les deux variantes, l’une qui range le remplissement intuitif du côté de la simple intuition sensible et qui nous rend incapable de penser une véritable différence entre les représentants de celle-ci et les représentants catégoriaux, et l’autre qui, en maintenant cette différence, conçoit les représentants catégoriaux sur le modèle des représentants signitifs — ce qui revient à dire que les actes catégoriaux doivent être considérés, tous sans exception, comme étant des actes de signification vides, et encore une fois, en fin de compte, à concéder que leur remplissement passe par les seules intuitions simples sensibles. Pour Husserl ce sont, certes, les mêmes aspects de l’objet qui jouent le rôle de représentants dans l’intuition catégoriale et dans l’intuition sensible. Mais pour autant, il y a une différence essentielle entre le rôle qu’ils jouent dans les deux cas : quoiqu’il s’agisse des mêmes sensations, elles ne représentent pas dans les deux cas la même chose. La différence tient au fait que, dans les deux types d’actes, les contenus sont informés par des sens d’appréhension différents, dont l’un est simple et l’autre catégorial. D’autre part, cependant, il est impossible de penser un représentant intuitif de manière isolée, sans qu’il se relie à un sens d’appréhension. En effet, un tel représentant ne remplit plus aucune fonction représentative, il est une simple sensation prise pour elle-même. La même sensation en tant que représentant d’un objet est indissociable du sens d’appréhension qui indique ce même objet. Donc, il est impossible de séparer le représentant de la matière intentionnelle de l’acte, la fonction représentative de la sensation dépend de son information par un sens d’appréhension. On comprend ainsi pourquoi le même représentant, exactement la même esquisse sensible, tant qu’elle est prise en elle-même (ce qui est un point de vue radicalement artificiel, car il fait que le représentant cesse de représenter quoi que ce soit) n’est pas tout à fait la même si, dans la situation normale où elle forme une unité avec son sens d’appréhension, ce dernier change.
37Ce sont donc les mêmes contenus intuitifs effectifs, le même rouge, la même perspective sur la maison, qui fonctionnent comme représentants dans l’intuition simple et dans l’intuition catégoriale. Cependant, ces représentants n’acquièrent leur fonction représentative que du fait de leur fusion avec un sens d’appréhension qui, lui, peut changer, et c’est pourquoi les représentants ne sont pas tout à fait les mêmes dans les deux cas. Dans un acte catégorial, les matières des actes fondateurs ne sont pas les mêmes que celles des actes simples. Du fait de leur articulation dans la relation catégoriale, cette matière change. Les objets ne sont plus conçus simplement en tant que visés, mais aussi en tant que membres de la relation. On ne voit plus simplement une grande maison, mais une maison plus grande que celle d’à côté. Les objets intentionnels des actes fondateurs reçoivent une nouvelle détermination en tant que membres de cette relation qui leur impose l’acte catégorial et, par là-même, les esquisses correspondantes, qui sont exactement les mêmes, sont aussi imprégnées de ce nouveau rôle. C’est ainsi qu’une intuition catégoriale remplissante devient possible.
4. Les objets idéaux — corrélats d’actes purement catégoriaux
38Le texte de la VIe Recherche logique répond donc à la première question, à savoir à la question de savoir comment une visée catégoriale peut se remplir intuitivement sans être reconduite à une intuition sensible. C’est dans le vécu concret, psychologique, des sensations produites par les actes fondateurs, que nous trouvons l’équivalent catégorial des contenus intuitifs. Ce sont les mêmes contenus intuitifs qui étaient présents dans le remplissement de visées simples (mais qui reçoivent une nouvelle nuance du fait d’être associés à un acte catégorial, à une matière intentionnelle articulée) qui remplissent aussi l’acte catégorial. Il nous reste cependant à rendre compte du remplissement des actes qui portent non plus sur des états de choses fondés dans le sensible, mais sur des objets idéaux qui semblent à première vue parfaitement détachés de toute forme d’intuition et qui devraient, en principe, être indépendants par rapport à toute dimension psychologique des actes.
39Pour bien cerner le cas des actes catégoriaux dans lesquels sont donnés des objets idéaux, il faut distinguer entre trois niveaux d’actes intuitifs auxquels correspondent trois types d’objets distincts. Nous trouvons, à un premier niveau de l’intuition, les perceptions simples par lesquelles les objets sensibles et leurs composantes se présentent comme données par l’intermédiaire des esquisses. Ensuite, à un deuxième niveau, nous trouvons une première couche d’intuitions catégoriales, qui sont des actes fondés directement sur des actes sensibles. Ces actes ont comme corrélats les états de choses de toutes sortes (collectifs, disjonctifs), qui sont des objets d’ordre supérieur dans lesquels des objets sensibles sont reliés par des formes catégoriales. Ce sont ces deux niveaux d’intuition que nous avons analysés jusqu’ici. Mais il y a un troisième niveau qui est celui des actes fondés sur des actes qui sont eux-mêmes déjà des actes fondés. Ce sont des actes qui se constituent à partir non plus d’actes sensibles, mais à partir des formes catégoriales des actes fondés. On a donc dans leur cas une fondation à plusieurs couches, et la question sera de savoir quels objets leur correspondent et surtout comment ils peuvent être donnés dans une intuition.
40C’est à ce troisième niveau de fondation que nous trouvons les objets qui nous intéressent : les objets qui n’ont plus aucun lien avec le sensible, les objets idéaux. Et ce niveau se distingue essentiellement de celui des corrélats d’énoncés de perception qui étaient encore ancrés dans le sensible et dont seule la forme catégoriale les distinguait des simples perceptions.
Les actes synthétiques simples dont nous nous sommes occupés jusqu’à présent étaient fondés dans des simples perceptions, de telle manière que l’intention synthétique était dirigée en même temps sur les objets des perceptions fondatrices, en les saisissant idéalement ensemble ou les reliant en une unité. Et c’est là un caractère universel des actes synthétiques. Nous allons maintenant examiner des exemples tirés d’un autre groupe d’actes catégoriaux, où les objets des actes fondateurs n’interviendraient pas conjointement dans l’intention de l’acte fondé et ne manifesteraient leur rapport étroit avec celui-ci que dans des actes relationnels. C’est le domaine de l’intuition générale — une expression qui, pour bien des lecteurs, sera sans doute tout aussi insolite que celle de fer en bois38.
41Dans le cas de cette nouvelle catégorie d’actes fondés, toute intuition sensible, même si elle fait partie des couches inférieures de la fondation, reste hors jeu. Les corrélats objectifs ne sont plus des états de choses sensibles mais des catégories, des espèces. Elles se fondent aussi, comme tout autre acte, dans des intuitions sensibles, mais seulement de manière indirecte. Husserl dira :
Il est dans la nature même de la chose qu’en dernière analyse tout ce qui est catégorial repose sur une intuition sensible, bien plus, qu’une intuition catégoriale, donc une vision évidente de l’entendement, une pensée au sens le plus élevé, qui ne serait pas fondée dans la sensibilité, est une absurdité39.
42Il faut cependant faire attention à ce que veut dire « reposer sur l’intuition sensible ». Certes, au bout du compte, le monde ne se compose que d’objets sensibles, et toute notre connaissance du monde porte, par là même, sur ces objets sensibles. Mais sur la base de cette intuition sensible nous pouvons construire des niveaux qui se compliquent de plus en plus et qui ne prennent, dans cette même expérience sensible sur laquelle ils se fondent, que ce qui est essentiellement général. Ainsi, il y a un sens à distinguer des actes purement catégoriaux. Car, dira Husserl au § 60,
si nous considérons la propriété qu’a l’abstraction idéatrice de reposer, sans doute nécessairement, sur l’intuition individuelle, mais de ne pas viser pour cela ce que cette intuition a d’individuel ; si nous considérons qu’elle est, au contraire, un nouveau mode d’appréhension qui, au lieu de l’individualité, constitue bien plutôt une généralité : il en résultera la possibilité d’intuitions générales qui n’excluent pas seulement de leur contenu intentionnel tout ce qui est individuel mais aussi tout ce qui est sensible40.
43C’est pourquoi il n’y a pas de passage direct du troisième au premier niveau de l’intuition : on ne passe pas directement de l’objet sensible à l’objet idéal. Certes, il y a génétiquement une fondation des objets idéaux sur la sensibilité, mais logiquement, ceux-ci ne se remplissent pas par des intuitions sensibles. Le point n’est pas que les lois idéales, les concepts purs, etc., sont parfaitement isolés du niveau de l’intuition sensible. Elles sont cependant suffisamment générales pour supporter une variation indéfinie de ce contenu sensible. En d’autres termes, le contenu sensible des actes fondateurs leur est parfaitement indifférent, n’importe quelles esquisses de l’objet peuvent faire l’affaire. En revanche, le remplissement se fait directement par l’intuition catégoriale. Autrement dit, pour avoir une intuition adéquate d’une loi pure il suffit de descendre au deuxième niveau, celui où des états de choses sont donnés intuitivement sous la forme de pensées catégoriales. Pour le dire plus clairement, les objets idéaux ne peuvent pas être ramenés directement aux intuitions sensibles précisément parce qu’ils sont des abstractions de deuxième degré, constituées à partir d’actes fondés eux-mêmes dans des intuitions sensibles. On est sur la troisième couche de la fondation.
44Mais la difficulté n’est pas encore résolue. Nous avons dit que les actes catégoriaux de cette troisième couche de fondation se constituent à partir d’actes catégoriaux, par abstraction à partir de leurs formes catégoriales. Mais à regarder les choses plus attentivement, on a l’impression que l’abstraction et la mise en relation fonctionnent de manière très différente, qu’il s’agit là de deux procédés qui ne peuvent ni se réduire l’un à l’autre, ni se traduire l’un dans l’autre. Un élément supplémentaire à l’origine de cette impression est que Husserl traite toujours les deux problèmes séparément. Le problème de l’abstraction est le thème central de la IIe Recherche logique alors que les relations internes et externes sont le thème de la IIIe Recherche. Aussi, quand Husserl reprend ces analyses dans la VIe Recherche, il traite d’abord des formes catégoriales syncatégorématiques, pour ensuite, au § 52, passer aux objets généraux sans faire aucun lien entre les deux problèmes, au contraire, en soulignant qu’il est en train de passer à une nouvelle catégorie d’actes catégoriaux. Or, la difficulté est de montrer précisément où se situe la catégorialité des actes qui donnent des objets idéaux. Car ceux-ci ne sont certainement pas des formes syncatégorématiques, mais justement des concepts, qui peuvent très bien jouer le rôle de sujet dans un énoncé. Aussi, nous ne voyons pas où est la multiplicité d’actes fondateurs dans l’idéation : Husserl affirme simplement que l’idéation est un acte qui prend dans l’acte sensible ce qu’il a de général. Mais dans ce cas, il ne s’agit nullement d’un acte d’une couche supérieure, mais simplement d’un acte qui se constitue directement à partir du sensible (et qui se remplit par là même par des esquisses sensibles). En quoi un triangle, s’il est général, est-il un objet catégorial ? Quelle est l’articulation qu’il présuppose ? Et sur quels actes catégoriaux fondés se fonde l’acte qui le vise?
45Husserl parvient encore une fois à surmonter le problème au § 52 de la VIe Recherche logique, où il montre qu’en réalité un unique acte sensible ne suffit pas pour obtenir une abstraction idéatrice.
C’est en effectuant à plusieurs reprises cet acte sur la base de plusieurs intuitions individuelles que nous prenons conscience de l’identité du général, et cela manifestement dans un acte englobant d’identification qui synthétise tous les actes singuliers d’abstraction41.
46L’objet général « triangle » est donné par la mise en relation de plusieurs actes d’abstraction qui s’opèrent sur des intuitions répétées de triangles sensibles. Ainsi, les deux problèmes sont résolus. Il y a bien, d’une part, une articulation dans la constitution de l’objet général : c’est l’articulation de plusieurs actes d’abstraction selon la forme catégoriale de l’identité. Et d’autre part, il s’agit bien d’un acte qui se fonde non pas directement sur l’intuition sensible, mais sur des actes eux-mêmes fondés : des actes d’abstraction. C’est pourquoi, malgré les apparences, les objets idéaux du type « triangle » sont donnés dans des actes qui présentent bien une structure catégoriale, tout en étant parfaitement détachés de toute intuition sensible (même s’ils présupposent, comme tout acte catégorial, qu’à leur fondement ultime se trouvent de telles intuitions).
47Il nous reste cependant un dernier problème à résoudre : celui de savoir concrètement ce qui est donné dans l’intuition catégoriale qui remplit de telles visées pures d’objets idéaux. Qu’est-ce qui joue à ce niveau le rôle que les esquisses jouent au niveau de la perception simple ? N’y a-t-il pas, en réalité, un lien subreptice unissant encore ce niveau à celui du sensible. N’est-ce pas sur la base de la donnée sensible que nous construisons ces objets ? À première vue, la réponse de Husserl semble ambiguë sur ce point. Il affirme par exemple, au § 60, que dans le cas de la double fondation, « le remplissement s’accomplit alors manifestement dans un enchaînement d’actes qui nous font régresser à travers tous les niveaux successifs des fondations »42. Est-ce que cela signifie que, finalement, ce sont malgré tout des exemples sensibles qui remplissent les visées d’objets idéaux ?
48C’est précisément ce que Husserl essaie d’éviter dans les Recherches logiques sous le titre de psychologisme : que la vérité des objets idéaux soit dépendante de quelque chose de sensible et de contingent. Pour répondre à cette dernière question — qu’est-ce qui est donné dans l’intuition catégoriale remplissant les visées d’objets idéaux ? —, Husserl se verra contraint de prendre clairement position. Cette position, surprenante, sera la suivante : ce qui, au niveau catégorial pur, correspond aux contenus intuitifs de la perception simple, ce sont des moments psychiques obtenus par la réflexion ou la perception interne. Dans la formulation de Husserl, au § 58 :
À la distinction entre objets purement sensibles et objets purement catégoriaux de l’intuition correspond ensuite une distinction entre les contenus représentatifs : ce sont exclusivement des contenus de la réflexion qui peuvent remplir la fonction de représentants purement catégoriaux43.
49Bien entendu, cette solution semble étonnante, car elle entre apparemment en contradiction avec ce que Husserl dit au § 44 de la VIe Recherche logique. La contradiction n’est cependant qu’apparente. Husserl niait au § 44 que l’intuition catégoriale, c’est-à-dire l’acte total de l’intuition catégoriale, pût se réduire à une réflexion, donc à une perception interne. Car la matière intentionnelle de la perception interne et de l’intuition catégoriale étaient essentiellement différentes : l’une était catégoriale, l’autre simple. Mais ici il s’agit simplement de montrer que la perception interne remplit la même tâche au niveau catégorial pur que les contenus intuitifs au niveau simple : celle de fournir la partie inessentielle que tout acte intuitif présuppose — les contenus intuitifs qui assurent la plénitude, mais qui ne définissent nullement l’acte total. La perception interne est donc simplement la garante qu’il y a bien un exemple concret de vécu dans lequel le lien catégorial est donné. Mais elle n’est nullement l’acte total d’intuition catégoriale, ni ne joue un rôle dans la matière intentionnelle de cet acte.
50La forme catégoriale relie plusieurs matières intentionnelles, celles des actes fondateurs. Et l’acte de mise en relation est lui-même un acte qui peut être perçu dans une perception interne. Il s’agit d’un lien psychique qui n’est aucunement essentiel à l’acte catégorial, de même que les esquisses ne sont pas essentielles aux perceptions simples. Mais une fois que ce lien psychique est vécu effectivement, il fournit un matériel intuitif qui fait que l’acte catégorial en question est une intuition proprement dite, dans laquelle le lien catégorial est donné effectivement, sous la forme d’un vécu actuel44.
5. Conclusion sur les tensions de la théorie du remplissement dans les Recherches logiques
51Cette solution a un prix : on doit se rendre compte de la complexité du remplissement catégorial, qui synthétise en un acte unique trois et non pas deux actes distincts. Ce remplissement n’est pas simplement une synthèse qui unifie une visée signitive catégoriale et une visée intuitive catégoriale, mais cette visée intuitive catégoriale est elle-même une synthèse qui contient une perception interne non pas en tant que sa matière intentionnelle, mais en tant que contenu re-présentatif. De même qu’une intuition simple présente, à côté de sa matière intentionnelle, des contenus présentatifs inessentiels (des esquisses), de même on trouve au niveau de l’intuition catégoriale d’objets idéaux, à côté de la matière intentionnelle, une perception interne.
52Rappelons donc les points essentiels de notre analyse de l’intuition catégoriale, afin d’en tirer nos conclusions quant au projet des Recherches logiques. L’intuition catégoriale parvient-elle à rendre compte du remplissement des visées qui portent sur les objets propres de la connaissance, sans pour autant nous faire replonger dans le psychologisme ?
53Les étapes de l’argumentation husserlienne étaient les suivantes. Puisqu’il y a des énoncés perceptifs qui sont vrais ou faux, il faut bien qu’il y ait une intuition correspondante qui les remplit plus ou moins adéquatement. Or, cette intuition ne peut pas être sensible, car une intuition sensible ne peut pas remplir une forme catégoriale. On ne peut pas donc se passer de l’intuition catégoriale, la réduire à l’intuition sensible, mais on est contraint de la maintenir, de plein droit, comme une forme d’intuition. Cependant, si l’on se demande ce qui nous fait dire qu’il s’agit là d’intuitions, la seule réponse que nous trouvons dans les Recherches logiques est qu’elle est quelque chose de l’ordre de l’évidence : le lien catégorial n’est pas simplement visé mais il est donné « en personne » en tant que vécu psychologique effectivement perçu. Comment donc s’empêcher de remarquer que, alors même que la démarche entière était de maintenir l’indépendance des objets catégoriaux par rapport à toute dimension psychologique contingente, nous retrouvons dans ce concept d’intuition catégoriale, dans l’évidence avec laquelle des états de choses s’offrent à la conscience, un résidu de psychologisme ?
54L’intuition catégoriale jouait un rôle très clair dans l’économie des Recherches logiques. Elle était censée répondre au problème de la connaissance posé dès les Prolégomènes : la vérité doit être parfaitement indépendante de toute formulation psychologique. Mais c’est justement au point où la solution trouve sa dernière formulation que Husserl est obligé de reconnaître que sa théorie présente un résidu psychologique irréductible. En effet, les Recherches se construisent autour de deux thèses qui sont en tension : d’une part, la prétention de fonder les sciences sans faire appel au fondement psychique et psychologique, d’autre part la conception finalement correspondantiste de la vérité qui s’articule sous la forme du remplissement45. La thèse du remplissement est censée venir compléter la thèse sur la connaissance : le remplissement adéquat est l’autre nom de la vérité. Cependant, le remplissement présuppose la différence essentielle des actes d’intuition : en eux, on n’a plus affaire à la simple matière intentionnelle, mais à une Repräsentation qui renferme des contenus présentatifs, c’est-à-dire des signes concrets de la présence du corrélat objectif. Or, les termes utilisés suffisent déjà à percevoir la tension : l’idée de présence, qui s’oppose à une possible absence, implique dés le départ l’idée d’une contingence, de quelque chose qui n’est pas absolu, mais qui dépend d’une instance censée juger, vérifier, confirmer. De même, l’idée d’un objet qui se présente implique nécessairement qu’il y ait une instance pour laquelle cet objet se présente, une instance qui l’accueille. Et quelle que soit l’insistance avec laquelle Husserl rappelle que les contenus intuitifs sont ce qui est par excellence inessentiel dans les actes intuitifs, qu’ils soient simples ou catégoriaux, il reste que ceux-ci sont définitivement essentiels dans la synthèse de remplissement, car c’est en eux que réside toute la différence des intuitions, et la plénitude qu’elles peuvent fournir. Ainsi, si la connaissance dépend du remplissement, et si le remplissement dépend des contenus présentatifs, qui sont par excellence psychologiques, la théorie de la connaissance des Recherches logiques reste inféodée, malgré les efforts de Husserl, à un conception psychologique du sujet connaissant. Même dans le cas des visées catégoriales pures, tant que l’on maintient la prétention de vérité, on maintient l’exigence du remplissement intuitif. Et tant que l’on maintient cette exigence, on présuppose que l’intuition remplissante donne effectivement un exemple concret à travers la perception interne d’un acte réellement vécu, à un certain moment, par un être connaissant particulier46. C’est peut-être la raison pour laquelle Husserl lui-même a déclaré, dans la Préface de 1920 à la seconde édition des Recherches logiques qu’il n’est plus d’accord avec la doctrine de la Repräsentation catégoriale présentée dans la VIe Recherche logique47.
55Seule la réduction transcendantale permettra en effet à Husserl d’éliminer une fois pour toutes le psychologisme de sa théorie de la connaissance48. Par la réduction c’est, en effet, le psychique même qui est présupposé par la théorie du remplissement qui est conçu comme idéal. C’est seulement ainsi que le problème du psychologisme ne se pose plus : le psychique lui-même n’est plus de l’ordre de la psychologie.
Voetnoten
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Over : Maria Gyemant
Université de Liège