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Aurélien Zincq

En deçà du langage : Communauté et historicité de l’antéprédicatif selon Heidegger

(Volume 12 (2016) — Numéro 2: Phénoménologie et grammaire: Lois des phénomènes et lois de la signification (Actes n°8))
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Annexes


Pour Guillaume de Stexhe.

1Notre étude se propose d’approcher la réflexion de Heidegger sur le logos humain par le biais de la question de la grammaire et de son origine. Par là, il s’agit de mettre en évidence la façon dont, pour Heidegger, la grammaire constitue un fil conducteur permettant d’interroger directement le langage et le rapport qui s’y tisse entre l’homme et l’étant. Cette manière de pénétrer dans la réflexion heideggérienne sur le langage possède l’avantage de mettre de côté les problèmes relatifs à l’émergence de la signification, au profit d’une focalisation sur ceux de la genèse des « catégories de signification » et des principes selon lesquels elles s’articulent les unes aux autres. Nous parlons de l’avantage de cette approche car elle interroge le langage, et à travers lui le sens, non pas comme ce qui est en attente de sa saisie dans une « configuration signifiante »1, qui serait par exemple la proposition, mais en tant que sa manifestation n’a pas lieu hors de cette configuration, avant toute reprise linguistique. Privilégier le passage par la grammaire pour interroger le langage dans ses fondements consiste ainsi également en une thèse concernant l’origine de la signification : comme ce qui doit être envisagé à partir d’un « jaillissement » de sens qui, bien que premier, est néanmoins structuré.

2En ayant en vue cette idée qu’il n’y a pas de sens qui ne soit toujours-déjà articulé, notre hypothèse interprétative est que la grammaire, comme ensemble des règles qui régissent la production du discours, constitue le reflet, au niveau de la langue, des structures profondes qui régissent d’abord l’existence. Les règles syntaxiques seraient en quelque sorte, de ce point de vue, un prolongement de ce que Heidegger, dans Sein und Zeit, élabore sous le nom d’existentiaux.Or, quel statut est-il légitime d’accorder aux concepts d’existence et d’existentiaux si leur analyse doit permettre de rendre compte de l’institution de règles grammaticales communément partagées et de processus syntaxiques se développant tout au long de l’histoire d’une communauté linguistique ? Se répercutant au niveau du sens, cette question devient celle de savoir comment la dimension signifiante de l’expérience humaine peut se cristalliser dans des « trames expressives » multiples, mais ordonnées2. Il va donc nous falloir réévaluer — et, par conséquent, étudier le mouvement de réévaluation tel qu’il a lieu chez Heidegger — le statut des structures ontologiques de l’existence en inscrivant celles-ci dans une perspective historique et collectivement partagée.

1. Qu’est-ce que s’interroger sur l’origine ?

3S’interroger sur l’origine cela signifie, pour Heidegger, comprendre « ce à partir de quoi et ce par où la chose est ce qu’elle est, et comment elle l’est »3. Il s’agit en d’autres termes de questionner le processus suivant lequel une chose devient ce qu’elle est. Or, ce qu’est une chose, c’est-à-dire ce qui régit toujours son identité en dépit des changements qui peuvent l’altérer, on le nomme aussi traditionnellement son essence. Enquêter sur l’origine, cela revient à se demander comment ce qui est pour nous l’essentiel l’est précisément devenu. Mais il ne faut pas se méprendre sur le rapport de l’essence à la chose. Comme Heidegger l’indique, l’essence d’une chose n’est rien de ce qu’est cette chose « en tant qu’étante » :

Quand nous recherchons l’essence de l’arbre, nous devons comprendre que ce qui régit tout arbre en tant qu’arbre n’est pas lui-même un arbre qu’on puisse rencontrer parmi les autres arbres4.

4Ce qui régit l’être d’une chose échappe à l’orbe de ce qui compose cette chose en tant que telle. L’essence n’est rien d’étant. En quoi, dès lors, consiste-t-elle ? D’après Heidegger, elle désigne notre rapport à l’étant dont elle est le « quoi » ou encore le « comment ». Il est de ce fait permis de penser que l’essence est ce que nousdisons être d’une chose ainsi que, plus généralement, la manière dont nous nous y rapportons, par exemple dans son usage, sa perception ou sa mise en œuvre. Bref, la question portant sur l’essence d’une chose nous reconduit à la singularité du rapport que nous entretenons avec cette chose. De ce point de vue, quand nous pensons déterminer ce qu’est l’essence d’une chose — un type d’interrogation qui semble nous mettre à distance de celle-ci —, c’est en réalité nous-mêmes qui sommes convoqués pour expliciter et rendre compte de notre propre rapport à cette chose. Questionner l’origine, cela revient par conséquent à clarifier notre propre être, la façon dont nous nous rapportons à l’étant — à un étant en particulier.

2. L’origine de la grammaire

5Qu’en est-il alors de notre rapport à ce qui est interrogé dans la présente étude ? Selon ce qui vient d’être avancé, on peut déjà affirmer que l’essence de la grammaire ne relève pas de la sphère du grammatical. La question sur l’origine de la grammaire nous renvoie au lieu à partir duquel est advenu ce que nous appréhendons comme étant le grammatical. On peut reformuler notre interrogation de départ en ces termes : comment en sommes-nous venus à tenir la grammaire pour l’ensemble des règles qui régissent le bon usage de la langue ?

6Posée en ces termes, la question semble appeler une réponse d’ordre historique. Il s’agirait d’indiquer, de la façon la plus précise qui soit, le moment où ce que l’on peut considérer être des lettrés se sont mis à répertorier les différentes catégories grammaticales, à analyser le fonctionnement d’une langue particulière, voire de plusieurs d’entre elles, pour mettre au jour les règles qui gouvernent la bonne réalisation du processus linguistique. En suivant cette piste de réponse, notre rapport au grammatical serait élucidé dès que nous aurions reconstruit le devenir de notre compréhension des éléments morphologiques qui composent le discours et des lois qui les régissent. Il s’agirait de réaliser une histoire de la grammaire par le biais d’une histoire des grammairiens. Or, une telle approche de la question portant sur l’origine de la grammaire serait exactement contraire à ce qui, selon Heidegger, est en jeu dans notre question. En effet, nous resterions toujours cloisonné dans l’orbe du grammatical — c’est-à-dire dans le domaine de l’ontique. Une telle façon de faire laisserait intacte la question de l’essence de la grammaire : elle présupposerait toujours déjà une entente implicite de ce qu’elle est. Comment est-il possible de s’échapper de ce mode de pensée se focalisant sur l’étant et réduisant l’être d’une chose à l’être effectif (Wirklichkeit) ? Si même une réponse d’ordre historique provient d’une mauvaise interprétation de ce qui est ici en cause, quelle alternative nous reste-t-il ?

7Comme on s’en doute, c’est le dispositif de la question qui doit changer si nous souhaitons parvenir à faire la lumière sur la question de l’origine. Cette question nous mettant nous-mêmes en question, il est clair qu’elle ne peut se satisfaire d’une réponse qui reproduirait le schéma traditionnel de la réponse comme « présentation » ou « indication » d’un étant particulier. Notre appréhension de l’essence d’une chose ne peut tout simplement pas consister en une mise à distance de celle-ci. Il ne s’agit pas d’une relation dyadique où les deux pôles seraient l’objet appréhendé et celui qui appréhende. Pour parvenir à élucider correctement la question de l’origine de la grammaire — de ce qu’il en est pour nous de la grammaire —, il nous faut donc en passer par la clarification des raisons pour lesquelles nous retombons à chaque fois dans la sphère de l’étant quand nous cherchons à en découvrir l’essence.

3. Esquisse d’une généalogie de la représentation selon Heidegger

8Ce qui caractérise au premier chef l’expérience de la pensée que réalise le « Dasein occidental » est qu’il ne puisse la concevoir autrement que comme l’acte qui apporte quelque chose devant lui et, par là, le rende présent5 : « La pensée se pose en face de l’être d’une façon telle que celui-ci lui est proposé et par suite s’oppose comme un objet »6. Selon cette conception, la pensée consiste dans la faculté — le pouvoir — de représenter quelque chose, c’est-à-dire de se rendre présent quelque chose, de le « présenter en retour vers moi »7. Un sujet pose en face de lui un objet qui est de ce fait rendu présent. Cette conception de la pensée en tant que représentation (Vorstellung), bien que nous l’ayons héritée de la Modernité, n’en possède pas moins ses antécédents qui résident, à suivre l’Introduction à la métaphysique, dans l’apparition du fonctionnement proprement « scolastique » des écoles platonicienne et aristotélicienne, lesquelles consacrèrent une version de ce qu’il en est — et de ce qu’il en devint — du logos8. Cette scission entre l’être et le penser constitue, de l’avis de Heidegger, « la position fondamentale de l’esprit de l’Occident ». Mais comment en sommes-« nous » arrivés là ? Comment et pourquoi la pensée s’est-elle mise à représenter ?

9Depuis Platon ou, pour le moins, tel qu’il fut reçu par ses successeurs, c’est l’interprétation de l’être comme idée (idéa, eidos) qui a gouverné la pensée occidentale. On prendra pour preuve le système de Hegel, pour lequel la métaphysique s’apparente à une logique : la réalité du réel est conçue comme idée et est proprement nommée de la sorte (avec la majuscule). Dans toute la pensée occidentale, le terme « idée » est employé à chaque fois pour parler de l’être de l’étant ou, en d’autres mots, de ce qu’il en est de son « quoi » et de son « comment ». « Ce que dans chaque cas un étant est, précise Heidegger dans l’Introduction à la métaphysique, cela réside dans son évidence, et celle-ci, à son tour, présente […] le quoi »9. On aura noté que ce qu’il en est de l’être d’un étant est appréhendé presque dans un sens littéral car il est saisi sur un mode objectuel — le « ce que » est mutatis mutandis un étant : « L’idée, en tant qu’évidence de l’étant, constitue ce que celui-ci est »10. L’« essence », au sens de quiddité, est intégralement saisie dans l’orbe de l’étant. Le « champ d’inspection préalable » à toute compréhension en tant que mode fondamental d’ouverture — ou d’appréhension — à l’étant est gouverné par cette réduction de la quiddité au mode d’être (ontique) de ce dont il s’agit d’indiquer la provenance. Pour comprendre comment cette interprétation de l’être comme idée a pu s’installer, d’après Heidegger, « comme l’interprétation unique et déterminante de l’être »11, il est indispensable de dire un mot du concept d’idée dans la philosophie de Platon. Voici ce qu’avance Heidegger à ce propos :

À partir du moment où l’essence de l’être réside dans la quiddité (l’idée), la quiddité, étant par excellence l’être de l’étant, est aussi ce qu’il y a de plus étant dans l’étant. Elle est ainsi elle-même l’étant véritablement : ontaus on. L’être en tant qu’idéa est maintenant promu au rang d’étant véritablement, et l’étant lui-même, ce qui était auparavant le plus stable, tombe au niveau de ce que Platon appelle le mè on, ce qui en vérité ne devrait pas être, et aussi bien à proprement parler, n’est pas, parce qu’il défigure toujours l’idée, la pure évidence, en la réalisant, en l’informant dans la matière. De son côté, l’idéa devient le paradeigma, le modèle. L’idée devient en même temps et nécessairement l’idéal. L’imitation n’est pas à proprement parler, elle a seulement part à l’être, méthexis. Le kaurismos est chose faite, la faille est ouverte entre l’idée, qui est l’étant véritable, le modèle, l’original, et le non-étant — à proprement parler — l’imitation, la copie12.

10L’étant qui se manifeste s’assimile dès lors à une copie. Ce qui apparaît consiste en une simple apparition, en décalage par rapport à son authentique réalité, qui réside dans l’idée. Le réel devient l’irréel et l’idéel la seule authentique réalité. Mais qu’advient-il alors du logos après cette séparation du on et du phainomenon au sein de la philosophie de Platon ?

11D’après Heidegger, c’est dans la pensée d’Aristote que le logos va s’affirmer comme « le lieu de la vérité conçue comme rectitude, justesse ». Le logos y est en effet compris en tant que proposition : ce qui peut être vrai ou faux — « le logos devient la détermination essentielle et normative du discours »13. Ce qu’il en est de l’étant revient en somme à ce qui est dit de lui : « Ce dont quelque chose est dit est ce qui est sous-jacent à la proposition »14. On constate ainsi une transmutation de l’idéa vers le logos considéré comme proposition : la vérité de l’étant réside dans ce qui est dit de lui au sein du discours comme ensemble de propositions ou d’énoncés. On voit bien ici pour quelles raisons on assiste à l’émergence de l’idée d’une opposition de la pensée à l’être : si la pensée se manifeste dans le discours, et si c’est en outre ce dernier qui possède la vérité de l’étant, alors celui-ci peut être à nouveau considéré comme ce dont on peut se passer. Il est rendu présent dans le discours et non pas en tant que tel. Le logos en vient à décider de l’être de l’étant15. Mais, ainsi réduit à la proposition, le logos constitue lui-même un étant : ce qui est maniable et subsistant. Il n’y a alors plus qu’un pas, soutient Heidegger, pour que l’on en fasse un instrument dont le maniement vise à « l’acquisition de la vérité, et à faire ce qui est requis pour rendre cet instrument maniable ». C’est l’acte de naissance de la logique16.

12En résumé, le mouvement qui va de Platon à Aristote et qui trouve sa fin dans la cristallisation scolastique de leur pensée déjà à leur époque est le suivant : l’être de l’étant devient idée et celle-ci devient rectitude — exprimée dans le discours. C’est par conséquent dans le discours que se trouve la vérité de ce dont il est question à travers lui. La vérité est interne au discours. Elle est un discours correctement construit. En poursuivant ce geste de rapatriement de l’essence au discours, on en vient rapidement à la conception moderne de la pensée comme représentation : si ce dont quelque chose est dit est sous-jacent à la proposition, qui en révèle l’être, alors l’étant se trouve opposé à sa saisie discursive. La pensée, l’appréhension comme proposition représente — au sens de se rend présent dans le discours — l’étant qui se tient par là en face d’elle. La pensée « devient ainsi l’appréhender qui, dans la détermination de quelque chose comme quelque chose, perçoit, appréhende le donné »17. On assiste bel et bien à une division de l’être et du penser : « La vérité du discours ne réside désormais que dans la rectitude (Richtigkeit) du rapport des mots et des choses — rapport de mimêsis, […] c’est-à-dire de représentation (Vorstellung) »18.

4. Vers une libération de la grammaire

13Ce passage par la généalogie heideggérienne de la représentation occupe une position doublement stratégique dans notre tentative d’éclaircissement de la question de l’origine de la grammaire. Par sa critique de la conception occidentale de la pensée en terme de représentation, la question sur l’origine telle que la pose Heidegger ouvre sur une refonte de l’approche de la problématique de l’essence : celle-ci ne doit et ne peut plus être conçue sur le mode d’un étant qui viendrait à être « présenté », mais elle indique notre rapport le plus intime et originaire à la chose en cause. Ce qu’est une chose, c’est ce que nous en faisons. Nous avons vu que cette forclusion de la pensée à la représentation passait par la mutation du logos en proposition. Or, ce passage jouera un rôle primordial dans la façon dont fut par la suite conçue théoriquement la grammaire. En effet, dès le tournant vers l’énoncé, la grammaire va constituer l’ensemble des règles qui détermineront la formation correcte du discours — et par conséquent sa possibilité de représenter adéquatement l’étant. La construction de la grammaire et la fixation de ses principes fondamentaux se règleront de la sorte sur la primauté de l’énoncé. Cette indexation du grammatical au logique n’aura d’autre impact que de faire reposer la mise en forme des catégories grammaticales sur l’institution des catégories logiques, qui sont elles-mêmes dérivées — comme Heidegger s’efforce de le montrer par un patient travail d’analyse — de la structure spécifique de la langue grecque19. Nous sommes ici très rapides, mais ce qui importe est de mettre en évidence le lien par lequel une enquête sur l’origine de la grammaire et des catégories grammaticales renvoie successivement à la question de l’origine des catégories logiques et à celle de l’origine du langage. Depuis notre interrogation initiale sur l’essence de la grammaire,

nous arrivons au cœur de la question sur l’essence de la langue. Car la question de savoir si la forme originaire du mot est le nom (substantif), ou le verbe, ne fait qu’un avec la question plus générale de savoir quel est le caractère originaire du dire et du parler. Cette question contient en même temps la question sur l’origine du langage20.

14Dans son cours de Logique de 1934, Heidegger a parfaitement ressaisi cette articulation des questions sur l’origine de la grammaire, de la logique et du langage. Il en avait d’ailleurs proposé une explicitation :

C’est la grammaire qui établit les différences entre mot et proposition, substantif, verbe, attribut, épithète, proposition affirmative, proposition conditionnelle, proposition consécutive, etc. Or toute cette articulation bien connue de la langue a pris sa source dans les déterminations fondamentales de la logique, elle s’est constituée en s’orientant sur une langue déterminée (la langue grecque) et dans un mode déterminé de la pensée, telle qu’elle s’est imposée tout d’abord dans la manière grecque d’exister21.

15On constatera à quel point la question sur l’origine du grammatical — non pas seulement de sa théorisation, mais de sa mise en forme effective — nous a poussé loin de toute réflexion à caractère purement historique, voire linguistique. Nous sommes arrivés à la proposition selon laquelle l’essence de la grammaire, telle qu’elle s’est développée pour le « Dasein occidental », se trouve au lieu de l’expérience grecque de l’étant. Autrement dit, la question sur l’origine de la grammaire débouche ultimement sur un mode d’exister spécifique, un rapport à l’étant déterminé — dans ce cas-ci : l’exister grec. Toutefois, il s’agit essentiellement pour nous d’une étape provisoire dans notre parcours. Nous ne nous intéresserons pas dans ces pages à la façon dont le mode grec d’être-là eut une influence décisive sur le processus de constitution de la langue grecque22. Ce qui nous importe est de ressaisir l’enchaînement qui conduit d’une enquête sur l’origine de la grammaire à un questionnement sur les sources existentiales qui permirent l’apparition de quelque chose comme un langage. Notre objectif est de revenir aux expériences fondamentales qui, pour Heidegger, sont à la source de l’apparition des formes de discursivité typiques des différentes langues — et pas seulement de la grecque. Les textes que nous venons de citer datent des années 1934-1935. Mais Heidegger, dès Sein und Zeit, en 1927, s’était déjà attaqué à la tâche de « libérer la grammaire de la logique », c’est-à-dire de libérer l’étude de la formation de la langue de toute réflexion et spéculation sur les catégories logiques et leurs lois23. Dans son Hauptwerk, Heidegger a en effet mis au jour, essentiellement dans les §§ 29-34, les principales structures existentiales dont procède la manifestation du sens et sa possible cristallisation dans la langue — celle-ci étant alors considérée comme l’expression sous la forme d’un « ébruitement vocal », certes structuré et régi par des normes plus ou moins strictes, d’une expérience plus fondamentale qui lui procure son contenu et sa consistance.

5. Le discours en tant que structure fondamentale de l’être-au-monde

16Au § 34 de Sein und Zeit, Heidegger réaffirme que l’entreprise d’un retour aux fondements ontologiques les plus originaires de la langue grecque ne s’épuise pas dans l’accès au « vivre grec ». La procédure par laquelle se trouve disqualifiée l’idée d’une originarité du sens du discours sur le mode de l’énoncé constitue en réalité la première étape d’une tentative de mise au jour des structures existentiales — c’est-à-dire antéprédicatives — régissant la structuration de tout langage :

Les Grecs n’ont pas de mot pour la Sprache, ils comprirent « de prime abord » ce phénomène au sens du discours [Rede]. Toutefois, comme c’est le logos, lui-même interprété surtout comme énoncé [Aussage], qui vint sous le regard pour la méditation philosophique, l’élaboration des structures fondamentales des formes et des éléments du discours s’accomplit au fil conducteur de ce logos. La grammaire chercha ses fondements dans la « logique » de ce logos. Mais celle-ci se fonde dans l’ontologie de ce qui est sous-la-main [Ontologie des Vorhandenen]. La donnée fondamentale, passée dans la linguistique postérieure, et encore absolument décisive aujourd’hui, des « catégories de significations » est orientée sur le discours comme énoncé. Si l’on prend en revanche ce phénomène dans toute l’originarité et l’ampleur fondamentales d’un existential, alors il résulte de là la nécessité d’un déplacement de la science du langage sur des fondements ontologiquement plus originaires24.

17En bref, le syntaxique doit trouver sa source « autre part » que dans la proposition. Or cet « autre part » est en vérité « nulle part » : le lieu où émerge quelque chose comme une « unité de sens » échappe précisément à toute forclusion spatio-temporelle. Il y va bien plutôt d’un rapport primitif à l’étant au sens où il n’est pas encore mis en forme réflexivement dans le discours — qui n’est précisément qu’un mode dérivé de cette expérience plus fondamentale. Le projet qui anime Heidegger au § 34 de Sein und Zeit revient à donc à saisir, pour le dire avec les mots de Maldiney, la « possibilité même du signifier »25. L’analytique existentiale n’a pas d’autre but que d’excaver cette possibilité :

La tâche de libérer la grammaire de la logique requiert préalablement une compréhension positive des structures fondamentales aprioriques du discours en général en tant qu’existential, elle ne saurait être exécutée après coup au moyen d’améliorations et de compléments apportés à la tradition26.

18La structure de l’« être-à comme tel » (In-Sein als solches) — au sens de « être-dans-le-monde » (In-der-Welt-Sein) — intègre de manière unitaire une triplicité de moments. Ces trois structures fondamentales qui définissent le « Là » dont il est postulé que le Da-sein est toujours — car « l’être dont il y va pour cet étant en son être consiste à être son “Là” »27 —  sont l’affection (Befindlichkeit), la compréhension (Verstehen) et la discursivité (Reden). Nous allons à présent nous concentrer sur la description de ces trois moments structurels de l’être-à.

5.1. L’affection

19Le premier des trois moments structurels du « Là » est l’affection (Befindlichkeit), que Heidegger appelle encore la tonalité (Stimmung) ou le fait d’être disposé (dasGestimmtsein). C’est parce qu’il évolue « toujours déjà » dans une tonalité affective déterminée que le Dasein peut se rapporter à sa situation dans le monde ; l’être-jeté (Geworfenheit) est en ce sens toujours traversé par une tonalité affective particulière. La tonalité n’a par conséquent rien d’un état psychique : il ne s’agit qu’au sens faible de ce que l’on considère couramment comme une émotion. Alors que l’émotion possède une nature psychique qui vient colorer de temps à autre la manière dont nous nous représentons le monde — elle possède donc un caractère dérivé et surajouté —, l’affection, quant à elle, traverse de part en part le Dasein. Dans le moment (au sens structural) de l’affection, le Dasein est littéralement transi par l’affect. Toutefois, l’affection n’est pas à ce point « fondamentale » qu’elle en deviendrait étrangère à la constitution de l’expérience mondaine du Dasein. Au contraire, c’est précisément parce que le Dasein est ainsi traversé par un affect spécifique qu’il lui est possible de se tourner vers un objet, auquel il peut se rapporter ensuite sur un mode émotionnel :

La tonalité a à chaque fois déjà ouvert l’être-au-monde en tant que totalité, et c’est elle qui permet pour la première fois de se tourner vers… L’être disposé ne se rapporte pas de prime abord à du psychique, il n’est pas lui-même un état intérieur qui s’extérioriserait ensuite mystérieusement pour colorer les choses et les personnes. […]. [L’affection] est un mode existential fondamental de l’ouverture cooriginaire du monde, de l’être-Là-avec et de l’existence, parce que celle-ci est essentiellement être-au-monde28.

20Ce n’est donc pas de temps à autre que le Dasein serait affecté : il l’est de part en part, en tout lieu et en tout temps. Il résulte de cette prééminence de l’affection un principe relatif à l’expérience perceptive :

C’est seulement parce que les « sens » appartiennent ontologiquement à un étant qui a le mode d’être de l’être-au-monde affecté qu’ils peuvent être « touchés » et « avoir du sens pour… » de telle manière que ce qui touche se montre dans l’« affection ». Quelque chose comme de l’« affection sensible » ne pourrait se produire, même sous l’effet de la pression et de la résistance la plus forte, cette résistance demeurerait essentiellement recouverte si l’être-au-monde affecté ne s’était déjà assigné à une abordabilité — pré-dessinée par des tonalités — par l’étant intramondain29.

21Il est tentant de lire ce passage en écho au § 17 d’Expérience et jugement30. Sous cet angle, on pourrait considérer que, contrairement à ce qu’avançait Husserl dans cet ouvrage posthume, ce qui vient frapper le « Je » n’est pas ce qui se sera préalablement « enlevé d’un arrière-fond homogène » et qui s’en est détaché ; la « tendance affective » n’émane pas de ce qui s’est enlevé du champ de la prédonation passive et s’est dirigé vers le Je. On a plutôt affaire à un mouvement inverse : c’est parce que le Dasein est transi par une tonalité affective spécifique qu’il peut être « touché » par ce qui émerge depuis le donné sensible. Il faut que le Dasein soit d’abord ouvert au monde selon l’indice d’une tonalité déterminée pour qu’il puisse s’adonner à l’attrait qui, depuis le donné, s’exerce avec insistance sur lui. Le Dasein ne peut être touché et affecté par un événement que s’il est d’abord ouvert au monde selon la manière dont il est disposé. Ainsi que le précise Heidegger : « L’affection inclut existentialement une assignation ouvrante au monde à partir duquel de l’étant abordant peut faire encontre »31. Elle constitue le mode primitif selon lequel le Dasein « consent à ce qui lui advient, l’accueille en soi »32.

5.2. Le comprendre

22À l’existential de l’affection est intégré celui du comprendre (Verstehen). Le comprendre n’est pas l’expliquer (Erklären). On retrouve un rapport d’analogie, relatif à leur constitution intrinsèque, entre le comprendre et la tonalité affective : de même que le Dasein a la capacité d’être affecté par une donnée sensible car il se trouve déjà transi par une tonalité affective, c’est parce que le Dasein se situe toujours déjà dans un mode déterminé du comprendre qu’il peut être amené à s’expliquer. S’il revient par conséquent à l’existential de l’affection d’ouvrir le Dasein au monde — depuis « Là » où il se trouve être situé —, c’est l’existential de la compréhension qui va toutefois lui permettre de prendre en considération les possibilités que recouvre cette situation. Le comprendre n’a donc rien d’un acte d’ordre intellectuel et réflexif : il indique un projet au sein duquel le Dasein s’est d’emblée transporté. Il faut cependant veiller au fait que ce mode par lequel le Dasein se projette depuis le lieu où, jeté, il est affectivement ouvert et comprend les possibilités qui lui sont remises dans cette situation, Heidegger le nomme explicitation (Auslegung). En ce sens, les prérogatives propres à la compréhension se distribuent selon les différentes modalités internes à cet existential. Bien sûr, l’explicitation ne forme pas une structure existentiale fondamentale du Dasein, mais elle n’en constitue pas moins une possibilité du comprendre — certes sa possibilité la plus intime, mais pas l’intégralité du moment du comprendre. Pour filer la métaphore, on pourrait dire qu’elle est une « zone tampon » entre l’instant de la compréhension et celui de la prise en charge de ce qui est compris. Dit autrement, le comprendre est en sa pointe explicative une activité configuratrice :

Le projeter du comprendre a la possibilité propre de se configurer. Cette configuration du comprendre, nous la nommons l’explicitation. En elle, le comprendre s’approprie compréhensivement ce qu’il comprend. Dans l’explicitation le comprendre ne devient pas quelque chose d’autre, mais lui-même. L’explicitation se fonde existentialement dans le comprendre, celui-ci ne naît pas de celle-là. L’explicitation n’est pas la prise de connaissance du compris, mais l’élaboration des possibilités projetées dans le comprendre33.

23Dans l’explicitation, le Dasein se rapporte à l’étant rendu manifeste en tant que possibilité ; en elle, ce qui fait encontre au Dasein se manifeste comme accessible. Le compris y est précisément compris comme ce qui attend d’être configuré. Le « comme » désigne ici « la structure de l’expressivité de ce qui est compris ». De ce point de vue, le voir pur et simple « antéprédicatif » de l’étant qui fait encontre est déjà compréhensif et explicitatif : « L’articulation du compris dans l’approchement explicitatif de l’étant au fil conducteur du “quelque chose comme quelque chose” est antérieure à l’énoncé thématique sur lui »34. Il est important d’insister sur ce fait que l’explicitation, comme ce qui fait fond sur une possibilité donnée, présuppose à sa mise en œuvre la compréhension de la situation. Pour filer à nouveau la métaphore, on dira que l’explicitation est la façon dont le Dasein « s’en sort » avec ce qu’il aura compris d’une situation déterminée — vécue dans la tension d’une tonalité affective spécifique.

24Cette façon qu’a l’étant de venir à la compréhension nous intéresse ici particulièrement car elle ne constitue rien de moins que ce que Heidegger appelle le sens, qu’il définit comme « ce en quoi la compréhensibilité de quelque chose se tient »35. Il est indispensable d’insister sur le fait que le concept de sens n’a, à ce niveau, encore rien de sémantique ou de linguistique :

Le concept de sens embrasse la structure formelle de ce qui appartient nécessairement à ce que l’explicitation compréhensive articule. Le sens est la fin (le vers-quoi), telle que structurée par la pré-acquisition, la prévision, l’anticipation, du projet à partir duquel quelque chose devient compréhensible comme quelque chose. Dans la mesure où comprendre et explicitation forment la constitution existentiale de l’être du Là, le sens doit être conçu comme la structure formelle-existentiale de l’ouverture qui appartient au comprendre. Le sens est un existential du Dasein, non pas une propriété qui s’attache à l’étant, est « derrière » lui ou flotte quelque part comme « règne intermédiaire »36.

25Avant d’arriver au troisième existential du Rede, il nous faut nous arrêter un instant sur un mode dérivé de l’explicitation — qui constitue alors un mode tierce de la compréhension —, à savoir l’énoncé (Aussage). On a vu à quel point l’énoncé avait été pris depuis les Grecs comme le modèle de tout discours, comme la forme canonique de toute expression linguistique. Or Heidegger réaffirme ici clairement son caractère dérivé : le sens qu’il exprime provient originellement de l’explicitation et de la compréhension. Vu sous cet angle, le sens par lequel le jugement se rapporte à l’état de choses comme ce dont il juge lui est déjà fourni par des modalités plus primitives — antérieures du point de vue de l’expérience — de rapport à l’étant. Ce n’est donc pas le jugement qui ouvre à l’étant en présentant à la conscience un état de choses comme connaissable. Heidegger inverse la perspective au profit d’une tension entre le Dasein, toujours déjà affecté et compréhensif, et l’étant qui lui fait encontre à travers le prisme des existentiaux de l’« être-à ». La manifestation d’un état de choses se joue dans l’échange entre les modalités selon lesquelles le Dasein est ouvert à l’étant et ce qui, de l’étant, s’offre comme ce qui peut être configuré.

5.3. Le discours

26À suivre Heidegger, il semblerait que le langage soit un mode dérivé d’une « discursivité » première. C’est ce qui est effectivement affirmé au § 34 de Sein und Zeit : « Le fondement ontologico-existential du langage [Sprache] est le discours [Rede] »37. Cet existential du discours est co-originaire de l’affection et du comprendre. Cela signifie que le discours est antérieur à l’explicitation appropriante et énonciatrice : la compréhension est toujours déjà articulée — et cette articulation est celle du discours. Or, comme nous l’avons vu, ce qui est porté à l’articulation dans l’explicitation, et qui se donne primitivement dans la compréhension, est le sens. Grâce à cet existential du discours le sens devient « le tout de signification » — nous serions tenté de dire : « l’unité de sens ».

Ce qui est comme tel articulé dans l’articulation proprement discursive, nous l’appelons le tout de la signification. Celui-ci peut être analysé en significations. Les significations, en tant que ce qui est articulé dans l’articulable, sont toujours signifiantes. Si le discours, l’articulation de la compréhensivité du Là, est un existential originaire de l’ouverture, et si celle-ci est primairement constituée par l’être-au-monde, alors le discours doit lui aussi avoir essentiellement un mode d’être spécifiquement mondain. La compréhensivité affectée de l’être-au-monde s’exprime comme discours38.

27En d’autres termes, ce que le langage exprime a déjà été saisi de façon unitaire sur le mode d’une discursivité solidaire de l’existence du Dasein. À travers les trois existentiaux de l’ouverture à l’étant, un « tout de signification » se manifeste au Dasein, qui pourra être repris et répété dans les formes linguistiques ad hoc.

28La différence essentielle entre le langage (Sprache) et le discours (Rede) comme existential se situe dans le caractère « a-thématique » de ce sur quoi porte le discours : alors que ce que vise (en un sens faible) le discours ne possède pas le caractère d’une mise en forme thématique, le langage, par exemple dans l’énoncé, met en forme thématique le sens articulé discursivement et, par là, en fait une totalité de mots : un étant qui devient « à portée de la main »39. Par « thématisation » est entendue la mise en forme linguistique qui permet de saisir le tout de signification presque sous une forme objective. Le sens du discours — que Heidegger appelle aussi le discursif (Geredetes) — en venant à l’expression linguistique peut alors être véhiculé à travers la communication.

29Cette dissociation du sens discursif et du sens de l’expression linguistique entraîne une réévaluation du concept de jugement. Depuis le point de vue de ce sens primitif et antéprédicatif, ce que l’on appelle le jugement, c’est-à-dire la forme canonique de l’énoncé, ne constitue pas lui-même ultimement le sens dont il est porteur, mais prolonge bien plutôt un discursif toujours déjà saisi par le Dasein dans son expérience du monde. Le jugement a bien pour fonction de mettre en évidence, de relever un sens, de dire quelque chose de quelque chose (prédication) et de le communiquer à autrui. Mais, à chaque fois, ce sens dont il relève (et qu’il relève) appartient à une couche d’expérience qui lui est « antérieure » — bien qu’il ne faille pas prendre ce terme dans son acception strictement temporelle : le discursif est ce à quoi le jugement participe toujours déjà.

30On notera que la façon dont Heidegger caractérise la manifestation du « discursif » est proche des exemples que Husserl utilisait dans les Recherches logiques pour caractériser le mode spécifique d’appréhension dans l’expérience perceptive :

« De prime abord », nous n’entendons jamais des bruits et des complexes sonores, mais toujours la voiture qui grince ou la motocyclette. Ce qu’on entend, c’est le colonne en marche, le vent du nord, le pivert qui frappe, le feu qui crépite40.

31Mais cette visée du discursif — sans qu’il soit d’emblée l’objet d’une expression sonore articulée dans le langage — vaut aussi dans la communication avec autrui : quand je dialogue, je n’appréhende pas des sons, mais « mon » entendre, « ma » compréhension est auprès de ce que l’autre dit, de son discursif propre. Et c’est précisément parce que je saisis ce que dit autrui, c’est-à-dire l’unité de sens qui se manifeste dans l’articulation sonore, sur le mode de l’ouverture compréhensive et affective qu’il m’est permis de lui répondre. Ce que dit autrui, j’en suis le récepteur attentif (même malgré moi) de par ma situation affective et compréhensive. Le discursif n’est pas ce qui est collecté de manière empirique sur le langage, mais il est enraciné dans la constitution d’être du Dasein41. Une telle conception de la communication implique que tout sens délivré à travers elle, par exemple lorsque je discute avec autrui, repose sur la base fondamentale des trois existentiaux mentionnés ci-dessus. Il n’est donc pas possible de saisir ce que dit autrui si je ne partage pas avec lui non pas seulement un langage commun — des signes qui renvoient presque de façon instituée à un « discursif » premier — mais des structures existentiales communes qui permettent précisément que ce à quoi renvoie autrui puisse être appréhendé comme un « tout de signification ».

32Au terme de ce rapide parcours à travers les trois existentiaux fondamentaux de l’« être-à comme tel », une question ne peut manquer de se poser : les structures existentiales de l’affection, de la compréhension et du discours circonscrivent-elles un mode unique d’expérience ? Autrement dit : l’existence, par exemple « la manière grecque d’exister »42, qui va venir s’épanouir et se cristalliser dans des formes linguistiques spécifiques est-elle au final unitaire et universelle, car les structures qui sont les siennes sont partagées par tout Dasein ? Ou, au contraire, ces structures informent-elles seulement une manière d’exister dont la typicité va venir se refléter dans la langue ? Pour le dire plus généralement, le langage est-il l’« émanation » d’un style d’expérience, propre à une communauté, et donc antérieur à sa constitution ? L’identité des structures implique-t-elle une univocité de l’expérience et de l’exister ? Ou, à l’inverse, dispose-t-elle à la réalisation d’une manière singulière d’exister ? On voit comment, dans ces questions, se rejoue la querelle de savoir si les langues sont des visions du monde irréductibles, qui déploient une ontologie propre sur la base d’une expérience spécifique et irréductible de l’étant ou si, à l’opposé, la diversité des langues reflète des mises en forme — certes différentes, et d’ailleurs largement différentes — d’une expérience pour le moins communément partagée de l’étant qui nous fait encontre.

6. En deçà du langage : ce que grammatical veut dire

33Dans Sein und Zeit, Heidegger ne tranche pas en faveur de l’une des alternatives proposées ci-dessus. La question de l’influence des structures de l’expérience sur la constitution d’un mode propre d’expérience commune, par exemple au sein d’une communauté linguistique, n’y est pas abordée. À dire vrai, l’idée même qu’une communauté linguistique, de par l’usage de sa langue, vivrait une expérience singulière de l’étant, cela ne semble pas même avoir un sens pour Heidegger, le langage (die Sprache) n’étant considéré que comme un mode tierce de l’existential de la compréhension. Comme nous l’avons vu, l’énoncé comme produit linguistique trouve son sens dans une strate d’expérience qui le précède, l’englobe et le rend possible. Le langage exprime un discours qui l’a toujours déjà précédé. Cette théorie sur l’origine du langage a toutefois une influence décisive sur notre question initiale : l’origine de la grammaire, c’est-à-dire de ce qu’il en est du mode de structuration des éléments du discours en une unité cohérente, se situe en-dehors de la grammaire établie. Le grammatical renvoie à une sphère d’expérience qui n’est pas linguistique et à laquelle le linguistique vient lui-même s’ordonner, à laquelle il est assujetti.

34Heidegger, après Sein und Zeit, va progressivement remettre en cause la neutralité de son propos eu égard à la question de la singularité de l’expérience dont témoigne la diversité des langues. Pour le dire en un mot, Heidegger va faire fond sur l’idée que la langue est tributaire d’une expérience singulière de l’étant ou encore d’une ouverture à l’Être qui gouverne une saisie spécifique de l’étant. Ce choix ne restera pas sans conséquences sur la description de ce qu’il en est de l’être du Dasein.

35Dans la « Lettre sur l’humanisme », Heidegger adresse ce reproche bien connu à son maître-ouvrage qu’il n’aurait pas dépassé le subjectivisme propre à la Modernité. Ce serait là l’une des raisons pour lesquelles la troisième section de la première partie de Sein und Zeit n’aurait pas été publiée : elle n’aurait pas été capable d’exprimer de manière suffisante le renversement de la subjectivité en faveur d’une pensée de l’Être. C’est parce qu’elle aurait encore été prise dans les rets de la langue de la métaphysique — « cette métaphysique qui, sous les espèces de la “logique” et de la “grammaire” occidentales, s’est de bonne heure emparée de l’interprétation du langage »43 — que l’ontologie fondamentale aurait échoué à dire le sens de l’Être dans les termes d’une analytique du Dasein. La pensée de l’Être dont voulait se prévaloir le traité de 1927 était encore indexée sur l’ambivalence des catégories du sujet et de l’objet, un couple de termes impropres à rendre compte des structures existentiales fondamentales du Dasein qui, en tant que structures de l’ouverture, ne peuvent de ce fait pas être intégrées à ce schème du sujet et de l’objet. Nous avons vu comment les trois existentiaux fondamentaux de l’« être-à », parce qu’ils structurent la manière dont le Dasein est ouvert au monde, sont inféodés à la singularité de son rapport au monde : affection, compréhension et discursivité révèlent l’étant depuis le point de vue particulier du Dasein et uniquement en fonction de ce rapport  — on se rappellera, à cet égard, ce que Heidegger disait de l’affection et de la capacité d’être affecté par une donnée sensible. Pour le dire de manière imagée : l’ouverture du Dasein telle que la présente Sein und Zeit ne permet pas d’être de « plain-pied » avec l’étant qui lui fait encontre.

36Dans le cours de Logique de 1934, Heidegger reviendra sur cette optique subjectiviste de Sein und Zeit et proposera, au fil d’une réflexion sur les rapports entre ipséité et identité (le soi et le Je), d’approfondir la dimension commune de l’ouverture à l’étant. La réponse à la question de savoir qui est le Dasein n’indique dès lors plus cet étant que je suis à chaque fois moi-même, cet étant qui, en son être, se rapporte « compréhensivement » à son être ; il y va bien plutôt d’un élargissement de l’existential du Soi-même au profit d’un « nous-mêmes ». « Le caractère préalable du soi, comme l’affirmera alors Heidegger, se trouve d’une certaine manière au-delà, comme un préalable à tout je, tu, nous, vous »44 au sens où il désigne désormais l’union de l’être du Dasein à l’être d’une communauté. Il existe un accord caché entre ce qu’est le Dasein (son ipséité) et une communauté, un groupe d’hommes auquel il appartient. Cette accentuation de l’idée d’une ipséité commune du Dasein constitue une avancée majeure par rapport à Sein und Zeit, où le caractère d’être-avec-autrui était considéré comme indissociable de l’être-à, mais n’avait pas semblé pouvoir être théorisé à sa juste mesure, autrement que sur le mode d’une description du rapport impropre à autrui.

37En élargissant la sphère de l’ispéité à la communauté, les trois structures existentiales de l’ouverture n’apparaissent plus telles des modalités singulières de l’existence d’un Dasein particulier : il y va d’une structure partagée, d’un fondement commun, un plan au sein duquel le Dasein existe avec les autres. Le plan de l’existence se fait irrémédiablement commun. Cette accentuation du caractère collectif de l’ouverture fait droit à l’idée que le sens est d’emblée partagé par une communauté qui fait l’épreuve de l’étant selon la triple modalité distinctive de son ouverture à l’être de l’étant. La sphère de circulation du sens ne se limite pas à l’expérience d’un sujet unique ; elle est ce qui est partagé et mis en commun. C’est ce sens partagé — par conséquent de façon antéprédicative — qui sera au fur et à mesure constitutif de la langue et qui lui donnera sa forme particulière.

38Cette « communautarisation » des structures de l’« être-à comme tel » permet de répondre à un problème d’ordre génétique que ne manquait pas de poser le subjectivisme de l’analytique du Dasein. En même temps que l’ambition descriptive des trois existentiaux se focalisait presque exclusivement sur une dimension de sens qui relevait de l’existence spécifique réalisée par un Dasein particulier, elle oblitérait la question de la genèse du processus par lequel un sens en venait à être articulé sous la forme de l’énoncé. Le sens discursif était considéré comme évident pour le Dasein et n’avait plus qu’à être traduit dans le schème sémantique au sein duquel il s’inscrivait. Or, le passage où Heidegger parle de la nécessité d’une libération de la grammaire des rets de la logique induit l’idée d’une dérivation totale, c’est-à-dire qui s’étend sur une longue période historique, du sens comme énoncé. En établissant l’origine grecque des catégories grammaticales, Heidegger entendait poser le problème du lieu d’où elles purent émerger : non pas simplement au sens de leur théorisation mais, plus fondamentalement encore, au sens de l’expérience (le « vivre grec ») qui les a rendues possibles en tant que telles. La morphologie de la parole grecque se base sur une discursivité propre de l’expérience de l’être de l’étant : la langue grecque dérive d’une manière typique qu’a l’étant de faire sens en deçà d’elle-même. C’est cette discursivité propre de l’ouverture à l’étant en totalité qui commande l’articulation des différentes significations à l’intérieur de l’énoncé.

39Bien que Heidegger ne posait pas les choses en ces termes, on voit bien comment les structures existentiales fondamentales de l’ouverture, parce qu’elles sont appropriées par une communauté singulière, appartiennent à une histoire : elles sont en un sens « datées ». C’est ce que mettra en lumière Heidegger dans son cours de Logique de 1934 — et qui deviendra le sujet principal de la section « être et penser » dans le dernier chapitre de L’introduction à la métaphysique de 1935. L’expérience antéprédicative est tributaire d’une histoire, d’une modalité singulière de faire l’expérience de l’étant, mais toujours une expérience qui se fait ensemble, en commun — et que le Dasein reçoit en héritage. L’antéprédicatif possède donc une histoire. Ce qui est institué en tant que loi morphologique ou catégorie grammaticale est tributaire d’un processus historique qui charrie avec lui une expérience singulière de l’étant. L’articulation des mots dans le discours parlé, selon des règles communément partagées, est l’extériorisation d’une appréhension de l’étant qui s’est progressivement construite. Pour que le sens discursif aille de soi, il est nécessaire qu’il procède d’un mode communément et historiquement partagé d’après lequel l’étant fait encontre.

40C’est cette évidence du sens partagé et communément constitué — et pourtant antérieur à sa mise en forme expressive, que ce soit du point de vue de la formation diachronique de l’expression que de sa saisie hic et nunc pour exprimer une expérience vécue — qui fait dire à Heidegger, dans la « Lettre sur l’humanisme », que le langage est la maison de l’Être45. C’est dans cet esprit qu’il faut apprécier la primauté que Heidegger, au fur et à mesure de l’évolution de sa pensée, va faire jouer au langage dans l’expérience : non pas comme s’il s’agissait de la thèse selon laquelle il n’est pas d’expérience sans une mise en forme linguistique, mais comme la réaffirmation de la dimension partagée du sens discursif qui va trouver à s’exprimer dans l’énoncé, la communication, la parole, etc. C’est dans cette perspective qu’il nous faut relire ce passage de la conférence de 1958 intitulée « Le mot » où Heidegger, reprenant un vers de Hölderlin — « aucune chose ne soit, là où le mot faillit »46 —, affirme qu’« aucune chose n’est, là où le mot fait défaut »47. Le mot n’est pas ici à entendre au sens de concept : il désigne une expérience vécue qui vient faire écho au sein de la parole. Déjà dans la conférence de 1946 intitulée « Pourquoi des poètes ? », Heidegger précisait qu’il y avait effectivement une façon d’accéder à l’étant se réalisant à travers le mot, non pas en tant que sigle ou instanciation d’un sème, mais comme modalité générale pour l’étant de faire encontre et de se manifester :

La parole est l’enceinte (templum), c’est-à-dire la demeure de l’Être. L’essence de la langue ne s’épuise pas dans la signification ; elle ne se borne pas à la sémantique et au sigle. Parce que la langue est la demeure de l’Être, nous n’accédons à l’étant qu’en passant constamment par cette demeure. Quand nous allons à la fontaine, que nous traversons la forêt, nous traversons toujours déjà le mot « fontaine », le mot « forêt », même si nous n’énonçons pas ces mots, même si nous ne pensons pas à la langue48.

41Bien que Heidegger n’emploie plus, à l’époque de la conférence, la terminologie du Rede, il n’est pas déplacé de continuer à affirmer que le sens dont il est ici question à travers le mot est celui du discours (le discursif). Bien sûr, les derniers écrits de Heidegger, comme en témoignent les extraits précédemment cités, semblent aller dans le sens d’une primauté du langage dans le processus de configuration de l’expérience. C’est cependant aller trop loin dans l’interprétation. Heidegger n’affirme jamais qu’il n’est d’expérience possible que par le biais de son embrigadement sémantique, linguistique voire conceptuel. Il ne faut pas voir dans cet exemple de Heidegger l’idée selon laquelle c’est parce que l’homme possède le mot « forêt » qu’il lui est permis d’en faire l’expérience. La primauté du mot, comme l’extrait de la conférence « Pourquoi de poètes ? » le laisse entendre, est là pour faire droit à ce qui se joue en deçà des états construits de la langue, à même une forme de contact « premier » avec l’étant, c’est-à-dire non encore thématisé dans la parole — et pourtant fruit d’une histoire et d’une expérience commune49. Un schème linguistique reflète cette expérience première de l’étant, avant sa mise en forme prédicative. Quand Heidegger dit que l’homme qui traverse la forêt traverse en même temps le mot « forêt » — sans qu’il soit besoin de le prononcer, insiste-t-il —, cela signifie que le contenu du mot forêt est en résonnance avec une modalité spécifique, au sein d’une communauté déterminée, d’appréhender et de concevoir la forêt — par exemple comme ce qu’il faut abattre ou comme ce qu’il faut préserver, comme un endroit mystérieux ou comme une aire de sport et d’activités de plein air, etc. Dans cette perspective, ce n’est pas tant le partage d’une langue que de structures antéprédicatives (marquées collectivement tout au long d’une histoire) qui guide le rapport expérientiel à l’étant. Ce sont ces structures qui, pour le dire en termes husserliens, vont venir se sédimenter dans la langue.

Conclusion

42Notre analyse de Sein und Zeit et des écrits dans lesquels la thématique de la grammaire est abordée nous a conduit à interroger les sources expérientielles qui, pour Heidegger, commandent la structuration syntaxique typique d’une langue. Par « sources expérientielles », il faut entendre cette strate d’expérience infra-linguistique ou encore antéprédicative, tout à la fois commune et historiquement située, par l’intermédiaire de laquelle est vécu le rapport à l’étant. L’excavation de cette strate fut rendue possible par un examen de la remise en cause progressive, par Heidegger, de la focale « subjectiviste » de l’analytique existentiale, au profit d’un élargissement collectif et historique des existentiaux. Les structures antéprédicatives sont alors considérées comme étant communément partagées et produites tout au long d’une histoire — un peu comme une lame de fond qui accompagnerait le « flot » du langage. Dasein, cela n’est alors plus le nom d’un individu singulier, mais cela désigne bien plutôt quelque chose comme un « commun ». C’est le langage qui portera dorénavant la marque de cette expérience partagée de l’étant.

Notes

1  J. Ladrière, L’Articulation du sens, t. I : Les langages de la foi, Paris, Éditions du Cerf, 1984, p. 193.

2  Cf. J. Ladrière, « Philosophie et langage », dans Id., Le temps du possible, Louvain/Paris/Dudley, MA, Éditions Peeters, coll. « Bibliothèque Philosophique de Louvain », 2004, p. 33.

3  M. Heidegger, « L’origine de l’œuvre d’art », dans Id., Chemins qui ne mènent nulle part, trad. fr. W. Brokmeier, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Tel », 1986,p. 13.

4  M. Heidegger, « La question de la technique », dans Id., Essais et conférences, trad. fr. A. Préau, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Tel », 1980, p. 9.

5  M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, trad. fr. G. Kahn, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Tel », 1980, p. 126.

6  Ibid., p. 124.

7  M. Heidegger, Séminaires de Zurich, édités par Medard Boss, trad. fr. C. Gros, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque de Philosophie/Œuvres de Martin Heidegger », 2010, p. 215.

8  M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, op. cit.,p. 129.

9 Ibid., p. 185-186.

10 Ibid., p. 187-188.

11 Ibid., p. 186.

12 Ibid., p. 188.

13 Ibid., p. 189-190.

14 Ibid., p. 190.

15  Ibid., p. 191.

16  Ibid., p. 191-192. Pour Heidegger, « l’articulation générale de la structure interne de la logique » se déploie en suivant quatre manières particulières de procéder : 1) la proposition est considérée comme une chose, plus précisément comme un assemblage de composants : des mots auxquels correspondent des représentations ; 2) la proposition est formée par l’entrelacement de ces composants : l’énoncé est donc un assemblage et peut lui-même participer à une assemblage plus vaste — de là découle la possibilité de la déduction ; 3) des règles régissent cet assemblage : la première est celle de l’identité du représenté, la deuxième celle de la non-contradiction et la troisième celle de l’agencement principe-conséquence ; 4) la quatrième manière est celle de la prise en considération de la seule forme de la proposition — et non pas de son contenu (Cf. M. Heidegger, La logique comme question en quête de la pleine essence du langage, trad. fr. F. Bernard, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Bibliothèque de Philosophie/Œuvres de Martin Heidegger », 2008, p. 12-15).

17  M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, op. cit.,p. 192.

18  É. Escoubas, « L’Archive du logos », dans Id., Questions heideggeriennes : Stimmung, logos, traduction, poésie, Paris, Éditions Hermann, coll. « Le Bel Aujourd’hui », 2010, p. 108.

19  M. Heidegger, Introduction à la métaphysique, op. cit., p. 69 et p. 129.

20  Ibid., p. 66. C’est nous qui soulignons.

21  Ibid., p. 29 (traduction modifiée). C’est nous qui soulignons.

22  Sur tout ceci, et dans une perspective heideggérienne, cf. H. Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, Paris, Éditions Le Cerf, 2012.

23  Dans ses travaux de jeunesse, Heidegger avait déjà étudié ce que l’on appelait alors le parallélisme logico-grammatical, à savoir la thèse selon laquelle « la logique détermine la grammaire et la grammaire détermine la logique » (M. Heidegger, La logique comme question en quête de la pleine essence du langage, op. cit., p. 15). Dans la Dissertation de 1914 sur La théorie du jugement dans le psychologisme et la Thèse d’habilitation de 1915 sur La théorie des catégories et de la signification chez Duns Scot, Heidegger entendait libérer la logique des rets de la grammaire en montrant que la « phrase grammaticale et [le] jugement logique peuvent bien être “parallèles”, mais ils ne le sont pas nécessairement » (extrait de la Thèse d’habilitation cité dans Fr. Dastur, Heidegger : La question du logos, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, coll. « Bibliothèque des Philosophies », 2007, p. 28). L’argument principal de Heidegger consistait à affirmer que ce qui, dans la phrase grammaticale est en position de prédicat peut être, du point de vue logique, en position de sujet. De ce fait, la phrase normale n’incarne pas la forme du jugement primitif. Pour Heidegger, cette scission de la grammaire et du logique doit amener le logicien-phénoménologue à « chercher les opérations les plus primitives du jugement dans une profondeur à laquelle le langage [c’est-à-dire la grammaire] n’atteint absolument pas » : à savoir dans le domaine de l’idéalité de la signification.

24  M. Heidegger, Sein und Zeit, Tübingen, Niemeyer, 196310, § 34, p. 165 ; trad. fr. É. Martineau, Être et temps,Éditions Authentica (hors-commerce), p. 142 (traduction modifiée). La pagination de la traduction française renvoie à la version disponible en ligne sur http://t.m.p.free.fr/textes/Heidegger_etre_et_temps.pdf Nous traduisons Aussage par énoncé, Rede par discours, Sprache par langage.

25  H. Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, op. cit., p. 7.

26  M. Heidegger, Sein und Zeit,op. cit., § 34, p. 165-166 ; trad. fr., p. 142.

27  Ibid., § 9, p. 42 ; trad. fr., p. 54 (traduction modifiée).

28  Ibid., § 29, p. 137 ; trad. fr., p. 122 (traduction modifiée).

29 Ibid., § 29, p. 137-138 ; trad. fr., p. 123.

30  Cf. Br. Bégout, L’enfance du monde, Chatou, Éditions La Transparence, coll. « Philosophie », 2007, p. 38-39.

31  M. Heidegger, Sein und Zeit, op. cit., § 29, p. 137-138 ; trad. fr., p. 123 (nous supprimons les italiques).

32  E. Husserl, Expérience et jugement. Recherches en vue d’une généalogie de la logique, trad. fr. D. Souche-Dagues, Paris, PUF, coll. « Épiméthée », § 17, p. 93.

33  M. Heidegger, Sein und Zeit, op. cit., § 32, p. 148 ; trad. fr., p. 130.

34  Ibid., § 32, p. 149 ; trad. fr., p. 131.

35  Ibid., § 32, p. 151 ; trad. fr., p. 132.

36  Idem (traduction modifiée).

37  Ibid., § 34, p. 160 ; trad. fr., p. 138.

38  Ibid., § 34, p. 161 ; trad. fr., p. 139 (traduction modifiée).

39 Idem.

40 Ibid., § 34, p. 163 ; trad. fr., p. 140.

41  Idem.

42  M. Heidegger, La logique comme question en quête de la pleine essence du langage, op. cit., p. 29.

43  M. Heidegger, « Lettre sur l’humanisme », dans Id., Questions III & IV, trad. fr. J. Beaufret et alii, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Tel », 1990,p. 68.

44  M. Heidegger, La logique comme question en quête de la pleine essence du langage, op. cit., p. 59.

45  « L’homme n’est pas seulement un vivant qui, en plus d’autres capacités, posséderait le langage. Le langage est bien plutôt la maison de l’Être en laquelle l’homme habite et de la sorte existe, en appartenant à la vérité de l’Être sur laquelle il veille » (M. Heidegger, « Lettre sur l’humanisme », dans Id., Questions III & IV, op. cit., p. 91).

46  M. Heidegger, « Le mot », dans Id., Acheminement vers la parole, trad. fr. J. Beaufret et alii, Paris, Éditions Gallimard, coll. « Tel », 1981,p. 202.

47  Fr. Dastur, Heidegger : La question du logos, op. cit.,p. 172.

48  M. Heidegger, « Pourquoi de poètes ? », dans Id., Chemins qui ne mènent nulle part, op. cit., p. 373 (traduction modifiée). C’est nous qui soulignons.

49  H. Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, op. cit., p. 7.

Pour citer cet article

Aurélien Zincq, «En deçà du langage : Communauté et historicité de l’antéprédicatif selon Heidegger», Bulletin d'Analyse Phénoménologique [En ligne], Volume 12 (2016), Numéro 2: Phénoménologie et grammaire: Lois des phénomènes et lois de la signification (Actes n°8), URL : https://popups.uliege.be/1782-2041/index.php?id=827.

A propos de : Aurélien Zincq

FRS-FNRS, Université de Liège

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