Cahiers de Science politique Cahiers de Science politique -  Cahier n°21 

La gestion politique de la mémoire du génocide au Rwanda: Mémoire officielle face aux représentations sociales

Eric Nsanzubuhoro Ndushabandi

Introduction

1L’objectif ici est de s’interroger sur le contenu et les limites de la mémoire officielle face aux représentations sociales du passé.  Cette réflexion porte à la fois sur les acteurs en scène dans la gestion du passé et la manière dont ce passé est interprété et pris en compte dans le processus de reconstruction nationale d’une société post-génocide. Il ne s’agit pas seulement de considérer les discours rationnellement construits mais aussi leurs perceptions et les représentations des faits par rapport aux impératifs du moment et les objectifs fixés dans le temps. Du point de vue des acteurs officiels, cette reconstitution tend à s’ériger en une ligne de politique mémorielle.

2Cette réflexion porte alors sur certaines questions du passé, non dans le souci de relater les faits, comme le ferait un historien, mais, dans une démarche politologique, cerner les thèmes fondamentaux évoqués par les autorités politiques rwandaises au cours des commémorations, pour en analyser la portée et les limites par rapport à la résistance et la persistance des perceptions identitaires enracinées dans la société rwandaise.

3Le fil rouge de cette réflexion sur la gestion du passé au Rwanda repose sur l’hypothèse selon laquelle « les représentations officielles du passé au Rwanda ne constituent pas véritablement une mémoire nationale».

4Pour procéder à la vérification de cette hypothèse, présentons d’emblée les types d’approches méthodologiques et théoriques adoptées à cet effet.

Méthodologie empruntée

5Nous faisons recourt d’abord, à l’analyse d’un corpus de discours officiels du Président de la République du Rwanda, Paul Kagame et, de manière plus large, des discours officiels  des autorités politiques rwandaises. Mais, dans le contexte bien particulier d’une société fortement hiérarchisée, l’importance de l’analyse dépend moins de la variation des orateurs que du rôle joué par l’autorité suprême de l’Etat dans la vie du pays. L’histoire personnelle du Président, le système politique lui-même et la prépondérance accordée aux allocutions présidentielles dans les représentations sociopolitiques au Rwanda, tous ces facteurs donnent du poids à notre option. Ce sera principalement les allocutions présidentielles du 7 Avril, (commémoration du génocide), de 2000 à 2011; mais aussi à d’autres moments jugés déterminants dans l’évocation du passé : les commémorations du génocide, la journée nationale de libération,  ou des héros nationaux et, enfin, les multiples  voyages du Président de la République à l’étranger. L’étude de cas fournit la base d’une analyse non plus diachronique mais thématique. Le questionnement qui guide l’analyse peut être schématiquement  présenté dans une quadruple interprétation : - Qui parle ? - A qui ? - De quoi et Pour quoi ?  Cette approche nous permet effectivement de relever les attentes et les perspectives de l’Etat rwandais, dans la  production d’une mémoire nationale.

6Ensuite, nous avons procédé à une analyse thématique qui se limite à un certain nombre d’ouvrages et d’articles de revue se rapportant à l’histoire du Rwanda en général et de façon spécifique sur la littérature en rapport avec la mémoire.

7Enfin, pour mesurer les représentations sociales nous avons recouru à des entretiens individuels menés avec des catégories sociales aux expériences différentes par rapport au génocide. A défaut d’atteindre la population totale qui couvrirait notre univers d’enquête, nous sommes partis de certaines caractéristiques générales de la population Rwandaise, considérées par rapport au génocide: -les autorités locales, - les rescapés du génocide, - les anciens réfugiés de 1959, - les réfugiés de 1994, - les prisonniers libérés et/ou les membres de leurs familles1.

Précision sémantique et Modèle théorique

8L’analyse des représentations sociales nous renvoi aux concepts de mémoire et d’identité et surtout à la manière dont ces deux variables sont prises en compte dans la reconstruction socio-politique du Rwanda post-génocide.

9La mémoire est, selon Valérie Rosoux « une faculté biologique qui permet d’encoder les expériences vécues et les informations reçues, de les conserver, de les transformer et de les restituer. Elle renvoie à un ensemble de fonctions psychiques grâce auxquelles l’homme peut actualiser des impressions ou des informations passées…Ce ne sont pas les choses elles-mêmes qui entrent dans la mémoire mais leurs représentations ».2 Cette mémoire peut être portée par des individus, (mémoire individuelle), des groupes, (mémoire collective des groupes particuliers), par les autorités officielles (l’Etat), ou alors partagée par un groupe national.

10La mémoire « nationale »3 suppose un effort soutenu d’harmonisation des lectures divergentes et parfois contradictoires, l’établissement de la vérité historique dans une perspective assez dynamique et plus ou moins cohérente. Elle est donc différente d’une mémoire officielle sur laquelle ce travail veut s’attacher de prime abord. Ici, nous en restons au sens de Maurice Halbwachs selon lequel:

11«La mémoire officielle est la suite des événements dont l’histoire nationale conserve le souvenir. Ce ne sont pas ces cadres qui constituent la mémoire collective, car entre l’individu et la nation, il y a bien d’autres groupes, plus petits qui ont leur mémoire et dont la transformation agit plus directement sur la vie et la pensée de leurs membres (…)4.

12« La mémoire officielle est le recueil des faits qui sont supposés avoir le plus marqué la mémoire des hommes, des faits qui ont contribué à changer les nations ou les institutions. Lus dans les livres ou vécus, les événements passés sont choisis, rapprochés, suivant des nécessités ou des règles qui ne s’imposaient pas aux hommes qui en ont longtemps gardé le dépôt. »5

13Nous esquissons une analyse des représentations sociales et leur positionnement par rapport aux représentations officielles. Denise JODELET nous fournit une orientation selon laquelle les représentations sociales sont « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social »6.

14Les représentations sociales en tant que systèmes d’interprétation, régissant les relations au monde et aux autres, orientent et organisent les conduites et les communications. En tant que phénomènes cognitifs, ils engagent l’appartenance sociale des individus avec les implications affectives et normatives, avec les intériorisations d’expériences, des pratiques, des modèles de conduites et des pensées, socialement inculquées par la communication sociale, qui y sont liées7.

15Peut-on réellement étudier les représentations sociales ? Nous répondons affirmativement avec Denise Jodelet qui écrit ceci :

16« Avec les représentations sociales, nous avons affaire à des phénomènes observables directement ou reconstruits par un travail scientifique. L’observation des représentations sociales est, en effet, chose aisée en des multiples occasions. Elles circulent dans les discours, sont portés par les mots, véhiculées dans les langages et images médiatiques, cristallisées dans les conduites et les agencements matériels ou spatiaux8.

17Schématisons ici le modèle théorique9 qui servira de soubassement à notre cadre d’analyse.

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18La mémoire nationale, symbolisée par la combinaison de ces trois pôles de la figure, ne sera pas le simple produit des représentations officielles du passé national. Au contraire l’Etat, qui incarne une mémoire dite officielle, devra incontestablement s’assurer de l’adhésion de la population, dans une dynamique dialogique. Ce qui lui permet de jouir d’une légitimité, aussi minimale qu’elle soit. Le dialogue communautaire et le débat public sur l’histoire sont des stratégies efficaces pour se rendre compte des représentations sociales qui nourrissent les comportements politiques. Les travaux de la commission Nationale pour l’Unité et la Réconciliation sont, on ne peut plus, encourageants. Il ne s’agit pas de ramener tous les faits au même pied d’égalité ni de céder à l’amalgame, et encore moins de rejeter dos à dos les responsabilités, il s’agit plutôt de se mettre au service d’un idéal commun, celui de l’unité et la réconciliation nationale.

19Bien que le modèle privilégie une approche interne, les initiatives nationales sollicitent le soutien de la communauté internationale. Le modèle intègre aussi les acquis de la recherche scientifique. Entre l’Etat, en tant que facteur de légitimité et de souveraineté, et la recherche, la coopération de la Communauté Internationale est, sans doute, nécessaire dans la gestion politique du passé au Rwanda.

Difficultés inhérentes à une pareille initiative

20Les difficultés de  mener cette étude apparaissent d’emblée, quand on se rend compte que le passé national rwandais est complexe et privé d’une interprétation commune10. Il serait d’ailleurs fortuit, voire naïf, de le penser définitif et univoque. Les nombreuses études sur cette question, depuis 1994 en rendent éminemment compte.

21La difficulté majeure est de savoir s’il y’a lieu de parler d’acteurs en présence et, surtout des « ethnies », dont le mobile « identitaire » est largement discuté actuellement, sans tomber soi-même dans l’« idéologie » partisane, ou dans un scepticisme radical. En nous limitant à l’analyse de contenu qui porte sur un corpus des discours et des données qualitatives issues des entretiens, nous tenterons de nous échapper, le plus possible, de ce piège. Nous nous limitons simplement à une sorte de problématisation présentant l’état de lieux des représentations officielles et sociales. Sans forcément prendre position,  nous formulons tout de même des questions et des hypothèses, elles mêmes pouvant faire objet de controverse.

22Les discours officiels, disponibles sur le site du gouvernement du Rwanda, sont généralement transcrits en anglais et en kinyarwanda. Dans ce travail, certains passages, très sensibles, sont retranscrits en langue originale, pour rester fidèle à l’idée de l’orateur et certains d’autres sont traduits en français. Par contre, les données issues de nos entretiens sont traduites du kinyarwanda au français, mais certaines opinions sont reprises en marge dans leur version originale pour nos lecteurs rwandais.

23Le choix des commentaires de scientifiques, dans l’analyse du contenu des représentations officielles, a été fait sur base de divergence d’opinions dans l’interprétation de l’histoire du Rwanda.

24Notre réflexion s’articule alors autour de deux axes principaux. Dans un premier temps, l’analyse se penche sur le contenu de la mémoire officielle face aux représentations sociales du passé et dans un second temps nous évoquerons les préalables pour une « mémoire nationale » passant par les limites que les représentations sociales imposent à la version officielle.

25Contenu de la mémoire officielle au Rwanda

Orientation générale

26Un raisonnement en quatre temps apparaît d’emblée, dans la mise en scène du passé à travers les discours officiels. Ces quatre moments du raisonnement correspondent aux grandes phases de l’histoire rwandaise : la période précoloniale, la période coloniale, la période post- coloniale et enfin la période post génocide.

27Au sens du discours officiel, la période d’avant la colonisation s’entend comme « un temps de cohésion sociale de la nation rwandaise » pendant lequel les « Rwandais vivaient en paix ». Cette cohésion fut brisée, semble-t-il, par la colonisation et, ensuite, par les deux premières Républiques, qui n’ont pas su jouir pleinement de l’indépendance acquise en 1962. Les deux premières Républiques incarnent la « période noire » de l’histoire rwandaise précurseur du génocide commis contre les Tutsi en 1994. La période post-génocide est présentée comme moment de ressaisissement, de reprise en main du destin du pays par le peuple rwandais. La même période s’explique comme moment de courage et d’héroïsme de ceux qui ont, « véritablement » libéré le pays. Les discours officiels rebondissent sur des faits et des exploits réalisés depuis 1994. Quelle est la portée d’une telle approche ? Est-ce la seule façon de voir les choses ? Comment les représentations sociales rejoignent-elles cette lecture des faits ou dans quelle mesure elles s’en éloignent ?

28L’indignation et l’inquiétude de certains chercheurs et d’une partie de la population rwandaise, tant de l’extérieur que de l’intérieur sur le modèle de reconstruction à instaurer, marquent l’effort supplémentaire que les autorités rwandaises devront fournir, dans la construction d’une mémoire nationale. Si ces représentations officielles restent figées, le risque grandissant est de voir les Rwandais se replier sur leurs propres « vérités ».

29Faut-il envisager une homogénéisation de ces représentations ? L’homogénéisation ne signifie pas ici que toutes les représentations se valent. Il n’est pas question non plus de faire une sorte de juxtaposition de ces « vérités ». Nous proposons plutôt une réflexion sur la portée de ces représentations officielles, et entendons jeter les bases d’une réflexion qui prendrait en compte ces divergences, pour les rendre plus cohérentes et acceptables ou du moins rationnelles. Bien entendu, les vérités subjectives qui apparaissent dans nos entretiens ne sont pas à prendre telles qu’elles ; elles ont besoin d’être plus rationnalisés. Cette rationalité consiste à privilégier des visions allant dans le sens de l’intérêt commun et de l’unité nationale. Nous ne céderons donc pas à l’amalgame ou pire encore à la méconnaissance des particularités absolues du génocide11.

« The truth is that », leitmotiv d’un discours sur le passé

30L’expression « the truth is that » semble indiquer une vérité historique, presque irréfutable. Il s’agit d’une proposition qui introduit souvent une sorte d’antithèse à ce que la version officielle rwandaise considère comme « histoire falsifiée ».

31Si nous remontons au plus loin dans la manière d’expliquer les origines des Rwandais et les relations sociales avant la colonisation, le mythe de Gihanga est le favori dans les discours officiels. Selon la mythologie rwandaise, les Rwandais descendent tous d’un même ancêtre : « Gihanga ». Cependant, certains points de vue en vogue sur internet et dans les livres, n’hésitent pas de fustiger les représentations officielles dans la façon dont les choses sont présentées avant la colonisation et pendant le régime monarchique. Cette période est, souvent, suspectée par certains analystes ou pseudo analystes, qui fustigent non seulement les inégalités véhiculées dans le mythe de « Gihanga », mais aussi et surtout, l’asservissement dont les Hutu auraient été victimes. Alphonse Bazigira se veut un porte-parole des Hutu dans ces propos :

32« La majorité hutu accuse le mythe fondateur tutsi centré sur les théories racistes de la supériorité et de l’infériorité des ethnies ou des races légitimées et renforcées par le pouvoir colonial celui-ci a découvert au Rwanda cette relation et ces incompatibilités »12.

33Par ailleurs les discours officiels s’opposent, presque systématiquement, à la vision selon laquelle Hutu, Tutsi et Twa constituent des groupes ethniques différents. Cette dernière veut faire reconnaître l’existence des divisions récurrentes au sein de la société rwandaise.

34Pour contredire cette idées, et éviter désormais tout équivoque, les représentations officielles fournissent une seule « vérité », la vérité selon laquelle ces trois groupes spécifiques ne constituent qu’un seul « peuple », celle des « a banyarwanda. » Ce sentiment d’appartenance à une même identité nationale, et donc constituant le Rwanda entendu comme une nation, se justifie par la présence d’un peuple parlant une même langue, habitant un même territoire et partageant un patrimoine culturel commun. Faits vérifiables et irréfutables dans les propos de tous nos enquêtés.

35Dans le même angle d’idée, les autorités politiques considèrent que la rupture induite par « la colonisation et les deux premières Républiques » a durablement brisé cette cohésion sociale entre les Rwandais13. Aux yeux de  tous nos enquêtés, ce sont les colonisateurs qui nous ont apporté les divisions sur base ethnique. Reprenons ici certains termes utilisés dans la langue originale : « - nibo bayatsindagiye, - nibo bayazanye, - nibo baduteranije, - bashizeho amategeko agenga bamwe n’andi agenga abandi, - ntibari kubasha kutuyobora batabanje kuduteranya, - nibo bahaye ingufu ayo moko batubibamo urwango,… 14». Ces propos rentrent sur le fait que la colonisation a joué un grand rôle dans le conflit rwandais. « S’ils n’ont pas inventé les ethnies, ils les ont renforcés, institutionnalisées, radicalisées, et s’en sont servies pour diviser les Rwandais et enfin pour les dominer ». Voici ce que dit l’un des nos enquêtés à propos des origines des mots hutu, tutsi et twa et réaffirmant la théorie des origines étrangères pour les Hutu et les Tutsi :

36« Les Twa vivaient depuis toujours sur cette terre rwandaise, (abasangwabutaka), les tutsi, (éleveurs) sont venus de l’Ethiopie, les Hutu, (cultivateurs) sont descendus du Tchad. A l’arrivée de l’homme blanc, distribuant des perles et des habits, un indigène indique au Blanc ce qu’il doit faire, il dit aba n’abatunzi ntubahereze, (ceux-ci sont des éleveurs, tu ne dois rien leur donner), le Blanc a entendu ‘’Abatutsi’’ par contre ceux-là sont des cultivateurs, donne leur ça seulement, ‘aba bah’utu’, le Blanc a entendu Abahutu. Et ceux là sont chargés de transporter le mwami, «  aba n’abaâtwa b’umwami, bahe turiya », le Blanc a entendu Abatwa. C’est de là que sont venus les ethnies »15.

37Ces propos qui peuvent être également une pure invention, revêtent tout de même un sens.

38Cette explication ne rejetant pas le rôle des colonisateurs dans la construction idéologique de ces mots, elle reconnaît également aux ethnies une connotation économique.  Si la préexistence des concepts Hutu, Tutsi et Twa avant la colonisation est reconnue dans les représentations officielles, ils revêtent cependant, une connotation socioéconomique. Tout dépend, d’une part, du nombre des vaches et d’autre part, de la proximité de chacun à la classe dirigeante. 

39L’argument de « la mobilité sociale » confère aux Hutu, Tutsi et Twa une dimension dynamique. « On ne naît pas Hutu ou Tutsi on le devient ». La possibilité de passer d’une « ethnie » à l’autre  dépend du nombre de vaches que l’on possède. La division du travail est, également, dynamique, en ce sens que la perte de ses vaches peut « ramener » celui qui était Tutsi, éleveur, au statut du Hutu. Le simple fait de perdre ses vaches, entraîne la perte de son identité de Tutsi pour devenir Hutu, et donc cultivateur. L’identité « ethnique » devient, dès lors, intrinsèquement une donnée dynamique dont l’appartenance à une catégorie ethnique est aléatoire. Comment expliquer la nature de ces ethnies dont le porteur peut décider de se débarrasser à son gré ? L’argument de la mobilité sociale pour expliquer le non fondement des ethnies ne suffit pas forcément. Ceux qui tiennent à l’approche statique des données ethniques pensent justement que ces identités existent en réalité. Une dame rescapée du génocide se range de ce côté en disant : « qu’on le veuille ou pas les ethnies existent et on ne peut rien changer. Quand je te vois je sais d’emblée qui tu es et toi aussi tu sais qui je suis avant que tu ne viennes m’interroger. Nos familles nous l’ont dit et ceci est claire pour quiconque. Ne soyons pas hypocrites »16. On dirait que tout semble être évident aux yeux de celle-ci. L’approche statique explique les ethnies par le partage des éléments biologiques et raciaux propres à un peuple. Pour trouver sa justification, la logique raciale sera axée sur les traits somatiques et l’habilité à exercer certaines fonctions spécifiques dont la répartition s’inspira de la morphologie physique. Les colonisateurs ont élaboré un répertoire de caractéristiques, pour matérialiser la différence raciale entre Twa, Hutu et Tutsi : la taille, l’écartement des narines, le diamètre des crânes, la teneur de la sicklémie dans le sang, le comportement, le coefficient intellectuel, etc.17.  Dans cette perspective, les catégories hutu, tutsi et twa deviennent des unités ethniques à part entière. Plusieurs ethnologues et historiens, aussi bien Rwandais qu’étrangers s’inscrivent dans cette logique18.

40Qu’à cela ne tienne, ces groupes sont elle condamnés à s’exterminer ? Comment les un et les autres considèrent la vie communautaire dans cet ancien Rwanda ? Certains considèrent le Rwanda précolonial comme cohérent et pacifique voir paradisiaque alors que d’autres lui reconnaissent une haine séculaire et radicale ? Entre le deux, Jan Vansina revient dans son appréhension du Rwanda ancien et fait état des clivages qu’il qualifie « d’absolu » sur base d’une société finement graduée entre Hutu et Tutsi. Ce clivage fut institutionnalisé par la pratique de l’ « uburetwa »19 qui obnubila rapidement l’ancienne conscience de classes sociales ». Jusqu’ici la conscience de classe avait élaboré une gradation sociale très fine de familles jugées plus ou moins « bonnes et mauvaises »  selon leurs occupations et leur aisance d’une part et avait distingué en gros entre « élite », (imfura) et gens du commun de l’autre ; ou encore entre riche et pauvres »20.

41Si ces concepts très chargés (hutu, tutsi et twa) ont une origine rwandaise, ce sont les colonisateurs qui leur ont donné un autre sens, parce qu’aux yeux des autorités locales elles n’avaient jamais servi d’argument pour s’entretuer.

42Dans son discours présidentiel du 7 mars 2003, à San Francisco, (Etats-Unis), le Président Paul Kagame reconnaît l’existence des inégalités typiques à l’ère préindustrielle. Il rappelle cependant qu’aucun des groupes présents au Rwanda ancien n’avait osé planifier l’extermination d’un autre, comme cela fut le cas en 1994, avec l’appui et la mobilisation de l’appareil étatique. Les opinions de nos enquêtés rejoignent systématiquement cette vision des choses. Elles avouent toutes que les rivalités inter-claniques auraient été possibles mais pas au nom d’une quelconque « ethnie » tutsi, twa ou hutu.

43Par contre, la dernière enquête du Sénat rwandais montre que 6.2% de la population rwandaise affirment que dans l’histoire du Rwanda, il y aurait eu une tentative de la part d’un groupe social d’exterminer un autre. Un pourcentage relativement faible mais révélateur d’un germe d’une éventuelle haine séculaire entre les catégories sociales rwandaises, du moins dans l’entendement des ces enquêtés.

44Ces perceptions sont présentes dans les représentations sociales du passé, et leur impact sur les comportements politiques actuels n‘est pas de moindre signification dans le processus de construction d’une mémoire nationale.

45Comment contourner véritablement les données biologiques et idéologiques systématisées par le pouvoir colonial, à travers le mythe des origines, et qui restent ancrées dans les représentations collectives ? Depuis bien peu, quelques auteurs rwandais et étrangers dénoncent l’irrationalité des critères de différenciation entre les Hutu et le Tutsi. Selon cette tendance, les critères de distinction proposés par les chercheurs étrangers et les colonisateurs n’ont aucun fondement scientifique bien que ces théories raciales aient alimenté et continuent encore à « alimenter toute sorte de propagande et de tragédie »21. Un étudiant en science politique et rescapé du génocide interrogé sur la réalité des ethnies au Rwanda, nuance ses propos en disant :

46« Pour moi, même si les autorités locales essaient de montrer que les identités Hutu, Tutsi et Twa n’existent pas, personne non plus n’ose nous le dire clairement. Au lieu de le dire ainsi, ils affirment que tout est venu des colonisateurs qui ont établi ces différences ethniques en se basant sur le nombre des vaches. L’essentiel n’est pas là. Il y’a lieu de reconnaître ces identités et s’entendre sur le fait qu’elles ne devraient pas être un problème, plutôt, se mettre d’accord sur le fait que nous sommes tous Rwandais».

47Ce jeune étudiant poursuit son raisonnement :

48« Personne ne nous dit clairement d’où sont venus ces mots hutu, tutsi, twa. D’où sont venus ces mots du kinyarwanda. ? Il y’a même une tendance de vouloir remettre en question des acquis de la recherche de Kagame Alexis, mais personne ne parvient encore à nous convaincre : (…)22 Les ethnies existent et socialement, elles ont un sens  même si on n’a pas des mesures objectives pour distinguer les uns des autres. C’est vrai ces critères que les colonisateurs nous ont établis n’ont pas d’objectivité scientifique, mais nous tous nous savons qui nous sommes, du fait de descendre de telle ou de telle famille qui a toujours été reconnue comme telle. Quand on nous dit, rescapés du génocide, ou « ceux qui sont restés en marge de l’histoire, « abasigajwe inyuma n’amateka »23, tout le monde le sait, ce sont des ethnies plus dangereuses d’ailleurs qui continuent à diviser les Rwandais»24.

49Cet argument qui rejoint, à certains égards,  les représentations officielles se base sur le fait que la culture n’est pas seulement statique, elle est aussi dynamique. Les critères physiques peuvent se voir modifiés par le processus de métissage culturel. Le mariage interculturel, le mouvement des populations et la nouvelle division du travail, qu’offre la nouvelle ère de l’industrialisation, ne permettent pas aujourd’hui de distinguer aisément Hutu et Tutsi sur base de critères physiques et physiologiques. Les interviewés épousent presque tous cette interprétation, sauf que cette difficulté de distinguer les Rwandais sur base des critères biologiques n’empêche pas à certains d’affirmer que les ethnies existent tout de même pour celui-ci : « pour moi, il suffit de voir à l’œil nu pour savoir si tu es Tutsi, Hutu ou Twa »25. Dans la suite, les enquêtés ne nient pas que ce peuple partage un patrimoine culturel commun, voir une même nation. L’un de nos répondants affirme par ailleurs que Hutu et Tutsi n’ont pas reçu la même éducation : « le Tutsi a reçu une éducation de se respecter et de ne pas être gourmand, et ils puisaient cette éducation dans la cours royale, les Hutu eux n’ont pas eu cette éducation »26

50 Cependant, la revendication de la préexistence d’une « nation rwandaise » dans les discours officiels, nécessite une argumentation, sensiblement fondée, pour se faire accepter par tous. Le fait, en soi, ne pose pas problème : cette nation peut avoir existée ou pas, il serait naïf d’exorciser les dérives éventuellement commises, et qui sont probablement inhérentes aux systèmes monarchiques traditionnels. Si les Rwandais ont toujours vécu en parfaite cohésion, il y’a lieu cependant de s’interroger sur cette particularité alors que la plupart des sociétés traditionnelles ont été caractérisées par des rivalités familiales, inter-claniques, ou raciales parfois violentes. Les représentations officielles au Rwanda considèrent cependant, que s’il y’en eu dans le temps, ces rivalités seraient d’une nature autre qu’ethnique. La publication du Sénat sur «  l’idéologie du génocide et stratégie de son éradication » atteste que dans l’imaginaire des Rwandais, la société rwandaise n’a pas toujours été un espace où les groupes vivaient en parfaite cohésion.

51Entre la reconnaissance et l’ignorance de ces différences, il y a toujours un risque de voir ressurgir « le démon de l’ethnisme.» C’est pourquoi, le choix de l’un ou l’autre devrait être le fruit d’une réflexion longuement mûrie, résultant moins d’une imposition, que d’une concertation populaire ou d’un débat plus ouvert sur tous ces enjeux.

52Nous ne voulons pas céder à la tentation d’accorder les mêmes chances à la reconnaissance et à l’ignorance de ces ethnies. Les deux options ne sont forcément opposées, car entre nier et dépasser, il y’a un écart sémantique. Faut-il dépasser les ethnies en construisant une société supra ethnique ou faut-il les déconstruire en niant leur existence ? Ce débat nous paraît fortuit. Nous préférons, au contraire réfléchir sur le processus qui favoriserait l’émergence d’une « identité citoyenne » à celui qui s’en éloignerait. Il va de soi que les moyens d’y arriver ne doivent pas ignorer dans leurs stratégies, tout processus démocratique pour s’assurer de la légitimité populaire aussi minimale soit-elle. La thèse d’Anastase Shyaka, à ce sujet est très significative :

53« Les particularités « identitaristes » Hutu, Tutsi, Twa ne peuvent pas créer une référence fondatrice de l’identité citoyenne au Rwanda. Elles la fragilisent même. L’identité rwandaise, (la rwandité) par contre, est une structure favorable à l’inhibition des facteurs intensifiant les conflits et de neutralisation de l’idéologie génocidaire : en favorisant la construction de la confiance et en uniformisant les perceptions identificatoires collectives des Rwandais, elle pousse ces derniers dans un pacte ontologique par ce qu’elle ressuscite en eux, la nation organique. Ce pacte ontologique fait que la conscience de la ressemblance et de la convergence prime sur celle de la différence et de la divergence27».

54Choix du passé ou usage du passé ? En dénonçant les méfaits des régimes passés, les représentations officielles rappellent également les exploits incarnés par le régime en place depuis 1994. Cette pratique politique sert non seulement à légitimer le pouvoir, mais aussi à présenter son image positive tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Légitimation du pouvoir et culte de l’image

55C’est au nom du devoir de mémoire, qui relève du fait moralisateur, que la politique choisit de se souvenir de ceci et pas de cela. Visiblement, dans les commémorations du génocide des Tutsi au Rwanda, le Président Kagame exclut la possibilité de ne pas commémorer. « Il est indispensable que les Rwandais se souviennent de leur histoire bien que celle-ci ne soit pas forcément bonne »28. Gérard Namer parle de la « confiscation sociopolitique du besoin de commémorer »29 et Paul Ricœur parle plutôt « du devoir de mémoire »30.

56Si l’histoire n’est pas mise au service d’objectifs actuels, la politique s’y réfère tout au moins  pour se légitimer et justifier ses options. L’homme politique a justement pour but d’agir sur l’esprit de ses concitoyens, sans être forcé de mentir ni d’oblitérer, ni de survaloriser ni de falsifier l’histoire. Il peut choisir de leur rappeler ceci plutôt que cela en vue d’un idéal porté au devant de la scène publique celui de l’unité et la réconciliation nationale. Ce que les mémoires individuelles et collectives ne recherchent pas forcément. Le rôle du commémorateur diffère de celui de l’historien qui, lui, en revanche, « a pour but de s’approcher dans la mesure de ses moyens  de la vérité » 31  

Processus de légitimation du pouvoir

57Dans les représentations officielles du passé, la période de 1959 à 1994 est qualifiée  indistinctement de « darkest period », littéralement « la période la plus noire » de l’histoire du Rwanda.

58Le 6 Avril 2001, lors de la 7ème commémoration du génocide à Rukumberi, à l’Est du pays, ex-Kibungo, le chef d’état rwandais, Paul Kagame, qualifie d’actes de génocide, tous les massacres commis contre les Tutsi et qui les ont contraints à l’exil. Il rappelle les massacres du Bugesera, en  1962. Cette date rappelle la très controversée indépendance du Rwanda : Est-elle vraiment une indépendance ? La majorité des Rwandais interviewés rejoignent l’interprétation officielle selon laquelle il n’y a eu que l’indépendance des Hutu. Par ce que les Tutsi ont été tués et forcés à l’exil. Pour prouver cela, une enquêtée déclare ce qui suit au sujet de l’ « indépendance » de 1962: 

59« L’indépendance n’a jamais eu lieu, par ce que l’indépendance n’a profité qu’à certains. Makuza disait aux Tutsi, « honga », sois courtois, « hondwa », sois battu, « hunga », prends la fuite. La ‘libération’ de 1994 aussi a eu lieu, par ce que les Tutsi de l’extérieur devraient rentrer au pays, sauf qu’il y’avait des Hutu qui ne partageaient pas la même vision. Donc, c’est bien les Tutsi qui sont revenus au pays en chantant la victoire. On ne peut pas alors l’attribuer aux Hutu »32.

60Un autre enquêté de dire :

61 « Oui, il y’a eu l’indépendance par ce que nous ne sommes plus sous le joug des blancs, (pour dire colonisateurs) ; la libération aussi a eu lieu pour certains évidement. Si je dois être franc, il n’ya pas eu de Hutu qui ait été libéré, plutôt ce sont les Tutsi qui se sont libérés après le génocide de 1994, par ce qu’on disait qu’ils étaient discriminés ; et c’est vrai, ils ont toujours été tués par ci par là dans le pays depuis 1959 »33.

62Le 7 mars 2003, à San Francisco, au Club du Commonwealth, les injustices et les massacres dont les Tutsi ont fait l’objet sont des génocides « at slow motion », affirme le Président Kagame.  La publication la plus récente de Diogène BIDERI, sur les massacres de Bagogwe en constituent justement un argument de force34.

63 En 2005, lors de sa visite du 14 Avril à Sacramento, le président a répété la même qualification de « période noire de notre histoire.»

64« Le génocide n’est pas un incident de parcours, il a commencé depuis 1959 par des tueries massives des Tutsi ». L’idée  est reprise au treizième anniversaire du génocide, commémoré au site mémorial de Murambi, au sud du pays. Les formes de représentations officielles de la période d’avant 1994 sont loin d’être partagées par tous. Une rescapée du génocide, étudiante à l’université, exprime une reconnaissance à la deuxième République en rappelant « les années prospèrent de 1980 à 1990 » en mettant un bémol sur le caractère discriminatoire qui a caractérisé indistinctement les deux premières républiques. Cette opinion rejoint le témoignage d’un coopérant belge, et d’une autre rescapé du génocide, qui gardent des « bons » souvenirs des années 80 du régime de Habyarimana. A un autre d’excuser le régime Kayibanda en disant que si celui-ci « n’a pas pu faire mieux, c’est parce qu’il était le premier dirigeant rwandais sans expérience. Plutôt Habyarimana nous a apporté le développement en luttant contre les maisons en pailles, sauf qu’à la fin il se confronté à un projet de génocide, affirme notre enquêté »35.

65  Comment trancher ? Faut-t-il éviter la généralisation dans la lecture des événements caractérisant les deux premières républiques pour répondre aux aspirations des nostalgiques des régimes passés ? Peu importe, il faut cependant souligner que si elles ont été bons à quelque chose, c’est par les discriminations qui les ont caractérisés et le génocide qui a clôture leur bilan, déjà meurtrier contre une partie de la population.

Le dilemme de l’identité du commémorateur et le culte de l’image en politique

66La légitimation du pouvoir, ne se dissocie pas du culte de son image positive, portée au devant de la scène publique. Le passé est revisité, en vue de retrouver ses réalisations antérieures. La personnalité politique s’érige en héro et amène tout le peuple rwandais à en être fier et de s’approprier les bienfaits de la libération et de ceux qui ont manifesté l’héroïsme dans le passé pour l’amour de la patrie et, sans quoi, l’avenir national serait en péril36. Cette image présentée n’est pas forcément fausse, elle  est plutôt porteuse d’un germe à semer pour faire revivre  la société en péril dont on a la charge et redonner sens à la vie après la mort et à l’héroïsme après l’échec.

67Deux figures du leader apparaissent simultanément dans les discours politiques: d’une part, le leader s’identifie à la victime et, d’autre part, il prend la posture du bourreau, aussi inattendu que cela paraisse.

68Lors de sa visite à une école ougandaise, « Ntare school », le 28 Octobre 2000, le Président Kagame garde en mémoire son parcours comme écolier réfugié en Ouganda. Il ne manque pas, d’ailleurs, de citer, dans son discours de circonstance, les noms des instituteurs et des bienfaiteurs qui ont payé ses frais scolaires.

69Pour lui, le statut de réfugié rwandais, l’a enfermé dans une situation de dépendance, et l’a porté à se révolter. Le 18 avril 2005, devant les étudiants et académiciens du National War College à Washington, le président rappelle qu’il est lui-même de cette génération des années 1962, rescapé des événements de 1959. Dès lors, affirme-t-il, « j’ai passé la plus grande partie de ma vie en militant de la justice et des droits de l’homme au Rwanda, et dans la région, je n’ai jamais failli à cette mission noble.»

70La stratégie politicienne qui consiste à s’identifier à la victime n’est pas justement une simple construction mentale. Le Président Paul Kagame est l’un de ces « Tutsi » chassés du pays, depuis 1959. C’est donc un leader qui traduit le sentiment de souffrance et de compassion à ceux qu’il appelle ses frères, ses sœurs, et ses parents, qui ont péri dans le génocide. Brauman, Smith et Vidal ne ratent  pas l’occasion de s’acharner contre cette réalité et la fustigent, en la qualifiant d’une façon « d’instrumentaliser le génocide » :

71 « Fort de ce pouvoir d’intimidation que lui confère le statut de représentant des victimes d’un génocide, le régime de Kigali réduit au silence ses différents interlocuteurs en disqualifiant par avance toute critique »37.

72Cette opinion ne renvoient-elle pas à l’idée d’instrumentalisation du génocide ? Faut-il expliquer la fameuse et prétendue absence d’espace public, par le statut de représentant des victimes ? Faudrait-il que l’acteur politique garde  silence pour libérer la parole aux  soi-disant interlocuteurs ? Ne serait-il pas la reproduction de l’adage populaire de déshabiller Paul pour habiller Pierre ?  Y’a-til lieu de nuancer ces opinions en considérant la posture du bourreau que l’acteur politique a incarné à maintes reprises.

73En effet, à l’occasion du dixième anniversaire du génocide, au stade Amahoro, le Président Rwandais prend la posture du bourreau, quand il parle du génocide en tant que « péché que nous avons commis, nous comme Rwandais »38.

74En ce sens, le leader politique prend sa distance pour tenter de prendre la posture, à la fois, de la victime et d’incarner la culpabilité des bourreaux. Cette attitude peut-elle être prometteuse ? Elle est en tout cas l’expression d’une neutralité permettant au leader de présider à l’intérêt commun.

75Comment dépasser soi-même les injustices subies pour pouvoir gérer objectivement la chose publique ? Les passions et les sentiments de l’orateur n’interfèrent-ils pas dans la formulation des représentations officielles ? Comment le leader politique cesserait-il d’être « Tutsi »  ou perçu comme tel pour se mettre au service d’une société aux multiples blessures et aux sensibilités différentes ?  

76Pour le leader politique, la « lutte armée déclenchée le 1èr octobre 1990 » incarne sa détermination à « libérer le pays, pris en otage par un gouvernement sanguinaire qui tue ses propres citoyens. Il a été donc nécessaire que nous menions cette guerre contre les mauvaises gouvernances chroniques c’est donc un acte de bravoure de patriotisme et d’héroïsme ».39

77Quand le Président de la République condamne le « divisionnisme » qui a caractérisé les trente dernières années, il affirme que « ce n’est pas un prétexte, c’est une histoire vraie et que nous essayons de corriger en établissant les responsabilités individuelles »40.  

78En 2002, lors de la commémoration du 7 avril, le Président rwandais affirme que « seuls les Rwandais détiennent le monopole de leur destinée ». D’ailleurs, pour le Président Kagame, « ignorer le mérite du FPR, d’avoir arrêté le génocide, dans la passivité de la communauté internationale, c’est une manière de minimiser le génocide. »41

79En effet,  le fait d’avoir « arrêté le génocide » semble justifier sa détermination à appliquer les principes démocratiques, d’unité et de reconstruction nationale qui étaient, d’ores et déjà, prévus dans les accords de Paix d’Arusha signés en 1993. La pratique n’est pas nouvelle. La commémoration du génocide au Rwanda est une occasion de justifier ou de légitimer les politiques publiques envisagées. Le thème de commémoration est souvent relié aux agendas politiques et une invitation à prendre part à telle ou à telle autre activité politique prévue, comme les élections, participation aux juridictions gacaca, lutte contre la pauvreté, renforcement de la décentralisation, lutte contre l’idéologie du génocide, assistance aux rescapés du génocide. Au 15ème anniversaire du génocide, le thème rentre sur la lutte contre le négationnisme et la construction du pays42.

80Le discours du Président au 4 juillet 2002, à Ruhango, fait un recours au passé, pour marquer la différence entre les régimes passés, jugés non démocratiques et valoriser le processus « démocratique » prévu en 2003, dont le référendum,  les élections législatives et présidentielles.

81En 2005, le Président se montre plus que déterminé à prendre en main la destinée du pays. Il semble avoir opéré un revirement ; il va  « de la mort à la vie, du désespoir à l’espoir », du fait d’avoir porté son pays « aux élections de 2003, à l’unité et à la réconciliation nationale».43

82Pendant la commémoration du génocide de chaque année, les discours officiels insistent sur la « dignité perdue des Rwandais », dignité qu’il faut impérativement restaurer44. Cette forme de « mémoire restauratrice » consiste à redonner de la valeur à la vie, en restituant la dignité aux Rwandais. Que ce discours soit alors une simple propagande, ou un engagement ferme, ne peut être indifférent aux diverses sensibilités, qui se conçoivent comme exclues et discriminées au sein de toute la communauté rwandaise. Cette détermination devrait-elle aller de pair avec la rupture de certains silences, qui sont presque convenus et de s’engager dans une mémoire qui soit véritablement « restauratrice.»

Leçons du passé et mobilisation des sensibilités dans les discours officiels

83Une idée forte exprimée par le Président rwandais, à Nyamasheke, lors de la douzième commémoration du génocide, mérite d’être reprise ici, dans sa version originale pour pouvoir saisir le processus de mobilisation, assez difficile, du pardon, de la repentance et de l’oubli dans le travail de mémoire :

84“we have bent backwards to ask victims of genocide and those traumatised by it to forgive and have asked the perpetrators to try and change ; and we know that short of miracles we have done our best. Many survivors are still not able to discuss their experiences. How could they? It takes more than a generation for this kind of pains to disappear, if it ever disappears at all.”

85La mémoire officielle au Rwanda est  « mobilisatrice ». D’une part, elle incite les rescapés à pardonner et les criminels à changer. Ceci confirme les propos de Esther Mujawayo, propos, selon lesquels « une victime ne se pose jamais la question du pardon, sauf lorsqu’une autorité l’y contraint (…) ou lorsqu’un journaliste l’y soumet »45. Contrainte ou sensibilisation ? Nous savons par ailleurs qu’en 2001 une forte campagne fut organisée dans les prisons pour sensibiliser les détenus à demander pardon au lendemain du décret présidentiel qui définit les conditions de libération provisoire, (vieillards, malades et mineurs) et de réduction de la peine, ( chez ceux qui font l’aveu de culpabilité)46.

86Au septième anniversaire du génocide, le président émet cependant une réserve dans ce processus.

87« Il n’est facile de pardonner. Le fait de pardonner ne signifie pas non plus oublier. Nous devons pardonner et en même temps garder en mémoire toutes les atrocités commises contre notre peuple. Il faut avoir le courage de demander pardon et le courage de pardonner. Parfois ce courage paraît impossible, mais nous devons y arriver pour que notre nation procure un environnement favorable dans lequel notre peuple peut vivre »47.

88Le sens du « courage » sera formellement repris en 2005. Le président Kagame n’hésite pas à considérer les rescapés comme des « héros », à qui on demande de se réconcilier, après avoir témoigné publiquement de la souffrance indescriptible dont ils ont fait objet48. La campagne de mobilisation des aveux de culpabilité entamée dans les prisons rwandaises et dans les séances de juridictions Gacaca montre cette volonté de relier la mémoire à la connaissance de « la vérité » sur ce qui s’est passé. L’invitation à dire la vérité est même cautionnée par la réduction des peines. La pratique dissimule, des objectifs plus politiques que judiciaires.

89Paradoxalement, la sensibilisation menée dans les prisons, invitant les coupables génocidaires, à dire la vérité ne suscite pas l’enthousiasme de certains rescapés. Pourtant les discours officiels affichent l’intérêt de ces derniers à « connaître la vérité » sur les traces de leurs victimes pour lesquelles le travail de deuil est loin d’être achevé. Le travail d’inhumation continue son cours. A qui sert cette vérité enfin ? La mémoire est incontestablement liée à la vérité sur le génocide. Mais, quand cette « vérité » tant recherchée est au service de la politique ou taillée sur mesure, pour bénéficier de la réduction des peines, elle ne sert plus à rien, ou du moins elle ne répond pas à l’idéal d’une « mémoire nationale ». Que ce genre d’arrangement permette la cohabitation aujourd’hui, elle n’est cependant pas moins une sorte de fabrique politique et judiciaire.

90Cependant, vu que les langues ne se délient pas aussi aisément qu’on le souhaite, le Rwanda compte largement sur les témoignages fournis pendant les séances des juridictions Gacaca, pour connaître « la vérité » du drame et pouvoir constituer une banque de données sur le génocide. Cette forme de juridiction traditionnelle aurait finalement servi à constituer une mémoire sur lé génocide49.

91Les discours officiels rappellent, constamment le « plus jamais ça » et invitent les Rwandais à tirer les leçons de l’histoire. Leur crédibilité découlera moins de la simple répétition de cet idéal que d’une prise en compte des enjeux de la justice  et de la mémoire. Valérie Rosoux affirme ce qui suit :

92«  La reconstruction du pays des mille collines  ne passera ni par une justice partiale, ni par une instrumentalisation de la mémoire. Le développement d’espaces publics consacrés à la discussion et à la négociation entre les diverses composantes du pays paraît l’un des défis les plus cruciaux de celui-ci »50.

93Deux préoccupations sont évidentes dans le rapport de la mémoire à la justice dans le contexte rwandais.

94Premièrement, devant les juridictions « gacaca », il ya ceux qui veulent maximiser les chances de voir leurs peines réduites aux travaux d’intérêt général (TIG). A défaut du mieux et par manque de moyens, l’Etat veut désengorger les prisons et réduire ses dépenses publiques affectées aux prisons rwandaises.

95Dans son discours du 18 octobre 2006, prononcé à Johannesburg, sur le thème : Lessons from Rwanda’s post-conflict socio-economic and political reconstruction, Paul Kagame rétorque à ceux qui critiquent Gacaca de « fournir une autre alternative ». Fallait-il, semble-t-il, à tout pris répondre aux impératifs internes et à certains critères imposés de l’extérieur pour forcément se donner les chances de voir la justice triompher de ses contraintes. L’abolition de la peine capitale dans les lois rwandaises, permettra-t-elle de transférer les dossiers des détenus du TPIR aux juridictions nationales ? Les victimes peuvent ainsi espérer voir la justice rendre ses verdicts.

96Deuxièmement, la place de « la victime hutu pendant la guerre et le génocide» dans le travail de mémoire est évoquée en date du 13 avril de chaque année lors de la clôture de la semaine de deuil national. Cependant, certaines opinions restent très réservées par rapport à cette pratique. Alphonse Bazigira dénonce la pratique, dans  l’article qu’il écrit en 2002, en parlant sèchement de la « ségrégation des morts ». 51 Ces propos rejoignent spectaculairement les opinions recueillies lors de nos entretiens : « les Tutsi ont l’occasion d’enterrer leurs morts, alors que les victimes hutu sont réduites au silence. La mort des Hutu pendant le génocide, ou pendant la guerre, hante encore les mémoires des leurs »52.

97Or, depuis 2003, certains discours et pratiques officiels reviennent sur le thème de la victime Hutu. La preuve en est qu’en 2004, la mémoire des Hutu « justes », tués pendant le génocide, est honorée. Les Hutu, victimes de la guerre, sont également reconnus notamment dans le discours présidentiel du 18 juin 2002 qui s’y rapporte explicitement. Le président renvoie les auteurs de ces crimes aux juridictions ordinaires pour éviter tout amalgame.

98En effet, le passage de la dénomination de « génocide et massacres »53 ou « génocide des Tutsi et massacre des Hutu modérés » passant par « génocide des Tutsi » à la dénomination en vigueur actuellement de « génocide commis contre les Tutsi » marque une discontinuité dans la manière dont l’officiel tente de qualifier le génocide par la victime. Les statistiques issues de l’enquête du Sénat sont  éloquentes. Quand on demande aux Rwandais de préciser les victimes du génocide, 62.9% de la population rwandaise affirment que ce sont les Tutsi et les Hutu de l’opposition, alors que 31.9%, pensent que ce génocide a été commis contre les Tutsi tout court54. Dans un entretient avec un professeur à l’Université Nationale du Rwanda, voici ce qu’il nous confie : 

99« Dans la qualification du génocide, il y’a dedans un extrémisme. Ceux qui revendiquent cette dénomination du génocide commis contre les Tutsi, ce sont ceux qui veulent profiter des biens de ce régime : les opportunistes. Cette façon de nommer le génocide n’avantage pas le petit Tutsi. Cela entraîne un repli identitaire du Hutu. Ce dernier se dit que nous tous nous avons perdu les nôtres, alors pourquoi ignorer les Hutu qui sont morts ? Pour moi je peux souhaiter qu’il soit appelé génocide tout court. Comme ça tout le monde s’y retrouve. S’agit-il d’un négationnisme ? Oui, en ville ça peut être compris comme ça ; mais au village, le pauvre tutsi a besoin de bien vivre avec son voisin, donc on peut satisfaire aux deux ethnies pour favoriser la cohabitation pacifique »55.

100La politique de la mémoire dans la plupart de contextes, risque d’adopter trois attitudes envers le passé soit délibérément, soit inconsciemment : la survalorisation, l’oblitération, et/ou travail de mémoire. Qu’en est-il de la mémoire nationale au Rwanda ?

La mémoire officielle entre « survalorisation, oblitération et travail de mémoire » ?

101Avant de procéder à l’analyse des limites des représentations officielles au Rwanda, empruntons le schéma de Paul Ricœur, pour aborder l’analyse sur la portée de la mémoire officielle. Paul Ricœur distingue, en effet, trois catégories de malfaçons ou abus de la mémoire. « La mémoire empêchée, la mémoire manipulée et la mémoire obligée. » D’abord, les silences sur les crimes empêchent une partie de la population de faire leur travail de deuil, étape indispensable pour passer au stade de la remémoration. Ensuite, la mémoire peut être manipulée par les idéologies et les commémorations et, enfin, la mémoire officielle peut obliger ou choisir de se souvenir de ceci et non de cela pour l’idéal sociopolitique de l’unité et la réconciliation nationale56.

102En effet, si les protagonistes ne peuvent pas opter pour le silence absolu ou pour l’oubli  institutionnalisé, ils peuvent cependant choisir soit de minimiser certains aspects de l’histoire, soit d’accentuer certains autres ou, enfin, d’amorcer un travail de mémoire,  qui tenterait de prendre en compte les divergences d’opinions et de tenter de les rendre plus cohérents et acceptables par la majorité des composantes sociales rwandaises57.

103Quand le Président rwandais évoque les souvenirs de son enfance et les injustices subies en général depuis 1959, il ne cesse de s’y appuyer pour accentuer sa capacité à reprendre en main la destinée de son pays. Nous l’avons dit précédemment, le fait d’insister sur « la période noire » de l’histoire nationale entraîne immédiatement une « logique de distanciation.» Les discours officiels, au Rwanda opposent à cette « période noire », « un passé glorieux ». Le Président est présenté lui-même comme le leader et le garant du changement. Le discours présidentiel du 7 avril 2006, à Nyamasheke, montre, en revanche, que le Président ne s’approprie pas, seul, le mérite de garantir le futur. Le changement ou le projet de « libération » intègre la participation de tous les Rwandais.

104Le processus de « survalorisation » de certains faits et « l’oblitération » de certains autres apparaît dans le caractère discriminatoire des régimes passés et des cycles de violences qui ont endeuillé le Rwanda. Les représentations officielles préfèrent passer sous silence ou parler le moins dans les discours officiels des éventuels crimes d’avant 1959, imputables au régime monarchique, dit, « Tutsi »58, pour insister sur « la période noire » de 1959. Les propos de ce répondant sont révélateurs d’une autre vision de la pratique de l’ « ubuhake » dans le Rwanda monarchique : « je comprends par l’  « ubuhake », esclavagisme, exploitation contre les Hutu », la version kinyarwanda est plus significative : « ubuhake nunva ari uburetwa, cyangwa ikandamizwa, ryakorewe abahutu, ntakindi mbizi ho » Par rapport aux deux premières républiques et les massacres continus qui ont été commis contre les Tutsi de l’intérieur, les avis divergent sur leur qualification :

105Mais faudrait-il parler de « génocides continus » depuis 1959 ? L’affirmation a fait basculer plusieurs interprétations. Dans les représentations officielles du passé, « Ce sont des actes de génocide : (genocide at a small motion). C’est un aboutissement d’un long processus et non une folie populaire ou une lutte tribale ancestrale, comme le prétendent certains  anthropologues et sociologues occidentaux. L’attitude a été adoptée par certaines écoles de pensée en Afrique. Le génocide de 1994 est un acte délibéré, calculé, prémédité, et sanguinaire. Il est le résultat d’une mauvaise idéologie qui a prêché la mort et l’extermination d’une partie de la société rwandaise»59.

106Nul aujourd’hui ne saurait nier le caractère systématique de ce génocide. Il est indéniable, par ailleurs, que les massacres de 1963, de 1973, de 1990, de 1992, etc., ont emporté des vies humaines au Rwanda. Cependant, les controverses apparaissent lorsqu’il y a tentative de les qualifier. Pour certains Rwandais, ces massacres sont justifiés par le lourd tribut que les Tutsi devaient payer pour leur complicité aux intrusions menées par leurs frères « inyenzi », (pour dire cafards),  qui n’ont cessé de déstabiliser le pays, depuis 1959. Ils poursuivent le raisonnement en affirmant ce qui suit : « Les massacres périodiques dont les discours officiels font état, en exagérant parfois, le nombre de victimes, ne sont imputables à personne, car de part et d’autre, les Hutu et les Tutsi se sont toujours entretués. On ne peut pas parler du génocide » 60.

107Ces propos insinuent la thèse des  conflits interethniques récurrents au Rwanda et la responsabilité de tous à tous égards. Par contre, les représentations officielles relient les massacres d’avant 1994 au génocide de 1994 dans un continuum d’événements. Dans l’interview du frontline magazine du 30 janvier 2004, le Président Kagame rapporte que « l’intention, la philosophie et l’idéologie qui sous-tendent les massacres des Tutsi avant 1994 permettent de les décrire comme un génocide. Car le génocide n’est pas ce qu’il est par le nombre des victimes qu’il emporte, plutôt par la preuve de l’intention d’exterminer »61.  Malgré cela le débat sur le nombre de victimes est encore relancé par Bernard Lugan et accuse « le régime de Kigali » d’exagérer le nombre des Tutsi tués dont l’extermination remonterait aux années 195962, comme si le génocide se définissait simplement par le nombre de victimes.

108Le travail de l’historien permettrait de déterminer le caractère criminel de ces événements datant de 1959 en distinguant ce qui commence dans la nuit du 6 avril 1994 et les massacres précédents. Y’a-t-il une différence au niveau du caractère systématique et exterminatoire ? Cette approche permet ensuite de nuancer, sachant évidement que les logiques qui sous-tendent ces événements ne sont pas forcément distinctes.  

109Evoquer la nuit du six avril 1994 marquant la mise en marche effective de la machine génocidaire c’est aussi évoquer la mort des opposants Hutu tués pour leurs convictions. Rappelons qu’un monument en mémoire de ces victimes, opposants Hutu,  est érigé à Rebero, dans la ville de Kigali. Leur mémoire est officiellement célébrée chaque 13 avril, date de clôture officielle de la semaine de deuil national au Rwanda. Ne s’agit-il pas là d’un signe éclatant de reconnaissance unificatrice d’un travail de mémoire à la Rwandaise? Ils sont tués pour leur opposition au régime de Juvénal Habyarimana, pour leur complicité avec le FPR ou alors pour avoir fait obstacle au plan génocidaire. Les ressentiments des Hutu dont la mémoire des leurs, morts pendant la guerre et le génocide reste vive, hantent encore les esprits63. C’est en 2004, que le Président reconnaît publiquement la bravoure et le courage des Hutu, « justes », morts pendant le génocide. L’élévation des élèves « hutu » de Nyange, au rang des héros, est effective à cette occasion. Ne voulant pas se séparer de leurs collègues Tutsi, ils ont préféré la mort à la vie, au nom de l’unité des Rwandais. Tous ces facteurs, peut-être ne suffisent pas aux yeux de certains « Hutu », mais ils constituent une avancée très significative de la volonté officielle de mener un travail de mémoire qui permettrait de transformer définitivement les ressentiments de la « victime hutue ». Ne faudrait-il pas capitaliser et vulgariser de telles orientations ?

110Enfin, le travail de mémoire procèderait par l’intégration des différentes interprétations et par la recherche d’un sens plus ou moins acceptable par tous. Ce qui ne signifie ni une simple juxtaposition « des vérités» relatives, ni une imposition de la « Vérité », mais bien plus ; une prise en compte des divergences dans la tolérance, en vue d’un projet national commun. L’enseignement de l’histoire dans les écoles et l’éducation civique, ou l’éducation en général, peuvent contribuer à ce travail, pourvu que le manuel d’enseignement ne soit pas lui-même au service d’une « idéologie partisane.» Depuis 1998, l’enseignement de l’histoire dans les écoles est suspendu. Les travaux de réécriture d’une « nouvelle » et « vraie » histoire du Rwanda sont en cours d’exécution. Cependant, il sied de se rassurer de la légitimité de ceux qui doivent produire ce manuel d’histoire et de se prédisposer aux réactions éventuelles que cela pourrait susciter dans la société rwandaise et dans le monde scientifique en général. Faudrait-il éviter que la nouvelle version ne soit qualifiée « d’histoire du vainqueur ».

Les limites de la mémoire officielle au Rwanda

Vérité absolue ou vérité relative : Choix et usage du passé.

111Maurice Halbwachs affirme qu’ « il n’y a pas de mémoire possible en dehors des cadres dont les hommes vivant en société se servent pour fixer et retrouver leurs souvenirs »64.

112Selon les résultats de la recherche du Sénat, 90.3% de la population rwandaise, reconnaissent bien que les Rwandais n’ont pas la même mémoire du génocide. Reprenons ici quelques avis qui corroborent sur cette réalité : « Il est difficile que tous les rwandais se souviennent de la même façon, par ce que la pneumonie qui fait mal à l’autre ne t’empêche pas de dormir. Nous ne ressentons pas tous la même souffrance ». « Il y’a encore des blessures saignantes de la guerre. Le Tutsi de l’intérieur lors du génocide ne peut pas partager le même souvenir avec un autre Tutsi qui est venu du Congo par exemple. Le Hutu quant à lui, il se souvient des siens qui sont morts au Congo (pendant la guerre de 1996 à 2000). Celui-ci se souvient également du fait qu’il ne se sent pas intégré dans le nouveau régime. Seulement il faut qu’on arrête de penser ainsi. Les gens vont progressivement comprendre peut être. Mais comme les activités de commémoration seront désormais au niveau de la cellule locale, c’est très important »65.

113Un autre n’hésite pas de relier la mémoire et la justice : « Nous devons participer au deuil national par ce que tous nous avons perdus les nôtres. Et bien donc, chacun peut se souvenir tel qu’il l’entend. Ce n’est pas important d’aller dans les salles de conférence. Pour que nous ayons tous un même souvenir, il faut que d’abord que la justice soit faite à ce dont le droit est bafoué ou les innocents et que l’on juge les coupables »66.

114Par contre, celui-ci justifie la résistance à participer à la commémoration par la persistance de « l’idéologie du génocide »67 : « moi, je trouve que s’il y’a encore ceux qui ne digèrent pas encore la mémoire du génocide, c’est aussi par ce qu’il ya ceux qui entretiennent encore l’idéologie du génocide68 »

115Paradoxalement ces propos rejoignent les 18.3% de la population enquêtée qui pensent que la mémoire nationale du génocide devrait intégrer les victimes des « conséquences du génocide »69. (Il faut entendre ici les victimes de la guerre de 1990 déclenchée par le FPR, la guerre menée au Congo par le Rwanda contre les bases militaires des milices « interahamwe » et ex-FAR installés dans les camps des réfugiés au Congo, la guerre dite « des infiltrés » de 1996-1999 au nord du Rwanda). Cette opinion rejoint les propos de certains Rwandais de l’opposition, vivant en exil, qui affirment la nécessité d’intégrer les victimes hutu dans la politique de la mémoire.70 Plus d’un répondant à nos enquêtes rejoint cet avis quand il parle de la mémoire et de la victime à commémorer : « Le fait qu’il y’ait eu des Hutu morts pendant le génocide alors que ce sont principalement les Tutsi qui étaient visés, l’Etat devait aider tous ceux qui ont perdu les leurs dans le camp des hutu de faire leur deuil aussi pour qu’ils se sentent intégrés dans le nouveau régime. Donc, actuellement on devrait avoir la mémoire des victimes de toute part, c’est dire des Hutu et des Tutsi »71.

116Les membres de la fameuse « opposition » opérant à l’extérieur du Rwanda, prétendent jeter des nouvelles bases d’une réconciliation nationale. Pour eux, la réconciliation est conditionnée par un débat ouvert sur tous les souvenirs et sur la vie nationale:

117« La véritable réconciliation au Rwanda ne sera possible que si chacun exorcise ses peurs et ses angoisses et si chacun accepte que la société soit gérée suivant les règles définies de commun accord sans que personne ne se prévale du droit d’imposer aux autres ses convictions ou ses choix. »72

118Ils remontent encore plus loin, dans l’histoire et mettent à jour certains silences que les autorités politiques actuelles entretiennent délibérément :  

119« L’UFDR doit amener les Rwandais à se dire la vérité notamment sur la révolution sociale inachevée de 1959, sur l’assassinat du président Habyarimana le 6 avril 1994 et sur les horreurs qui s’en sont suivies(sic), sur la guerre déclenchée par le FPR en octobre 1990, le multipartisme raté de 1991, mais aussi sur le coup d’Etat de 1981 et de 1973 »73.

120En quoi consiste le véritable travail de mémoire ? Consiste-t-il à reproduire le passé tel qu’il est ? Si non quel critère permettrait-il de faire le choix du passé en vue d’un idéal politique ?

121Tout compte fait, sans prétendre fournir des réponses toutes faites à cette interrogation, cependant, soulignons que le travail de mémoire, est conçu dans le sens dynamique et non pas figé. Et si la mémoire n’est pas au service d’un idéal, tout débat sur le passé est porté à nourrir des polémiques interminables. Todorov Tzvetan confirme nos propos quand il écrit:

122« La mémoire peut être rendue stérile par sa forme : parce que le passé, sacralisé, ne nous rappelle rien d’autre que lui, parce que le même passé, banalisé, nous fait penser à tout et à n’importe quoi. Le bon usage de la mémoire est celui qui sert une juste cause, non celui qui se contente de reproduire le passé »74.

123Le débat soulevé dans nos propos précédents sur le rapport de la mémoire et de l’histoire, nous permet de remettre en question et d’examiner les motivations qui sont à la base de telles revendications. La mémoire n’est pas l’histoire ; et elle n’a pas non plus le souci de la reproduire. La mémoire plutôt, est au service d’un idéal. Elle fait le choix des souvenirs et elle peut également choisir de taire certains de ces derniers. Ces propos de l’un de nos enquêtés reviennent sur cet idéal : « Même si certains ne comprennent pas encore de la même façon par ce qu’ils ont encore en eux « l’idéologie du génocide » ou par ce qu’ils pensent que eux ils n’ont  perdu personne de leur famille, ou encore que les leurs sont morts au Congo, nous devrions faire sourd d’oreilles et privilégier ce qui est utile pour la nation et sensibiliser tout le monde à participer aux conférences débats et dans des clubs d’unité et de réconciliation »75.

124D’autres avis reviennent sur la nécessité de commémorer le génocide malgré les divergences sur l’objet de commémoration :

125« La commémoration doit se faire malgré tout pour se souvenir des nôtres qui sont morts même si tous nous ne nous en souvenons pas de la même façon pour différentes raisons. Par un exemple un Hutu commémore la mort des siens qui sont morts, de même le Tutsi se souvient des siens également. Alors, nous ne pouvons pas avoir la même mémoire par ce que nous commémorons différentes choses. Ce n’est même pas nécessaire de supplier ou d’insister, ceux qui ne veulent pas le faire, il faut les laisser. Seulement, on doit remercier et commémorer les Hutu qui ont caché et sauvé les Tutsi pendant le génocide. Par contre il n’ya aucune raison de se souvenir de ces autres Hutu qui sont morts pendant la guerre au Congo, par ce qu’ils sont morts sur le chemin de l’exile après avoir commis des crimes76 ». 

126Bref la mémoire veut éviter les erreurs du passé pour que « plus jamais » elles ne se reproduisent, affirme l’un de nos enquêtés : « la période de commémoration est le moment de  choisir le bien et le distinguer du mal. Pendant cette période, je fais la réminiscence des crimes et je me dis que ce mal absolu ne doit plus se commettre 77». Quelle est la place de la communauté internationale ? Quel lien entre mémoire et politique étrangère78 ?

Représentations officielles et politique étrangère

127« La défaillance de la communauté internationale » est devenue un thème central au cours des cérémonies commémoratives du génocide au Rwanda. Les trois dernières années se sont révélées déterminantes à cet effet.  Depuis 1995 et surtout depuis le dixième anniversaire du génocide, les responsabilités de la communauté internationales doivent être établies, du moins selon les autorités rwandaises. Dans son discours du 6 septembre 2000, à l’Assemblée Générale des Nations Unies, le président Kagame fait une sorte d’évaluation des actions de l’ONU à l’étranger. Par rapport à son pays, le Président Paul Kagame affirme ce qui suit: « the 1994 genocide in Rwanda must go down as one of the darkest hours in the over 50 years history of the United Nations ».

128Le 4 avril 2004, à la conférence internationale sur le génocide, qui s’est tenue à l’hôtel Intercontinental à Kigali, et le 7 avril 2004, à l’occasion de la dixième commémoration du génocide ont été des moments choisis pour dénoncer la faiblesse institutionnelle de la communauté internationale et le rôle de chaque pays, dont la France, la Belgique, les Etats Unis et la Grande Bretagne. Le 7 avril 2007 à Murambi, le Président montre, encore une fois, les fosses communes sur lesquelles les militaires de l’opération Turquoise avaient construit un terrain de volley-ball. Le choix de ce lieu aurait probablement tenu compte de la rupture diplomatique de novembre 2006 entre Paris et Kigali79. A cette occasion, trois accusations sont formulées, de façon spécifique, contre la France : « La France a financé, entraîné et assisté les tueurs pendant le génocide ». La référence aux erreurs de la communauté internationale, permet, non seulement, au gouvernement rwandais de justifier sa capacité de prendre en charge sa destinée,  mais aussi d’exiger, à toutes les grandes puissances, de reconnaître « l’héroïsme » et le « charisme » des autorités en place.

129Le ton particulièrement passionné du Président  Kagame, le 7 avril 2007, fait justement suite aux accusations antérieurement formulées en juin 2006 par un juge français, Jean-Louis Bruguière, contre le président Paul Kagame lui-même et son entourage. L’arrestation de la présidente du protocole d’Etat, Rose Kabuye à Paris constitue un argument de force à ce sujet.

130Le treizième anniversaire du génocide permet au Président d’exprimer ses regrets de n’avoir pas sauvé des vies dans la « zone humanitaire de sécurité. Il regrette d’avoir manqué l’occasion de donner une leçon aux forces de la Turquoise. »80 Propos qui entrainèrent des polémiques dans le monde de la diaspora rwandaise vivant en Belgique, en France et au Canada81.  

131Est-il possible que le Président Kagame justifie, devant les Rwandais et la communauté internationale, la guerre menée par le FPR, sans forcément rappeler les erreurs de la communauté internationale ? Si le génocide est un crime contre l’humanité et qu’il a même été commis au vu et au su de la Communauté Internationale, le travail de mémoire au Rwanda aura besoin de l’appui et le soutien de la communauté internationale dans tout son ensemble et de chaque pays en particulier. Les premières manifestations de ce soutient fut la mise en place du tribunal pénal international pour le Rwanda établi à Arusha. Cependant une plus grande coopération judiciaire des états reste à désirer en matière d’extradition et de jugement des présumés génocidaires vivant en dehors du Rwanda.

132Dans cette perspective, le Rwanda ne cesse de s’adresser principalement à certains pays comme la Belgique, la France et dans une moindre mesure les Etats Unis et la grande Bretagne en leur exigeant de s’incliner et de demander pardon pour participation, (France), ou pour leur indifférence. Le discours du 7 avril 2004, est systématique à cet égard. Il rappelle le rôle des puissances mondiales dans le conflit rwandais, en général, et dans le génocide de 1994, en particulier. Ces types de discours sont accueillis différemment par ces Etats occidentaux.

133Du côté belge, et même de l’ONU, l’aveu de culpabilité est acquis82. L’acte de reconnaissance a permis, depuis quelques années, de relancer une coopération qui semblait avoir gelé au lendemain du génocide. C’est un pas non négligeable dans le ‘’travail de mémoire’’, car, en effet, la coopération belgo-rwandaise a été relancée. Le soutien de la Coopération Technique Belge aux juridictions populaires Gacaca et la conservation des témoignages sur le génocide sont des signes éclatants de cette réussite. L’image du Rwanda sur la scène internationale se consolide depuis 1994 et bénéficie actuellement d’une importante aide au développement qui lui permet de se reconstruire et de se développer83.

134Par contre, du côté de la France, un effet pervers s’est produit en novembre 2006. La rupture des relations diplomatiques entre Kigali et Paris à la fin de l’année 2006, n’est pas due au seul « effet Jean-Louis Bruguière »84. Les représentations officielles portant accusations contre la France en constituent un facteur déterminant85. La culpabilité de la France tant sollicitée par les autorités rwandaises a accentué plutôt la méfiance de la France86. Sur la scène internationale, le discours officiel insiste sur la responsabilité de la communauté internationale et influence peu à peu le positionnement de celle-ci vis à vis du gouvernement rwandais. Les écrits de certains auteurs comme Gérard Prunier l’affirment: 

135« Les prisons bondées du Rwanda sont à la fois une blessure morale et le rappel irritant d’une horreur non résolue. Elles permettent au gouvernement actuel de jouer les saints avec l’avantage moral que cela suppose et de tirer un profit politique maximal de la situation. La moindre critique sur l’échec de la justice ou sur le monopole politique est facilement balayée du haut de cette supériorité morale en face de l’impuissance internationale. Pris sous cet angle, le régime en place au Rwanda a retourné l’indifférence de l’Occident pendant le génocide en un capital politique qui peut lui servir sur la scène internationale »87.

136Les implications internationales de cette forme de représentation officielle ne sont pas toujours prévisibles. Les publications de Pierre Péan88, Bernard Lugan et Abdoul Ruzibiza89, jettent non seulement de l’ombre sur l’innocence du pouvoir de Kigali dans le génocide. Bernard Lugan, dans sa dernière publication parue en 2007, parle de « l’arrogance » avec laquelle Kigali accuse Paris, contre les éléments du Front Patriotique Rwandais90. La brutalité dans les accusations contre les puissances mondiales et la méfiance affichée envers « l’occident », peuvent brouiller les relations diplomatiques. L’exemple de la France est emblématique. L’un de nos interviewés l’exprime en ces mots: « Le président devrait avoir des limites dans ses propos quand il s’adresse à la communauté Internationale. Il devrait retenir sa colère pour permettre de renforcer le pas vers une coopération avec les pays occidentaux. Et s’il doit utiliser ce ton, ça ne doit pas alors varier selon les moments. Je ne connais pas le contenu de son discours pour cette année, mais je peux deviner que dans celui de cette année, il n’y aura pas de colère dedans. A la limite il va parler du cas de Rosa Kabuye. Le danger c’est de changer de ton chaque fois. Aujourd’hui je me demande pourquoi l’Union Européenne a choisi de donner plus de trois million d’euros au Rwanda, juste à la veille de la commémoration du génocide ??? ».

137Les autorités officielles rwandaises, se trouvent donc devant un dilemme. Faut-il taire le rôle joué par la France dans son soutien au gouvernement génocidaire jusqu’à son écroulement au Congo ? Faut-il garder silence sur l’inaction et l’indifférence quasi totale de la communauté internationale dans le génocide de 1994? Sûrement pas, car la mémoire implique un effort soutenu de déterminer les responsabilités en présence. Mais le rappel constant des incohérences de la communauté internationale, permet-il vraiment à valoriser  l’image du Rwanda sur la scène internationale ?

138Toutes ces questions restent posées et ont besoin d’être abordées dans une perspective multidisciplinaire.

Conclusion générale

139Le corpus de discours officiels sur lesquels nous nous sommes basés, nous a permis de relever le sens et les contresens de la mémoire officielle en vigueur. Cette mémoire officielle se construit, depuis 1994, au cours des commémorations, du génocide, de la libération nationale ou à d’autres moments forts de la vie du pays.

140Les avis divergent sur la cohérence et la consistance interne de ces commémorations. Il serait cependant superflu de ne pas reconnaître l’écart significatif entre les représentations sociales du passé et celles qui sont exprimées par les autorités rwandaises. Les témoignages de nos enquêtés auront suffi pour s’en rendre compte. Les représentations sociales ne rejoignent pas, non plus, ce que l’on peut qualifier de « vérité scientifique ». Comment sortir de cette impasse pour construire une mémoire nationale au Rwanda ?

141Pour conclure, retenons quatre pistes de réflexion dans cet effort de travail de gestion de la mémoire au Rwanda. Nous revenons en effet, sur les éléments de notre modèle théorique présenté au début et basé sur l’hypothèse selon laquelle, « les représentations officielles du passé national, au Rwanda, ne constituent pas véritablement une mémoire nationale ».  

142Premièrement, la volonté de l’Etat rwandais d’indiquer, avec détermination, ce qu’il nomme « la vérité historique » et la façon dont certains événements sont commémorés, nous amènent à constater que les représentations sociales, au Rwanda, sont loin de s’y conformer. La mémoire officielle, elle-même, a besoin de plus de cohérence au niveau de la continuité des thèmes évoqués, au niveau du sens et du poids que l’on accorde à certains événements historiques. Ces discours officiels sur le passé subissent évidement des fluctuations politiques que ce soit de l’intérieur ou de l’extérieur du pays.

143Il est donc incontestable que la mémoire nationale, réconciliée avec elle-même, passera moins par l’imposition d’une seule forme de lecture que par un effort d’écoute et de prise en compte de toutes les divergences pour exorciser les maux du passé et pour donner sens aux événements. Il appartient aux décideurs politiques d’en déterminer le cadre et les protagonistes.

144Deuxièmement, notre hypothèse de départ mettait en relation deux variables fondamentales : la mémoire au service de l’idéal de l’unité et de la réconciliation. Notre inquiétude de départ peut être ramenée à cette interrogation. Ces mémoires conflictuelles contribuent-elles au rapprochement social entre groupes en présence ou contribuent-elles à creuser et à radicaliser le fossé induit par cette histoire manipulée, instrumentalisée et falsifiée ? Le travail de mémoire dont les postulats et les préalables sont ici posés, devrait procéder par un effort soutenu et cohérent d’homogénéisation des représentations sociales.

145En effet, nous avons suffisamment étayé le contenu de la mémoire officielle et montré que les représentations sociales s’opposent les unes aux autres. Elles puisent leur source dans l’expérience de chaque individu, de chaque groupe ou des structures formelles et informelles existantes. Le travail d’éducation et de sensibilisation aux valeurs citoyennes déjà entrepris à travers les « ingando » devrait se renforcer et s’étendre de façon continue et systématique à toutes les catégories sociales. Dans ce sens, une méthode plus réflexive et participative serait prometteuse.

146Troisièmement, l’effort de synthèse nécessaire pour tenter de reconstituer des récits qui tendent vers la « vérité historique » pour élaborer les manuels scolaires. Tout rapport au passé se réfère aux travaux des « scientifiques » qui eux-mêmes restent incohérents voire contradictoires, alors que les représentations sociales du passé et les discours politiques ne cessent de s’y abreuver. Les controverses qui demeurent dans les récits historiques sur le Rwanda fragilisent la prétendue « vérité historique » tant convoitée.

147Enfin, le soutien et la collaboration de la « communauté internationale » est indispensable. Cet acteur se place en dehors du triangle qui concerne la réalité nationale, mais son apport n’est pas d’une moindre valeur dans la mise en œuvre du travail de mémoire dans le contexte du Rwanda. En effet, le génocide commis contre les Tutsi en 1994, revêt une caractéristique particulière. Ce génocide a été commis dans l’inaction quasi totale de la communauté internationale. Les discours officiels ont suffisamment défini les erreurs et les responsabilités de la plupart des puissances mondiales.

148D’une part, ce point de vu se fonde sur le fait que, si le génocide est un crime contre l’humanité, c’est la même humanité toute entière qui a le « devoir de mémoire » de ce génocide. D’autre part cette sollicitation de la communauté internationale se justifie par le fait que l’interdépendance étatique s’impose aujourd’hui sur la scène internationale dans la gestion des conflits et la reconstruction des états après les conflits et le génocide.

149En considérant la complexité du cas étudié, ces perspectives peuvent paraître naïves pour nos lecteurs. Nous ne prétendons pas en avoir épuisé les contours. C’est pourquoi nous invitons les futurs chercheurs à analyser dans une perspective multidisciplinaire chacun de ces quatre paramètres évoqués en dernier lieu, ils constituent eux-mêmes des vastes champs de recherche à explorer…

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Loi n° 18/2008 du 23 juillet 2008 portant répression du crime d’idéologie du génocide, promulguée en Octobre 2008.

Notes

1  Nous disposons d’une banque des données d’interviews et de questionnaires de plus de 180 enquêtés au total.

2  Valérie Rosoux, « Pièges et ressources de la mémoire dans les relations internationales », Revue internationale et stratégique, 2002/2 (n° 46), p. 43-50., DOI 10.3917/ris.046.0043, p 44.

3 Le concept de « mémoire nationale » est ici utilisé au sens de « mémoire collective » de Maurice Halbwachs, c'est-à-dire, l’ensemble des souvenirs communs à un peuple.  Nous préférons donc reprendre ce concept tel que utilisé dans la politique sectorielle de la mémoire en vigueur au Rwanda depuis 2008.

4  HALBWACHS M., La mémoire collective, PUF, Paris, 1968, p.67.

5  HALBWACHS M., Op. Cit., Paris, PUF, 1968,  p. 60.

6  JODELET D., Les représentations Sociales, PUF, Paris, 1989, p.36

7  Ibid. p.37.

8  Ibid., p. 31-32.

9  Figure: La mémoire nationale. Source : Réalisée par nous-mêmes

10  NKUSI L., « L’énoncé des sujets controversés dans l’histoire du Rwanda », in, BYANAFASHYE D., Les défis de l'historiographie rwandaise, T1  sous la  dir de D.BYANAFASHE, Ed de l'UNR, 2004, pp.55-84.

11  ROSOUX V., « Rwanda, la mémoire du génocide », dans,  Etudes, n°61,2005, p.46.

12 BAZIGIRA, A,  « Le génocide rwandais : Plus qu’un fond de commerce, il est un rite de commémoration ambiguë, humiliante et révoltante », en ligne sur htttp://akagera-rhein.de/meinung/Le_genocide_rwandais.html, 2 juillet 2007.

13  Discours présidentiel du  7 mars 2003 à la conférence tenue au Commonwealth club San  Francisco sur la reconstruction du Rwanda après le génocide,  et du 14 Avril 2005 à l’Université de Pacific de Stockton.

14  Entretiens du 13 au 14 mars 2009.

15  Propos recueillis auprès d’un enquêté, en date du 14 mars, 2009.

16  La version kinyarwanda est plus parlante : « Ubwo se si nkubona nkamenya icyo uricyo, cyangwa wowe waje kumbaza utambona icyo ndicyo. Twabibwiwe n’imiryango dukomokamo, kandi biragaragarira buri wese. Tureke kubeshana lero».

17  SHYAKA, A., (2003), Op.cit, pp56-57.

18  Père PAGES, Un Royaume Hamite au centre de l’Afrique, n°8, Institut Royal colonial Belge, Bruxelles, 1933.

19  « Uburetwa » abusivement traduit par « corvée » signifiait pour NKURIKIYIMURA E., (Gros Bétail, 1991), des travaux collectifs dus par les membres d’un lignage au profit d’un chef.

20  VANSINA J., Le Rwanda Ancien. Le Royaume Nyiginya, Karthala, Paris, 2001,p.175

21  SHYAKA A., « Les conflits internationaux en Afrique des Grands Lacs et esquisses de leur résolution », in Etudes Rwandaises, n°6 du CCGC, UNR, Butare, décembre 2002, pp.99-100.

22  En kinyarwanda, il dit : « hali ababigoreka bakavuga ko ari abazungu babizanye ». 

23  Littéralement « les défavorisés de l’histoire », pour dire les Twa. Termes utilisés dans les discours officiels pour contourner le mot identifiant la catégorie de ceux qui ont toujours été appelés « Twa ».

24  Entretien mené en date du 13 mars 2009.

25  En version kinyarwanda, il est dit: « Kurebesha ijisho birahagije kuri njye kugira ngo mbashe kumenya nimba uli umututsi cyangwa, umuhutu cyangwa umutwa ».

26  « umututsi ahabwa uburere bwo kwiyubaha, kutagaragaza inda nini kuko babikuraga ibwami, abahutu bo ntibabonye ubwo burere »

27  SHYAKA A.(2007), op.cit., p.191

28  Discours présidentiel du 7 avril 2006, à Nyamasheke, Cyangugu.

29  NAMER G., « La confiscation sociopolitique du besoin de commémorer », in COQ C., et BACOT J.P., Op.cit., p.175.

30  RICOEUR P., La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris Ed. Seuil, 2000.

31  TODOROV, T.,  Mémoire du  mal. Tentative du bien, Enquête sur le siècle, Robert Laffont, Paris, 2000,

32 « Ubwigenge bwo ntabwo bwabayego, kuko bwari ubwa bamwe. Makuza yavugaga aya magambo abwira abatutsi : honga, hondwa, hunga. Kwibohora nako kwabayeho muli 1994, kuko abatutsi barihanze, bagombaga gutaha, gusa hali ibibazo, abahutu ntibayiyunvamo. Kuli njye abavuye hanze ni bo baje babyina intsinzi, ubwo lero ntawayitirira nabahutu».

33 «  ubwigenge bwo bwabayeho kuko abazungu ntabwo bakituyobora, no kwibohora nabyo nunva kwarabaye kuli bamwe. Nvugishike ukuli,, nta muhutu wibohoye, ahubwo hibohoye abatutsi nyuma ya genoside ya 1994, kuko bavuga ko bibohoye ingoma yabagandamizaga. Kandi ni byo koko, bagiye bicwa hirya no hino mugihugu cyose kuva muli 1959 ». Résultats de l’entretien du 14 mars 2009.

34  BIDERI D.,  Le Massacre des Bagogwe,  un prélude au génocide des Tutsi. Rwanda, (1990-1993), Paris, L’Harmattan,  2009

35  Voici ce qui est exactement dit en langue originale : « Repubulika ya Kayibanda n’ubwo ntacyo yakoze gikomeye, ni uko byari bigoye burya gutangira iteka ryose biragora. Gusa, Habyarimana we yatugejeje ku majyambere. Abanyarwanda bava muri nyakatsi, yubatse imihanda, amashuli, n’ibindi, aliko yaje guhura n’ikibazo cya jenoside ya 1994 »

36  Lire le discours du président de la République, Paul Kagame, du 1er Février 2009, « Héros Day » au Stade Amahoro de Kigali.

37  BRAUMAN R., et alii., op.cit., p.9.

38  Discours présidentiel du 7 avril 2004 à la dixième commémoration du génocide, au stade Amahoro de Kigali.

39  Discours présidentiel du 4 juillet 2004, journée de libération au stade Amahoro de Kigali.

40  Discours présidentiel du 7 avril 2006 à Nyamasheke à l’occasion de la douzième commémoration du génocide.

41  Discours présidentiel du 18 juin 2002 à l’occasion de l’inauguration officielle des juridictions Gacaca à l’assemblée nationale.

42  Le thème commémoratif de l’année 2009 est libellé comme suit: « commémorons le génocide commis contre les Tutsi en luttant contre le négationnisme et en construisant notre pays ».

43  WILLAME J.C., (2005).Op.cit. p.1

44  Thème repris dans le discours du 7 Avril 2011au dix-septième anniversaire du génocide: “Commemorating the 1994 Genocide against the Tutsi; Upholding the Truth, Preserving our Dignity”. «  Commémorons le génocide perpétré contre les Tutsi dans la vérité et la dignité ».    

45  MUJAWAYO E., et BELHADDAD S., La fleur de Stéphanie. Entre réconciliation et déni, Flammarion, Paris,  2006, p.230.

46  Décret présidentiel du, 2001,  portant libération provisoire des détenus, enfants mineurs, vieillards et ceux qui ont fait leur aveux de culpabilité.

47  Discours du 7 avril 2001, commémoration du génocide à Rukumberi, (KIBUNGO).

48  Discours du 7 avril 2005 au onzième anniversaire du génocide à Murambi.

49  La très riche documentation des juridictions Gacaca, viennent d’être remises à la Commission Nationale de Lutte contre le Génocide qui a en charge la préservation de la mémoire du génocide. Rappelons que les premières activités des juridictions Gacaca ont été lancées officiellement au mois de juin 2002. Lire le discours du président Paul Kagame au parlement en date du 18 juin 2002.

50  ROSOUX V.,  « La Paix au Rwanda : invraisemblable pari », dans la Revue de Prévention et de Règlement des Différends, Volume 2, n°2, 2004, p.33.

51  BAHEMBERA E., « Les massacres des Hutu sont-ils des crimes contre l’humanité ? », en ligne sur http://rdrwanda.org, 2 juillet 2009.

52  Entretien du 25 mai 2009.

53  Discours du 4 juillet 2000, journée de libération, reprend les vocables « itsembabwoko n’itsembatsemba », qui signifient « génocide et massacre ».

54  Sénat de République, op.cit.

55  Entretien du 25 mai 2009

56  Lire RICOEUR P., op.cit, p.253.

57 Lire ROSOUX V., « De l’ambivalence de la mémoire au lendemain d’un conflit », dans  YPERSELE, L. Van, (dir.), Question d’histoire contemporaine. Conflits, mémoires et identités, PUF,  Paris, 2006, p.215.  

58  Sachant bien que ce n’est pas tous les tutsi qui sont dans le leadership monarchique.

59  Discours du 7 avril 2006 : 12ème commémoration du génocide à Nyamasheke, Cyangugu.

60  Propos recueillis auprès d’un Rwandais, réfugié vivant en Belgique, et étudiant à la faculté de droit de l’UCL, juin 2007.

61  Interview du président Kagame accordée au Front line Magazine,

62  LUGAN B., Rwanda. Contre-enquête sur le génocide, Privat, Toulouse, 2007, p.15.

63  « Le collectif du six avril », dont les membres résident en Belgique est au service de cette cause. Une mémoire parallèle à celle du gouvernement rwandais est célébrée le 6 Avril de chaque année.

64  HALBWACHS M., Les cadres sociaux de la mémoire, Albin Michel, Paris, 1994, p. 33.

65 « Kwibuka kimwe biragoye, umusonga w’undi ntukubuza gusinzira. Ntabwo twese dufite akababaro kamwe. Har’acyari ibikomere by’intambara. Umututsi war’uri mu Rwanda, ntabwo y’ibuka kimwe n’uwavuye hanze, umuhutu we y’ibuka uwe waguye Congo, akibuka ko iyi leta atayiyunvamo. Gusa ko tutabireka, abantu bazagenda babyunva buhorobuhoro wenda. Ubwo bigiye ku rwego rwa’Akagari, nabyo bifite akamaro ».

66  « icyunamo tugomba kukijyamo, kuko ntawe utarapfushije.Ubwo lero buri wese yakwibuka uko yunva. Si nangomwa kujya mu ma salle…, Kugira ngo twese twunve kimwe, nibarenganure abarengana, hanyuma bahane abakosheje ».

67  Ces mots très chargés et équivoques sont utilisés dans le sens de l’officiel au Rwanda. « Le concept d’idéologie du génocide est présent dans le langage courant et il traverse le texte de la constitution de 2003, il n’est pas facile d’en donner une définition systématique. En partant des éléments que lui associent le préambule et les articles 9 et 179 de ladite constitution, on peut définir l’idéologie du génocide comme un ensemble d’idées ou de représentations dont le rôle majeur consiste à attiser la haine et à créer un climat pervers dans lequel se déroulent et se légitiment la persécution et l’élimination d’une catégorie de population. Quand nous l’utilisons dans ce texte, nous en restons au sens de la loi n° 18/2008 du 23 juillet 2008 portant répression du crime d’idéologie du génocide, promulguée en Octobre 2008, dans ses articles 2 et 3, l’idéologie du génocide signifie un agrégat d’idées qui se manifestent par des comportements, des propos, des écrits et tous les autres actes visant ou incitant les autres à exterminer des groupes humains en raison de leur ethnie, origine, nationalité, région, couleur, apparence physique, sexe, langue, religion ou opinion politique, en temps normal ou en temps de guerre. Cette loi est actuellement en révision après plusieurs réserves émises par le législateur rwandais mais aussi et surtout après les critiques sévères de Amnesty International publiées dans son rapport « Rwanda : Safer to stay silent », The chilling effect of Rwanda’s Laws on genocide ideology and sectarianisme, publié en 2010.

68  « mbona hali abatabyunva neza, (kwibuka),  bitewe n’uko hari abagifite ingengabitekerezo ya génocide ».

69  Sénat de République, op.cit., 2006.

70  BAHEMBERA E., « Les massacres des Hutus sont-ils des crimes contre l’humanité ? », propos recueillis au Forum Rwandais,  n°3 du Bulletin du RDR, en ligne sur http//www.rdrwanda.com , consulté le 2 juillet 2007.

71  « Kuba hali abahutu bapfuye, n’ubwo ari abatutsi baribagambiriwe, leta yagombye gufasha ababuze ababo babahutu kwibukwa kugira ngo nabo biyunve muli iyi leta. Donc, ubwo hagombye kubaho kwibuka ku mpande zombi, abahutu n’abatutsi ». 

72  NDEREYEHE C., Op.cit. p.4.

73  Ibid., p.4.Lire également les thèmes centraux relevés par RUDAKEMWA, F., dans son ouvrage, A la recherche de la vérité historique pour une réconciliation nationale, Harmattan, Paris, 2007.

74  TODOROV T., Op.cit. p.188.

75  Notre interview avec les membres de l’Association des Etudiants Rescapés du Génocide de l’UNR: reprenons ici la version Kinyarwanda: « N’ubwo hari abata byunva neza bitewe n’uko bagifite ingengabitekerezo ya génocide, cyangwa bunva ko nta wabo wapfuye, cyangwa ko ababo baguye Congo ; ibyo byose twakagombye kubyirengagiza tukareba icyagirira igihugu akamaro, tukabakangurira kujya mu biganiro no mu ma club y’ubumwe n’ubwiyunge».

76  « Icyunamo kigomba kubaho, tukibuka abacu bapfuye, nubwo twese tutabyitabira kimwe bitewe n’impanvu zitandukanye. Nk’umuhutu y’ibuka abe babahutu bapfuye, umututsi nawe akibuka abe bityo nta n’ubwo dushora kwibuka kimwe kuko ibyo twibuka si bimwe. Sina ngombwa kwinginga abatabishaka babireke. Gusa, abo bahutu bazize guhishira abatutsi, bo bashimwa bakan’ibukwa, aliko abaguye Congo bo nta mpanvu yo kubibuka, kuko yahungaga ibibi yakoze ».

77  Version Kinyarwanda: « icyunamo  n’igihe cyo kwibuka icyiza, tugitandukanya n’ikibi. Mu cyunamo mpita nsubira mumarorerwa yabaye muri 1994, ngahita n’unva ko aribibi, bitagombye gusubira kubaho».

78  Question développée par Valérie ROSOUX, Les usages de la mémoire dans les relations internationales. Le recours au passé dans la politique étrangère de la France à l’égard de l’Allemagne et de l’Algérie, De 1962 à nos jours, Bruxelles, Bruylant, 2001.

79  Murambi était encore choisi en 2005,  deux ans plus tôt, pour accueillir le onzième anniversaire du génocide. Ce qui nous paraît inhabituel, qu’un lieu soit choisi deux années consécutives, à part le stade Amahoro de Kigali qui en accueille le plus souvent pour son emplacement politique et stratégique.

80  Lire à ce sujet, LANOTTE O., L’Opération Turquoise au Rwanda, intervention humanitaire ou un nouvel avatar de la politique africaine de la France ?, Coll. « Notes et Etudes de l’Unité des Relations Internationales », UCL,  n°8, 1996, p. 48.

81  Négationnisme sur internet : consultez entre autres sites : http://www.rwasta.net/no_cache/search/rwanda/Commemoration%20genocide%20rwandais/index.html, Décembre, 2008

82  En 2000, à l’occasion du sixième anniversaire du génocide, Guy Verhofstadt, premier ministre Belge avait reconnu publiquement la responsabilité de la Belgique et Louis Michel, à sa suite en 2004,  a présenté ses excuses au peuple rwandais au nom de la Belgique. Voir l’article de ROSOUX  V., « La nouvelle politique de Belgique et la diplomatie éthique : forces et faiblesses d’une image », in Esprit, n°208, décembre 2001, p.198.

83  Voir ROSOUX V.,  « La mémoire de la colonisation. Fer de lance ou  talon d’Achille de politique étrangère belge »,  dans JAUMAIN S., et REMACLE E., (dir.),  Mémoire de Guerre et construction de la Paix,

84  Le Juge français Jean-Louis Bruguière avait lancé un mandat d’arrêt international contre le Président rwandais Paul Kagame et des généraux de son entourage. Ils sont accusés d’être les commanditaires de l’attentat contre l’avion présidentiel dans lequel périssent Habyarimana et le président Burundais Ntaryamira. Ceci a entraîné la rupture diplomatique entre Kigali et Paris. Précisons également qu’au moment où nous publions ce texte la France et le Rwanda viennent d’ouvrir leurs ambassades respectives  et déjà les première visite du président français à Kigali est un signe éclatant de ce réchauffement des relations diplomatique entre les deux pays. Cependant les questions judicaires et politiques restent posées.

85  LANOTTE O., La France au Rwanda (1990-1994). Entre abstention impossible et engagement ambivalent, PIE, Peter Lang, Bruxelles, 2007.

86  A ce stade, la nomination d’Alain Juppé à la tête de la diplomatie française semble marquer du recul dans les relations diplomatiques Franco-Rwandaise déjà réchauffées depuis la dernière visite de Nicolas Sarkozy à Kigali. Le Président Kagame semble réservé par rapport à sa visite promis à Nicolas Sarkozy, de même la visite d’Alain Juppé à Kigali reste mitigée.

87 PRUNIER G.,  cité par ENCEL F., Op.cit., p.128.

88 PEAN P.,  Noires fureurs. Blancs menteurs et Rwanda, Mille et une nuit, Paris, 2005.

89  RUZIBIZA A.J., Rwanda, l’histoire secrète, Du Panama, Paris, 2005.

90  LUGAN B., Rwanda. Contre-enquête sur le génocide, Privat, Toulouse, 2007, p.16.

Para citar este artículo

Eric Nsanzubuhoro Ndushabandi, «La gestion politique de la mémoire du génocide au Rwanda: Mémoire officielle face aux représentations sociales», Cahiers de Science politique [En ligne], Cahier n°21, URL : https://popups.uliege.be/1784-6390/index.php?id=568.