Constitution d’académies : quels enjeux pour les universités ?
« Les impératifs économiques seront la référence absolue et « si les universités ne s’adaptent pas, on se passera d’elles. » (Hague 1991)». [Le secrétaire général de l’association des universités de Commonwealth, Michael Gibbons, 1998.]
1Trop d’universités en Belgique ? Après de nombreux débats récurrents sur le sujet, le francophone Décret Bologne du 31 mars 20041 a provoqué un rassemblement des neuf institutions universitaires, appelées à collaborer davantage pour former trois académies. L’académie « Wallonie Bruxelles » regroupant l’Université Libre de Bruxelles (ULB), la Faculté Polytechnique de Mons (FPMs) et l’Université de Mons-Hainaut (UMH), l’académie « Wallonie Europe » regroupant l’Université de Liège (ULg), la Faculté d’agronomie de Gembloux (FUSAGx) et enfin celle de « Louvain » reprenant l’Université Catholique de Louvain (UCL), les Facultés Universitaires Catholiques de Mons (FUCaM), les Facultés de Notre Dame de la Paix (FNDP) et les Facultés Universitaires de Saint Louis (FUSL). L’exposé des motifs se voulait relativement clair : « faire évoluer notre enseignement supérieur vers une plus grande cohérence globale […] »2. Il s'agissait aussi pour les universités et les responsables politiques de réagir aux pressions européennes. En effet, la Déclaration de Bologne3 a enclenché en 1998 un processus de coopération interministériel entre plusieurs pays européens pour favoriser la mise en place d'un espace européen de l'enseignement supérieur où il s'agit de créer les conditions d’une compétition entre les établissements de pointe et leurs centres de recherche pour attirer les meilleurs chercheurs, étudiants ou enseignants. Les responsables politiques demandent d'améliorer la lisibilité du paysage de l'enseignement supérieur européen pour en renforcer le potentiel d'attractivité et ainsi contribuer à concrétiser l'objectif de l'Europe de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique au monde »4.
2Comment les responsables politiques et les universités belges francophones ont-ils réagi face aux changements enclenchés malgré eux au niveau européen ? Le processus de Bologne est-il compatible avec les objectifs traditionnellement attribués aux universités subsidiées en Belgique francophone : formation universitaire de masse et soutien aux minorités ? Des mutations ont été mises en œuvre selon des rythmes propres, par les différentes autorités du pays : en Communauté française, l’organisation de l’enseignement supérieur est davantage conçue comme un service public plutôt qu’un service au marché5. Au Nord du pays, les universités sont davantage soumises aux conditions du marché et de l’évaluation. Les décrets flamands présentent l’enseignement comme un outil pour construire une société prospère et efficace et son pilotage est centré sur le contrôle des résultats6. Notre analyse s’intéressera d’une part au processus de négociations menant à la constitution au sein de la Communauté française des « académies », ces « institutions universitaires issues de l’association d’universités »7 et à la manière dont elles ont évolué par la suite. Pour ce faire, nous veillerons à ne pas perdre de vue ce que certains appellent la double tourmente des universités francophones : d’une part, celle que connaissent les universités européennes « marchandisées » et pensées de plus en plus comme des « entreprises insérées dans une « économie du savoir » mondialisée »8 et d’autre part, « celle qui touche singulièrement les universités de la Communauté française avec sa configuration et ses compromis politico institutionnels spécifiques »9.
3Cet article est organisé en deux parties. Il présente une description de la relation entre les responsables universitaires et les autorités politiques à travers le prisme de la relation d'agence ainsi qu'un détail des approches méthodologiques mobilisées. La seconde partie prend appui sur les résultats d’une enquête de terrain qui voulait comprendre comment les académies se sont finalement imposées malgré le risque de remise en question des us et coutumes de l’enseignement supérieur en Communauté française. Il conviendra de définir le concept d’« académie », distinct de celui de « pôle », de comprendre les mécanismes de fonctionnement de l’enseignement supérieur universitaire en Communauté française en cernant les intérêts, les enjeux des acteurs en présence pour établir enfin où le paysage de l’enseignement supérieur en Communauté française est le plus susceptible d’évoluer.
Cadre théorique et méthodes
Le cadre référentiel de l’analyse : la théorie Principal/Agent
4Le modèle de la relation « Principal/Agent » est régulièrement mobilisé pour analyser les caractéristiques des protocoles de délégation entre d'une part un responsable politique et d'autre part une administration ou une agence responsable d'un secteur d'intervention. La relation d'agence est un contrat qui organise par la délégation une relation hiérarchique d'échange entre d'une part un délégataire investi d'une autorité et d'autre part le délégué auquel l'exercice de cette même autorité est transféré10. Le transfert de ressources et d'autorité est organisé dans un objectif d'efficacité, le principal ne disposant pas des compétences lui permettant d'organiser directement l'activité. Le modèle « Principal/Agent » s'inscrit dans la logique du « choix rationnel » : les deux acteurs s'engagent dans une perspective utilitariste, chacun essayant de maximiser ses ressources plutôt que d'atteindre l'intérêt général. Le principal dépend des compétences spécifiques de l'agent et ce dernier a tout intérêt à accroître la dépendance du mandant à son égard.
Les questions portées par ce modèle
5Cette théorie emprunte ses fondements à la théorie néo-classique de la firme tout en soulignant l'existence d'asymétries d'informations : la première difficulté du principal est d'évaluer la qualité de la prestation de l'agent, puisqu'il dépend de celui-ci en matière d'information. Les objectifs du principal et de l'agent sont différents: l'agent accepte d'adhérer aux objectifs du principal tout en conservant des objectifs professionnels propres et en inscrivant sa démarche de contractualisation dans une logique de gestion conforme à sa structure institutionnelle11. Dans une relation au sein de laquelle chacun cherche la maximisation de son utilité propre, il est probable que l'agent entreprenne des actions contraires aux intérêts du principal. Ce dernier aurait donc intérêt à investir dans un système de suivi, d'information ou de surveillance, afin de contrôler les activités de l'agent. La théorie de l'agence permet de comprendre pourquoi le principal propose des aménagements pour encadrer la relation asymétrique et tenter de réduire les conflits d'intérêt, généralement en diminuant les asymétries d'informations, à travers des processus de monitoring, d'incitants financiers ou une certaine limitation des pouvoirs discrétionnaires des agents12. Le Principal essaie de compenser son déficit d'information en investissant des moyens plus ou moins importants dans des processus d'information faisant appel à des experts extérieurs. Il s'agit de compléter des activités d'auto-évaluation de l'agent par un regard extérieur13.
6Cette asymétrie d'information entre les partenaires a des effets d'autant plus importants que le principal est en situation d'incertitude quant aux procédures à suivre14. C'est pour pallier ces faiblesses que le principal peut instaurer des instruments de contrôle ex ante ou ex post: les premières sont définies sous forme de règles et procédures avec plus ou moins de précision dans le contrat de délégation tandis que les dernières peuvent s'inscrire dans une logique de mesure et d'évaluation des performances, généralement avec le recours à un tiers institutionnel capable de mettre en perspective les données produites par l'agent.
7Au-delà de systèmes d'information, le principal peut instaurer des processus de compétition entre les agents, avec une dynamique de compétition contrôlée par les agents eux-mêmes en fonction des objectifs du principal et non pas en fonction de leurs objectifs propres. Il s'agit là d'un processus assez différent des pratiques répandues dans le milieu universitaire, telles que les évaluations par les pairs ou peer review dans les activités de recherche15. Pour assurer un tel cadre, le principal doit pouvoir préciser ses objectifs et mettre en œuvre des moyens d'évaluation des performances qui peuvent affecter l'allocation des ressources.
L'application du modèle au cas du subventionnement des universités
8Ce modèle s'applique particulièrement en Belgique francophone à la relation associant le Ministre de l'Enseignement supérieur et les Recteurs des universités. Les universités belges ont depuis très longtemps joui d'un statut particulier, d’une liberté subsidiée et inconditionnelle16, dans une logique de « l’autonomie subsidiée » au sein de laquelle le suivi des activités universitaires est limité. Suite à la dynamique de fédéralisation politique de la Belgique, les responsabilités en matière d'enseignement universitaire (et d'une partie de la politique scientifique) ont été communautarisées et ces transformations ont renforcé l’autonomie universitaire, au point que certains préfèrent parler d’isolement. En effet, l'Administration de la Communauté française intervient de façon marginale dans ce secteur17. Pourtant, en tant qu’acteur de politique publique, l’administration serait sensée jouer un rôle spécifique pour assurer l’orientation des conduites (et l’application de règles) garantissant une certaine continuité et une intégration suffisante des pluralités sociales, ceci pour éviter l’émergence des tensions destructrices qui se nourrissent de leurs inévitables contradictions. La légitimité des interventions de l'administration repose à la fois sur une expertise du secteur, sur sa continuité temporelle qui dépasse celle des politiques et sur l’idéologie de l’intérêt général ou de la neutralité face aux intérêts particuliers internes ou externes. Pour que la relation Principal/Agent fonctionne, il est en effet important que le principal fasse confiance à l'agent et établisse des relations de travail à long terme, ce que la continuité administrative permet d'assurer et ce que l'alternance politique peine à construire. En ce qui concerne la politique de l'enseignement universitaire en Communauté française, au vu de l'absence de l'administration, les universités se trouvent directement en prise avec les responsables politiques : tantôt en tant que collectif universitaire à travers le « CRef » (association des Recteurs), tantôt en ordre dispersé, chaque Recteur intervenant pour sa propre institution.
9Les analyses récentes montrent que la politique universitaire s'inscrit encore aujourd'hui dans une logique de démocratie « consociative »18, qui tend à déléguer un maximum d'autonomie aux opérateurs et limite le pouvoir de contrôle de l'Etat19. Ce système rend difficile la mise en place de système d’évaluation et de gestion de qualité puisque « chaque pilier est postulé équivalent à chacun des autres, toute disposition qui tendrait à le prouver ou à l'infirmer romprait le consensus et introduirait un élément d'évaluation objective là où l'accord s'est établi sur des critères strictement politiques »20. Dans un tel cadre, organiser le pilotage des universités sur base de critères techniques et objectifs semble difficile21: les modifications sont lentes et mesurées, liées à la négociation de compromis entre les secteurs (ou piliers) qui assurent les services et les autorités qui leur fournissent les ressources, à travers des structures de concertation dont l’équilibre est précisément mesuré.
10Les transformations des dernières années ont contribué à modifier le cadre de coopération des universités. Après les années d'expansion universitaire marquée par une politique de dispersion territoriale, l'université a subi les contrecoups des restrictions budgétaires. Du côté francophone, le Décret de 199822 a mis en place un système de financement avec une enveloppe globale fixée et indexée annuellement, et une répartition par étudiant23, qui a renforcé la concurrence entre les universités. Dans un second temps, les universités se sont engagées dans des processus nouveaux en matière d'évaluation et d'encadrement des universités, processus qui semble avoir été enclenché par les mécanismes d'internationalisation de l'enseignement supérieur au niveau européen24. Ce processus a été relayé en Belgique par les Recteurs, qui en tant que responsables des universités, se sont montrés soucieux de ne pas rester à l'écart des opportunités du nouveau marché de l'enseignement supérieur. A titre d’exemple, la création récente d'une agence d'évaluation extérieure, l'AEQES, logée au sein de l'administration de la Communauté française, mais indépendante de celle-ci, est le fruit de contraintes imposées par le processus de coopération européen de Bologne.
11Mais de nombreux auteurs soulignent que l'émergence de nouvelles structures d'évaluation et de contrôle dans cette relation entre gouvernement et universités signale une crise de confiance entre les protagonistes et démontre une transformation du processus de délégation.
12On observe donc une relation « Principal/Agent » où le délégataire est le responsable politique et il ne semble s'intéresser à la question des universités que sous les pressions européennes (dans le cadre du processus de Bologne) ou dans le cadre de processus de réduction budgétaire. Nous le verrons plus loin : pour qu’une redéfinition des processus de délégation aboutisse, il est préférable d’intégrer les agents à son élaboration puisqu’ils seront aussi chargés de son exécution. Dans le cas contraire, les résistances de terrain sont insurmontables.
Une investigation double
13L'objet des investigations était de recueillir des informations sur le processus de négociation qui a mené à la mise en place des académies parallèlement au « Décret Bologne » en 2004. Ce travail est articulé autour d'une analyse de la littérature complétée par une approche empirique de collecte d'informations via des entretiens qualitatifs. Si une partie du travail a été le fruit de l’analyse de textes législatifs, des quelques rapports de commissions, questions et interpellations orales des parlementaires, des différents projets de budgets depuis l’année 2005-2006 ou encore des archives de presse, la seconde partie de ce travail touchant au processus de négociations et à l’avenir des académies en tant que tels a requis une approche empirique. Cette double approche était indispensable pour comprendre la problématique. Les textes législatifs, les projets de budgets et les rapports de commissions présentaient l’atout par leur publicité obligatoire, d’être faciles d’accès et non contestables. Les questions et interpellations parlementaires quant à elles nous apprenaient deux choses : non seulement quelle est la place accordée au processus de Bologne et ses conséquences sur le devant de la scène publique mais aussi les réponses qui sont apportées aux craintes formulées par l’opposition ce qui permettait de saisir les premières prises de positions publiques du monde politique. Les archives de presse permettaient d’une part, un premier aperçu de la chronologie des évènements menant à la constitution des académies mais d’autre part, mettaient en évidence les différentes prises de positions officielles des acteurs politiques et académiques. Ce sont ces premières analyses qui ont entre autres permis par la suite de définir la grille d’entretien. Le processus de négociations n’ayant pas du tout été relayé par la presse, la solution d’interviewer les acteurs de terrain pour combler ce manque d’informations s’est avéré obligatoire.
Des lectures à la nécessité d’une approche empirique
14Le choix des personnes interviewées s’est très vite imposé étant donné le caractère particulier de la problématique. Deux catégories d’acteurs ou de témoins privilégiés sont à distinguer selon la théorie du « Principal/Agent » : les représentants du monde universitaire et ceux du monde politique.
15D’abord, les négociations se sont déroulées en vase clos. Même si le cabinet Dupuis25 a vainement tenté de mettre en avant le Conseil Interuniversitaire de la Communauté française, c’est le Conseil des Recteurs qui a été dans un premier temps sollicité mais cette approche corporatiste a vite montré ses limites et les négociations se sont poursuivies davantage individuellement avec chaque Recteur. Le choix des interviews qualitatives26 s’est donc porté vers les membres de ce cénacle restreint, à savoir Monsieur Crochet, Monsieur Legros et Monsieur De Maret, respectivement Recteurs de l’UCL, de l’ULg et de l’ULB de l’époque. Du côté des politiques, ce sont les témoignages de Monsieur Jean Séquaris, médiateur désigné lors des négociations portant sur le Décret de Bologne27 et Monsieur Pouleur, chef de cabinet sous la direction de la Ministre de l’Enseignement Supérieur Madame Dupuis qui ont été retenus. Nous avons agrémenté ces interviews qualitatives d’un témoin privilégié Monsieur Molitor, Vice Recteur de l’UCL à l’époque des négociations. Dans un second temps, il s'agissait d'alimenter la réflexion sur la mise en place et l'avenir des académies et nous avons rencontré les Recteurs actuellement en fonction : Monsieur Conti, Recteur de la FPMs, Monsieur Delporte, Recteur des FUCaM, Monsieur Scheuer, Recteur des FUNDP, Monsieur Théwis, Recteur de la FUSAGx, Monsieur Corhay, Vice Recteur de l’ULg, Monsieur Vincke, Recteur de l’ULB. Enfin, c’est Monsieur Horward, responsable de la cellule enseignement cabinet de La Ministre M-D. Simonet qui nous a éclairé sur la vision du monde politique.
16Ces interviews qualitatives ont été réalisées selon le principe de l’entretien semi-directif. La première étape a été de constituer une grille d’entretien. Celle-ci présentait toujours deux parties: d'un côté, les thèmes généraux à aborder et de l’autre une série de questions plus spécifiques à l'institution en question. Après une prise de rendez vous par mail ou par téléphone de notre échantillon, l’interview se déroulait toujours selon les disponibilités et les envies du futur interlocuteur. Ainsi, à l’exception de deux entretiens téléphoniques, les entretiens ont tous pris place dans un environnement qui leur était familier. Le début de ceux-ci débutait toujours de manière classique : expliquer sa fonction et l’intérêt d’obtenir leur avis sur la question et demander ensuite la permission d’enregistrer le dialogue. L’interview était ensuite introduite de manière non directive avec une question récurrente : comprendre comment les académies se sont constituées et quel est l’avenir de l’enseignement supérieur en Communauté française ? La question de départ très large était donc introduite de manière non directive. En fonction des premières réponses apportées deux options s’offraient à nous. La première voulait qu’on approfondisse davantage un des thèmes spontanément abordés par l’interviewé. L’autre option exigeait qu’on introduise de manière directive un sous thème non pris en compte par l’interlocuteur. Notons également que la pertinence de ces introductions directives n’a cessé de croitre au fil des interviews. En effet, le contenu des premières interviews recueillies ont constitué une base de données qui permettait une confrontation des réponses entre les différents interlocuteurs28.
Analyse des données : l'utilisation du logiciel Mosaïqs (Spiral)
17L’analyse simple et efficace des données récoltées et retranscrites mot pour mot en version électronique a pu s’effectuer grâce au logiciel Mosaïqs29 (Method for Organizing Survey Answers In Qualitative Studies) lui-même produit du projet Prophylia. La méthodologie proposée par ce logiciel permet une analyse plus rapide et compréhensive des informations déjà recueillies et retranscrites au préalable. Le concept est simple : l’utilisateur introduit l'interview retranscrite et sélectionne la partie du texte susceptible d’attirer son attention (qui apparaîtra alors en jaune) pour lui attribuer un mot clé ou « tag ». Ce mot clé va en réalité constituer une catégorie à part entière. L’utilisateur répétera cette opération avec le nombre de mots clés qu’il désire sur le nombre de textes qu’il aura préalablement choisi d’introduire dans les « textes actifs ». Il peut ainsi accéder à une représentation graphique de l'ensemble des « tags » et des sous-catégories qu'il a généré pour chacun d'eux. En effet, Mosaïqs a prévu la possibilité d’organiser ces tags en créant le « facet cloud » reprenant chacun des tags dans un thème plus global créé selon les besoins de l’utilisateur. Ce logiciel permet donc d’effectuer l’analyse des textes une seule fois et d’introduire également méthode et structure à l’analyse. En cliquant sur un thème, un nuage de tags apparait comprenant différents mots clés de différentes tailles à partir desquels il est possible d'accéder aux parties de textes sélectionnés.
18Pour être tout à fait efficace, cet outil gagne à être utilisé dès la phase exploratoire, lors de l'élaboration du plan de recherche. Ainsi, il est possible de construire les « tags » et « facets clouds » à mesure de l'avancement des interviews, en obéissant à une logique de construction inductive en ligne avec l'approche de « grounded theory »30 laquelle mobilise dès le début les informations rendues disponibles par les acteurs de terrain. Cette approche est particulièrement importante si on veut observer des phénomènes émergents, dans des contextes les plus concrets possibles31. Plutôt que de privilégier des modèles théoriques abstraits et des analyses macro sociales, pour les imposer à la réalité, avec un analyste en position de surplomb, la « grounded theory » propose une démarche compréhensive permettant de retrouver dans les discours des acteurs des « catégories » (ou « conceptual codes ») à partir des interviews. Une telle approche ne présuppose aucun modèle critique parce qu'elle mobilise la perspective des participants eux-mêmes.
19Qu’est ce que cette analyse a mis en avant ? Les tags de taille plus importante étaient « avenir des académies », « négociations », « fusion », « place du politique », « pôles », « financement », « stratégie globale ».
Les académies et le processus de négociations menant à leur constitution
20Précisément « institution universitaire issue de l’association d’universités » selon l’article 6 du dit décret, l’académie est donc considérée comme un établissement d’enseignement supérieur32. Les règles de base du jeu pour leur constitution sont simples : deux institutions universitaires au minimum sont requises pour en constituer une, en choisir une, c’est faire le deuil d’appartenir à une autre et une académie a l’obligation de contenir au moins une des trois grandes universités complètes à savoir l’ULB, l’UCL ou l’ULg. Bien que l’académie soit d’abord l’affaire des universités, il est précisé que rien ne l'empêche de conclure des partenariats avec d’autres établissements d’enseignement supérieur eux-mêmes soumis à la règle du choix exclusif. À moins qu’elle ne soit composée exclusivement d’institutions universitaires d’Etat, auquel cas, elle est un service à gestion séparée (comme c’est le cas pour l’académie Wallonie-Europe), l’académie universitaire possède une personnalité juridique. Enfin, bien qu’elle dispose d’un patrimoine propre, elle ne dispose pas de personnel propre. Pour le reste, elle est soumise tout comme les institutions universitaires à un contrôle interne et peut conclure des collaborations internationales ou inter-communautaires on encore interacadémiques.
21Nonobstant que la volonté politique soit de faire des académies des entités à part entière, le fait qu’elles ne bénéficient ni de personnel propre ni d’infrastructures propres et que chacune des universités a la possibilité d’exercer son droit de veto lorsqu’elle sent une décision contraire aux intérêts de son institution mettent en évidence deux éléments. Premièrement, l’académie est vue par ses membres comme une association de partenaires dont le mode de fonctionnement reste le consensus. Deuxièmement, celle-ci ne doit pas être une source de dépenses supplémentaires. Au contraire, le législateur a posé des bases de délégation, voire de fusion avec parfois à la clé des incitants financiers.
22En matière de financement, ces nouvelles entités ont émergé dans la double équation d’un contexte communautaire budgétaire difficile et d’une volonté d’un allongement général souhaitée par la Déclaration de Bologne des études supérieures à cinq ans33 ce qui représentait un effort supplémentaire pour les universités et un poids financier additionnel au budget des dépenses de la Communauté française34.
23Bien que les académies aient reçu dès leur émergence une allocation propre sans que le financement individuel des institutions universitaires ne se soit vu pénalisé, rien n’indique qu’elles aient fait l’objet d’un effort particulier lors de la première phase de refinancement de l’enseignement universitaire en général35.
24Cependant, le Décret prévoit le versement intégral prévu en 2016 de la partie fixe des universités à l’académie dont ils font partie. En effet, jusque là cette partie fixe, trois fois moins importante que la partie variable36, est dévolue aux universités. En attendant cette date, les institutions universitaires sont libres de faire tous les transferts financiers jugés nécessaires à l’exécution de leurs obligations dans le cadre de l’académie.
25Trois académies, créées par conventions37, axées autour des trois universités complètes ont vu le jour. L’académie « Wallonie Europe » de statut public comprenant l’Université de Liège et la Faculté universitaire des sciences agronomiques de Gembloux, l’académie libre « Louvain » centrée autour de l’UCL reprenant les trois autres institutions universitaires catholiques situées à Mons, Bruxelles et Namur, et l’académie mixte « Wallonie Bruxelles » autour de l’ULB en association avec l’Université d’état de Mons Hainaut et la Faculté Polytechnique de Mons. Pour reprendre l’expression de Madame Dupuis, Ministre de l’Enseignement supérieur à l’époque, ces académies ne seront en aucun cas des « corsets » puisque chaque université gardera son statut d’origine, sa spécificité et son personnel38.
26La question reste : quelle a été la volonté du législateur en introduisant ce concept d’académie ? Quel est l'objectif poursuivi par les universités, grandes ou petites au sein de ce processus de regroupement?
Les académies, pour quoi faire ?
27 « […] nous réorganisons par la force des choses, pour les besoins du refinancement, pour les besoins de Bologne et parce que c’est dans la nature de l’évolution, un certain nombre de collaborations […] ». [F. Dupuis, 18 juin 2002.]
L’objectif de taille européenne : une fusion inévitable ?
28 « Une taille critique, c’est peut-être ne pas essayer de tous redécouvrir la roue, c’est faire des efforts les uns avec les autres de façon à ne pas se disperser ». [J-L. Horward, 15 avril 2009.]
29L’exposé des motifs touchant au Décret Bologne présentait d’emblée les académies comme le moyen offert aux universités d’atteindre la « visibilité – voire l’effet de taille relatif– » longtemps réclamée. Bien que personne ne s’accorde sur la taille idéale, elle reste l’argument principal et récurrent pour justifier toute démarche de regroupements. Mais le concept d'académie est suffisamment flou pour que le responsable politique puisse le mobiliser indépendamment de toute obligation de fusion ou d'une volonté politique de rationalisation39. Ainsi, la Ministre M-D. Simonet se défendait d’employer ces termes en début de l’année 2004 mais rappelait tout de même lors de la signature de l’accord créant l’académie « Wallonie Europe » quelque mois plus tard que les académies devaient, dans le cadre d’une politique volontariste, réfléchir, sans tabou, à une intégration plus forte40.
30Par ailleurs, le Décret lui-même consacre un chapitre à la question de la fusion des universités au sein des académies. De quoi laisser sous-entendre l’objectif à long terme de rapprochements nettement plus poussés. Enfin, d’entrée de jeu, J. Séquaris est plus clair : la mise en œuvre de la Déclaration de Bologne de 1999 avec le décret du 31 mars 2004 a été l’occasion de rajouter « une touche » : celle incitant à réfléchir à l’organisation de l’enseignement supérieur afin de créer à terme des universités de taille européenne. Etape intermédiaire à la fusion41, les académies ne sont par conséquent ni plus ni moins qu’un outil méthodologique laissant « la liberté aux universités de s’agréger entre elles de manière individuelle mais pour coopérer au sein d’une [entité] »42.
31Ces quelques prises de position du monde politique présentent une attitude officielle des autorités publiques qui peut se résumer à « nous proposons, vous disposez ». Dans ces conditions, les acteurs de terrain pouvaient encore éviter d'associer le terme académie à celui de la fusion, alors que le projet politique était bien enclenché. Cependant, les ambiguïtés des discours politiques ont soutenu l'émergence d'interprétations multiples par les différents acteurs universitaires quant aux objectifs à long terme et ce, même si tous s’accordent sur l’objectif premier qui est d’éviter la dispersion des moyens. Et ces interprétations multiples ont rendu plus complexes encore les relations entre institutions universitaires.
L’académie : un nouveau cadre juridique de collaboration
32Contrairement aux pôles, premières formes de coopération librement développées entre universités, les académies sont encadrées par des règles définies par Décret et les modalités de coopération intra-académiques ne sont pas entièrement libres43. En ce sens, on peut souligner que la création du concept d'académie pose officiellement le débat de mise au point de stratégies de coopération ou de mise en commun: jusque là, seuls le CRef ou le Conseil Interuniversitaire de la Communauté française (CIUF) s'intéressaient à ces questions dans des cénacles relativement fermés44.
L’académie : un renforcement des coopérations à deux vitesses
33D’une manière globale, les universités exercent trois missions : une mission de recherche, une mission d’enseignement et une mission de service à la communauté. Il apparaissait logique que les missions des académies s’inscrivent dans cette continuité.
34Certaines missions propres autrefois aux universités seront transférées aux académies, les obligeant ainsi à réfléchir ensemble sur des domaines précis. Selon J. Séquaris, ces enjeux se résument en deux grands points : les écoles doctorales et les masters complémentaires45.
35Pour ce qui touche à l’organisation des études universitaires et la faculté de conférer des grades académiques (autrement dit, tout ce qui concerne le domaine de l’enseignement), les académies pourront se voir offrir la possibilité de recevoir l’habilitation soit du législateur, soit de ses institutions universitaires dans le cadre de leurs habilitations respectives46. C’est le cas précisément pour les masters complémentaires47 ou les codiplomations48 aussi bien inter qu’intra-académiques. Un des Recteurs soulignait que, depuis 2004, chaque fois que le législateur avait la possibilité de le faire, un transfert de compétences des universités vers les académies avait eu lieu49.
36D'un autre côté, l’académie s’approprie une partie de la mission recherche puisque les études de troisième cycle sont du niveau exclusif de celles-ci50. En d’autres termes, ceci implique que la création d’écoles doctorales51 soit désormais interacadémique et unique pour chaque domaine52. Pourquoi ? Là encore, l’idée d’une visibilité accrue semble s’imposer dans les débats mais elle sous-entend aussi celle d’une concentration d’efforts et des moyens. Il convient aussi d’y inclure une réalité de terrain non négligeable : la recherche est bien souvent présentée par les acteurs de terrain comme étant sans frontière53. Ce principe acquis, il était par conséquent a priori plus aisé d'encourager la coopération interuniversitaire à ce niveau plutôt qu'à celui de l’enseignement.
37On peut constater que la place accordée à l’académie suivant que l’on touche à la mission recherche ou à la mission de l’enseignement n’est pas la même. En effet, côté recherche, J. Séquaris considère les académies comme un point de départ d’une collaboration interacadémique. Elles permettraient dans ce cas précis de réduire le nombre d’acteurs pour instaurer plus facilement des champs de collaborations qui aboutiraient en filières de recherche54. Autrement dit, alors que du côté de la mission enseignement, l’objectif premier des politiques et des acteurs de terrain est de concentrer avant tout les forces des institutions partenaires pour former une académie fonctionnelle, cohérente et forte face à l’extérieur, les politiques, avec l’instauration des écoles doctorales ont déjà poussé un cran plus loin la collaboration puisqu’elle est interacadémique. Nous sommes donc face à un processus de collaborations à deux vitesses : d’une part, la mission recherche qui est interacadémique et d’autre part, la mission d’enseignement axée sur l’intra-académique.
L’académie : une rationalisation de l’offre des programmes de cours
38La création d’écoles doctorales et l’habilitation touchant aux masters complémentaires semblent contribuer à une certaine forme de rationalisation dans un souci de meilleure gestion des coûts de l’enseignement universitaire. Il s'agit de concentrer des moyens et de proposer des offres de formation plus cohérentes, une meilleure organisation du travail scientifique en éliminant les doubles emplois55 tout en ne perdant pas de vue l’offre de proximité. Monsieur L. Walry, lors d’une interpellation en 2005 au Parlement de la Communauté française le résume bien : « […] l’intérêt de notre Communauté est de multiplier les passerelles afin de réaliser des économies d’échelle et de conserver un bon attrait sur le plan international »56. Mais les académies ne sont jamais qu’un exemple parmi d’autres de cette volonté de rationalisation qui semble s’être enclenchée, d’après J-E. Charlier, depuis 1994 au travers de décrets successifs encourageant certes les coopérations d’une part, mais en imposant des règles communes dans des domaines où l’autonomie des institutions universitaires était traditionnellement reconnue d’autre part57. Faire mieux avec les mêmes moyens, voilà ce qui caractérise, en principe, les académies. Notre enseignement doit se débarrasser de ses souffre-douleurs que sont les cloisonnements58 et tabler sur la mise en commun. Masters complémentaires et écoles doctorales en sont les premiers pas et les fusions, insidieusement, le deuxième car le but premier, avoué, de la collaboration amenée sous la forme d’une invitation relativement contraignante a très vite évolué : les institutions fusionnent ou projettent de le faire très prochainement. Quant à savoir si les doubles emplois sont maintenant de l’histoire ancienne dans la pratique, certains acteurs de terrain restent perplexes. En effet, peut-on parler d’efficacité lorsque que plusieurs formations ayant le même objet, qui sont géographiquement proches continuent d’exister chacune à part entière sous prétexte qu’elles relèvent d’académies différentes59?
39Quel a été le véritable objectif du législateur ? Economies d’échelle, taille européenne, fusion à long terme avec un soupçon de rationalisation ou quoi d’autres encore? Ces avancées ou aboutissements créent sans conteste une sphère de dialogues où les institutions universitaires cèdent petit à petit leurs compétences, signes d’autonomie, au profit d’une entité distincte. Nul ne pouvait ignorer dans un contexte européen bolognais, l’enjeu de penser à moyen et long terme son université.
40Comment et pourquoi les institutions ont-elles été amenées à penser en terme de partenariats ? Pourquoi ont-elles privilégié ces partenariats plutôt que d’autres ? Madame Dupuis constatait déjà au travers des regroupements que le poids des traditions reste tenace60… C’est au regard des us et coutumes que se dessineront les regroupements.
Le poids du passé
Entre logiques historique et financière
41« […] on n’imagine pas que le passé fut indemne de controverses et de situations d’influence où intervinrent les pouvoirs des monarques ou des Eglises, les mécènes de l’aristocratie ou de la bourgeoisie, les partenariats avec les industriels ou avec les partis politiques qui, tous, cherchèrent à infléchir les programmes, les méthodes et, par là, l’idée que l’université se faisait de ses missions. Mais c’est précisément parce que l’on ne rêve pas qu’il s’agit de réfléchir à propos de ce qui se construit aujourd’hui. » [A. Bastenier, octobre 2008.]
42Au regard de l’histoire, les analyses s'accordent à souligner trois clivages61 dont deux touchent assurément nos neufs universités francophones. Le premier est leur origine de caractère public ou privé. Apparu dès le début du XIXe siècle, il s’est traduit entre autres par des différences de traitement économique62 entre les institutions créées par l’Etat (Liège) et celles d’initiatives privées « comme à Louvain par les catholiques belges, à Bruxelles par les milieux libéraux ou à Mons par le monde industriel »63. Le deuxième clivage oppose les universités libres entre elles : l’ULB « libre exaministe » créée en réaction à l’initiative de l’épiscopat belge de recréer une Université catholique de Louvain64.
43Ainsi, coexistent trois types d’institutions : celles d’Etat (devenues aujourd’hui celles de la Communauté française) neutres philosophiquement65, les libres catholiques66 et les libres laïques ou non confessionnelles67. Autant de logiques historique et philosophique qui ont amené, d’après J-E. Charlier, les politologues à qualifier notre régime politique de « démocratie consociative»68 dont le socle n’a été (et n’est encore) autre que la pilarisation69. En d’autres termes, à chaque institution, son historique et ses influences et parce que, comme le dit M. Molitor, nous ne pouvons créer un paysage universitaire à partir de zéro, dans la pratique, les contingences historiques influenceront indéniablement le rassemblement des institutions en académies70. Qui plus est, pour beaucoup, elle s’est imposée lors des négociations comme la solution la plus pragmatique compte tenu des difficultés et autres résistances de terrain.
44Un autre point sensible est celui du financement universitaire caractérisé par une enveloppe fermée pour le financement des universités, mécanisme qui a conduit les institutions dans une compétition pour la « chasse à l’étudiant ».
45Le budget consacré aux institutions universitaires est composé d’une part fixe ainsi que d’une part variable. Cette dernière, trois fois plus importante que la fixe, est calculée sur le principe de l’étudiant pondéré. Deux problèmes cumulatifs engendrent une concurrence : l’idée d’une enveloppe fermée71 d’une part et celle de la part variable basée sur l’étudiant pondéré72 d’autre part. Les principes sont simples : la part variable sera plus importante uniquement dans la mesure où l’établissement compte plus d’étudiants que ses voisins puisqu’il s’agit d’une enveloppe fermée73. Autrement dit, « un euro donné en plus à une université, nous allons le chercher par définition dans la poche des autres »74.
46La guerre pour le gain de la part variable semble une question de vie ou de mort pour les plus petites universités dont le nombre d’étudiants est plus faible tandis que la partie fixe est une véritable bouffée d’oxygène de stabilité. C’est pourquoi, le législateur, afin de rétablir l’équilibre entre des institutions de tailles différentes, avait introduit dans les années 70 des exceptions budgétaires : le mécanisme des nombres planchers75 et des nombres plafonds76. Dans une logique de restriction budgétaire, le législateur a, en 2004, amorcé la suppression de ces nombres planchers obligeant indirectement les petites universités qui en bénéficiaient encore (l’UMH, la FPMs et la FUSAGx) à penser en terme de regroupement…
47Les universités engagées dans une « chasse à l’étudiant » cherchent à proposer une offre de formations soit la plus large possible soit la plus exclusive ou spécifique. Il s'agit à la fois de défendre son territoire et, si possible, de nouer des partenariats avec des entités éloignées. Ces problèmes contextuels financiers ont contribué à remettre au premier plan une rivalité entre les réseaux, sous-tendue par des rivalités politiques77.
48C’est donc dans ces contextes financier et de pilarisation complexes que les universités francophones ont évolué et continuent de le faire. Face à des contraintes budgétaires, entraînées dans une logique de concurrence, elles se sont vues petit à petit imposer l’idée de se voir partenaires dans une logique imposée par décret. Mais les propositions d’un regroupement des institutions universitaires ne datent pas de hier. En effet, avant même que ne naisse l’idée de créer les académies, un premier schéma de regroupements en 1998 issu du rapport Bodson-Berleur avait été mis en avant. Il sera pourtant aussi vite oublié qu’il sera décrié et contesté par les Recteurs.
L’impact du rapport Bodson-Berleur
49En 1997, sous l’impulsion du Ministre de l’Enseignement supérieur William Ancion, les Recteurs honoraires de l'ULg et des FUNDP, Arthur Bodson et Jacques Berleur, ont été invités à réaliser une étude prospective à moyen terme de l’ensemble universitaire de la Communauté française pour répondre en 204 pages à « comment rendre l’enseignement supérieur le plus performant possible » ?
50Le rapport constate dans un premier temps que les tentatives de regroupement ont toujours avorté. Les auteurs soulignent qu'il est possible de recourir à trois logiques : « les rattachements », « trois réseaux forment trois universités » et « la fusion des universités montoises »78. La première invite les institutions incomplètes à se rattacher à une université complète (l’ULg, l’ULB et l’UCL) en suivant la politique des réseaux. Ainsi, par exemple, l’UMH rejoindrait l’ULg. La deuxième proposition, généralisation de la première, propose le regroupement des neuf universités en fonction de leur caractère philosophique pour créer trois universités aux campus éclatés (une université libre confessionnelle catholique, une libre non confessionnelle et une publique pluraliste). Enfin, la troisième direction propose la fusion des institutions montoises. La menace brandie par les autorités a toujours été celle de la suppression des nombres planchers, mais mis à part des « poussées de fièvre périodiques consommatrices de temps et d’énergie », rien n’a été fait concrètement. En cause, une multitude de raisons : la peur de perdre l’avantage fourni par ces
nombres-planchers et l’obligation pour l’institution plus importante d’en supporter les frais; la peur de la colonisation du plus petit et du plus faible par le plus grand; l’idée de créer un déséquilibre des forces traduit dans la répartition inégale du nombre des diplômés; l’illusion d’une solidarité sans faille au sein même des réseaux; la crainte du renforcement des barrières existantes alors qu’on en appelle à la collaboration; une mauvaise mise en pratique du rôle éducatif. Les auteurs reconnaissent qu’on ne peut ignorer les diversités philosophiques de nos institutions sous peine de risquer de raviver la guerre scolaire mais ils avertissent cependant qu’en matière de concertations organisées, regrouper les institutions en trois pôles reviendrait aussi à la rallumer79.
51Le rapport met en avant une idée neuve : constituer cinq pôles universitaires alliant les caractéristiques de santé budgétaire, de diversité et de taille critique. Nos auteurs proposent un regroupement avant tout géographique : l’institution de cinq pôles, dans cinq villes, de tailles suffisantes, pluridisciplinaires et physiquement intégrés, établis respectivement à Bruxelles, Liège, Louvain-la-Neuve, Mons et Namur80. Ces pôles, interprétés a posteriori par M. Molitor comme des systèmes de coordinations et de coopérations plus que comme une restructuration en une institution81 sont une voie qualifiée de « réaliste et accessible » par ses inventeurs, dont il resterait à résoudre les problèmes des montois, de la FUSAGx et des FUSL.
52Ces recommandations ne seront soutenues ni par le monde politique initiateur du projet, ni par les Recteurs82. L’idée d’une répartition géographique est contestée et davantage encore l’argumentaire de base utilisé pour y recourir. Selon le CRef, les vertus de l’effet de taille ne sont pas clairement démontrées et la proposition de Messieurs Bodson et Berleur apparait « peu objective, voire orientée »83. Face à ce feu de critiques, le rapport, sera rejeté84: comme le rappelle M. Molitor, il a été « l’occasion manquée » de poser le débat du sort de l’enseignement universitaire sur le devant de la scène politique85.
Bologne : une impulsion pour les regroupements
53« L’Europe se fait ! Dans le désordre, dans la douleur, selon une logique pas toujours aisée à suivre, mais elle se fait ». [F. Coignoul, 2002]
541999 est l’année phare du processus européen de Bologne qui marque en quelque sorte l’irruption plus importante du supranational au sein des universités. Mais ce serait caricaturer la situation que de l’assimiler à un engouement général de nos élus et du monde académique francophones. En effet, au lendemain de la signature même de la Déclaration, d’une part, Madame Dupuis qui succède à Monsieur Ancion, prend ses fonctions en annonçant d’emblée que l’alignement de la Communauté française sur les objectifs de Bologne ne fait pas partie de ses priorités86. (Une attitude que JE Charlier analysera a posteriori comme une volonté de décentralisation de la décision, stratégie politique qui rejette la balle dans le camp même des institutions universitaires87). D’autre part, nos universités francophones, sceptiques, se demandent bien pourquoi changer un système candidature licence qui, compte tenu de leurs moyens, tire assez bien son épingle du jeu européen88. Loin cependant de rester inactives sur le sujet, elles lancent par l’intermédiaire du Conseil des Recteurs et du CIUF plusieurs groupes de travail pour proposer en 2001 la position commune suivante : Y résister nuirait indéniablement à notre enseignement89, autrement dit « oui, nous avons de bonnes études, mais nous n’allons pas être les derniers gaulois à se mettre en route»90. Bologne sera vite en soi prétexte à action : « Craintes d’être isolés, d’avoir des problèmes de crédits, de ne plus être dans un mouvement européen manifeste »91, la solution s’est vite imposée à nos universités francophones bien qu’aucune action politique n’ait été encore véritablement entreprise. Le premier coup de force viendra de l’Université Libre de Bruxelles, qui, à l’époque sous la direction du Recteur Pierre De Maret, annonçait à la surprise générale des autres institutions universitaires la constitution du pôle européen Wallonie Bruxelles, avec cinq Hautes Ecoles bruxelloises92: il justifiait cette position en invoquant l'exemple des voisins français et des regroupements flamands93.
55Ce premier acte officiel, joué le 1er février 2002 par l’ULB, manifeste la faiblesse de la coopération interuniversitaire. Alors qu'une position commune du CRef plaidait à l’époque pour des réformes introduites de manière transparente et concomitante94, elle était loin d’avoir force de loi et chaque université conserve toute son autonomie. De plus, le regroupement proposé par le pôle émergeant restait en ligne avec les affinités philosophiques et non géographiques: peu de hautes écoles catholiques sur le territoire bruxellois se sont vues convier à y participer. Le parlementaire Philippe Henry, comme beaucoup d’autres, interprétera cette annonce comme une « véritable déclaration de guerre […] ou a en tout cas servi de détonateur au déclenchement public des hostilités»95.
56Effet boule de neige, de miroir ou simple prétexte, quoiqu’il en soit, peu de temps après, la presse annonçait la création de deux autres pôles aux tendances philosophiques : un autre laïc et un catholique. Chronologiquement, c’est une partie des Montois qui emboîta le pas avec la naissance en mars 2002 d’un pôle96 tout aussi philosophiquement orienté contenant l’UMH, la Faculté polytechnique de Mons, quatre hautes écoles hennuyères et trois écoles supérieures artistiques. Le chef d’orchestre de ce mouvement, Bernard Lux,Recteur de l’UMH, ne semble pourtant pas suivi par tous97. Sans compter le mécontentement des six laissés-pour-compte98, le premier étonné semble être le président du conseil d’administration de la FPMs, Robert Urbain, lui-même. En effet, il fait remarquer dans la presse l’étiquette pluraliste de la FPMs, regrette ainsi l’exclusion des institutions catholiques montoises d’une part et la renonciation à un regroupement géographique uni d’autre part99. Mais là encore, les quelques soulèvements n’empêcheront en rien la conclusion d’un « Rhésu » soutenu par Madame Dupuis elle-même.
57L'Université de Liège, qui en juin 2002, invite tous ceux géographiquement proches, sans exception, à se rassembler pour mettre en place le pôle mosan, invitant aussi les FUNDP namuroises à le rejoindre. Autrement dit : « Communauté française, Province, Ville et réseau libre sont invités à [le] concrétiser »100 et 11 répondront à l’appel101. La presse soulignait cependant le refus ferme d’adhésion des autorités des Facultés Notre Dame de la Paix.
58Indignées face à la constitution des deux pôles non confessionnels, les quatre universités catholiques et une douzaine de hautes écoles catholiques de la Communauté française n’ont eu, selon elles, « d’autre choix » que de riposter en annonçant fin juin 2002, la création de « l’Association de l’enseignement supérieur en Communauté française ». En même temps, Marcel Crochet, Recteur de l’UCL de l’époque déclarait regretter de ne pas avoir approfondi l’idée d’une confédération rassemblant toutes les institutions et l’idée même de constituer des pôles locaux aux orientations philosophiques102. Cette Association réunissait près de 45% de la population étudiante en Communauté française et elle était analysée par le Recteur Ulbiste de l’époque, Pierre De Maret, comme un évident rassemblement des troupes autour de l’Eglise103. Même s’il n’a pas été suivi d’effets pratiques comme les trois autres104 et indépendamment des raisons qui l’ont poussé à agir, cet acte marquera néanmoins la position symbolique de ces acteurs.
Les pôles : premier chapitre informel des négociations ?
59« Ne soyons pas naïfs face à ces pôles car ils préfigurent sans doute la nouvelle cartographie du financement de l’enseignement supérieur et interpellent quant à l’avenir de nos universités». [A. Thewis, 2002]
60Certains considèrent le lancement de ces pôles comme le faux départ du processus de négociation donnant naissance aux académies. Même s’ils poursuivent un but identique105, il convient d’éviter l’erreur de confondre les deux notions. En effet, les pôles en Communauté française, outre le fait de présenter la caractéristique d’avoir vu le jour avant les académies, ne sont pas, en terme de membres, les jumelles de leurs cadettes. Effectivement, les pôles regroupent aussi bien des universités que des hautes écoles et des instituts supérieurs alors que l’académie se veut avant tout universitaire à l’origine106. Ils sont au nombre de quatre alors qu’on ne compte que trois académies107. Qui plus est, la notion même de pôle n’apparaît nulle part dans la législation de la Communauté française108, en d’autres termes, le pôle, contrairement à l’académie n’est en rien une structure officielle et ne possède pas les mêmes compétences que cette dernière.
61En l’absence d’arbitre, « chaque université développe ses propres réflexions»109. Cette période antérieure aux futures négociations portant sur les académies est caractérisée par ce que J-E. Charlier appelle la « valse hésitation »110, qui avec un caractère mouvant des repères voit apparaitre des rapprochements mobilisés quasi simultanément mais qui se neutralisent mutuellement111. En effet, d’une part les pôles sont formés en partie sur base géographique, mais aussi philosophique ou encore statutaire. Malgré le fait que l’annonce de Bologne a amené une volonté d’approche commune de la part des Recteurs face à l’inconnu, la logique référentielle usuelle des clivages traditionnels a vite repris le dessus. L’absence de débat et de transparence large, notées par le député parlementaire M. Henry, peuvent aussi être pointée du doigt.
62Faut-il parler d'une erreur tactique des Recteurs Monsieur De Maret et de Monsieur Lux? Leur choix d’option géographique teintée d’une pointe philosophique a entraîné une réaction en chaîne et favorisé un regroupement catholique dont le premier grand bénéficiaire fut l’Université Catholique de Louvain. Il est possible également que le projet d’un regroupement catholique flottait dans l’air depuis un petit temps déjà, bien avant la constitution même des pôles et que la tournure de la mise en place de ceux-ci finissait par mettre tout le monde d’accord sur la logique à suivre. Quoiqu’il en soit, il semblerait que ce coup de force ait fortement marqué les Recteurs et peut-être certaines institutions catholiques n’auraient-elles pas pensé automatiquement en terme de piliers. Mais cette constitution de pôles constitue sans doute un premier indice permettant de déchiffrer les négociations à venir…
63Quant aux autorités politiques, elles ont adopté une position de recul, dans cette logique de gouvernance présentée par F. Moens et J-E. Charlier qui veut que « […] [l’autorité] délègue aux opérateurs le soin de fixer les règles auxquelles ils devront ensuite se conformer. Elle peut piloter de loin, sans s’impliquer»112. Dans les cénacles du Parlement, on interpelle Madame la Ministre :
64Appartient-il au secteur de clarifier lui-même l’offre d’enseignement ? Mais a-t-il suffisamment de recul lui-même, pensez vous qu’il puisse faire abstraction des éléments de concurrence, des nécessités de croissance pour prendre les meilleures décisions113 ?
65Les principaux acteurs de terrain les plus influents réunis114 au travers du CRef sont tous, en 2002, sur le qui-vive et pressent maintenant la Ministre de l’Enseignement, Madame Dupuis, d’ajuster le cadre législatif communautaire aux accords de Bologne115. C’est dans cette effervescence générale « d’après pôles » qu’une première note atterrira sur le bureau du CRef avec pour la première fois, l’idée d’instituer des académies. Elle sera suivie ensuite du Décret du 31 mars 2004 y consacrant un chapitre spécifique.
Les négociations menant à la constitution des académies
66L’analyse de forme et de contenu des pourparlers menant à la constitution des académies se présente en deux actes. Le premier est caractérisé par des négociations difficiles aux propositions soulevées mais non retenues. Le deuxième voit l'entrée en scène de deux pacificateurs et mènera à la mise en place des académies telles que nous les connaissons aujourd’hui.
Les négociations : constats de forme et de contenu
67Premièrement, les négociations se sont bien souvent résumées à des discussions sectorielles ou se sont déroulées à l’intérieur de cénacles très restreints, les traces écrites se voulaient transitoires ou officieuses. Il n’y a donc pas eu de grand débat général dans la sphère publique sur les éventuels scénarios de regroupements des institutions.
68Deuxièmement, les acteurs de ces négociations menées en vase clos étaient les Recteurs de l’époque d’une part et les « politiques » d’autre part. Les personnes à englober sous ce dernier mot sont nombreuses, mouvantes et portent en général leur préférence pour l’une ou l’autre institution universitaire. En interaction dans un premier temps avec la Ministre (PS) elle-même116, les négociations se sont révélées tellement difficiles (vu le campement de chacun sur ses positions) que, sous l’impulsion du Président socialiste Elio Di Rupo, deux « pacificateurs » ont été appelés à poursuivre la négociation : Monsieur Séquaris, qui deviendra par la suite directeur de cabinet pour Madame Simonet (CDH) et Monsieur Cadiat qui fut en son temps au service du Ministre de l’Education Nationale Monsieur Mahoux (PS)117. Cerner la place du principal se révèle une tâche ardue. D’abord, les pouvoirs publics ont les clés décrétales en main pour ouvrir soit la porte de la concurrence, soit celle de la collaboration. En matière de collaborations universitaires, la stratégie défendue par Madame Dupuis, Ministre de l’enseignement supérieur, lors d’une interpellation parlementaire en 2002 sur l’évolution du processus de Bologne est d’abord celle d’une concertation avec les acteurs de terrain. Bien que ce choix d’un enseignement fédéré par le bas soit aussi partagé par J-L. Horward, il reste cependant une option parmi d’autres. En effet, Bodson et Berleur soulignent dans leur rapport qu’il existe des questions générales que ne se posent pas nécessairement toutes les institutions. Autrement dit, même si elles peuvent y travailler, il incombe avant tout au principal de veiller à la qualité de l’ensemble afin de « garantir l’intérêt général »118.
69Troisièmement, dans une relation « Principal/Agent », c’est le premier en principe qui, soucieux du bon placement de ses deniers publics et soutenu par le Parlement, s’avère le plus à même à veiller à la garantie de l’intérêt général. Pourtant la réalité s’en éloigne. D’abord parce que, comme le souligne Y. Winkin, « chaque famille politique (socialiste, libérale, chrétienne) possède implicitement ou explicitement son réseau d’écoles et contrôle ses universités »119. Ensuite parce qu’à l’intérieur même de ces familles politiques apparaissent des préférences et des intérêts individuels changeants. Qui plus est, dans le cadre spécifique de notre objet d’étude, les négociations en vase clos ont de facto exclu le soutien du Parlement tout comme le principal, vite dépassé, s’est vu supplanté par deux négociateurs invités par un président de parti. Le poids des négociateurs CDH et PS est le signe de la prévalence de la logique consociative et de l'importance de la négociation au sein des piliers. Quant aux agents, ceux-ci se prononcent difficilement sur la place à tenir par le principal. Ils leur demandent d'établir une stratégie de « bien commun » sur le long terme tout en intégrant les réalités empiriques propres à chaque partenaire.
70Quatrièmement, le concept d’académie est imposé aux universités. Le décret met les universités face à un choix tragique: elles sont la liberté de « choisir entre, d’un côté, l’isolement ou la disparition et de l’autre, la survie dans un cadre contraint»120. Libre aux universités de refuser de s’associer à une des trois grandes universités complètes, de s’isoler par la même occasion, de laisser passer la chance de bénéficier d’incitants financiers et d’abandonner de surcroît aux autres le soin de gérer les masters complémentaires et les écoles doctorales (et de par conséquent, « faire une croix sur la dynamique de recherche »)121.
71Enfin, le poids des piliers impose lui aussi une règle du jeu supplémentaire. Comme le remarquent J-E. Charlier et F. Moens à ce sujet, le législateur devra en effet veiller à des mesures neutres philosophiquement sous peine de risquer une mobilisation massive et une perte d’équilibre. Dans ce contexte, une décision ne pourra dès lors jamais être évaluée exclusivement sur des critères techniques et objectifs puisqu’il faut toujours estimer les « effets subjectivement ressentis sur les équilibres philosophiques […] »122.
Acte I. L’échec des regroupements sur base géographique
72« On aurait pu discuter plusieurs stratégies et discuter de leurs valeurs mais ça n'a pas été fait! Et ce n'était pas aux universités à le faire non plus…» [M. Crochet, 29 mai 2009]
73Le premier acte se caractérise par un campement des agents et du principal sur leurs positions et par conséquent, met en évidence plusieurs propositions de regroupements qui seront rejetées. Parmi les positions défendues, deux grandes tendances se sont dessinées et affrontées : l’optique du regroupement géographique et celle du regroupement philosophique.
74D’abord apparait l’idée d’une seule et grande académie multi campus où toutes les universités de la Communauté française, en conservant leur emplacement, travailleraient toutes en collaboration plus poussée. Soutenue par le Recteur de l’ULB et des Facultés de Saint-Louis, cette option basée sur le modèle californien sera aussi vite abandonnée que mise sur la table. M. Molitor l’explique pour deux raisons ; d’une part cette réflexion existait de manière très minoritaire dans certains milieux académiques et d’autre part, elle souffrait d’un manque de réalisme dû au fait « qu’elle était trop raisonnable et ne [correspondait] pas aux sensibilités»123.
75Ensuite, plusieurs volontés de regroupements géographiques sont défendues. Lors des débats parlementaires portant sur la constitution des pôles en 2002, c’est une position de la Ministre Dupuis elle-même. Elle est à ses yeux la solution la plus pragmatique parce qu’elle « implique qu’il n’y [ait] pas de distance infranchissable pour l’organisation commune d’un certain nombre de choses»124. C’est également une option retenue par Willy Legros en son temps Recteur de l’ULg. Son projet ? Quatre unités pluralistes seraient créées garantissant non seulement l’exploitation maximale des espaces territoriaux mais aussi l’équilibre en terme de répartition du nombre d’étudiants : Les Facultés de Saint Louis s’alliait avec l’ULB, l’Université de Liège avec les FUNDP, les Montois (FPMs, UMH, FUCaM) se rassemblaient, et l’UCL annexait la Faculté de sciences agronomiques de Gembloux. Mais force est de constater que ces alliances déjà soulevées par le passé par la FUSAGx et par les FUNDP sous le Rectorat du Père Gilbert ne correspondent pas aux équilibres déjà existants créés sur la base philosophique. La tentative de collaboration entre la Faculté de Droit de l’ULg et celle des FUNDP est un bel exemple de l'échec de cette proposition.
76Pourquoi cette option géographique n’a-t-elle pas été retenue ? Plusieurs hypothèses peuvent être mobilisées. Une première hypothèse s'inscrit dans la logique de la compétition des universités pour la « chasse aux étudiants ». Si l’intérêt des grandes universités, comme l’affirment J-E. Charlier et F. Moens, est « d’augmenter leur nombre d’implantations en annexant ou en satellisant les plus petites […] »125 et si nous partons du postulat, comme le font nos auteurs, que c’est dans le territoire proche que l’institution universitaire recrute l’essentiel de ses étudiants, on comprend vite l’intérêt des trois universités complètes de chercher à s’allier avec les petites institutions géographiquement éloignées afin de s’immiscer indirectement dans le territoire de ses concurrentes et ainsi gagner du terrain. En effet, les petites institutions ne représentent pas une menace directe sur le propre territoire des universités complètes mais sont bel et bien un atout considérable sur un terrain où ces dernières n’ont, en principe, aucune habilitation. La tactique des regroupements pour les deux plus grandes universités devient plus évidente : « […] accroître les bassins de recrutement, en allant chercher les étudiants les moins mobiles pour leur faire intégrer une académie plus éloignée » et offrir de surcroît l’illusion aux plus petites institutions « d’une égalité universitaire avec les plus prestigieuses »126.
77Dans un autre registre, on peut invoquer que le regroupement géographique ferait davantage penser à un repli sur soi alors que son contraire viserait à étendre son influence au-delà d’une zone géographique définie. Ainsi par exemple, une des craintes du Recteur de l’ULg était d’être cantonné à l’Est du pays.
78Troisièmement, cette option ne maximisait que les intérêts de l’Université de Liège ce qui n’était le cas ni de l’ULB, ni de l’UCL. Etant la plus petite des trois grandes universités complètes, la constitution des académies était la bonne occasion de remettre les compteurs à zéro, de mettre tout le monde sur un pied d’égalité et par conséquent, de lui faire prendre un avantage127. Pourtant, nous aurions pu penser que les plus petites universités auraient cherché davantage à neutraliser leurs premières grandes concurrentes de terrain que de chercher à s’allier avec celles plus éloignées. Monsieur Conti, Recteur de la FPMs l’expose bien : les missions de proximité sont d’autant mieux assumées quand la concurrence au niveau local disparait128.
79Enfin, d’une manière plus générale, M. Molitor aime à le rappeler : ce système ne correspondait pas aux sensibilités et tous ne pouvaient pas non plus prétendre y trouver leur compte. En d’autres termes, « chacun tient à son réseau »129, pouvoirs organisateurs y compris. Ainsi, concernant les institutions catholiques, Thérèse Lebrun, Président - Recteur de l’Université Catholique de Lille rappelait en 2008 que l’université catholique se basait sur trois pouvoirs responsables : l’université, l’Eglise et la société civile. Par conséquent, même si les Recteurs des institutions catholiques ont pour la plupart minimisé l’impact du pouvoir de l’Eglise dans leurs prises de décisions, tous s’accordent à dire qu’ils défendent néanmoins des valeurs qui leur sont propres. Thérèse Lebrun poursuit : « l’université catholique ne peut ignorer qu’elle exerce aussi une mission d’église […] »130. Comment mieux les véhiculer qu’en se regroupant par affinités philosophiques ?
Acte II. Nouveaux négociateurs et la victoire de la base philosophique sur la base géographique
80 « Suivant que nous sommes à tel ou tel endroit, la stratégie à développer n'est pas la même parce qu’on n’a pas les mêmes pouvoirs organisateurs, pas les mêmes bases, pas les mêmes régions et le contexte est différent. Donc c'est difficile d'appliquer les mêmes règles à tout le monde». [M. Marcourt, 30 avril 2009]
81Après l’impasse des premières négociations touchant aux regroupements sur base géographique, J. Séquaris, pacificateur désigné souhaitait avant tout de l’opérationnalité131. Et cette opérationnalité a indéniablement fini par rimer avec piliers. En effet, aux yeux de
celui-ci, ce sont les ententes philosophiques qui assuraient le plus de chance de succès.
82Deux éléments sont à constater. D’abord, le choix du schéma à adopter s’est basé sur la logique historique des structures universitaires: les catholiques et les non catholiques. Ensuite, nos pacificateurs (CDH) réactualiseront face aux réticences des socialistes ni plus ni moins le schéma antérieurement proposé par le PS. En effet, il s’est inspiré trait pour trait à celui soumis en 1998 par le PS de Van Cauwenberghe mais qui avait été en son temps rejeté en bloc par le PSC132. Ministre du budget de la Communauté française de l’époque, il souhaitait que la mise en place de trois « pôles » calqués autour des trois grandes universités compense un éventuel projet de décret Ancion qui avantageait les institutions catholiques133. Le dessein était simple : en acceptant de lâcher du lest côté financement, le PS exigeait en échange, un changement de rapport de forces ramenant les institutions catholiques à 1 contre 3 pôles au lieu de 4 institutions sur 9134.
83Quant aux six autres institutions restantes, la dispersion s’est opérée selon M. Crochet, par « élimination » et « jeux politiques » résultant de stratégies individuelles à défaut d’une vision globale, révélant ainsi l’incapacité du principal à définir une stratégie. Seul le cas de l’UMH (forte de ses appuis politiques régionaux sous entend-on dans la presse) viendra contrecarrer une logique de regroupements voulue selon les affinités philosophiques. En effet, cette logique aurait voulu que se constitue un axe horizontal Mons Hainaut, Gembloux, Liège. Or l’UMH finira par s’allier avec l’ULB. Plusieurs hypothèses sont soulevées quant à ce choix. Outre le fait que le nombre d’échanges de professeurs rendait cette solution plus pragmatique, elle permettait surtout à l’UMH de poser un pied dans la capitale. L’ULB quant à elle étendait son emprise territoriale jusque dans le Hainaut tout en encadrant le triangle formé par l’académie Louvain sur son côté ouest.
Les négociations : constats
84« Osons l'affirmer clairement: les mobiles profonds de la plupart des artisans déclarés des regroupements universitaires sont d'ordre idéologique et politique et sont totalement étrangers au souci d'un système universitaire plus performant. Qui ne voit, par exemple, que la proposition actuellement avancée d'un regroupement des universités en pôles « idéologiques» procède d'un objectif de partage des sphères d'influence idéologique et politique, bien dans la logique de la traditionnelle «pilarisation» de notre société, mais totalement étranger à la logique de collaborations mutuellement avantageuses qu'il faudrait plutôt promouvoir? ». [J. Lambert, 1998]
85Le premier constat défendu à l’unanimité par l’ensemble des acteurs rencontrés est que la négociation des académies n'a pas permis de dépasser les logiques du passé. On peut distinguer les institutions catholiques du reste des institutions universitaires, mais ce serait caricaturer la situation que de présenter les quatre institutions catholiques comme un tout unique indivisible. Même s’il reste évident que la voie philosophique s’avérait plus dégagée pour ceux-ci, des résistances quant à la perspective de se concentrer sur l’UCL existaient bel et bien135. Quant à savoir si l’UCL avait la volonté d’un regroupement catholique en vue avant même la constitution des pôles, les déclarations de Marcel Crochet dans la presse et en interview laissent à penser le contraire. Mais force est de constater que les premiers contacts dès 2002 avaient une claire orientation philosophique et que l’implantation géographique des institutions catholiques permet à l’UCL de couvrir une grande partie du territoire francophone. On ne peut que rejoindre le constat de J-E. Charlier et F. Moens à ce sujet : « […] la pression de Bologne a pu faire croire que les identités des universités confessionnelles pourraient se fondre dans des projets de développement régional alors qu’elle n’a abouti qu’à formaliser davantage les liens qui les unissent »136.
86Les universités pluralistes n'ont pas pu trouver d'accord pour une démarche conjointe face au regroupement du pilier catholique: le statut d'université libre et d'université d'Etat marque encore le paysage universitaire.
87Le troisième constat concerne les six plus petites universités : quel est leur pouvoir de négociation et leur aptitude à défendre vainement leurs propres intérêts sans un appui politique pour les soutenir ? Bien sûr, la plupart des Recteurs de ces universités le répètent : ils étaient libres de choisir… mais n’est-ce pas encore une de ces solutions qui s’impose justement parce qu’elle ne « s’impose pas » ? La FUSAGx, université publique de la Communauté française, souhaite depuis toujours garder son autonomie, son nom, sa renommée et ses nombres planchers mais face à la politique de rationalisation des pouvoirs publics, elle est, depuis Bologne, contrainte de suivre le mouvement imposé par ces derniers et ce, sans avoir le pouvoir du dernier mot. Car pour s’imposer ou accroître sa capacité à négocier, c’est évident, il faut soit être de grande taille soit représenter une plus value pour celles qui le sont.
88De leur côté, J-E. Charlier et F. Moens analysent l'association entre les deux pôles des universités d'Etat, ULg–FUSAGx, comme une opportunité pour les responsables politiques de modifier le rapport de force entre les universités137. En effet, avant la constitution des académies, le rapport du nombre d’institutions catholiques était identique à la proportion des étudiants universitaires qu’elles accueillaient138, or, poursuivent-ils, la création des académies a redistribué les cartes : « auraient-elles été deux que la puissance du monde chrétien eût été renforcée, en en installant trois, elle est tout au contraire réduite»139. Parmi les électrons libres, les deux seuls encore dirigeables furent les deux universités publiques.
89Les négociations aboutissent à un résultat désavantageux pour l'ULg, qui reste la plus petite des académies et présente le désavantage d’être isolée. Son poids dans les négociations se mesure au résultat ; l’UCL termine avec un pied dans la capitale européenne et l’ULB finit par s’immiscer en territoire louvaniste prenant ainsi tous deux, une place centrale dans le territoire francophone. Chacun croit momentanément avoir mis échec son adversaire mais in fine, le tout reste un jeu à somme nulle.
90Comment ces académies ont-elles évolué depuis leur constitution ?
Les académies : un jeu à trois ou à quatre ?
91Bien que les institutions constituant une académie n’aient pas pour but officiel d’aboutir à la fusion, c’est pourtant cette voie qui a été privilégiée par la suite par tous les acteurs de terrain. Encore faut-il s’entendre sur la notion en tant que telle. En effet, plusieurs interprétations se dégagent : à son origine, elle pouvait être vue, soit comme une structure qui chapeaute les universités et qui permet de développer des partenariats tout à fait privilégiés au sein d’une même académie soit comme une préfiguration « d’une seule et même université autour de l’université complète qui chapeaute l’académie»140. Pour Bernard Coulie,
Pro-Recteur de l’UCL, cela ne fait pas l’ombre d’un doute : « Lorsque le politique a créé les académies […], c’était clairement dans l’idée d’amener leurs composantes à fusionner pour créer trois grandes universités»141. Même si cette dernière interprétation n’est pas explicitement inscrite dans le Décret, l’évolution du paysage universitaire en termes de fusions pourrait nous amener à penser qu’elle a toujours été l’objectif caché des trois agents les plus influents soutenus par les « principal » de l’époque.
92En effet, l’académie Wallonie Europe n’est plus composée que d’une seule institution puisque l’Université de Liège et la Faculté Universitaire des sciences agronomiques de Gembloux forment un tout indivisible depuis la rentrée académique 2009-2010. L’ULg est désormais une université tout aussi complète que l’UCL et le développement de son positionnement géographique, après l’absorption de la FUL à Arlon, ne s’en trouve que renforcé. Ensuite, les quatre institutions catholiques composantes de l’académie Louvain projettent de fusionner à la rentrée académique 2010. Par ailleurs, le triangle UMH-FPMs-ULB de l’académie Wallonie-Bruxelles suit une trajectoire différente : les institutions montoises ont fusionné pour former l’Université de Mons et maintient avec l'ULB une structure de coopération plus lâche.
93Pour Messieurs Rentier, Vincke, et Coulie, Recteur et Pro Recteurs des trois plus grandes universités, il est indéniable que le paysage recomposé dans dix ans se résumera à « trois grandes institutions », « trois grands pôles universitaires » « avec des implantations multiples »142. Monsieur Scheuer et Delporte partagent également cette vision futuriste. Mais tous sont conscients de la complexité des négociations à venir. Bernard Rentier insistait dans la presse : « il y a des gens qui en veulent très très très très fort quatre»143. En effet, le seul « obstacle » à la constitution de trois grandes institutions à l’horizon 2010 est le binôme
UM-ULB qui n’a pas prévu de fusionner. Le principal argument du Recteur de l’UM, Monsieur Conti est clair : « […] à proximité, il est nécessaire de fusionner, à distance, il est indispensable de collaborer»144. Qui plus est, cette étape ne serait à ses yeux que le reflet pervers du système mis en place ; un regroupement plus philosophique que géographique. Certains de nos parlementaires ULbistes considèrent cependant la fusion basée sur le critère géographique comme une réminiscence du sous-régionalisme wallon et un recul qui contrecarre l’intérêt des grandes universités. Madame Bertiaux, députée parlementaire MR y voit là purement et simplement une menace pour l’ULB dont le déploiement naturel vers le Hainaut se verrait contrarié. Tout au plus cette fusion amènerait-elle un adversaire supplémentaire sur le ring qui opposait jusque là nos trois grandes universités complètes. « Une dérive », rien de plus ni moins, selon elle, qu’un travail à la carte « en fonction d’intérêts particuliers sous régionaux (voire locaux) bien souvent éloignés des intérêts académiques»145. Selon Madame Emmery, député parlementaire bruxelloise, cette académie composée d’un binôme affaiblit sans conteste le pôle non confessionnel à Bruxelles et dans le Hainaut alors que l’ULB doit craindre également l’extension de l’UCL dans la capitale146. À l’entendre, la concurrence universitaire se joue entre deux acteurs : l’institution libre exaministe et la plus grande des institutions catholiques. Il ne faudrait pas qu’une d’entre elles, en concentrant davantage ses moyens, prenne « une importance qui étiolerait progressivement l’autre»147. Etape intermédiaire ou pas à une hypothétique fusion ULB-UM, Marie-Dominique Simonet aime à le rappeler ; l’UM restera une institution incomplète qui a fait le choix de s’allier à l’institution universitaire bruxelloise lors de la constitution des académies et il n’est par conséquent pas question d’envisager un quatrième pôle148. Du côté montois, c’est pourtant l’idée d’un scénario à quatre qui semble recueillir tous les suffrages149.
94Quoiqu’il en soit, il est évident que les enjeux de demain passent par l’intégration que ce soit à l’intérieur des académies même ou avec l’enseignement supérieur du type long dont nous n'avons pas analysé le développement.
95Les neuf institutions universitaires bientôt en phase de n’être plus que quatre choisiront-elles la voie qui mène au modèle californien ? C’était en tout cas le souhait de Bernard Rentier, Recteur de l’ULg et celui de Pierre De Maret, Recteur de l’ULB à l’époque des négociations portant sur la constitution des académies. Le principal reste également convaincu que la prochaine étape sera interacadémique et que par conséquent, l’idée défendue par Bernard Rentier n’est pas à exclure. Personne ne semble s’opposer à l’idée d’une seule et grande institution universitaire en Communauté française mais certains s’interrogent sur l'efficacité d'une telle structure en différenciant d’un côté l’organisation de la recherche et de l’autre, celle de l’enseignement. D’abord, parce que comme le dit Monsieur Vincke, Recteur de l’ULB une certaine émulation est toujours souhaitée pour rendre les universités les meilleures possibles. Ensuite B. Coulie, Pro Recteur de l’UCL, avance qu’il faut pouvoir continuer à garantir une offre de proximité de qualité150. Enfin, M. Crochet, Recteur honoraire de l’UCL souligne les efforts considérables d’administration qui seraient nécessaires et le risque d’ingérence politique qui serait à envisager. Pour l’heure, tous s’accordent à dire que c’est un scénario à envisager dans du très long terme. Il est fort probable que les rapprochements connaîtront encore plusieurs étapes intermédiaires qui feront tout autant débats.
Conclusion
96« Et l’on voit des gens soit disant éclairés redessiner à l’envi un ensemble enfin intelligent, où ils trouvent surtout comment préserver ou renforcer la ou les institutions qui ont leurs faveurs. Ce sont là, bien souvent, des propos racoleurs, ou mondains, ou irresponsables. Autre chose est de passer aux actes. Dès qu’un ministre ou un gouvernement ou qui que ce soit ose une proposition de restructuration, de rationalisation (mot abhorré), de révision du financement, bref, de changement, des forces nombreuses et contradictoires se mettent en action pour que, précisément, rien ne change»151. [Arthur Bodson, Jacques Berleur, octobre 1998]
97La constitution des académies ne ramène à rien d’autre que ce que Jean Jacques Viseur, président du Conseil d’administration de l’UCL qualifie de « trilogie classique qui a animé la vie universitaire depuis l’indépendance de la Belgique»152. Toutes les premières tentatives visant à la contrecarrer ont connu un échec cuisant et leur naissance, occasion ratée de sortir de cette logique pesante, se contentera d’aller dans le sens d’une histoire répétée.
98La mise en place de « cette touche en plus » comporte essentiellement deux grands objectifs. Premièrement, celui de taille européenne qui, au travers d’un nouveau cadre juridique de collaboration, implique sur le moyen et long terme l’enjeu d’une coopération synonyme de fusions et affiche aux universités un avenir loin de l’essaimage territorial. Deuxièmement, dans un contexte budgétaire difficile, la volonté de faire mieux avec les mêmes moyens, concentrant ce qui peut l’être grâce à l’imposition de règles communes dans le domaine de la recherche et de l’enseignement. Limiter l’essaimage et améliorer l’efficience sont deux objectifs que le principal peut imposer à l’agent. Par contre, il ne suffit pas d’une volonté politique pour effacer des décennies de logiques institutionnelles. L’histoire résiste et les agents, à savoir les Recteurs, mobilisent leurs ressources de légitimation pour limiter les champs des possibles, empêchant le principal de dépasser la logique des piliers historiques.
99Aussi, la balle a été tout au long de ces négociations dans le camp des Recteurs qui purent disposer à leur guise des bases décrétales posées selon la volonté des « principal ». L’intérêt de ces agents, véritables autorités efficientes, est une constante immuable : défendre au mieux les intérêts de leur propre institution. Ceux du politique sont, a contrario, toujours en proie au conflit récurrent des intérêts politiques individuels face à l’intérêt général. Le changement de « principal » au cours des négociations en dit long sur ces tensions. L’incapacité de ce dernier à vouloir ou à pouvoir penser les choses sous un angle global autrement que par la somme des intérêts individuels de ses agents complexifie davantage les négociations d’autant que les résistances des acteurs de terrain ne se font pas attendre face aux compromis qui ne serviraient pas au mieux leurs objectifs ou tendraient à favoriser davantage une concurrente.
100Le schéma de constitution des académies s’éloigne complètement de l’option géographique esquissée en son temps dans le rapport Bodson-Berleur. Un choix finalement inenvisageable au vu des sensibilités de chacun des Recteurs, des Pouvoirs organisateurs et autres personnages politiques attachés à promouvoir leurs valeurs et leurs territoires. Loin de satisfaire les intérêts de l’UCL et l’ULB, la logique territoriale aurait pour conséquence non seulement de les cantonner à une zone géographique restreinte mais également de mettre les trois institutions complètes sur un pied d’égalité. L’avantage de cette solution aurait été liégeois et les universités libres et catholiques auraient pu critiquer une solution favorisant la seule université d'Etat.
101Enfin, on peut raisonnablement se poser la question d'un réel changement de rapport de force entre les académies en faveur du secteur catholique. Certes, l’UCL prend ses marques dans la capitale tout comme l’ULB s’immisce sur le territoire louvaniste, mais si les membres de l’académie Louvain avaient annoncé vouloir fusionner, le récent refus des FUNDP fragilise la logique interne du pilier catholique. Du côté de l’académie Wallonie Bruxelles, l’ULB et la récente Université de Mons ne semblent pas être sur la même longueur d’onde en terme de fusion alors que l’académie Wallonie Europe semble avoir disparu, de facto devenue synonyme de l’Université de Liège. Pourtant les prédictions les plus réalistes annonçaient qu’il ne resterait en jeu, pour négocier la prochaine échéance de financement en 2015 que trois acteurs universitaires sur la scène de la Communauté française qui s’annexeraient définitivement tous les établissements d'enseignement supérieur de type long… Mais la résistance des entités distribuées (l’Université de Mons et les FUNDP) a fourni aux politiques une nouvelle occasion de remettre en question la logique des piliers. Aussi, au vu de l’échéance politique à l’horizon 2015, les premières propositions du Ministre compétent, Monsieur Marcourt (PS), montrent la volonté de dénouer la tension entre concentration académique et dispersion géographique en formulant une nouvelle vision de l’institution universitaire. Les activités de recherche seraient organisées au niveau de la fédération « Wallonie Bruxelles » dans une logique de concentration (ou de fédération) des moyens alors que les missions d’enseignement se traduiraient dans une distribution géographique avec un souci de proximité aux agents. Un tel découplage remet en question le modèle ancien de « l’université de recherche » qui devait assurer un arbitrage permanent entre ses deux missions principales ; alors que la mission de formation se traduirait dans une logique de service public distribué sur le territoire, la concentration du pilotage de la recherche devrait inscrire l’excellence francophone au cœur du projet de l’Espace européen de la recherche.
102Janvier 2012