La fontaine décisionnelle : un outil conceptuel pour une participation pleine de sens
Résumé
Dans la perspective d’un développement durable, il est tentant de recourir à la planification participative pour bénéficier des avantages que la participation apporte. Mais, au-delà de la maîtrise des techniques de participation mises en œuvre, ce qui assure le réel succès d’un exercice participatif c’est son cadrage. Si le cadrage n’est pas, dès le départ, défini, explicité ou accepté par l’ensemble des parties prenantes, la pratique participative aboutira, comme on peut trop souvent le constater, à des quiproquos, des contestations, voire à des conflits et des recours. Les frustrations induites conduisent les bonnes volontés participantes à se méfier des organisations commanditaires et de leurs composantes, et à se détourner d’autres expériences dites « participatives » quitte à rester passif. Pour éviter ces écueils et aider les parties prenantes à réfléchir sur leur rôle et sur celui de leur participation, différentes classifications des types de participation ont été proposées. Chacunes ont leur intérêt et mettent l’accent sur un aspect particulier. La ‘fontaine décisionnelle’ est un outil conceptuel d’analyse des processus décisionnels. Au travers des différents composants de cette « lentille », l’intérêt de recourir à la participation du public, tout comme les réticences que l’on peut avoir face à la participation, peut être expliqué. Ce modèle pris dans son ensemble permet de préciser les limites et le type de participation attendu. La dimension temporelle de la participation est mise en perspective au travers de cet outil. La fontaine décisionnelle est une solution pragmatique et simple qui favorise une participation réussie et transparente.
Abstract
In the perspective of sustainable development, using participatory planning in order to benefit from the advantages participatory processes bring is tempting. But beyond the mastering of the participatory techniques, the real success of this kind of process comes from its framing. If from the start, the framing is not well defined, well explained and accepted by all the stakeholders, the participatory exercise will end up, as can be seen too often, in misunderstandings, contestations, or even in conflicts and recourses. The induced frustrations lead the participating goodwills to be wary of the initiating bodies and to run away from other so-called “participative” experiences even if it means for them to keep being passive. To avoid these pitfalls and to help the stakeholders to reflect on their role and on the participation one, various classifications of participatory processes have been proposed. Each one of them have their interest and stress a particular aspect. The “decisional fountain” is a conceptual tool for analyzing decision-making processes. Through the various components of this “lens”, the interest to resort to the participation of the public, just like the reserves which one can have towards participation, can be explained. This model taken as a whole makes it possible to specify the limits and the type of participation expected. The temporal dimension of participation is also present in this tool. The decisional fountain is a pragmatic and simple solution which supports a successful and transparent participation.
1Le modèle de la fontaine décisionnelle [Cornélis (1998) ; Cornélis et Viau (2000) ; Cornélis (2002) ; Cornélis et Brunet (2002)] a été développé à la suite d’une réflexion globale sur les différentes facettes des processus décisionnels (acteurs, procédures, outils, résultats, …), guidées par une compréhension de la façon dont les décideurs prennent réellement des décisions. Ce modèle générique peut être appliqué à des décisions rationnelles et (d’apparence) irrationnelles. En fait, ce n’est pas un modèle normatif indiquant comment les décideurs devraient prendre des décisions, bien qu’en précisant et en définissant certains de ses éléments pour rencontrer les prétentions normatives, il peut le devenir. En outre, ce modèle peut être à la fois appliqué aux décisions prises par des individus aussi bien que par des groupes ou organisations.
1. La fontaine décisionnelle
1.1. Vue d’ensemble du modèle
2Le modèle de la fontaine décisionnelle structure les processus décisionnels en cinq phases: DOcumentation/information (DO), analyse décisionnelle (DA), prise de décision au sens strict (DT), implémentation de la décision (DI) et évaluation de la décision (DE). La phase DO est subdivisée en trois bases fortement interconnectées: données (d), contexte (c) et problématique (i). La phase DE correspond à un jugement fait sur une décision ou un processus de décision particulier. Par conséquent, elle peut être considérée comme une autre fontaine décisionnelle caractérisée par ses propres DO, DA, DT, DI et DE qui pourraient partager des éléments (connaissance, données, méthodes d’analyse, …) avec la fontaine à l’étude.
3L’analyse du processus décisionnel n’est pas une tâche facile, d’autant plus que les processus décisionnels sont fortement influencés par d’autres décisions prises avant, après, ou simultanément. Des modèles de la fontaine décisionnelle peuvent être employés pour examiner des processus décisionnels. Regarder seulement une fontaine décisionnelle montrera une image statique d’un processus à un moment donné. Une succession de fontaines décisionnelles rendra une vue dynamique d’un processus. Le niveau du détail et de la résolution des images influencera la perception que l’on aura d’un processus de décision particulier.
1.2. Vue lamellaire
4Si l’on « zoome » sur les trois bases en prenant une coupe, d’autres observations peuvent être réalisées sur un processus décisionnel. Les données peuvent être qualifiées, dans une perspective décisionnelle, comme nécessaires, existantes, disponibles (ou sous la main), demandées, devant être collectées, et inutiles (ou non considérées pour une décision particulière). De manière similaire, la connaissance peut être caractérisée comme étant formalisée, théorique, expérimentale, profane, bien établie, ou contradictoire. De même, la connaissance peut être activée ou non. Les objectifs peuvent être clairs (ou établis), cachés (ou secrets), conflictuels, bien définis ou non, faisables (ou hors de portée) ou non. D’autres classifications sont possibles, par exemple Malinowski (1944) identifie quatre types de connaissance : la connaissance bien fondée, la connaissance mystique, la connaissance logico-rationnelle, et la connaissance scientifique.
5Graphiquement, chaque base peut être subdivisée en plus petits morceaux, par exemple selon les différentes bases de données ou selon les différentes bases de connaissances, ou selon les différents objectifs. Perpendiculairement à ces subdivisions, une autre subdivision peut être envisagée pour indiquer la quantité ou la qualité des données, les niveaux d’expérience ou de connaissance, ou l’importance (ou la priorité) des objectifs, des problèmes, et des besoins. Ainsi la forme conceptuellement parfaite du cercle – pour ne pas mentionner la forme conique – s’avère être complètement difforme. L’intégration dans le temps de ces subdivisions permet d’expliquer les changements de préférences entre alternatives. Ce suivi temporel peut lui aussi être réalisé au niveau des coupes. Dans ce cas, le rayon représente la quantité de temps relatif nécessaire pour atteindre un certain niveau (par exemple de connaissance, qualité, etc.). Les superficies sous les limites de niveau représentent la complexité. Ceci peut être employé pour comparer des situations décisionnelles.
6Les modèles de fontaines décisionnelles peuvent être employés par les différents acteurs d’un projet ou d’un plan à différents moments. Les parties prenantes peuvent l’employer pour expliquer clairement le type de la participation (collecte des données, prise de décision, …) qu’ils attendent du public : les concepteurs pour identifier les informations manquantes nécessaires à la préparation d’une proposition ; les experts pour expliquer par exemple l’utilité d’activer et de recueillir plus de connaissance. En d’autres termes, chaque acteur peut l’employer pour identifier et exprimer sa convergence et divergence avec d’autres acteurs.
2. Participation publique dans une perspective décisionnelle
7Les méthodes participatives peuvent être définies comme étant des outils aidant à la prise de décision par un élargissement des processus aux individus ou groupes impliqués. D’un point de vue politique, des méthodes participatives peuvent être rencontrées dans les trois familles de l’organisation politique (monarchie, oligarchie et démocratie) – bien qu’elles pourraient être fortement contrôlées ou incompatibles avec certains types d’organisations (par exemple despotisme et tyrannie). En fait, les méthodes participatives, tout comme d’autres méthodes, ne garantissent pas l’honnêteté de leur utilisation. Qui seront les individus ou les groupes invités à participer à de telles méthodes ? Quels niveaux et types de participation seront demandés ? Quand ces techniques seront-elles employées ? Avant, après ou pendant la prise de décision ? La raison d’augmenter le nombre d’intervenants résulte de la nécessité de mobiliser de l’information (avis, connaissance, données) ou de la volonté de favoriser l’acceptabilité ou la légitimité sociale d’une décision. En d’autres termes, les outils participatifs sont utilisés pour réduire les erreurs décisionnelles qu’elles soient scientifiques, techniques, culturelles, politiques ou humaines. Par conséquent, la mise en place de méthodes participatives dans le domaine public des processus décisionnels suggère que l’efficacité d’un processus de prise de décision sera amélioré. Cependant, dans la pratique, il est très difficile de définir ce que signifie réellement l’efficacité. Le fait d’avoir plus de personnes impliquées peut de fait améliorer la qualité de la décision, mais en même temps cela réduit le contrôle des individus sur une décision. Ceci peut expliquer que les décideurs ont des réticences vis-à-vis de telles méthodes, qu’ils identifient comme risquées. Cela suggère également qu’il n’y ait aucune décision préétablie et que l’espace de décision est encore ouvert. Dans des décisions publiques, des méthodes participatives ont été employées pour approcher des problèmes spécifiques caractérisés par leur complexité et une grande incertitude aux niveaux scientifiques et sociaux (par exemple biotechnologie, la maladie de la vache folle, gestion du territoire ou changement global). Pour ce genre de problématique, la prise de décision traditionnelle basée seulement sur l’expertise scientifique et la rationalité semble désormais ne plus être appropriée.
8La participation publique peut être rencontrée aux différentes phases du processus décisionnel (DO-d, DO-c., DO-i, DA, DT, DI, DE). Plus le public est impliqué dans les différentes phases, meilleures sont les chances d’acceptation d’une décision. D’autre part, plus la participation est grande, plus c’est difficile à gérer.
9Si l’on s’attarde sur les raisons de recourir aux méthodes participatives, le développement suivant peut être fait. Un processus décisionnel légitime est un processus qui a été conduit de façon à laisser satisfaits les individus ou les groupes concernés dans la mesure où leurs intérêts ou valeurs ont été pris en considération. En d’autres termes, la légitimité mesure l’acceptabilité politique et sociale d’une décision. Dans cette perspective, des méthodes participatives peuvent être employées en tant que baromètre politique pour indiquer et évaluer l’acceptabilité sociale des décisions ou de projets publics spécifiques. En termes de mobilisation d’information, les outils participatifs sont juste un des outils disponibles pour rassembler l’information. Habituellement, le type d’information collecté est de l’information profane par opposition à l’information scientifique ou experte ; bien que, des méthodes participatives puissent être utilisées avec des scientifiques et des experts. Cette dichotomie est soulignée en parlant de la connaissance. En outre, une hiérarchie forte est généralement faite entre les connaissances scientifiques et profanes, la première ayant une plus grande autorité assumée que la dernière. Cependant, la connaissance profane peut être définie comme une connaissance contextualisée tenant compte des dispositifs ignorés ou exclus des modèles scientifiques. Ainsi, l’information fournie par les méthodes participatives devrait être prise en compte indépendamment de l’origine scientifique ou profane des individus ou des groupes impliqués. En outre, la combinaison des différents types d’information peut améliorer la qualité du processus décisionnel dans son entièreté [Balancier (2003)].
10Octobre 2005
Références
11Balancier P. (éd.) (2003), Aménagement et participation, Les cahiers de l’urbanisme, Hors-Série, avril.
12Cornélis B. (1998), Managing decision in spatial decision support systems, 1st AGILE Conference, Enschede, Pays-Bas, p. 1-7, http://www.agile-online.org.
13Cornélis B. (2002), A spatial perspective on decision-making methods and processes in Mateu J. et Montes F. (éd.), Spatial Statistics through Applications, Southampton : WIT Press, Advances in Ecological Sciences Series, Vol. 13, 1ère édition, p. 1-19.
14Cornélis B. et Brunet S. (2002), A policy-maker point of view on uncertainties in spatial decisions, in Shi W., Fisher P.F. et Goodchild M.F. (éd.), Spatial Data Quality, Londres : Taylor et Francis, p. 168-185.
15Cornélis B. et Viau A.A. (2000), Decision processes with regard to drought monitoring and mitigation in Vogt J.V. et Somma F. (éd.), Drought and drought mitigation in Europe, Dordrecht : Kluwer Academic Publishers, Advances in natural and technological hazards research Series, Vol. 14, p. 279-290.