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- Cahier n°14
- Les relations « in house » : un pas de plus dans une direction délicate (obs. sous C.J.C.E., 11 mai 2006, Carbotermo, aff. C-340/04, concl. C. Stix-Hackl).
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Les relations « in house » : un pas de plus dans une direction délicate (obs. sous C.J.C.E., 11 mai 2006, Carbotermo, aff. C-340/04, concl. C. Stix-Hackl).
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11. Présentation. L’interprétation dite fonctionnelle des paramètres d’application du droit dérivé des marchés publics par la Cour de justice est plus complexe qu’il n’y paraît1. Ces dernières années, le paramètre personnel (ou critère organique) est très certainement celui qui a donné lieu à la jurisprudence la plus abondante2.
2Il comporte deux volets : une entité qui commande et une entité qui exécute une prestation économique. La cohérence du système d’interprétation du critère organique présente certaines failles. En effet, la qualité de prestataire est reconnue à certaines entités publiques afin de les mettre en concurrence avec des entreprises privées. Cette interprétation implique la reconnaissance qu’elles accomplissent une activité économique (2e volet), en dépit du soin pris par la Cour de justice pour démontrer qu’il ne pouvait en être ainsi lorsqu’il s’agissait de préciser la nature des besoins qui présidaient à la création de certaines entités sous maîtrise publique (1er volet), facteur permettant d’échapper à l’emprise du droit dérivé3.
3Plus fondamentalement, l’interprétation du critère organique par la Cour de justice met en lumière une nouvelle dimension du droit dérivé des marchés publics. Ce dernier est devenu un outil de privatisation en creux d’une discrétion inédite, redoutable tant il est délicat à circonscrire dans ses implications pratiques.
4Après avoir rappelé les différentes applications de la théorie dite des relations « in house » en droit dérivé des marchés publics et en droit primaire (I), les principaux enseignements de l’arrêt sont commentés (II).
I. Les relations contractuelles entre pouvoirs adjudicateurs, le principe de l’application du droit dérivé des marchés publics et du droit primaire
52. Le principe. Désormais, le principe de l’application du droit dérivé des marchés publics aux relations (consensuelles ou contractuelles) qui se nouent entre des pouvoirs adjudicateurs est désormais acquis.
6La solution n’était pas évidente. Les directives 92/50/CEE, 93/37/CEE et 93/38/CEE n’abordaient pas cette question de manière uniforme4. Sous l’angle conceptuel, l’assimilation n’allait pas de soi. Il n’était pas sot de considérer que l’appel au « marché » était limité aux prestations spontanément produites par le marché (et dès lors par des opérateurs économiques privés)5. Au demeurant, la question touche principalement à la liberté d’organisation administrative interne, qui aurait pu être considérée comme une prérogative de puissance publique échappant à la logique du « marché »6. Enfin, la conclusion d’un « accord » entre deux parties publiques est souvent l’exécution d’une disposition légale ou réglementaire ou d’une décision unilatérale prise par des organes démocratiquement élus, situations qui semblaient exclues du champ d’application du droit dérivé des marchés publics7. Il eût été parfaitement concevable que la question fût abordée sur le terrain des droits exclusifs de l’article 86 du Traité CE8, comme le laissait d’ailleurs supposer le 8e considérant de la directive 92/50/CEE. Au demeurant, les instances communautaires semblaient hésitantes sur le sujet. À ce stade, les conditions auxquelles doit répondre une réorganisation administrative9 pour être conforme au droit communautaire et au droit dérivé des marchés publics ne sont pas énoncées clairement.
A. Le principe
73. Le principe de la qualification de marché public. La Cour de justice allait prendre une orientation décisive sur cette question. Les faits dont elle était saisie ne présentaient aucune complexité. Un conseil municipal (de Viano) avait confié à l’AGAC, un groupement de communes italiennes jouissant de la personnalité juridique et doté d’une autonomie de gestion, qui avait pour mission de gérer les services de l’énergie et de l’environnement10, la gestion du service de chauffage de certains bâtiments communaux, sans organiser aucune procédure d’appel d’offres. Teckal, une entreprise privée active dans le domaine des services de chauffage, avait attaqué cette décision devant le « Tribunale amministrativo regionale », en faisant valoir que la commune aurait dû organiser des procédures de passation.
8La juridiction de renvoi s’était interrogée sur l’application des directives 92/50/CEE ou 93/36/CEE, et plus particulièrement sur l’applicabilité de l’article 6 de la directive 92/50/CEE11, en raison de la mixité des missions confiées à l’AGAC. La Cour de justice allait écarter l’application de la directive 92/50/CEE au motif que la valeur des produits était supérieure à celle des services. Or, la directive 93/36/CEE ne contenait pas de disposition analogue à l’article 6 de la directive 92/50/CEE.
9Après avoir qualifié l’AGAC de pouvoir adjudicateur, la Cour de justice décida qu’il suffisait, « en principe, que le marché ait été conclu entre, d’une part, une collectivité territoriale et, d’autre part, une personne juridiquement distincte de cette dernière » pour entraîner la qualification de marché public.
10Il ne pouvait en aller autrement que dans l’hypothèse où « à la fois, la collectivité territoriale exerce sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et où cette personne réalise l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent ».
11Elle allait conclure que la directive du Conseil 93/36/CEE, du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de fournitures, était applicable lorsqu'un pouvoir adjudicateur, telle une collectivité territoriale, envisage de conclure, par écrit, avec une entité distincte de lui au plan formel et autonome par rapport à lui au plan décisionnel, un contrat à titre onéreux ayant pour objet la fourniture de produits, que cette entité soit elle-même un pouvoir adjudicateur ou non12.
B. L’exception au principe, la voie étroite de l’« in house »
124. La voie étroite pour les relations entre pouvoirs adjudicateurs, hors droit communautaire des marchés publics. La Cour de justice avait réservé une voie étroite pour les relations entre pouvoirs adjudicateurs ayant une personnalité juridique distincte, mais dans des termes qui laissaient perplexes.
13D’une part, la Cour de justice adoptait une position de principe, celle de l’application du droit communautaire dérivé des marchés publics à une relation entre pouvoirs adjudicateurs, en ne s’appuyant ni sur le droit dérivé, ni sur les travaux préparatoires de celui-ci.
14D’autre part, les principes de droit administratif généralement reçus dans certains États membres et les modes de gestion des services publics habituellement utilisés par les pouvoirs publics méritaient, sans doute, plus d’égards.
15Si la sécurité juridique constitue un standard de droit communautaire, des précisions devaient être apportées sans attendre car cette jurisprudence suscitait bien des interrogations.
16Fallait-il adopter une interprétation large ou étroite de ce type de contrôle « analogue à celui… » qui permettait de réserver une relation entre pouvoirs adjudicateurs hors réglementation « marché publics » ?
17La solution Teckal impliquait en effet la coexistence, d’une part, de l’octroi de la personnalité juridique et, d’autre part, d’un contrôle, qui pouvait faire penser à un contrôle de « type hiérarchique » ou de « tutelle ». Or, l’octroi de la personnalité juridique s’accompagne, la plupart du temps, de la volonté de réserver une autonomie plus grande à l’entité créée, volonté qui, par définition, implique la mise en place d’un contrôle administratif (ou d’une autre nature) plus respectueux de l’autonomie de décision et de gestion sur l’entité dotée d’une personnalité juridique.
18Les contrôles hiérarchiques et de tutelle faisaient-ils partie de ceux qui permettent de rentrer dans le cadre étroit d’une relation « in house » ?
19Avec le Professeur Déom, il nous semble important de préserver le rapport d’analogie, qui ne peut, sous le voile d’un système d’interprétation fonctionnelle, se transformer en un rapport d’identité13. D’autant plus que le processus d’association implique presque nécessairement que chaque associé ne puisse, à lui seul, contrôler l’entité à laquelle il participe.
20Comment appliquer la solution Teckal à une association de pouvoirs adjudicateurs avec création de personnalité juridique, soit au travers d’une structure publique, soit au travers d’une structure capitalistique ou associative, et aux relations qui se nouent entre les associés et l’association ou la société ?
21Les associés faisant appel à l’association, dans le respect de son objet social, sont-ils dans le cadre d’une relation « in house » ou d’une relation d’un autre type ? La réalisation de l’objet social peut-elle être considérée, in se, comme un marché public ? Que signifie au juste « réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent » ? Cette expression limite-t-elle la portée de la théorie de l’« in house » à des activités ou services réalisés au bénéfice des associés ou entités créatrices, à l’exclusion des activités et services prestés au bénéfice de tiers ?
22Est-il raisonnable de remettre en cause de cette manière la légalité de nombreuses institutions publiques, sans autre précision ? Faut-il attendre vingt années de jurisprudence pour comprendre les finesses de la théorie de l’« in house », aujourd’hui à peine ébauchée par la Cour ?14
235. Confirmation de la jurisprudence Teckal. Les conséquences de cette jurisprudence sont délicates à anticiper. Elle place les pouvoirs adjudicateurs qui exercent une activité économique dans une situation difficile lorsqu’ils participent à des procédures de passation de marché public, comme l’illustre une seconde affaire rendue sur ce sujet15. Il est de pratique courante de concourir à l’attribution d’un marché public en « sous-traitant » certaines prestations à des tiers. Un soumissionnaire, logiquement, noue des contacts avec certains sous-traitants potentiels avant la rédaction de son offre, puisque les conditions de celle-ci doivent intégrer l’intervention de tous les tiers, en vue de la parfaite exécution du marché. Ceci est tellement évident que la plupart des pouvoirs adjudicateurs exigent, dès le stade de l’appréciation des capacités techniques, économiques et financières, que l’adjudicataire fournisse des renseignements sur ses sous-traitants. En l’espèce, le nom des sous-traitants devait être communiqué dès la remise de l’offre. Très logiquement donc, la ville de Munich, exploitante de la centrale thermique de Munich-Nord, avait conclu avec une entreprise privée, en abrégé « Rethmann », un contrat par lequel elle s’engageait à lui confier le transport de déchets si la ville obtenait le marché d’élimination des déchets de la région de Donauwald faisant l’objet d’un appel d’offres auquel elle avait répondu.
24Ayant été désignée adjudicataire du marché en question, la ville confia le transport à la société « Rethmann », sans organiser de procédure conforme à la directive 92/50/CEE, applicable à l’époque. Une procédure en manquement fut diligentée par la Commission européenne, qui reprochait cette absence de mise en concurrence. Le Gouvernement allemand entendait écarter la qualification de marché public à l’opération litigieuse, pour diverses raisons16. D’une part, il considérait que la ville n’était pas un pouvoir adjudicateur en l’espèce, puisque l’exploitation d’une centrale thermique était une activité économique indépendante soumise à la concurrence. D’autre part, compte tenu de la nécessité de communiquer le nom de ses sous-traitants pour justifier de sa capacité technique, la ville ne pouvait pas appliquer le droit des marchés publics. En effet, la concurrence implique que les opérateurs économiques ignorent l’identité des entreprises qui vont remettre une offre. Or, en respectant le droit dérivé, la ville aurait dû révéler son intention de soumissionner17.
25La Cour de justice a été très peu sensible à ces arguments. Retenant que la ville de Munich est une collectivité territoriale, et donc un pouvoir adjudicateur, elle considère qu’il importe peu que le marché soit passé pour accomplir sa mission d’intérêt général ou pour d’autres besoins. D’autant que, selon la Cour, lors de l’attribution du contrat de sous-traitance, la ville pouvait se laisser guider par des considérations autres qu’économiques. La Cour estime, en réponse à la deuxième objection, que la ville aurait pu passer une procédure accélérée pour choisir son sous-traitant entre le lancement de l’appel d’offres et le dépôt de son offre, passant manifestement à côté du problème de fond.
26Les deux réponses de la Cour de justice ne nous semblent guère convaincantes.
27D’une part, la simple circonstance que la ville de Munich participe à une procédure de mise en concurrence organisée dans le cadre de la passation d’un marché public, en compétition donc avec des entreprises privées, est, en soi, dans le paradigme concurrentiel qui sous-tend l’interprétation du droit communautaire et singulièrement du droit dérivé des marchés publics, une pression suffisante pour évacuer le risque de choisir un sous-traitant pour des « raisons non économiques ». Pour être compétitive par rapport à ses concurrents privés, la ville doit nécessairement s’inscrire dans une logique de marché.
28D’autre part, la participation à un appel d’offres restreint, même selon une procédure accélérée, a un coût. Il n’est pas certain que les entreprises se précipitent sur cette aubaine aléatoire (éventualité de l’obtention du marché par le pouvoir public). Sous l’angle pratique, l’application du droit dérivé des marchés publics à des rapports juridiques futurs hypothétiques ne va pas de soi18.
29La première application de la jurisprudence Teckal met en évidence le caractère discriminatoire et incohérent du système d’interprétation du droit dérivé des marchés publics.
306. Les opérations « in house » et l’économie mixte19. La jurisprudence Teckal réservait bien d’autres surprises aux États membres.
31Afin de réaliser un traitement préalable, une valorisation et une élimination de ses déchets, la ville de Halle a décidé de confier à une société publique20, en abrégé « RPL », la mise en œuvre de la construction de l’installation thermique d’élimination et de valorisation de Lochau. Parallèlement, la ville a ouvert une négociation avec la même société, en vue de lui confier, par contrat, l’évacuation de certains déchets, sans appliquer le droit communautaire dérivé des marchés publics. En vue de garantir l’utilisation quantitative de l’installation, la ville de Halle envisageait de conclure avec des collectivités territoriales voisines des conventions, afin que la société « RPL » accomplisse les mêmes tâches pour elles. La ville de Halle prétendait que l’opération était « interne » au sens de la jurisprudence Teckal.
32Les opérations ont été attaquées dans leur ensemble en raison d’une violation du droit communautaire dérivé des marchés publics21. L’avocat général va rappeler la jurisprudence Teckal, en insistant sur les buts des directives : « l’ouverture du marché »22 et la « préservation de la concurrence ».
33L’avocat général propose de distinguer trois cas de figure « de passation de marché quasi interne : passation de marché avec des sociétés propres (sociétés avec une participation de 100 % du pouvoir adjudicateur ou d’entités qui lui sont assimilables), des sociétés publiques mixtes (sociétés auxquelles participent plusieurs pouvoirs adjudicateurs) et des sociétés d’économie mixte (sociétés auxquelles participent également de véritables personnes privées) ».
34La présente affaire concerne donc une « société d’économie mixte », soit une société avec participation majoritaire d’un pouvoir adjudicateur et participation d’un tiers n’ayant pas le statut de pouvoir adjudicateur. L’avocat général va analyser la condition de « contrôle analogue », d’une part, en insistant sur le fait que le rapport d’analogie suppose que le contrôle soit comparable et non identique, et, d’autre part, en l’appliquant à une société. Il insiste sur la nécessité d’examiner l’aménagement concret de la situation, en admettant que l’exception tirée de la jurisprudence Teckal doit pouvoir s’appliquer même en cas de participation privée minoritaire dans la société. Le juge national doit se baser sur les droits de contrôle de l’entité, et non pas seulement sur le contrôle de certaines décisions. Le contrôle doit être complet et non limité à des décisions stratégiques.
35La deuxième condition de l’« in house », autrement dit l’accomplissement de l’essentiel de l’activité avec le détenteur des participations, doit, selon l’avocat général, être appréciée en tenant compte non seulement des titulaires de participations directes, mais également des propriétaires indirects, en l’espèce la société « arrière-grand-mère », réserve faite, cependant, des prestations à des tiers que l’associé aurait, sinon, dû fournir lui-même23.
36Le seuil critique reste problématique : faut-il plus de 50 % de l’activité ou bien une proportion notable ou presque exclusive ? L’avocat général ne répond pas à cette question, mais ajoute un élément d’appréciation pour pouvoir y répondre, en incluant une approche qualitative24 à l’approche quantitative imprécise. L’avocat général indique que le juge doit « évaluer le caractère essentiel des activités au moyen d’éléments quantitatifs et qualitatifs. La position sur le marché de l’entité contrôlée, c’est-à-dire en particulier sa situation concurrentielle par rapport à d’éventuels concurrents pourrait d’ailleurs également jouer un rôle25 », nous le supposons, pour autant que le juge comprenne le conseil. Il nous semble, à bien des égards, mystérieux !
37Dans un style plus précis et tranché, la Cour va réaffirmer la jurisprudence Teckal. La Cour de justice reformule la série de questions et estime qu’il lui est demandé en substance si, « dans l’hypothèse où un pouvoir adjudicateur a l’intention de conclure, avec une société de droit privé juridiquement distincte de celui-ci, dans le capital de laquelle il détient une participation majoritaire et sur laquelle il exerce un certain contrôle, un contrat à titre onéreux portant sur des services qui relèvent du champ d’application matériel de la directive 92/50, il est toujours tenu d’appliquer les procédures d’appel d’offres public prévues par cette directive du seul fait qu’une entreprise privée détient une participation, même minoritaire, dans le capital de cette société cocontractante »26. En cas de réponse négative à cette question, la juridiction de renvoi demande sur la base de quels critères il y a lieu de considérer que le pouvoir adjudicateur n’est pas soumis à une telle obligation.
38La Cour va retenir la définition de la société d’économie mixte proposée par son avocat général. Rappelant l’objectif principal des règles communautaires en matière de marchés publics, « à savoir la libre circulation des services et l’ouverture à la concurrence non faussée dans tous les États membres », et la définition du soumissionnaire dans la directive 92/50/CEE, qui inclut les organismes de droit public qui offrent des services27, la Cour insiste sur l’interprétation stricte de toute exception à ce principe. La Cour rappelle la solution Teckal, en soulignant que « le cocontractant dans cette affaire était un groupement constitué par plusieurs pouvoirs adjudicateurs, auquel participait également le pouvoir adjudicateur en cause ».
39La Cour considère qu’« une autorité publique, qui est un pouvoir adjudicateur, a la possibilité d’accomplir les tâches d’intérêt public qui lui incombent par ses propres moyens, administratifs, techniques et autres, sans être obligée de faire appel à des entités externes n’appartenant pas à ses services ». Dans pareille hypothèse, il ne peut pas être question de contrat à titre onéreux conclu avec une entité juridiquement distincte du pouvoir adjudicateur et, dès lors, il n’y a pas lieu d’appliquer les règles communautaires en matière de marchés publics.
40S’inscrivant dans le prolongement de sa jurisprudence antérieure, la Cour rappelle qu’il « n’est pas exclu qu’il puisse y avoir d’autres circonstances dans lesquelles l’appel à la concurrence n’est pas obligatoire même si le cocontractant est une entité juridiquement distincte du pouvoir adjudicateur », notamment dans l’hypothèse où l’autorité publique, qui est un pouvoir adjudicateur, exerce sur l’entité distincte en question un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et où cette entité réalise l’essentiel de son activité avec la ou les autorités publiques qui la détiennent28. Il convient de rappeler que, dans le cas précité, l’entité distincte était entièrement détenue par des autorités publiques. La Cour indique cependant que « la participation, fût‑elle minoritaire, d’une entreprise privée, dans le capital d’une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause, exclut en tout état de cause que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ».
41La Cour justifie cette solution en rappelant tout d’abord « que le rapport entre une autorité publique, qui est un pouvoir adjudicateur, et ses propres services, est régi par des considérations et des exigences propres à la poursuite d’objectifs d’intérêt public », alors que « tout placement de capital privé dans une entreprise obéit à des considérations propres aux intérêts privés et poursuit des objectifs de nature différente ». Ensuite, selon la Cour, « l’attribution d’un marché public à une entreprise d’économie mixte sans appel à la concurrence porterait atteinte à l’objectif de concurrence libre et non faussée et au principe d’égalité de traitement des intéressés visé à la directive 92/50, dans la mesure où, notamment, une telle procédure offrirait à une entreprise privée présente dans le capital de cette entreprise un avantage par rapport à ses concurrents ». La réponse est limpide : « dans l’hypothèse où un pouvoir adjudicateur a l’intention de conclure un contrat à titre onéreux portant sur des services qui relèvent du champ d’application matériel de la directive 92/50 avec une société juridiquement distincte de lui, dans le capital de laquelle il détient une participation avec une ou plusieurs entreprises privées, les procédures de passation de marchés publics prévues par cette directive doivent toujours être appliquées ».
42La solution a été réaffirmée dans l’arrêt Mölding29. Dans cette affaire, la Cour de justice a apprécié un ensemble d’actes juridiques distincts (création d’une structure publique, octroi d’un droit d’exclusivité, cession de 49 % des parts à un actionnaire privé), accomplis dans un laps de temps, il est vrai, relativement court, au regard du droit dérivé des marchés publics. En d’autres termes, la Cour de justice a apprécié la légalité du processus d’attribution en tenant compte d’évènements postérieurs à celle-ci parce qu’ils démontraient l’absence des conditions posées pour les relations « in house » (perte du contrôle analogue par la cession des parts au privé, dont la présence influence nécessairement la gestion). Cependant, la Cour indique également que les opérations distinctes offrent à l’entreprise privée présente dans le capital un avantage par rapport à ses concurrents30. La Cour de justice aurait probablement adopté une position différente si, dans la même structuration juridique, la cession des parts à un partenaire privé avait été réalisée au terme d’une procédure de mise en concurrence en dehors de celles prévues par le droit dérivé des marchés publics.
43Les incertitudes liées à cette théorie jurisprudentielle sont nombreuses. À vrai dire, la jurisprudence de la Cour de justice est essentiellement ambiguë, un peu comme si elle n’osait pas aller jusqu’au bout d’une certaine logique. Ainsi, elle va reconnaître dans l’arrêt examiné au point II que « la circonstance que le pouvoir adjudicateur détient, seul ou ensemble avec d’autres pouvoirs publics, la totalité du capital d’une société adjudicataire tend à indiquer, sans être décisive, que ce pouvoir adjudicateur exerce sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, au sens du point 50 de l’arrêt Teckal »31. Mais sitôt admis, considère-t-elle que les mécanismes de droit commun des sociétés ne suffisent pas. Seule précision significative32, « pour apprécier si une entreprise réalise l’essentiel de son activité avec la collectivité qui la détient (…), il convient de tenir compte de toutes les activités que cette entreprise réalise sur la base d’une attribution faite par le pouvoir adjudicateur et ce, indépendamment de savoir qui rémunère cette activité, qu’il s’agisse du pouvoir adjudicateur lui-même ou de l’usager des prestations fournies, le territoire où l’activité est exercée étant sans pertinence ».
447. Entreprise publique concessionnaire. Les relations économiques entre des entités publiques doivent être reconsidérées à l’aune du droit communautaire et du droit dérivé des marchés publics. La théorie de l’« in house »a été étendue aux contrats de concession de service sur base du droit primaire.
45L’arrêt Coname33, relatif à une concession de gestion du service de distribution du gaz34, s’inscrit sans nul doute dans la mouvance de la théorie de l’« in house ». Le litige s’est noué entre, d’une part, la société Coname et, d’autre part, une commune italienne qui avait attribué un service portant sur la gestion, la distribution et l’entretien des installations de distribution de gaz méthane. La législation italienne autorisait les entités publiques à rendre elles-mêmes ce service, ou à le faire exécuter par des tiers ou par l’intermédiaire d’une société à capital public majoritaire dont elles conservaient la majorité, la participation d’autres opérateurs publics et privés étant ouverte dans son principe35. Pour la période du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2000, la société Coname était liée à la commune par un contrat portant sur l’entretien, la direction et la surveillance du réseau de gaz méthane. Pour la période du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2005, la commune a informé la société Coname qu’elle avait changé de prestataire, accordant désormais la concession à la société Padania, société à capitaux majoritairement publics détenus par la province de Cremona ainsi que par presque toutes les communes de cette province, et dans laquelle la commune « concédante » détenait une participation à hauteur de 0,97 %. L’attribution de la concession avait eu lieu en application de la législation italienne, sans mise en concurrence36. Cette attribution directe a été contestée par la société Coname devant les juridictions italiennes. Une question préjudicielle portant sur la conformité de cette attribution directe dans le cas d’espèce au regard des articles 43, 49 et 81 du Traité CE37 a été posée à la Cour de justice.
46Après avoir situé le débat dans le cadre du droit primaire, la Cour de justice va d’emblée considérer que l’attribution directe, en l’absence de toute transparence, est constitutive d’une différence de traitement au détriment de l’entreprise située dans l’autre État membre, cette dernière étant dans l’impossibilité de manifester son intérêt pour obtenir la concession.
47La Cour de justice s’attache ensuite à rechercher si cette différence de traitement peut être justifiée par des circonstances objectives, comme par exemple un enjeu économique très réduit38. À défaut, la Cour de justice suggère de vérifier si l’attribution de la concession répond à des exigences de transparence qui, sans nécessairement impliquer une obligation de procéder à un appel d’offres, permettent la manifestation d’intérêt au contrat d’une entreprise située sur le territoire d’un autre État membre. Si tel n’est pas le cas, la différence de traitement est établie.
48La Cour de justice fournit de précieuses indications sur les circonstances objectives qui peuvent justifier une différence de traitement. Elle exclut la participation de la commune à la hauteur de 0,97 %, qui, à elle seule, n’est pas significative. En réservant, par contre, la nécessité d’exercer un contrôle sur le concessionnaire gérant le service public, elle souligne à juste titre que la participation en l’espèce ne permet pas pareil contrôle. Lors de l’audience, le Gouvernement italien a tenté de faire valoir que la formule proposée était justifiée par la circonstance que les communes ne disposaient pas de moyens suffisants pour gérer en interne ce service public, raison pour laquelle elles s’étaient associées dans une structure. La Cour de justice ne va pas condamner le principe de cette formule d’association, mais souligne qu’en l’espèce, la structure ne peut être considérée comme un service interne en raison de son ouverture au capital privé. Au terme de cette analyse, la violation des articles 43 et 49 du Traité CE s’imposait, la différence de traitement n’étant pas justifiée par des circonstances objectives.
498. La théorie de l’« in house » dans le cadre des concessions. Avec l’arrêt Brixen39, la théorie de la relation « in house » s’étend au droit communautaire des contrats de concession (et sans doute d’autres contrats publics). Une commune a décidé de gérer ses parkings publics au moyen d’une entreprise publique dont elle devait statutairement conserver la maîtrise40. Le conseil d’administration disposait d’une large autonomie de gestion, pouvant conclure, sans l’accord de ses actionnaires, des transactions inférieures à 5.000.000 €. Logiquement donc, la ville entendait faire réaliser et gérer, par l’entreprise, des parkings. Le système de rémunération organisé (perception des taxes de stationnement et versement complémentaire) a induit la qualification de concession pour une opération particulière, qui a été attaquée par un concurrent privé. Se posait dès lors la question de savoir si la « concession » pouvait être attribuée sans autre précaution à la société publique. Dans le prolongement de l’arrêt Telaustria41, de l’interdiction du principe de non-discrimination et des libertés fondamentales prévues aux articles 43 et 49 du Traité CE, mais également, et cela constitue une nouveauté, de l’article 86, § 1, du Traité CE, la Cour de justice va admettre l’application de la jurisprudence Teckal aux concessions de services. Dans le cas d’espèce, la Cour considère que la société a acquis une vocation de marché qui rend précaire le contrôle de la commune. Elle retient la forme de la société anonyme, l’élargissement de l’objet social (transport de personnes, de marchandises, informatique et télécommunications) et l’étendue de ses activités (épuration d’eau, fourniture de chauffage et d’énergie, élimination de déchets et construction de routes), l’ouverture obligatoire, à terme, à d’autres capitaux, l’expansion du domaine territorial des activités de la société à toute l’Italie et à l’étranger, et les pouvoirs considérables attribués au conseil d’administration.
50Cette affaire illustre les excès que la théorie de l’« in house » entend combattre et dessine, a contrario, les contours d’une relation « in house » qui ne pose pas de difficulté au regard du droit dérivé des marchés publics : statut public, objet social précis et limité, contrôle effectif d’une collectivité publique bénéficiant d’une légitimité démocratique. Ce n’est qu’à ces conditions que l’initiative privée et une concurrence libre et non faussée, selon la Cour de justice, peuvent être préservées. La Cour a confirmé cette jurisprudence42. Mais de nombreuses questions pratiques restent sans réponse.
II. L’arrêt de la Cour de justice du 11 mai 2006, Carbotermo, aff. C-340/04, concl. C. Stix-Hackl
519. Les faits. Une commune (Comune di Busto Arsizio), après avoir lancé un appel d’offres en vue de l’attribution d’un marché43 portant sur la fourniture d’énergie ainsi que pour l’entretien et la remise à niveau réglementaire et technique des installations de chauffage des bâtiments municipaux, a renoncé à cette voie44. Elle s’est réservé la faculté d’attribuer ultérieurement le marché de gré à gré à AGESP SpA (ci-après «AGESP»), société entièrement détenue par la AGESP Holding SpA45 (société anonyme dont le capital social est détenu à 99,98 % par la commune). Conformément à l'article 6 des statuts de AGESP Holding SpA, la majorité des actions était réservée à la commune, le reste étant détenu par des communes voisines de la même province. Elle mit en œuvre cette faculté le 18 décembre 2003.
52L’ensemble du processus décisionnel a été attaqué par les sociétés Carbotermo et Alisei, soumissionnaires dans le cadre de la première procédure, devant le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia. Cette juridiction a posé deux questions à la Cour à titre préjudiciel46.
53Cette nouvelle affaire concerne donc l’interprétation et l’application des critères développés dans les affaires Teckal, Stadt Halle, RPL Lochau et Parking Brixen47.
A. Les conclusions de l’avocate générale48
5410. Un constat et une invitation courageux. L’avocate générale ne s’y trompe pas. Tout en réservant son intervention à l’interprétation du droit applicable (à l’exclusion du paquet législatif), elle reconnaît que la jurisprudence de la Cour de justice contient de nombreuses notions floues difficiles à appliquer49. Arguant de la multiplication des procédures, elle invite la Cour de justice à clarifier de manière générale sa jurisprudence ou à la revoir, fait tout à fait exceptionnel.
55Elle n’hésite pas à emprunter le voie d’un réexamen général du critère du contrôle analogue, prenant soin de distinguer la présente affaire des précédentes : absence de participation d’entreprise privée, statut de la société (société anonyme) et enfin, attribution du marché à une sous-filiale de la collectivité territoriale en cause. Il s’agissait, en quelque sorte, d’un partenariat public-public50.
5611. Le critère du contrôle analogue se décline en questions multiples. Le droit dérivé s’applique-t-il à pareille situation ? C’est, en effet, cette question de principe que la jurisprudence, dans son dernier état, laisse dans l’ombre, ou, plus exactement, à laquelle elle donne des éléments de réponse difficiles à réconcilier, comme l’explique parfaitement l’avocate générale.
57Faut-il interpréter comme une reconnaissance tacite d’application, le fait que la Cour de justice a déjà vérifié si les critères de Teckal étaient remplis dans des hypothèses de participations indirectes (Stadt Halle et RPL Lochau) ?51
58Faut-il, au contraire, déduire de l’exigence de réalisation de l’essentiel de son activité avec la ou les pouvoirs adjudicateurs qui la détiennent que l’échange de prestations doit avoir lieu directement entre ces deux entités ?
59Ou faut-il, alors, déduire que cette exigence ne peut être posée lorsque les participations sont indirectes ?
60Si l’exigence persiste, le contrôle analogue doit-il exister à toutes les étapes de la participation ?
61Comment, au demeurant, apprécier concrètement le contrôle analogue lorsqu’il est exercé par plusieurs entités publiques ?
62Sur cette dernière question, l’avocate générale va proposer une analyse qui consiste à apprécier la coïncidence des intérêts, rejoignant l’approche de l’avocat général Kokott dans ses conclusions du 1er mars 2005 dans l’affaire Parking Brixen52, coïncidence d’intérêts qui peut ne pas toujours être présente entre les différents pouvoirs adjudicateurs53.
63L’avocate générale va opter pour une application de la solution Teckal en cas de participations publiques multiples et indirectes54.
64L’appréciation in concreto de l’exigence du contrôle analogue, dans la ligne de l’arrêt Bruxen, implique, sans surprise mais sur un mode un peu trop général, que « l’entité contrôlée ne dispose que d’une certaine autonomie par rapport à ses actionnaires ».
65Que déduire de l’ouverture du capital aux particuliers ? La Commission était claire, cette circonstance empêchait de considérer que l’exigence du contrôle était remplie. L’avocate générale hésite sur l’interprétation de l’arrêt Brixen et revient sur le contexte particulier de l’arrêt Mödling. Elle semble moins radicale que la Commission sur le principe55 et envisage l’application de la voie de l’« in house » lorsque l’ouverture au capital est prévue.
66La réponse implique de considérer la configuration concrète des rapports entre une société et la sous-filiale, ainsi qu’entre une société-mère et sa filiale, en vertu du droit applicable et des conventions existantes56. La transformation d’un établissement propre en société anonyme est un élément qui doit être considéré ainsi que les droits de et possibilités de contrôle concrets des actionnaires57 sur la gestion de la société (pouvoir de donner des instructions, de tutelle, de nomination).
67Le juge national devra se contenter de ces indications générales pour se prononcer sur le cas d’espèce.
68La conclusion intermédiaire58 de l’avocate générale est claire :
69« le critère du contrôle analogue à celui exercé sur leurs propres services peut en principe également être rempli par des entreprises publiques mixtes. C’est au juge national qu’il incombe d’apprécier les circonstances concrètes de l’affaire au principal. Il doit en l’espèce prendre en considération les circonstances suivantes : les intérêts des actionnaires ; la transformation de l’«entreprise municipalisée» en une société anonyme ; le fait qu’il n’était pas prévu de manière contraignante d’ouvrir la société à d’autres capitaux et qu’une telle ouverture n’a pas eu lieu ; la possibilité pour AGESP d’ouvrir des succursales même à l’étranger ; la possibilité d’influencer les nominations au conseil d’administration et de contrôler la gestion ; les pouvoirs du conseil d’administration d’AGESP ainsi que la circonstance que la commune détient des participations indirectes dans AGESP par l’intermédiaire d’AGESP Holding SpA ».
7012. Le deuxième critère. Elle n’hésite pas à inviter la Cour de justice à revoir ses explications et positions antérieures, critiquées par de nombreux commentateurs et, laisse ouverte la possibilité d’envisager le deuxième critère de l’arrêt Teckal, l’essentiel de l’activité réalisée avec le détenteur des participations, qui n’a pas encore été examiné par la Cour.
71Elle limite son examen à l’aspect le plus délicat de ce second critère : comment l’apprécier entre la sous-filiale et la société qui la détient indirectement ?59 Comment un pouvoir adjudicateur peut-il concrétiser le caractère essentiel des prestations et choisir entre les possibilités existantes entre « plus de 50 % » et « quasi exclusivement » ? S’agit-il d’un seuil quantitatif ou qualitatif ? Arguant de la version italienne de l’arrêt Teckal, « la parte più importante della propria attività », l’approche qualitative n’est pas exclue, le chiffre d’affaires est donc, à lui seul, insuffisant. Le seuil de 80 % de la directive 93/38/CE, limité aux prestations de services, avait le mérite d’être clairmais ne peut être transposé tel quel aux marchés publics relevant de secteurs non spéciaux.
72L’appréciation qualitative, plus délicate à cerner, est cependant l’occasion d’une nuance significative : l’avocate générale propose de « déterminer comment et vis-à-vis de qui l’entité contrôlée exerce ses activités. Il y a une différence à cet égard selon qu’il existe un marché pour l’activité de l’entité en cause et si cette entité offre sur ce marché une partie des services fournis à d’autres entités que celle qui exerce le contrôle » arguant du paquet législatif60.
73Elle précise que « cette condition ne doit cependant pas être entendue en ce sens que les services fournis par l’entité concernée doivent être exigés d’entités autres que des organismes publics. En effet, même si pour une marchandise ou une prestation de services, seuls des organismes publics sont demandeurs, cela ne signifie pas encore qu’il n’existe pas de marché. Il peut en effet aussi y avoir plusieurs fournisseurs. L’appréciation des éléments qualitatifs ne dépend par conséquent pas uniquement des rapports de l’entité fournissant des services avec l’entité qui la contrôle, mais, au sens des objectifs de concurrence qui sous-tendent le droit communautaire des marchés publics, également de sa position sur le marché. On se rapprocherait ainsi des cas dans lesquels, en application des directives, des marchés publics peuvent être passés en recourant à une procédure négociée sans publication préalable d’un avis de marché, à savoir lorsque le marché ne peut être confié qu’à un opérateur économique déterminé »61.
74La difficulté ne s’arrête pas là, reste à « clarifier la question de savoir si ce sont les activités effectives qui importent ou s’il y a lieu également de tenir compte de l’objet de l’entreprise contrôlée, par exemple l’objet social tel que prévu par les statuts, et, par conséquent, de toutes les activités que cette entité peut exercer dans l’absolu. Même s’il n’est pas étranger au droit des marchés publics de tenir compte de l’objet d’une entité, une telle approche rendrait toutefois encore plus difficile l’appréciation du caractère essentiel d’une activité, au motif que l’on ne peut fournir à un moment donné d’indications fiables concernant des activités éventuelles – et non certaines – dans l’avenir ».
75Ajoutant encore à la réflexion, l’avocate générale se demande « s’il faut uniquement tenir compte de certaines activités réalisées par une entité ou de l’ensemble de ces activités. On pourrait ainsi entendre le critère du caractère essentiel en ce sens qu’il ne faut tenir compte que du type de prestations devant également être fournies à l’entité qui exerce le contrôle, par exemple la fourniture d’énergie, les autres prestations réalisées par l’entité en cause, telles que l’élimination des déchets, n’étant dans ce cas pas prises en considération et le pourcentage d’activités réalisé dans ce secteur spécifique étant alors le seul pourcentage déterminant »62. Cette solution n’est pas retenue par l’avocate générale car elle aurait immanquablement pour effet d’étendre le champ de l’exception de la voie « in house », contrairement au système d’interprétation stricte constamment privilégié en droit.
76Abandonnant le mode interrogatif, pour un mode affirmatif, l’avocate générale, s’agissant de l’aspect quantitatif, indique qu’il ne peut être tenu uniquement compte du chiffre d’affaires, d’autres indicateurs économiques doivent intervenir, comme « le pourcentage des revenus provenant d’activités effectuées pour le compte de titulaires de participations par rapport à l’ensemble du chiffre d’affaires peut également en principe entrer en ligne de compte. Toutefois, même en ce qui concerne le calcul du pourcentage des revenus ainsi obtenus par rapport à l’ensemble, il y a lieu d’appliquer le principe valable pour le pourcentage du chiffre d’affaires global, à savoir, qu’il ne suffit pas que leur montant dépasse légèrement le montant des autres revenus. Dans les deux cas, il ne s’agit – bien entendu – que de l’aspect quantitatif. »63
77Reste à déterminer la période pertinente pour apprécier le critère, la Cour n’ayant jamais abordé le problème.
78L’avocate générale, à nouveau, n’hésite pas à souligner « l’imprécision du deuxième critère de l’arrêt Teckal et l’incertitude qui en résulte sur le plan du droit apparaissent clairement. Une précision serait par conséquent nécessaire dans l’intérêt de la sécurité juridique. »64 Pour convaincre la Cour, elle retrouve son mode interrogatif. Quelle est l’importance du lieu où les prestations sont accomplies pour l’interprétation de ce deuxième critère, notamment pour l’imputation des chiffres d’affaires pertinents ?65 Faut-il considérer les transactions particulières qui se nouent entre l’entité et des tiers qui sont sur le territoire de la commune ?
79Les multiples interrogations laissées parfois sans réponse n’empêchent pas l’avocate de conclure provisoirement et prudemment que « le critère selon lequel l’entité contrôlée doit réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent peut également être rempli dans le cas d’entreprises publiques et d’une participation indirecte. À cet égard, il convient également d’imputer à l’entité qui exerce le contrôle certaines prestations fournies à des tiers. Dans la présente affaire, le juge national doit à cette fin tenir compte d’un certain nombre de circonstances, parmi lesquelles figurent également les revenus provenant d’activités exercées pour ceux qui détiennent une participation, mais non du critère des 80 % visé à l’article 13 de la directive 93/38 ».
B. L’arrêt de la Cour de justice du 11 mai 2006
8013. La première question : le contrôle analogue. Repartant du principe de l’application du droit dérivé des marchés publics aux conventions se nouant entre deux personnalités juridiques distinctes dégagé dans l’arrêt Teckal66, la Cour va examiner les participations existantes entre les entités publiques impliquées67.
81La Cour de justice semble incapable de dépasser les formules incantatoires affirmant un principe suivi d’une réserve qui en énerve le sens premier.
82Ainsi, pour « apprécier si le pouvoir adjudicateur exerce un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services », convient-il « de tenir compte de l’ensemble des dispositions législatives et des circonstances pertinentes ». L’examen doit permettre d’apprécier si « la société adjudicataire est soumise à un contrôle permettant au pouvoir adjudicateur d’influencer » les décisions de ladite société. Le contrôle réside dans la possibilité « d’influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de cette société »68.
83Plus concrètement sans doute, la Cour indique que « la circonstance que le pouvoir adjudicateur détient, seul ou ensemble avec d’autres pouvoirs publics, la totalité du capital d’une société adjudicataire tend à indiquer », que ce pouvoir adjudicateur exerce sur cette société un « contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services ». Malheureusement, elle s’empresse de préciser que cette indication peut ne pas « être décisive »69.
84Les pouvoirs que le droit des sociétés reconnaît généralement à la majorité des associés ne semble pas être suffisant non plus70. Le contrôle via une société holding semble trop affaibli à la Cour. La Cour estime donc, dans le cas d’espèce, que la condition du contrôle analogue n’est pas remplie, en renvoyant au juge du fond le soin de vérifier les circonstances sur base desquelles elle fonde sa conclusion.
85La Cour, après avoir vérifié qu’il n’existait pas de possibilité de passer le marché selon une procédure négociée, va écarter l’argument du Gouvernement italien qui faisait valoir que toutes les sociétés en cause étaient soumises au droit dérivé des marchés publics. Par contre, elle semble ouvrir la possibilité que l’art. 6 de la directive 92/50/CE71 pourrait conduire à une réponse différente.
8614. La deuxième question : l’essentiel de l’activité. Après avoir exclu, sans surprise, l’application par analogie de l’art. 13 de la directive 93/38/CE dans le cas d’espèce72, la Cour de justice va rappeler les objectifs du droit dérivé des marchés publics : liberté de circulation des marchandises et services, concurrence libre et non faussée entre entreprise publique et privée.
87La deuxième condition s’inscrit dans le prolongement de ce dernier objectif. Elle a pour fin de « garantir que la directive 93/36 demeure applicable dans le cas où une entreprise contrôlée par une ou plusieurs collectivités est active sur le marché, et donc susceptible d’entrer en concurrence avec d’autres entreprises »73. Par hypothèse, si les prestations sont « substantiellement »74 destinées à la collectivité qui la « détient », le souci de préserver la concurrence n’a plus lieu d’être.
88Plus concrètement, la Cour estime qu’« on ne peut considérer que l’entreprise en cause réalise l’essentiel de son activité avec la collectivité qui la détient (…) que si l’activité de cette entreprise est consacrée principalement à cette collectivité, toute autre activité ne revêtant qu’un caractère marginal »75. Elle valide, dans son principe, une approche qualitative et quantitative, sans concrétiser cependant la première.
89Plus fondamentalement, la Cour indique que toutes les activités doivent être prises en considération, celles exercées au bénéfice de la collectivité « détentrice » (ou de toutes76) et celles exercées au bénéfice de tiers, sans considération pour les modalités particulières de rémunération, ni le lieu d’exécution77. Plus important, « dans le cas où plusieurs collectivités détiennent une entreprise, la condition relative à l’essentiel de son activité peut être satisfaite si cette entreprise effectue l’essentiel de son activité, non nécessairement avec telle ou telle de ces collectivités, mais avec ces collectivités prises dans leur ensemble »78.
Pour ne pas conclure
9015. L’arrêt du 11 mai 2006 confirme le courant jurisprudentiel initié par la Cour de justice avec l’arrêt Teckal. S’il précise les conditions d’application des relations dites « in house » dans le cadre de participations indirectes et de structures détenues par plusieurs entités publiques, de nombreuses incertitudes persistent. La communication interprétative de la Commission européenne relative à l’application du droit dérivé des marchés publics (et, sans doute, du droit primaire aux autres contrats publics) aux P.P.P. dits institutionnels se fait attendre.
91La voie empruntée par le droit dérivé, opérant une sorte de privatisation discrète de certains secteurs d’activités, pose des problèmes de principe qui n’ont, à ce jour, pas été abordés par les instances communautaires. Outre les innombrables problèmes d’interprétation de la jurisprudence de la Cour de justice, l’application du droit dérivé semble omise de la réflexion. Or, il est délicat, dans la comparaison effective des offres organisée dans la suite de la jurisprudence Teckal, de respecter concrètement l’ensemble des objectifs et des règles applicables à la passation des marchés publics. Le système manque de cohérence79.
92La réconciliation du paradigme concurrentiel et du paradigme égalitaire se révèle, à bien des égards, une entreprise délicate.
93Janvier 2007