Cahiers de Science politique

Université de Liège

1784-6390

 

ya que 05 febrero 2011 :
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Kamal Bayramzadeh

La lutte pour l’hégémonie régionale dans les relations internationales : le cas du conflit syrien

(Cahier n°27)
Article
Open Access

1Depuis le déclenchement de la révolte en Syrie inspirée par le « printemps arabe », nous assistons à une confrontation diplomatique entre d’une part l’Iran et les deux puissances émergentes que sont la Russie et la Chine, et d’autre part l’Europe, les Etats-Unis, la Turquie et certains pays arabes, principalement l’Arabie Saoudite et le Qatar. Les divergences entre ces acteurs ont donné un caractère singulier au conflit et ont contribué  à la survie du régime, alors que dans les autres pays arabes la révolte a entraîné le renversement des régimes : la Tunisie, l’Egypte et la Libye sont aujourd’hui dirigés par de nouveaux gouvernements.  

2En dépit de la durée du conflit et de la lutte des opposants syriens, la communauté internationale est divisée, alors qu’il y a un an une intervention étrangère a été effectuée en Libye au nom de l’ingérence humanitaire afin de protéger les civils. Cette intervention militaire avec l’aval de l’ONU a entraîné le renversement du régime. Pourquoi un tel scénario ne se produit-il pas en Syrie ? Dans quelle mesure le conflit syrien constitue-t-il un enjeu de la lutte hégémonique entre les puissances régionales?  Pourquoi le renversement du régime syrien pourrait-il augmenter la pression sur le régime iranien ? Quels sont les enjeux de l’implication de la Turquie, de l’Arabie Saoudite et de l’Iran dans ce conflit ?

Méthodologie du travail

3L’objectif de cet article est de montrer la lutte pour l’hégémonie  entre les différentes puissances dans le conflit syrien. Les puissances qui s’opposent au régime syrien visent à  prévenir le vide de puissance après sa fin éventuelle. En effet, depuis 1991 le Moyen-Orient a connu à deux reprises un vide de puissance : la première fois après l’effondrement de l’Union soviétique, la deuxième fois après la chute du régime irakien en 2003. Le concept d’hégémonie peut être défini comme : « la position d’un Etat capable grâce à sa suprématie d’émettre et de faire respecter les règles principales qui gouvernent le système international »1. Elle s’exerce par le leadership d’un Etat dans un cadre régional ou mondial. Selon les théories des relations internationales, l’hégémonie peut avoir des dimensions politique, économique, technologique, militaire et culturelle. Plusieurs auteurs ont développé cette notion, notamment Robert Gilpin et Robert Cox. D’après Gilpin : « la suprématie de la puissance hégémonique est à la fois économico-technologique et militaro-stratégique »2, et selon lui l’existence d’un hegemon est une condition nécessaire pour la stabilité de la société internationale et des organisations internationales. Mais la conception de l’hégémonie développée par Robert Cox (néo-gramscien) met l’accent sur une capacité intellective de la puissance hégémonique : « Inspiré par A.Gramsci pour qui l’hégémonie au sein d’une formation sociale signifie la « direction intellectuelle et morale » d’un groupe social (la bourgeoisie) sur un autre (le prolétariat) »3,  R-Cox soutient que : « la force de cette classe sociale (l’élite  américaine) est d’avoir su énoncer les normes de l’ordre souhaité dans des termes universels, compatibles avec les intérêts des autres Etats. L’hégémonie américaine n’est pas une simple relation impériale, mais plutôt un « leadership par consentement »4. Il est ici nécessaire de rappeler que plusieurs auteurs soutiennent la thèse du déclin de la puissance hégémonique (des Etats-Unis) depuis les années 1970, mais Susan Strange, auteur de « The future of the American Empire », ne partage pas ce point de vue, car, selon elle, les Etats-Unis sont dotés d’une puissance structurelle qui a quatre dimensions : la finance, le savoir, la sécurité et la production, lesquels concourent à leur hégémonie : « Susan Strange s’élève contre les théories du déclin, et plus particulièrement contre les analyses de Paul Kennedy, trop axées sur les déficits calculés à partir d’une production territoriale »5.

4Au Moyen-Orient, le conflit syrien constitue un cas de lutte pour l’hégémonie régionale entre les acteurs concernés, notamment la Turquie et l’Arabie Saoudite, des alliés des Etats-Unis. Notre travail montre qu’aucune puissance ne peut réaliser une hégémonie complète dans cette zone en raison de son importance stratégique. Les politiques de la Russie, de la Chine et de l’Iran consistent à contrer l’hégémonie des autres acteurs impliqués dans le conflit.

A) Le régime syrien à l’épreuve du « printemps arabe »

5En Tunisie l’immolation de Mohammad Bouazizi en 2010 a déclenché un mouvement révolutionnaire qui a contribué à la révolte de la population dans d’autres pays arabes. L’absence de liberté politique, l’inégalité sociale, la corruption et la répression des forces de l’opposition avaient préparé les conditions objectives et subjectives d’une révolution sociale et politique dans ces pays : « Les révolutions arabes, qu’elles aient su renverser le pouvoir (en Tunisie, et en Egypte) ou qu’elles soient en crise (au Yémen, en Libye, en Syrie), présentent un double volet : la revendication démocratique et la demande de la justice sociale »6, et il suffisait qu’il y ait une étincelle pour déclencher la révolte. Pendant longtemps, les dictateurs éclairés avaient été considérés comme des remparts face aux courants islamistes. C’est pourquoi le régime tunisien et le régime égyptien étaient soutenus par les Etats-Unis et par plusieurs pays européens. Mais ces régimes autoritaires ont favorisé les conditions de la montée en puissance des islamistes, et la période transitoire l’a montré : « Ceux qui prétendent que les régimes arabes autoritaires sont un rempart contre le fondamentalisme islamique s’éloignent de la réalité, du bon sens et de la morale politique. Nous l’avons vu, la dictature ne peut être un rempart contre l’intégrisme religieux, parce qu’elle participe, elle même, d’une forme d’extrémisme politique.»7

6En dépit des différences idéologiques et politiques entre le régime syrien et les autres régimes arabes, ce pays n’a pas été épargné par des mouvements de protestation notamment dans les régions peuplées essentiellement de sunnites. Mais la révolte n’a pas abouti au renversement du régime et le conflit perdure. Plusieurs éléments sont à la base de cette exception syrienne. Premièrement, la présence d’une armée forte et bien structurée fidèle au président syrien : la majorité des commandants de cette armée appartiennent à la communauté alaouite. Deuxièmement, 10% de la population de la Syrie est alaouite, et 10% est chrétienne et protégée par le régime : « Le gouvernement de Bachar El-Assad sait ainsi qu’il peut compter sur les populations alaouite et chrétienne»8. Ces deux communautés constituent la base sociale du régime et il faut aussi ajouter une partie de la bourgeoisie sunnite qui craint l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans. Troisièmement, la division des membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Notre recherche montre qu’une partie des analystes se sont trompés sur l’évolution de la situation en  Syrie : ils ont sous-estimé d’une part la capacité de l’armée syrienne à résister et à réprimer , et d’autre part le rôle des puissances émergentes en particulier la Russie et la Chine.

7La révolte de la population exprimée par des manifestations s’est transformée en lutte armée conduite par l’Armée Syrienne Libre composée d’anciens militaires, de jeunes combattants et aussi d’éléments islamistes (membres de groupes salafistes et d’Al-Qaïda). Cette armée est la branche militaire de l’opposition syrienne et elle est soutenue par la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar, etc. Depuis sa fondation, elle mène des opérations militaires contre les intérêts du régime syrien dans plusieurs villes notamment à Damas. Malgré la continuation du combat, l’opposition n’a pas réussi à renverser le régime, car d’une part, l’opposition est assez divisée, et d’autre part le renforcement des islamistes a suscité de l’inquiétude dans les opinions publiques, en Syrie comme à l’étranger : « De nombreux djihadistes se sont infiltrés récemment en Syrie à partir du Liban, et beaucoup se trouvent installés dans la zone frontalière entre les deux pays. Aujourd’hui, Al-Qaïda a pris fait et cause pour l’insurrection en Syrie, ce qui témoigne de l’internationalisation du conflit »9. L’expérience des autres pays, notamment la Tunisie et l’Egypte a montré que pendant la période transitoire les islamistes réussissent à gagner les élections, car ils sont bien organisés et mieux structurés que les autres forces politiques. Dans le cas syrien, il semble qu’il soit possible de prévoir la répétition du même scénario : « Comme en Tunisie ou en Egypte, il ne fait aucun doute que les islamistes seraient voués à occuper une portion significative de l’échiquier politique dans une Syrie postrévolutionnaire »10.

8La reconnaissance de la Coalition Nationale Syrienne en novembre 2012 par la France, la Turquie, les membres du Conseil de Coopérations du Golfe Persique (qui comprend l’Arabie saoudite), par l’Union européenne, et, en décembre 2012 par les Etats-Unis est un signe important envoyé à la fois au régime syrien et aux opposants. Les conséquences de cette reconnaissance sont importantes. Premièrement,  désormais cette Coalition dispose de la personnalité juridique et elle peut recevoir légalement de l’aide militaire. Deuxièmement, cette politique peut contribuer au changement des rapports de force entre le régime syrien et les opposants. Mais la Russie et la Chine se sont opposées à cette reconnaissance et critiquent les pays qui l’ont effectuée.

B) Le rôle des puissances émergentes notamment de la Russie et de la Chine dans le conflit syrien

9Les pays des BRICS jouent un rôle politique important dans les relations internationales. Ils veulent participer à la gouvernance du monde et veulent un nouveau partage du pouvoir à l’échelle planétaire dans le cadre d’une approche multipolaire : « Les pays émergents, en particulier les BRICS, sont devenus des acteurs majeurs de la scène diplomatique globale. Leur solidarité s’est construite tant au sein d’instances qui leurs sont propres (comme les sommets des BRICS) que dans des enceintes multilatérales, mais chaque fois contre l’Occident : la vieille formule « the West versus the Rest » reste de mise, avec un parfum de revanche postcolonial dans certains cas »11. Dans le conflit syrien ces pays notamment la Russie et la Chine s’opposent à une intervention militaire et sont favorables à une solution diplomatique : « depuis le début des manifestations en Syrie, à la mi-Mars, le Kremlin s’est posé en principal soutien du pouvoir de Bachar El-Assad. Si la Chine et d’autres pays, au premier rang desquels le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud, se positionnent aux côtés de la Russie, cette dernière reste à la pointe de la défense du régime syrien »12. Mais parmi ces puissances, la Russie et la Chine jouent un rôle plus important en raison de leur droit de veto au sein de Conseil de sécurité. Ce qui empêche l’adoption d’une résolution de l’ONU (demandée notamment par l’Europe, la Turquie et les Etats-Unis) afin d’autoriser une intervention militaire pour renverser le régime syrien. Quelles sont les causes de divergences entre ces grandes puissances membres du Conseil de sécurité de l’ONU ?

10Les divergences entre les grandes puissances s’inscrivent dans le cadre des enjeux stratégiques qui portent sur les intérêts géopolitiques et sécuritaires. L’Union européenne et les Etats-Unis sont favorables au renversement du régime actuel, car l’existence des régimes dictatoriaux mais indépendants comme le régime syrien et le régime iranien est en contradiction avec la stratégie régionale des Etats-Unis qui veulent l’instauration d’un nouvel ordre dans cette région. Les Etats-Unis et l’Europe soutiennent activement les opposants syriens reconnus officiellement en particulier par la France qui apporte son aide politique, logistique et financière à la Coalition Nationale Syrienne. La Russie et la Chine s’opposent à l’instauration d’un nouveau régime souhaité par l’Occident. La raison principale de cette divergence est liée au fait que l’arrivée au pouvoir d’un régime « pro-occidental » est opposée à l’intérêt stratégique de la Chine et de la Russie. La Syrie est le seul pays arabe où la Russie a encore gardé une présence active sur le plan militaire et économique : « Les relations de la Russie avec la Syrie sont intiment liées à l’histoire contemporaine du Moyen-Orient. Comme les Etats-Unis, l’URSS a rapidement compris l’intérêt stratégique de la région. Moscou s’attache alors à entretenir de bonnes relations avec l’ensemble du Moyen-Orient, mais la Syrie  occupe une place à part dans son dispositif. A vrai dire, l’intérêt que les Russes portent à l’actuel régime syrien s’explique, avant tout, par la base navale de Tartous,  sur la Méditerranée, qui fut concédée à l’URSS à la fin des années 1960 »13.   

11Il est important de noter qu’avec la chute du régime actuel la Russie va être privée de sa position militaire en Syrie. A ce facteur stratégique, il faut ajouter les conséquences sécuritaires du renforcement de la position des Etats-Unis après le renversement du régime syrien. En effet selon la doctrine sécuritaire de la Russie, la présence des forces de l’Otan dans la région est une menace pour la sécurité interne et externe de la Russie. C’est pourquoi celle-ci s’inquiète du renforcement de l’OTAN alors que selon le dernier concept stratégique de l’Otan (N°7) de 2010, ce dernier ne considère pas qu’il représente une menace pour la sécurité de la Russie. Cependant le gouvernement russe se méfie de la présence des forces de l’OTAN dans les zones d’influences de la Russie : « Poutine tente de restaurer le statut de la Russie comme grande puissance par la construction d’un bloc multipolaire eurasiatique pour contrebalancer l’hégémonie des Etats-Unis et la menace présumée de l’élargissement de l’OTAN »14.

12Il faut rappeler qu’après l’effondrement de l’Union soviétique, et en particulier  depuis l’arrivée au pouvoir de Bachar El-Assad, nous avons assisté à une évolution importante des relations économiques entre ces deux pays : « les échanges économiques et commerciaux entre les deux pays atteignent 2 milliards de dollars en 2008. La multiplication de projets d’une certaine envergure impliquant des entreprises russes en Syrie, en particulier dans les domaines pétroliers et gazier, montre que le marché syrien commence à séduire Moscou. La Syrie associe la Russie aux profits de sa rente pétrolière »15.

13Selon notre recherche, dans les relations entre la Russie et la Syrie, il y a trois facteurs importants qui expliquent la position stratégique de la Syrie. Premièrement, sur le plan militaire, la Russie a une base navale importante en Syrie (Tartous). Cette présence militaire renforce la position de la Russie dans la région notamment vis-à-vis des forces navales occidentales. Selon Igor Delanoë, actuellement, cette présence navale est le pivot de l’influence russe au Moyen-Orient. C’est la raison pour laquelle ce facteur s’inscrit dans le cadre de la sécurité régionale. Deuxièmement, sur le plan énergétique, il y a une coopération importante dans les secteurs du gaz et du pétrole entre les entreprises russes (Tatneft et Gazprom) et syriennes (Al Bou Kamal Petroleum company). Troisièmement, la Syrie est un grand acheteur d’armes à la Russie : « Sur la période 2007-2011, Moscou est de toute façon le principal fournisseur d’armement à Damas, avec 78% de matériels en provenance de Russie, devant la Biélorussie (17%) et l’Iran (5%) »16. La structure de l’armée syrienne est essentiellement russe, et l’armée russe contribue à la formation des officiers de l’armée syrienne. C’est la raison pour laquelle la Russie n’est pas prête à perdre sa position stratégique en Syrie, et continue à soutenir le régime avec l’aide de la Chine et de l’Iran, lequel est dans le collimateur des Etats-Unis et de l’Union européenne. L’objectif principal de  cette politique est d’empêcher l’hégémonie des Etats-Unis et leurs alliés dans cette région.

14Dans la stratégie politique russe, les enjeux du conflit en Syrie dépassent les frontières de ce pays, car le renversement du régime modifierait la géopolitique du Moyen-Orient pour des raisons suivantes. Premièrement, ce changement contribuerait à affaiblir le régime iranien (lequel a de bonnes relations avec la Russie). La Russie ne veut pas d’un changement de régime en Iran, car elle y perdrait un partenaire important même s’il n’y a pas d’alliance stratégique entre ces deux pays : « Moscou est fermement opposé aux projets diplomatiques de changement de régime émanant des néoconservateurs américains et de la droite israélienne. La crise syrienne de 2011-2012 a vu le régime syrien contesté par sa population. Cette crise a conduit, dans un premier temps, à un rapprochement entre les puissances favorables au statu quo : le régime alaouite en place en Syrie, la Russie, la Chine et l’Iran. Il faut aussi préciser qu’il y a une hostilité partagée entre la Russie et l’Iran à l’encontre des mouvements salafistes et wahhabistes dont l’influence est significative au sein de l’opposition syrienne »17. Deuxièmement, ou cas où il y aurait un changement radical en Syrie, la Turquie et l’Arabie Saoudite renforcerait leurs positions en Syrie au détriment de l’Iran et de la Russie. La Turquie est une rivale historique de la Russie. Troisièmement, la Russie craint l’instauration d’un désordre régional et s’oppose à l’idée du départ d’Assad demandé par les Occidentaux. En février 2013, le ministre des Affaires étrangères de la Russie Sergueï Lavrov a renouvelé le soutien sans faille de son pays à Assad, mais selon lui la Russie est favorable à des contacts réguliers avec l’opposition syrienne afin de parvenir à une solution diplomatique. Ainsi, nous pensons que l’implication des grandes puissances dans ce conflit a donné un caractère singulier à ce dernier : il s’agit d’une lutte dont les enjeux dépassent les frontières de la Syrie.

15En ce qui concerne la position de la Chine, elle s’oppose à une intervention militaire . A l’instar de la Russie, elle ne veut pas d’un renforcement de la position des Etats-Unis au Moyen-Orient. La Chine est une puissance émergente qui est en compétition avec les Etats-Unis sur le plan économique, et nous assistons au renforcement de sa position mondiale, notamment en Afrique : « La Chine, qui possède des atouts géopolitiques évidents, est souvent présentée comme une superpuissance en devenir. Elle se sert de l’ouverture de son marché pour accroître son influence régionale. Ainsi, pour certains spécialistes des relations internationales comme l’Américain Henry Kissinger, La Chine est « L’Etat qui a le plus de chances de se poser en rival des Etats-Unis à un moment quelconque du siècle nouveau »18. C’est pourquoi les Etats-Unis veulent empêcher la montée en puissance de la Chine, laquelle a besoin d’importer de l’énergie notamment du pétrole et du gaz : « l’augmentation croissante de sa dépendance énergétique sous les effets combinés de l’industrialisation, de l’urbanisation et du développement du marché automobile, la fragilise à court terme sur les plans économique et géopolitique. La Chine est le deuxième consommateur  d’énergie après les Etats-Unis »19. Dans ce sens, le Moyen-Orient constitue une zone importante pour la Chine qui a de bonnes relations avec l’Iran et la Syrie. Ces deux pays sont des clients importants de la Chine et la chute du régime peut affaiblir la position de la Chine sur les marchés syriens. Cependant sa position dépend aussi des enjeux énergétiques et sécuritaires : « Les aspects déterminants de la politique étrangère de la Chine à l’égard du Moyen-Orient sont à la fois économique, énergétique, et commercial. La situation de la politique interne de la Chine a profondément affecté ses relations avec le Moyen-Orient. Le développement économique de la Chine est devenu la priorité principale de la Chine, et a influencé le type de ses relations avec l’Iran, Israël et le monde arabe»20. La Chine use de son droit de veto afin d’empêcher une résolution de l’ONU autorisant une intervention militaire. Les Chinois et les Russes ont tiré la leçon de la Libye. Ils considèrent que l’intervention militaire a outrepassé les objectifs fixés par la résolution de l’ONU qui consistait à protéger les civils. Ainsi, nous constatons que la position des ces deux puissances émergentes influence la scène politique syrienne et empêche le changement du régime voulu par une partie de la population syrienne, et par les Etats-Unis, l’Union européenne, la Turquie et certains pays arabes. Dans ce conflit, il y a aussi implication des puissances régionales. Dans cette perspective, nous allons voir les positions de la Turquie, de l’Iran, et de l’Arabie Saoudite.

C) La politique de la Turquie à l’égard du conflit syrien : la limite du principe de « Zéro problème avec le voisinage »

16La Turquie, à l’instar des autres puissances, n’avait pas prévu les révolutions arabes. C’est pourquoi lorsque la révolte a commencé en Tunisie, elle a été prudente. Mais depuis la chute de Ben Ali le gouvernement turc a pris une position claire en demandant aux dirigeants des pays arabes de prendre en considération les revendications de leurs peuples : « Dans un premier temps l’épisode tunisien, jusqu’au départ de Ben Ali, a rencontré un mutisme prudent, voir même désintéressé de la part d’Ankara. C’es par la suite, et progressivement qu’Ankara a réalisé, d’une part avec l’expansion très rapide au sein du monde arabe des mouvements de rébellion et d’autre part avec les allusions répétées, notamment du parti Ennahad, au « modèle turc », qu’il ne fallait point exclure ce pays de cette nouvelle zone privilégiée, potentiellement zone d’influence d’un « soft power » turc émergent »21.

17Dans le cas syrien, la Turquie avait au départ la même prudence. Mais depuis l’augmentation de la répression des manifestations, et l’entrer des réfugiés syriens sur le sol turc, le gouvernement turc a changé le ton à l’égard du régime syrien. A plusieurs reprises les dirigeants turcs ont demandé à Bachar El-Assad de trouver une solution pacifique au problème syrien par des réformes politiques. Mais en raison de la continuation de la répression, le premier Ministre turc a déclaré en mai 2011, qu’il ne pouvait pas assister à un nouveau massacre comme celui de Hama. Dès lors nous assistons à une dégradation continuelle des relations entre ces deux Etats. Depuis, la Turquie a changé sa politique à l’égard de la Syrie en soutenant les opposants du régime sur le plan politique, logistique, financier et diplomatique (la reconnaissance de la coalition nationale) en octobre 2012. Le changement d’attitude de la Turquie tient à la politique répressive du régime et au fait que la Turquie ne voit pas un avenir politique pour Bachar El-Assad. Cette politique a des objectifs stratégiques qui consistent à renforcer la puissance régionale de la Turquie après le renversement du régime. Cette nouvelle politique est en contradiction avec la politique pratiquée par le gouvernement turc après 2002 consistant à améliorer les relations entre la Turquie et la Syrie dans le cadre de « Zéro problème avec le voisinage » (l’un des principes de la nouvelle doctrine de la politique étrangère de la Turquie) : « Alors que la relation avec la Syrie était un point de force de la nouvelle politique étrangère au Moyen-Orient, elle constitue désormais un défi majeur pour la Turquie. A partir de la fin des années 1990, la Turquie avait réussi à établir un cadre de coopération clair avec Damas, notamment sur la question kurde. La proximité avec un régime illégitime et auquel le soutien populaire fait défaut ne pouvait garantir une coopération stable sur le long terme »22.

18Il est important de souligner que depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP la Turquie met en œuvre une politique étrangère proactive élaborée par Ahmed Davutoglu, l’auteur de (Profondeur stratégique)  qui a donné une nouvelle orientation à la diplomatie turque. Pendant la Guerre froide, la Turquie avait une politique pro-occidentale et elle a été un allié stratégique des Etats-Unis et de l’Europe face à l’Union soviétique. En ce qui concerne les pays du Moyen-Orient, la Turquie avait une politique isolationniste : « La Turquie a tourné le dos au Moyen-Orient pendant la plus grande partie au XXème siècle ; elle semble y retrouver aujourd’hui un terrain favorable pour tester sa diplomatie du XXIème siècle »23. Mais depuis l’effondrement de l’URSS, la Turquie n’a plus les mêmes rapports avec l’Occident en raison de la disparition de la menace commune. C’est pourquoi elle a tourné son regard vers l’Orient afin de renforcer sa position stratégique notamment au Moyen-Orient. Dans cette perspective, elle a amélioré ses rapports avec les pays arabes en particulier depuis le « Printemps arabe » à tel point que dans certains pays arabes et africains on évoque le modèle turc de développement socio-économique.

19La politique actuelle de la Turquie en Syrie s’inscrit dans le cadre cette nouvelle stratégie de renforcement de son poids politique dans les relations internationales.  La Turquie soutient activement les opposants syriens et se prépare pour la période post-Assad. Cette politique est en convergence avec la position d’une partie de la communauté internationale dont les Etats-Unis, l’Europe et certains pays arabes, et s’oppose à la politique  de la Russie, de la Chine et de l’Iran. Dans sa rivalité régionale avec l’Iran, la Turquie veut prendre la place du régime iranien en Syrie en contribuant au renversement du régime syrien. C’’est pourquoi nous pensons que la politique de la Turquie à l’égard du conflit syrien s’inscrit dans une volonté hégémonique réalisée au moyen d’une puissance douce (Soft power) turque : « l’idée que la Turquie pouvait constituer un modèle pour les pays musulmans a été défendue en premier lieu par l’administration américaine. Les Etats-Unis, craignant que la nouvelle configuration régionale en cours de formation ne passât sous l’influence iranienne, encourageant la Turquie à y jouer un rôle actif. Il faut admettre que l’expérience de la Turquie en matière de démocratisation, de développement économique, de transformation du mouvement islamiste suscitent l’intérêt du monde arabe. Tout cela contribue au soft power de la Turquie dans la région. Le gouvernement de l’AKP a envisagé, d’utiliser ce potentiel pour faciliter le changement dans la région et renforcer le poids de la Turquie »24 .

20Ainsi, nous observons que, quelques mois après la révolte en Syrie, les rapports entre ces deux pays se sont dégradés et la Turquie est confrontée aux conséquences de ce conflit : afflux de réfugiés, revendications kurdes et alévies. De plus, l’Iran et la Russie sont mécontents de la politique de la Turquie en Syrie et en particulier de l’installation de missiles sol-air à capacité anti-missile Patriot sur le sol turc. Ces missiles représentent une menace pour la sécurité de l’Iran et de la Russie selon ces deux derniers. Par conséquent, dans le conflit syrien nous constatons que la politique de la Turquie s’oppose  complètement à celles de l’Iran, de la Russie et de la Chine.

D) La politique de l’Iran à l’égard du conflit syrien

21L’Iran soutient le régime syrien qui est son allié régional depuis 1979, et dans ce cadre il y a une alliance stratégique entre les deux régimes. Le moteur principal de cette alliance a été au départ l’hostilité de ces deux régimes aux Etats-Unis, au régime irakien (Saddam Hussein), et à Israël. Mais après la chute du régime irakien en 2003, il y a eu un changement dans les relations entre ces deux pays et l’Irak, mais l’hostilité à l’égard des Etats-Unis et de l’Etat hébreu  a continué : « Le caractère durable des relations entre l’Iran et la Syrie est lié aux facteurs stratégique et géopolitique et notamment à l’existence de l’ennemi commun et aux menaces sécuritaires »25.

22Pour comprendre la position de l’Iran au sujet du conflit syrien, il est important d’observer que depuis la Révolution de 1979, la Syrie occupe une place très importante dans la stratégie diplomatique régionale de l’Iran, car la Syrie permet au régime iranien d’accéder au monde arabe et de jouer en particulier un rôle dans la vie politique libanaise par le biais du Hezbollah : la fondation de ce parti politique est l’une des conséquences de la politique d’exportation de la révolution iranienne. Selon le régime iranien, la Syrie, le Hezbollah et l’Iran font partie de « l’axe de la résistance » à Israël. Dans ce sens la Syrie joue un rôle important dans les relations entre l’Iran et le Hezbollah qui est le bras armé du régime iranien au Liban. C’est pourquoi la Syrie est la profondeur stratégique de l’Iran dans sa rivalité avec l’Etat hébreu. De ce fait, le renversement du régime syrien contribuerait à la diminution de l’influence de l’Iran : « L’Iran affiche sans tarder un appui visible (par l’envoi de matériels et de personnels) au régime de Damas car il craint les répercutions d’un effondrement de son allié principal. L’éviction du clan alaouite risquerait de mettre en place un pouvoir à majorité sunnite pas favorable au Hezbollah, ni à la République islamique »26.

23Après l’instauration de la République islamique, en particulier pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980-1988), les rapports entre la majorité des pays arabes et l’Iran se sont dégradés. Mais la Syrie et l’Iran ont tissé de bonnes relations pour des raisons à la fois politiques et économiques. Pendant la guerre entre l’Iran et l’Irak, la Syrie a soutenu l’Iran à cause de la rivalité entre Bagdad et Damas : « C’est à partir du déclenchement de la guerre entre l’Iran et l’Irak que le pouvoir islamique comme le régime syrien se rendent très clairement compte de leur convergence d’intérêt et des avantages mutuels qu’ils peuvent tirer d’un raffermissement de leurs relations »27.

24En dépit de cette situation, il est nécessaire de dire que ces deux régimes sont idéologiquement différents : « A première vue, ces deux pays n’ont pas grand chose en commun »28. Le régime iranien est un régime théocratique caractérisé par l’absence de légitimité démocratique, tandis que le régime syrien est une république « laïque » autoritaire, dirigée par le parti Baas fondé sur le panarabisme. Malgré plusieurs tentatives de la part des Etats-Unis, de la France et des pays arabes pour séparer le régime syrien de l’Iran, nous avons assisté au renforcement des rapports entre ces deux régimes et en 2006, ils ont signé un pacte défensif : « En juin 2006, elle avait signé un pacte de défense avec la République islamique. Ce pacte donne à l’Iran un accès direct à l’appareil militaire syrien, avec des relations conjointes aux échelons supérieurs et moyens, une harmonisation des systèmes d’armes et d’entraînement, et des exercices militaires communs. Selon ce pacte, toute agression contre l’un des deux Etats est considérée comme une agression contre l’autre »29. Ainsi nous pouvons dire que la politique actuelle de l’Iran à l’égard du conflit syrien procède de ce pacte défensif.

25Depuis le déclenchement de la révolte et l’accentuation de la lutte contre le régime syrien, l’Iran manifeste un soutien total sur les plans militaire, financier et logistique à Bachar El-Assad. A plusieurs reprises, les dirigeants iraniens ont déclaré que le problème syrien n’a pas de solution militaire et en décembre 2012 l’Iran a présenté un plan en six partie pour mettre fin au conflit, mais ce plan n’a pas reçu un écho favorable dans la communauté internationale. Nous constatons que dans ce conflit l’Iran a des convergences d’intérêt avec la Chine et la Russie. A l’instar de ces deux puissances émergentes, le régime iranien veut contrer l’influence des puissances occidentales dans la région. Selon le gouvernement iranien, l’Occident a pour objectif d’affaiblir « l’axe de la résistance » afin de protéger Israël : « Face à la crise syrienne, l’Iran aide son allié stratégique au Moyen-Orient pour endiguer la vague de contestation en Syrie. Les autorités iraniennes ont accusé l’Occident, de mener une « guerre douce » non seulement contre l’Iran mais aussi contre la Syrie en raison de leur positionnement antisioniste commun »30.

26La politique de l’Iran dans le conflit syrien a contribué à l’accentuation de son isolement. La Turquie, l’Arabie saoudite et d’autres pays reprochent à l’Iran de cautionner un régime qui viole les droits de l’homme. C’est pourquoi parmi les dirigeants iraniens il y a eu des divergences en ce qui concerne la politique adoptée à l’égard de ce conflit. Par ailleurs, l’Iran accuse l’Arabie Saoudite d’être au service de la politique régionale des Etats-Unis, car elle est un allié stratégique de ces derniers. C’est pourquoi, quelles que soient les différentes positions de ces pays en Syrie, il y a une lutte hégémonique entre eux pour dominer la région. Dans cette perspective, ces deux pays veulent diminuer l’influence régionale de l’Iran. La prise de distance du Hamas avec le régime iranien s’inscrit dans cette stratégie politique. En effet après l’accentuation de la révolte, les dirigeants du Hamas ont déclaré qu’ils ne partagent pas la politique de l’Iran en Syrie, et ont clairement dit qu’ils ne font pas partie de l’Axe Iran-Syrie-Hezbollah. De plus, depuis la révolte en Syrie, le Hamas s’est rapproché de la Turquie et de l’Arabie Saoudite qui lui ont augmenté leur aide. Cet exemple illustre la rivalité entre ces trois puissances régionales dans le conflit syrien.  Ainsi nous constatons que l’implication de l’Iran en Syrie est vitale pour son avenir pour trois raisons. Premièrement, au cas où il y aurait un changement du régime en Syrie, l’Iran serait  privé d’un allié stratégique. Deuxièmement, il aurait des difficultés dans ses relations avec le Hezbollah, car l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement majoritairement sunnite entrainerait des problèmes pour faire parvenir l’aide de l’Iran au Hezbollah. Troisièmement, le renversement d’Assad permettrait d’augmenter la pression internationale sur le régime iranien. Par conséquent, le soutien de l’Iran  au régime syrien a une portée à la fois stratégique et sécuritaire.

E) Le rôle de l’Arabie Saoudite dans le conflit syrien

27L’Arabie Saoudite est une puissance régionale qui joue un rôle important dans le conflit syrien pour plusieurs raisons. Premièrement, déjà pendant  la Guerre froide ces deux régimes étaient dans une logique de confrontation idéologique. L’Arabie Saoudite était un pays proaméricain : « Alliée stratégique de Washington depuis plus de 50 ans, l’Arabie Saoudite participe à la vision stratégique de Washington dans la région »31, alors que la Syrie  a été pendant la Guerre froide prosoviétique, et après la fin du monde bipolaire elle a continué à s’opposer aux Etats-Unis. Deuxièmement, le régime syrien a une alliance stratégique avec l’Iran, tandis que l’Arabie Saoudite s’oppose à la politique régionale de l’Iran et en particulier s’inquiète du développement du programme nucléaire iranien. L’Arabie Saoudite veut contrer l’influence du régime iranien dans les pays arabes en particulier dans les pays chiites, comme l’Irak et le Liban : « La perspective d’un Irak allié d’un Iran qui profite des circonstances pour y développer son influence, inquiète au plus haut point les monarchies du Golfe, surtout l’Arabie Saoudite »32. Troisièmement, selon les dirigeants saoudiens, le régime syrien n’a pas d’avenir et il faut absolument soutenir ses opposants. Dans cette perspective, depuis le déclenchement de la révolte, elle soutient activement les opposants en particulier la tendance islamiste de l’opposition. Dans le conflit syrien, l’Arabie Saoudite a des convergences d’intérêts avec la Turquie, les Etats-Unis et l’Europe et certains pays arabes comme le Qatar qui soutient activement les groupes salafistes en Syrie. Le régime saoudien se prépare pour la période post-Assad afin de pouvoir  jouer un rôle prépondérant dans ce pays. Son objectif principal est de contribuer, premièrement à l’augmentation du pouvoir des sunnites dans les pays arabes sous son hégémonie, et deuxièmement, d’affaiblir et d’isoler le régime iranien. Par conséquent, l’implication de l’Arabie Saoudite dans le conflit syrien est liée à une volonté hégémonique pour augmenter sa puissance régionale dans la nouvelle configuration de puissance au Moyen-Orient.

28Lorsque la révolte a commencé dans certains pays arabes, les dirigeants saoudiens se sont inquiétés des conséquences régionales de ces révoltes et ont commencé à injecter de l’argent dans certains secteurs qui touchaient directement les jeunes. L’objectif de cette politique a été la suppression des conditions objectives de la révolution : « L’impact des révoltes arabes n’est pas uniforme. L’Arabie Saoudite n’a été touchée qu’indirectement. Au lendemain de la chute de Hosni Moubarak, le Roi Abdallah Ben Abdelaziz Al-Saoud a annoncé le déblocage de 35 milliards de dollars pour financer des programmes sociaux »33. L’expérience des autres pays montre que ces mesures peuvent retarder le processus révolutionnaire, mais qu’elles ne peuvent pas empêcher qu’il advienne, car selon la philosophie politique et les lois scientifiques qui en procèdent, un pouvoir politique qui est la négation de la liberté et qui n’est pas fondé sur le consentement dans le cadre d’un contrat social est une puissance physique qui est condamnée à la disparition.  En Arabie Saoudite, le régime politique est une monarchie et il n’y a pas de liberté politique ni respect des droits de l’homme.

29La révolte dans le monde arabe a touché l’environnement immédiat de l’Arabie Saoudite notamment le Bahreïn où cette dernière a joué un rôle contre-révolutionnaire : « Il s’agit là d’une contre-révolution de type classique, dans sa brutalité », 34en contribuant à la répression des manifestants, dans le silence d’une partie de la communauté internationale. Dans le cas du Bahreïn, nous avons vu comment les droits de l’homme sont instrumentalisés au nom de la raison d’Etat. Il faut souligner que ce pays  est majoritairement chiite, mais le gouvernement est dirigé par des sunnites. Il est aussi nécessaire de rappeler que les revendications de la population n’étaient pas religieuses. Aux yeux  des dirigeants saoudiens et des dirigeants du Conseil de Coopération du Golfe Persique, l’Iran soutenait et encourageait ces manifestations. C’est pourquoi, les forces militaires du CCG sous la direction de l’Arabie Saoudite sont entrées au Bahreïn  et ont réprimé les manifestants afin de sauver le régime et d’empêcher « l’augmentation de l’influence régionale de l’Iran ». La tension entre le régime de l’Iran et les membres du CCG  est liée à plusieurs facteurs : « Le facteur sécuritaire a joué un rôle important dans la fondation de cette instance : les monarchies du Golfe persique se sentaient menacées par les effets régionaux de la Révolution iranienne »35. Notons que l’Arabie Saoudite joue un rôle important au sein du CCG : « L’un des principaux instruments de l’hégémonie saoudienne est le CCG »36, et dans l’avenir nous allons assister à l’augmentation de la capacité militaire de cette organisation avec l’aide des Etats-Unis et de certains pays européens comme la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne pour contrer le régime iranien. En dépit de la stabilité relative qui existe dans ces pays, à la lumière de notre recherche sur le monde arabe, nous pouvons dire que l’Arabie Saoudite sera à son tour touchée par la révolte de la population dans l’avenir, car d’une part, ce régime n‘a pas de légitimité démocratique, et d’autre part l’opinion publique arabe notamment la jeunesse veut la liberté et la justice sociale. De ce fait l’avenir politique de ce régime est incertain.

Conclusion

30Nous avons vu dans cette étude que le conflit syrien a des enjeux à la fois régionaux et mondiaux en raison de l’implication des grandes puissances. La lutte pour l’influence régionale entre ces différents acteurs a contribué à la singularité du conflit. C’est pourquoi le régime syrien a tenu jusqu’à présent, et les destructions dans les villes sont massives. Notre travail a privilégié une méthode analytique de type comparative, ce qui nous a permis de montrer les caractéristiques de ce conflit notamment le rôle des puissances émergentes comme la Russie. Cette approche nous a aussi permis de mettre en évidence la lutte  hégémonique entre les différents acteurs dans le conflit syrien.

31Selon notre recherche, dans le conflit syrien plusieurs acteurs sont impliqués. Premièrement, les acteurs internes qui sont les opposants du régime, regroupés majoritairement dans la Coalition Nationale, et d’autre part essentiellement l’armée. Deuxièmement, les acteurs régionaux, d’une part principalement la Turquie et l’Arabie Saoudite, et d’autre part le régime iranien ; les divergences entre ces trois puissances régionales sont liées aux facteurs régionaux. Le résultat de notre recherche montre que l’avenir politique de la Syrie est l’objet d’une rivalité géopolitique et stratégique entre les puissances qui sont impliquées dans le conflit. Cette rivalité hégémonique porte sur l’avenir des rapports de force au Moyen-Orient. Les intérêts de la Turquie, de l’Arabie Saoudite et du Qatar sont en harmonie relative avec ceux des Etats-Unis et de l’Union européenne, alors que la politique de l’Iran et celle du régime syrien sont en convergence avec celles de la Russie et de la Chine. Ces dernières politiques sont contre-hégémoniques et s’opposent au leadership des Etats-Unis et à leurs alliés au Moyen-Orient. Troisièmement, la Russie et la Chine sont favorables à une solution interne par le moyen de réformes politiques, mais elles ne veulent pas d’une intervention étrangère, car la fin du système actuel s’oppose à leurs intérêts régionaux. Il est important d’ajouter que la Russie et la Chine ont une même méfiance à l’égard des effets du « printemps arabe », qui pourrait encourager leurs opposants respectifs, en particulier les séparatistes. Quatrièmement, les Etats-Unis et l’Union européenne veulent le renversement du régime et soutiennent l’opposition syrienne, mais ils s’inquiètent aussi de la montée en puissance des islamistes.

32De ce fait nous observons que l’intervention directe et indirecte de ces acteurs a donné une dimension mondiale au conflit syrien. Dans celui-ci, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle dialectique dans les relations internationales, caractérisée par le rôle effectif des puissances émergentes comme la Russie et la Chine dans la nouvelle société internationale. Ce facteur a des conséquences importantes sur l’avenir des rapports de force. Ce qui nous amène à dire que désormais les Etats-Unis (hegemon) sont obligés de prendre en compte les puissances émergentes dans la politique internationale. Par conséquent, le cas du conflit syrien illustre la limite de l’hégémonie des Etats-Unis dans le nouveau contexte international, même s’ils ne sont pas directement impliqués dans ce conflit. L’avenir du conflit syrien est incertain et il est fort possible que Bachar El-Assad reste au pouvoir jusqu’à la prochaine élection présidentielle syrienne. Il semble que le conflit n’ait  pas de solution militaire et les événements de ces derniers mois ont montré la montée en puissance des acteurs non-étatiques de tendance islamiste. A celle-ci il faut ajouter l’implication directe du Hezbollah en faveur du régime syrien ces dernier mois. Par conséquent, la continuation du conflit va mener la Syrie à une situation anarchique avec des conséquences régionales et mondiales. C’est pourquoi il est urgent de trouver une alternative politique à la situation actuelle qui passerait par un compromis entre les tendances laïques et démocratiques de l’opposition et une partie des dirigeants du régime. Faute de quoi, la Syrie va s’enfoncer dans une crise profonde.

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Notes

1 Battistella Dario, Dictionnaire des relations internationales, France, Dalloz, 2012, p, 267.
2 Ibid, p,268.
3 Ibid, p, 268-269.
4 Paquin Stéphan, « l’économie politique internationale et la mondialisation », in Stéphan Paquin et Dany Deschênes, Introduction aux relations internationales, Montréal, Chenelière éducation, 2009, p, 35.
5 Roche Jean-Jacques, Théories des relations internationales, Paris, Montchrestien, 2001, p, 131.
6 Khosrokhavar Farhad, « Les révolutions arabes : révolutions de justice sociale et de liberté », Cultures et conflits, N°83, 2011, p, 108.
7 Feki Masri, Les Révoltes Arabes : Géopolitique et enjeux,  France, Studyrama, 2011, p, 120.
8 Estival Jean-Pierre, L’Europe face au printemps arabe, Paris, l’Harmattan, 2012, p, 74.
9 Estival Jean-Pierre, L’Europe et le printemps arabe, op.cit,. p, 81.
10 Pierret Thomas, « Les Frères Musulmans Aux Portes Du Pouvoir », Politique internationale, N°134, hiver 2011-2012, p, 245.
11 Jaffrelot Christophe, « La diplomatie des pays émergents ou comment contrer l’Occident », in Badie Bertrand et Vidal Dominique, l’Etat du monde 2012, Paris, La Découverte, 2011, p, 49.
12 Glasmam Frantz, « Crise syrienne : le Kremlin à l’heure du choix », Politique internationale, N°134-Hiver 2011-2012, p, 249.
13 Ibid, p, 250-255.
14 Dannreuther Roland, “Russia and the Middle East”, in Carter Hanna and Ehteshami Anoushiravan, The Middle East’s Relations With Asia And Russia, London, Routlege Curzon, 2004, p, 36.
15 Glasmam Frantz , op.cit,. p, 253.
16 Delanoë Igor, « Le partenariat stratégique russo-syrien : la clef du dispositif naval russe en Méditerranée », Fondation pour la recherche stratégique, note N°06/13, février 2013.
17 Therme Clément, Les relations entre Téhéran et Moscou depuis 1979, France, PUF, 2012, pp,1-169-170.
18 Zarka Jean-Pierre, Relations internationales, Paris, Ellipses, 2010, p, 62.
19 Wintgens Sophie, « Chine, la « révolution tranquille » d’une puissance ascendante », in Sebastian Santander, L’émergence de nouvelles puissances, Paris, Ellipses, 2009, p, 114.
20 Dillon Michael, “The Middle East and China”, in Hanna Carter and Anoushirvan Ehteshami, The Middle East’s Relations With Asia And Russia, London, Routledge Curzon, 2004, p, 55.
21 Tayla Alican, « Un nouveau paradigme pour la Turquie ? », Bouleversement stratégiques dans le monde arabe ?, Confluences méditerranée, Paris, L’Harmattan, N°79, 2011, p, 61.
22 Sever Aysegül, « Turquie/Syrie : de rapprochement en désillusion », in Dorothée Schmid, La Turquie au Moyen-Orient : le retour d’une puissance  régionale ?, Paris, IFRI, 2011, p, 182.
23 Schmid Dorothée, La Turquie au Moyen-Orient : le retour d’une puissance régionale?, op.cit,. p, 9.
24 Benli Altunisik Meliha, « La question du « modèle turc » ou le soft power de la Turquie au Moyen-Orient », in  Dorothée Schmid, op. cit,. p, 128-148.
25 Ehteshami Anoushiravan et Hinnebusch Raymond, Syria and Iran: Middle power in a penetrated regional system, London, Routledge, 1997, p, 112.
26 Makinsy Michel, « l’Iran et les pays du Golfe Persique, une crise de confiance dans une région ébranlée », in Michel Makinsky, L’Iran et les grands acteurs régionaux et globaux, Paris, L’Harmattan, 2012 , p, 53.
27 Djalili Mohammad-Reza, Diplomatie islamique, Paris, PUF, 1989, p, 168.
28 Feki Masri, L’axe irano-syrien, Paris, Studyrama, 2007, p, 13.
29 Ibid, p, 109.
30 Djalili Mohammad-Reza et Therme Clément, « Iraniens et Saoudiens à l’épreuve des révoltes arabes», Politique étrangère, IFRI, N°1, 2012 , p, 119.
31 Fourmont-Dainville Guillaume, Géopolitique de l’Arabie Saoudite, Paris, Ellipses, 2005, p, 128-129.
32 Makinsky Michel, L’Iran et les grands acteurs régionaux et globaux, op.cit,. p, 32.
33 Djalili Mohammad-Reza et Therme Clément, Iraniens et Saoudiens à l’éprouve des révoltes arabes », op.cit,. p, 112.
34 Filiu Jean-Pierre, La Révolution arabe, Paris, Fayard, 2011, p, 120.
35 Bayramzadeh Kamal, « Le régionalisme dans le monde arabe », in Sebastian Santander, Relations internationales et régionalisme : Entre dynamique internes et projections mondiales, Liège, Presse universitaire de Liège, 2012, p, 359.
36 Fourmont-Dainville Guillaume, Géopolitique de l’Arabie Saoudite, op.cit,. p, 97.

Para citar este artículo

Kamal Bayramzadeh, «La lutte pour l’hégémonie régionale dans les relations internationales : le cas du conflit syrien», Cahiers de Science politique [En ligne], Cahier n°27, URL : https://popups.uliege.be/1784-6390/index.php?id=723.

Acerca de: Kamal Bayramzadeh

Enseignant en relations internationales à l’université Paris 13, chercheur associé au CERAL et collaborateur scientifique du département de science politique de l’université de Liège.