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L’Union Européenne, un inépuisable objet d’étude
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L’Union à la rescousse de l’Europe
1L’Union Européenne (UE) constitue une entité politique dynamique dont l’évolution permanente à travers le temps accroit toujours davantage son indéniable complexité et partant augmente la difficulté de sa compréhension. D’autant que l’Union est, comme l’aimait à dire Jacques Delors – président de la Commission européenne de 1985 à 1995 – un « objet politique non-identifié ». Il ne s’agit ni d’un État ni d’une simple organisation internationale, mais de quelque chose entre les deux qui dispose de caractéristiques de l’un et de l’autre. L’intégration européenne constitue une entité économique, institutionnelle et politique sui generis basée sur une association volontaire d’États européens officiellement créée après la Deuxième Guerre mondiale (IIGM) avec le traité de Rome du 25 mars 1957. Plusieurs propositions visant à créer une organisation régionale en Europe entre États voisins furent avancée avant la IIGM. Néanmoins, les temps n’étaient pas mûrs pour la concrétisation de ces projets d’union. Ils échouèrent face à un ordre politique d’Europe occidentale marqué par des rivalités de pouvoir, des nationalismes agressifs, des conquêtes coloniales et des guerres de grande ampleur. Il faudra attendre l’Après-guerre pour voir émerger un contexte propice à la construction européenne.
2Trois raisons politiques principales peuvent expliquer le lancement du projet d’UE dans l’Après-guerre. La première d’entre elles a trait au déclin de la civilisation européenne. Durant les années 1940 et 1950, le monde est confronté à la déchéance de l’Europe en tant que puissance internationale. Les deux guerres mondiales, la crise financière de 1929 et la perte des empires coloniaux dévastent politiquement, socialement et économiquement l’Europe. Elle est également touchée par une crise morale du fait que les valeurs humaines les plus fondamentales sont violées durant les IIGM. La construction de l’unité européenne a donc été rendue possible parce que l’Europe vivait un déclin.
3La deuxième raison est liée à la crainte de la France de voir l’Allemagne refaire surface comme une puissance autonome dans l’Après-guerre. Les autorités françaises considèrent que pour éviter une future guerre, il est important de lier l’Allemagne au reste de l’Europe. Pour atteindre cet objectif, le ministre français des Affaires étrangères, Robert Schuman, propose le 9 mai 1950 la création d’un cadre communautaire de coopération franco-allemand ouvert à d’autres pays européens. La Déclaration Schuman marque le début de l’intégration européenne faisant du 9 mai le jour de l’Europe. Deux ans plus tard est créé la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), dont les membres (France, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) mettent en commun la production de charbon et d’acier. La CECA, qui sera administrée tant par des institutions supranationales qu’intergouvernementales, est considérée comme le précurseur de l’actuel projet d’intégration européenne.
4La troisième et dernière raison pouvant être invoquée pour expliquer la concrétisation du projet d’union de l’Europe dans l’Après-guerre a trait à la volonté de constituer un rempart contre l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et la diffusion du communisme1. Cette contrainte extérieure fut un facteur déterminant dans la construction de l’intégration européenne.
Une entité politique en constante évolution
5Depuis son démarrage, le projet européen a fait face à plusieurs phases et avec le relâchement des tensions internationales des années 1980 et la fin de la guerre froide, l’Union est entrée dans une nouvelle étape de son développement. Les décideurs européens ont souhaité adopter un dessein beaucoup plus ambitieux permettant à l’Europe d’occuper une place plus conséquente sur la scène internationale. Le traité de Maastricht de 1992 a cherché à refléter ces ambitions européennes. L’adoption de ce dernier a marqué un tournant historique dans l’évolution de l’UE car il a ouvert la voie à l’intégration politique européenne, renforcée ultérieurement par l’adoption des traités d’Amsterdam (1997), de Nice (2000) et de Lisbonne (2009). Ceux-ci ont consolidé la structure interne de l’UE. Certaines institutions se sont vues renforcées telles que la Commission européenne qui a désormais plus de pouvoir dans le domaine des négociations commerciales puisque dorénavant elle peut négocier au nom des États membres non plus seulement des sujets ayant trait aux biens commerciaux mais aussi aux questions liées aux services, aux droits de propriété intellectuelle et aux investissements. Le rôle et le pouvoir du Parlement européen s’est également vu considérablement augmenté dans la ratification des accords commerciaux et dans l’établissement du budget européen. Sans compter qu’il a dorénavant la possibilité d’obliger la Commission à démissionner. Par ailleurs, de nouvelles institutions ont été créées telles que le Comité des régions2, la Banque centrale européenne3, le Haut représentant de la politique étrangère de l’UE4, le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE)5 ou le Président permanent du Conseil européen6. L’intégration s’est également vue consolidée avec l’adoption de nouvelles politiques communes dans les domaines de la citoyenneté7 ou monétaire (création d’une monnaie commune), et le lancement de plusieurs programmes européens dans les secteurs de l’éducation, de la recherche, du développement technologique ou de l’environnement. À ceci se sont ajoutées les différentes initiatives visant à développer la visibilité, la reconnaissance, la présence et/ou le rôle de l’UE sur la scène internationale : lancement d’une Politique Étrangère et de Sécurité Commune (PESC) autorisant l’UE à effectuer, notamment, des missions de rétablissement de la paix (conflits en cours) ou des opérations de maintien de la paix (après un conflit) ; renforcement de la politique commerciale permettant à l’Union de conclure des accords commerciaux bilatéraux, interrégionaux ou multilatéraux davantage ambitieux. Les différents instruments d’action extérieure dont l’UE a été dotée lui ont permis de développer tout un tissu de relations diplomatiques avec des puissances, des pays et/ou des groupements régionaux d’Asie, d’Afrique, des Amériques, d’Europe ou du Moyen-Orient.
6Parallèlement à la dynamique de l’approfondissement, le projet européen a connu un processus d’élargissement dont l’objectif consiste à intégrer de nouveaux États en son sein. Pour l’UE et ses États membres la politique d’élargissement doit leur permettre de jouer un rôle de stabilisateur de leur périphérie. Étant donné l’effet d’attraction qu’elle exerce sur toute une série de pays et plus particulièrement sur son voisinage, l’UE a du établir une série de critères contraignants visant à réglementer toute adhésion à son projet. Ces critères dit de Copenhague sont au nombre de trois. Le critère économique impose au candidat de disposer d’une économie de marché viable et la capacité de faire face à la concurrence et aux forces du marché. Le critère politique stipule que le candidat doit avoir des institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, le respect des droits de l’homme et la protection des minorités. Le troisième critère exige que le candidat soit administrativement et institutionnellement capable de mettre en œuvre l’acquis communautaire (transposer l’ensemble des règles européennes en vigueur dans la législation nationale). Il existe un quatrième critère qui a fait l’objet de polémiques entre les États membres. Cette condition ne dépend pas de l’État candidat mais de la capacité d’absorbation de l’UE. En d’autres mots, l’Union doit être jugée apte, sur le plan de son opinion publique mais aussi de sa capacité décisionnelle, budgétaire ou politique, à accueillir en son sein de nouveaux membres. Le projet européen a connu trois processus d’élargissement durant la guerre froide8 et cinq dans l’après-guerre froide9. Depuis son lancement, le nombre de ses membres a été multiplié par quatre et d’autres élargissements se préparent puisqu’aujourd’hui cinq pays sont candidats officiels à l’adhésion (Albanie, Macédoine du Nord, Monténégro, Serbie et Turquie).
La construction européenne face à ses défis
7Il est évident que l’intégration européenne n’a plus grande chose à avoir avec le projet initial. Ceci étant, malgré les progrès spectaculaires réalisés dans les domaines de l’approfondissement et l’élargissement, l’intégration européenne est loin de constituer un long fleuve tranquille. L’évolution de la construction européenne ne s’est pas faite de manière continue et régulière. Au contraire, elle a connu des avancées, des ralentissements, des retours en arrière et de nouvelles relances. En réalité, l’histoire de l’intégration européenne est faite de crises et de défis ce qui faisait dire à Jean Monnet que « l’Europe se fera dans les crises et elle sera la somme des solutions apportées à ces crises »10.
8Comme à chaque étape de son histoire, les défis face auxquels l’intégration européenne est aujourd’hui confrontée sont multiples. Ceux-ci sont aussi bien d’ordre interne qu’externe. Certains d’entre eux sont séculaires alors que d’autres sont plus récents. Parmi ceux-ci, on peut évoquer la question de la démarcation spaciale de l’UE et de son extension à d’autres contrées. Tel que mentionné précédemment, le projet européen s’est élargi huit fois et d’autres pays se préparent à le rejoindre. La politique d’élargissement pose la question de la frontière du projet européen. L’Union rencontre des difficultés à définir clairement ses limites en termes géographiques.
9Cette situation crée une tension entre les processus d’élargissement et d’approfondissement de l’Union. L’élargissement a été considéré comme l’outil de politique étrangère le plus efficace de l’Union. Mais l’extension incessante du projet européen à d’autres pays tiers n’est pas sans risques. Elle peut engendrer des difficultés dans l’efficacité du fonctionnement de l’UE voire faire courir à l’intégration européenne un risque de dilution. Par ailleurs, plus l’Union s’élargit, moins elle a de chances de devenir une véritable union politique. En revanche, le repli sur soi crée des déçus dans les pays tiers désireux de rejoindre le projet européen et affaiblit de manière relative la présence européenne dans son voisinage proche face aux puissances extrarégionales (Chine, Russie). Cette situation soulève une série d’autres questions ayant trait à la place de l’UE dans la multipolarisation croissante du monde, aux réponses à apporter aux ambitions globales de la Chine ou de la Russie, au rôle à exercer dans la régulation de la mondialisation ou aux voies d’autonomie à emprunter pour faire face à la puissance américaine dont l’action n’est plus un facteur de fédération pour l’Europe mais de fragilisation.
10Le projet européen est également confronté à la question de sa légitimité politique ainsi qu’à celle de la distance qui sépare l’Europe communautaire de ses citoyens. Ces derniers peinent à s’identifier à une construction qu’ils perçoivent avant tout comme une machine bureaucratique, non-transparente et non-démocratique. L’opinion dominante conçoit l’UE comme un acteur qui opère davantage en faveur des grands groupes économiques privés que des populations européennes. Ce désintérêt pour la chose publique européenne contribue à miner sa légitimité politique ainsi qu’à alimenter l’essor de mouvements souverainistes et nationalistes portés par des sentiments eurosceptiques voire europhobes. Le Brexit est en grande partie le résultat de la montée en force d’un souverainisme britannique anti-européen. Cette difficulté que rencontre l’Europe communautaire à connecter avec ses citoyens s’explique également par la compétition inégale entre l’UE et ses États membres qui la défavorise : contrairement à la plupart des États membres, la construction européenne peine à s’enraciner dans une communauté politique (polity) d’autant qu’il n’y a pas de « peuple européen » duquel elle pourrait retirer une légitimité. Dès lors, la question qui se pose est de savoir comment l’UE politique peut se construire sans un sentiment d’appartenance surtout dans une période d’exacerbation des particularités nationales.
11À ceci s’ajoute un autre enjeu pour l’UE, celui de l’absence d’un projet politique européen clair. Les récits fondateurs sur la réconciliation et la paix qui ont servis à l’unification européenne après les deux conflits mondiaux dévastateurs ne suffisent plus. Le discours sur l’union et la prospérité par le marché ne semble pas non plus suffire. Dès lors, sur base de quel projet politique l’UE peut-elle se construire ? Les décideurs européens manquent d’inspiration ou de boussole. Dès lors, étant donné que la réponse à la question tarde à se faire connaître, l’intégration européenne tend à naviguer à vue avec tous les risques de collision que cela comporte.
L’Union européenne comme objet d’étude
12L’ensemble de ces questions ainsi que bien d’autres font l’objet de recherches incessantes de la part de politologues, juristes, économistes, historiens, sociologues et/ou philosophes. Il existe aujourd’hui une importante communauté scientifique aussi bien en UE qu’en dehors de celle-ci intéressée et animée par l’objet d’étude européen. Les recherches qui ressortent de l’activité scientifique de cette communauté portent bien évidement sur la dynamique, les problèmes et les enjeux internes à la construction européenne. Avec le temps, la dimension extérieure a commencé à capter l’attention des spécialistes en études européennes donnant ainsi lieu à de nombreuses publications sur le sujet.
13Ceci étant, les recherches sur la construction européenne se sont longtemps caractérisées par une certaine tendance au « nombrilisme ». En d’autres termes, elles avaient une propension à se concentrer principalement sur la dimension interne du projet européen en accordant une attention distraite à ses relations internationales et à l’impact de ses politiques extérieures. Les chercheurs et les publications scientifiques allaient surtout s’intéresser à l’étude des retombées de la construction du marché commun pour les États membres et les économies nationales11. Ils se penchaient sur le déploiement des politiques publiques européennes (politique agricole commune, politique commune de la pêche) et leurs impacts à l’échelle nationale12. Ils s’intéressaient au processus décisionnel, au partage des compétences, aux dynamiques de l’organisation (fonctionnement, accomplissements, limites) ainsi qu’à l’influence politique de la bureaucratie européenne (« comitologie »)13. Ils s’interrogeaient également sur le type de régime politique pouvant naître au niveau européen dû à l’adoption de nouveaux traités, à la cessation de nouvelles compétences et/ou à la création de nouvelles instances à l’échelle supranationale. Le processus de construction européenne était-il en train de donner naissance à un État fédéral, à un système confédéral ou plutôt à des formes politiques plus proches du condominium ?14. D’autres qui investiguaient sur le rôle et le poids politique croissant des lobbies et groupes de pressions de toutes sortes gravitant autour des instances décisionnelles supranationales basées à Bruxelles s’interrogeaient sur l’essor d’une « lobbycratie » à l’échelle européenne15.
14L’agenda des chercheurs en études européennes était aussi fortement conditionné par l’intérêt que ces derniers portaient aux thématiques ayant trait à la question de la légitimité (et aux canaux de légitimation) des institutions européennes et plus largement à la problématique du déficit démocratique en lien avec le processus décisionnel de l’UE16. Telles étaient certaines des questions majeures qui préoccupaient et animaient la recherche en études politiques européennes.
15Proportionnellement, la dimension extérieure était sous-étudiée. Il est vrai que le bloc européen disposait, à ses débuts, de compétences limitées en matière de politique internationale. Toutefois, elles n’étaient pas absentes de son champ d’action puisqu’il pouvait les déployer via la politique commerciale ou la coopération au développement sans compter que certaines politiques internes de l’Europe communautaire avaient déjà une composante externe, à l’instar du marché commun ou de la politique agricole commune.
16Il arrivait que la dimension extérieure fasse l’objet d’une attention mais au détour de l’étude de la dialectique entre l’approfondissement et l’élargissement17 ou entre intergouvernementalisme et supranationalisme18. Souvent cette thématique était guidée par des questions tournant autour des implications que la consolidation ou l’extension du projet européen pouvaient avoir pour son fonctionnement. En d’autres mots, les réflexions scientifiques cherchaient à déterminer si un processus d’extension continue à d’autres États tiers ne risquait pas de contribuer à dissoudre la Communauté européenne en une vaste zone de libre-échange et partant affaiblir durablement tout projet d’Europe politique. En retour, d’autres étudiaient les implications de l’approfondissement de la construction européenne pour ses États membres et s’interrogeaient sur l’impact du phénomène de souveraineté partagée (« pooled souverenity »19) pour le pouvoir national. Il arrivait également que l’action internationale de l’Europe communautaire soit étudiée au travers de l’étude des relations transatlantiques20 ou de la politique commerciale commune21. Toutefois, l’étude de la dimension extérieure du bloc européen restait malgré tout fort limitée.
17Toutefois, avec la fin de la guerre froide, la structure communautaire existante est consolidée, de nouvelles institutions sont créées, de nouvelles stratégies communes sont adoptées à l’échelle européenne et le projet d’une Europe politique est mis sur les rails. À mesure qu’il se développe, le bloc européen se voit davantage confronté à l’international. L’agenda des chercheurs s’élargit débouchant sur une réflexion plus systématique sur des thématiques davantage liées à la dimension extérieure de l’Union.
18Plusieurs explications permettent de comprendre l’intérêt croissant que les chercheurs vont accorder à l’étude de la dimension extérieure de l’Union. Parmi ceux-ci, nous pouvons en épingler trois. Tout d’abord, le fait que l’Europe communautaire dispose dorénavant d’un éventail de politiques qui couvre l’ensemble des enjeux les plus conséquents de la politique globale contemporaine. En effet, les outils dont l’Union dispose, lui permettent, théoriquement, de mener des actions dans le domaine de la sécurité et de la défense, d’exercer un rôle dans le commerce international, le développement ou l’humanitaire, ainsi que de tisser des liens étroits avec des acteurs de son environnement géographique proche et éloigné tant au travers de ses politiques d’élargissement et de voisinage que de ses relations diplomatiques22. Il faut, ensuite, mentionner que l’Europe communautaire non seulement renforce ses politiques internes mais en outre se dote d’une panoplie d’instruments internes ayant une composante externe (euro, environnement, marché commun, visas). La troisième explication qui peut être avancée concerne une prise de conscience : dans un monde globalisé où ce qui arrive quelque part peut affecter la vie des acteurs partout ailleurs, il n’est plus possible de penser l’intégration européenne sans l’appréhender dans son rapport avec le monde extérieur. Les chercheurs prennent acte du fait que l’UE et ses États membres n’évoluent pas dans un vide politique mondial et que ces derniers sont loin d’être exempts d’influences exercées par des acteurs et facteurs extérieurs. Les évènements du 11 septembre 2001, la crise systémique de 2008, les « printemps arabe » de 2011, la crise migratoire de 2015, la guerre commerciale sino-américaine déclenchée à partir de 2018 ou la pandémie du Covid-19 ont toutes eu des répercussions sur l’intégration européenne. En outre, l’UE n’est pas à l’abri d’influence d’acteurs extérieurs. L’action d’États tiers comme celle déployée par les États-Unis ou les organisations multilatérales, à l’instar du Fonds Monétaire International (FMI), de la Banque Mondiale (BM), de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) ou de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), peuvent avoir une certaine incidence sur le contenu des politiques publiques (commerce, économie, coopération au développement, diplomatie ou sécurité) de l’UE23.
Les contributions aux Cahiers de science politique
19Le présent numéro spécial des Cahiers de science politique est le résultat d’une réflexion menée à l’occasion d’une journée d’étude scientifique organisée dans le cadre de l’Après-midi de recherche du département de Science politique de l’Université de Liège autour de la question du projet européen et plus particulièrement des Atouts, défis et enjeux de l’Union européenne.
20Les organisateurs de cet événement et coordinateurs de cet ouvrage ont fait le choix avisé d’inscrire cette double activité scientifique dans une démarche d’ouverture et de dialogue interdisciplinaires en faisant participer à la réflexion des chercheurs spécialistes de politique comparée, de relations internationales, de politique publique, de droit économique ou de politique interne.
21Les recherches reprises dans ce numéro spécial traitent de sujets forts variés relevant du nucléaire, de la politique commerciale, des questions stratégiques et militaires, des relations extérieures ou de la place des institutions et des États dans le processus décisionnel européen. Chacune des contributions présentées dans cette publication aborde des sujets très spécifiques. Toutefois, elles possèdent toutes un seul et unique objet d’étude, celui de l’intégration européenne.
22 La première contribution porte sur les rapports entre l’UE et ses États. Ceux-ci sont appréhendés au travers de la sécurité coopérative et de la défense au sein de l’Union. Comme le précise André Dumoulin, ce sont deux domaines qui relèvent de la compétence des États membres. Toutefois, bien que ces derniers soient les maîtres du jeu, il existe des mécanismes via lesquels un nombre limité d’États membres peuvent déployer au nom de l’UE des actions dans le domaine sécurité-défense à condition que ceux qui s’abstiennent de participer n’entravent pas la mission. Ceci étant l’abstention constructive – ou ce que l’auteur appelle « flexibilité conditionnelle » – rencontre des limites. Raisons pour lesquelles la réflexion d’André Dumoulin cherche à savoir quelles pourraient être les conditionnalités structurelles à un véritable intégratif sécurité-défense. Pour lui, une des clés pourrait venir de l’aboutissement d’une réelle autonomie diplomatique européenne parallèlement à un souverainisme partagé européen.
23 Alors que la première contribution présentée dans ce numéro explore en priorité le processus décisionnel interne, celle proposée par Kamal Bayramzadeh se propose d’évaluer l’impact de l’Union sur l’environnement international à partir de ses politiques. La réflexion tourne donc autour de la question de la construction de l’UE comme acteur international. Pour ce faire, elle s’intéresse à son action extérieure et plus particulièrement au rôle qu’elle exerce dans la résolution des crises internationales. L’étude de cas qui anime cette recherche concerne la crise du nucléaire iranien et le rôle exercé par l’UE dans la conclusion de l’accord sur le nucléaire iranien de 2015. Pour l’auteur, l’UE dispose d’une série d’attributs de la puissance qui lui permettent d’exercer une certaine influence internationale. Elle participe à la médiation, à la gestion des crises, à l’instauration de la paix et à la démocratisation de plusieurs pays. Son rôle doit également être mesuré, selon l’auteur, en fonction du contexte, des conditions politiques et du facteur des rapports des forces internationaux. Ceci permet de mieux entrevoir la portée de l’action internationales de l’UE qui comparée à l’action des grandes puissances étatiques, reste limitée d’autant plus quand il s’agit du domaine relevant de la « high politics » (sécurité-défense).
24 La contribution de Philippe Vincent mobilise une double démarche méthodologique. Elle se propose, d’une part, d’analyser la mécanique interne à l’UE par le truchement de l’étude des rapports interinstitutionnels européens et, d’autre part, d’observer l’impact des politiques déployées par l’Union sur le monde extérieure. Pour ce faire, l’auteur se concentre sur l’étude de la Politique commerciale européenne et constate que, suite au blocage des négociations commerciales multilatérale au sein de l’OMC, l’UE n’hésite pas à chercher des voies alternatives afin d’avoir accès à de nouveaux marchés et à signer des accords commerciaux bilatéraux de « nouvelle génération » avec toute une série d’acteurs tiers. Ces accords sont portés par un agenda ambitieux qui couvre aussi bien le commerce de marchandises que le commerce des services, la propriété intellectuelle ou les investissements internationaux. Les accords de nouvelle génération sont négociés par la Commission européenne au nom des États membres. Toutefois, ce sont ces derniers qui octroient le mandat de négociation à la Commission. Depuis le traité de Lisbonne (2009), une troisième institution est entrée dans le jeu. Il s’agit du Parlement européen. Tout accord négocié doit être ratifié aussi bien par le Conseil que par le Parlement européen. Mais on oublie souvent que d’autres institutions européennes peuvent intervenir dans ce jeu. C’est le cas de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) qui comme le rappelle Philippe Vincent a fait l’objet de deux demandes d’avis sur les accords de nouvelle génération. Les avis émis par celle-ci peuvent contraindre l’UE à modifier sa position dans les négociations avec les partenaires tiers.
25 La quatrième et dernière contribution est celle de Vincent Bricart qui prolonge la réflexion sur la Politique commerciale européenne menée dans l’article précédent. La perspective adoptée dans la présente est double : il s’agit d’analyser la place des institutions à partir d’une approche comparative. La contribution s’intéresse aux rôles exercés par les assemblées parlementaires des États-Unis et de l’UE en matière de politique commerciale et plus précisément en lien avec les accords de nouvelle génération, tels que le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (TTIP), l’Accord Économique et Commercial Global (CETA) et l’Accord de Partenariat Transpacifique (TPP). La question qui anime la présente est de savoir si les assemblées parlementaires comme le Congrès américain et le Parlement européen sont à même de peser dans les processus décisionnels de leur pays et d’infléchir le résultat final des tractations commerciales. Le constat dégagé par Vincent Bricart est le suivant : face à l’impact grandissant de la globalisation sur le quotidien des citoyens, les assemblées législatives tendent à s’impliquer davantage dans le domaine de la diplomatie commerciale et partant gagnent en importance et en visibilité dans leur fonction vis-à-vis de ces accords commerciaux de nouvelle génération.
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Notes
1 WALLACE, W. (1994), Regional Integration: the West European Experience, Washington, Brookings Institution, p. 11 et sq.
2 Comité consultatif représentant 329 membres représentant les autorités régionales et locales des 27 États membres de l’UE.
3 En charge de la politique monétaire dans la zone euro.
4 Il conduit la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE.
5 Service diplomatique de l’UE.
6 Il assure la continuité des travaux de l’institution qu’il préside.
7 Le citoyen européen, résidant dans un autre État membre que son pays d’origine, est autorisé à voter et à se porter candidats aux élections municipales et européennes.
8 1973 : Danemark, Irlande et Grande-Bretagne ; 1981 : Grèce ; 1986 : Portugal et Espagne.
9 1990 : Allemagne de l’Est ; 1995 : Autriche, Finlande et Suède ; 2004 : Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie ; 2007 : Bulgarie et Roumanie ; 2013 : Croatie.
10 MONNET, J. (1976), Mémoires, Paris, Fayard, p. 488.
11 ESHAG, É. (1966), Present system of trade and payments versus full employment and welfare state, Oxford, Blackwell, 42 p. ; TORRE, J. et BACCHETTA, M. (1980), « The uncommon market: European policies towards the clothing industry in the 1970s », Journal of Common Market Studies, vol. 19, n° 2, 95-122 ; GUIEU, P. et BONNET, C. (1987), « Completion of the Internal Market and Indirect Taxation », Journal of Common Market Studies, vol. 25 n° 3, pp. 209-222.
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18 SMITH, A. (2004), Le gouvernement de l’Union européenne. Une sociologie politique, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 195 p.
19 Ce terme est utilisé pour désigner le partage des pouvoirs de décision entre les États au sein d’organisations multilatérales à l’instar de l’Union européenne ; cf. RITTBERGER, B. (2009), « Pooled sovereignty », dans MCLEAN, I. et MCMILLAN, A. (2009), The Concise Oxford Dictionary of Politics (3).
20 KAISER, K. et SCHWARTZ, H-P, (1979), America and Western Europe: problems and prospects, Massachusetts, Lexington Books, 447 p. ; SERFATY, S. (1979), Fading Partnership: America and Europe after 30 years, Eastbourne, Praeger, 115 p. ; ALLEN, D. et SMITH, M. (1982), « Europe, the United States and the Middle East: A Case Study in Comparative Policy Making », Journal of Common Market Studies, vol. 22, n° 2, pp. 125-146.
21 TWITCHETT, K. J. (1976), Europe and the World: The External Relations of the Common Market, Londres, Europa Publications, 210 p. ; YANNOPOULOS, G. N. (1985), « EC External Commercial Policies and East-West Trade in Europe », Journal of Common Market Studies, vol. 24, n° 1, pp. 21-38.
22 BRETHERTON, C. et VOGLER, J. (2006), The European Union as a Global Actor, Londres, Routledge, 273 p ; PETITEVILLE, F. (2006), La politique internationale de l’Union européenne, Paris, Les Presses Sciences Po, 280 p. ; ORBIE, J. (dir.), (2008), Europe’s Global Role, Angleterre, Ashgate, 267 p. ; TELÒ, M. et PONJAERT, F. (dir.) (2013), The EU’s Foreign Policy. What Kind of Power and Diplomatic Action? Londres, Ashgate, 248 p. ; BARBÉ, E. (dir.), (2014), La Unión Europea en las Relaciones Internacionales, Madrid, Tecnos, 443 p. ; KEUKELEIRE, S. et DELREUX, T. (2014), The Foreign Policy of the European Union, New York, Palgrave Macmillan, 408 p. ; SMITH, M., KEUKELEIRE, S. et VANHOONAKER, S. (dir.) (2016), The Diplomatic System of the European Union, New York, Routledge, 310 p. ; HILL, C., SMITH, M. et VANHOONACKER, S. (dir.) (2017), International Relations and the European Union, Oxford, Oxford University Press, 570 p.
23 SANTANDER, S. (2008), Le régionalisme sud-américain, l’Union européenne et les États-Unis, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2008, 280 p. ; SANTANDER, S. (dir.) (2012), Les puissances émergentes : un défi pour l’Europe ? Paris, Ellipses, 384 p. ; SANTANDER, S. (2014), « The EU and the Shifts of Power in the International Order: Challenges and Responses », European Foreign Affairs Review, vol. 19, n° 1, pp. 65-81 ; SANTANDER, S. et VLASSIS, A. (2020), « EU in global affairs: constrained ambition in an unpredictable world? », European Foreign Affairs Review, vol. 25, n° 1, pp. 3-21 ; SANTANDER, S. (2020), « The Atlantic Triangle in the Era of China’s Rising Power in Latin America », dans TELÒ, M. and FENG, Y. (dir.) (2020), China and the EU in the Era of Regional and Interregional Cooperation, Bruxelles, Peter Lang, pp. 239-256.