Entomologie faunistique - Faunistic Entomology Entomologie faunistique - Faunistic Entomology -  Volume 77 (2024) 

Anogcodes rufiventris (Scopoli 1763)(Coleoptera, Oedemeridae, Nacerdinae) espèce exceptionnelle en Belgique ?

Jean Fagot
Collaborateur scientifique à l'Université de Liège, Gembloux Agro-Bio Tech, Entomologie fonctionnelle et évolutive (Prof. F. Francis). Passage des Déportés 2, B-5030 Gembloux. E-mail : jean.fagot@uliege.beAdresse privée: Route du Moulin de Dison 74, B-4845 Jalhay. E-mail : jean.fagot@gmail.com
Jacky Poncin
Wardin 237, 6600 Bastogne. E-mail : poncinja@yahoo.com.

Résumé

Deux spécimens d’Anogcodes rufiventris (Scopoli 1763) ont été découverts à proximité de la frontière sud de notre pays, loin de l’aire naturelle et des biotopes fréquentés par cette espèce. Ces observations sont présentées et commentées.

Mots-clés : nouvelle espèce, catalogue, atlas, chorologie.

Abstract

Two specimens of Anogcodes rufiventris (Scopoli 1763) were discovered near the southern border of our country, far from the natural area and biotopes frequented by this species. These observations are presented and commented on.

Keywords : new species, catalog, atlas, chorology

Reçu le 15 juillet, accepté le 6 septembre, mis en ligne le 1er octobre 2024.

Cet article est distribué suivant les termes et conditions de la licence CC-BY(http://creativecommons.org/licenses:by/4.0/deed.fr)

Acronymes

1MNHN : Musée National d’Histoire Naturelle, Paris.

2RBINS : Royal Belgian Institute of Natural Sciences, Bruxelles.

Introduction

3Le genre Anogcodes Dejean 1834 fait partie de la sous-famille des Nacerdinae Mulsant 1858, tribu des Nacerdini Mulsant 1858. Il comprend plusieurs espèces dont la distribution concerne essentiellement les zones montagneuses d’Europe centrale et occidentale, des Pyrénées aux Balkans. Anogcodes rufiventris (Scopoli 1763) fait partie de ces espèces. De ce fait, il est fort improbable de rencontrer ce taxon dans nos régions (Carte 1). Un spécimen femelle a pourtant été observé tout récemment dans le Sud du pays ainsi qu’une autre femelle en France, non loin de la frontière, à proximité de Longwy (Carte 2). Pour la Belgique, il s’agit de la seconde observation, la première remontant à 1956 (Derenne, 1957 ; Fagot, 2020).

Présentation

4Anogcodes rufiventris, jadis appelé A. aurulenta (Dufour 1851), montre un dimorphisme sexuel prononcé mais aussi une variabilité importante de couleurs. Le mâle a le corps noir et les élytres jaunes ou foncés mais toujours avec la zone suturale jaune. Les femelles sont également très variables. L’abdomen est rouge avec l’apex noir et le pronotum est jaune avec divers motifs noirs. Il s’agit généralement d’une ligne médiane, parfois absente ou réduite à un point central, parfois élargie au pronotum entier (Figure 1). Les larves vivent dans le bois de résineux en décomposition alors que les adultes, entre 8 et 12 mm, sont floricoles (Vasquez, 2002 ; Fadda, 2016).

Distribution

5L’espèce est connue dans toute l’Europe, en situations de montagnes (Allemand, 2014) et, en France, l’espèce est commune dans les Pyrénées et les Alpes (MNHN). Les observations les plus nordiques étaient, jusqu’il y a peu, à hauteur de Mulhouse (Haut-Rhin) ou de Châtillon-sur-Seine (Côte-d’Or). Callot (2018) note sa présence en Alsace. Cette distribution orophile est confirmée par les observations disponibles sur les plateformes d’encodage GBIF1 (2031 observations) ou Inaturalist2 (168 observations) et également sur le site de l’Inventaire national du Patrimoine naturel (INPN) français3 et sur la carte 1 (Consultations au 1er juillet 2024).

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Carte 1 : Probabilité de présence de Anogcodes rufiventris (Scopoli 1763) en France. https://inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/224066/tab/carte.

6Lors d’une assemblée mensuelle de la Société entomologique de Belgique, Derenne (1957) a annoncé la première découverte de A. rufiventris en Belgique, le 3.VII.1956, sur des buissons. A cette même occasion, il annonçait également la première observation d’un autre Oedemeridae, Ischnomera cinerascens (Pandellé 1867). Mathieu (1860) et Lameere (1887) n’en font pas mention. Quant à Kerremans (1880), il indique que A. rufiventris n’a pas encore été capturée en Belgique mais bien en Prusse Rhénane et Nassau (aujourd’hui parties des Lands de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Rhénanie-Palatinat). Par la suite, dans leurs tables générales, Cooreman (1950) et Coulon (1981) ne parlent pas plus de A. rufiventris si ce n’est, chez Coulon, pour reprendre la découverte de 1956.

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Figure 1 : Anogcodes rufiventris (Scopoli 1763), Lahage (Tintigny), 7.VI.2024, 1♀, sur Leucanthemum vulgare. Photo Jacky Poncin.

7Belgique

8Province de Luxembourg : Orval (Villers-devant-Orval), 3.VII.1956, sur buissons, Rec. et Coll. Derenne ; Lahage (Tintigny), 7.VI.2024, 1♀, sur Leucanthemum vulgare. Photo Jacky Poncin4.

9France

10Meurthe-et-Moselle : Moulaine centre (Haucourt-Moulaine), 17.VI.2024, 1♀, dans un jardin fleuri en bordure de forêt. Photo Elisabeth Silva5.

11Le spécimen femelle photographié dans la toute nouvelle réserve naturelle de Lahage se trouvait sur Leucanthemum vulgare. Le pronotum et les élytres sont quasi intégralement jaunes (Figure 1). Le spécimen femelle découvert en France dix jours plus tard montre le même faciès.

12La réserve de Lahage, appelée « Gros Cron de Lahage » ou « La Cranière », est connue pour son tuf calcaire. Il s’agit de 50 hectares situés en rive droite de la Chevratte, dans un environnement forestier. Elle est constituée notamment d'un rocher aride portant une pelouse à Seslérie bleuâtre (Sesleria caerulea). On y observe en outre quelques éléments de bas-marais alcalin et de mégaphorbiaie là où le cron est encore irrigué par les ruisselets (Portail Wallonie.be - 1240 - Gros Cron de Lahage, consultation le 1er juillet 2024). En l’état actuel, le site fortement escarpé, localement sablonneux, a été dégagé de ses résineux sur une seule rive. Par endroits, la coupe a tendance à se refermer par les recrûs ligneux alors que les espaces encore ouverts offrent une végétation herbacée comprenant de nombreuses plantes à fleurs.

13Le spécimen de Moulaine a été photographié dans un jardin en bordure de forêt, dans un village traversé par un ruisseau. Ce jardin est géré en tonte raisonnée, n'étant tondu complètement que deux fois par an. De nombreuses fleurs sauvages y sont présentes.

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Carte 2 : Distribution des observations connues de Anogcodes rufiventris (Scopoli 1763) au 1er juillet 2024 en Belgique et les régions limitrophes.

Commentaires

14Anogcodes rufiventris est, chez nous, une espèce extrêmement rare. Sa découverte doit impérativement être signalée aux gestionnaires des sites concernés, que ce soit en réserve naturelle ou non. Comme dans de nombreuses situations, une gestion offrant une mosaïque d’habitats, dont certains riches en plantes à fleurs, serait favorable à cette espèce. Vu son tempérament orophile, la présence de A. rufiventris dans nos régions ne peut être imputée au changement climatique et d’autant moins que la Gaume est la région au climat le plus « provençal » du pays.

15Ces deux nouvelles observations et celle du siècle passé (1956) montrent que A. rufiventris migre occasionnellement et discrètement au nord de son aire habituelle au fil des ans. Pour l’instant, nous lui conservons le statut d’espèce accidentelle. La carte 1 nous conforte dans cette décision.

Bibliographie

Bibliographie

Allemand R., 2014. Oedemeridae. In : Tronquet M., 2014. Catalogue des Coléoptères de France. Association roussillonnaise d’Entomologie, Perpignan. Supplément au Tome XXIII - R.A.R.E., 568-570.

Callot H., 2018. Liste de référence des Coléoptères d'Alsace. Société Alsacienne d'Entomologie - http://soc.als.entomo.free.fr - version du 30-IX-2018, 107pp.

Cooreman J., 1950. Table générale des Bulletin et Annales (XXXI-LXXX), Bulletins (I-VI) et Mémoires (I-XXIV) (1888-1944) de la Société entomologique de Belgique et Répertoire des Espèces (1902-1944). Société entomologique de Belgique. Bruxelles.

Coulon G., 1981. Table générale des Bulletin et Annales (LXXXI-CXVI) et Mémoires (XXV-XXII) de la Société royale belge d’Entomologie et Répertoire des Espèces (1945-1980). Société royale belge d’Entomologie. Bruxelles.

Derenne E., 1957. Communication lors de l’assemblée mensuelle du 5 octobre 1957. Bulletin et Annales de la Société royale d’Entomologie de Belgique, 93(9-10), 237-238.

Fadda S., 2016. Les Oedemeridae Latreille, 1810 de la faune de France : clé de détermination et éléments d’écologie et de biologie (Coleoptera Tenebrionoidea). L’entomologiste, 72(3), 141-155.

Fagot J., 2020. Catalogue commenté des Oedemeridae Latreille 1810 (Coleoptera Tenebrionoidea) de Belgique. Entomologie Faunistique - Faunistic Entomology, 73, 57-69. https://popups.uliege.be/2030-6318/index.php?id=4879.

Kerremans C., 1880. Catalogue des Coléoptères de Belgique et des régions voisines. Eds Lebègue et Cie, Bruxelles, 67 pp.

Lameere A., 1887. Table générale des annales de la Société entomologique de Belgique (I-XXX) et catalogue des ouvrages périodiques de sa bibliothèque. Société entomologique de Belgique, Bruxelles. 81 pp.

Mathieu C., 1860. Catalogue des Coléoptères de Belgique. Annales de la Société entomologique de Belgique, 4(1), 1-55.

Vázquez X.A., 2002. European Fauna of Oedemeridae. Argania Ed., Barcelona. 179 pp.

(11 réf.)

Notes

Pour citer cet article

Jean Fagot & Jacky Poncin, «Anogcodes rufiventris (Scopoli 1763)(Coleoptera, Oedemeridae, Nacerdinae) espèce exceptionnelle en Belgique ?
», Entomologie faunistique - Faunistic Entomology [En ligne], Volume 77 (2024), 137-141 URL : https://popups.uliege.be/2030-6318/index.php?id=6438.