Entomologie faunistique - Faunistic Entomology Entomologie faunistique - Faunistic Entomology -  Volume 77 (2024) 

Neocrepidodera femorata (Gyllenhal 1813) (Coleoptera, Chrysomelidae, Galerucinae, Alticini), une espèce réputée rare en Belgique.Entretiens sur les Chrysomelidae de Belgique et des régions limitrophes 21

Jean Fagot
Collaborateur scientifique à l'Université de Liège, Gembloux Agro-Bio Tech, Entomologie fonctionnelle et évolutive (Prof. F. Francis). Passage des Déportés 2, B-5030 Gembloux. E-mail : jean.fagot@uliege.be.Adresse privée: Route du Moulin de Dison 74, B-4845 Jalhay. E-mail : jean.fagot@gmail.com.

Résumé

Suite à des captures récentes de Neocrepidodera femorata (Gyllenhal 1813) dans plusieurs localités du pays, sa distribution et son statut sont commentés.

Mots-clés : espèce rare, catalogue, chorologie.

Abstract

Following new captures of Neocrepidodera femorata (Gyllenhal 1813) in several sites in the country, its distribution and its status are commented on.

Keywords : rare species, catalog, chorology.

Reçu le 22 juillet, accepté le 26 septembre et mis en ligne le 3 octobre 2024.

Cet article est distribué suivant les termes et les conditions de la licence CC-BY (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/deed.fr)

Acronymes

1GBIF : Global Biodiversity Information Facility.

2RBINS : Royal Belgian Institute of Natural Sciences, Bruxelles.

3SSHF : Station Scientifique des Hautes Fagnes (ULiège)

INTRODUCTION

4Peu de spécimens de Neocrepidodera femorata (Gyllenhal 1813) (Figure 1A) sont signalés de Belgique. Historiquement, au début du XXe siècle, ce taxon n’était connu que de la seule province de Luxembourg, sur les hauteurs ardennaises. C’est Guilleaume (1913) qui en a annoncé la première découverte à Masbourg et Val-de-poix lors d’une assemblée de la Société entomologique de Belgique à Bruxelles. En 1932, Guilleaume signale aux membres de ladite Société une nouvelle observation à Wellin (Guilleaume, 1932). Il faudra attendre les années ’80 pour que Magis, Poelman et Lays récoltent N. femorata dans l’extrême Est du pays, à la frontière allemande. L’altise fut trouvée dans la plaine alluviale du Jansbach (Rocherath) en 1981 (Lays, 1983) et sa présence fut confirmée en 1984, cette fois dans la hêtraie du Wildenberg qui domine la confluence du Jansbach et de l’Olefbach (Lays, 1988).

5Par la suite, ces vingt dernières années, l’espèce a été repérée dans de nouvelles localités. Jusqu’à plus ample prospection et de nouvelles découvertes, les observations de N. femorata semblent très localisées et s’étirent sur les hauteurs boisées du pays, en suivant la dorsale ardennaise du sud-ouest vers le nord-est, depuis la Thiérache jusqu’au plateau d’Elsenborn (Carte 1).

PRESENTATION

6Le genre Neocrepidodera Heikertinger 1911 (Synonymes : Crepidodera sensu Foudras 1859 et auct., non Chevrolat 1837 puis Asiorestia Jacobson 1926) compte environ 66 espèces dans le Paléarctique dont la moitié (32) en Europe (Döberl, 2010). Les espèces du genre se répartissent en deux groupes. Le premier comprend des formes entièrement rousses dont l’habitat préférentiel se situe en plaine et dans les collines. Le second compte des espèces bicolores qui montrent des affinités pour les biotopes d’altitude. En Belgique, deux espèces monochromes sont assez communes : Neocrepidodera ferruginea (Scopoli 1763) et N. transversa (Marsham 1802).

7Neocrepidodera femorata fait partie du second groupe. Ses élytres sont bleu foncé et son thorax est roux. Il est peu rencontré chez nous où il pourrait être confondu avec Derocrepis rufipes L. 1758 (Figure 1B), une autre altise qui lui ressemble beaucoup mais s’en distingue par ses pattes intégralement rouges (d’où son nom) alors que les fémurs de N. femorata sont noirs (d’où son nom). Sur le terrain, il n’est pas aisé de faire la distinction.

8La plante-hôte de N. femorata généralement citée dans la littérature est Galeopsis tetrahit L. (Derenne, 1963) (Figure 2) mais, selon Bergeal (Comm. pers. in Doguet (1994)), on pourrait également trouver cette altise sur les Cirsium spp.

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Figure 1 : A, Neocrepidodera femorata (Gyllenhal 1813) ♂ ; B, Derocrepis rufipes (L. 1758) ♂ (pas à l’échelle). © Lech Borowiec, université de Wroclaw (Pologne).

DISTRIBUTION

9Au niveau mondial, Döberl (2010) donne une distribution très large et détaillée de l’espèce. De nombreux pays sont concernés en Europe. Doguet (1994) synthétise en indiquant que N. femorata fréquente les régions montagneuses de l’Europe centrale et orientale et les zones basses de l’Europe septentrionale. Foudras (Mulsant, 1860) en disait déjà de même. Vers le Sud, il atteint l’Espagne, le Nord de l’Italie (Biondi et al., 1994) et les Balkans. Au contraire, Duff (2016) et Hubble (2017) ne signalent pas l’espèce en Grande-Bretagne, pas plus que Mousset (1984) pour le Grand-Duché de Luxembourg ni Winkelman et Beenen (2010) pour les Pays-Bas. En France, l’espèce est considérée comme peu commune dans l’extrême Nord, l’Est, les Alpes et le Massif central. Bergeal & Doguet (1992) ne la signalent pas en Ile-de-France. Dans la faune des coléoptères de France, Doguet et Duhaldeborde (2021) présentent l’espèce comme plutôt rare et sporadique et surtout en zones de montagnes, sur Galeopsis. Callot (2018) confirme sa présence en Alsace. Rheinheimer et Hassler (2018) connaissent ce taxon en Allemagne dans quelques localités dispersées et en altitude.

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Figure 2 : Galeopsis tetrahit sous une jeune aulnaie fréquentée par Neocrepidodera femorata (Gyllenhal 1813) à Le Mesnil (photo J.-Y. Baugnée).

10En ce qui concerne les observations renseignées sur internet, Inaturalist montre une distribution limitée à l’arc alpin (18 données)1 alors que GBIF rend compte d’une aire de distribution beaucoup plus vaste, couvrant l’Europe centrale ainsi que la Scandinavie (425 données)2 (sites consultés le 21 juillet 2024).

11Quant aux observations belges, Mathieu (1860) ne connait pas l’espèce, pas plus que Lameere (1887) ou de Moffarts (1893). Kerremans (1880) indique que l’espèce n’a pas encore été vue en Belgique mais bien dans le département du Nord (France). Cooreman (1950) relève l’annonce de la découverte de l’espèce par Guilleaume en 1913 ainsi que celle de 1932. Par la suite, on n’a plus fait mention de l’espèce (Coulon, 1981).

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Carte 1 : Distribution des observations connues de Neocrepidodera femorata (Gyllenhal 1813) en Belgique au 21 juillet 2024.

12Province de Liège : Jansbach (Rocherath), 28.VII.1981, 3♂, 1♀, plaine alluviale strate herbacée, Rec. N. Magis, L. Poelman et P. Lays, Coll. SSHF-Mont Rigi (Hexapoda (Waremme)) ; Wildenberg (Rocherath), 19.VI.1984, 1♂, en hêtraie strate herbacée, Rec. N. Magis et L. Poelman, Coll. SSHF-Mont Rigi (Hexapoda (Waremme)), 9.VII.2024, 1♂, 2♀, en vieille hêtraie, dans un coupe-feu humide, sur Galeopsis tetrahit non en fleurs, Rec. et Coll. J. Fagot.

13Province de Luxembourg : Masbourg (Nassogne), 2♂, 20.VIII.1913, Rec. et Coll. F. Guilleaume ; Val-de-Poix (Saint-Hubert), 3♂, 28.IX.1913, Rec. et Coll. F. Guilleaume ; Wellin, 1 ex., 6.VIII au 29.IX.1932, au filet fauchoir dans une prairie en lisière d’un bois, Leg. F. Guilleaume ; Bahou (Malempré), 1 ex., 30.VI.2013, végétation herbacée sur une ancienne fagne désenrésinée, Rec. et Coll. J.-Y. Baugnée ; Bois du Fond (Marenne), 15.IX.2019, 1♂, photo M. Valzueda (Observations.be/179837648), 10.X.2020, 1♀, photo M. Valzueda (Observations.be/217503328), 24.VI.2024, 1♂, Rec. et Coll. J. Fagot ; Cirou (Rendeux), 13.X.2019, 1♂, photo M. Valzueda (Observations.be/180885018) ; Croix Jadot (Nassogne), 16.III.2020, 1♀, photo M. Valzueda (Observations.be/187005930) ; Grand Pouhon (Marenne), 8.V.2020, 1♂, photo M. Valzueda (Observations.be/191110429).

14Province de Namur : Environs de Wavreille (Rochefort), 2.IX.2001, 1♂ et 1♀, Coll. M. Delbol (Hexapoda (Waremme)) ; Ry de Delûve (Le Mesnil (Viroinval)), 1.VII.2024, 4 ex., champs de Galeopsis tetrahit sous une jeune aulnaie (Figure 2), Rec. J.-Y. Baugnée, 1♂ et 1♀ Coll. J.-Y. Baugnée.

COMMENTAIRES

15L’omniprésence de Galeopsis tetrahit, la plante-hôte de N. femorata, ne peut à elle seule expliquer la distribution de l’espèce dans notre pays. Par contre, le caractère sub-montagnard boréo-alpin de N. femorata peut justifier sa présence sur les hauteurs de l’Ardenne.

16Par ailleurs, il apparaît que les espèces orophiles du genre Neocrepidodera sont très sensibles aux variations climatiques (Cerasoli et al., 2019). Ceci ne peut pas non plus expliquer la chronologie des observations : cinq individus en 1913 et un en 1932 puis l’espèce est retrouvée à l’Est en 1981 et 1984, 50 ans plus tard. Ensuite, il faut attendre quasi 20 ans et les années 2001 à 2024 pour retrouver, à la frontière allemande et dans sept nouvelles localités, 16 individus, soit plus de la moitié des spécimens connus en près d’un siècle.

17En conclusion, N. femorata devrait à l’évidence être trouvé dans d’autres endroits de Haute Belgique. Relisons Foudras (Mulsant, 1860) : Cette espèce se trouve dans les pâturages humides des montagnes européennes. Je l’ai recueillie en juin et juillet dans les Alpes et près d’Uriage, et en août, dans les montagnes de l’Auvergne.

18Neocrepidodera femorata est une espèce aux mœurs très spécifiques. Une seule plante hôte dans des biotopes très particuliers et une phénologie probablement très courte rendent cette espèce discrète et bien difficile à dénicher. Mieux connaître son mode de vie permettra de la retrouver.

Bibliographie

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Cerasoli F., Thuiller W., Guéguen M., Renaud J., D’Alessandro P. & Biondi M., 2019. The role of climate and biotic factors in shaping current distributions and potential future shifts of European Neocrepidodera (Coleoptera, Chrysomelidae). Insect Conservation and Diversity. doi: 10.1111/icad.12376.

Cooreman J., 1950. Table générale des Bulletin et Annales (XXXI-LXXX), Bulletins (I-VI) et Mémoires (I-XXIV) (1888-1944) de la Société entomologique de Belgique et Répertoire des Espèces (1902-1944). Société entomologique de Belgique. Bruxelles, 112 pp.

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Derenne E., 1963. Catalogue des Coléoptères de Belgique, 94. Chrysomeloidea Chrysomelidae, 4, Société royale d’Entomologie de Belgique, 104 pp.

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Doguet S. & Duhaldeborde F., 2021. Alticinae. In : Tronquet M., 2014. Catalogue des Coléoptères de France. Association roussillonnaise d’Entomologie, Perpignan. Supplément au Tome XXIII – R.A.R.E., 634.

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(24 réf.)

Notes

1 https://inaturalist.ala.org.au/observations?subview=map&taxon_id=1000997

2 https://www.gbif.org/fr/species/4462200

Pour citer cet article

Jean Fagot, «Neocrepidodera femorata (Gyllenhal 1813) (Coleoptera, Chrysomelidae, Galerucinae, Alticini), une espèce réputée rare en Belgique.Entretiens sur les Chrysomelidae de Belgique et des régions limitrophes 21», Entomologie faunistique - Faunistic Entomology [En ligne], Volume 77 (2024), 144-148 URL : https://popups.uliege.be/2030-6318/index.php?id=6449.