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Michel Dethier*, Claude Dopagne & Jan Cuppen

Qualité biologique des ruisseaux du domaine universitaire du Sart Tilman (Liège, Belgique) – Hétéroptères et Coléoptères aquatiques.

(volume 61 (2008))
Article
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Annexes

Notes de la rédaction

Reçu le 23 janvier 2008, accepté le 20 mai 2008.

Résumé

Depuis les années ’60, la qualité biologique des ruisseaux du domaine universitaire à Liège (Sart Tilman) a fait l’objet de diverses études. Dans ce travail, nous faisons le point sur la question et comparons les résultats de nos récentes campagnes à ceux de nos prédécesseurs. Une légère mais néanmoins sensible dégradation de la qualité biologique apparaît. L’étude spécifique des Hétéroptères et des Coléoptères aquatiques a mis en évidence une faune assez banale et relativement pauvre, dont l’évolution depuis plus d’un siècle montre en outre un appauvrissement progressif.

Mots-clés : Domaine universitaire, Liège, qualité biologique, insectes aquatiques, Campus, Liège, Biological quality, aquatic insects.

Abstract

Since the ‘60s, a series of biological quality surveys have been conducted on the brooklets at the Sart Tilman campus of the University of Liège. In this paper, we analyse their actual state, and compare the results of our recent field work with those of our predecessors. Slight but significant biological quality degradation seems to be in progress. A study on the aquatic Heteroptera and Coleoptera at species level shows that the fauna is relatively common and poor. For more than a century, the biodiversity of the area is slowly pauperising.


1. INTRODUCTION

1Le domaine universitaire du Sart Tilman à Liège a une longue histoire, que Jeuniaux (2000) a retracée. Il constitue la pointe nord-est du Condroz, dont le flanc nord est bordé par la Meuse (communes industrielles de Seraing, Jemeppe et Ougrée) et le flanc sud par l’Ourthe (communes plus rurales d’Angleur et Tilff). C’est un massif boisé, resté très homogène jusqu’au milieu du 19ème siècle mais qui devint de plus en plus attractif pour les habitants de Liège, ville industrielle. Il connut alors une « colonisation » progressive et diverses menaces de lotissements pesèrent sur le site. Dès le début du 20ème siècle eurent lieu les premiers combats entre défenseurs de la nature, autorités liégeoises et investisseurs (Jeuniaux, 2000). C’est en 1959 que le recteur M. Dubuisson acquit, pour l’Université de Liège, un premier domaine de 172 ha. En 1971, le domaine universitaire s’étendait sur 2000 ha.

2Le domaine a fait l’objet de nombreux travaux scientifiques, qu’il serait trop long de citer ici. Plusieurs ont été rassemblés dans les « Cahiers du Sart Tilman » (1963-1966) et dans les « Cahiers des 2000 ha » (1975-1976).

3La faune aquatique a été étudiée successivement par Gobert (1969), Meurs-Thibeau (1971), Tercafs (1973) et Franchimont (1977). Dans ce travail, nous reprenons l’étude de la macrofaune benthique des eaux courantes, ainsi que des Hétéroptères et Coléoptères aquatiques du site et, dans la mesure du possible, nous comparons nos résultats avec ceux de nos prédécesseurs.

2. PRESENTATION DU SITE ET DES STATIONS

4Le massif du Sart Tilman est constitué de roches gréseuses, psammitiques et schisteuses datant de l’Emsien (Dévonien inférieur). Le plateau est recouvert de sables tertiaires et de limons éoliens. L’ensemble du site est largement boisé par des feuillus (taillis de bouleaux, de peupliers trembles, de sorbiers,…, futaies de chênes, avec des hêtres et des frênes). Les petits ruisseaux qui creusent les flancs du massif sont pentus et souvent encaissés.

5Nous avons échantillonné, sur l’ensemble du domaine et dans ses environs immédiats, neuf stations en eaux courantes et sept en eaux stagnantes. La figure 1 situe nos stations sur le domaine universitaire.

2.1. Eaux courantes

6S1 : ruisseau de la Sordeye, près des homes. Très envasé, beaucoup de végétation morte, étiage très marqué lors de la campagne de septembre 2004. Prés.

7S2 : ruisseau de la Sordeye, juste avant la route de Tilff. Blocs, cailloux, graviers. Bois de feuillus. Se jette dans l’Ourthe peu après.

8G1 : ruisseau du Blanc Gravier, derrière les centres sportifs de l’Université. Graviers, cailloux, vase. Bois de feuillus et prés.

9G2 : ruisseau du Blanc Gravier à mi-parcours, derrière l’Institut de Botanique. Blocs, cailloux, graviers. Bois de feuillus.

10G3 : ruisseau du Blanc Gravier, peu avant le moulin de Colonster (en amont de la mare). Cailloux, graviers, blocs. Bois de feuillus. Se jette dans l’Ourthe un peu plus loin. Deux graves menaces ont successivement pesé sur ce ruisseau : la collecte des eaux usées des bâtiments universitaires par un tunnel souterrain a d’abord entraîné une diminution du débit et des étiages très marqués, menaçant ainsi la faune rhéophile et pétricole. Ensuite, un projet de barrage de 600.000 m3 a heureusement été rejeté.

11M : ruisseau du Fond du Moulin, au lieu-dit « Bain du Curé ». Blocs, cailloux, graviers, vase. Bois de feuillus, quelques résineux. Des immondices au bord de la route. Affluent de l’Ourthe.

12B : ruisseau du Biez du Moulin, au bout de l’allée de la Cense Rouge. Blocs, cailloux, graviers. Bois de feuillus. Dépôt d’immondices en amont. Affluent de la Meuse.

13K : ruisseau de Kinkempois, route du Condroz. Graviers, cailloux, blocs. Bois de feuillus. Affluent de la Meuse.

14V : ruisseau de la Vaudrée, en bas de la route de la Belle Jardinière. Graviers, vase, cailloux. Bois de feuillus. Quelques immondices dans le lit. Affluent de la Meuse.

15Tous ces cours d’eau sont des ruisselets forestiers à courant assez rapide, coulant généralement sur un fond rocheux plus ou moins fin ou grossier. En raison de leur largeur inférieure à un mètre et de leur faible profondeur (v. tableau 1), ils peuvent être rangés parmi les ruisselets (Huet, 1949) et nos stations relèvent de l’hypocrénon et de l’épirhithron (Illies & Botosaneanu, 1963).

2.2. Eaux stagnantes

16MP : mare aux Peupliers (M6, in Tercafs, 1973). D’une superficie d’environ 50 m2 il y a 30 ans, elle est aujourd’hui réduite de moitié et fortement envasée. Entourée de feuillus et de quelques résineux.

17CO : mare de Colonster ou du Blanc Gravier (M8 in Tercafs, 1973). Vaste mare d’environ 500 m2, entourée de feuillus, on observe aujourd’hui à sa surface des irisations suspectes et un voile bactérien alors qu’il y a 30 ans, Tercafs (1973) jugeait son eau très claire et non polluée.

18FL : petites mares (parfois temporaires) entre CO et PB, bras mort du Moulin.

19PB : étang des Prairies Basses (non mentionné par Tercafs, 1973). Cette vaste pièce d’eau de plus de 1000 m2 mériterait, en raison de sa surface et de sa profondeur, une étude plus détaillée. Elle est entourée de pâturages et il y a peut-être un risque de pollution par le bétail (une visite en septembre 2006 a confirmé ce risque).

20NO : étang du Nomont ou de la Famelette (M10 in Tercafs, 1973). D’une superficie d’environ 100 m2, cet étang forestier (feuillus) tend aujourd’hui à s’envaser et à être envahi par la végétation palustre.

21MC : mare aux Chevreuils (M9 in Tercafs, 1973). Mare d’environ 40 m2, dont le fond a été longtemps plastifié afin d’en maintenir le niveau suite à l’abaissement de la nappe phréatique. Elle est aujourd’hui envahie par la végétation aquatique (en particulier par Lemna minor) et ne présente presque plus d’eau libre. Des déchets flottent à sa surface. Bordée d’un côté par des feuillus, de l’autre par la route.

22ME : mare de l’échangeur ou de l’entrée (M4 in Tercafs, 1973). Primitivement d’une superficie de plus de 60 m2, de niveau variable et non polluée (Tercafs, 1973), cette mare est aujourd’hui presque complètement envahie par la végétation palustre (roseaux,…) et les surfaces d’eau libre sont très réduites.

23Jeuniaux (2000) attribue à ces mares et étangs trois origines différentes :

  • MC, CO et NO sont d’anciens étangs artificiels ayant servi de viviers.

  • ME et PB ont été creusés récemment, à l’initiative du Conseil des Sites, en prévision de l’assèchement probable des autres points d’eau du domaine.

  • MP, ainsi que quelques autres petites mares, seraient des trous d’obus, souvenirs de la seconde guerre mondiale.

3. MATERIEL ET METHODES – CAMPAGNES

24Les macroinvertébrés benthiques des eaux courantes ont été récoltés à l’aide d’un filet Surber à mailles fines. Dans chaque station et lors de chaque campagne, nous avons effectué huit prélèvements, en prenant soin d’échantillonner tous les faciès représentés dans la station, en fonction du courant et du substrat. Dans les eaux stagnantes, les Hétéroptères et les Coléoptères aquatiques ont été recueillis avec un filet troubleau.

25A chaque visite des stations en eau courante, nous avons mesuré la largeur, la profondeur, la température, le pH et, à l’aide de kits d’aquariophile, nous avons estimé le KH, ainsi que les concentrations en NO2  et en NO3. Ces valeurs sont essentiellement indicatives. La qualité biologique des eaux courantes a été évaluée à l’aide de l’indice de qualité biologique global ou IQBG (Verneaux et al., 1976).

26Les résultats qui suivent sont essentiellement basés sur les deux campagnes effectuées en 2004 : les 3 et 4 mai et les 2 et 3 septembre. Néanmoins, nous avons visité les lieux à plusieurs reprises et à différentes saisons depuis 2001 jusqu’en 2006. Chaque station, tant en eau courante qu’en eau stagnante, a donc été échantillonnée au moins quatre fois.

4. QUALITE BIOLOGIQUE DES EAUX COURANTES.

4.1. Etat actuel

27Les résultats des mesures physico-chimiques sont regroupés dans le tableau 1. Effectuées à l’aide de techniques rudimentaires, nos mesures sont en outre trop peu nombreuses pour permettre des conclusions précises. On peut néanmoins relever les points suivants :

28- A l’exception de S1, tous ces ruisselets coulent rapidement sous couvert forestier. La température de l’eau ne s’élève donc que peu en été.

29- Le pH est le plus souvent basique (en raison de l’abaissement de la nappe phréatique) et la dureté faible à très faible, elle atteint exceptionnellement 14°F en G1 en mai.

30- Nous n’avons jamais rencontré de concentrations en nitrites égales ou supérieures à 0.3 mg/l et les concentrations en nitrates sont partout faibles, sauf en été dans la Sordeye, où elles atteignent 25 mg/l (la norme retenue pour la potabilité par la Région wallonne est de 50 mg/l, celle de 10 mg/l proposée par les CE a été abandonnée, car trop difficile à respecter !).

31Dans les strictes limites de ces données, on peut dire que ces ruisselets forestiers sont, aujourd’hui, peu à faiblement pollués.

32Les résultats des deux campagnes de prélèvements biologiques de 2004 sont regroupés dans les tableaux 2 et 3. Des visites effectuées en 2001, 2002, 2003 et encore en 2005 et 2006 n’ont apporté aucune information faunistique supplémentaire. Dans ces tableaux, l’abondance relative des taxons est représentée par o (un seul individu ou débris, non comptabilisé pour les indices), 1 (quelques individus), 2 (une dizaine d’individus) et 3 (plusieurs dizaines d’individus).

33L’examen de ces tableaux montre qu’au printemps, plusieurs stations présentent encore un nombre de taxons élevé (parfois plus de 20) et un IQBG indiquant une bonne qualité biologique des eaux (de 16 à 19), grâce à la présence de taxons polluo-sensibles, tels que Isoperla, ainsi que plusieurs Heptageniidae et Trichoptères à fourreaux larvaires. C’est le cas de S2, G2, G3, M, B et V. D’autres stations affichent par contre une qualité biologique médiocre (G1, K), voire mauvaise (S1) dès la première campagne. En été, si G3, M et V présentent encore de bons indices, on note cependant une diminution notable de la qualité biologique en G2 (disparition des Heptageniidae) et en B (absence d’Isoperla). Il convient de noter que les espèces recensées ici (v. plus loin) sont toutes univoltines hivernales, c’est-à-dire qu’elles passent l’hiver à l’état de larves et que les imagos apparaissent au printemps. Chloroperla sp., récoltée dans le Blanc Gravier par Franchimont (1977) et non retrouvée au cours de ce travail, est, comme tous les représentants du genre, une espèce plus tardive, estivale, tandis que I. grammatica est une espèce printanière.

4.2. Evolution

34Certains ruisselets du domaine universitaire du Sart Tilman ont déjà fait l’objet de mémoires de licence à l’Université de Liège. Il s’agit des travaux de Gobert (1969), qui s’est attachée à l’étude du Blanc Gravier, de Meurs-Thibeau (1971), qui a étudié à la fois le Blanc Gravier et la Sordeye et de Franchimont (1977), qui a échantillonné la Sordeye, le Blanc Gravier, mais aussi les ruisseaux de Renory et de Sainval, cours d’eau que nous n’avons pas inclus dans notre travail.

35Ces documents (non publiés) renferment de précieux renseignements sur la macrofaune benthique et la qualité de nos ruisseaux et une comparaison, à quelques 30 ans d’écart, est évidemment tentante.

36Cependant, elle ne peut se faire qu’avec prudence, car les stations et les techniques de prélèvements ne sont pas, dans certains cas, strictement identiques et la détermination du matériel biologique ne répondait pas toujours aux mêmes objectifs.

37Dans le tableau 4, nous avons regroupé nos résultats et ceux de nos prédécesseurs par cours d’eau (sans distinction de stations) et en limitant toutes les déterminations aux niveaux requis pour l’établissement des IQBG.

38Dans le Blanc Gravier, on observe, entre 1969 et aujourd’hui, une sensible augmentation du nombre de taxons recensés (de 26 à 35), tandis que, globalement, les IQBG restent élevés (18 à 19). L’augmentation de la diversité porte surtout sur des taxons sans grande influence sur les indices biotiques (vorticelles, hydres, diverses familles de Diptères…). On constate par contre de nos jours quelques absences inquiétantes par rapport aux études précédentes : le Plécoptère Chloroperla, le Diptère Liponeura et diverses familles de Trichoptères à fourreaux larvaires (Glossosomatidae, Goeridae, Beraeidae) n’ont pas été retrouvés au cours de ce travail. Le maintien à une valeur élevée des IQBG est sans doute en partie due à l’augmentation du nombre de taxons recensés, qui compense la disparition de quelques groupes polluo-sensibles.

39Dans la Sordeye, on note une diminution du nombre de taxons et un léger fléchissement des IQBG. Ici aussi, plusieurs taxons polluo-sensibles ont disparu (Ecdyonurus, Leptophlebiidae, Odontoceridae, Glossosomatidae, Goeridae). Seule la présence de Rhithrogena semicolorata, espèce univoltine hivernale, permet de conserver des indices biotiques élevés.

40La qualité biologique de ces deux ruisseaux est donc encore satisfaisante, voire bonne si l’on se base uniquement sur les IQBG. Mais un examen plus attentif des relevés faunistiques montre que cette situation est fragile et ne repose plus que sur un nombre de plus en plus restreint de taxons sensibles.

5. HETEROPTERES ET COLEOPTERES AQUATIQUES

5.1. Etat actuel de la faune

41Le tableau 5 rassemble les résultats de cette étude. Nous avons recensé 17 espèces d’Hétéroptères aquatiques, soit moins de 30% de notre faune. Aucune n’est remarquable et la plupart sont des espèces très communes. La mare de Colonster (MC) est de loin la plus riche, avec 13 espèces. Beaucoup de mares, fortement envahies par la végétation ou atterries, n’abritent que trois ou quatre espèces, voire même une seule (MP, mare aux peupliers). Dans les ruisseaux, nous n’avons trouvé que V. caprai.

42Les Coléoptères aquatiques comptent ici 23 espèces, ce qui représente seulement 7% de la faune belge. Parmi les Dytiscidae, deux espèces sont très communes (D. marginalis et A. bipustulatus), huit autres sont communes et la dernière (A. paludosus, espèce subrhéophile) a un statut indéterminé (ni commune, ni rare). A. melanarius est très commun, mais ne se rencontre chez nous que dans la partie sud du pays, où il fréquente les eaux stagnantes semi permanentes et les ruisselets à courant lent en région boisée. Avec six espèces, l’étang des Prairies Basses (PB) est le plus riche ; dans les autres une à trois espèces ont été rencontrées (aucune dans la mare aux peupliers MP). Deux espèces fréquentent les ruisseaux : A. melanarius se rencontre dans les faciès lentiques des ruisseaux forestiers et A. paludosus est subrhéophile.

43Hydraena gracilis se rencontre dans maints types d’eaux courantes et est l’espèce la plus commune en Belgique. Les deux autres espèces, H. subimpressa et H. nigrita se ressemblent beaucoup et il est très difficile de distinguer les femelles. H. nigrita est connue depuis longtemps de Belgique (d’Orchymont, 1925) tandis que H. subimpressa n’y a été recensée que depuis peu dans trois localités des environs de Houyet, en province de Namur (Cuppen, 2004), où elle a été capturée en compagnie de H. nigrita, les deux espèces habitant les cours supérieurs de ruisselets rapides, à substrat graveleux et en zone forestière. Habituellement, H. nigrita est l’espèce la plus commune et c’est pour cette raison que l’unique femelle capturée en G3 a été attribuée à cette espèce dans le tabl. 5. C’est la première fois que H. subimpressa est signalée en province de Liège, dans le ruisseau de Vaudrée (V). Des larves d’Elodes ont été trouvées presque dans tous les ruisseaux, mais il n’est pas possible de les déterminer jusqu’à l’espèce. Des larves de Limnius ont également été trouvées dans G3 et M. Elles appartiennent vraisemblablement à l’espèce L. perrisi, trouvée dans ces mêmes ruisseaux et qui est la plus commune de Belgique, en particulier en Ardenne.

5.2. Evolution

44Dans le tableau 6, nous avons comparé l’état de la faune au cours de quatre périodes : avant 1900 (A), de 1900 à 1949 (B), de 1950 à 2000 (C) et aujourd’hui (D) pour les Hétéroptères et les Coléoptères Hygrobiidae, Dytiscidae et Noteridae. Nous manquons en effet totalement de données anciennes concernant les autres familles de Coléoptères aquatiques. Pour ce faire, nous avons consulté le fichier de la Faculté Universitaire des Sciences agronomiques de Gembloux ainsi que nos données personnelles. Nous avons retenu les insectes étiquetés « Sart Tilman », « Colonster », « Kinkempois » et « Angleur », sachant que ces localités désignent souvent des récoltes effectuées dans ou près de l’actuel domaine universitaire. Nous avons considéré comme hors zone les individus provenant de Beaufays, Embourg, Boncelles, Fêchereux, Esneux, Tilff, Avister et Chaudfontaine.

45Au total, ce sont 28 espèces d’Hétéroptères aquatiques, sur les 64 que comptent notre pays (Baugnée et al., 2003), qui ont été recensées dans le domaine du Sart Tilman et dans les environs sur plus d’un siècle. Au cours de ce travail, nous n’en avons trouvé que 17, dont six pour la première fois sur le site : C. coleoptrata, S. falleni, I. cimicoides, P. minutissima, M. reticulata et G. odontogaster. Par contre, onze espèces n’ont pas été retrouvées, dont deux, H. moesta et L. rufoscutellatus, n’y ont pas été revues depuis longtemps. La première a été signalée pour la dernière fois en Flandre en 1979 (Bosmans, 1982) et au Grand Duché il y a plus de cinquante ans (Reichling & Gerend, 1994) ; cependant, nous l’avons recueillie très récemment dans la réserve de Rend Peine, à Feschaux (étude en cours).La seconde n’a plus été revue en Belgique depuis 1972 (Dethier & Bosmans, 1979) et n’a jamais été signalée au Grand Duché de Luxembourg (Reichling & Gerend, 1994). Deux autres, R. linearis et A. aestivalis, ont été capturées hors site (la dernière espèce dans l’Ourthe, que nous n’avons pas prospectée). A. najas est en régression en Belgique (Bosmans & Mercken, 1991 ; Gijsels & Bosmans, 1998), ainsi qu’en Hollande (Nieser & Wasscher, 1986). Quant aux espèces « apparues » au cours de cette étude (C. coleoptrata, P. minutissima, M. reticulata), ce sont de petites espèces qui peuvent avoir échappé à nos prédécesseurs.

46Les Hygrobiidae, Noteridae et Dytiscidae sont représentés, en Belgique, par 112 espèces au total (Dopagne, 1995). Vingt huit ont été recensées dans le domaine du Sart Tilman depuis 1880, soit 22% de la faune belge. Une seule espèce, A. paludosus, peut être considérée comme nouvelle pour le domaine universitaire (elle avait été renseignée à Tilff avant 1883). La pauvreté du site en Dytiscidae provient sans doute en partie du manque de pièces d’eau stagnante, permanentes ou semi permanentes et du fait que peu d’espèces de cette famille fréquentent les petits ruisseaux, milieux les plus abondants sur le site. Par rapport aux données disponibles pour les années 1980, six espèces n’ont pas été retrouvées : H. geminus, L. minutus, A. guttatus, A. sturmii, A. sulcatus et H. hermanni. Toutes ces espèces, hormis A. guttatus (trouvée dans le bois de Sclessin en 1985), avaient été observées dans l’étang des Prairies Basses (PB). Par rapport à l’ensemble des données disponibles depuis 1880, ce sont seize espèces (sans compter H. grammicus, dont la présence ici est en fait très improbable) qui n’ont pas été retrouvées, dont une très rare, G. bilineatus, capturée à Angleur le 4.v.1887, seule occurrence connue au sud du sillon Sambre et Meuse (collections IRSNB). Nous ne pouvons expliquer pourquoi nous n’avons pas retrouvé A. bipustulatus (dans PB) et A. guttatus, qui sont pourtant des espèces caractéristiques de ce genre de milieux et communes dans les environs de Liège. L. hyalinus et S. duodecimpustulatus fréquentent plus volontiers les cours d’eau importants comme l’Ourthe, que nous n’avons pas échantillonnée. D’autres espèces préfèrent des pièces d’eau stagnante plus importantes que celles existant sur le domaine. Néanmoins, plusieurs d’entre elles volent très bien (comme, par exemple, H. geminus, H. pubescens, R. suturalis et A. sulcatus) et un effort de chasse plus important permettrait peut-être de les retrouver lors de leurs passages occasionnels.

5.3. Remarques sur quelques autres groupes

47Notre effort de récolte s’est essentiellement porté sur les deux groupes d’Insectes étudiés ci-dessus. Néanmoins, dans nos échantillons et prélèvements, d’autres groupes étaient bien sûr représentés. Afin que l’information ne se perde pas, nous en donnons ici un catalogue brièvement commenté. Il est bien évident que cette liste n’a aucune prétention à l’exhaustivité. Pour cela, des recherches appropriées devraient être consacrée à chaque groupe.

48Plécoptères

49Parmi les nombreuses larves (et quelques adultes) recueillies, nous avons pu identifier avec certitude six espèces :

50Les Nemouridae sont les mieux représentés. Nemoura cinerea Retzius se rencontre en abondance dans le ruisseau du Blanc Gravier (G2, G3), mais aussi dans les petits affluents de la Meuse (B, K, V). A une occasion, Nemoura avicularis Morton a été trouvée en sa compagnie (G2). Protonemura intricata (Pictet) a été trouvé en G3 en petits nombres et P. fumosa Ris est présent dans le Biez du Moulin (B) et dans la Sordeye (S2). Signalons aussi Nemurella picteti Klapalek dans la mare aux Chevreuils. C’est une des rares espèces de Plécoptères relativement fréquente dans les eaux stagnantes, où elle se rencontre parfois en compagnie de N. cinerea. Enfin, Isoperla grammatica Poda est le seul Plécoptère Perloidea (Perlodidae) recensé dans cette étude. Aubert (1956) avait relevé, dans les collections de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique, la présence de 62 espèces de Plécoptères dans notre pays, dont 21 portaient la mention « Colonster » (surtout dans l’Ourthe ?), « Kinkempois » ou « Streupas » soit, grosso modo, le territoire de l’actuel domaine universitaire. Même si cette étude n’a certainement pas permis de recenser toutes les espèces de Plécoptères présentes, il ne fait guère de doute qu’un travail approfondi mettrait en évidence un net appauvrissement de cette faune très sensible aux pollutions. En Belgique, les Plécoptères n’ont plus fait l’objet de recherches importantes depuis le travail d’Aubert.

51Ephéméroptères

52Nous avons pu déterminer, dans notre matériel, sept espèces d’Ephémères. Les Baetidae sont représentés par Cloeon dipterum (L.), essentiellement dans les mares, où parfois elle abonde (ME, MC, PB). Baetis rhodani (Pictet) est le seul représentant du genre que nous ayons pu identifier avec certitude. Cette espèce est présente, parfois en abondance, dans le Blanc Gravier (G2, G3), mais aussi dans d’autres ruisseaux. Il ne fait quasiment aucun doute que d’autres espèces sont représentées sur le site. Nous avons trouvé le Leptophlebiidae Habroleptoides confusa Sartori & Jacob dans le Blanc Gravier (G3). Les Heptageniidae sont encore assez bien représentés, avec trois genres et quatre espèces déterminées : Epeorus sylvicola (F.), Ecdyonurus helveticus Eaton et E. venosus (F.), ainsi que Rhithrogena semicolorata (Curtis). Elles sont toutes présentes dans le Blanc Gravier (G2, G3) ; R. semicolorata a également été trouvée dans la Sordeye (S2) et dans le Fond du Moulin (M). A l’exception de Cloeon et de Baetis, ce sont toutes des espèces assez strictement rhithrales. Stroot et Mol (1989) ont recensé 65 espèces d’Ephémères en Belgique. Celles mentionnées ici comptent parmi les espèces communes.

53Odonates

54De nombreuses larves de Coenagrionidae, de Lestidae, d’Aeschnidae et de Libellulidae ont été trouvées dans divers étangs et mares. Des adultes de Coenagrion puella (L.), Aeschna caerulea (Ström), Anax imperator Leach et Libellula depressa L. ont été observés à diverses reprises.

55Mégaloptères

56Les deux espèces belges de Sialidae sont présentes sur le site, bien qu’en petits nombres : trois larves de Sialis fuliginosa Pictet ont été trouvées dans le Blanc Gravier (G2) en mai 2004 et quelques larves de S. lutaria L. (espèce d’eaux stagnantes) ont été récoltées dans la mare de Colonster (MC) et dans l’étang des Prairies Basses (PB) en 2002.

57Amphipodes

58Deux espèces de Gammaridae sont très abondantes au Sart Tilman. Gammarus fossarum Koch est la plus fréquente : on la trouve en grandes quantités dans tout le Blanc Gravier, mais aussi dans la Sordeye (S1, S2) et le Biez du Moulin (B). Deux individus ont été récoltés dans la mare aux Chevreuils. Gammarus pulex (L.) est moins fréquente, bien que plus résistante à la pollution organique et à l’augmentation de température. On la trouve à l’embouchure du Blanc Gravier (G3), dans le Fond du Moulin (M) et le ruisseau de Kinkempois (K), mais aussi dans la mare de Colonster et les petites mares parfois temporaires entre celle de Colonster et l’étang des Prairies Basses.

59La présence de quelques rares Niphargidae (Niphargus sp.) dans le Blanc Gravier (G2) et la Sordeye (S2) n’est pas surprenante : des sources alimentent par endroit ces deux ruisseaux. Une recherche appropriée de Copépodes et d’Ostracodes pourrait peut-être permettre de récolter des espèces fréquentant les eaux souterraines.

60Isopodes

61L’Asellidae Asellus aquaticus (L.), l’espèce d’Asellote la plus commune de notre faune, est bien présent dans la mare aux Chevreuils et dans l’étang des Prairies Basses.

62Gastéropodes

63Onze espèces de Gastéropodes ont pu être identifiées. Ancylus fluviatilis Müller (Ancylidae) n’a été récolté que de le Blanc Gravier (G3) , et en très petites quantités. Le Physidae Physella acuta

64(Drap.) est bien répandu dans les eaux stagnantes (mare de l’échangeur, mare de Colonster, bras mort du Moulin,…), ainsi que le Lymnaeidae Lymnaea peregra (Müller). Lymnaea ovata (Drap.) et L. stagnalis (L.) semblent plus localisés, respectivement dans le bras mort du Moulin et la mare aux Chevreuils. Les Planorbidae sont représentés par au moins quatre espèces : Planorbis planorbis (L.) dans la mare aux Chevreuils, Gyraulus albus (Müller) dans le bras mort du Moulin, Anisus vortex (L) dans les petites flaques entre la mare de Colonster et l’étang des Prairies Basses et enfin Armiger crista (L.) dans la mare de Colonster. Succinea putris (L.) (Succineidae) a été trouvé dans la mare de l’échangeur. Signalons enfin la présence de l’Ellobiidae Carychium tridentatum (Risso) dans le Blanc Gravier (G2) et le Biez du Moulin (B). C’est en réalité une espèce ripicole plutôt qu’aquatique.

65Nous avons également recueilli de nombreux Bivalves Sphaeriidae du genre Pisidium (v. tabl. 2 et 3), sans pouvoir les identifier jusqu’à l’espèce.

6. CONCLUSIONS GENERALES

66A l’heure actuelle, la qualité biologique des ruisseaux du domaine de l’Université de Liège au Sart Tilman est encore globalement satisfaisante, bien que quelques stations présentent déjà au printemps une qualité médiocre, voire mauvaise. Cette situation se dégrade encore en été, pendant l’étiage.

67Par rapport aux études précédentes (fin des années ’60 et années ’70), la qualité de deux des ruisseaux, le Blanc Gravier et la Sordeye, semble de prime abord constante. Néanmoins, cela est dû en partie à la récolte de plus nombreux taxons au cours de nos campagnes. En réalité, nous avons constaté la raréfaction, voire la disparition de plusieurs taxons polluo-sensibles (Chloroperla, Liponeura,…). Cette évolution, plus marquée dans la Sordeye que dans le Blanc Gravier, risque un jour d’entraîner les ruisseaux du Sart Tilman vers une qualité biologique médiocre.

68Dans nos récoltes, les Hétéroptères et les Coléoptères aquatiques sont représentés respectivement par 17 et 23 espèces, ce qui est peu au regard du nombre de stations échantillonnées et de campagnes effectuées. On se trouve en outre en présence d’une faune banale, à l’exception d’H. subimpressa, que l’on signale ici pour la première fois en province de Liège.

69La comparaison de nos résultats (Hétéroptères aquatiques et Coléoptères Dytiscidae, Hygrobiidae et Noteridae) avec les données anciennes (certaines remontant au XIXème siècle) montre que la faune du Sart Tilman s’est appauvrie et banalisée. Plusieurs espèces n’ont pas été retrouvées, certaines depuis un siècle, et celles signalées pour la première fois dans ce travail sont de petites espèces, qui auraient pu échapper à l’attention de nos prédécesseurs.

70Sur la base de la macrofaune benthique, la qualité des eaux courantes du domaine du Sart Tilman peut donc encore être qualifiée de bonne mais apparaît comme de plus en plus fragile. La diversité de l’entomofaune aquatique est faible et le site ne semble plus guère abriter, pour les groupes étudiés, d’espèces remarquables.

71Remerciements

72Nous tenons à remercier M. L. Schmitz, conservateur du domaine, qui nous a autorisés à effectuer les prélèvements nécessaires à cette étude. Madame A. Cambier et MM. A. Briffoz et G. Tomasovic nous ont apporté leur aide sur le terrain.

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Pour citer cet article

Michel Dethier*, Claude Dopagne & Jan Cuppen, «Qualité biologique des ruisseaux du domaine universitaire du Sart Tilman (Liège, Belgique) – Hétéroptères et Coléoptères aquatiques.», Entomologie faunistique - Faunistic Entomology [En ligne], volume 61 (2008), p. 59-73 URL : https://popups.ulg.ac.be/2030-6318/index.php?id=155.

A propos de : Michel Dethier*

Unité d’Entomologie fonctionnelle et évolutive (Prof. E. Haubruge), Faculté universitaire des Sciences agronomiques, B-5030 Gembloux.  E-mail : michel.dethier@adesa.be. *Auteur pour correspondance.

A propos de : Claude Dopagne

aCREA– Université de Liège.  E-mail : claude.dopagne@ulg.ac.be

A propos de : Jan Cuppen

Buurtmeesterweg, 16, NL-6711 HM Ede.  E-mail : jancuppen@hccnet.nl