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- Volume 72 (2019)
- Charles Gaspar, Professeur de Zoologie, entomologiste et promoteur de libertés
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Charles Gaspar, Professeur de Zoologie, entomologiste et promoteur de libertés
Editor's Notes
Reçu le 25 octobre 2018, accepté le 14 décembre 2018.
1Charles Gaspar, voici bien une personne qui n’a certainement pas laissé indifférents tous ceux qui l’ont un jour croisé dans leur vie d’étudiant, de collaborateur, dans quelque situation professionnelle ou plus simplement dans la vie quotidienne. Né à Ougrée le 11 mai 1938, Charles Gaspar a passé sa petite enfance à Jupille, rue Jean Jaurès, entouré de ses parents et grands parents paternels et puis avec un frère qui arrive quelques années après lui. Son deuxième anniversaire correspond au début de la seconde guerre mondiale. Il grandit dans une période de restriction alimentaire et d’attaques militaires, en particulier à l'âge de 6 ans subissant directement les attaques de V1 et V2 sur Liège. Ces événements de limitation alimentaire, de privation de libertés et de perception du danger le marqueront à vie. En effet et pour mémoire, cette vague d'attaques ayant eu lieu dans les années quarante a fait plus de 2700 victimes. Cette période, pour Charles Gaspar comme pour tous les liégeois de l’époque, a donné une interprétation particulière des robots caractérisés par ces nouveaux engins de mort. Un jour qu'il jouait dans la rue avec ses contemporains, un V1 a terminé sa course non loin de sa maison soufflant toutes les vitres et tuant certains de ses camarades. Revenant à son domicile en courant, Charles Gaspar croisa son frère ensanglanté et sa mère. Lorsque cette dernière lui demanda par où il était rentré, il avait répondu « par la porte comme d'habitude ». La réaction de son ascendante énervée croyant qu'il se moquait d’elle lui valut une gifle. Par rapport à sa carrière universitaire, il s’agissait en avance d’une réaction spontanée que bon nombre de personnes connaissent du personnage. Ce genre de répartie sortait fréquemment, souvent même sans analyser le contenu et la véracité de l’intervention du principal intéressé. A cette période de sa vie, il est parti vivre quelques temps dans un lieu plus calme … à Waremme, lieu particulièrement interpellant quant à la destination quand on voit que, de nos jours, quelques 60 ans plus tard, le musée de l’Insecte Hexapoda – Insectarium Jean Leclercq sort de terre et où il aura a posteriori un espace qui lui sera dédié.
2Après avoir fréquenté l’école gardienne de Jupille, Charles Gaspar suit les cours à l’école communale primaire des Chanoinesses de la même entité. Cette période est déjà l’opportunité pour lui de développer un trait de caractère qu’il perpétuera toute sa vie : un comportement hors du commun et en opposition avec la bienséance omniprésente en toutes circonstances. Les moments de rébellion les meilleurs et les plus sportifs ont lieu en traversant les prairies pour contribuer à la maraude aux cerises ou aux pommes. Ensuite, il fréquente l’athénée de Liège. A cette époque, les dimanches après-midis, à Colonster et aux alentours de Tilff, il participe à des séances de natation dans l’Ourthe et profite de « Pannecou Plage ».
3Ensuite, Charles Gaspar entreprend des études d’ingénieur agronome à Gembloux. Il s’intègre naturellement dans les activités estudiantines et y prend une part significative. Il s’illustre dans les activités hors site comme lors des excursions notamment du Professeur Duvigneaud qui le recrutera plus tard. Charles Gaspar se fait aussi remarquer par l’enseignant de philosophie de l’époque à la Faculté, le Professeur Henus. Le caractère original de Charles Gaspar ne passera jamais inaperçu. Ceci constitue sans aucun doute le début de carrière hors norme de ce dernier. Durant cette période, Charles Gaspar enchaîne les expériences humaines dont les vacances d’été en un mémorable « tour de France » à pied et en auto-stop avec comme leitmotiv la bienveillance des conducteurs et logeurs rencontrés. De cette époque, il gardera une sympathie absolue notamment pour les auto-stoppeurs qu'il prenait systématiquement dans sa voiture jusqu'au jour où en 2010 l'un d'eux lui a volé son portefeuille. Cet individu ne savait sans doute pas que Charles Gaspar avait durant sa carrière aider l’un ou l’autre étudiant étranger ayant des problèmes d’argent.
4Diplômé ingénieur agronome des Eaux et Forêt de Gembloux en 1962, il est ensuite agrégé de l’enseignement secondaire supérieur en1964. Il obtient le grade de Docteur en Sciences Agronomiques avec la plus grande distinction en 1970. Père de trois enfants, l’un suivra ses pas à la Faculté de Gembloux pour être diplômé d’une autre spécialité, celle d’ingénieur chimiste des bio-industries. Les deux autres accompliront des études liées à la santé, l’une en médecine humaine et l’autre en kinésithérapie. Ses descendants portent tous de la génétique non seulement le génotype mais aussi le morphotype. Sur le caractère héréditaire du comportement transmis à sa descendance, il s‘agirait ici de relancer les interrogations des concepts de la théorie de Lamarck avec la double conception de « la fonction crée l’organe » et de « l’hérédité des caractères acquis » enseignés par Charles Gaspar à Gembloux. En effet, si la seconde affirmative du Lamarckisme reste controversée, pour ceux qui ont cotoyé Alexis, Emmanuel et Séverine Gaspar, il est impossible de contredire la transmission à la génération suivante d’un certain nombre de traits de caractère et de répartie verbale voire plus.
5En termes de carrière, Charles Gaspar officie comme élève-assistant à la Chaire de Pédologie de l'Institut Agronomique de l'Etat de Gembloux en 1961-1962. Il est ensuite engagé comme chercheur au Centre national d'Ecologie générale, attaché au Laboratoire de Zoologie générale et Faunistique de l'Institut agronomique de Gembloux dirigé par le Professeur Jean Leclercq jusque fin septembre 1965. Il devient ensuite assistant puis premier assistant et chef de travaux à la Chaire de Zoologie générale et Faunistique de la même Faculté. En 1979, il est nommé chargé de cours associé puisProfesseur associé en 1987. Il enchaînera par les fonctions de Professeur en 1988 suite à la retraite de Jean Leclercq puis de Professeur ordinaire en 1990. Il a assuré la gestion de la Chaire de Zoologie générale et appliquée de 1988 à 2003. Charles Gaspar a également assuré la fonction de Doyen de la Faculté des Sciences agronomiques de Gembloux de 1993 à 1999.
6Charles Gaspar a également endossé la charge de Président du Conseil de Recherche entre 1991 et 1993. Parallèlement, il a été Professeur-visiteur à la Faculté de Médecine de l'Université Nationale du Rwanda, membre du Conseil Supérieur Wallon de la Conservation de la Nature et coordinateur des activités de recherches, didactiques et de vulgarisation du Centre Scientifique des Epioux. Initiateur de recherches sur la lombriculture à Gembloux, sur la surveillance de l'entomofaune, du développement du sentier écologique en Hainaut, il a aussi assumé le rôle d’expert dans divers conseils, organisations et sociétés en lien avec l’agronomie, la nature et la biodiversité.
7Sur les aspects de sa personnalité, la répartie, la provocation mais aussi l’engagement, l’innovation sont autant de qualités que Charles Gaspar a démontrées. L’humain, la liberté, qu’elle soit académique ou non, voici bien des valeurs essentielles qu’il a défendues durant toute sa carrière académique. Si pour certains il n’a pas fait l’unanimité, ces qualités, nul ne peut les contester. Etudiants, collaborateurs ou membres du personnel de la Faculté, il perdurera dans leurs mémoires. Il a fait avancer l’enseignement et la recherche. Avec ses collaborateurs, il a encadré plus de 200 thèses de doctorat et travaux de fins d’études. L’écologie, la lutte biologique, la systématique, la faunistique autant de disciplines qu’il a développées. Le conservatoire entomologique a été une réalité à Gembloux. Aujourd’hui l’insectarium Hexapoda à Waremme, musée belge francophone et attraction touristique wallonne, est un aboutissement de ce qu’il a initié. Après une première phase et une inauguration en 2010, suite à un financement conséquent, un nouveau bâtiment verra le jour en 2019 pour perpétuer les activités du Professeur Jean Leclercq, activités poursuivies par ses successeurs, les Professeurs Gaspar, Haubruge et Francis. Charles Gaspar aura contribué à l’’entomologie et au rayonnement de la Faculté de Gembloux. Des qualités, du cœur, un caractère tranché et affirmé, il n’en a pas manqué. Et si de la voix, aussi il en avait, ce n’est pas pour autant que de l’écoute et de la compréhension il en a manqué. Il a encadré ses proches collaborateurs ainsi que leurs activités. Comme responsable d’Unité, que d’assistants au cadre de l’université se sont succédé, au total 17 noms à énumérer dont ses deux successeurs pour diriger le service qu’il a géré. Son apport est inscrit pour toujours dans l’entomologie wallonne.
8Lors de la rédaction de ce texte, son visage m’est omniprésent. Pour tous ceux qui l’ont croisé et qui ont été marqués par sa personnalité, en lien avec notre monde actuel, il mérite qu’on s’arrête un instant pour réfléchir à l’utilité, à la fonctionnalité, si nous divergeons vers un vocabulaire écologiste ou entomologiste. De manière récurrente, il m’est demandé par des parents ou participants éloignés des arcanes académiques les significations des différents modèles de toges académiques, des plus simples au plus sophistiquées en termes de cordons, éventrûres et nœuds postérieurs. La mienne est l’une des plus simples morphologiquement mais la plus symbolique en ce qui me concerne, celle d’une personnalité académique qui me l’a léguée pour que la continuité de pensées, de libertés et de progrès soit assurée.
9Je concluerai ici, en prolongation de ma leçon inaugurale de l’année académique passée à Gembloux, intitulée « Tropismes, passions, phobies et symbioses » que je lui ai dédiée.
10Il est évident qu’il a été toute sa vie source de ces différents types de relations, je me permets de les commenter en lien avec les relations humaines suscitées :
11attiré ou repoussé – « push-pull » dans la version anglophone et appliquée à la gestion intégrée des agro-écosystèmes et des bioagresseurs en particulier. Il s’agit de tropismes positif ou négatif avec un aspect inné et non raisonné dans les premiers contacts initiés ;
12d’une extrème relation de proximité ou pas - en fonction de la spontanéité d’un premier contact pour la notion de passion voire de fascination potentiellement engendrée;
13du développement d’une peur – réponse à l’anxiété suite à l’inquiétude anticipant le prochain contact et échange. Tout est une question de dose : en excès, la relation se tranformera quasi instantanément en une phobie déclarée ;
14enfin, la symbiose - l’entomophilie directement transmise et liée à la connaissance en entomologie. Une manière de faire est de prôner la liberté de développer les recherches pour le bien commun. Chaque collaborateur qui souhaite s’exprimer se voit soutenu, avec le cœur et le cerveau, organes centraux d’un organisme qui s’appelle « laboratoire universitaire ».
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16En conclusion, et en relation avec les notions de liberté et de pérennité de la démarche de Charles Gaspar sur les générations d’étudiants et de ses successeurs à Gembloux Agro-Bio Tech, gardons à l’esprit que « la gravité, c’est le bonheur des imbéciles » (Montesquieu).