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Introduction
1Le présent dossier rassemble une partie des travaux réalisé dans le cadre d’un séminaire de recherches mené durant à l’automne 2009 à l’université de Liège. L’argument s’appuie sur le constat que l’efficacité semble être devenue une donnée centrale du monde contemporain dans la mesure où elle occupe véritablement l’espace de la norme. En témoignent de nombreux phénomènes propres au monde contemporain, dans lesquels la production de savoirs et de normes est pensée entièrement à partir de son efficacité : le gouvernement du monde universitaire par l’évaluation, le développement des environnements intelligents et des activités de profilages, la transformation de l’entreprise en acteur politique responsable, vecteur de diffusion des droits de l’homme et des idées démocratiques.
2Quels changements dans la nature de la norme et dans la nature de la connaissance découlent de ce nouveau type de gouvernement entièrement concentré sur son efficacité ? Une norme tendancielle, exprimée en quota, momentanée, sans cesse réformée, prétendant épouser la singularité des acteurs sur lesquels elle porte, etc. est-elle encore une norme ? Un savoir constitué d’une suite de corrélations et produit de manière automatisée, dont la première vertu est la masse de données qui lui permet d’émerger, est-il encore une connaissance, aussi objectif et efficace que soit ce savoir ? L’efficacité, souvent constatée, d’une norme ou d’un savoir ne se limite-t-elle pas à la réussite auto-référée du processus engagé ?
3Les textes qui suivent s’attachent à élucider cette notion peut thématisée en philosophie. Gaëlle Jeanmart fournit une perspective historique et critique sur l’usage de l’exemple et son efficacité dans l’édification morale et dans l’histoire. Thibault Le Texier étudie l’emprise d’une « rationalité managériale » sur les institutions des sociétés industrielles qui s’accompagne d’un glissement du principe de justice vers un impératif d’efficacité. Denis Pieret propose une synthèse des travaux de François Jullien, l’un des seuls philosophes à avoir affronté directement le thème de l’efficacité, de manière à opérer un déplacement par rapport au « pli » européen de la modélisation, ce cadre impensé dans lequel nous pensons l’efficacité comme adéquation entre la fin et les moyens. Géraldine Brausch revient vers Michel Foucault, à partir de Jullien, pour relire ses analyses du pouvoir et donner corps à la notion récurrente chez Foucault, mais mal définie, de stratégie. Laurence Bouquiaux repense la « déraisonnable efficacité des mathématiques dans les sciences naturelles » en prenant François Jullien à contrepied : ce qui réussirait dans les sciences, ce ne serait pas l’application d’un modèle idéal à la réalité, mais une lente transformation du potentiel de situation. Antoinette Rouvroy s’intéresse à la « création numérique de la réalité » pour dessiner, face à la normativité juridique, une « normativité algorithmique » ; à partir de la concurrence entre ces deux normativités, elle invite à reconceptualiser le « sujet de droit ». Thomas Berns, après avoir pris, à la suite d’Agamben, le langage comme idéal d’efficacité, étudie les nouvelles formes de normativités, inscrites dans une rationalité actuarielle et pensées comme immanentes au réel. Dans cette perspective, la norme efficace est une norme qui n’apparaît pas. « Telles des forces invisibles, les normes veillent au bon ordre des choses », dit la Commission européenne.