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Le transindividuel dans la genèse des groupes sociaux
Table of content
Introduction
1Quelle est la genèse d’un groupe dont l’action est immanente aux actions de ses membres de manière à les potentialiser, leur octroyant un lieu commun de surgissement et entretenant leur déploiement ? Une telle potentialisation supposerait que, sans se réduire à la somme des actions individuelles et sans à l’opposé les étouffer en s’y surimposant, le collectif mobilise les individus en ouvrant des dimensions inédites pour leurs actions et en renforçant les liens qui les mettent en mesure de les réaliser. Il s’agira donc dans cet article d’interroger la genèse de différentes formes d’individualité sociale, c’est-à-dire de relations entre individus et collectifs, afin de saisir quels processus d’individuation sous-tendent le surgissement de groupes où l’action de chacun se trouve potentialisée par sa participation à l’action collective. C’est pourquoi il nous semble essentiel de faire appel à l’approche ontogénétique proposée par Gilbert Simondon.
2En qualifiant son approche d’ontogénétique, Simondon veut signaler que sa démarche vise à prendre pour point de départ des formes d’individualité données en essayant de remonter aux processus d’individuation qui les ont produites. Loin de rendre compte d’une unité en remontant à une unité plus originaire (par exemple de l’individu à l’espèce), Simondon affirme la priorité de l’individuation par rapport à tout individu constitué. Il essaie de formuler une ontologie de la relation d’après laquelle l’individu ne peut être tel qu’il est que dans la mesure où il est pris dans une relation individuante (par exemple avec un collectif) qui en structure l’individualité. Grâce à cette nouvelle perspective sur l’individuation, nous pourrons questionner certaines formes d’individualité sociale en essayant de les reconduire aux processus d’individuation qui les déterminent, afin de concevoir la genèse d’une relation de potentialisation réciproque entre individu et groupe. Ce parcours nous permettra de nous pencher sur le concept de transindividuel1 qui constitue le nom simondonien du rapport entre individu et groupe dont on est en quête.
3Afin de nous donner un cadre pour l’analyse de différentes formes d’individualité sociale, nous commencerons par une présentation des figures de l’intégration et de la désaffiliation telles qu’elles ont été mises à jour par Robert Castel. Ces figures nous fournissent en effet une description particulièrement complète des formes particulières d’individuation de la relation entre individu et collectif que l’évolution de la question sociale a produites. Nous allons ensuite montrer que la distinction entre désaffiliation et intégration mène le questionnement du rapport entre la puissance du groupe et celle de l’individu à une situation d’impasse en raison d’une conception du social encore trop axée sur la question de l’adaptation, c’est-à-dire sur un point de vue objectivant qui ne prend pas en compte le moment opérationnel qui sous-tend toute structuration du rapport individu-groupe. Ainsi, tout en relevant dans quelle mesure les distinctions proposées par R. Castel recoupent certaines analyses simondoniennes de la relation entre individus et groupes, nous insisterons sur la manière dont le concept de transindividuel formulé par Simondon permet de sortir de ces impasses. Autrement dit, nous essaierons de rendre compte de la genèse des figures de l’individuation sociale exhibées par R. Castel en faisant appel à l’ontogenèse simondonienne. De cette manière, nous pourrons comprendre l’intérêt de la notion de transindividuel en insistant tout particulièrement sur la dimension inventive de l’action collective qu’elle nous permet de mettre en valeur. Cela nous mènera enfin à questionner la dimension proprement politique du transindividuel. Pour ce faire, nous expliciterons les analyses proposées par Étienne Balibar de la dialectique entre insurrection et constitution à la lumière de sa reprise du concept de transindividuel.
1) Les apories de l'intégration et de la désaffiliation
4Dans son ouvrage Les métamorphoses de la question sociale, Robert Castel propose une traversée de l’histoire de la question sociale qui vise à expliciter le rapport entre, d'un côté, le développement de différents types de réseaux de sociabilité avec leurs propres formes de protection et, de l'autre, les transformations des individualités qui sont situées dans ces réseaux. Pour ce faire, il porte une attention particulière à la question du travail2, compris comme fondement de l’insertion sociale des individus. Le but de R. Castel est de rendre compte de la manière dont la cohésion sociale a été garantie depuis la période médiévale jusqu’à nos jours3. Sans retracer l'ensemble de ce mouvement, nous nous concentrerons sur les différents types d'individuation de la relation entre individu et collectif.
5En jetant un regard d’ensemble sur l’ouvrage de Castel, on peut souligner que son argumentation vise à montrer la coexistence, à l’intérieur d’une même société, d’individus s’individualisant de manières différentes selon le type de lien social dans lequel ils sont pris. Il retrace en particulier l’existence dans toute formation sociale de trois « zones4 » caractérisées par différents types de réseaux de sociabilité. La première zone, dite d’intégration, est occupée par tous les individus qui, principalement en raison d’un travail stable, sont insérés dans des réseaux relationnels solides qui leur fournissent un certain nombre de protections et leur garantissent une certaine sécurité. Il y a ensuite, à l’opposé de l’intégration, la zone de désaffiliation. Les individus désaffiliés vivent dans un isolement relationnel presque total et donc dans une situation dépourvue de protections, principalement en raison de l’absence de participation à toute activité productive. Il y a enfin, entre ces deux zones, une zone de vulnérabilité5 sociale, occupée par des individus qui vivent entre la précarisation du travail et la fragilisation des supports de proximité.
6Dans son ouvrage, R. Castel essaie de comprendre la manière dont l’équilibre mouvant entre ces trois zones s’est structuré à travers différentes époques en raison du passage de certains individus d’une zone à l’autre. Selon lui, les aventures de la question sociale, loin de suivre un progrès linéaire vers une intégration toujours plus grande, sont caractérisées par des discontinuités6 qui produisent une oscillation entre des phases où la zone d’intégration augmente de volume et des phases où la désaffiliation frappe une quantité de la population assez grande pour que la cohésion sociale soit mise en danger. Bien évidemment, ni l’une ni l’autre zone ne disparaissent jamais totalement, comme nous l’enseignent par exemple les figures de la mendicité et du vagabondage7, qui se développent parallèlement à des formes spécifiques d’intégration. Chacune de ces phases a par ailleurs une structure particulière. Par exemple, l’intégration peut être opérée, comme à l’époque précapitaliste, par des communautés primaires telles que la famille, le voisinage, l’atelier de travail, etc.8 ; ou bien elle peut être opérée par cette communauté abstraite qu’est l’État national, comme dans la période qui va des années ’30 aux années ’60.9 La désaffiliation peut frapper un groupe relativement homogène d’individus qui participent activement aux processus de production, comme le prolétariat au début de la révolution industrielle10, ou un groupe fort hétérogène de travailleurs sans travail comme aujourd’hui11.
7R. Castel décrit le passage d’une phase à l’autre en termes de désindividualisation (lorsque les protections collectives se renforcent, c’est-à-dire lorsqu’il y a une augmentation de l’intégration) et d’individualisation ou décollectivisation (lorsque les réseaux de sociabilité se défont et l'individu reste sans protections, désaffilié). Il faut toutefois faire attention à ne pas se méprendre sur ces termes. On pourrait en effet croire que, dans les phases de désindividualisation, l’individu tend à disparaître dans l’abstraction des fonctions imposées par le groupe et que, dans les phases d’individualisation, le groupe tend à disparaître en laissant la place à des individualités totalement atomisées et déliées. À la limite, dans une situation d’intégration parfaite il n’y aurait que des collectifs et dans une situation de désaffiliation totale il n’y aurait que des individus. Or, R. Castel lui-même veille à réfuter l’univocité d’une telle interprétation. É. Balibar l’explique on ne peut plus clairement, en modifiant par ailleurs l’usage de la terminologie de R. Castel :
Désindividualisation et désocialisation (expropriation « de soi » et dissociation ou démantèlement de l’appartenance) vont de pair, fournissant a contrario la preuve que la constitution du « soi » est inséparable, voire indiscernable de celle des « relations » matérielles et symboliques avec le « corps social ».12
8R. Castel lui-même, malgré sa terminologie quelque peu ambiguë, ne dit rien d’autre. D’un côté, si à l’emploi stable correspond généralement une insertion relationnelle forte, c’est-à-dire une intégration presque totale des individus dans des collectifs stables, « ce fonctionnement, écrit-il, produit en même temps des effets individualisants redoutables13 ». En effet, justement parce que le monde du travail dans la société salariale n’est pas une société d’individus, mais « un emboîtement hiérarchique de collectivités constituées sur la base de la division du travail et reconnues par le droit14 », l’individu ne disparaît pas, mais son individualité se trouve strictement définie par sa position dans la division du travail et par sa fonction dans la société. Son individualité devient de plus en plus stable au fur et à mesure qu’elle est insérée dans des structures fixes qui lui garantissent la protection nécessaire à son épanouissement. Loin de disparaître, l’individu n’est jamais autant individualisé que dans une société où les structures collectives rendent possible son épanouissement.
9De l’autre côté, une société où la désaffiliation est particulièrement grande est bien une société d’individus. Toutefois, la désaffiliation ne correspond pas à une absence complète de liens.
L’exclusion n’est pas une absence de rapport social, mais un ensemble de rapports sociaux particuliers à la société prise comme un tout. Il n’y a personne en dehors de la société, mais un ensemble de positions dont les relations avec son centre sont plus ou moins distendues.15
10Dans le même sens, dans L’insécurité sociale, R. Castel affirme que « la décollectivisation elle-même est une situation collective [...]. L’opérateur est obligé d'être libre, sommé d'être performant, tout en étant largement livré à lui-même16. » C’est pourquoi il préfère le terme de désaffiliation, qui indique la persistance d’un certain lien social, à celui d’exclusion, qui suggère l’idée d’une séparation substantielle entre l’individu et le collectif. Les individus désaffiliés « ont été dé-liés, mais restent sous la dépendance du centre, qui n’a peut-être jamais été aussi omniprésent pour l’ensemble de la société17. » Autrement dit, loin de produire un renforcement de la liberté de l’individu à travers le détachement des structures collectives, la désaffiliation engendre un nouveau lien social, plus distendu. Dans ce cadre, l’individu ne possède plus les protections garanties par une sociabilité plus forte et n’a donc plus une base pour réaliser ses aspirations. En même temps, il reçoit des injonctions incessantes à le faire. Ce processus d’individualisation correspond donc à une véritable perte de consistance de l’individualité. C’est pourquoi R. Castel parle à ce propos d’« individualisme négatif18 ». Derrière le discours qui exalte les possibilités ouvertes par la déstabilisation des protections sociales pour que les individus se construisent eux-mêmes et produisent leur propre soi, cette individualisation se présente comme « un individualisme par défaut de cadres et non par excès d’investissements subjectifs19 », c’est-à-dire comme un individualisme par soustraction. Loin d’ouvrir de nouvelles possibilités pour l’épanouissement de l’individualité de chacun, cette situation d’indétermination met en danger les supports nécessaires à la potentialisation de l’action individuelle.
11On voit ici s’esquisser une situation extrêmement paradoxale : lorsque le lien social garantit aux individus les protections nécessaires à la réalisation de leur individualité, il leur impose des contraintes qui réduisent le champ de leurs actions possibles à l’occupation d’une place dans une structure plus ou moins figée. À une relationnalité sociale forte correspondent des individualités protégées, mais bloquées. Lorsque cette relationnalité se défait, au lieu de pouvoir se déployer dans une totale liberté et autonomie, l’individualité perd tout support et ne peux que se disperser jusqu’à être totalement consommée par le système social, comme dans le cas des individus surnuméraires. En ce sens, les individus négatifs « sont des individus, mais des individus pris dans la contradiction de ne pas pouvoir être les individus qu’ils aspirent à être20 ». C’est cette situation profondément ambiguë, sinon antinomique, sur laquelle débouchent les analyses de R. Castel, qu’il s’agit maintenant d’interroger.
2) Au-delà de l'adaptation. Le transindividuel comme invention collective
12Nous allons maintenant faire appel à la conception simondonienne de l’ontogenèse du transindividuel afin d’éclaircir les processus qui sous-tendent ces deux formes d’individuation de la relation entre individu et collectif, à savoir l’intégration et la désaffiliation, et afin d’ouvrir une voie pour sortir des impasses auxquelles ces deux formes d’individuation nous conduisent. Nous avons vu que l’individuation de la relation entre individu et groupe ne doit pas être comprise comme un processus qui produit de manière exclusive un groupe totalement structuré ou des individus absolument autonomes. Il ne faut donc pas situer la différence entre ces formes d’individuation au niveau du résultat de l’individuation (qui serait alternativement l’individu ou le groupe). Il faudrait plutôt parler d’une différence dans l’intensité de l’individuation, c'est-à-dire d'une différence au niveau des échanges entre individus et groupes21. L’individu et le groupe sont indissociables. L’individuation de leur relation est déterminée par la fréquence, la répétitivité, le renouvellement des échanges entre les deux et par la capacité de ces échanges de transformer leurs structures. Simondon ne dit rien d’autre lorsqu’il remarque que l’individu et le groupe ne sont que les dépôts d’un processus d’individuation où leurs structures se déterminent réciproquement.22 Au lieu de mettre en relief une opposition, c’est en termes de correspondance que les structures de l’individu et du groupe doivent être saisies. Voici le sens fondamental du transindividuel, d’après lequel celui-ci gagne le statut d’un véritable régime d’individuation, au même titre que les régimes d’individuation physique et vitale.
13Pour comprendre le surgissement du transindividuel, Simondon introduit le concept d’affectivité. L’affectivité constitue la charnière entre l’individu vivant et son milieu. Elle est mobilisée par le surgissement d’un champ métastable23 autour d’un problème insoluble à l’intérieur du cadre structurel donné. Ce n’est que suite à l’invention d’une nouvelle dimension restructurant le champ métastable que l’individu peut résoudre ce problème. L’affectivité produit en particulier une désindividualisation qui permet à l’individu d’opérer cette déstructuration/restructuration de son rapport au milieu. Selon Simondon, pour certains vivants la désindividualisation produite par les conséquences affectives du surgissement d’un champ métastable ne peut pas déboucher sur une invention individuelle.24 Ainsi, un écart se creuse entre l’affectivité et l’inventivité. Dans la mesure où l’individu ne peut plus résoudre tout seul le problème auquel il fait face, cette désindividualisation produit un tel détachement de l’individu par rapport à lui-même, qu’il peut entrer en relation avec une « nature préindividuelle25 » qui consiste en des échanges affectifs avec les autres sujets pris dans le même contexte métastable. Muriel Combes explique cette idée de Simondon en affirmant que « le plus intime de nous-mêmes, ce que nous éprouvons toujours sous le signe de la singularité inaliénable, ne nous appartient pas individuellement ; l’intime relève moins d’une sphère privée que d’une vie affective impersonnelle, d’emblée commune26 ». Notre affectivité nous met ainsi en rapport avec quelque chose qui ne relève pas de l’ordre de l’individu : c’est la « plus qu’individualité27 » propre à l’affectivité, qui potentialise notre individualité en lui permettant de transformer les termes d’un problème afin de le résoudre. L’affectivité, explique Simondon, « est […] ce qui traduit et perpétue la possibilité d’individuation en collectif : c’est l’affectivité qui amène la charge de nature préindividuelle à devenir support de l’individuation collective ; elle est médiation entre le préindividuel et l’individuel28. » Cette affectivité impersonnelle ne peut toutefois se réaliser que par une invention collective qui permet à la potentialisation garantie par le préindividuel d’opérer la restructuration du champ métastable que les individus ne pouvaient pas transformer individuellement.29 C’est ainsi que le transindividuel peut véritablement être institué.
14Ici se situe le cœur du problème du transindividuel chez Simondon.30 En effet, d’un côté, le transindividuel en tant que régime d’individuation fait que « l’individualité […] est ce qui s’élabore en élaborant la transindividualité31 » : l’échange affectif dans des situations d’équilibre métastable est toujours déjà à l’œuvre dans la constitution de tout individu. Cependant, de l’autre côté, le transindividuel ne semble se réaliser que dans le cas spécifique d’une invention collective, c’est-à-dire lorsque des affects s’échangent en augmentant la puissance des individus en vue de l’invention qui résout un problème insoluble dans le contexte donné.32 Pour comprendre le sens de cette duplicité, il faut rappeler que Simondon conçoit le transindividuel comme une forme d’individuation qui peut échouer ou être pervertie. C’est pourquoi il faut introduire les figures symétriques de l’interindividuel et de l’angoisse qui nous permettront de voir plus clair dans l’ambiguïté des figures de l’individu intégré et de l’individu négatif que nous avons rencontrées chez R. Castel.
15L’interindividuel se produit lorsque le problème qui mobilise l’affectivité est désamorcé par le maintien des termes donnés, c’est-à-dire lorsqu’il n’y a pas d’invention. « L’interindividuel ne nécessite pas de nouvelle individuation dans les individus entre lesquels il s’institue, mais seulement un certain régime de réciprocité et d’échange qui suppose des analogies entre les structures intra-individuelles et non une mise en question des problématiques individuelles33. » Autrement dit, dans l’interindividuel, les échanges affectifs sont étouffés par la réduction de la problématique qui les engendre dans les cadres qui ont déterminé son surgissement avant qu’ils n’aboutissent à une nouvelle individuation. L’interindividuel peut ainsi être compris comme un épuisement du transindividuel avant sa réalisation dans une invention, c’est-à-dire comme l’étouffement de l’affectivité « plus qu’individuelle » par l’imposition de structures et fonctions figées – ces mêmes structures qui avaient engendré un problème et mobilisé les affects – sur des individualités qui demeurent égales à elles-mêmes. « Il faut noter, écrit Simondon, que la relation interindividuelle peut masquer la relation transindividuelle, dans la mesure où une médiation purement fonctionnelle est offerte comme une facilité qui évite la véritable position du problème de l’individu par l’individu lui-même34. » C’est le cas de ce que Simondon appelle les « groupes fonctionnels35 », dans lesquels l’individualité de chaque membre est définie par sa fonction au sein du groupe. On peut ainsi définir l’interindividuel comme un système individus-groupe en équilibre stable. En effet, la créativité ne vient ni du social ni de l’individu ; elle réside dans la métastabilité formée par le système qu’ils constituent. Dans l’interindividuel, une causalité récurrente entre groupe et individus draine l’affectivité de ces derniers en la canalisant dans des voies qui la stabilisent de manière à réduire toute forme de désindividualisation avant qu’elle produise une véritable transformation. Ce lien social fort, qui fixe l’individualité des individus et des groupes qu’il met en rapport, est caractérisé par des échanges de basse intensité et tend à stabiliser les rapports donnés. Les problèmes étant ainsi désamorcés ne peuvent que se répéter.
16À l’opposé de l’interindividuel, mais partageant avec lui la basse charge d’intensité des échanges entre groupe et individus, on trouve un individu évanescent, un individu qui, en essayant de résoudre une problématique imposée par son rapport au milieu sans la potentialisation garantie par les échanges affectifs propres au transindividuel, aboutit à la dissolution de sa propre individualité. Simondon voit dans l’angoisse le cas où cette forme d’individualité est la plus visible. Dans l’angoisse, au lieu d’accomplir, avec l’individuation transindividuelle, la résolution de sa problématique affective, l’individu essaie de réaliser une invention dans les limites de son individualité et, par conséquent, « se dilate douloureusement en perdant son intériorité ; il est ici et ailleurs, détaché d’ici par un ailleurs universel ; il assume tout l’espace et tout le temps, devient coextensif à l’être, se spatialise et se temporalise, devient monde incoordonné36. » Ainsi, dans l’angoisse, au lieu d’assumer par le collectif des significations qui lui permettent de ne pas être réduit à son individualité, le sujet éclate en perdant cette individualité par laquelle il voulait tout réaliser.
17À la lumière de ces développements, nous pouvons désormais relever que, contrairement à l’interindividuel,
L’action transindividuelle est ce qui fait que les individus existent ensemble comme les éléments d’un système comportant potentiels et métastabilité, attente et tension, puis découverte d’une structure et d’une organisation fonctionnelle qui intègrent et résolvent cette problématique d’immanence incorporée […]. Le transindividuel ne localise pas les individus : il les fait communiquer ; […] ce sont les relations d’information qui sont primordiales, non les relations de solidarité, de différentiation fonctionnelle.37
18Pour que cette individuation se produise, sans toutefois que toute forme d’individualité soit dissipée comme dans le cas de l’angoisse, il faut que le collectif reste intrinsèquement métastable et donc corrélativement que la problématique affective, plutôt que d’être résolue, soit entretenue comme telle. Dans l’interindividuel, on a à faire à une perversion du transindividuel par l’étouffement de l’individualité ; dans le cas de l’angoisse, à l’échec de son individuation suite à l’explosion de l’individualité. Dans les deux cas, le transindividuel est bien présent, dans la mesure où c’est à partir des échanges affectifs engendrés par une problématique et nous mettant en relation avec le préindividuel que l’on travaille. Dans les deux cas, la résolution de cette problématique consiste à réduire ces échanges, par défaut ou par excès, en produisant un état d’équilibre stable ou une situation de totale indétermination, c’est-à-dire en produisant la disparition de la transindividualité. Ainsi, le lien entre individu et groupe est, dans ces deux cas, un lien à basse intensité, qui empêche toute transformation des rapports donnés. Si, d’un côté, avec l’interindividuel, on a un rapport constituant totalement ses termes ; si, de l’autre côté, l’individualité est destinée à perdre toute consistance, avec le transindividuel on aura au contraire une véritable relation entre individu et groupe qui s’entretient elle-même en tant qu’elle reprend sans cesse le mouvement d’individuation du groupe et de l’individu. Dans le régime d’individuation transindividuelle, l’individu est déterminé de façon à être indéterminé, c’est-à-dire de façon à être constamment en communication avec les autres à travers la nature préindividuelle : le collectif et les individus se trouvent ici en métastabilité continuelle.
19Revenons maintenant à notre problématique. Qu’est-ce que ces analyses apportent à la question des rapports entre les types de liens sociaux et les formes de l’individualité ? On pourrait dire que dans le cas de l’interindividuel le groupe est bien présent, mais n’est pas le moteur d’une dynamique d’invention ; au contraire, dans le cas de l’angoisse, il peut bien y avoir une tentative d’inventer, mais elle échoue puisqu’elle n’est pas supportée par un lien social fort. Il est désormais clair que l’on retrouve ici, dans une perspective ontogénétique, ce que R. Castel appelle intégration et désaffiliation. Dans les deux cas, ce qui semble manquer c’est la réalisation d’une invention collective38. La dimension de l’invention ne pouvant pas entrer en jeu en réponse à la mobilisation de l’affectivité, on se limite à une oscillation entre l’adaptation et la désadaptation. Le passage par Simondon nous apprend ainsi que, pour penser la genèse d’un groupe dont l’action produise l’augmentation de la puissance de chaque individu qui en fait partie, il faut prendre en compte deux éléments. Premièrement, la nécessité d’un lien social fort qui empêche la dissipation des individualités qui le constituent. Deuxièmement, la participation à une action collective visant à transformer les structures données pour résoudre une problématique spécifique. Ce deuxième élément empêche le groupe de se fermer en stabilisant les échanges affectifs dans des cadres figés. En effet, l’invention selon Simondon consiste à résoudre un problème en introduisant des dimensions qui ne sont pas données dans la situation problématique. Cela permet d’élargir le champ métastable qui rend possibles des échanges affectifs, en sollicitant par conséquent la transformation des individualités et des identités, alors que dans l’adaptation le système tendrait vers une situation de continuité homogène.
20C’est pourquoi on peut parler de différence d’intensité entre l’individuation transindividuelle et les formes de son échec. En effet, le fait que l’interindividuel soit caractérisé par un lien social fort ne signifie pas que la relation entre individu et groupe soit intense. Tant avec l’interindividuel que dans l’angoisse, on a affaire à des états stables, alors qu’avec le transindividuel on touche à la source de la potentialisation de la transformation : la métastabilité de la relation entre groupe et individu. C’est cette métastabilité qui, lorsqu’elle est entretenue, c’est-à-dire lorsqu’elle ne se tourne pas dans une stabilisation des individualités ou dans leur éclatement, constitue le gage de l’intensité de l’individuation transindividuelle. Le caractère fondamental du transindividuel doit ainsi être saisi dans le fait qu’au lieu de s’individuer en épuisant progressivement ses potentiels, il s’individue en entretenant sa métastabilité. En réalisant éminemment une caractéristique propre à tout vivant, « son devenir est une individuation permanente ou plutôt une suite d’accès d’individuation avançant de métastabilité en métastabilité39. »
3) Le transindividuel entre insurrection et constitution
21En faisant appel à la reprise du concept de transindividuel proposée par É. Balibar, nous pourrons finalement saisir dans quelles formes le transindividuel peut se manifester en tant que lien groupal fort rendant possible le déploiement de la créativité de chacun de ses membres.
22Tout d’abord, il est intéressant de résumer brièvement la façon donc É. Balibar mobilise le concept simondonien de transindividuel à la lumière de ses interprétations de Marx et de Spinoza. Il affirme que la pensée de Marx se construit sur une « ontologie de la relation40 » qui
à la discussion sur les rapports de l'individu et du genre […] substitue un programme d’enquête sur cette multiplicité de relations, qui sont autant de transitions, de transferts ou de passages dans lesquels se fait et se défait le lien des individus à la communauté et qui, en retour, les constitue en eux-mêmes41.
23Le concept de transindividuel devient particulièrement central dans sa lecture de Marx lorsqu’il s’agit de rendre compte de la pratique des mouvements révolutionnaires, « une pratique qui n’oppose jamais la réalisation de l’individu aux intérêts de la communauté, qui ne les sépare même pas, mais qui cherche toujours à les réaliser l’un par l’autre42. »
24À quel niveau ces transitions qui constituent l'individualité se situent-elles ? C'est cette fois en faisant appel à Spinoza qu’É. Balibar nous l’explique. « L’objet de Spinoza est le rapport de communication des affects entre eux, et donc le rapport de communication des individus à travers leurs affects43. » Cela permet à É. Balibar d’affirmer que « l’Ethique énonce bien une définition de l’individualité comme transindividualité, ou mieux comme procès d’individua(lisa)tion transindividuel44 ». Ainsi, de la même manière que, pour Simondon, le transindividuel est engendré par des échanges affectifs se situant au niveau préindividuel, chez Spinoza, l’individu est toujours plus qu’un individu, en ceci que son individualité est produite par la communication des affects dans la multitude.
25Il y a, par ailleurs, dans la formulation du concept de transindividuel proposée par É. Balibar, une tension similaire à celle que l’on a mise en relief chez Simondon. On peut la voir à l’œuvre dans les deux passages sur Marx que l’on vient de citer. D’un côté, le transindividuel est présenté comme un état donné, relevant d’une ontologie de la relation, et indiquant que tout processus d’individuation ne s’effectue qu’en entrant en avec d’autres processus d’individuation. De l’autre côté, le concept de transindividuel assume une valeur proprement politique lorsqu’il est présenté comme la contrepartie ontogénétique de cette pratique particulière qui est celle des mouvements révolutionnaires. Encore une fois, on pourrait comprendre cette ambiguïté en affirmant que, si le transindividuel est toujours à l’œuvre, il peut se réaliser selon des intensités différentes. Ce serait, chez Marx, dans la pratique révolutionnaire que l’échange entre la puissance de l’individu et celle du groupe atteindrait le plus haut degré d'intensité.
26C’est en raison des différentes intensités de l’individuation transindividuelle que le transindividuel doit être pensé comme problème. En effet, écrit-il,
Ce qui demeure ouvert à titre de problème et peut-être d’aporie insoluble (mais c’est cette aporie qui alimente la politique moderne, et l’engage dans un procès infini d’invention intellectuelle et pratique) c’est la question de savoir comment on peut instituer le transindividuel, trouver une institution du politique où ni l’individu ni la communauté, ni la liberté ni l’égalité ne peuvent exister sans leur contraire.45
27Ici É. Balibar rencontre à nouveau une exigence simondonienne : l’institution du transindividuel ne peut pas être pensée indépendamment d’une opération d’invention. En effet, l’aporie du transindividuel est due au fait qu’à chaque fois qu’il se réalise dans la constitution d’un groupe, il produit une stabilisation de la métastabilité essentielle aux échanges affectifs qui constituent son essence, c’est-à-dire une diminution de l’intensité du lien entre la puissance de l’individu et la puissance du groupe ; diminution qui fait que, au lieu d’entretenir réciproquement leur créativité, les individus et les groupes engendrent un processus destiné à la répétition de pratiques qui maintiennent en place les structures données.
28C’est pourquoi, à côté du moment constitutionnel, il faut selon É. Balibar introduire un moment insurrectionnel, le transindividuel ne pouvant être institué qu’en prenant en compte ce qu’il appelle un « différentiel d’insurrection et de constitution46 ». C’est cela que Simondon essaie de théoriser lorsqu’il affirme que l’opération d’invention consiste dans le fait de déstructurer et restructurer un contexte problématique, afin de créer de nouvelles dimensions dans lesquelles cette problématique peut être résolue. Il ne s’agit donc assurément pas pour un collectif de s’adapter à un contexte problématique – dynamique propre à toute politique exclusivement axée sur le moment constitutionnel. Il faut au contraire affirmer qu’un lien social fort n’étouffe pas les individus seulement s’il se décline dans le sens d’une invention collective, c’est-à-dire seulement s’il est orienté vers la transformation des structures et des fonctions imposées par l’ordre constitué, seulement si le déploiement de son action l’oblige à excéder les conditions données. En effet, un tel processus inventif est nécessairement renvoyé au contexte problématique spécifique qui l’a engendré. Dans la mesure où ce contexte problématique ne contient pas dans ses structures les conditions de sa résolution, ce processus doit faire face à une indétermination. C’est cette situation de métastabilité qui rend possible l’intensification des échanges affectifs en engendrant ainsi un processus de transformation des rôles individuels et des structures collectives qui réalise le sens le plus propre du transindividuel.47 C’est seulement par ce processus qu’il peut y avoir de l’histoire, que de nouvelles dimensions peuvent surgir en fournissant la base pour de nouveaux processus constitutionnels.
29C’est pour nommer la nécessité du moment d’indétermination qu’É. Balibar situe au cœur de tout mouvement insurrectionnel l’énoncé de l’égaliberté, caractérisé par une universalité négative, c’est-à-dire par une indétermination absolue. En effet, cet énoncé, qui affirme que l’égalité et la liberté ont une extension identique, a le statut d’une réfutation, d’un elenchos. C’est-à-dire qu’il ne peut être démontré que négativement en montrant que liberté et égalité sont toujours contredites ensemble.48 Cet énoncé renvoie ainsi dans sa négativité les collectifs et les individus qui l’énoncent à la problématique du manque d’égaliberté dans la situation donnée. Cette problématique ne pouvant pas être résolue par la mise en place d’une universalité qui corresponde à l’excès hyperbolique de l’énoncé, il faut procéder à une invention pratique qui, en mettant en place un processus transindividuel, transforme la donne individuelle et collective de manière à produire une réduction de l’écart entre les institutions et la demande d’émancipation des individus et des groupes.
L’indétermination fait toute la force de l’énoncé, mais la faiblesse pratique de l’énonciation. Ou plutôt elle fait que les conséquences de l’énoncé sont elle-même indéterminées : elles dépendent entièrement de rapports de forces, et de leur évolution dans la conjoncture, où il faudra bien construire pratiquement des référents individuels et collectifs pour l'égaliberté.49
30Si l’on reprend les distinctions précédentes à la lumière de ces développements du concept de transindividuel, on peut affirmer que, si les politiques d’intégration (et aujourd’hui, avec des mécanismes différents, les politiques d’insertion) tendent à individualiser l’individu à travers des formes de « gouvernementalité50 » et si cette tendance ne peut pas être contrecarrée par une « libération » de l’individu qui aboutirait à sa dispersion dans un lien social délaissé, « les mouvements sociaux et révolutionnaires ne tendent pas [de leur côté] à collectiviser le collectif [...], ils tendent plutôt à le subjectiviser, ce qui implique aussi une forte tendance qu'on peut dire "émancipatrice" à associer de façon réciproque la résistance individuelle et la solidarité, la praxis collective51. » En effet, en affrontant une problématique qui ne peut être résolue que par l’invention de nouvelles structures, les individus et les groupes sont forcés de mettre en jeu leur individualité dans un échange qui les transforme au lieu de les individuer, c’est-à-dire qui les pousse à ne jamais cesser de s’individualiser.52 C’est ce qui se passe lorsqu’une insurrection se trouve amenée à inventer les conditions pour la réalisation de l’égaliberté dans l’indétermination que l’énoncé de l’égaliberté projette sur la conjoncture donnée. On se trouve ici face à une situation de subjectivation, parce que l'urgence de l'invention appelle l'individu à assumer des rôles inédits au sein du groupe et le groupe à transformer son identité pour garantir sa cohérence. Et on pourrait avancer l’idée que cette subjectivation ne comporte pas pour autant un assujettissement, parce que ce rôle et cette identité se forment hors de toute structure ou fonction données, justement dans le mouvement qui les déstructure pour ouvrir l’espace pour une nouvelle constitution.
31É. Balibar nous indique ainsi que l’institution du transindividuel n’est possible que si l’on prend en compte ce différentiel d’insurrection et de constitution. Si elle ne veut pas produire un ordre se limitant à garantir la cohésion sociale et dont l’envers est la stabilisation des individus et des groupes dans des individualités figées, toute politique de constitution doit toujours se former dans une dialectique avec une politique d’insurrection. De cette manière seulement le transindividuel peut s’intensifier en produisant des institutions qui, au lieu de refouler le caractère insurrectionnel de leur surgissement, entretiennent la possibilité de transformer leurs structures et les identités qu'elles façonnent, en mettant par-là même constamment en danger leur propre stabilité. Des institutions en danger, puisque, comme le souligne É. Balibar dans les dernières pages de Violence et civilité53, il ne faut pas tant craindre le côté diabolique de la puissance nécessaire au surgissement de toute collectivité, à savoir le risque de sa perversion, que l’impuissance de cette puissance, c’est-à-dire son étouffement dans l’illusion de toute-puissance propre aux collectifs qui se veulent éternels.
Conclusion
32Nous pouvons désormais conclure en revenant rapidement sur nos premiers pas. La nécessité de penser le caractère insurrectionnel de l’institution du transindividuel nous fait comprendre pourquoi les analyses de R. Castel ne vont pas au-delà de l’éclaircissement des deux formes d’individualité propres à l’intégration et à la désaffiliation. Comme É. Balibar l’a bien remarqué54, les analyses de R. Castel tendent à reproduire l’idée durkheimienne d’après laquelle la société est comme un organisme mis en danger par des processus de désaffiliation et dont il s’agit de garantir l’homéostasie. Or, nous avons insisté sur la différence entre adaptation et invention justement pour éviter une interprétation de la notion de transindividuel qui en ferait le fondement ontologique pour l’idée durkheimienne de solidarité. Pour Durkheim, il s’agissait de construire une représentation du lien social qui se situe au juste milieu entre individualisme et collectivisme.55 Ainsi, à l’encontre de l’individualisme libéral, l’État est censé intervenir pour entretenir et favoriser la solidarité de fait existant dans la société (par exemple en concédant des droits sociaux), mais, à l’encontre du collectivisme étatique, son intervention ne doit pas aller au-delà de ce travail. On comprend que cette perspective ne dépasse pas une conception axée sur l’adaptation et l’homéostasie. Chez R. Castel, les politiques sociales sont également comprises comme une réaction régulatrice de la puissance publique pour maintenir la cohésion sociale, c’est-à-dire, en dernière instance, comme des concessions unilatérales de l’État correspondant à des revendications d’individus ou de groupes en position de passivité. Selon cette perspective, la citoyenneté sociale est une limitation que la puissance publique impose au capitalisme afin d’éviter la dissolution qui l’atteindrait s’il était exclusivement gouverné par les lois du marché. C’est pourquoi l’État continue chez R. Castel à jouer un rôle central, comme on peut le voir dans ses propositions pour sortir de la crise de l’État national-social, dont la principale est celle du « partage du travail56 ».
33Si l’on veut que le transindividuel soit institué dans le social, il faut au contraire repenser une production normative « hors État57 ». En effet, le transindividuel se réalise lorsqu’à un lien social fort correspond un mouvement de dépassement des normes données. À l’époque moderne, ce mouvement s’est manifesté principalement sous la forme de l’insurrection et c’est sans doute avec cette forme que son intensité peut atteindre son sommet.58 Mais plus fondamentalement l’expression « hors État » exprime l’idée que les droits doivent être produits d’en bas, sans faire appel à des droits déjà énoncés dont ferait tout simplement défaut l'application.59 Loin de faire appel à des statuts préétablis pour pouvoir profiter de certains droits, une telle production normative oblige à construire des nouvelles identités à travers l’échange entre l’individu et le groupe et à travers leur transformation réciproque. Ainsi, l’émancipation ne doit pas être concédée par le haut et notamment par l’État, mais doit être produite par la vie des groupes, qui deviennent ainsi, pour reprendre l’expression de Georges Gurvitch, « des centres actifs d’engendrement et de défense de leurs droits sociaux60 ». C’est au niveau des échanges entre les individualités et les groupes que les nouveaux droits sociaux sont engendrés. C’est seulement ainsi qu’ils peuvent en retour entretenir cette transindividualité en relançant le processus de transformation de l’identité individuelle et groupale qui les a produits. Alors que les penseurs de la Troisième République, tout en critiquant la définition souveraine de l’État, restent liés à l’idée d’une solidarité de fait déjà existante dans la société, que le droit se limiterait à reconnaître et éventuellement à favoriser61, il s’agit aujourd’hui d’inventer de nouvelles formes de solidarité ensemble avec les droits qui les justifient. C’est ainsi que le transindividuel, en ceci qu’il nomme l’invention de nouvelles formes de vie par la transformation des individus et des groupes, peut être véritablement institué dans le social.
Notes
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About: Fabio Bruschi
Fabio Bruschi est assistant-doctorant à l’Université catholique de Louvain où il prépare une thèse sur les rapports entre idéologie et intervention intellectuelle à partir de la pensée de Louis Althusser.