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- Cahier n°3. Varia
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L’héritage du drapeau confédéré : 150 ans de controverse. Chronique d’une mise au rebut lente et douloureuse
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1Le 17 juin 2015, un homme de race blanche1 entre dans une église noire de Charleston en Caroline du Sud. Il attend tranquillement la fin d’une séance de lecture de la Bible à laquelle il participe. Puis, soudainement, il sort son calibre 45 et fait un carnage, prenant la vie du pasteur et de huit de ses ouailles réunis ce jour-là pour étudier les Écritures. Le jeune homme n’a pas choisi ce lieu au hasard. Le bâtiment est historique. L’église Emanuel de Charleston est une des premières églises noires indépendantes du pays.
2Columbia, capitale de la Caroline du Sud, moins d’un mois plus tard. Le drapeau confédéré descend le long du mat situé près du parlement au rythme des coups de bras réguliers des officiers préposés au plissage de l’étoffe controversée. Sous le feu constant des photographes de presse, le Stars and Bars du Capitole local prend la direction d’un musée situé à quelques centaines de mètres de là.
3Quel lien entre les deux événements ? Que s’est-il passé pour que la Chambre de la Caroline du Sud vote si prestement cette mise au rebut ?
4La réponse à ces questions, comme souvent aujourd’hui, se lit sur quelques photographies qui font surface sur le Net2 dans les jours qui suivent la tragédie. Désormais en cellule, le « dernier Rhodésien » comme il aime s’appeler – la Rhodésie, aujourd’hui Zimbabwé, a appliqué l’apartheid dans les années 1960 – y tient le drapeau confédéré dans une main, son pistolet dans l’autre. Le jeune homme de vingt et un ans a visiblement pris soin de se mettre en scène avant de passer à l’acte. Sur le même site on retrouve un manifeste raciste. En outre, les enquêteurs ont découvert d’innombrables clichés où l’auteur de ce crime odieux pose avec le drapeau confédéré.
5Le procès de ce bout de tissu, accusé de n’être qu’un symbole de haine, s’ouvre en Caroline du Sud mais aussi dans les grands médias nationaux. Alors que le phénomène des tueries de masse s’est tragiquement banalisé et que toute réforme portant sur le port d’arme se heurte systématiquement à une vision étriquée du deuxième amendement, la tragédie de Charleston va servir d’élément catalyseur. L’émotion suscitée par ce crime odieux va mettre en branle l’ensemble du corps politique américain.
La tragédie de Charleston
Réactions politiques et prise de décision : la présidentielle s’invite dans le débat
6Le 20 juin, Mitt Romney, candidat républicain malheureux à la présidentielle de 2012, s’invite dans la controverse en tweetant « Take down the flag ». Durant ses précédentes campagnes électorales, l’ex-gouverneur du Massachussetts avait déjà déclaré : « Ce n’est pas le drapeau que je reconnais ». Et encore : « Ce drapeau divise »3. Cette fois-ci, sa prise de position courageuse force l’ensemble des candidats à la Maison Blanche à donner leur sentiment sur la question4.
7Dans les jours qui suivent presque personne du côté républicain ne reprend son appel tel quel. Il faut dire que la Caroline du Sud organisera en février la première primaire du Sud des États-Unis, un État clé donc pour les candidats à la présidence.
8Jeb Bush rappelle qu’il a été confronté à la même problématique dans son État, la Floride. Le drapeau y a été retiré sans polémique aucune. À l’origine de la décision du Gouverneur, une période durant laquelle il s’était mis les électeurs noirs à dos, notamment par la prise d’une mesure anti-discrimination positive. Marco Rubio, Sénateur des États-Unis originaire du même État et lui aussi candidat pour 2016, a tenté de faire échouer cette initiative5.
9Dans l’ensemble, la majorité des candidats à la Maison-Blanche ne se mouillent pas. Tout juste un timide « Laissons le peuple de Caroline du Sud décider » entendu ci et là. À ne pas en douter c’est une affaire locale. Tant que la Gouverneure de Caroline du Sud Nikki Haley – qui a pris les choses en main assez rapidement en se prononçant en faveur du retrait – s’est vue reprocher à tort de ne pas vraiment être du coin !6
10Le 22 juin la Gouverneure s’exprime depuis l’Assemblée de Caroline du Sud : « Le meurtrier de Charleston a une conception déformée et malsaine du drapeau qui ne reflète en aucun cas celle des habitants de Caroline du Sud qui le respectent et, pour certains, le révèrent ». Et de préciser : « Mais à l’Assemblée c’est différent »7 ; « Les lieux doivent représenter tout le monde. Personne ne devrait s’y sentir mal à l’aise ou en colère », expliquera-t-elle sur la plupart des plateaux de télévision8.
11Mardi 23, Hillary Clinton déclare : « Le drapeau confédéré ne devrait flotter nulle part », appelant dans un second temps les grandes entreprises nationales à retirer les articles concernés de la vente9.
12Le 26 juin Barack Obama prononce l’éloge funèbre du révérend Clementa Pinkney assassiné neuf jours plus tôt. Outre son office de pasteur il se trouve que Clementa Pinkney était également représentant démocrate à la Chambre du Palmetto State.
13Le 29 juin, Jeb Bush fait campagne en Caroline du Sud. Au détour d’une conversation avec ses hôtes il admet ce que tout le monde sait mais que beaucoup de gens se refusent encore à reconnaître : « Dans l’histoire récente ce drapeau est devenu un symbole raciste »10.
14Le 8 juillet, Jenny Horne, une descendante de Jefferson Davis, l’unique Président à avoir jamais représenté les États confédérés, s’exprime à son tour. La représentante à l’Assemblée de Caroline du Sud appelle de ses vœux un vote rapide sur la question. Après une minute d’intervention, soudainement, elle craque. Amicalement, elle pointe un à un tous ses amis noirs directement concernés dans ce débat. « Je ne peux pas croire que nous n’ayons pas suffisamment de cœur pour faire quelque chose d’important, tel que de retirer un symbole de haine de l’enceinte du Capitole ce vendredi ». Elle continue : « Je suis désolée mais j’en ai assez entendu sur « l’héritage », je suis une descendante de Jefferson Davis ! » Ce moment de bravoure capturé par les caméras de C-SPAN récoltera près de deux cent mille vues sur YouTube. Ce soir-là la Chambre votera finalement la loi. Quinze heures de débat auront cependant été nécessaires11.
15Le 9 juillet, la Gouverneure vient de signer la loi qui prononce le retrait du drapeau avec neuf stylos différents, un pour chaque victime de la tragédie de Charleston. « Aujourd’hui est un grand jour pour la Caroline du Sud », s’exclame Nikki Haley12.
16Enfin le 10 juillet, une cérémonie est organisée pour la descente du drapeau. L’événement est retransmis en direct sur les chaînes d’information en continu.
La parenthèse d’Amazing Grace : Barack Obama rédempteur de l’Amérique esclavagiste
17Une réaction politique en particulier mérite que l’on s’y attarde un instant. C’est assurément un des temps forts de la présidence de Barack Obama. Un moment d’union nationale. Une parenthèse politique. Et pour ce qui nous intéresse, c’est certainement aussi une forme de devoir de mémoire. La mémoire des neuf victimes de l’Église épiscopale méthodiste africaine Emanuel de Charleston.
18Lorsque Barack Obama entame Amazing Grace devant un parterre de cinq mille cinq cents personnes à Charleston, dix jours après le terrible drame, la foule paraît d’abord surprise. Mais, après un moment de flottement, l’assemblée reprend l’hymne en cœur.
Amazing grace ! How sweet the sound
That saved a wretch like me !
I once was lost, but now am found ;
Was blind, but now I see.
19Connaissez-vous seulement l’histoire d’Amazing Grace ? Car le 44e Président des États-Unis n’a certainement pas choisi cet air par hasard.
20Le texte parle d’une âme tourmentée, sauvée par le Christ. C’est celle de l’auteur, John Newton. En 1748, celui-ci est un Anglais, athée, qui pratique le commerce d’esclaves. Du jour au lendemain pourtant il va se convertir et mener une vie droite jusqu’à être ordonné prêtre et même devenir une voix du mouvement abolitionniste entendue outre-Atlantique13.
21Cette année-là il réchappe d’une terrible tempête en mer. Une fois sauvé il change de vie. D’une existence faite de débauche, il se met à étudier la Bible et prêche l’Évangile dans la petite ville d’Olney. Chaque dimanche il rédige un hymne en guise de sermon. Il en composera 280 au total. Amazing Grace est un de ces hymnes. Il parle de sa vie de repenti. John Newton définit la grâce comme une faveur imméritée accordée par Dieu aux âmes égarées. Le texte est écrit en 1772 mais il ne sera associé à l’air qu’on lui connaît que soixante ans plus tard, en 1835.
22Ce n’est pas anodin si l’hymne devient si populaire en Amérique. Il est même chanté dans « La cabine de l’oncle Tom ». Aux USA, fin xviiie, on est en plein revival. Les Américains de la frontière n’ont pas d’éducation religieuse. Alors, pour satisfaire à ce besoin, des pasteurs itinérants baptisent les pionniers du nouveau monde par foules entières. L’anglicanisme, victime de son attachement à la couronne britannique, a vécu. Il fait place à l’évangélisme, moins liturgique et plus exalté. Les hommes dans le péché, par le baptême de l’eau, consacrent désormais leur vie au Christ14.
23Cette histoire, celle d’une âme égarée qui retrouve la lumière, c’est une histoire typiquement américaine de conversion, de renaissance. L’histoire d’une vie avec un avant et un après. Un hymne born again.
24Dans les années 1960, l’air est associé à la lutte des noirs pour les droits civiques15, période troublée de l’histoire des États-Unis où les églises noires du Sud explosent ou sont incendiées par le Ku Klux Klan (ci-après KKK). Car comme l’a rappelé Barack Obama, aujourd’hui comme par le passé le crime raciste de Charleston est destiné à faire naître la terreur, la peur, la suspicion, la violence. Un crime en particulier est encore présent dans toutes les mémoires. Celui qui, un dimanche de septembre 1963, vit quatre jeunes filles noires assassinées alors que celles-ci priaient dans les murs de la 16th Street Church, à Birmingham en Alabama.
25Dans ce cadre, et nous le verrons plus en détail, le drapeau confédéré constitue un affront, une insulte au visage des Afro-américains. Qu’on le veuille ou non, le drapeau confédéré est un symbole raciste parce qu’utilisé comme tel. Ce n’est pas une référence historique anodine.
26L’ultime affront, et non des moindres, fut le passage du cercueil du révérend Pinckney au Capitole de Caroline du Sud alors que le drapeau honni y trônait toujours16. Selon les propres mots de Barack Obama ce drapeau serait « un rappel de l’oppression systémique et de la soumission raciale17 », appelant lui aussi au retrait de l’étendard sudiste lors des funérailles du pasteur victime de l’attaque de Charleston.
27Lors de son éloge prononcé en mémoire du révérend Pinckney, Barack Obama a notamment déclaré à ce sujet : « [retirer le drapeau] ne serait pas un acte politiquement correct, ce ne serait pas une insulte au courage des soldats confédérés, ce serait simplement la reconnaissance que la cause pour laquelle ils se battaient – la cause de l’esclavage – était immorale »18.
L’histoire du drapeau confédéré
Le drapeau confédéré en 1861 : un étendard pour la cause sudiste
28Historiquement c’est la Caroline du Sud qui déclenche en premier les hostilités par l’attaque de Fort Sumter. La question centrale est l’extension de l’esclavage dans les territoires qui rejoignent l’Union. L’élection d’Abraham Lincoln a mis le feu aux poudres. Pourtant, bien qu’abolitionniste convaincu, le président élu n’a jamais parlé d’abolir l’esclavage. Mais pour la Caroline du Sud, ça en est déjà de trop. Les motifs fournis sont clairs19 : l’hostilité croissante des États non esclavagistes vis-à-vis de ceux qui pratiquent l’esclavage. Elle profite ainsi de la période de transition du pouvoir – Lincoln n’a pas encore prêté serment – pour faire sécession, entraînant d’autres États esclavagistes dans son sillage. Ainsi s’entame un combat fratricide qui se soldera par la victoire du Nord et un bilan terrible, près de 600.000 morts.
29Brandi au combat sur une période de quatre ans s’étalant du mois de décembre 1861 au mois d’avril 1865, le Confederate Battle Flag (Figure 1) était censé disparaître du souhait même de Robert Lee20, le Général en chef des armées sudistes qui signe sa reddition dans le salon privé d’un habitant de Virginie à Appomattox après plus de 1.400 jours de combats acharnés.
30Ironie du sort, c’est deux-cents kilomètres plus au nord, à Manassas, sur la précédente propriété de ce même citoyen, que les troupes unionistes et séparatistes se sont affrontées pour la première fois. Or c’est précisément lors de cette bataille originelle que la nécessité de se doter d’un Confederate Battle Flag s’est fait jour21. Le Stars and Bars, (Figure 2), le premier drapeau officiel de l’armée confédérée, ressemblait par trop à celui de l’Union, le Stars and Stripes. Il fallait absolument en trouver un autre, au risque pour le soldat de ne pas distinguer clairement ses ennemis de ses frères d’armes.
31Ainsi l’idée d’un Battle Flag – un drapeau carré propre au champ de bataille – et la cause qu’il représente, sont nées et se sont évanouies à seulement quatre ans d’écart. Néanmoins cent cinquante ans après la capitulation du Général Lee, cette guerre fratricide hante toujours la mémoire américaine et le drapeau confédéré, désormais popularisé sous sa forme rectangulaire, suscite toujours la controverse.
32Pour compliquer les choses, parler du drapeau confédéré au singulier c’est déjà être dans l’erreur. Il y a en eu une multitude ! Parmi eux, trois drapeaux officiels se sont succédé durant la guerre civile. Le Stars and Bars (Figure 2), puis le Stainless Banner (Figure 3), enfin le Blood-Stained Banner (Figure 4). Aucun des trois n’a été autant utilisé que le Confederate Battle Flag qui est celui auquel on pense communément quand l’on se réfère au drapeau confédéré22.
33Celui qui flottait encore cet été aux abords du Capitole de Caroline du sud se nomme donc le Battle Flag ou Confederate Battle Flag. Carré à l’origine, il va prendre une forme rectangulaire. C’est le plus répandu aujourd’hui (Figure 5). Pour ajouter à la confusion, les médias le désignent erronément sous le nom de Stars and Bars. Et c’est celui arboré par l’auteur de l’attentat de l’église Emanuel de Charleston. Il apparaît sur les photographies intégrées sur son site Internet.
34Le Stars and Bars (Figure 2) sera principalement utilisé de 1861 à 1863. Dans son coin supérieur gauche, similaire au motif que l’Europe se choisira bien plus tard, un fond bleu nuit sur lequel viennent s’ajouter, représentés par des étoiles, les États membres de la confédération sudiste qui se comptent d’abord au nombre de sept, puis successivement, neuf, onze et treize. Les barres sont horizontales.
35Mais sur le champ de bataille le Stars and Bars se confond avec le Stars and Stripes brandi par les troupes de l’Union. Le Battle Flag remplace donc de facto le Stars and Bars.
36De 1863 à 1865 deux autres drapeaux officiels sont conçus. Tous deux reprennent le Battle Flag (Figure 1) sous sa forme carrée dans le coin supérieur gauche. Le Stainless Banner (Figure 3), composé en majorité de blanc, censé représenter la supériorité de la race blanche selon son propre concepteur. Enfin le Blood-Stained Banner (Figure 4), littéralement la bannière tachée de sang, se distingue par la colonne rouge qui orne l’extérieur du drapeau, ajoutée en 1865 pour que le drapeau ne soit pas confondu avec un fanion blanc symbole de reddition. C’est le troisième et le dernier drapeau officiel que se donne la Confédération.
37Le drapeau confédéré après la guerre civile : un symbole de discorde
38Curieux parcours que celui du drapeau honni : des archives du Département de la guerre au faîte du Capitole de Caroline du Sud.
39Une fois les combats terminés, les étoffes rebelles sont confisquées par les tuniques bleues. Les dépouilles partent pour les archives du Département de la guerre. Elles y restent pendant une vingtaine d’années23. On a peur de les ressortir car les drapeaux représentent la sécession du Vieux Sud. Ainsi durant toute la période dite de reconstruction le drapeau constitue déjà un motif de dispute mais il ne symbolise pas encore l’esclavage. Jim Crow – c’est-à-dire l’homme qui représente l’ensemble des lois ségrégationnistes – règne toujours en maître dans le Sud profond24. Nul besoin donc du drapeau confédéré pour rappeler aux noirs leur place dans la société sudiste.
40Fin du siècle le drapeau confédéré refait son apparition. La guerre hispano-américaine est l’occasion pour le Sud de retrouver une certaine fierté. La blessure narcissique des ex-États confédérés due à la défaite de 1865 semble guérie. Le drapeau confédéré flotte sur Cuba en signe de victoire au côté du Stars and Stripes25. Les divisions internes ont fait place à un impérialisme messianique et rassembleur que décrit parfaitement la théorie de John L. O’Sullivan sur la « destinée manifeste » de la nation américaine.
41Héritage, tradition, passé glorieux, etc. Ce discours a servi dans les années 1960 à légitimer la ségrégation raciale sur le territoire de Dixie. Ce discours est celui de la « cause perdue », un mythe perpétué par le Vieux Sud26 pour sauver la face après la période de reconstruction, selon lequel les idéaux défendus par les soldats gris au prix de leurs vies sont des idéaux nobles. On retrouve ce refrain de la « cause perdue » dans Naissance d’une nation de D. W. Griffith ainsi que dans Autant emporte le vent, deux longs métrages du début du siècle qui idéalisent la société sudiste ante bellum.
Le drapeau confédéré après la Deuxième Guerre mondiale : un emblème raciste
42Après la Deuxième Guerre mondiale, la controverse change. Le Battle Flag des armées de Virginie représente désormais la lutte contre l’intégration du Vieux Sud. Jusque-là réservé aux cérémonies célébrées en l’honneur des soldats confédérés tombés pour la cause sudiste, le drapeau confédéré réapparaît dans l’espace public de manière triomphale27. Dans les stades, sur les antennes des voitures… Il est partout.
43Il est arboré suite à l’arrêt Brown v. Topeka28 ou encore suite à la décision d’Harry Truman d’intégrer les forces armées. C’est la lutte pour les droits civiques qui provoque cette réapparition du drapeau et sa nouvelle utilisation : un symbole de ralliement pour le maintien de la ségrégation dans le Sud29. Le KKK, qui renaît pour la deuxième fois, adopte lui aussi la bannière controversée des troupes confédérées alors que dans les années 1920, les clansmen, profitant d’une poussée nativiste, brandissaient encore fièrement le Stars and Stripes, le drapeau national30.
44Du boycott des bus de Montgomery en Alabama jusqu’au Voting Rights Act de 1964, avec un siècle de retard, la ségrégation finit par tomber. Mais, curieusement, le drapeau n’a pas entièrement disparu.
45L’étendard sudiste réapparaît en 1961 au faîte du Capitole de Caroline du Sud pour le centenaire du début de la Guerre de sécession, entamée précisément un siècle plus tôt par le Palmetto State. Contrairement à ce à quoi l’on pouvait s’attendre, suite semble-t-il à un curieux imbroglio juridique31, le drapeau ne redescend pas le soir même.
Le drapeau confédéré aujourd’hui : un objet ambigu
46Étonnement l’étoffe controversée trône au-dessus du dôme jusqu’en 2000. Cette année-là, signe d’une gêne certaine, on le déplace sur un mât quelques mètres plus loin. En 2015 le drapeau confédéré part pour le musée. Là encore, si sa présence n’est plus polémique, elle continue malgré tout de poser question. Le touriste type qui fréquente le musée a semble-t-il une conception un peu particulière de l’histoire des races aux États-Unis.
47Même relégué au musée donc, le drapeau confédéré, celui de Caroline du Sud et les autres, pose problème32. Beaucoup de personnes racistes se rendent au musée de la Confédération à Richmond (Virginie), l’ancienne capitale que s’était donné l’éphémère État. Avec ses 550 drapeaux exposés33, le lieu est malgré lui devenu un endroit de pèlerinage pour les suprémacistes blancs nostalgiques de la ségrégation. Ce qui embarrasse le musée qui cherche bien davantage à attirer, pêle-mêle, professeurs, écoliers, touristes de passage, férus d’histoire et amateurs de reconstitutions historiques grandeur nature.
48Une chose est sûre, le drapeau confédéré n’a pas disparu de la circulation. Loin de là. En Caroline du Sud il orne chaque tombe des soldats confédérés. Il est peint sur le toit des voitures, des camions, etc. Et malgré la pression de la NAACP il fait toujours partie d’un coin du drapeau de l’État du Mississippi34.
49Si la dernière bataille de la guerre de Sécession est officiellement celle d’Appomattox, l’histoire récente a montré par ses affrontements réguliers que l’Amérique peine à mettre le point final au récit de la guerre civile. L’intégration forcée de James Meredith à l’Université du Mississipi était jusque-là considérée comme le dernier soubresaut de la bataille de quatre ans. Le chaos qui a suivi cette rentrée universitaire hors du commun méritait amplement ce qualificatif.
50Il semble que la bataille rangée à laquelle se sont livrés membres de groupes néonazis et activistes du nouveau parti des Black Panthers en cette après-midi de juillet35, dix jours après le retrait du drapeau litigieux, mérite, elle aussi, le triste titre de « dernière bataille de la guerre civile ». Après tout, la Caroline du Sud a bien commencé cette guerre par l’attaque de Fort Sumter à peine Abraham Lincoln fut-il élu. N’est pas logique qu’elle écrive la fin ?
Conclusion
51Si l’on consulte les livres spécialisés ou les forums, force est de constater que l’on se dispute encore entre autorités académiques et historiens du dimanche sur les causes exactes de cette terrible guerre36. Or le drapeau confédéré représente la cause sudiste.
52Pour les uns, il s’agit de causes économiques et de droits des États fédérés avant tout, pour les autres l’enjeu n’a jamais été autre chose que la pratique même de l’esclavage et son extension sur le futur territoire de l’Union, en pleine expansion vers l’Ouest. Que l’on opte pour la première explication et la vue du drapeau confédéré ne pose pas de problème, si en revanche on retient la deuxième proposition alors elle nous est insupportable, qui plus est dans l’espace public.
53Symbole des droits des États fédérés pour les uns, souvenir choquant de la ségrégation pour les autres, le Stars and Bars représente plusieurs choses pour différentes personnes. Plus d’un Américain reconnaît la connotation raciste du drapeau au-delà de son aspect historique sans penser qu’il faille le retirer pour autant. Pour illustrer cette ambiguïté, citons un sondage réalisé par CNN37. 57% des Américains le considèreraient comme une représentation de la fierté sudiste plutôt que comme un symbole raciste. Pourtant 55% soutiennent son retrait en Caroline du Sud.
54Ce qui est clair, c’est que, comme on a pu le constater lors de la tragédie de Charleston, ce drapeau est utilisé de manière répétée par les groupes néonazis pour répandre leur discours de haine. Qu’on le veuille ou non, le drapeau confédéré comme le Black Face ou encore, plus trivialement, la pastèque38, fait partie de l’iconographie raciste aux États-Unis.
55Plus fondamentalement, l’opportunité de faire flotter un drapeau sécessionniste dans un lieu officiel pose question en soi. N’y a-t-il pas qu’un seul drapeau reconnu, le Stars and Stripes, celui des États-Unis d’Amérique ?39
Voetnoten
1 Par principe, l’auteur de l’article a fait le choix de ne pas mentionner l’identité du tueur.
2 Robles Frances, « Dylan Roof Photos and a Manifesto Are Posted on Website », The New York Times, 20 juin 2015.
3 Caputo Marc et Breland Ali, « Mitt Romney : Take Down the confederate Flag ; 2016 GOP Field : Leave it to S.C. », POLITICO, 20 juin 2015.
4 O’Keefe Ed, « Mitt Romney’s Opposition to confederate flag Puts GOP’s Current Presidential Candidates on the Spot », The Washington Post, 20 juin 2015.
5 Lee Kurtis, « Jeb Bush, Marco Rubio are no Strangers to the Confederate Flag Debate », Los Angeles Times, 6 décembre 2015.
6 Hensch Mark, « Ann Coulter : Nikki Haley ‘an immigrant’ who doesn’t understand the Confederate Flag », The Hill, 24 juin 2015.
7 (Not applying), « Transcript : Gov. Nikki Haley of South Carolina on Removing the Flag », The New York Times, 22 juin 2015.
8 Scott Eugene, « Nikki Haley : Confederate flag ‘should never have been there’ », CNN, 10 juillet 2015.
9 Chozick Amy, « Hillary Clinton Says flag Shouldn’t Fly Anywhere », The New York Times, 23 juin 2015.
10 Rafferty Andrew, « Jeb Bush Says Confederate Flag a Racist Symbol », NBC NEWS, 29 juin 2015.
11 Reid Joy-Ann, « The True Story of the South Carolina Confederate Flag Debate », MSNBC, 7 décembre 2015.
12 Shuppe Jon, « South Carolina Gov. Nikki Halley Signs Bill Removing Confederate Flag », NBC NEWS, 9 juillet 2015.
13 Jones Landon, « The Incredible True Story Behind ‘Amazing Grace’ », 28 juin 2015.
14 Voir les nombreux ouvrages de Sébastien Fath, spécialiste francophone du protestantisme et plus particulièrement du courant évangélique aux États-Unis.
15 Isherwood Charles, « Review : ‘Amazing Grace’, the Story of a Slave Trader’s Moral Awakening », The New York Times, 16 juillet 2015.
16 Wood Brenda, « Pinckney’s Casket Had to Travel Under Confederate Flag », Video file, USA Today, 2015.
17 Pilkington Ed, « Obama Gives Searing Speech on Race in Eulogy for Charleston Pastor », The Guardian, 26 juin 2015.
18 Cobb Jelani, « Last Battles », The New Yorker, 6 juillet 2015.
19 Appelbaum Yoni, « Why is the Flag still There ? », op. cit.
20 Miller E. C., « Robert E. Lee and Jefferson Davis Wanted The Confederate Flag To Come Down In The 1800’s, According To These Books », Bustle.com, 9 juillet 2015.
21 Olivo Antonio, « Why and How the Confederate Battle Flag was Created 154 Years Ago », The Washington Post, 24 juin 2015.
22 Kim Kyle et Krishnakumar Priya, « What You Should Know About the Confederate Flag’s Evolution », Los Angeles Times, 9 juillet 2015.
23 Kreitner Richard, « The confederate Flag Doesn’t Commemorat the South’s Lost Cause – It’s the Symbol of a Cause Won », The Nation, 22 juin 2015.
24 Appelbaum Yoni, « Why is the Flag still There ? », op. cit.
25 Gandin Greg, « The Confederate Flag at War (But Not The Civil War) », Commondreams.org, 7 juillet 2015.
26 Si l’évocation même du Vieux Sud divise, la notion de New South en revanche pourrait éventuellement mettre beaucoup de monde d’accord avec le temps. La partie méridionale des États-Unis s’est en effet considérablement développée au plan économique ces dernières décennies. Un développement qui est symbolisé entres autres par la présence des sièges centraux de CNN et de Coca-Cola à Atlanta. Un nouvel emblème a, par ailleurs, été proposé par un studio de création graphique pour représenter ce nouveau Sud fier de son capitalisme triomphant. Molinsky Eric et Rypl Khrista, « Revealing a New Symbol for the South », Studio360, septembre 2015. Aujourd’hui le terme New South semble toutefois ne pas dépasser l’évocation du développement économique de la région, sans revêtir aucune signification politique.
27 Appelbaum Yoni, « Why is the Flag still There ? », op. cit.
28 Supreme Court of the United States, Brown v. Board of Education of Topeka, 17 mai 1954.
29 Bruzgulis Anna, « Confederate Flag Wasn’t Flown at South Carolina Statehouse Until 1961, Pundit Claims », Politifact, 22 juin 2015.
30 Pour une introduction sur l’origine du Ku Klux Klan et ses multiples vies : voy. l’ouvrage de Ameur Farid, « Le Ku Klux Klan », Paris, Larousse, 2009, 255 p.
31 Bruzgulis Anna, « Confederate Flag Wasn’t Flown at South Carolina Statehouse Until 1961, Pundit Claims », op. cit.
32 Gay Stolberg Sheryl, « Even as a Museum Piece, Confederate Flag is in Dispute », The New York Times, 6 juillet 2015 et Self Jamie, « Lawmakers question $5.3 million price tag on proposed Confederate flag display », The State, 4 décembre 2015.
33 Un ouvrage spécialisé reprend tous les drapeaux confédérés qui ont vu le jour. L’auteur en a dénombré 550. Coski M. John, The Confederate Battle Flag - America’s Most Embattled Emblem, Harvard, Belknap Press, 2006, 448 p.
34 Kofman Jefrey, « Mississippi Votes to Keep Controversial Flag », ABC, 23 juin 2015.
35 Blinder Alan, « Ku Klux Klan And New Black Panther Party Protest at South Carolina Capitol », The New York Times, 18 juillet 2015.
36 Lacroix Jean-Michel, Histoire des États-Unis, Paris, Presses Universitaires de France, 1996, p. 235.
37 Agiesta Jennifer, « Majority Sees Confederate Flag As Southern Pride Symbol, Not Racism », CNN, 2 juillet 2015.
38 Sur le sujet, voy. : Black William, « How Watermelons Became a Racist Trope », The Atlantic, 8 décembre 2014.
39 Une réflexion intéressante peut être faite sur le thème de l’écriture de l’Histoire par les vainqueurs. Si comme on le dit, l’Histoire que l’on retient est toujours celle de ceux qui triomphent, alors il s’agit bien ici de celle du Nord. C’est déjà le cas pour le mythe fondateur de la nation américaine, celui du Mayflower et de ses illustres passagers, les pères pélerins. Sait-on seulement que la toute première colonie est celle de Virginie, établie dès la fondation de Jamestown, la première ville coloniale en 1607 ? Voy : Van Ryumbeke Bertrand, L’Amérique avant les États-Unis, Paris, Flammarion, 2013, p. 9. Ce n’est pas un hasard si le récit extraordinaire de Pocahontas et de John Smith, aujourd’hui menacé par les eaux, est moins connu des jeunes têtes blondes. Le Sud a perdu, sur le champ de bataille mais aussi dans les livres scolaires. Quelle place dans l’Histoire enfin pour ces vingt esclaves survivants débarqués d’un négrier hollandais qui jeta l’encre en 1619 dans cette même ville pour les y vendre comme du bétail ? Katz Jonathan M., « Jamestown : the settlement’s hidden history is threatened by climate change », The Guardian, 5 août 2015 ; Axtell James, « Historical Rivalry », history.org, 2007 et Bacharan Nicole, Les noirs américains, des champs de coton à la Maison blanche, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2010, 618 p.