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- Cahier n°4. Approche comparée des politiques mémor...
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La « traversée » de Komitas: entre lois mémorielles, traductions d’intérêts et intentionnalité de récompense
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1Le 29 janvier 2001, date de la promulgation de la loi française relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, le Conseil de Paris vote à l’unanimité pour l’implantation dans la capitale des Français d’une statue commémorant, notamment, la mort de 1.5 million d’Arméniens ottomans1. En conséquence, l’effigie du musicien et ecclésiastique arménien Komitas (1869-1935) orne le paysage parisien depuis le 24 avril 2003. Logé dans le jardin d’Erevan2 (place du Canada), de son nom complet Monument au révérend père Komitas, le colosse est issu d’un projet de monument datant de 1978. Le principe d’érection d’un tel monument avait été positivement accueilli par Jacques Chirac, alors maire de Paris3. Or, la statue de Komitas ne voit le jour que 25 ans après la première impulsion de ce projet.
2La Ville de Paris acquiert Komitas par donlors de la promulgation de la loi mémorielle du génocide arménien, circonstance qui pourrait officiellement légitimer cette transaction. N’empêche, une série de négociations, à la fois politiques et mémorielles, sont aussi à l’origine de la matérialisation de cette statue. Dans la présente contribution, il est question de reconstruire et de comprendre la trame complexe d’intérêts qui a amené le projet de 1978 à l’inauguration en 2003 du Monument au révérend père Komitas. Outre l’analyse de la démarche des élus municipaux et des représentants de la communauté franco-arménienne, nous constatons, vers la fin de cet article, l’impact des pressions turques sur l’évolution de cette commande.
3À la lumière de la notion de « traduction d’intérêts »4, échafaudée par le sociologue français Bruno Latour, la première partie de cet article explore les origines, l’évolution et la mise à terme à Paris d’un monument commémorant le génocide des Arméniens. Le projet de monument se décompose en trois étapes de développement, qui correspondent à trois propositions artistiques différentes : 1. Khatchkar et crypte (1978-1997) ; 2. Khatchkar (1997-2000) ; et 3. Statue du prêtre arménien Komitas (2001-2003)5.
4Cet article porte ensuite sur l’« intentionnalité de récompense »6 du Monument au révérend père Komitas. Cette œuvrecommémore, simultanément, ce musicien et prêtre arménien, les victimes du génocide arménien de 1915 et les combattants et résistants arméniens morts pour la France lors des deux guerres mondiales. Nous tâcherons de démontrer qu’un échange symbolique semblable, mais largement plus complexe que celui présent dans le style dédicatoire de l’inscription « À nos héros morts pour la France », s’effectue dans les inscriptions qui flanquent la statue de Komitas. Cet échange (de nature sacrificielle) aura fortement contribué à la réalisation à Paris d’un premier monument explicitement dédié au génocide arménien.
5Pour parvenir à nos objectifs, nous avons pris appui, principalement, sur l’observation directe des monuments du génocide arménien à Paris et dans sa banlieue, ainsi que sur la tenue d’entrevues semi-directives, notamment avec des acteurs clés de la communauté franco-arménienne. Si les archives de la bibliothèque de l’Hôtel de Ville de Paris conservent un dossier contenant un historique du projet de Komitas7,ce sont toutefois les rapports de séances du Conseil de Paris, du Conseil du VIIIe arrondissement et de la Commission départementale des sites, de même que les archives privées de l’architecte Jean V. Guréghian, qui ont apporté les éléments manquants pour la compréhension des rapports de force ayant façonné cette commande monumentale.
6Notre démarche, à la fois théorique et empirique, se caractérise par une analyse de type sociohistorique permettant de suivre l’évolution du projet de monument au gré des changements contextuels. De plus, cette article a mobilisé une approche sémiologique puisque nous nous intéressons à la capacité de Komitas à générer, par voie de ses dédicaces, un discours engagé visant la reconnaissance universelle du génocide des Arméniens.
Le « siège » de Paris : la commémoration du génocide arménien en banlieue
7En possession d’un patrimoine architectural de tout acabit et porteuse d’une culture visuelle internationalement prisée, la ville de Paris a été historiquement un bassin d’accueil d’étrangers8.
8Les Arméniens et leur descendance comptent parmi les personnes immigrées ou issues de l’immigration habitant la ville de Paris et son agglomération. Les évènements meurtriers dont fut victime la population arménienne, survenus entre 1915 et 1916 dans l’Empire ottoman, constituèrent l’aboutissement d’une politique de « turquification » du territoire, entamée à la fin du xixe siècle. L’historienne française Anahide Ter Minassian explique qu’« après les massacres hamidiens de 1894-1896, la Révolution russe de 1905 et les massacres d’Adana de 1909, plusieurs centaines d’Arméniens cherchèrent refuge en France »9. L’exode arménien vers ce pays pour des raisons politiques s’amorce donc progressivement dans les dernières années du xixe siècle, pour atteindre son point culminant après la signature du traité de Lausanne (1923)10.
9Nonobstant l’affluence historique d’étrangers vers Paris, une grande majorité s’installe dans la banlieue parisienne. Dans les secteurs résidentiels qui encerclent cette ville, les Arméniens et leur descendance ont érigé des monuments aux victimes de leur génocide11. Dès les années 1980, ces marqueurs identitaires entament un processus « d’appropriation spatiale » de la banlieue : ils se dressent, entre autres, à Sarcelles, Alfortville, Arnouville, Villejuif, Bagneux, Charenton-le-Pont, Issy-les-Moulineaux, Antony, Clamart, Sèvres, Sevran, Lilas et Versailles. Pour la plupart, ils sont des khatchkars, c’est-à-dire des stèles funéraires dont les origines remontent aux origines mêmes de l’art arménien12.
10Les premières générations d’Arméniens en France « demeurent en dehors des stratégies locales »13, « peu concerné[e]s par l’acquisition d’une reconnaissance dans la ville […] »14. Cependant, au fil des générations successives, leur pratiques « se sont progressivement dirigées vers une intégration dans la cité, [et] vers des alliances municipales […] »15. À la lumière de ce décloisonnement communautaire, les monuments du génocide arménien font de plus en plus appel à la participation de structures (les mairies) et d’acteurs (les élus) exogènes à la communauté, autant au moment de leur réalisation qu’au moment de leur inauguration.
Un (premier) monument du génocide arménien à Paris : le début d’une traduction d’intérêts
11En dépit de la prolifération de monuments commémoratifs du génocide arménien en banlieue parisienne, leur érection à Paris a été une affaire démesurément complexe, ainsi que nous le démontrons ci-après. La mise en place d’une telle structure mémorielle y fut donc d’autant plus significative quand le moment arriva en 2003 ; les conditions étaient enfin réunies pour cette réalisation, notamment la reconnaissance publique du génocide arménien par la France16.
12La statue de Komitas puise ses origines dans un projet vieux de 25 ans, lancé sous le mandat de Jacques Chirac comme maire de Paris. Le 27 janvier 1978, Monseigneur Sérobé Manoukian, archevêque des Arméniens de Paris, achemine à l’Hôtel de Ville une demande dans l’espoir de faire ériger dans la capitale française un monument à la mémoire des victimes du génocide arménien.17 L’initiative d’un tel projet poursuit la promotion de la cause arménienne sur le plan international et fait suite à la vague commémorative déclenchée par la construction du mémorial de la colline de Dzidzernagapert, à Erevan, en 196718. Tant que le génocide arménien n’est pas reconnu par une majorité de pays19, il demeure une version des faits qui n’atteint pas la catégorie de fait historique établi. L’intention d’ériger à Paris un monument commémorant ce génocide se joint par conséquent aux efforts internationaux pour obtenir sa légitimation historique et juridique. Autrefois marquée par les revendications territoriales, « la lutte pour la reconnaissance du génocide s’oriente désormais vers le ‘droit à la mémoire’, vers un approfondissement du droit international face à une Turquie restée inflexible, […] et vers la responsabilisation de l’État [turc] »20, explique Ter Minassian.
13Le sociologue français Bruno Latour est l’un des précurseurs de la sociologie de la traduction, dite aussi « théorie de l’acteur-réseau »21. Développée depuis les années 1980, cette théorie explique le processus de constitution collective des objets à travers l’analyse des opérations d’acteurs, humains et non-humains, aux intérêts variés22. Dans l’ouvrage La science en action : introduction à la sociologie des sciences23, Latour insiste précisément sur la dimension sociale de la science en affirmant que la fabrication d’un fait scientifique est un acte collectif. Selon le sociologue français, « le sort d’un énoncé repose dans les mains des autres »24; c’est-à-dire que la réalisation de certains objectifs peut dépendre de la contribution des autres, que ce soit parce que ceux-ci sont mieux placés dans l’ordre hiérarchique, ou parce qu’ils ont accès (prioritairement) à des ressources logistiques ou matérielles, ou simplement au pouvoir politique. À la lumière de cet argument, nous comprenons mieux l’intérêt de Monseigneur Manoukian à s’adresser, au nom de la communauté arménienne de Paris, au maire de Paris pour commémorer le génocide par l’entremise d’une œuvre d’art public.
14Les théories de Latour peuvent en effet être transférées au domaine artistique où l’appel à un collectif d’acteurs est à la base de son fonctionnement. Le sociologue américain Howard Becker25 a élaboré la notion de « mondes de l’art »26 pour illustrer le fait que l’œuvre d’art est le fruit d’un réseaux de collaborations et de coopération. De fait, Latour partage avec Becker la compréhension de la nécessité d’une communauté d’acteurs, de l’importance de l’acte collectif et de la dépendance envers autrui pour arriver à produire, dans le domaine qui l’occupe, un énoncé ou un fait scientifique indiscutable. Cependant, le modèle de Latour permet d’aller plus loin dans la compréhension des œuvres qui commémorent publiquement le génocide arménien. Puisqu’il s’agit d’un génocide contesté, les réseaux de coopération autour de ces monuments s’élargissement et les acteurs qui y participent se diversifient (artistes, architectes, ingénieurs, mais aussi personnel associatif, chefs religieux, politiciens, fonctionnaires, diplomates, etc.), diversification qui conduit à une plus grande concurrence d’intérêts. L’originalité du modèle proposé par Latour, appliqué à notre étude de cas, consiste à mettre l’accent sur les opérations, les stratégies, voire les manipulations effectuées par ces (nouveaux) acteurs pour parvenir à la construction du fait en question.
15Latour divise les acteurs humains qui interviennent dans la fabrication d’un fait scientifique en « constructeurs de faits » et en « recrues »27. Le dilemme du constructeur de faits survient lorsqu’il doit recruter des alliés afin de produire et de faire circuler un énoncé, tout en réussissant à gagner le processus d’attribution de la « boîte noire »28. Pour résoudre ce dilemme, des opérations de traduction d’intérêts sont nécessaires. La notion de traduction d’intérêt englobe toutes les opérations, les interactions et les processus par lesquels les individus (constructeurs de faits), afin de parvenir à leurs buts, ajustent, déplacent et négocient les intérêts d’autres individus29.
16De façon plus concrète, le constructeur de faits dispose de cinq opérations30 de traduction qui lui octroient une liberté d’action et de contrôle sur la validation collective d’un énoncé et qui lui permettent de se rendre indispensable à sa fabrication. La dernière de ces opérations, « se rendre indispensable », est celle qui assure de gagner l’attribution du postulat scientifique, ce qui signifie que le fait est validé et reconnu par la communauté pertinente. Cette cinquième opération consiste à mobiliser d’autres acteurs, tout en tentant de se rendre indispensable à la fabrication de l’énoncé.
17Dans le cas qui nous intéresse, la communauté arménienne de Paris endosse temporairement le rôle d’un constructeur de faits, lorsqu’elle tente de « recruter » la Ville, en 1978, pour « valider » leur génocide ; mais les écueils auxquels s’est heurté le projet de monument contribueront, au fil des décennies, à inverser ces rôles.
18Dans la section qui suit, nous scrutons les étapes du projet de monument parisien commémoratif du génocide arménien, ainsi que les actions des acteurs qui y sont intervenus.
Les péripéties d’un projet de monument dans les coulisses de l’administration parisienne (1978-1997)
19Le 15 septembre 1978, lors d’une réunion qui s’est déroulée sous la présidence de Monsieur Lacaze, secrétaire adjoint du maire de Paris, un avis favorable est accordé au principe d’érection du monument proposé par Monseigneur Sérobé Manoukian31. Bernadette Chirac, épouse du Maire, va jusqu’à effectuer la pose d’une première pierre dans les jardins du Grand Palais, en guise de lancement officiel des travaux32. Toutefois, la décennie 1980 durant, le monument du génocide arménien ne dépasse pas l’état de projet. L’examen des séances du Conseil du VIIIe arrondissement de Paris et de la Commission départementale des sites de Paris révèle les rebondissements associés à ce projet et les réticences, les craintes, les oppositions, ainsi que les changements (d’emplacement) continuels qui empêchent, à cette époque, son évolution.
20Quatre ans après l’impulsion du projet, la Commission départementale des sites de Paris examine une première proposition artistique pour commémorer le génocide arménien. Le choix de l’association cultuelle de la cathédrale apostolique arménienne Saint-Jean-Baptiste s’est porté sur une crypte en béton blanc armé de 80 mètres carrés surmontée d’un khatchckar de six mètres de hauteur33. Lors de la séance du 17 mai 1982, un des membres de la commission, Bernadette Prévost, suggère de modifier les dimensions de l’ensemble, qu’elle juge excessives. Le recteur Mallet34, quant à lui, exprime ses craintes concernant les visées commémoratives de l’œuvre et propose même de censurer une éventuelle inscription aux victimes du génocide arménien. En effet, « M. le recteur Mallet, tout en admettant que la France doit continuer à être une terre d’accueil pour les étrangers, exprime le souhait qu’aucune inscription désobligeante pour une puissance étrangère et même qu’aucune inscription du tout ne figure en dehors de la crypte »35. Rappelons que, à l’époque, la France n’avait pas encore reconnu publiquement le génocide des Arméniens. Nonobstant les critiques adressées au projet, la Commission donne un avis de principe favorable à l’érection du monument, dans un endroit situé entre le Grand Palais et le Cours-la-Reine. Cette instance recommande d’ailleurs la consultation de la commission du VIIIe arrondissement – arrondissement où se trouve l’emplacement choisi.
21Le dossier ne connaît pas de développement majeur pendant deux ans. Les premières véritables remises en question sur la nature et l’intérêt du projet du monument surviennent lors d’une séance du conseil du VIIIe arrondissement, en 1984. À cette occasion, Françoise de Pesquidoux demande à l’assemblée « s’il est indispensable d’ériger ce monument »36. Maurice Couve de Murville réplique que « c’est une question électorale et que le pire a été évité en écartant la solution qui consistait à le mettre en face du Grand Palais »37. Lors de cette séance, un nouvel élément viendra freiner l’avancement du projet, soit la crainte de la multiplication de monuments, de stèles et de sculptures diverses implantés dans les jardins des Champs-Élysées. Une politique de protection de l’harmonie stylistique de ces jardins est alors réclamée auprès de la Ville de Paris afin d’y restreindre la prolifération de monuments commémoratifs38. L’année suivante, lors de la séance du 16 janvier 1985, le projet de monument arménien reçoit un avis défavorable, car la Ville ne s’est pas encore prononcée sur les demandes qui lui ont été adressées concernant la politique de protection des jardins des Champs-Élysées39. Toutefois, le 19 février 1985, la décision du conseil du VIIIe est infirmée par le maire de Paris ; l’avis favorable au principe de l’érection du monument commémoratif proposé par Jacques Chirac est approuvé lors de la séance du 25 mars du Conseil de Paris40.
22Dans la séance plénière du 19 juin 1987, les membres de la Commission départementale des sites de Paris réexaminent le projet d’installation d’une stèle commémorative arménienne dans le site des jardins des Champs-Élysées41. L’architecte des Bâtiments de France Catherine Madoni explique que la proposition de monument s’est allégée de la crypte et a uniquement gardé le khatchkar, datant du xiiie siècle, qui serait enchâssé dans un cylindre de granit noir poli42. L’emplacement pressenti alors pour son implantation est une parcelle du jardin des Champs-Élysées, située entre le Cours-la-Reine et les abords sud du Grand Palais. Lors de cette réunion, le maire du VIIIe arrondissement François Lebel manifeste son opposition à l’érection du monument à cet endroit, sous prétexte qu’il craint d’endommager la pelouse du jardin43. Après la présentation du projet par l’architecte Édouard Sarxian, responsable des travaux préliminaires et des plans de la stèle, la discussion portera sur des considérations à caractère esthétique concernant ses dimensions et son caractère massif44. Mais c’est l’emplacement contesté du monument dans les jardins des Champs-Élysées qui met une nouvelle fois le projet en veilleuse. Michel Junot, adjoint du maire de Paris, va jusqu’à suggérer d’installer la stèle devant la cathédrale arménienne Saint-Jean-Baptiste45. Les monuments dédiés à George Pompidou (1984) et à Jean Moulin (1984) ont pourtant trouvé emplacement dans ces jardins, décision qui a été prise après la proposition du monument arménien pour ce site46. Il semblerait, par conséquent, que la préservation du site ne soit pas l’unique cause du ralentissement du dossier « arménien ». À ce stade-ci, le sujet commémoré par cette stèle funéraire semble diviser les élus municipaux du VIIIe arrondissement.
23Le 22 octobre 1987, une missive de la communauté arménienne espère relancer le projet47. Monseigneur Kude Nacachian, successeur de Monseigneur Manoukian, y rappelle au maire de Paris que la Commission des sites et le Conseil de Paris ont donné leur accord pour une stèle de dimensions plus réduites.
La relance du projet (1997-2001). la mémoire du génocide arménien à quelques pas de la tour Eiffel
24Dix ans après la lettre adressée à Chirac par le prélat des Arméniens de France Monseigneur Kude Nacachian – lettre demeurée sans réponse –, le projet de monument du génocide arménien semble être tombé aux oubliettes. Le tremblement de terre en République soviétique d’Arménie (1988) ainsi que la création d’un état arménien indépendant (1991) auraient contribué à diviser les efforts de la communauté arménienne de Paris et à concentrer l’attention de la France sur ces événements, à fort impact international48. En concomitance, le long hiatus avant la reprise du projet de monument parisien des Arméniens ne serait pas étranger aux interventions des représentants du gouvernement turc dans cette affaire. Les membres de la communauté arménienne s’écrient alors que « les aléas des relations entre les États français et turc ont manifestement contribué à ce blocage »49.
25Le Comité du 24 avril50 est créé en 1994 dans le but d’orchestrer le 80e anniversaire du génocide. Au passage, il récupère le dossier du monument. En 1997, dix-neuf ans après sa première impulsion, le projet semble reprendre de la vigueur. Le tout n’advient pas sans négociations et sans recours à de nouvelles traductions d’intérêts.
26Suite à la reprise des travaux préliminaires, les services de l’urbanisme de la Ville de Paris envisagent l’avenue Charles Risler, sur les Champ-de-Mars, comme (nouvel) emplacement51. Architecte et membre fondateur du Comité du 24 avril, Manuel Deirmendjian s’adresse à M. Tibéri dans une lettre datée du 4 mars 199752. Dans cette missive, l’architecte rappelle que de nombreux « monuments du souvenir » du génocide arménien existent ailleurs en France et que, par conséquent, Paris ne saurait en être privé53. Au moment de la prise de contact avec Tibéri, le projet de l’architecte Sarxian n’est plus à l’ordre du jour : il a été remplacé par un projet de pis-aller. Incluant aussi un khatchkar,la nouvelle proposition est signée par trois architectes, membres du Comité du 24 avril, soit Jean V. Guréghian, Manuel Deirmendjian et Jiraïr Khachikian54.
27En fin de compte, le choix du Champ-de-Mars ne sera considéré que très brièvement pour accueillir le monument. La Commission permanente et la mairie du VIIIe arrondissement donnent (enfin) leur accord de principe pour l’implantation du monument dans la place du Canada55. Le 23 janvier 2001, une semaine avant l’adoption de la loi française relative au génocide arménien, cette place sera désignée comme emplacement définitif du monument56. La proposition de monument incluant la stèle entreposée dans la cathédrale arménienne est écartée à cause des critères restrictifs en matière sculpturale de la nouvelle localisation : la place du Canada n’accueille que des bustes et des statues57. La date du début des travaux reste cependant problématique, parce que l’usine de production d’eau glacée, Climespace, est en chantier au même endroit58. Lebel, maire du VIIIe arrondissement, dont la résistance à l’érection du projet arménien fut toujours manifeste, insiste pour reporter la date de l’implantation de l’œuvre après la fin des travaux de l’usine, en septembre 2002; il obtient gain de cause59.
Les temps de la matérialisation (2001-2003) : La statue du prêtre Komitas
28Tout au long des 25 années qu’auront duré les opérations de traduction d’intérêts autour du dossier du monument du génocide, les représentants de la communauté arménienne ont continuellement relancé le projet en tentant de gagner des alliés et fixer des alliances. La question du site de l’œuvre fut probablement celle qui aura subi le plus de négociations. L’un des premiers emplacements envisagés se situait au débouché du pont des Invalides, sur la rive droite de la Seine. Le 4 avril 1979, un nouvel emplacement est proposé par la Ville de Paris, soit les jardins des Champs-Élysées, dans le VIIIe arrondissement60. En octobre 1998, l’axe du Champ-de-Mars, entre la place Jacques Rueff et l’École militaire61, est brièvement envisagé avant de revenir au VIIIe arrondissement, sur la place du Canada, non loin de l’endroit initial.
29Le choix de Komitas n’obéit qu’à la contrainte de devoir commémorer un personnage historique sur la place du Canada. Les séjours du prêtre arménien à Paris (1905, 1906, 1914), ainsi que son internement et sa mort à l’hôpital psychiatrique de Villejuif (1919-1935), en banlieue parisienne, font de ce personnage un choix qui s’accorde avec les justificatifs historiques nécessaires à la commémoration des étrangers à Paris62.
30Un concours en art public fut organisé par l’administration municipale, en collaboration avec le Comité du 24 avril. Trois participants d’origine arménienne y sont invités, soit les sculpteurs Archavir Yeghiazarian, David Erevantzi et Haroutioune Yekmalian63. Les artistes présentent, pour l’occasion, des esquisses et des maquettes qui représentent leur vision du personnage de Komitas. « À l’issue d’une consultation d’artistes arméniens, le Comité du 24 avril a choisi en accord avec les services de la Ville et Monsieur [Jean-Marc] Blanchecotte de retenir le projet de David Erevantzi »64, qui combine des motifs caractéristiques de l’art arménien avec la tradition de la statuaire monumentale française du xxe siècle.
31Au courant de l’année 2001, le Conseil de Coordination des organisations arméniennes de France (CCAF) devient le troisième responsable du projet de monument et prend la relève du Comité du 24 avril et de la cathédrale apostolique arménienne de Paris. Pour le financement de la statue de Komitas, une souscription nationale est lancée auprès des membres de la communauté arménienne de France. La Ville de Paris s’engage, pour sa part, à couvrir les frais d’installation, la confection du socle et la gravure des épitaphes sur ses quatre faces65.
32Le 24 avril 2003, la statue du moine arménien Komitas, s’appuyant sur un khatchkar et accompagné de la figure d’un enfant surgissant de son côté droit, assiste de ses six mètres de hauteur à sa cérémonie d’inauguration. Paris est alors devenue la première capitale au monde (autre qu’Erevan) à abriter un mémorial du génocide arménien.
Komitas de la parole à l’acte. un échange symbolique
33Si l’on s’attarde sur sa fonction commémorative, Komitas est un lieu de mémoire66, puisqu’il incarne le désir de la communauté arménienne de se souvenir du génocide de son peuple. De Komitas on tire un sens moral, celui de prévenir d’autres crimes en condamnant ceux du passé. Il contribue à la cause pour la reconnaissance juridique et historique de cet évènement et en préserve la mémoire. Si l’on tient compte de son aspect formel, la statue de Komitas relève de la sculpture moderne, soit une pratique artistique où le créateur s’inspire, plus que d’une ressemblance physique, d’une construction de l’esprit, de la production de son imaginaire ou de sa vision du sujet représenté67.
34Ses aspects formels et fonctionnels survolés, on pourrait hâtivement conclure que le Monument au révérend père Komitas est un monument commémoratif plutôt conventionnel ; or, il n’en est pas un. Ce sont ses dédicaces qui révèlent sa dimension « activiste », invisible au seul regard de la statue. Lorsqu’on s’approche pour lire les inscriptions gravées sur son socle, une intentionnalité de récompense se matérialise sous nos yeux. Sur le devant de son socle en pierre blanche de Saint-Maximin, on peut lire : « En hommage à Komitas, compositeur, musicologue et aux 1 500 000 victimes du génocide arménien de 1915 perpétré dans l’Empire ottoman » ; et sur le côté gauche du socle : « À la mémoire des combattants arméniens engagés volontaires et résistants morts pour la France ».
35Il est possible de retracer l’origine des dédicaces de Komitas dans la correspondance entre Jean V. Guréghian et Jean Tibéri, lors de la relance du projet du monument en janvier 1997. À titre de président du Comité du 24 avril, Guréghian est responsable de porter le projet de monument arménien à la connaissance du Maire. Il le fait par l’entremise d’une lettre datée du 17 janvier 199768. Une semaine plus tard, en l’absence d’une réponse de la part de M. Tibéri, Guréghian décide de lui expédier une deuxième lettre69. L’architecte y explique que, lors de sa précédente missive, il a oublié de préciser un détail significatif : « que ce monument est aussi érigé à la gloire des Arméniens Volontaires de 1914-1918, Anciens Combattants et résistants de 1939-1945 morts pour la France »70.
36En entretien avec Guréghian, l’architecte nous dévoile la stratégie derrière cette démarche71. Dans la deuxième lettre, il décida d’élargir la dédicace dans le but explicite d’attirerl’attention du Maire pour l’obtention d’un avis favorable à la reprise du projet du monument du génocide72. Un troisième envoi suivra le 9 février, soit une proposition de monument73 insistant sur la double commémoration des victimes du génocide et des combattants arméniens74. Le 21 février, le Maire adresse une lettre à Guréghian : M. Tibéri a recommandé l’examen attentif de l’avant-projet reçu auprès des services compétents de la Ville75.
37La démarche de Guréghian peut être considérée comme le premier pas de l’échange symbolique que suggèrent les inscriptions de Komitas. La présence simultanée des dédicaces aux victimes du génocide et aux combattants et résistants arméniens ressemble, en effet, à une situation de type « don/contre-don »76. Pour Yves Hélias, le style dédicatoire de l’inscription « À nos héros morts pour la France » recèle ce type d’échange77. La préposition « pour » indique que les morts ont fait de leurs vies un don, tandis que la préposition « à » dévoile que le monument constitue le contre-don de la part des vivants78. Le système de don/contre-don détecté par Hélias dans la formulation de cette dédicace – très répandue dans les monuments aux morts en France –se manifeste, à un degré de complexité supérieur, dans les monuments franco-arméniens. Plusieurs de ces monuments sont simultanément dédiés aux combattants et aux résistants arméniens morts pour la France – ici, un échange de type don/contre-don se vérifie –, ainsi qu’à la mémoire des 1 500 000 Arméniens victimes du génocide. L’échange de dons (don/contre-don) présent dans la première inscription se poursuit du moment où la deuxième dédicace s’avère, elle-même, un contre-don. En effet, la dédicace aux combattants arméniens, en plus de tenter de légitimer la présence de Komitas en sol français, autorise symboliquement les membres de la communauté arménienne à formuler une dédicace aux victimes du génocide. Par conséquent, l’intentionnalité de récompense qui sous-tend Komitas ajoute une dimension supplémentaire, du genre « activiste »79, aux fonctions traditionnelles du monument (faire acte de mémoire en collectivité et transmettre un héritage à la postérité). L’édification en sol français de monuments commémoratifs du génocide arménien portant ces dédicaces semble, en théorie, indéfiniment garantie grâce au don (sacrifice) de vies arméniennes à la France. Cette stratégie, que l’on peut qualifier d’énonciative, tient lieu d’outil d’insertion de la mémoire de ce génocide dans l’espace public. Maurice Godelier explique le rapport de domination que le don exerce sur celui qui le reçoit, lorsqu’il écrit : « accepter un don, c’est plus qu’accepter une chose, c’est accepter que celui qui donne exerce des droits sur celui qui reçoit »80.
Conclusion : Komitas aujourd’hui
38Komitas transmet un message actif qui s’inscrit dans une nouvelle ère de commémoration. Son intentionnalité de récompense participe d’une volonté d’agir qui ne se limite point au rassemblement communautaire du 24 avril ; d’une volonté qui fait passer ce monument de la parole à l’acte. L’anthropologue française Martine Hovanessian qualifie de fait Komitas de « véritable corps parlant, [d’] énoncé performatif exhibé sur une place publique de choix [qui] introduit une rupture significative dans les stratégies de reconnaissance »81.
39La traduction d’intérêts qui s’immisce dans le dossier du monument du génocide arménien se manifeste, principalement, à travers les transformations apportées au projet depuis 1978. Au niveau de la forme, la première proposition est attaquée dans ses dimensions jugées démesurées ; la deuxième, quant à elle, est passée inaperçue et sera rapidement écartée. La troisième (et définitive) a émergé au milieu de contraintes dictées par les caractéristiques esthétiques et historiques de la destination qui lui fut allouée. Pour ce qui est de l’emplacement du monument, une pléiade de lieux fut envisagée, dont la chronologie reste difficile à suivre, en raison notamment des aller-retour administratifs incessants au fil des années.
40La position de la Ville de Paris dans cette affaire n’a pas été de tout repos. « En effet, le monument de la place du Canada symbolise la complexité de l’attitude de la France, qui reconnaît le génocide arménien tout en ménageant la susceptibilité de la Turquie »82. Il serait pertinent de rappeler que si l’État français a reconnu le génocide par le truchement d’une loi en 2001, celle-ci n’en précise pas pour autant les responsables83. Vers la fin de cette affaire, des opérations de traduction ont ciblé la dédicace du génocide arménien. Ces opérations aboutissent à l’exclusion des expressions clés « Jeunes-turcs » et « premier génocide du xxe siècle », pour accommoder les intérêts de toutes les parties concernées84. Toutefois, même si Komitas n’identifie pas le gouvernement des Jeunes-turcs comme étant responsable du génocide arménien, et même s’il est également dédié aux combattants arméniens morts pour la France, le message est clair. Il n’est pas innocent que les diplomates turcs se soient attaqués à ce qui fixe le sens du monument sur la reconnaissance du génocide arménien, à savoir, ses inscriptions. À l’époque de l’inauguration de Komitas, l’ambassade de la Turquie déclare, par voie de communiqué, qu’elle
déplore profondément qu’une inscription au contenu non fondé et contesté soit gravée sur le socle de la statue [...]. Nul ne peut contester le droit d’un peuple à commémorer ses artistes par l’érection de statues. Toutefois, une œuvre d’art commémorative ne doit en aucun cas servir de prétexte pour abuser des réalités de l’histoire85.
41En fin de compte, la Ville de Paris est devenue le constructeur de faits dans cette affaire monumentale, donc celui qui a a négocié les intérêts des acteurs participant directement ou indirectement au projet. La Ville a notamment attendu la reconnaissance officielle du génocide arménien par le Parlement français avant d’accepter (officiellement) la statue de Komitas. Ce dernier point est significatif, car il semble exister un lien de corrélation entre les deux événements, tous les deux survenus le 29 janvier 2001. Cet état de fait nous amène à affirmer que les deux dossiers ont évolué en parallèle. Effectivement, les débuts de cette loi coïncident temporellement avec la reprise du dossier du monument arménien. Le 13 mai 1998, une proposition de loi relative à la reconnaissance du génocide arménien est déposée au bureau de l’Assemblée Nationale, reprenait de la sorte une promesse électorale du politicien Lionel Jospin en 199786, année dans laquelle le projet de monument a été relancé pour la troisième et dernière fois.
42Trois années de procédure législative, soulevant au passage les passions et les controverses, se sont conclues par la promulgation de cette loi mémorielle87. À l’instar du projet de monument aboutissant à Komitas, elle a subi un processus de traduction d’intérêts. Dans un texte jetant un éclairage sur les fonctions des quatre lois mémorielles en France88, Sévane Garibian dénonce le caractère déclaratif de la loi relative à la reconnaissance du génocide arménien :
À l’issue du processus parlementaire, la loi du 29 janvier 2001 a été en réalité amputée de tous les amendements initialement proposés, susceptibles d'attacher à ce texte des conséquences juridiques et lui conférer un caractère normatif. Plus précisément, la loi fut dépouillée [entre autres] d’un amendement prévoyant de demander au Gouvernement d’œuvrer au plan international à la reconnaissance et à la réparation du génocide de 191589.
43Nonobstant les écueils rencontrés sur le chemin – notamment de nature diplomatique et de politique mémorielle –, et le quart de siècle qu’aura duré sa matérialisation et les multiples opérations de traduction d’intérêts, Komitas est devenu, depuis son inauguration, un haut lieu de rassemblement pour les commémorations du génocide arménien en France. À ses pieds, le président de la République française François Hollande prononce un discours pro-arménien le 24 avril 2014, lors de la cérémonie en hommage aux victimes arméniennes ottomanes90.
Notes
1 Conseil de Paris, Ville de Paris, Conseil municipal, délibération « Don d’une œuvre d'art à la Ville de Paris », n° de dossier DAC 57, 29 janvier 2001, disponible à l’adresse suivante : http://labs.paris.fr/commun/ogc/bmo/dbdl_delib.php?d=./Debat/CMDEBAT20010129/CMDEBAT20010129-7.htm (consulté le 5 avril 2012).
2 Ville de Paris, Bibliothèque de l’Hôtel de Ville, « Arrêté du 8 décembre relatif à l’attribution de la dénomination ‘Jardin d’Erevan’ à l’espace vert situé dans le prolongement du Mémorial du génocide arménien, cours de la Reine, à hauteur de la place du Canada, à Paris 8e », 17 décembre 2008, 1 p.
3 Ville de Paris, Bibliothèque de l’Hôtel de Ville, Direction générale de l’information et de la communication, « Implantation de la statue de Komitas, compositeur arménien victime du génocide », lundi 29 janvier 2001, numéro de dossier 207024, n/p.
4 Latour Bruno, La science en action : introduction à la sociologie des sciences, Paris, Gallimard, 1995 [1987], 673 p.
5 Chaque projet a été mené par une instance arménienne différente, soit, dans l’ordre, la cathédrale apostolique arménienne Saint-Jean-Baptiste, le Comité du 24 avril et le Conseil de coordination des organisations arméniennes de France (CCAF), sous les mandats consécutifs des maires Jacques Chirac, Jean Tibéri et Bertrand Delanoë.
6 Cette expression est avancée par Yves Hélias, maître de conférences à l’université Rennes 2, pour décrire l’échange symbolique présent dans les inscriptions qui accompagnent les monuments aux morts dans un texte portant sur la manière dont ces derniers font écho aux enjeux politiques de l’époque qui les érige, au point d’en devenir des instituions politiques. Voir, Hélias Yves, « Pour une sémiologie des monuments aux morts », Revue française de science politique, 1979, vol. 29, n° 4-5, pp. 739-759.
7 Ville de Paris, « Implantation de la statue de Komitas […] », op. cit.
8 cnrs, « De moins en moins de Parisiens de souche », Centre national de la recherche scientifique, section « Thema », 2005, disponible à l’adresse suivante : http://www2.cnrs.fr/presse/thema/593.htm (consultée 23 septembre 2014).
9 Ter Minassian Anahide, Histoires croisées : diaspora, Arménie, Transcaucasie, 1880-1990, Marseille, Éditions Parenthèses, 1997, p. 55.
10 Le 24 juillet 1923, la signature du traité de Lausanne annule le traité de Sèvres (1920), anéantissant ainsi l’espérance d’une Arménie indépendante. Voir Ter Minassian Anahide, La question arménienne, Marseille, Éditions Parenthèses, 1983, 240 p.
11 Nous en avons fait le constat lors d’une recherche de terrain en France qui aura duré trois ans (2011-2014).
12 Sur la signification et les attributs d khatchkar, voir Donabédian, Patrick, et Jean-Michel Thierry, Les arts arméniens, Paris, Éditions Mazenod, 1987.
13 Hovanessian Martine, Les Arméniens et leurs territoires, Paris, Autrement, 1995, p. 116.
14 Ibid.
15 Hovanessian Martine, « Le religieux et la reconnaissance formes symboliques et politiques au sein de la diaspora arménienne », Les annales de la recherche urbaine, 2004, n° 96 (octobre), p. 129.
16 Un élément qui aura certes contribué à la matérialisation de la statue de Komitas est l’enracinement en France des différentes générations de citoyens d’origine arménienne.
17 Ville de Paris, « Implantation de la statue de Komitas […] », op. cit.
18 Œuvre des architectes Arthur Tarkhanian et Sachour Kalachian, il est le premier monument public érigé en Arménie soviétique dédié à la mémoire des victimes du génocide de 1915. Au sujet de la commande de ce monument, voir Ter Minassian, Taline, Erevan : la construction d'une capitale à l'époque soviétique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
19 L’Uruguay a ouvert la voie en 1956 en devenant le premier pays à reconnaître publiquement ce génocide. Cela dit, en dehors de la Turquie, elles sont une vingtaine de nations en tout à avoir convenu de l’existence de cet événement tragique.
20 Ter Minassian Anahide, « Les Arméniens au 20e siècle », Vingtième siècle. Revue d’histoire, Juillet-Septembre 2000, no 67, p. 142.
21 Au sujet de cette théorie, voir, notamment, Akrich Madeleine, Callon Michel et Latour Bruno (dir.), Sociologie de la traduction : textes fondateurs, Paris, Presses Mines ParisTech, 2006.
22 Dans cet article, nous nous concentrons exclusivement sur l’activité des acteurs humains.
23 Latour Bruno, La science en action […], op. cit.
24 Ibid., p. 249.
25 Becker Howard S., 1988. Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 382 p.
26 Ibid.
27 Latour Bruno, La science en action […], op. cit.
28 Dans le jargon informatique, une boîte noire est un énoncé ou un objet non problématique. Voir, Ibid.
29 Latour Bruno, La science en action […], op. cit.
30 Voici les cinq opérations de traduction : 1. Je veux ce que vous voulez ; 2. Ce que je veux, pourquoi ne le voulez-vous pas ? ; 3. Si vous faisiez ne serait-ce qu’un petit détour… ; 4. Redistribuer les intérêts et les buts ; et 5. Se rendre indispensable. Ces opérations ne se trouvent pas reliées les unes aux autres par une séquence à respecter. C’est plutôt afin de montrer les inconvénients de chacune que Latour décrit leurs possibles dénouements. Il les développe jusqu’à ce qu’elles échouent et qu’une nouvelle stratégie émerge. De cette façon, Latour parvient à démontrer que la cinquième et dernière opération est la seule qui pourrait s’appliquer sans risque d’échouer, car elle constitue la somme des quatre opérations précédentes : une sorte de version améliorée.
31 Ville de Paris, « Implantation de la statue de Komitas […] », op. cit.
32 Delpuech Corinne, « Le premier monument parisien au génocide arménien inauguré jeudi », AFP Infos Françaises, 20 avril 2003 (via Eureka.cc).
33 Commission des sites de Paris, Préfecture de Paris, Direction de l’Urbanisme et des Actions de l’État, Environnement et Sites, Commission départementale des sites de Paris, Séance plénière, Projet de délibération III, « Jardins des Champs-Élysées (site classé) (VIIIe arrondissement), angle des avenues de Selves et du Général-Eisenhower : avis sur le projet d’édification d’une stèle commémorative du génocide arménien », ISSN 0983-6586, 17 mai 1982, pp. 6-7.
34 Il s’agirait de Robert Mallet, recteur de l’Académie de Paris de 1969 à 1980, qui fut également membre de la Commission des sites de Paris.
35 Commission des sites de Paris, « Jardins des Champs-Élysées […], op. cit., p. 7.
36 Conseil du VIIIe arrondissement de Paris, Séance publique, Projet de délibération « Érection d’un monument commémoratif arménien » (compte-rendu), n° de dossier P548 tr 30, 9 mai 1984, p. 5.
37 Ibid.
38 Ibid.
39 Conseil du VIIIe arrondissement de Paris, Séance publique, Projet de délibération « Érection d’un monument commémoratif Arménien, Cours la Reine, près du Grand Palais », n° de dossier P548 tr 30, 16 janvier 1985, pp. 6-7.
40 Conseil de Paris, Conseil municipal, Extrait du registre des délibérations, « Avis favorable au principe de l’érection d’un monument commémoratif arménien », n° de dossier 1844, séance du 25 mars 1985, 2 p.
41 Commission des sites de Paris, Préfecture de Paris, Direction de l’Urbanisme et des Actions de l’État, Environnement et Sites, Commission départementale des sites de Paris, Séance plénière, Projet de délibération II « Examen pour avis de l’installation d’une stèle commémorative arménienne dans le site classé des jardins des Champs Élysées », ISSN 0983-6586, 19 juin 1987, pp. 2-8.
42 Ibid.
43 Ibid.
44 Ibid.
45 Ibid.
46 Ibid.
47 Ville de Paris, « Implantation de la statue de Komitas […] », op. cit.
48 Ibid.
49 ADL-Ramgavar, Dossier Historique de la statue du R.P. Komitas, Monument du génocide arménien de 1915, inauguré à Paris, place du Canada, le 24 avril 2003, disponible à l’adresse suivante : http://adl.hayway.org/default_zone/documents/historique_komitas.pdf (consulté le 11 février 2012).
50 Le Comité du 24 avril est une organisation qui rassemble plusieurs organisations arméniennes de France.
51 Archives privées de Jean V. Guréghian, Guréghian Jean V., Deirmendjian Manuel et Khachikian Jiraïr, Comité du 24 avril, « Projet d’un monument pour la communauté arménienne de Paris et de sa région », 1997, 5 p.
52 Archives privées de Jean V. Guréghian, Comité pour la commémoration du 24 avril 1915, Lettre de Manuel Deirmendjian, membre-fondateur du Comité du 24 avril, à Jean Tibéri, maire de Paris, 4 mars 1997, 1 p.
53 Ibid.
54 Archives privées de Jean V. Guréghian, « Projet d’un monument [...] ».
55 dacvp-coarc, Direction des Affaires Culturelles de la Ville de Paris, Centre de documentation de la Conservation des œuvres d’art religieuses et civiles, Dossier David Erevantzi/Père Komitas/Cours Albert I, Compte-rendu de la réunion de la sous-commission technique des statues, dossier DACVP-COARC 1999-2012, 18 juin 2001.
56 L’autorisation est alors donnée par le Service départemental de l’Architecture et du Patrimoine. Voir, Ibid.
57 Entretien avec Jean V. Guréghian le 20 mai 2013 dans sa résidence (Nogent-sur-Marne, Île-de-France).
58 Conseil de Paris, « Don d’une œuvre d’art à la Ville de Paris », op. cit.
59 Ibid.
60 Ville de Paris, « Implantation de la statue de Komitas […] », op. cit.
61 Archives privées de Jean V. Guréghian, « Projet d’un monument [...] ».
62 Près de la moitié des personnages statufiés à Paris y sont nés ou morts. S’agissant des étrangers, on s’efforce de trouver ce qui peut rattacher ces héros à la capitale française. Voir Lanfranchi Jacques, Les statues des héros à Paris. Les lumières dans la ville, Paris, L’Harmattan, 2013, 334 p.
63 Échange de courriers électroniques avec Dikran-Manuel Deirmendjian, architecte et membre fondateur du Comité du 24 avril, entre le 15 et le 18 mai 2013.
64 dacvp-coarc, Compte-rendu […] sous-commission technique des statues, op. cit.
65 La Ville de Paris a financé le socle à hauteur de 57.400 euros. Voir Delpuech Corinne, « Le premier monument parisien […] », op. cit.
66 Nora Pierre (dir.), Les lieux de mémoire. Tome I La République, Paris, Gallimard, 1984, 720 p.
67 Rowell Margit, « Avant-propos », Qu’est-ce que la sculpture moderne ?, catalogue de l’exposition Qu’est-ce que la sculpture moderne?, 3 juillet-13 octobre 1986, p. 1-10, disponible à l’adresse suivante :
68 Archives privées de Jean V. Guréghian, Comité pour la commémoration du 24 avril 1915, Lettre de Jean V. Guréghian, président du Comité du 24 avril, à Jean Tibéri, maire de Paris, Objet : Monument dédié à la mémoire du génocide arménien de 1915, 17 janvier 1997, 1 p.
69 Archives privées de Jean V. Guréghian, Comité pour la commémoration du 24 avril 1915. Lettre de Jean V. Guréghian, président du Comité du 24 avril, à Jean Tibéri, maire de Paris, Objet : Précision sur les visées commémoratives du monument dédié à la mémoire du génocide arménien de 1915, 24 janvier 1997, 1 p.
70 Ibid., p. 1
71 Entretien avec Jean V. Guréghian […], op. cit.
72 Ibid.
73 Il s’agit de la proposition comprenant le khatchkar entreposé dans la cathédrale apostolique arménienne de Paris et qui fut temporairement envisagé pour être installé dans le Champs-de-Mars.
74 Archives privées de Jean V. Guréghian, Comité pour la commémoration du 24 avril 1915, Lettre de Jean V. Guréghian, président du Comité du 24 avril, à Jean Tibéri, maire de Paris, Objet : Avant-projet du monument dédié à la mémoire du génocide arménien de 1915 et aux combattants arméniens morts pour la France, 9 février 1997, 1 p.
75 Archives privées de Jean V. Guréghian, Lettre de Jean Tibéri, maire de Paris, à Jean V. Guréghian, président du Comité du 24 avril, Objet : Confirmation d’un examen attentif de l’avant-projet du monument dédié à la mémoire du génocide arménien de 1915 et aux combattants arméniens morts pour la France, 21 février 1997, 1 p.
76 Yves Hélias adapte au domaine de l’art monumental le système de don et de contre-don que l’anthropologue français Marcel Mauss a échafaudé pour décrire le régime d’échange propre aux sociétés arriérées ou archaïques. Voir, Mauss Marcel, Essai sur le don. Formes et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Paris, Presses universitaires de France, 2007 [1923-24].
77 Hélias Yves, « Pour une sémiologie des monuments aux morts », op. cit.
78 Ibid.
79 Bien évidemment, c’est l’activisme des membres de la communauté franco-arménienne, c’est-à-dire, l’ensemble des démarches administratives et associatives, voire le lobby qu’ils entreprennent pour la reconnaissance universelle du génocide arménien qui se manifeste à travers Komitas.
80 Godelier Maurice, L’énigme du don, Paris, Flammarion, 2002, p. 64.
81 Hovanessian Martine, « Le religieux et la reconnaissance […] », p. 133.
82 Eudes Yves, « Pour la première fois, Jacques Chirac participe à la commémoration du génocide arménien », Le Monde, 25 avril 2005, p. 6.
83 Cette loi a un article unique : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ». Voir
84 Voir, Conseil de Paris, Ville de Paris, Conseil municipal, délibération « Approbation des textes d’hommage destinés à être gravés sur le socle du monument à KOMITAS, aux Arméniens victimes du génocide de 1915 et aux combattants arméniens engagés volontaires et résistants morts pour la France », n° de délibération DAC 67, 24 mars 2003, disponible à l’adresse suivante :
85 AFP Infos Mondiales, « L’ambassade de Turquie déplore l’inauguration d’une statue dédiée aux Arméniens », 22 avril 2003 (via Eureka.cc).
86 Masseret Olivier, « La reconnaissance par le Parlement français du génocide arménien de 1915 », Vingtième Siècle.Revue d'histoire, Janvier-Mars 2002, n° 73, pp. 139-155.
87 Ibid.
88 Loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 (loi Gayssot), loi du 29 janvier 2001, loi n° 2001-434 du 21 mai 2001 (loi Taubira), et loi n° 2005-158 du 23 février 2005 (loi Mekachera).
89 Garibian Sévane, « Pour une lecture juridique des quatre lois ‘mémorielles’ », Février 2006, Esprit, vol. 2, n° 322, p. 163.
90 Nous avons assisté à la cérémonie.
Para citar este artículo
Acerca de: Analays Alvarez
Analays Alvarez est stagiaire postdoctorale rattachée au Department of History of Art de l’University of Toronto.