Cahiers Mémoire et Politique Cahiers Mémoire et Politique -  Cahier n°1. La science politique et les études sur la mémoire 

Quand l’orateur Nicolas Sarkozise de Gaulle, quelle utilité en retire-t-il ?

Inès Depaye

Titulaire d’un bachelier en science politique

Résumé

Cette contribution a pour objet l’étude de la mobilisation de la figure de de Gaulle dans les discours de Nicolas Sarkozy. L’analyse de discours permet de mettre en évidence l’utilisation de citations, de références à des personnages historiques, l’évocation d’évènements fondateurs d’une identité nationale. Tous ces éléments ne sont pas anodins et mobilisés à bon escient, ils permettent la construction d’une image. Cette image est véhiculée par la suite pour fédérer autour de l’orateur le plus grand nombre de spectateurs. Celle-ci a pour caractéristique d’être floue et nette à la fois. Le lecteur sera plongé au cœur des textes écrits des discours de Nicolas Sarkozy en vue de décoder la symbolique de chacune des références à de Gaulle. L’image ainsi dessinée par Sarkozy dans ses discours permet, in fine, de rassembler les électeurs se ralliant à celle-ci. Flou pour toucher le plus grand nombre et nette pour constituer le socle du discours. Les hommes politiques, dont Nicolas Sarkozy, mobilisent plusieurs figures historiques tout au long de leurs discours pour attirer l’intérêt du plus grand nombre. Cette contribution met l’accent sur de Gaulle dans les discours de Nicolas Sarkozy. Cependant, une étude plus approfondie de l’ensemble des références présentes dans les discours permettrait de construire un panel des spectateurs potentiellement attirés par les propos de Nicolas Sarkozy.

1Qu’ils soient de gauche ou de droite les hommes politiques aiment ponctuer leur discours de citations de grands hommes, de poètes, d’écrivains, d’anciens hommes politiques, d’anciens présidents et de figures mythiques qui ont façonné l’identité nationale. En France Nicolas Sarkozy n’y fait pas exception.

2Les exemples de référence dans les discours de Nicolas Sarkozy foisonnent, citant ici un ancien Président ou une figure historique, faisant là référence à un monument, bref à ce qui fait que la France est la France et ce qui fait que la Nation française est ce qu’elle est actuellement.

3Le cheminement intellectuel qui a permis d’envisager le sujet de cet article est l’interrogation suivante : étant donné les références fréquentes aux figures historiques ainsi que mythiques de la France dans les discours du candidat de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP), pourquoi mobiliser la figure de de Gaulle. En quoi celle-ci représente-t-elle un enjeu intéressant pour le candidat ?

4Cette contribution se penche donc sur la mobilisation de de Gaulle dans le discours de Nicolas Sarkozy. Elle illustre les références que Nicolas Sarkozy fait de l’ancien Président français dans ses discours de campagne, pour ensuite s’interroger sur les enjeux politiques qui poussent Nicolas Sarkozy à mobiliser le grand homme que fut de Gaulle.

5Plus précisément, cette contribution a  pour ambition de définir en quoi Nicolas Sarkozy, usant de références à l’ancien général français dans ses discours, contribue à enrichir son art du discours.

6Une précision doit cependant être apportée. En effet, l’art du discours dont use Nicolas Sarkozy sera étudié uniquement sur la base des textes publiés et non sur la gestuelle et le comportement qui sont propres à Nicolas Sarkozy. En plus de cela, seules les références à de Gaulle sont mobilisées.

De Gaulle dans le discours de Sarkozy

7Deux étapes jalonnent cette première section consacrée aux références faites dans les discours. La première décrit, d’une manière générale, la mobilisation de de Gaulle dans les discours de Sarkozy. La seconde reprend les mobilisations de de Gaulle dans deux discours en particulier, celui de Strasbourg (lors de sa première campagne présidentielle) et celui de Marseille (lors de sa deuxième campagne présidentielle).

Comment Sarkozy utilise de Gaulle dans ses discours

8Deux précisions doivent être apportées avant l’énonciation des faits. Premièrement, les discours recensés sont uniquement ceux de la première campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Deuxièmement, les références reprises pour cette contribution sont uniquement celles les plus souvent utilisées par Nicolas Sarkozy dans ses discours1.

9Lorsque l’on observe les références à de Gaulle dans les discours de Nicolas Sarkozy, certaines références reviennent fréquemment. En effet le général est souvent cité en raison de ce qu’il a pu réaliser : tel que l’ouverture du droit de vote aux femmes ou le renforcement de la politique étrangère.

10L’ancien président est également évoqué dans des énumérations de figures historiques qui ont marqué l’histoire de France. Il se retrouve ainsi  aux côtés de Jean Jaurès, Victor Hugo ou encore Charlemagne.

11Le gaullisme est également mentionné dans les discours. En effet, la philosophie gaulliste est reprise par le candidat dans l’extrait suivant : « La France n’est forte que lorsqu’elle est rassemblée »2. Cette citation fait référence au pôle nationaliste du gaullisme3. Le pôle nationaliste a pour ambition de présenter la France comme une nation une et indivisible, avec une longue histoire faite de succès et d’échecs. Le pôle complémentaire du nationaliste est le pôle universaliste, qui lui voit la France comme promotrice d’une série de valeurs, de droits et de libertés découlant de 1789.

12Nicolas Sarkozy va également reprendre un extrait du discours prononcé par de Gaulle lors de son voyage en Allemagne en 1962 devant la jeunesse allemande : « Je vous félicite d’être les enfants d’un grand peuple, qui parfois au cours de son histoire a commis de grandes fautes »4. Durant ce voyage, le Chef de l’État français sillonna l’Allemagne dans le but de convaincre le peuple allemand de la réconciliation franco-allemande.

13Et enfin, la dernière mobilisation souvent évoquée dans les discours de campagne de Nicolas Sarkozy est celle de sa visite de recueillement sur la tombe de l’ancien président.

Deux discours en particulier : Strasbourg et Marseille

14Cette deuxième sous-section se penche sur deux discours en particulier, le premier prononcé lors de la première campagne présidentielle (discours de Strasbourg), le second quant à lui est celui prononcé lors du premier meeting de sa deuxième campagne présidentielle (discours de Marseille).

15Le discours de Strasbourg est prononcé par Nicolas Sarkozy le 21 février 20075, lors de sa première campagne présidentielle. Dans celui-ci le candidat exprimera toute la symbolique que représente la ville de Strasbourg, ville française la plus européenne qui n’a cependant pas toujours été française. S’en suit un court exposé des quelques guerres qui ont secoué le territoire français, pour en arriver à la construction européenne qui a permis, selon Sarkozy, une paix « perpétuelle ».

16Dans le cadre de ce discours, le général de Gaulle sera mentionné à six reprises. Tantôt dans le but de rendre hommage à la réconciliation qu’il a permise de réaliser entre les peuples français et allemand, tantôt en estimant que de Gaulle aurait été favorable au  projet européen6. Une question se pose alors : de Gaule était-il un européen convaincu ?

17Le second discours analysé dans cette contribution, est celui prononcé le 19 février 2012 à Marseille, lors du premier meeting de la seconde campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Dans ce discours Nicolas Sarkozy ne cite pas textuellement Charles de Gaulle, il reprend dans le début de son allocution la même structure qu’un texte rédigé par de Gaulle dans ses « Mémoires de guerre »7.

18Dans cet extrait le général de Gaulle déclare son amour pour la France, toutes les choses qui font que la France est la France et qui font qu’il aime cette France. Nicolas Sarkozy fera de même dans le début du discours de Marseille. Dans la suite de son allocution, Nicolas Sarkozy, comme de Gaulle l’a fait avant lui, exprimera ce pourquoi il s’est lancé en politique, quels étaient ses buts et motivations. Par la suite Nicolas Sarkozy aborde d’autres sujets que ceux du général de Gaulle pour parler aux français de ce qui les préoccupent8.

19Le tableau 1 synthétise les apports de cette section.

Tableau 1 De Gaule chez Sarkozy

De manière générale, dans les discours de la campagne présidentielle

Référence aux réalisations

Dans des énumérations de figures historiques

Référence au gaullisme

Extrait du discours à la jeunesse allemande

Recueillement sur la tombe du général

Discours de Strasbourg

Réconciliation franco-allemande

De Gaulle favorable au projet européen (?)

Discours de Marseille

Structure du début de discours : déclaration d’amour à la France

De Gaulle, quelle utilité pour Sarkozy ?

20Dans le cadre de la première campagne présidentielle, Annie Collowald9 montre que, de façon générale, la mobilisation de de Gaulle dans les discours de Nicolas Sarkozy, est moins présente en début de campagne. Par la suite, celle-ci s’est accrue afin de prendre la mesure de l’importance du poste visé. Cette contribution reprend chaque utilisation de de Gaulle énoncée dans la première section pour en retirer un enjeu politique. Certaines analyses du discours politique en général notent que lorsqu’un orateur fait une énumération de différentes figures historiques, celles-ci ont pour but de « fédérer des peuples ou des nations autour d’une identité »10. Ainsi Nicolas Sarkozy tendrait en mobilisant de Gaulle au côté de Jean Jaurès – c’est-à-dire des acteurs de l’identité nationale française – à rassembler autour de lui les spectateurs. Les figures historiques ainsi mentionnées évoquent certaines valeurs et idées qui fédèrent les spectateurs autour de l’orateur. En outre, cette mobilisation permet à Nicolas Sarkozy d’avoir recours à un « référent social, c’est-à-dire […] un signe qui évoque quelque chose pour tous à un moment donné ce qui n’implique pas, bien au contraire, que tout un chacun y investisse la même chose »11. Ce référent social permet donc de rassembler les spectateurs autour d’une image, celle de de Gaulle, dans laquelle chacun y voit le visage qu’il s’en fait. Ainsi, lorsque Nicolas Sarkozy évoque les réalisations de l’ancien président, comme par exemple l’ouverture du droit de vote aux femmes, il nomme de Gaulle dans le but de donner un point de repère contextuel à ses spectateurs.

21Cependant, lorsqu’il évoque le fait que la politique étrangère a été renforcée sous la présidence gaulliste, cela ressemble à une justification12 de ce que lui-même ambitionne de faire : comme cela a déjà été fait dans le passé, je le ferai aussi.

22Dans l’un de ses discours, le candidat de l’UMP fait clairement référence au gaullisme en citant la phrase suivante : « La France n’est forte que lorsqu’elle est rassemblée »13. En plus de faire référence au pôle nationaliste du gaullisme, cette référence présente une ressemblance avec le slogan de la première campagne présidentielle de l’UMP « Ensemble tout devient possible ». Stratégie ou simple coïncidence ? Nous ne prendrons pas parti. L’hypothèse suivante peut cependant être formulée : bien que se revendiquant de la droite, l’UMP envisage une France rassemblée tout comme le courant gaulliste illustre la France. Il ne s’agirait dès lors pas d’une stratégie de la part des chargés de communication de Sarkozy mais uniquement d’une similitude.

Extrait du discours de Strasbourg

« Je veux rendre hommage au Général de Gaulle pour avoir accompli la vraie réconciliation franco-allemande, celle qui unit les cœurs et les âmes. Celui qui avait été l’esprit de la Résistance, celui qui incarnait l’indépendance de la nation, celui que l’on n’attendait pas là, fut celui qui trouva les mots et les gestes qui touchèrent les cœurs allemands et élevèrent les âmes françaises au-dessus du ressentiment.

[…] Le Général de Gaulle voulait que l’Europe fût européenne, c’est-à-dire indépendante. Il voulait qu’elle respectât les nations. Il voulait qu’elle existât par elle-même sur la scène du monde. Et que voulons-nous d’autre au fond ? Chaque fois que nous nous sommes éloignés de cet idéal nous avons affaibli l’Europe.

Le Général de Gaulle honora la signature par la France du traité de Rome. Il inséra son économie dans l’économie européenne. Il mit en œuvre le marché commun et la politique agricole commune.

De Gaulle fut un grand Européen en même temps qu’il fut un grand Français.

Monnet, Schuman, de Gaulle n’ont pu accomplir ce qu’ils ont accompli que parce qu’ils ont trouvé en face d’eux d’autres hommes d’État d’exceptionnelle stature qui voulaient en finir eux aussi avec la guerre civile.

[…] Ils ont, comme le disait le Général de Gaulle, ‘voulu reprendre sur des bases modernes, économiques, sociales, stratégiques, culturelles, l’entreprise de Charlemagne’ ».

23Une citation qui revient très souvent dans les discours de Nicolas Sarkozy est celle utilisée par Charles de Gaulle lorsqu’il s’adresse à la jeunesse allemande : « De Gaulle n’a pas dit à la jeunesse allemande : « Vous êtes coupables des crimes de vos pères », il a dit : « Je vous félicite d’être les enfants d’un grand peuple, qui parfois au cours de son histoire a commis de grandes fautes ». Il parait opportun de replacer les éléments dans leur contexte. En effet cette phrase a été prononcée par de Gaulle lors d’un de ses discours durant son voyage à travers l’Allemagne en 1962. Ce voyage et les discours qui l’ont ponctué veulent faire passer le message de la réconciliation franco-allemande. Lors de ce voyage, le Président de l’État français est venu parler d’ « estime », de « confiance », d’ « amitié », en vue de convaincre le peuple allemand de sa sincérité. L’utilisation que fait Nicolas Sarkozy de cette citation est sensiblement la même. D’une part, il y a l’idée d’une réconciliation des peuples, réconciliation qui était à la base même du discours prononcé par le général de Gaulle lorsqu’il s’est présenté devant le peuple allemand. D’autre part, il y a l’idée du devoir de fraternité envers les anciennes colonies. Cette seconde mobilisation n’est pas exactement dans le même ordre d’idée que le discours de de Gaulle à la jeunesse allemande. Cependant celle-ci n’est pas diamétralement opposée, Sarkozy reste fidèle à l’esprit de cette citation à savoir le rassemblement des peuples, esprit qu’il ambitionne de faire passer entre le peuple français de la métropole et le peuple des anciennes colonies françaises.

24Sarkozy précise également lors de certains de ses discours qu’il s’est rendu sur la tombe de l’ancien Président, dans le but de se recueillir. Annie Collowald explique ce recueillement comme étant un rite gaulliste par lequel le candidat se doit de passer en raison du poste qu’il ambitionne d’obtenir.

25Le discours proclamé à Strasbourg a pour ambition de montrer aux français que de Gaulle a voulu l’Europe et qu’il aurait été un européen convaincu. Est-ce réellement le cas ? Bien que Sarkozy mentionne le fait que l’Europe respecterait les États et que celle-ci serait indépendante, Annie Collowald revient sur le projet même que représente la construction européenne. Celle-ci touche à l’indivisibilité de la France, indivisibilité qui est au cœur du courant gaulliste14. Ce courant prône l’indivisibilité comme gage de non répétition des erreurs et échecs passés. Sarkozy fait donc dire à de Gaulle quelque chose qu’il n’aurait pu dire en raison de la cohérence qu’il se devait de maintenir dans le courant gaulliste.

26Pour rappel Nicolas Sarkozy a utilisé la même structure que celle utilisée par Charles de Gaulle dans ses mémoires de guerres dans le discours de Marseille de 2012.

27Revenons maintenant sur les caractéristiques de la France selon les deux anciens Présidents (voir tableau 2).

Tableau 2 Les caractéristiques de la France

Version de Gaulle

Version Sarkozy

§1 : « Petit Lillois de Paris, rien ne me frappait davantage que le symbole de nos gloires : nuit descendant sur Notre-Dame, majesté du soir à Versailles, Arc de Triomphe dans le soleil, drapeaux conquis frissonnant à la voûte des Invalides. Rien ne me faisait plus d’effet que la manifestation de nos réussites nationales ; enthousiasme du peuple au passage du tsar de Russie, revue de Longchamp, merveilles de l’Exposition, premiers vols de nos aviateurs. »

§1 : « Beaucoup dans ma famille venaient de loin. J’aimais le ciel sous lequel je vivais et ce n’était pourtant pas le ciel de Marseille. J’aimais le son des mots. J’aimais des chansons, des musiques, des livres. J’aimais des villes, une façon d’aligner des maisons, de planter des arbres le long des routes. J’aimais des bords de mer. J’aimais une façon de rire, une façon d’être libre, j’aimais une façon française une façon de goûter la vie. J’aimais une façon d’aimer. »

28Le premier paragraphe est le plus significatif. En effet, dès le début les lecteurs ont d’ores et déjà remarqué la différence notoire entre les deux orateurs. Nicolas Sarkozy reste assez vague dans les éléments qu’il donne pour démontrer qu’il aime ce qui fait que la France est la France, « le ciel, le son des mots, chansons, une façon d’aligner des maisons, etc. » ; alors que dans le discours de de Gaulle les exemples abondent, « nuit descendant sur Notre-Dame, Versailles, Arc de Triomphe, etc. » en vue d’illustrer aux spectateurs tout ce qui fait que le général aime la France. Le tableau 2 met en perspective les deux versions.

Tableau 3 Les faiblesses et les erreurs de la France

Version de Gaulle

Version Sarkozy

§2 : « Rien ne m’attristait plus profondément que nos faiblesses et nos erreurs révélées à mon enfance par les visages et les propos : abandon de Fachoda, affaire Dreyfus, conflits sociaux, discordes religieuses. Rien ne m’émouvait autant que le récit de nos malheurs passés : rappel par mon père de la vaine sortie du Bourget et de Stains, où il avait été blessé ; évocation par ma mère de son désespoir de petite fille à la vue de ses parents en larmes : ‘Bazaine a capitulé ! »

§2 : « Au fond, j’aimais la France sans le savoir. J’aimais la France sans comprendre le prix qu’avait dû payer tant de générations pour nous léguer notre patrie. Je l’aimais comme l’air qu’on respire. Je l’aimais au fond sans comprendre ce que la France avait d’unique, ce que la France devait à des milliers d’années de travail et d’amour et au sang versé par tant de femmes et tant d’hommes pour qu’en entendant son nom de France, il n’y ait pas une seule personne au monde qui ne pense à la liberté. »

29Les paragraphes (tableau 3) suivants viennent corroborer le fait que les sentiments présentés par de Gaulle seront plus précis que ceux de Sarkozy. En effet, dans le second paragraphe les deux orateurs vont présenter les faiblesses et les erreurs de cette France qu’ils aiment tant.

30À nouveau Nicolas Sarkozy va être plus général alors même que de Gaulle va prendre des exemples et rappeler des faits historiques marquants. Cette contribution peut faire l’hypothèse qu’il s’agit là d’une différence notoire de contexte. Sarkozy étant en campagne, il doit toucher le plus grand nombre d’électeurs. Alors que l’époque de de Gaulle est marquée par la volonté de conserver une France libre. Dans ce contexte l’énonciation des victoires françaises représente un atout politique.

Tableau 4 Les raisons de l’engagement politique

Version de Gaulle

Version Sarkozy

§3 : « Adolescent, ce qu’il advenait de la France, que ce fût le sujet de l’Histoire ou l’enjeu de la vie publique, m’intéressait par-dessus tout. (...)  Je dois dire que ma prime jeunesse imaginait sans horreur et magnifiait à l’avance cette aventure inconnue. En somme, je ne doutais pas que la France dût traverser des épreuves gigantesques, que l’intérêt de la vie consistait à lui rendre, un jour, quelque service signalé et que j’en aurais l’occasion.»

§4 : « Je me souviens qu’au début j’ai fait de la politique parce que je voulais agir, je voulais résoudre des problèmes, je voulais aider les gens à surmonter leurs difficultés, je voulais me battre pour des idées. En me retournant sur toutes ces années j’ai compris que le combat, le combat essentiel, c’est celui que l’on mène pour le pays qui vous a vu naître ou le pays que l’on reconnaît comme sien. Il n’y a pas un seul combat qui soit supérieur à celui qu’on mène pour son pays. »

31Un dernier paragraphe  dans ce discours (tableau 4) est également intéressant pour notre comparaison. Tous deux explicitent leur engagement en politique. Certains  journalistes politiques ont analysé ce 4e paragraphe de Nicolas Sarkozy comme étant son entrée en campagne.

32Le tableau 5 synthétise les développements de cette section.

Tableau 5 Les enjeux de la mobilisation de de Gaulle

Faits

Enjeux

De manière générale dans les discours de la campagne

Réalisations acquises par de Gaulle

Donner un point de repère et justifier des éléments avancés

Enumération de figures historiques

Fédérer les spectateurs et proposer une image dans laquelle chacun y voit ce qu’il veut voir

« La France n’est forte que lorsqu’elle est rassemblée » (citation de de Gaulle utilisée par Sarkozy)

Mobilisation du gaullisme

Message à la jeunesse allemande

Mobilisation d’une image forte : la réconciliation

Recueillement sur la tombe de de Gaulle

Rite gaulliste

Discours de Strasbourg

De Gaulle aurait été un européen convaincu

Volonté de fédérer les spectateurs autour de la figure de de Gaulle (mais opposition avec le gaullisme)

Discours de Marseille

§1er : Amour de la France

Montrer son amour pour ce qui fait que la France est la France

§2 : Faiblesses de la France

Reconnaissance des erreurs

§3 : Explication de l’engagement politique

Entrée en campagne

Tout cela pour quoi ?

33Le discours est avant tout un moyen de communication. Lorsqu’un orateur prend la parole, il teinte son allocution de son point de vue. De par sa gestuelle, son intonation, le comportement qu’il adopte, il illustre ce qu’il ressent. Que se soit de la nervosité, de l’impatience, de l’engagement, de la lassitude, un orateur lorsqu’il prend la parole, ne peut être neutre. C’est là tout l’art du discours.

34Déjà dans la Grèce antique, les meilleurs orateurs étaient suivis par toute une population. Les duels télévisés des candidats américains l’on démontré, les électeurs s’attachent à une image. Les sondages varient en fonction de la performance des orateurs.

35Le but d’un discours est de convaincre, de persuader son auditoire du bienfondé de ce que l’on dit, de rassembler le plus grand nombre autour de ses propos. Pour ce faire, l’orateur doit proposer une image à son auditoire, image floue et nette à la fois. Floue pour que le plus grand nombre y adhère, nette pour qu’elle lui serve de fondement pour ce qu’il dit. Tout cela dans le but de recueillir le soutien du plus grand nombre. L’image véhiculée  au travers d’un discours doit être vue, comprise et suivie. Nicolas Sarkozy a bien compris tout l’enjeu d’un bon discours. Non pas un discours dans les règles de l’art, car faudrait-il encore qu’il existe des règles, mais un discours qui mêle image, prestance et rhétorique.

36À nos yeux, lorsque Nicolas Sarkozy utilise des références à des figures historiques de l’histoire de France,  il le fait dans le but de dessiner une image. Image qui représente un « référent social » (comme expliqué supra) qui permet aux citoyens d’y voir ce qu’ils ont envie de voir. Ainsi, en mobilisant de Gaulle comme il le fait, Nicolas Sarkozy encourage son public à voir tantôt l’homme de droite qu’il a pu être, le Président qu’il a été, la réconciliation franco-allemande qu’il a soutenue ou encore l’ouverture au droit de vote des femmes acquise sous sa législature. Les images utilisées par Sarkozy dans ses discours le sont tantôt dans le contexte approprié, comme pour la réconciliation franco-allemande, tantôt dans  des circonstances erronées, comme le prétendu soutien de de Gaulle au projet européen. Ainsi, le spectateur et citoyen ne doit pas se laisser duper par l’utilisation stratégique faite par certains orateurs.

37Au vue de ces développements peut-on conclure sur une stratégie de la part de Nicolas Sarkozy quant aux mobilisations qu’il fait de de Gaulle ?

38Premièrement, lorsqu’il fait référence au général, au Président, au grand homme qu’a été de Gaulle, il le fait dans le but d’illustrer les valeurs, les idées, que de Gaulle a développées lors de sa législature. La France de de Gaulle est tantôt teintée de succès, tantôt pâlie par des échecs. Nicolas Sarkozy veut transmettre de de Gaulle, l’image d’un grand homme qui a permis de faire de la France ce qu’elle a été. Nicolas Sarkozy noye la référence à de Gaulle dans une multitude d’autres références, en reprenant plusieurs personnages français. Il permet ainsi à chaque citoyen de se rallier à l’image qui lui correspond le mieux.

39Deuxièmement, Nicolas Sarkozy utilise également de Gaulle en vue d’apporter une certaine justification à ce qu’il dit. En effet, lorsqu’il parle de la construction européenne, il se positionne en contrariété avec ce que de Gaulle aurait pu dire. L’utilisation qu’il fait de de Gaulle dans ce contexte est selon nous uniquement stratégique. Une stratégie qui, bien entendu, est présente dans tout le discours. Cependant, ici nous sommes face à une illustration de ce qu’un homme politique peut faire, c’est-à-dire sortir les mots de leur contexte, afin que ceux-ci corroborent son propos. En disant que de Gaulle aurait voulu une France indépendante, Nicolas Sarkozy reprend l’idée développée par le gaullisme. Une France « qui ne devrait rendre de compte à personne ». Mais le fait même que la France fasse partie intégrante d’une structure plus large est totalement contradictoire avec la France telle que prônée par de Gaulle. Celui-ci avait pour ambition de ne pas diviser la France. Une France forte est une France qui ne reproduirait pas les erreurs passées et ne connaîtrait plus les échecs passés. L’utilisation qu’en fait Sarkozy est tout autre.

40Pour finir il est assez évident que des références au passé doivent être faites dans les discours politique si non sur quoi se fonder ? Nicolas Sarkozy, ou du moins la personne qui écrit ses discours, a tout à fait bien intégrer ce besoin d’une charpente sur laquelle reposer son discours.

Conclusion

41Pour conclure, il convient de revenir sur les éléments permettant de comprendre en quoi les mobilisations de de Gaulle permettent à Nicolas Sarkozy d’enrichir son art du discours.

42De façon générale, la mobilisation ou la référence à une figure ou monument historique dans un discours, qu’il soit politique ou non, est faite dans le but de s’appuyer sur un fondement, un élément de base pour construire son discours. Les fondations du discours de Nicolas Sarkozy reposent notamment sur l’image de de Gaulle.

43Le but poursuivi est de proposer aux français de voir dans la figure de de Gaulle l’image qu’ils veulent en retenir. C’est une des raisons qui poussent le candidat à mentionner dans ses discours les évènements importants, les actes réalisés, les choses accomplies par l’ancien président français.

44La référence à de Gaulle enrichi l’éventail d’image possible que les citoyens peuvent s’approprier et qui permettra à Nicolas Sarkozy de se voir soutenir par ces citoyens.

45Les figures mythiques, les symboles emblématiques, la grandeur de la France, tout ceci illustrent le Roman national dont Nicolas Sarkozy use comme le suggèrent certains analystes15.

46En ponctuant ses discours de symboles, de personnages historique ou encore de souvenir d’évènements, Nicolas Sarkozy tend à rassembler autour de lui le plus grand nombre. N’oublions pas que le slogan de sa première campagne n’était autre que « Ensemble tout devient possible » !

Notes

1  Voy. Véronis Jean, Discours 2007. Les discours des présidentiables, disponible à l’adresse suivante : http://sites.univ-provence.fr/veronis/Discours2007/ (consultée le 20 novembre 2012).

2  Discours du Congrès de l’UMP du 14 janvier 2007.

3  Colas Dominique, Dictionnaire de la pensée politique, Auteurs, œuvres, nations, Paris, Larousse, 1997, pp. 117-118.

4  Discours du Congrès de l’UMP du 14 janvier 2007.

5  Véronis Jean, « Nicolas Sarkozy, Discours à Strasbourg (21/02/07) », Discours 2007. Les discours des présidentiables, disponible à l’adresse suivante : http://sites.univ-provence.fr/veronis/Discours2007/ (consultée le 20 novembre 2012).

6  Le lecteur peut trouver dans le tableau 1 l’extrait du discours reprenant les endroits où de Gaulle est mentionné dans le discours de Nicolas Sarkozy.

7  Trois tomes composent les Mémoires de guerre du Général de Gaulle : de Gaulle Charles, Mémoires de guerre. L’appel : 1940-1942, Paris, Pocket, 2010, 434 p. ; de Gaulle Charles, Mémoires de guerre. L’unité : 1942-1944, Paris, Pocket, 2010, 497 p. et de Gaulle Charles, Mémoires de guerre. Le salut : 1944-1946, Paris, Pocket, 2011, 629 p.

8  L’extrait du discours se retrouve dans le tableau 2 et mettant en parallèle les versions de Sarkozy et de de Gaule quant à cette déclaration d’amour à la France.

9  De Cock Laurence, Madeline Fanny, Offenstadt Nicolas et Wahnich Sophie (dir.), Comment Nicolas Sarkozy écrit l’Histoire de France, Marseilles, Agone, 2008, p. 70.

10  Daghmi Fathallah et Pulvar Olivier, « Médias et identités collectives : quand les journalistes disent le ‘nous’, disponible à l’adresse suivante : http://www.lcp.cnrs.fr/ (consultée le 20 novembre 2012).

11  Bouza Garcia Luis, « Quatre registres de mobilisations mémorielles dans l’espace public européen », in Grandjean Geoffrey et Jamin Jérôme, La concurrence mémorielle, Paris, Armand Colin, coll. « Recherches », 2011, p. 114.

12  Conférence de presse sur la politique internationale du 28 février 2007.

13  Discours du Congrès de l’UMP du 14 janvier 2007.

14  De Cock Laurence, Madeline Fanny, Offenstadt Nicolas et Wahnich Sophie (dir.), op. cit., pp. 68-71.  

15  De Cock Laurence, Madeline Fanny, Offenstadt Nicolas et Wahnich Sophie (dir.), op. cit.

Pour citer cet article

Inès Depaye, «Quand l’orateur Nicolas Sarkozise de Gaulle, quelle utilité en retire-t-il ?», Cahiers Mémoire et Politique [En ligne], Cahier n°1. La science politique et les études sur la mémoire, 53-61 URL : https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=71.