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- Cahier n°1. La science politique et les études sur...
- Spécificités des analyses politologiques
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Version PDF originale1Au terme de ce premier numéro, il convient de mettre en perspective les différentes contributions. Divers fils rouges les traversent, témoignant d’une façon ou d’une autre de la présence d’enjeux politiques. Énumérons les plus saillants d’entre eux.
2Premièrement, les différentes contributions ont montré toute l’importance de contextualiser les enjeux politiques liés à des questions de mémoires. Le fait de mettre au-devant de la scène des faits passés s’explique bien souvent par un certain contexte social et politique. À cet égard, Nicolas Cutaia a insisté sur le climat général d’islamophobie ou contexte d’hostilité de la part des chrétiens envers l’Islam lorsqu’il a analysé les réappropriations de Charles Martel par le Bloc identitaire. Vincent Vespa souligne également le contexte de concurrence mémorielle poussant Monsieur Bienvenu Mbutu Mondondo à faire paraître « Tintin au Congo » devant des juges. Afin de cerner au mieux ce contexte, il convient de préciser le rôle des médias. Nicolas Cutaia a ainsi insisté sur le traitement médiatique autour de l’Islam qui est, selon lui, uniquement social et polémique, permettant ainsi de mieux éclairer le contexte dans lequel la figure de Charles Martel est mobilisée par le Bloc identitaire. Cette médiatisation entraine une mise en scène qu’il ne faut pas négliger car la mémoire collective joue aussi avec les sentiments des individus. Maxime Rahier le confirme lorsqu’il écrit que toute panthéonisation relève de la décision politique savamment réfléchie et constitue une mise en scène qui relève de la communication politique.
3Deuxièmement, les cinq contributions rappellent une des fonctions de la mémoire collective, citée dès l’introduction : à savoir sa participation à la construction d’une identité sociale. La mobilisation de Charles Martel permet au Bloc identitaire de se définir comme groupe et la mobilisation de de Gaulle par Nicolas Sarkozy lui permet de donner une certaine image de la France. Recourir à un fait passé ou une figure passée pour construire l’identité d’un groupe nécessite parfois d’emprunter des sentiers émotionnels, comme le montre Jérôme Nossent par rapport à la lecture de la lettre de Guy Môquet puisque la fierté et l’amour sont au cœur de la définition de la France offerte par Nicolas Sarkozy.
4Troisièmement, les diverses mobilisations mémorielles garantissent une unité entre le passé et le présent. Les différents acteurs politiques cités dans les contributions ont montré qu’ils cherchaient tous, d’une façon ou d’une autre, à assurer la continuité entre le passé et le présent. Insister sur cette continuité permet aux acteurs politiques de justifier certaines actions et décisions en affirmant que « cela était déjà ainsi avant ». L’éradication de l’Islam par le Bloc identitaire était déjà souhaitée il y a plusieurs centaines d’années, selon ce parti politique. En souhaitant interdire « Tintin au Congo », il y a une volonté manifeste de présenter cette bande-dessinée comme étant raciste et comme l’ayant toujours été ; le juge ayant insisté sur le fait qu’il fallait séparer les deux époques, introduisant ainsi une rupture entre le passé et le présent.
5Quatrièmement, recourir à certains faits passés ou à certaines figures historiques façonne l’image que les acteurs politiques veulent donner d’eux-mêmes. En cherchant à « panthéoniser » Albert Camus, Nicolas Sarkozy souhaite montrer qu’il est empreint de modération et de clairvoyance et qu’il peut présenter l’image d’un président érudit, selon Maxime Rahier. Dans le même esprit, Ines Depaye souligne la volonté de l’ancien Président français de se présenter comme une figure du rassemblement en invoquant de Gaulle dans ses discours.
6Cinquièmement, la mobilisation de faits passés peut constituer un véritable enjeu partisan voyant s’affronter les acteurs de la vie politique. Jérôme Nossent décrit clairement les différentes appropriations de Guy Môquet par certains partis politiques français. Maxime Rahier a également expliqué que la volonté de panthéonisation d’Albert Camus par Nicolas Sarkozy devait empêcher le parti socialiste de mobiliser cette figure.
7 Une question demeure toutefois au terme de ce premier cahier : en quoi ces différents enjeux méritent-ils une analyse du point de vue de la science politique ? Les différents fils rouges présentés ci-dessus s’inscrivent d’une façon ou d’une autre dans une des définitions du concept de politique, donnée dans l’introduction. Contextualiser les enjeux politiques liés à des questions de mémoires, c’est envisager le politique comme cette structure, cet « arrangement ordonné de données matérielles d’une collectivité et des éléments spirituels qui constituent sa culture »1.
8En définissant l’identité d’un groupe d’une certaine manière, en instaurant une continuité entre le passé et le présent ou en suscitant une certaine image d’eux-mêmes, les acteurs politiques tentent d’une façon ou d’une autre à légitimer les actions et décisions politiques qu’ils ont prises ou qu’ils souhaitent prendre. Analyser les mobilisations mémorielles de cette façon permet donc de mieux comprendre la production des politiques.
9Enfin, en faisant de certains faits passés des enjeux partisans, les acteurs politiques montrent que la politique est une lutte permettant d’exercer un certain pouvoir sur la société.
10Les études sur la mémoire peuvent donc être enrichies par des analyses politologiques. En étant complémentaires aux approches développées par les historiens, les sociologues, les juristes ou encore les philosophes, ces analyses permettent d’éclairer sous un autre jour les conséquences des continuelles mobilisations mémorielles dans nos sociétés contemporaines. Ce sont ainsi les enjeux de pouvoir – au sens politique – qui sont décryptés permettant à tous les citoyens de mieux cerner les tenants et les aboutissants découlant de la mobilisation dans l’espace public des faits et de figures passées. Tel est au final le principal objectif des cahiers « Mémoire et politique ».
Notes
1 . Burdeau Georges, Traité de science politique. Tome premier. Le pouvoir politique, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1966, p. 131
Para citar este artículo
Acerca de: Geoffrey Grandjean
Chargé de cours adjoint au Département de science politique de l’Université de Liège
Titulaire du cours « Mémoire et politique »