Cahiers Mémoire et Politique https://popups.uliege.be/2295-0311 fr « Le gouvernement des musées-mémoriaux par les publics » https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=293 Alors que les mémoriaux (les lieux de mémoire, les plaques commémoratives, les stèles, les compositions statuaires, les monuments, etc.) sont conçus pour témoigner du passé, permettre le recueillement et rendre hommage, les musées-mémoriaux ont pour fonction complémentaire de conserver et d’exposer des lieux, des bâtiments, des objets, des documents et des récits afin de cultiver les publics, les instruire, leur transmettre des valeurs (morales, civiques) et amener des réflexions. La conciliation d’un mémorial et d’un musée s’observe généralement à propos des passés violents et criminels (guerre, acte de résistance, sauvetage, lieux de détention, de torture et d’extermination, etc.). La puissance publique qui les édifie fait un usage politique du passé puisqu’elle institue un souvenir commun, participe au récit collectif d’une société1. C’est dans les décennies 1980 et 19902 que de nombreux musées-mémoriaux prennent place dans nos sociétés européennes même si certains sont plus anciens (Auschwitz-Birkenau par exemple) et que d’autres seront inaugurés d’ici quelques années3. Ces musées-mémoriaux ont des publics. En qualité de visiteurs ordinaires, les publics viennent pour se cultiver, s’instruire, découvrir et vivent une expérience qui n’est pas totalement comparable à celle qu’ils éprouvent dans d’autres musées. Le lieu, l’ambiance qui se dégage, les vestiges, les expositions et les récits apportent des émotions (le choc, la tristesse, la compassion, la colère, la fierté, et Mon, 17 Jun 2024 00:00:00 +0200 https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=293 La place occupée par les publics dans le gouvernement d’Auschwitz-Birkenau : entre quantification des masses et qualité de la transmission mémorielle https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=306 Introduction Symbole du mal absolu dans la culture contemporaine, « métonymie de la Shoah »1 ou « centralité de la Shoah »2 pour reprendre les termes d’Annette Wieviorka (2005) et de Tal Brutmann (2011), le camp d’Auschwitz-Birkenau est le musée-mémorial européen qui accueille aujourd’hui le plus grand nombre de visiteurs. En 2019, un seuil a même été dépassé avec près de 2,3 millions d’entrées enregistrées. Cette fréquentation conséquente suggère de s’intéresser aux profils des visiteurs. Qui sont-ils ? A quels publics s’adresse ce musée-mémorial ? Que connaît-il de ces publics ? Jusqu’à quel point les connaît-il ? Obtenir des réponses à ces questions s’est avéré utile pour interroger le gouvernement du musée-mémoriel et surtout saisir quelles places occupent les publics ou leurs représentants3 ; mais aussi de se demander quel est le niveau d’influence des publics conduisant le musée à adapter ses décisions et son offre muséale4. Porter ce type de questions implique de songer à la notion de gouvernement par les instruments5, à celle de l’intégration des données objectives sur les visiteurs autant qu’à la notion de référentiel6. C’est dans cette perspective qu’une analyse de contenu a été réalisée sur l’ensemble des rapports d’activités que le musée-mémorial d’Auschwitz-Birkenau propose de 2006 à 2022. Cette analyse s’est enrichie de l’histoire du site, d’articles de presse et de discours officiels. Les investigations menées permettent d’emblée de penser que le musée-mémorial Mon, 17 Jun 2024 00:00:00 +0200 https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=306 Les musées-mémoriaux de la Shoah face à l’émotion des publics https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=308 Quand le triptyque « corps », « lieu », « parole » est convoqué sur les lieux de la mémoire de la Shoah en France, et plus largement en Europe, la question de l’émotion de tous les publics devient centrale. Quand il s’agit du génocide des Juifs ou de la Shoah, c’est-à-dire l’extermination planifiée de 6 millions d’hommes, de femmes et d’enfants par les nazis et leurs collaborateurs, l’émotion est forcément présente. Avant d’exposer quelques observations de terrain et de proposer des pistes de réflexion, nous souhaitons proposer une définition de la dénomination : « musées-mémoriaux de la Shoah ». Nous pourrions considérer qu’elle englobe les « musées-mémoriaux » sur site c’est-à-dire un lieu où il s’est joué quelque chose en rapport avec l’évènement : le lieu d’une décision comme pour la Maison de la Conférence de Wannsee à Berlin ; le lieu de vie et d’arrestation pour le Mémorial des enfants juifs d’Izieu ; le lieu de la mise à mort comme pour le Musée d’État d’Auschwitz ou le futur mémorial de Sobibór en Pologne. Cette catégorisation entend que les publics visitent une exposition mais se rendent également sur des lieux d’histoire chargés émotionnellement. I. Les observations de terrain auprès des publics scolaires, enseignants et adultes Les observations de terrains sur les attentes des publics, et en particulier sur la question de l’émotion, ont été menées depuis 25 ans dans le cadre d’activités professionnelles liées à l’histoire de la Shoah et à sa transmission : de 1999 Mon, 17 Jun 2024 00:00:00 +0200 https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=308 La mémoire de l’exil républicain espagnol gouvernée par ses publics : le cas du mémorial du camp de Rivesaltes https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=310 Introduction Selon Pierre Nora1, la fonction unificatrice de la mémoire en tant que fait social laisse place, depuis les années 1980, au développement frénétique de politiques et d'initiatives mémorielles. Précédemment comprise comme une composante inhérente au fonctionnement des États, la mémoire revêt alors le caractère d'un « devoir »2 à engager pour maintenir une cohésion dont la fragilité est sans cesse rappelée. Au fil du temps, les politiques mémorielles se décentralisent3 et les instruments de gouvernement par la mémoire se complexifient, donnant cours à la création de nombreux mémoriaux et musées-mémoriaux4 comme dispositifs pédagogiques d'accès à un savoir mémoriel et citoyen5. En octobre 2015, la région Occitanie et le département des Pyrénées-Orientales inaugurent le Mémorial du Camp de Rivesaltes. Érigé sur un ancien camp d'internement, il entend représenter les mémoires des nombreuses populations détenues6. Les plus nombreuses correspondent à l'exil républicain espagnol, aux populations Tsiganes et Juives devant être déportées, ainsi qu'aux anciens combattants des guerres de décolonisation dont les Harkis et les tirailleurs sénégalais7. En 2019, dans le cadre du 80e anniversaire de l'exil républicain, le Mémorial de Rivesaltes s'investit dans le développement d'une offre culturelle mettant ces événements à l'honneur. Il se verra qualifier, quatre ans plus tard, de « Haut lieu de l'exil Républicain espagnol »8. Cette appellation, sans équivalent relatif à d'autre Mon, 17 Jun 2024 00:00:00 +0200 https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=310 ‘Commémorer le guerrier sans commémorer la guerre’: pratiques mémorielles dans les musées et monuments états-uniens https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=319 Le 11 novembre 1982, est inauguré au cœur de Washington, le premier monument national dédié à l’ensemble des morts militaires d’une guerre menée par le pays. Construit sur le National Mall and Memorial Park dans le quartier de la Maison Blanche, le Vietnam Veterans National Memorial est un mur en granit noir de 150 mètres de long sur lequel sont gravés à la main les noms de près de 58.000 membres des forces armées états-uniennes décédés ou disparus lors de la guerre du Vietnam (1955-1975), dans leur ordre chronologique. Il commémore, sept ans après sa fin, les sacrifiés d’une guerre controversée dans un style dont la sobriété contraste très fortement avec la grandiosité triomphante de l’obélisque du Washington Monument et de l’imitation de temple grec du Lincoln Monument, jusque-là, les deux seuls édifices construits sur le Mall. Ce mémorial est le résultat d’un long et ardu travail de reformulation symbolique1 mené par les veterans2 de la guerre du Vietnam dès la fin des années 1970. Un travail qui, c’est l’argument principal de cet article, a durablement changé l’économie morale de la reconnaissance3 des veterans aux États-Unis, et particulièrement les pratiques muséales et mémorielles qui les concernent. Depuis, d’autres monuments mémoriaux ont été érigés sur le National Mall pour commémorer d’autres veterans – ceux ayant participé à des guerres antérieures, ceux devenus durablement invalides, ceux aussi issus de certaines minorités –, et des musées mémoriaux ont été érig Mon, 17 Jun 2024 00:00:00 +0200 https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=319 « La France a une part d’Afrique en elle ». Microgéographie de deux nécropoles dédiées aux tirailleurs sénégalais https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=290   La mémoire des anciens combattants africains a été au cœur de l’actualité en 2023 avec la sortie du film Tirailleurs. Le film a dépassé le million d’entrées et constitue d’ores et déjà une étape importante dans la mise en mémoire publique des tirailleurs dits « sénégalais ». Ces derniers formèrent un corps de l’armée de terre française créé en 1857 au Sénégal, puis dissous au début des années 1960, moment des indépendances africaines. Le qualificatif « sénégalais », comme nom générique, masque en réalité les origines de ces hommes qui provenaient de l’ensemble des colonies françaises subsahariennes. Ils participèrent aux principaux conflits contemporains dans lesquels la France et son empire colonial furent impliqués. Ils firent partie de « la Coloniale », c’est-à-dire des troupes coloniales, devenues, au moment des indépendances, les troupes de marine. Si l’histoire de ces hommes commence à être portée à la connaissance du plus grand nombre, l’historiographie est en grande partie établie désormais, comme en atteste la synthèse récente d’Anthony Guyon1. Depuis les travaux pionniers de Marc Michel2 et de Myron Echenberg3, elle a été approfondie4, mais seuls quelques travaux se sont concentrés spécifiquement sur l’aspect mémoriel des tirailleurs. Martin Mourre a ainsi conduit une anthropologie historique de la mémoire du massacre de Thiaroye au Sénégal5. Cheikh Sakho a lui étudié les commémorations de ces hommes et leurs représentations jusqu’aux indépendances africaines6. Gl Sun, 31 Dec 2023 00:00:00 +0100 https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=290 Le déboulonnage des monuments au Canada : une stratégie de résistance convergente des militants autochtones, noirs et antiracistes, ainsi que des Canadiens français, pour faire face aux héritages coloniaux https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=314 « Détruire les monuments qui représentent l’esclavage, le colonialisme et la violence. »1 Introduction Dans les démocraties libérales, et plus particulièrement dans les sociétés ayant un passé colonial, les discours plaidant pour la chute ou le renversement des monuments (« fallism » que nous traduisons par déboulonnage) fonctionnent comme un outil permettant aux groupes historiquement marginalisés de revendiquer une identité collective en produisant de nouvelles significations eu égard à l’effacement historique qu’ils ont subi2. Un exemple récent de cette mouvance est la mobilisation étudiante #RhodesMustFall débutée en 2015 en Afrique du Sud3, ou encore, le renversement de monuments associés à l’esclavage durant les manifestations Black Lives Matter (BLM) en 2020 aux États-Unis4. Bien entendu, les actions visant à faire tomber les figures historiques associées à d’anciens régimes ne sont pas inédites, nous n’avons qu’à penser aux Roumains et aux Éthiopiens détruisant les statuts de Vladimir Lenin en 1991, ou encore, aux Irakiens portant la monumentale représentation de Saddam Hussein au sol en 20035. Que ces gestes soient produits au grand jour, ou encore, incognito, le postulat de base de la réflexion qui suit est qu’en agissant sur la matière (la pierre, le bronze, etc.), ces acteurs s’engagent dans un double mouvement : l’un de reconnaissance (« nous » objet de mépris/sujets pensant et agissant) et l’autre d’écriture (au sens large). Ainsi, cet article s’intéresse à la s Sun, 31 Dec 2023 00:00:00 +0100 https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=314 Se mobiliser contre une politique mémorielle au nom du héros du village. Les itinéraires du rejet de l’aménagement de l’esplanade devant accueillir le monument de Ruben U https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=317 Introduction Le rejet de l’implantation de la stèle de Ruben Um Nyobe au carrefour Mobil Njoh Njoh, dans le quartier Kumassi dépendant de la commune de Douala Ier, fait écho aux contestations et aux résistances locales quant à un usage exclusif étatique du passé dans cette ville1. L’entretien des non lieux de mémoire par l’État, épouse dans un contexte plus large, une crise mémorielle séante au Cameroun. Elle fait suite au « retour du refoulé national » lié au retour de l’évocation de l’Union des populations du Cameroun-UPC et de son leader principal, Um Nyobe dans l’espace public2. Père et figure cardinale du mouvement nationaliste camerounais, ce secrétaire général de l’UPC a promu et défendu les idées de la Réunification et de l’indépendance du Cameroun sous tutelle française et britannique à l’Assemblée générale de l’Organisation des nations unies (ONU), avant son assassinat en pleine Guerre d’Indépendance (1956-1971) dans une forêt en 19583. L’interdiction de l’UPC est allée de pair avec une censure étatique autour de cette figure tutélaire jusqu’à une anamnèse en 1991. Un monument en mémoire du Mpodol est construit par son beau-fils Pierre Sendé, député et maire UPC à Éséka, sa région d’origine4. Cette action publique symbolique en pays Bassa s’inscrivant dans une ruralisation identitaire des lieux de mémoire au Cameroun, est cependant perçue comme une tribalisation de sa mémoire5. Le projet de construction d’un autre lieu de mémoire en son honneur par la Communauté Urb Sun, 31 Dec 2023 00:00:00 +0100 https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=317 « Le devoir de mémoire » de Johann Michel — Focus sur les référents d’une formule https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=278 Le devoir de mémoire1, de Johann Michel, entreprend d’éclairer les développements qu’a connus, dans un passé proche, l’injonction à se souvenir. Le devoir de mémoire, en tant que formule, a déjà fait l’objet de recherches très complètes (on retiendra particulièrement la thèse de Sébastien Ledoux consacrée au sujet, Le devoir de mémoire — une formule et son histoire), mais ce que propose ici Johann Michel est une exploration de son référent, celui de la mémoire obligée (p. 4). À cet effet, seul le cas de la France contemporaine fait l’objet de ses réflexions (p. 5). La période concernée englobe essentiellement les trente dernières années, bien que certains des phénomènes décrits remontent au sortir de la Première Guerre mondiale, voire même d’auparavant. Le premier chapitre permet à Johann Michel l’identification et la présentation de différents « paradigmes de la mémoire obligée » (p. 18). Selon les indications de l’auteur, l’expression renverrait à la façon dont est construit le souvenir de certains évènements, les perspectives adoptées dans ce cadre, mais surtout au fait que les approches adoptées ont valeur exemplaire : en cela elles peuvent être reprises et adaptées à d’autres évènements2. L’auteur focalise l’essentiel des développements à partir de deux paradigmes ayant émergés au cours du xxe siècle, reprenant la distinction effectuée par Serge Barcellini : le « paradigme des morts pour la France » et le « paradigme des morts à cause de la France »3. Johann Michel effec Wed, 02 Nov 2022 00:00:00 +0100 https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=278 Le rôle du droit dans la résistance des « inutiles au monde » : les ambiguïtés d’un outil éminemment politique https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=279 Les termes d’utilité et d’inutilité sont omniprésents dans la sphère politique et se sont imposés comme des qualificatifs déterminant la valeur politique des objets concernés. Le couple d’antagonistes est appliqué à des réalités protéiformes très diverses du champ politique. On parle indistinctement et sans précision supplémentaire d’institutions politiques, de guerres, de professions, de lois, d’infrastructures utiles ou inutiles. L’omniprésence du vocabulaire de l’utilité tient d’abord à l’abondance des objets qu’il étudie, mais aussi au foisonnement d’énonciateurs et de destinataires qui font vivre ce qui semble s’imposer comme un concept fondamental de la vie politique. Surtout, les vocables inutile et utile se présentent comme des jugements catégoriques, en ce qu’ils prétendent déterminer la légitimité politique de l’objet qualifié. À en croire l’omniprésence du couple d’antonymes, il semble qu’il y ait une prolifération des inutiles à faire disparaître de la société. Qui sont-ils ? Comment saisir ceux qui composent cet ensemble si vaste et indistinct, qui semblent ne se définir qu’en creux de la norme de l’utilité ? Un bref passage par l’étymologie peut aider à saisir les contours de ceux qu’on nomme inutiles. Elle nous renvoie au latin utilitas, nom commun dérivé du verbe utor associé à plusieurs pôles de traduction (« se servir de », « mettre à profit » ou encore plus simplement [et plus indistinctement] « être en relation avec quelqu’un »), qui traduit aussi bien «  Wed, 02 Nov 2022 00:00:00 +0100 https://popups.uliege.be/2295-0311/index.php?id=279