Perturbations anthropiques de la végétation dans le Parc National de la Ruvubu à l’Est du Burundi : typologie, ampleur et distribution spatiale
Résumé
Objet de plusieurs intérêts et interventions menées pour sa préservation, le Parc National de la Ruvubu, reste sous des pressions anthropiques causant une dégradation de sa biodiversité. Cette étude a évalué les principales pressions de ce parc. Pour ce faire, un inventaire des perturbations anthropiques de la végétation de ce parc a été effectué sur 15 transects subdivisés en 300 placettes, suivi d’une analyse de leur fréquence d’occurrence, structure spatiale et leurs interactions. Egalement, la perception des acteurs locaux sur les types de perturbations existants et leur degré de sévérité a été recueillie puis analysée. Les résultats obtenus révèlent une fréquence d’occurrence de 93,3% pour les feux de brousse constituant ainsi la principale perturbation des ressources végétales de ce parc touchant surtout les savanes tandis que la coupe de bois vient au second rang touchant aussi bien les savanes que les galeries forestières avec une fréquence de 45,7%. Par ailleurs, la fréquence des indicateurs de la coupe de bois, de la coupe d’herbe et du pacage du bétail est moins importante à l’intérieur du parc par rapport à sa périphérie. Certains types de perturbations anthropiques comme la coupe de bois, les feux de brousse et la coupe d’herbe, se sont révélés associés, la présence de l’un renseignant la forte probabilité de la présence de l’autre et vice-versa. Nos résultats invitent à la lutte contre les feux de brousse surtout tardifs et à la réduction de la pression sur le bois par la diversification des sources d’énergie.
Abstract
Anthropogenic disturbance of vegetation in the Ruvubu National Park in eastern Burundi: typology, extent and spatial distribution. Subject of several interests and interventions carried out for its preservation, the Ruvubu National Park remains under anthropogenic pressures causing a degradation of its biodiversity. This study assessed the main pressures in this park. To do this, an inventory of anthropogenic disturbances to the park's vegetation was carried out on 15 transects subdivided into 300 plots, followed by an analysis of their frequency of occurrence, spatial structure and interactions. Local stakeholders' perceptions of the types of disturbance and their degree of severity were also gathered and analyzed. The results reveal that bush fires occur with a frequency of 93.3%, making them the main threat to the park's plant resources, especially in the savannahs, while logging comes second, affecting both savannahs and gallery forests, with a frequency of 45.7%. In addition, the frequency of woodcutting, grass cutting and livestock grazing indicators is lower inside the park than on its periphery. Certain types of anthropogenic disturbance, such as wood cutting, bush fires and grass cutting, were found to be associated, with the presence of one indicating a high probability of the presence of the other, and vice versa. Our results suggest that bushfires, especially late ones, should be controlled and that pressure on wood should be reduced by diversifying energy sources.
Introduction
1Les forêts couvrent environ 30,8 % de la superficie planétaire et contribuent à conserver la biodiversité terrestre à plus de 80 % (10). Elles représentent 20 % des terres disponibles en Afrique subsaharienne (4) et environ 6,6 % du territoire burundais (5) dont près de 366 ha de forêts primaires humides seraient perdus entre 2001 et 2022 soit 1,1% de la couverture forestière nationale selon les données de Global Forest Watch (https://www.globalforestwatch.org/). Ces forêts subissent donc des perturbations tant anthropiques que naturelles, malgré qu’elles fournissent à la population riveraine de nombreux services écosystémiques essentiels à leur survie tels que, les services d’approvisionnement, culturels, de soutien et de régulation (9, 10),. Une perturbation ou pression est un événement naturel ou induit par l’homme, qui provoque un changement permanent ou temporaire, altérant les relations entre les organismes et leurs habitats et conduisant généralement à une perte de biomasse (28). Elle modifie les ressources disponibles ou l’environnement physique à différentes échelles spatiale ou temporelle (26). Bien que de nombreux habitats subissent des perturbations naturelles liées au chablis, les sécheresses, aux inondations, aux tempêtes, les éruptions, etc.; les actions humaines sont à l’origine de la majeure partie des perturbations (6). En effet, la plupart des paysages de par le monde sont modifiés par les activités humaines engagées pour répondre aux besoins socioéconomiques des populations (17). Cela se traduit par la modification voire la disparition des habitats et par l’extinction ainsi que la perte des espèces (29). En 2019, la Plateforme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Ecosystémiques (IPBES) a fait état d’un million d’espèces en extinction à cause principalement de l’action humaine (14). En plus, le taux de réduction des forêts est estimé annuellement à 1% dans le monde entier et en Afrique subsaharienne à 2,36% suite à l'accroissement démographique et la conversion des terres forestières au profit de l'agriculture et d'autres utilisations (10).
2Au Burundi, la pression démographique est particulièrement forte sur l’ensemble du territoire qui compte actuellement 12 920 676 habitants (https://countrymeters.info/fr/Burundi) avec un taux de croissance de 3,33 % par an (5). Cette pression engendre une croissance exponentielle des besoins en ressources naturelles et en terres agricoles. Cela se traduit, par exemple, par la forte demande en bois de chauffage (consommation annuelle de bois énergie par habitant de 1,22 m³) et par un morcellement des terres cultivables (la majorité des ménages ont des parcelles cultivables de superficie inférieure à la moyenne nationale de 0,52 Ha par ménage) (5). En plus de cette pression, les politiques nationales en matière de conservation des Aires Protégées se caractérisent par de rigoureuses restrictions d’utilisation de leurs ressources pour les habitants locaux, ce qui donne lieu à des incursions dévastatrices dans beaucoup d’aires protégées (5, 30). Cette situation se traduit en pressions importantes sur les ressources naturelles rurales (5). Le Parc National de la Ruvubu (PNR), la plus grande aire protégée du Burundi, est aussi une mosaïque d’habitats constituée de savanes, de galeries forestière, de forêts claires et de marais abritant une grande biodiversité. Malgré les divers intérêts que présentent ce parc, il reste sous des influences humaines à l’origine d’une dégradation importante de la biodiversité et des pertes en espèces des différents habitats du PNR (19, 21). En effet, le PNR traverse quatre provinces faisant partie des huit provinces les plus pauvres du Burundi et dont les terres sont très dégradées (5). En plus, selon les estimations de Global Forest Watch, le PNR aurait perdu 194 ha de couverture arborée entre 2001 à 2022, soit 0,46% de sa couverture arborée. En outre, la gouvernance du PNR reste caractérisée par une implication non effective des parties prenantes, une faible capacité institutionnelle et l’insuffisance de programmes de développement autour de lui sur la base de la valorisation des services écosystémiques (20). Cette situation conduit à une pression anthropique croissante du PNR et induit un usage illicite des ressources naturelles dont la population riveraine dépend fortement. Il importe donc de maîtriser cette pression anthropique par, entre autres, la meilleure connaissance des perturbations occasionnées. Cela permettrait d’atténuer ou éliminer les facteurs de dégradation de la biodiversité de ce parc favorisant ainsi l’évolution progressive de ses habitats. C’est dans ce cadre que la présente étude se propose d’analyser les facteurs anthropiques de dégradation de la végétation du PNR en vue d’orienter les différentes parties prenantes à la gestion durable de ce parc. Pour ce faire, la démarche suivie exploite la richesse de combinaison de l’approche de terrain basée sur les systèmes d’informations géographiques et les inventaires sur des transects et de l’approche d’enquête de perception auprès des principaux acteurs pour avoir une vue complète des principaux facteurs anthropiques prévalant au PNR.
3L’étude s’est basée sur l’hypothèse selon laquelle les différents types de végétation du PNR subissent une diversité de perturbations anthropiques conduisant à leur dégradation avec des interactions entre-elles, la prédominance de certain et une sévérité variée des points de vue par ailleurs convergents, de la perception des acteurs locaux et des observations de terrain. De façon plus précise et spécifique, cette hypothèse d’investigation suppose que : (i) Les feux de brousse et la coupe de bois sont les principaux types de perturbations anthropiques du PNR aussi bien selon la perception de leur sévérité (ou ampleur des dégâts) par les acteurs locaux dans toutes les collines étudiées que selon leurs fréquences observées sur le terrain. (ii) Les feux de brousse sont les plus abondants dans les savanes mais inexistants dans les marais tandis la coupe de bois est plus abondante aussi bien dans les savanes que dans les galeries forestières. (iii) En plus, l’abondance des types de perturbations anthropiques diminue en partant de la frontière de la colline riveraine du PNR ou en partant de la rivière Ruvubu (une rivière qui traverse le PNR et en constitue une voie d’accès) vers l’intérieur du PNR. (iv) Enfin, il existerait des interactions entre les types de perturbations anthropiques. Des études menées en Afrique, montrent en effet, que la coupe illégale de bois et les feux de brousse, constituent les raisons principales de dégradation des milieux naturels (28). De plus, selon Peres et al. (12), les menaces actuelles pesant sur les forêts tropicales sont une conséquence des perturbations humaines non structurelles qui fonctionnent souvent en synergie. En outre, le gradient de pression anthropique est attendu décroissant de l'extérieur vers l'intérieur du parc (16).
Matériels et méthodes
Milieu d’étude
4Cette étude a été menée dans le Parc National de la Ruvubu (PNR), sur huit (08) de ses collines riveraines (Figure 1). Avec une superficie de 50 800 ha, représentant 1,8 % du territoire national, ce parc constitue la plus grande aire protégée du Burundi et traverse quatre provinces et huit communes. Il est érigé en parc depuis 1980 par le décret-loi n° 1/6 du 3 mars 1980. Il est situé au Nord-Est du pays entre les latitudes 2°54' et 3°22' Sud et les longitudes 30°06' et 30°33' Est. L’altitude varie entre 1300 m et 1800 m et culmine à 1836 m. Dominée par les savanes avec des strates arborée et arbustive à Parinari curatellifolia, Pericopsis angolensis et Hymenocardia acida, avec une strate herbeuse à Hyparrhenia et Loudetia div spp., la végétation du PNR est aussi une mosaïque d’habitats constituée de galeries forestières bordant la rivière Ruvubu traversant le PNR, des marais à Cyperus papyrus et des forêts claires à Uapaca sansibarica. Le PNR jouit d’un climat tropical du type AW3 selon la classification de Köppen. Il connaît une pluviosité de 1123 mm par an et les moyennes des températures annuelles avoisinent 20°C avec des variations oscillant entre 19°C et 21°C (18).
5La saison sèche dure 3 mois (Juin, Juillet et Août) et elle alterne avec une saison pluvieuse qui occupe le reste de l’année. Les types de sols du parc sont faites des mêmes unités que les types de sols de la région notamment les sols des types hygroxeroferrisols et régosols (21). Toutefois, suivant le relief, les sols présentent des caractéristiques particulières. Aux pieds de montagnes, la majorité des sols profonds sont bien décomposés et riches en métaux notamment en fer avec une acidité prononcée défavorable à la végétation (18, 19). Les crêtes et les pentes abruptes constituées de quartzites ainsi que les plateaux de latérite sont occupés par des sols caillouteux. La zone centrale est occupée par des sols jeunes, non structurés et formés d’un mélange de sols anciens et de roches. Le long de la partie orientale de la rivière Ruvubu, ainsi que dans les basses vallées accessoires inondées existent des sols organiques (18, 21). Les populations riveraines du parc estimées à 458 745 habitants en 2023 selon l’Institut de Statistiques et d'Études Économiques du Burundi (ISTEEBU), sont constituées des habitants des huit communes. Elles sont en majorité pauvres et mènent plusieurs activités dont notamment l’agriculture, l’élevage, la pêche, l’artisanat et le petit commerce (20).
Figure 1 : Localisation du Parc National de la Ruvubu à l’Est du Burundi (A) et localisation des huit collines riveraines du PNR ayant fait l’objet de cette étude d’analyse des perturbations anthropiques réalisée en juin et juillet 2019 (B).
Les étoiles rouges numérotés représentent respectivement les collines d’étude Gasave (1), Musenga (2), Bibara (3), Nyarunazi (4), Nkongwe (5), Nkanda (6), Murehe (7), Kibungo (8).
Méthode
Définition des perturbations anthropiques de la végétation du Parc National de la Ruvubu et ses indicateurs
6Pour une meilleure systématisation des observations, une définition des types de perturbations anthropiques et de leurs indicateurs a précédé la collecte des données sur le terrain. Pour le cas du Parc National de la Ruvubu (PNR), nous avons déterminé les types de perturbations anthropiques de la végétation des habitats et leurs indicateurs (Tableau 1) sur la base des travaux de Nzigiyimpa et Niyongabo (20), OBPE (21), UICN (30) et des rapports annuels de l’Office Burundais pour la Protection de l’Environnement (OBPE) de 2014 à 2017 qui n’étaient que ceux disponibles et accessibles. Nous avons ensuite complété cette liste à travers différents entretiens exploratoires et semi directifs en groupes ou individuels avec les communautés locales et d’autres acteurs locaux, l’un recommandant l’autre du fait de son expérience selon la technique dite de boule de neige. Sur cette base les acteurs rencontrés étaient composés de 2 gestionnaires du PNR, 6 gardes forestiers, 1 administrateur communal, 5 conseillers communaux, 2 chef de zones, 6 chef de collines et sous collines, 4 représentants d’associations et comités locales et ONGs, 2 commerçants, 1 membre de la communauté autochtone et 1 chercheur.
7En plus des entretiens auprès des différents acteurs, des travaux d’inventaire ont été réalisés au niveau du PNR. Le modèle que nous avons adapté aux réalités du PNR pour construire la typologie des perturbations anthropiques et leurs indicateurs est celui développé par Rakotondrasoa et al. (23).
Tableau 1 : Liste des types et des indicateurs de perturbations anthropiques de la végétation du Parc National de la Ruvubu soumis aux différents acteurs lors des entretiens en groupe réalisés en Juin et Juillet 2019.
Elle est issue de la consultation documentaire sur les différentes perturbations de ce parc. La formulation des indicateurs s’est basée sur le modèle de Rakotondrasoa et al. (23).
Classification participative des types de perturbations anthropiques
8Une classification participative des types de perturbations anthropiques de la végétation du Parc National de Ruvubu (PNR), avec les différents acteurs locaux exerçant des activités dans et autour du PNR (Tableau 2), a été réalisée, à travers des focus groupes, avant leur inventaire sur le terrain. Les catégories d’acteurs considérées sont restées limitées aux principales qui ont un lien étroit avec la réalité de terrain (communautés locales, garde forestier et chef de secteur). Les acteurs composant les focus groupe ont été choisi aléatoirement avec une prise en compte du genre et de l’âge au niveau de la catégorie des communautés locales dans l’optique d’intégrer la diversité des perceptions. Lors des entretiens en groupe (un focus groupe par colline) avec ces acteurs, à chaque type de perturbations anthropiques inventorié et en fonction du poids de ses dégâts sur la végétation du PNR, un score traduisant son degré de sévérité, a été attribué. L’utilisation de ces scores conformément à l’approche de Failler et al. (8) a permis d’évaluer la perception des acteurs des différentes collines riveraines de ce parc sur les dégâts occasionnés par chaque type de perturbations anthropiques. Les scores utilisés sont les nombres entiers de 0 à 4. Le score 0 correspond à un type de perturbations anthropiques n’existant pas dans la localité (Non Existant : NE). Le score 1 (Sans Sévérité : SS) est attribué au type de perturbations anthropiques touchant la végétation du PNR mais sans effets visibles sur les habitats et la flore (mortalité et arrêt de croissance). Le score 2 (Faible Sévérité : FB) correspond au type de perturbations anthropiques touchant la végétation du PNR mais avec peu d’effets visibles et sur le long terme, sur les habitats et la flore (mortalité et arrêt de croissance). Pour le type de perturbations anthropiques touchant la végétation du parc avec des effets visibles et sur le moyen terme, sur les habitats et la flore (mortalité et arrêt de croissance), le score 3 (Sévérité moyenne : SM) est donné tandis que pour la perturbation touchant la végétation avec des effets très visibles et sur le court terme, sur les habitats et la flore (mortalité et arrêt de croissance) le score 4 (Forte sévérité : FO) est attribué. Signalons que pour une même perturbation, ces scores pourraient varier d’une région à une autre autour du PNR. En plus, les différents acteurs locaux ont été amenés à étayer leur perception en énumérant les causes et les conséquences connues du type de perturbation correspondant.
Tableau 2 : Catégories de groupes d’acteurs ayant participé aux Focus groupes organisés en Juin et Juillet 2019 dans et autour du Parc National de la Ruvubu afin d’analyser les perturbations anthropiques de sa végétation.
Catégorie des groupes |
Nombre de focus groupes |
Nombre total de personnes |
Communautés locales (Hommes-Femmes-Anciens-jeunes) |
8 |
160 |
Gardes forestiers |
2 |
9 |
Chefs de secteurs du PNR |
1 |
3 |
Total |
12 |
172 |
Des groupes hétérogènes ont été constitués pour le cas des communautés locales et des groupes homogènes pour les autres acteurs.
Inventaire des types de perturbations anthropiques sur le terrain
9Nous avons utilisé la méthode des transects et des placettes pour inventorier les signes de perturbation de la végétation des habitats du Parc National de Ruvubu (PNR) (26). Elle consiste à placer les transects de longueur et de largeur prédéfinies et les subdiviser en placettes de superficies égales dans lesquelles les signes de perturbations sont comptés. Ainsi, nous avons installé 15 transects de manière à traverser les différents types d’habitat du PNR. Ces transects sont répartis sur huit (08) collines (Kiyange, Musenga, Bibara, Nyarunazi, Kibungo, Murehe, Nkanda, Nkongwe) choisies par échantillonnage raisonné portant sur les collines connaissant de fortes infractions (selon les gestionnaires) et se trouvant directement à proximité du parc. Sur sept (07) des huit collines choisies, deux transects parallèles mais de sens opposé sont installés pour inventorier les types de perturbations des habitats du parc. L’un, orienté perpendiculairement à la rivière, avait comme point de départ la frontière entre la colline et le parc et l’autre, orienté perpendiculairement à la limite du parc, partait de la bordure de la rivière Ruvubu (Figure 2). Cependant, au niveau de la huitième colline dans la commune Nyabikere, où le parc se rétrécit, un seul transect, touchant la frontière du parc à la bordure de la rivière Ruvubu, est mis en place. En effet, suite au rétrécissement de la partie Sud du parc, seul un transect d’un Kilomètre (1Km) a pu être mis en place joignant la frontière du parc et la bordure de la rivière Ruvubu.
10Les transects ont tous une longueur prédéfinie de 1000 m et une largeur de 10 m de sorte à pouvoir traverser les différents types d’habitat et faciliter les observations. Et chaque transect est subdivisé en placettes de 50 m de longueur et 10 m de largeur faisant un total de 300 placettes correspondant à une superficie de 15 ha. Dans chaque placette, la fréquence d’occurrence des indicateurs des perturbations anthropiques de la végétation du PNR a été notée. Il s’agissait de compter le nombre de fois qu’un indicateur de perturbation anthropique est observé dans la placette dans un intervalle de 100 m. De cette fréquence d’occurrence, il est déduit le paramètre de « présence-absence » en notant la présence ou non d’un indicateur de perturbation anthropique dans chaque placette.
Figure 2 : Répartition des transects dans le Parc National de la Ruvubu (PNR) pour inventorier les différents types de perturbation anthropique de sa végétation lors de cette étude réalisée en juin et juillet 2019.
Les coordonnées géographiques du début et de fin de chaque transect ont été utilisées pour réaliser la carte. Les étoiles rouges numérotées représentent respectivement les collines d’étude Gasave (1), Musenga (2), Bibara (3), Nyarunazi (4), Nkongwe (5), Nkanda (6), Murehe (7), Kibungo (8).
Analyse des données
11Pour l’analyse de données sur les niveaux de sévérité des types de perturbations anthropiques de la végétation du PNR, nous avons comparé les scores attribués, à chaque type de perturbation anthropique, selon la perception des participants de chaque focus groupe organisé par colline d’étude afin de classer les types de perturbations anthropiques, par ordre décroissant de leur degré de sévérité et de définir les causes et les conséquences de ces différentes perturbations.
12Pour l’analyse des données de fréquences d’occurrence observées sur le terrain, sur l’ensemble des 300 placettes mises en place pour cette étude, nous avons calculé la somme des fréquences absolues pour chaque type de perturbations anthropiques ainsi que la fréquence moyenne par placette afin de les classer par ordre décroissant. Nous avons réalisé le test de Friedman sous SPSS pour comparer les fréquences des différents types de perturbations de dégradation des habitats du Parc National de Ruvubu. En effet, le test de Friedman non paramétrique est la procédure alternative à la méthode d’Analyse de Variance (ANOVA) pour les mesures répétées (15, 22). Il permet de comparer plus de deux échantillons appariés en déterminant si les valeurs des échantillons sont différentes de celles des autres (11, 15). Quand l'hypothèse nulle du test de Friedman est rejetée des tests post-hoc doivent être appliqués pour comparer par paire les conditions/traitements (15, 23). Ainsi, des tests post-hoc notamment de Wilcoxon ont été effectués pour comparer par paire les différents types de perturbations et identifier ceux qui seraient différents les uns des autres. Ces différentes analyses ont été effectuées au seuil maximum de 5%. Également, nous avons calculé le pourcentage (la proportion) des placettes marquées par la présence ou absence de chaque type de perturbations anthropiques à partir des données de présence-absence.
13Afin de détecter les types d’habitat les plus touchés par telle ou telle autre type de perturbations anthropiques, nous avons calculé les fréquences absolues des types de perturbations anthropiques correspondant à chaque type d’habitat du Parc National de Ruvubu (PNR). Par suite un test Chi-deux a été réalisé pour évaluer l’existence d’une association entre les types de perturbations anthropiques et les types d’habitat du PNR. Nous avons calculé le coefficient de corrélation r de Pearson pour évaluer s’il existe un lien entre la fréquence des types de perturbations anthropiques et la distance de la frontière des collines ou de la bordure de la rivière Ruvubu vers l’intérieur du PNR. Ainsi, les variables retenues pour ce test sont la fréquence absolue de chaque type de perturbations anthropiques et la distance de l’extérieur vers l’intérieur du parc avec un pas de 50 m. A partir des données sur la présence-absence des types de perturbations anthropiques dans les placettes, le test du Chi-deux d’indépendance a été réalisé pour évaluer l’association des types de perturbations anthropiques.
Résultats
Classification participative des types de perturbations anthropiques dans le Parc National de Ruvubu
14Les entretiens avec les différents acteurs locaux ont permis de retenir sept types de perturbations anthropiques dans le Parc National de Ruvubu (PNR) (Tableau 3). L’analyse de leur sévérité perçue par les acteurs locaux met en tête du classement les feux de brousse sur toutes les collines riveraines étudiées, suivis de la coupe du bois. Toutefois, le pacage du bétail et le prélèvement d’ignames sauvages n’apparaissent que sur deux des huit collines avec une sévérité faible à moyenne.
Tableau 3 : Types, niveaux de sévérité, causes et effets de perturbations des habitats du Parc National de la Ruvubu (PNR).
Types de perturbation |
Niveau de sévérité par colline |
Causes |
Effets |
|||||||
Kibungo |
Murehe |
Gasave |
Musenga |
Bibara |
Nyarunazi |
Nkongwe |
Nkanda |
|||
Feux de brousse |
FO |
FO |
FO |
FO |
FO |
FO |
FO |
FO |
Ouverture du milieu par les chasseurs, les pêcheurs et les passagers du PNR |
Mort des arbres, destruction des plantules et la strate herbacée, érosion des sols |
Coupe de bois |
FB |
FB |
FB |
SM |
SM |
FB |
SM |
SM |
Croissance démographique, rareté des terres et des ressources en bois sur les collines riveraines, pêche, piégeage |
Dégradation de la strate arborée |
Coupe d’herbe |
SS |
SS |
SS |
SS |
FB |
SS |
FB |
SS |
Pauvreté, rareté des espèces recherchées sur les collines riveraines |
Pas d’impact car l’herbe repousse à chaque saison pluvieuse |
Pacage du bétail |
FB |
SM |
NE |
NE |
NE |
NE |
NE |
NE |
Faible quantité du fourrage sur les collines riveraines pendant la saison sèche |
Dégradation de la végétation herbeuse des savanes |
Prélèvement des ignames sauvages |
NE |
NE |
NE |
NE |
FB |
NE |
SM |
NE |
Pauvreté, espèces rares au sein des ménages |
Dégradation des habitats par la destruction de la végétation du sous-bois des galeries forestières |
Prélèvement des termites |
NE |
NE |
NE |
FB |
NE |
NE |
NE |
NE |
Pauvreté, habitude alimentaire |
Dégradation de la végétation herbeuse et arbustive des savanes |
Extraction des pierres de sable |
NE |
NE |
NE |
NE |
NE |
FB |
NE |
NE |
Rareté des terres et des pierres de sable sur les collines riveraines |
Dégradation de la végétation herbeuse, érosion des sols |
Les niveaux de sévérité attribués à chaque type de perturbations sont issus des entretiens en groupe, réalisés en juin et juillet 2019, avec les différents acteurs de chacune des 8 collines riveraines du PNR. Les quatre niveaux de sévérité retenus sont : Forte sévérité (FO) pour une perturbation touchant la végétation du PNR avec un fort impact sur sa dégradation, Sévérité moyenne (SM) pour une perturbation touchant la végétation du PNR et ayant un impact moyen sur sa dégradation, Faible Sévérité (FB) pour une perturbation touchant la végétation du PNR mais ayant un faible impact sur sa dégradation et Sans Sévérité (SS): pour une perturbation touchant la végétation du PNR mais jugée sans impact sur sa dégradation. Pour le cas d’un type de perturbation qui pourrait ne pas exister sur la colline, l’option Non Existant (NE) est proposée.
Aperçu global de la répartition des types de perturbations anthropiques de la végétation observés sur terrain
15Les résultats issus du test de Friedman montrent des valeurs de Chi-deux égale à 1193,0 avec une signification asymptotique nulle (p=0,000) pour les fréquences absolues et Chi-deux égale à 1612,2 avec une signification asymptotique nulle (p=0,000) pour la présence-absence. Ces valeurs témoignent d’une différence significative entre les fréquences des types de perturbations anthropiques de la végétation du PNR. Les résultats du test Post Hoc affichent des valeurs de p inférieures à 0,05 pour la majorité des types de perturbations anthropiques comparés par paire, que cela soit pour la fréquence absolue ou la présence-absence. Cela traduit des différences significatives des fréquences d’occurrence des unes par rapport aux autres témoignant ainsi que les types de perturbations anthropiques affectent différemment la végétation du PNR.
16L’évaluation de la présence-absence sur la base des proportions de présence dans les 300 placettes installées de chacun des types de perturbations anthropiques indique qu’ils peuvent être classés en ordre décroissant de présence comme suit (Tableau 4) : les feux de brousse (93,3%); la coupe de bois (45,7%); le prélèvement des ignames sauvages (8,7%); la coupe d’herbe (4,7%); le pacage du bétail (1,7%); le prélèvement des termites (0,7%) et l’extraction des pierres de sable (0,3%).
Tableau 4 : Fréquence d’occurrence moyenne par placette et de présence-absence des types de perturbations anthropiques de la végétation du PNR sur la base des 300 placettes inventoriées.
Types de perturbation |
Fréquence d'occurrence moyenne |
Fréquence absolue (proportion en %) de présence ou absence |
||
Présence |
Absence |
Total |
||
Feux de brousse |
48,9 |
280 (93,3 ) |
20 (6,7) |
300 (100) |
Coupe de bois |
2,9 |
137 (45,7 ) |
163 (54,3) |
300 (100) |
Prélèvement des ignames sauvages |
1,3 |
26 (8,7) |
274 (91,3) |
300 (100) |
Coupe d'herbe |
0,2 |
14 (4,7) |
286 (95,3) |
300 (100) |
Pacage du bétail |
0,2 |
5 (1,7) |
285 (95 ) |
300 (100) |
Extraction des pierres de sable |
0 |
1 (0,3) |
299 (99,7) |
300 (100) |
Prélèvement des termites |
0 |
2 (0,7) |
298 (99,3) |
300 (100) |
Répartition des types de perturbations anthropiques selon les écosystèmes
17Les résultats du test Chi-deux entre les types de perturbation et les types d’habitat (Tableau 5), témoignent du lien entre eux. Les valeurs des fréquences d’occurrence révèlent que les feux de brousses touchent plus les savanes (99,69´%) que les autres types d’habitats. La coupe du bois s’observe plus dans les savanes (60,30%) et dans les galeries forestières 36,48%). Au sein du PNR, l’extraction des ignames sauvages ne s’observe que dans les galeries forestières et dans les savanes boisées avec des fréquences d’occurrence respectives de 74,81% et 25,19%. Par ailleurs, les valeurs des fréquences d’occurrence montrent que les savanes sont le type d’habitat caractéristique associé à la coupe d’herbe, au pacage du bétail, à l’extraction des pierres de sable et à l’extraction des termites.
Tableau 5 : Fréquence d’occurrence des types de perturbations anthropiques de la végétation du Parc National de la Ruvubu (PNR).
Types de perturbation |
Fréquence d’occurrence : valeur absolue (valeur en %) |
Chi deux |
|||
Savanes |
Galeries forestières |
Marais |
Total |
||
Feux de brousse |
14618 (99,69) |
46 (0,31) |
0 (0) |
14664 (100) |
221,7** |
Coupe de bois |
524 (60,30) |
317 (36,48) |
28 (3,22) |
869 (100) |
27,2** |
Prélèvement des ignames sauvages |
102 (25,19) |
291 (74,81) |
0 (0) |
393 (100) |
94,2** |
Coupe d'herbe |
45 (69,23) |
10 (15,38) |
10 (15,38) |
65 (100) |
1,2 |
Pacage du bétail |
38 (100) |
0 (0) |
0 (0) |
38 (100) |
11,3** |
Extraction des pierres de sable |
6 (100) |
0 (0) |
0 (0) |
6 (100) |
0,1 |
Prélèvement des termites |
2 (100) |
0 (0) |
0 (0) |
2 (100) |
0,3 |
Les données de base sont issues des inventaires de ces types de perturbations effectués au PNR dans 300 placettes de 500 m2 chacune en Juin et Juillet 2019. ** = significatif au seuil de 1%.
Distribution des types de perturbations anthropiques de la végétation selon la distance de pénétration du Parc National de Ruvubu
18Des corrélations significatives mais négatives entre la fréquence d’occurrence des indicateurs de perturbations et la distance aux collines riveraines du Parc National de Ruvubu (PNR), ont été observées pour la coupe du bois, le pacage du bétail et la coupe d’herbe. Cela signifie que la fréquence d’occurrence de ces perturbations diminue en partant des limites des collines vers l’intérieur du PNR (Tableau 6). Pour les autres types de perturbations (le feu, le prélèvement des ignames, etc.), aucune relation statistiquement significative n’a été observée. De même, par rapport à la rivière Ruvubu, aucune relation statistiquement significative n’a été observée pour tous les types de perturbations (Tableau 6). La rivière ne constitue donc pas un élément spatial déterminant la distribution des perturbations.
Tableau 6 : Résultats issus de l’examen de la corrélation entre la fréquence des types de perturbations et la distance.
Types de perturbation |
Distance (Limite colline-intérieur du PNR) (0 à 1 km) |
Distance (Limite bord de la rivière Ruvubu-intérieur du PNR) (0 à 1 km) |
||
r |
p |
r |
p |
|
Feux de brousse |
0,1 |
0,78 |
0,61 |
0,06 |
Coupe de bois |
-0,927** |
0 |
-0,48 |
0,16 |
Extraction des ignames sauvages |
-0,04 |
0,91 |
0,29 |
0,42 |
Pacage du bétail |
-0,742* |
0,01 |
||
Coupe d'herbe |
-0,715* |
0,02 |
0,29 |
0,42 |
Extraction des pierres |
-0,52 |
0,12 |
||
Prélèvement des termites |
0 |
1 |
Les données de base sont issues des inventaires de ces types de perturbations faits au Parc National de la Ruvubu effectués sur un pas de 50 m le long de deux transects de 1 Km chacun (l’un partant de la limite colline vers l’intérieur du parc et l’autre partant de la limite du bord de la rivière Ruvubu vers l’intérieur du Parc) en Juin et Juillet 2019. * = significatif au seuil de 0,05 ; ** = significatif au seuil de 0,01 ; r = coefficient de corrélation de Pearson ; p = p-value
Interaction entre les types de perturbations anthropiques de la végétation du Parc National de Ruvubu
19Des liaisons ont été observées entre la coupe de bois et les feux de brousse ainsi que la coupe d’herbe. Des associations s’observent également entre les feux et le prélèvement des ignames sauvages mais aussi entre la coupe d’herbe et l’extraction des pierres de sable (Tableau 7).
Tableau 7 : Résultats des tests Chi-deux d’indépendance pour les associations des types de perturbations anthropiques de la végétation du PNR (NS=Non significatif, * = p <0,05 ; ** = p <0,01 ; p = p-value).
|
Feux de brousse |
Extraction des ignames sauvages |
Pacage du bétail |
Coupe d'herbe |
Extraction des pierres |
Prélèvement des termites |
Coupe de bois |
26,190* |
18,327* |
6,215* |
17,949** |
1,226 NS |
1,670 NS |
Feux de brousse |
87,128** |
0,363 NS |
5,143* |
0,072 NS |
0,144 NS |
|
Extraction des ignames sauvages |
0,325 NS |
0,937 NS |
0,064 NS |
0,129 NS |
||
Pacage du bétail |
2,687 NS |
0,017 NS |
0,034 NS |
|||
Coupe d'herbe |
20,497** |
0,099 NS |
||||
Extraction des pierres |
0,007 NS |
Les données de base sont issues des inventaires de ces types de perturbation faits au Parc National de la Ruvubu effectués dans 300 placettes de 500 m2 en Juin et Juillet 2019.
Discussion
Discussion de la méthodologie
20L’analyse des perturbations anthropiques de la végétation du PNR s’est basée sur une approche combinée d’évaluation par la perception des acteurs locaux et d’observation sur le terrain des types de perturbations par des indicateurs. Cette dernière technique n’est pas exempte de biais lié à l’altération des indices selon le temps et la saisonnalité bien qu’utilisée par plusieurs auteurs (23). Cette approche présente l’avantage de prendre en compte des types de perturbations comme la coupe d’herbe dont l’ampleur n’est mieux évaluable que par l’observation de terrain par rapport à d’autres comme les feux de brousse qui sont tout aussi observables par des images satellitaires. Par ailleurs, la répartition des placettes dans les différents habitats obtenus de l’approche de transect reflète certes l’ordre de dominance des formations végétales sur le parc mais l’irrégularité de la répartition et le nombre réduit de placettes pour certains habitats, renseignent l’utilité d’un échantillonnage basé sur les habitats pour une analyse plus approfondie. Pour gérer cette irrégularité, les analyses employées se sont basées essentiellement sur des tests non paramétriques. L’analyse de la sévérité des types de perturbation à travers l’appréciation des acteurs a été utile pour mobiliser des conclusions issues de leurs observations sur un temps plus ou moins long. Ceci est bien utile pour orienter les programmes de sensibilisation. De plus, des études ont montré que la perception de la dégradation par les acteurs locaux reflète bien souvent la réalité (24). Toutefois, il sera toujours utile de mener des études expérimentales pour évaluer les niveaux de sévérité d’impact des différents types de perturbation.
Perturbations anthropiques de la végétation du Parc National de Ruvubu : les feux de brousse comme perturbation dominante avec une situation mitigée entre les habitats
21Les résultats de cette étude mettent en évidence l’existence de différents types de perturbations anthropiques de la végétation du Parc National de Ruvubu (PNR) avec des fréquences d’occurrence différentes. Ces perturbations sont entre autres les feux de brousse, la coupe du bois, la coupe d’herbe, le pacage du bétail, le prélèvement d’ignames sauvages, l’extraction des pierres de sable et le prélèvement des termites. La plupart de ces facteurs ont été signalées par Simula (26) et Tchatchou et al. (27), qui ont respectivement mené des études dans 45 pays du monde et dans le bassin du Congo, comme perturbations anthropiques occasionnant la dégradation des écosystèmes.
22Nos résultats ont montré en termes de fréquences que parmi les différents types de perturbations anthropiques du PNR, les feux de brousses et la coupe de bois constituent les principales perturbations. Ces deux mêmes types de perturbations anthropiques ont été perçus comme principaux facteurs de dégradation de la végétation de ce parc par les acteurs enquêtés. Cela confirme l’hypothèse selon laquelle les feux de brousse et la coupe de bois sont les principaux types de perturbations anthropiques du PNR aussi bien selon la perception de leur sévérité (ou ampleur des dégâts) par les acteurs que selon leurs fréquences observées sur le terrain. De même, en rapport avec la répartition des perturbations suivant les habitats, les données de terrain, confirment que les feux de brousses constituent le type de perturbation le plus fréquent dans tous les types d’habitats de ce parc et principalement dans les savanes. Elles confirment également que la coupe du bois y est très fréquente tant dans les savanes que dans les galeries forestières.
23Ces résultats viennent appuyer le constat de différents auteurs qui estiment que le problème majeur du PNR sont les feux de brousse (18, 20, 21, 30). Comme l’affirme Masharabu (18) le PNR subit annuellement les feux de brousse, surtout tardifs, touchant de grandes superficies et consumant sa végétation surtout savanicole. En effet, le PNR est brûlé par les braconniers (chasseurs notamment) qui utilisent le feu pour l’ouverture du milieu et pour attirer les animaux vers leurs pièges. Cette prédominance des feux de brousse, influence en conséquence la composition floristique et la physionomie des habitats surtout des savanes caractérisées par la réduction de la strate arborée et le développement de graminées hautement inflammables (1, 2, 3, 7, 13, 19).
24Quant à la coupe de bois, sa fréquence élevée pourrait être expliquée par la forte demande locale en bois-énergie. En effet, selon la Banque Mondiale (5), 85 % des ménages burundais emploieraient du bois de chauffage et la demande en bois de chauffage serait la principale cause de l’abattage des arbres dans le paysage rural du Burundi.
25Les résultats de la présente étude ont montré que seule la fréquence d’occurrence des indicateurs de la coupe de bois, la coupe d’herbe et le pacage du bétail diminue au fur et à mesure qu’on s’introduit dans le Parc National de Ruvubu (PNR). Cela confirme que l’abondance des types de perturbations anthropiques diminue en partant de la frontière de la colline ou en partant de la rivière Ruvubu (une rivière qui traverse le PNR et en constitue une voie d’accès) vers l’intérieur du PNR. Ces résultats confirment le constat de Jiagho et al. (17) qui ont signalé que le gradient de pression anthropique est normalement décroissant de l'extérieur vers l'intérieur du parc avec comme hypo-centre la limite du parc. Au PNR, la coupe d’herbe et le pacage du bétail s’effectuent au niveau des savanes se trouvant sur les crêtes, facilement accessibles, dominées par les espèces appréciées du genre Loudetia et à proximité des collines riveraines. Pour la coupe de bois, la population pratique la coupe aux environs de leur village.
26Pour le reste des types de perturbations (feux de brousse, prélèvement d’ignames sauvages, l’extraction des pierres de sable et prélèvement des termites), les fréquences ne décroissent pas suivant le gradient de pression anthropique. Ces facteurs semblent en effet être localisés dans des types d’habitats spécifiques et ne subissent donc pas l’influence de la distance. C’est le cas notamment du prélèvement des ignames sauvages qu’on observe dans les galeries forestières tout autour de la rivière Ruvubu et des multiples ruisseaux éparpillés dans le parc et les savanes boisées au bas des piémonts et l’extraction des pierres de sable qui s’opère uniquement au niveau des savanes herbeuses de la crête à proximité de la frontière entre le parc et ses collines riveraines mais aussi plus loin à l’intérieur du parc sur les sommets des collines (18). Pour le cas des feux, leur propagation est influencée par différents facteurs tels que le vent, la topographie, la quantité de la matière combustible, l'humidité et la température de l’environnement, etc. (25).
27Par ailleurs, les résultats de cette étude ont révélé l’existence de liaisons entre certains des types de perturbations de la végétation du Parc National de Ruvubu (PNR). Ainsi, la coupe de bois s’est révélée fortement associée aux feux de brousse et à la coupe d’herbe. Une association a été également observée entre les feux de brousse et la coupe d’herbe. Cela confirme le fonctionnement en synergie des perturbations humaines souligné par certains auteurs et l’existence de rétroactions entre elles (12, 31). Dans le cas du PNR, les liens observés peuvent s’expliquer comme suit : le passage de feu détruit plusieurs plantules, arbustes et arbres des savanes, cela favorise l’entrée des populations pour la coupe de bois dans ces savanes brûlées sous le prétexte de collecter du bois mort. En outre, le passage de feux dans les savanes favorise la masse graminéenne convoitée par les riverains du PNR qui l’utilisent dans le paillage des bananerais et des caféiers et dans la toiture des maisons ainsi que dans l’alimentation du bétail.
Implications pour une gestion durable du Parc National de Ruvubu
28Cette étude relève la nécessité d’action orientée sur les principales perturbations anthropiques des différents types d’habitat. Dans ce cadre, une attention particulière est à accorder aux feux de brousse par la promotion de feux précoces et de bonnes pratiques agricoles basées sur l’agroforesterie, l’association de cultures et l’élevage du petit bétail pour améliorer les rendements des populations riveraines du parc et réduire les effets des feux issus de la chasse illicite. L’évaluation des acteurs locaux sur la sévérité des dégâts découlant des feux de brousse semble témoignée de leur conscience sur les effets négatifs des feux bien que l’action ne suive pas. Cela révèle la possibilité de changement de pratiques à travers des programmes soutenus de sensibilisation, de formations et d’éducation environnementale. La diversification des sources d’énergie et la promotion de foyers améliorés permettront de réduire la pression sur le bois. Par ailleurs, les périphéries du parc aux pieds des collines sont des zones de forte pression et méritent donc une attention en matière d’aménagement et de reboisement. Aussi, la promotion et le développement d’activités génératrices de revenu permettra de réduire la forte dépendance actuelle des ménages aux ressources du parc.
Conclusion
29La présente étude a consisté à vérifier à travers des entretiens avec des acteurs locaux et observations de terrain, l’hypothèse selon laquelle, les différents types de végétation du PNR subissent une diversité de perturbations anthropiques conduisant à leur dégradation avec des interactions entre-elles, la prédominance de certain et une sévérité variée des points de vue, par ailleurs convergents, de la perception des acteurs locaux et des observations de terrain. Les résultats obtenus confirment pour une grande part cette hypothèse et renseignent que les feux de brousses constituent la principale source de dégradation de la végétation du PNR suivi de la coupe du bois. Les indicateurs des feux de brousse se sont observés dans les différents habitats mais principalement dans les savanes tandis que la coupe du bois touche aussi bien les savanes que les galeries forestières. Les autres types de perturbation tels que le prélèvement des ignames sauvages et l’extraction des pierres de sable, le pacage du bétail, etc. sont localisés dans des habitats spécifiques et sont moins dépendants de la distance allant de la périphérie du parc vers son intérieur. Certains types de perturbation telles que la coupe de bois, les feux de brousse et la coupe d’herbe se sont révélés associés.
30Ces différents résultats relèvent la nécessité d’éducation environnementale des populations et de développement de bonnes pratiques agricoles, d’exploitation des ressources du parc et de diversification des sources d’énergie. L’étude ouvre ainsi des voies d’actions pour les parties prenantes en général et les gestionnaires en particulier pour une gestion durable du PNR dans une perspective de priorisation basée sur les principales pressions anthropiques.
Remerciements
31La réalisation de ce travail a été possible grâce à l’appui financier et technique de l’Ecole Régionale Post-Universitaire d’Aménagement et de Gestion Intégrée des Forêts et Territoires Tropicaux (ERAIFT) et ses partenaires ainsi qu’à la collaboration des agents de terrain de l’Office Burundais pour la Protection de l’Environnement (OBPE). Les auteurs remercient ces différentes institutions.
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