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- Volume 37 (2019)
- Numéro 4
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Piscicultures du monde. Aujourd'hui et demain
Lazard Jérôme -- Piscicultures du monde. Aujourd'hui et demain. Vol. de 263 p. (23,5 x 16 cm). Presses des Mines, collection Académie d'Agriculture de France, Paris, France-- 2019. ISBN : 978-2-3571-586-9.
1Face à une démographie humaine en croissance permanente avec 9 milliards d'habitants attendus pour 2050, alors que les captures halieutiques mondiales stagnent depuis des années, la consommation moyenne mondiale de poissons n'a cessé d'augmenter depuis les années 1960 (10 kg/habitant/an) pour se maintenir actuellement autour de 20 kg/habitant/an. C'est bien grâce, comme le souligne à juste titre J. Lazard, au développement spectaculaire de la pisciculture depuis les années 1980-1990, dont la contribution est maintenant quasi égale à celle des captures mondiales (~90 millions t/an). Son livre arrive donc bien à son heure pour nous éclairer sur ce phénomène extraordinairement rapide et conséquent pour la sécurité alimentaire.
2Après avant-propos de la vice-présidente du Groupe Inter-académique pour le Développement de l'Académie d'Agriculture de France, soulignant les qualités de l'auteur qui resitue les évolutions actuelles en fonction d'une longue histoire débouchant ainsi sur une stratégie anticipative tout en constatant que, malgré son développement spectaculaire, l'aquaculture n'a pas permis de réduire le taux de pauvreté où elle s'est développée. Dans son préambule, J Lazard limite clairement sa démarche à la pisciculture bien que l'élevage d'autres espèces aquatiques (algues, crustacés, mollusques, ...) soient également en pleine évolution.
3Après une introduction focalisée sur les principales étapes historiques de l'aquaculture présentant de façon originale et didactique : époques, faits marquants, lieux, espèces et systèmes, l'auteur annonce les 8 parties principales de l'ouvrage, toutes intéressantes mais assez inégales.
4La première partie fait le point sur l'état et les prospectives de la filière halieutique mondiale en rappelant que la consommation de poissons par habitant augmente régulièrement mais reste fort inégale entre pays moins développés (7,6 kg/hbt), pays émergents (18,8 kg/hbt) et pays développés (26,8 kg/hbt). Cette augmentation résulte surtout d'une contribution en pleine croissance de l'aquaculture qui atteint depuis 2014 le niveau de l'apport de la pêche. Et cet élevage de poissons se pratique essentiellement en eaux douces où la production dominante en pays en développement, basé sur des étangs en terre, reste un des systèmes de production bio le plus rentable malgré le développement plus récent des cultures en cages. Il n'empêche que tous les programmes de lutte contre la pauvreté et la malnutrition qui ont voulu utiliser l'aquaculture comme moyen privilégié ont tous échoués aussi bien en Afrique qu'en Asie, ce qui conduit l'auteur à ne recommander que les formes d'aquaculture capitalistes. C'est faire peu de cas de certaines analyses de la BAD, de la FAO, etc... qui ont montrées l'importance pour les pauvres pratiquant la pisciculture artisanale familiale d'avoir quand même accès à une source de très bonnes protéines animales pour leur famille. En tout cas, la pisciculture intensive basée sur une alimentation artificielle complète devra, pour l'avenir, réduire le rapport poisson fourrage consommé (FI : Fish In)/poisson d'élevage produit (FO : Fish Out) de 0,28 à 0,16. On ne peut donc qu'être d'accord avec l'auteur qui privilégie pour l'avenir, vu la demande croissante continuelle de poissons de consommation (prévisions : de 73 Mt en 1974 à 110 Mt en 2050), l'élevage de poissons à chaîne alimentaire courte (carpes et tilapia) dans les continents à fort potentiels encore trop peu utilisés (Afrique, notamment RD Congo et Amérique du sud).
5La seconde partie consacrée aux principales espèces de poissons d'élevage sélectionne, à juste titre, parmi les 362 espèces de poissons domestiquées les 15 espèces les plus produites dans le monde (de 0,4 à 5,8 Mt/an) : carpes, tilapia, saumon, poisson chat, etc... Les caractéristiques essentielles de ces espèces sont bien synthétisées mais manque parfois de références (ex. : Fécondité relative des espèces de carpes, p. 49, fécondité relative de *Clarias gariepinus *: 30.000 ovules/kg♀, p.74 par ailleurs plus faible que les données classiques de l'ordre de 60.000 ovules/kg♀). Ce chapitre se termine par une réflexion prospective de grande actualité : du poisson pour nourrir du poisson via les farines et huiles d'espèces sauvages, de produits végétaux, de déchets d'animaux terrestres, de sous-produits aquatiques voire même de cultures d'insectes, cette dernière apparaissant comme une formule très probable de source alternative indispensable d'aliments d'avenir pour poissons, ce qui n'est pas vraiment souligné par l'auteur.
6Sans aucun doute, le troisième chapitre qui compare tous les systèmes de production aquacoles est le plus original et le mieux documenté, démontrant l'évolution récente et particulièrement innovante des différents types de systèmes aquacoles tels que le système d'élevage en eau recirculée, systèmes aquaponiques, systèmes biofloc, aquaculture multitrophique intégrée). Non seulement les techniques de ces différents systèmes sont bien présentées, leur rentabilité économique comparée, et même les aspects sanitaires de la fertilisation organique sont précisés.
7Le quatrième chapitre gestion de la biodiversité aquacole clarifie le débat permanent du choix de l'espèce autochtone ou exotique pour le développement local de l'aquaculture qui recoure notamment à de nouvelles espèces domestiquées seulement depuis une vingtaine d'années. Utiliser des espèces indigènes ou introduites peut avoir des effets aussi bien bénéfiques que négatifs en fonction des caractéristiques de l'environnement, abiotique, biotique, social comme économique. Personne au Chili ne se plaint de l'introduction du saumon atlantique hors de son aire d'origine qui a permis de valoriser les grandes quantités de farine et huiles d'anchois produites localement.
8La cinquième partie examine quelques cas de dynamiques de développement aquacoles attirant notamment l'attention sur l'importance de la production de poissons en étangs partiellement alimentés par la production naturelle de phyto et zooplanctons et la reprise de conscience des potentialités de la rizipisciculture quelque peu détrônée par les systèmes intensifs basés sur une alimentation totalement artificielle.
9Les 3 derniers petits chapitres font le point sur la pisciculture en Afrique subsaharienne qui a raté la révolution bleue mais qui présente des potentialités qui s'expriment actuellement essentiellement via le secteur privé (Egypte, Nigeria, Zambie, Ghana, etc.), la durabilité des systèmes de production aquacole intégrant aspects environnementaux, économiques, sociaux et institutionnels et les systèmes aquacoles face au changement climatique qui nécessitent de bonnes pratiques et de bons scores pour leur assurer un bon niveau de résilience.
10Bien qu'assez rigoureux, on peut toutefois regretter que l'auteur oublie parfois de citer ses sources (cf. Chap. 2 : Tabl 2, Tabl 4 ; chap. 3 : Fig 1 ; ...).
11Il n'empêche que cet ouvrage fournit aux lecteurs une information actualisée sur le développement récent et spectaculaire de la pisciculture mondiale ainsi que la démarche critique de base pour sélectionner selon les conditions environnementales, sociales, économiques et institutionnelles, le type le plus judicieux de pisciculture à développer, ce qui intéressera tout étudiant, tout formateur, tout technicien, tout entrepreneur confronté au développement durable de la pisciculture.
Pour citer cet article
A propos de : Jean-Claude Micha
Pr. Emérite, Université de Namur