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- volume 38 (2020)
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- Caractérisation de la dynamique de l'occupation du sol en zone urbaine et périurbaine de la ville du Cap-Haïtien (Haïti) de 1986 à 2017
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Caractérisation de la dynamique de l'occupation du sol en zone urbaine et périurbaine de la ville du Cap-Haïtien (Haïti) de 1986 à 2017
Notes de la rédaction
Reçu le 8 février 2019, accepté le 3 mars 2020. Cet article est distribué suivant les termes et les conditions de la licence CC-BY-NC (http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/deed.fr).
Résumé
La ville du Cap-Haïtien au Nord d'Haïti, avec une population qui double tous les 20 ans, enregistre une expansion rapide du bâti associée à la régression du couvert végétal. A partir d'une interprétation des images Landsat de 1986, 2003 et 2017, la dynamique de l'occupation du sol a été mise en évidence à travers l'approche cartographique couplée aux outils d'analyse de l'écologie du paysage. Il en ressort que la surface du bâti a triplé dans la ville du Cap Haïtien au cours des trois dernières décennies au détriment des espaces agricoles et de la végétation dégradée. La surface de la végétation ligneuse a été réduite de moitié au profit du champ et de la végétation dégradée, mais aussi du bâti dans une moindre mesure. La dynamique structurale, soutenue par une importante croissance démographique en zone (péri)urbaine et le développement agricole en zone rurale, a été caractérisée par la création de taches des classes anthropiques (bâti, champs et végétation dégradée) par opposition à la dissection des taches de la végétation ligneuse. Nos résultats soulignent la nécessité d'élaborer urgemment un plan d'aménagement urbain durable et adéquat afin d'inverser cette tendance.
Abstract
The city of Cap- Haïtien in the north of Haiti, with a population that doubles every 20 years, records a rapid built-up expansion associated with the regression of its vegetation cover. Based on the interpretation of Landsat images of 1986, 2003 and 2017, land cover dynamics were evidenced through a mapping approach combined with analysis tools of landscape ecology. Data show that the built-up area in the city of Cap-Haïtien increases threefold in three decades mainly at the expense of agricultural areas and degraded vegetation. The area of woody vegetation has been reduced by half in favor of agricultural areas, and degraded vegetation, but also of built-up areas to a lesser extent. Structural dynamics, supported by important population growth in the (peri)urban zone and agricultural development in the rural zone, have been characterized by the creation of anthropogenic patches (built-up, agricultural areas and degraded vegetation) as opposed to the dissection of the woody vegetation. Our results highlight the need to develop urgently a sustainable and adequate urban development plan to reverse these trends.
Table des matières
Introduction
1A l'échelle mondiale, le processus d'urbanisation est considéré comme une problématique majeure (41). Suivant les projections, le taux d'urbanisation avoisinera 70% en 2050 à l’échelle globale pendant qu'il a été de 54% en 2014 et 30% en 1950 (33). Généralement, ce processus est accompagné d'une expansion rapide du bâti en raison de la combinaison de la densification des secteurs déjà bâtis et du développement des zones périurbaines (20) en entraînant une suppression de la couverture végétale dans le milieu naturel qui les accueille (10, 12).
2Le processus d'urbanisation, considéré comme quasiment à terme dans les pays développés (32, 40), est en constante progression depuis quelques décennies au niveau des pays du Sud (7, 42, 46) où il s'opère de façon incontrôlée de manière générale. C'est le cas d'Haïti où l’on enregistre une rapide évolution de la population urbaine qui a atteint 59% en 2015 contre 12% en 1950, et devrait avoisiner 77% en 2050 selon diverses projections (41). Ainsi, ses principales villes connaissent une extension spatiale rapide. La ville du Cap-Haïtien ne fait pas exception à cette hypothèse. En effet, la population capoise a presque doublé en trois décennies entre 1982 et 2015 sans aucune planification adaptée aux défis associés au développement urbain. Cette explosion démographique a entrainé une forte demande en logements qui se déversent même dans des communes limitrophes d'une part et a amplifié d'autre part la pression anthropique sur les ressources ligneuses et espaces agricoles à l'interface ville-campagne (zone périurbaine) particulièrement.
3Cet état susmentionné menace d'installer des conditions qui pourraient compromettre la prospérité de la population pour de nombreuses décennies (16, 24). Alors, la maîtrise des modifications spatiales rapides induites par l'urbanisation est essentielle afin d'éclairer sur les conséquences écologiques (38, 42). Dans cette optique, il importe de quantifier la dynamique spatio-temporelle que la ville de Cap-Haitien a connue en se basant sur les outils d'analyse de l'écologie du paysage couplés à la cartographie numérique. La présente étude s'est fixée comme objectif de caractériser la dynamique de l'occupation du sol le long d'un gradient d'urbanisation au Cap-Haïtien. Il a été émis les hypothèses que (i) l'expansion du bâti au Cap-Haïtien serait caractérisée par un processus de périurbanisation qui est attendu de s'amplifier au fil du temps; (ii) la dynamique paysagère est caractérisée, au fil du temps, par une importante progression à différents degrés des classes anthropiques dans toutes les zones du gradient urbain-rural du Cap-Haïtien au détriment de la végétation ligneuse.
Méthodologie
Zone d'étude
4L'étude a été menée dans la ville du Cap-Haïtien (19o42'-19°46' N et 72o10-72°15' O) au Nord de la République d'Haïti. Son climat est de type Am selon le système de la classification de Köppen-Geiger, caractérisé annuellement par des températures moyennes de l'ordre de 25,3°C et des précipitations moyennes de 1595 mm (22). La végétation naturelle est dominée par des forêts de mangrove et de savanes arbustives (3, 14), actuellement confrontée à un véritable fléau qu'est le déboisement. La population avoisine 275000 habitants, avec une densité moyenne de 5177 habitants/km2 sur l’ensemble de la ville pour un pic de 14249 habitants/km2 au centre-ville (39, 27). L'activité économique de cette zone repose essentiellement sur l'agriculture, la petite et moyenne industrie et le tourisme (35).
Choix des données
5La zone étudiée couvrant la commune du Cap-Haïtien et sa zone périphérique s'étend sur une superficie d'environ 82 km2. Elle a été isolée sur trois images satellitaires de 30 m de résolution. Il s'agit des images de type Landsat TM (du 24/02/1986), Landtsat ETM+ (du 18/01/2003) et Landsat OLI (du 02/02/ 2017). Durant les travaux de terrain, un GPS a été utilisé pour la reconnaissance des classes de l'occupation du sol. Le traitement des données a été réalisé en recourant au logiciel ArcGIS 10.0.
Traitement et classifications des images Landsat
6Les images ont été reprojetées dans le système UTM (Universal Transverse Mercator) / Zone 18 N recouvrant la zone d’étude, et basée sur l’ellipsoïde de référence WGS 84 (World Geodesic System). Par la suite, un géoréférencement des images Landsat de 1986 et 2003 a été réalisé sur la base des coordonnées géographiques de points fixes dans le milieu d’étude (la mangrove, la cathédrale, les plantations de la canne à sucre à Larue, etc.) en utilisant l’image de 2017 comme référence. Afin de s’assurer d’une analyse des changements fiables, la précision géométrique du calage entre les scènes Landsat a été inférieure à 1 pixel.
7La classification, d'abord non supervisée de type « Iso Cluster», a été effectuée en associant les bandes proche infrarouge, rouge et vert. Neuf classes d’occupation de sol ont été ainsi créées. Il s'en est suivi l'interprétation visuelle et l'identification des zones d'entraînement sur la base de la connaissance et des travaux de terrain (30, 44) au cours desquels 400 polygones représentatifs des classes d’occupation du sol retenues ont été sélectionnés. Une classification supervisée, appuyée sur l'algorithme du maximum de vraisemblance, a été retenue afin de produire des fichiers matriciels classifiés (21, 25). Les neufs classes d’occupation de sol ont été regroupées en quatre classes de l'occupation du sol en fonction de l'objectif de l'étude : (i) le bâti (les maisons, les sols nus, les routes, la piste de l'aéroport), (ii) l'eau (la mer, le marais, la rivière du Haut du Cap), (iii) la végétation ligneuse représentée par les savanes arbustives, la mangrove dense, les forêts arborées et désignée comme étant la classe « naturelle », et (iv) les champs et la végétation dégradée (les pâturages, les terres en jachère, les zones agricoles mono ou pluri-culturales, les systèmes agroforestiers, la mangrove dégradée). La recevabilité des classifications a été appréciée à partir de trois matrices de confusion confrontant les classes thématiques obtenues par voie numérique et les données de référence collectées lors des travaux de terrain. Ainsi pour chaque classification, la précision globale et le coefficient de Kappa dont les valeurs acceptables excédent 60 % ont été calculée (4, 29, 30).
Segmentation des zones du gradient urbain-rural
8Afin de caractériser les dynamiques intervenues au sein des différentes classes d'occupation du sol le long du gradient urbain-rural de la ville du Cap-Haïtien de 1986 à 2017, la zone d'étude a été segmentée en 9 sous-zones d'environ 9 km2 chacune. Ces sous zones sont reparties comme suit : les sous zones de 1 à 3 au Nord, de 4 à 6 au Centre et de 7 à 9 au Sud de la zone d'étude (Figure 1). Un organigramme (1), basé sur les caractéristiques morphologiques des différentes zones le long du gradient urbain-rural, a permis de qualifier chacune des sous-zones d'urbain, de périurbain ou de rural.
Figure 1 : Illustration de la localisation des sous-zones sur toute la zone d’étude sur fond de l’image Google Earth de décembre 2017.
Les sous-zones à statut urbain : sous-zones 5 et 6; les sous-zones à statut périurbain : sous-zones 3, 7, 8 et 9 ; les sous zones à statut rural : sous-zones 1, 2 et 4 (1). Les lignes jaunes représentent les routes principales. Les zones à teinte grisâtre correspondent au bâti ; celles à teinte verdâtre à la végétation et celles à teinte bleue à l’eau.
Détection des changements
9Afin d'étudier les rapports entre la structure spatiale du paysage et les processus écologiques en termes quantifiables (9, 30), des indices de structure spatiale ont été calculés. D’une part, à l’échelle de toute la zone d’étude où les indices calculés comprenaient le nombre et l'aire (moyenne et totale) des taches. Ces derniers renseignent sur la fragmentation du paysage entre deux dates, car l’augmentation du nombre de taches d’une classe peut être due à sa fragmentation (9, 10, 45). L'état d'anthropisation du paysage a été apprécié à travers l'indice de perturbation (4, 25, 37), défini comme le rapport de l’aire cumulative des classes anthropiques (Bâti, Champ et végétation dégradée) et l’aire cumulative des classes naturelles (Végétation ligneuse) et l'indice de dominance défini comme le rapport de l'aire de la plus grande tache sur l'aire totale de la classe d'occupation du sol étudiée ( 34, 42). D’autre part, les changements de structure spatiale opérés dans le paysage des différentes sous-zones ont été mis en évidence à travers la proportion de chaque classe de l’occupation du sol. Il convient de noter que cette proportion consiste au rapport de la surface d’une classe de l’occupation du sol et celle de la sous-zone.
10Deux matrices de transition ont été créées afin de décrire les dynamiques de conversion d'occupation du sol entre les classes sur les périodes 1986-2003 et 2003-2017. En se basant sur les valeurs du nombre de taches et de l’aire des différentes classes d’occupation du sol retenues dans cette étude, un arbre de décision (8) a permis de déterminer les processus majeurs de transformation spatiale des paysages ; il permet de définir 10 processus, à savoir l’agrégation, la suppression, la création, la déformation, la dissection, l’agrandissement, la fragmentation, la perforation, le déplacement et le rétrécissement. Une valeur prédéfinie de t=0,5 a été utilisée afin de dissocier la fragmentation de la dissection (6, 31).
Résultats
Classifications et cartographie
11Les résultats issus de l'analyse de la performance des classifications supervisées réalisées révèlent pour chacune des images les valeurs de précision globale de 79,2%, 83,0%, 90,6% et celles du coefficient Kappa de 70,4%, 76,5% et 80,5% respectivement pour les années 1986, 2003 et 2017. Ces valeurs suggèrent que les classifications réalisées sont fiables et acceptables (30, 43). L'analyse visuelle des cartes obtenues (Figure 2) montre déjà que le bâti, les champs et la végétation dégradée sont caractérisés par une dynamique progressive au détriment de la végétation ligneuse. La classe « eau » a été exclue dans la suite des analyses au regard de sa relative stabilité (~17% à chaque date étudiée).
Figure 2: Cartes de l'occupation du sol de la ville du Cap-Haïtien (Haïti) et sa zone périphérique, issues de l'analyse d'images Landsat de 1986, 2003 et 2017.
Caractérisation de la dynamique paysagère dans la ville et sa périphérie
Dynamique de composition
12Durant les périodes étudiées (1986-2003 et 2003-2017), le paysage a été dominé par les champs et la végétation dégradée qui constituent la matrice paysagère (Tableau 1). Entre 1986 et 2003, ~6% de champs et végétation dégradée ont évolué vers le bâti et ~4% de végétation ligneuse ont été convertis en champs et végétation dégradée. Entre 2003 et 2017, une proportion de ~7% de champs et végétation dégradée a été envahie par le bâti et ~8% de champs et végétation dégradée se sont développés au détriment de la végétation ligneuse. Globalement, trois grandes dynamiques ont été repérées dans le paysage durant les deux périodes. D'abord, une extension de la surface du bâti. Ensuite, une légère diminution de la surface des champs et végétation dégradée entre 1986 et 2003 suivie d’une augmentation équivalente de leur surface entre 2003-2017. Enfin, une importante régression de la végétation ligneuse exprimée à travers des taux d'évolution respectifs de -13% et -41% respectivement entre 1986-2003 et 2003-2017.
Tableau 1 : Matrice de transition des classes d'occupation du sol entre 1986-2003 et 2003-2017
Bâti |
Végétation ligneuse |
Champs et végétation dégradée |
Totaux |
|
1986-2003 |
||||
Bâti |
7,2 |
0,3 |
3,1 |
10,5 |
Végétation ligneuse |
1,4 |
16,2 |
4,4 |
22,0 |
Champs et végétation dégradée |
6,2 |
2,7 |
41,4 |
50,3 |
Totaux |
14,8 |
19,2 |
48,8 |
|
2003-2017 |
||||
Bâti |
13,2 |
0,0 |
1,7 |
14,9 |
Végétation ligneuse |
1,2 |
10,4 |
7,7 |
19,2 |
Champs et végétation dégradée |
6,5 |
0,9 |
41,4 |
48,8 |
Totaux |
20,9 |
11,3 |
50,8 |
1% représente ~0,8 km². Les totaux ne correspondent pas à 100% parce que la classe "eau" a été exclue des analyses. Les données sont issues de l'analyse d’images Landsat de 1986, 2003 et 2017 du Cap-Haïtien (Haïti).
Dynamique structurale
13De 1986 à 2003 et 2003 à 2017, les taches de végétation ligneuse ont enregistré une augmentation de leur nombre, parallèlement à une régression de l'aire totale (Tableau 2). Le processus de transformation observé entre les deux périodes a été la dissection des taches ($t{obs =}0,59\ >\ t$=0$,05$). Pendant ces mêmes périodes, le bâti a connu un accroissement du nombre et de la surface totale des taches, suggérant la création comme processus de transformation spatial dominant (Tableau 2). Par contre, une alternance de la dissection et de la création des taches a été observée pour les champs et végétation dégradée respectivement pour les périodes de 1986-2003 et 2003-2007. En effet, un accroissement du nombre de taches en parallèle à une diminution de l'aire totale a été observée entre 1986-2003 ($t{\text{obs}}\ $=$\ 0,959$ > $t$=$0,5$), une augmentation du nombre et de l'aire totale de taches de cette classe étant enregistrée en revanche entre 2003 et 2017 (Tableau 2). Il importe cependant de noter que les changements observés de l’aire totale de cette classe sont faibles.
Tableau 2 : Analyse des aires des taches et identification des processus de transformation spatiale qui sous-tendent les changements observés (8)
Bâti |
Végétation ligneuse |
Champs et végétation dégradée |
|
1986 |
|||
N |
185 |
165 |
138 |
at (km2) |
8,7 |
17,9 |
41,8 |
ā (km2) |
0,02 |
0,11 |
0,30 |
D (%) |
69,8 |
66,8 |
95,1 |
2003 |
|||
N |
363 |
460 |
509 |
at (km2) |
12,3 |
15,8 |
40,1 |
ā (km2) |
0,03 |
0,03 |
0,08 |
D (%) |
88,2 |
74,8 |
83,4 |
2017 |
|||
n |
715 |
980 |
586 |
at (km2) |
17,3 |
9,3 |
41,7 |
ā (km2) |
0,02 |
0,02 |
0,07 |
D (%) |
79,5 |
63,4 |
88,6 |
n : nombre de taches ; at : aire totale ; ā : aire moyenne ; D : dominance des taches. Les données sont issues de l'analyse d’images Landsat de 1986, 2003 et 2017 du Cap-Haïtien (Haïti).
14En analysant la période allant de 1986 à 2017, la diminution des aires moyennes et totales des taches des champs et végétation dégradée et de la végétation ligneuse suggère une dynamique de morcellement des taches initiales en un nombre élevé de petites taches probablement couplée à un isolement spatial plus important. En parallèle, la diminution des valeurs de la dominance de ces mêmes classes semble exprimer également cette dynamique de morcellement.
Anthropisation du paysage
15L'anthropisation du paysage a été révélée par l'indice de perturbation qui a augmenté entre 1986 et 2017 (U=2,8 en 1986, U=3,3 en 2003 et U=6,4 en 2017). Ces valeurs supérieures à un suggèrent une diminution de la proportion des classes naturelles dans le paysage et leur remplacement par des classes anthropiques.
Dynamique paysagère le long du gradient urbain-rural
16Dans les sous-zones à statut urbain, il apparait une augmentation de la proportion du bâti, pendant que la végétation ligneuse (pour toute la période considérée), les champs et la végétation dégradée (principalement pour la première période) ont enregistré une régression de leur proportion (Figure 3). Ceci peut être interprété comme une dégradation ou remplacement de la végétation sous l’influence de la densification du bâti.
Figure 3: Évolution de la proportion des classes d'occupation du sol au niveau des sous-zones à statut urbain
A : sous-zone 5 ; B : sous-zone 6. La somme des proportions des classes ne correspond pas toujours à 100%, car la classe « eau » a été exclue des analyses au regard de sa relative stabilité dans le paysage de la zone d’étude. Les données sont issues de l'analyse d’images Landsat de 1986, 2003 et 2017 du Cap-Haïtien (Haïti).
17Dans les sous-zones à statut périurbain, une diminution de la proportion de végétation ligneuse a été observée durant les deux périodes étudiées pendant que celle du bâti s'est accrue particulièrement entre 2003-2017 (Figure 4). Ceci semble suggérer que la périurbanisation et la « dédensification » du bâti qui s’en suit entrainent une dégradation de la végétation. Malgré leur régression légère, les champs et végétation dégradée sont restés la matrice paysagère durant les deux périodes étudiées, sauf dans la sous-zone 3 où la présence d'une mosaïque des champs, de la végétation dégradée et du bâti a été notée (Figure 4) ; dans cette sou-zone, la classe « eau » est prédominante en occupant plus de 80% de la proportion du paysage.
Figure 4: Évolution de la proportion des classes d'occupation de sol au niveau des sous-zones à statut périurbain
A : Sous-zone 3 ; B : sous-zone 7 ; C : Sous-zone 8 ; D : Sous-zone 9. La somme des proportions des classes ne correspond pas toujours à 100% (particulièrement au niveau de la figure 4A) car la classe « eau » a été exclue des analyses au regard de sa relative stabilité dans le paysage. Les données sont issues de l'analyse d’images Landsat de 1986, 2003 et 2017 du Cap-Haïtien (Haïti).
18Quoique le bâti enregistre une augmentation relativement modeste de sa proportion (surtout dans la deuxième partie de la période étudiée), la figure 5 atteste une progression de la proportion occupée par les champs et végétation dégradée dans la zone rurale, accompagnée d'une régression de la végétation ligneuse par ailleurs amplifiée entre 2003 et 2017 notamment.
Figure 5: Évolution de la proportion des classes d'occupation de sol au niveau des sous-zones à statut rural
A : Sous-zone 1 ; B : Sous-zone 2 ; C : Sous-zone 4. La somme des proportions des classes ne correspond pas toujours à 100%, car la classe « eau » a été exclue des analyses au regard de sa relative stabilité dans le paysage. Les données sont issues de l'analyse d’images Landsat de 1986, 2003 et 2017 du Cap-Haïtien (Haïti).
19En somme, ces résultats de la dynamique d'occupation du sol le long du gradient urbain-rural montrent une progression de la proportion du bâti au détriment de la végétation dans le paysage des zones (péri)urbaine à l’exception de la sous-zone 3. Par contre, la diminution de la végétation ligneuse en zone rurale s’est effectuée au profit des champs et de la végétation dégradée.
Discussion
Approche méthodologique
20Le recours à des images de 30 m de résolution spatiale permet de répondre à l'objectif fixé par cette étude bien qu'elles ne soient pas adaptées pour des études des paysages urbanisés où la surface d'un pixel unique peut couvrir différentes occupations du sol (17, 36, 45). Au regard de ceci, le regroupement des classes a permis d'éviter ce phénomène et en même temps de réduire les erreurs de classification (5, 13, 30). Par ailleurs, l'urbanisation est une forme d'anthropisation du paysage dont l'intensité varie du noyau urbain vers la zone rurale adjacente aux villes (45). Pour qualifier les différentes zones présentes le long du gradient urbain-rural en fonction de leurs caractéristiques morphologiques, l'organigramme (1) a été préféré en raison de sa simplicité et sa rapidité d'exécution (1,11, 45).
Urbanisation, développement agricole et anthropisation du paysage
21La population capoise est sujette à une augmentation rapide avec un taux de croissance de près de 5% (26, 27), ce qui a conduit à l'expansion et à la densification plus rapide du bâti vers le sud de la ville historique au-delà même de la limite administrative du Cap-Haitien (35). Cependant, depuis quelques années, l'urbanisation progresse dans la montagne qui limitait autrefois l'extension de la ville vers le Nord et l'Ouest, malgré son statut d'aire réservée (15, 8). Cette expansion spatiale urbaine provoque de nombreuses modifications dans le paysage capois qui se manifestent par l'étalement anarchique du bâti au détriment des champs et de la végétation ligneuse dans une moindre proportion. La classe végétation ligneuse tend à se convertir en surface agricole provoquant ainsi le morcellement et probablement un isolement spatial des taches qui la composent. Ceci est particulièrement dû à la demande croissante de produits agricoles de cette population urbaine grandissante qui cherche à assurer sa subsistance en se souciant peu de la durabilité des ressources. En effet, les agriculteurs grugent de jour en jour sur ce qui reste de la végétation ligneuse diminuant ainsi la capacité de résilience de ces formations naturelles, ce qui par conséquent pourrait mener à une recrudescence des inondations (22), une augmentation du risque d'éboulement et de glissements de terrain à Cap-Haitien (15). De plus, il en résulte un ruissellement et un dépôt de grandes quantités de sédiments dans les secteurs situés en aval de la montagne lors des périodes pluvieuses, obstruant ainsi les infrastructures de drainage de la ville (18).
Dynamique paysagère le long du gradient urbain-rural
22La construction de la majorité des nouvelles maisons au niveau de la zone urbaine sur les sols marécageux des mangroves (officiellement inconstructibles) remblayés par des déchets provenant de la ville est suivie d'une régression de la proportion de la végétation ligneuse (22). Malgré cette régression alarmante des mangroves, aucune mesure de protection n'a été prise pour pallier ce problème.
23La filière du bois de feu et du charbon couvre 70% des besoins énergétiques du pays (2) pendant qu'en République Dominicaine ce taux est estimé à 12% (28). Ainsi, la production de charbon de bois et la quête du bois de chauffage couplées à la forte demande en espace pour l'agriculture contribue à la dégradation de la végétation ligneuse au niveau des zones périurbaines et rurale du Cap-Haitien. La dissection des écosystèmes naturels provoquée par ces pratiques entre autres, affecte la biodiversité en raison des modifications importantes dans leurs structures (25, 43).
24Le processus de périurbanisation de la ville du Cap-Haitien a également engendré une diminution de la proportion du champ et végétation dégradée au profit du bâti. La même tendance a été observée à Freetown (Liberia) où 882 ha de terres agricoles ont été convertis en 16 ans (1974-2000) à des fins résidentielles, en particulier en zone périurbaine, en réponse à une augmentation de la population. Ceci contribue également à un gaspillage de la ressource espace géographique particulièrement dans les zone périurbaine (6, 45). Toutefois, dans le contexte de la ville du Cap-Haïtien, cette tendance diffère en fonction du positionnement des sous-zones. En effet, celles situées au Sud de la zone d'étude sont plus accessibles à l'extension de la ville contrairement à la sous-zone 3 au Nord enclavée entre la baie à l'Est et le morne du Cap-Haïtien au nord de cette sous-zone. De plus, la majorité des terrains de la sous-zone 3 sont privés et sont ainsi mieux protégés contre le phénomène d’appropriation illégale de terre contrairement aux propriétés vacantes du domaine de l’Etat de la montagne surplombant le Cap-Haitien (18). Il est reconnu que l’extension des zones urbaines peut être influencée, entre autres, par la configuration de l’espace (leur accessibilité et leur disponibilité) (5, 19, 45). Le constat le plus remarquable en zone rurale est l'évolution grandissante de la proportion des champs et végétation dégradée accompagnée d'une diminution de celle de la végétation ligneuse. Cette tendance s'explique par la localisation des zones rurales au niveau des montagnes au Nord et à l'Ouest de la zone d'étude limitant ainsi la progression des bâtis vers ces directions au profit de l’agriculture qui est l’activité anthropique dominante de ces zones. Les sous-zones 2 et 4 situées au versant-est de la montagne du Cap-Haitien ont été toujours dominées par les champs et végétation dégradée, comparativement à la sous-zone 1 au versant-ouest dominée par la végétation ligneuse. Ceci s’explique par le fait que cette sous-zone a toujours bénéficié d’une meilleure protection suite au développement du tourisme (plusieurs stations balnéaires), mais aussi elle est plus éloignée du centre urbain. Il s’avère que le développement des activités anthropiques susceptibles d’altérer l’environnement reste largement plus évident dans une distance plus proche des centres urbains (5).
25L’augmentation de la proportion du bâti au détriment de la végétation dans le paysage des zones (péri)urbaines rend l’espace constructible plus limité dans ces zones, ce qui pourrait entrainer une saturation foncière suivie probablement des conflits fonciers.
Conclusion
26A travers l'approche cartographique couplée aux outils d'analyse de l'écologie du paysage, les résultats de notre étude indiquent une forte dynamique de la structure paysagère du Cap-Haïtien, marquée par une rapide extension du bâti soutenue par une croissance démographique accélérée. Ainsi, la création des taches du bâti en zone (péri)urbaine, de champs et de la végétation dégradée en zone rurale menace le maintien de la végétation ligneuse sous le poids de multiples dégradations. La matrice de transition confirme que l'évolution des classes anthropiques s'est principalement opérée au détriment de la végétation ligneuse qui accuse des taux d'évolution négatifs. Ceci constitue un indicateur de l’impact anthropique sur la morphologie paysagère du Cap-Haitien et qui ne cesse de s’intensifier au fil des années. La dynamique de l'occupation du sol le long du gradient urbain-rural s'est caractérisée en 31 ans (entre 1986 et 2017) par une nette progression du bâti au détriment de la végétation en zone (péri)urbaine par opposition au recul de la végétation ligneuse au profit des champs et de la végétation dégradée en zone rurale, à différents degrés suivant le relief et l’accessibilité.
27Cette étude devrait permettre aux responsables étatiques, aux ONG et à la société civile de prendre des mesures nécessaires afin d'inverser cette tendance actuelle de l'anthropisation du paysage capois, à travers une démarche intégrée de restauration des écosystèmes naturels afin de permettre à ces derniers de mieux remplir leurs fonctions écologiques.
Remerciements
28Nos remerciements à l'ARES-CCD pour avoir supporté la présente recherche : Waselin Salomon dans le cadre des programmes de Cours et stages internationaux pour l'année académique 2016–2017, Yannick Useni Sikuzani dans le cadre du PRD CCPGU et Sylvestre Cabala Kaleba dans le programme AI. Nous remercions également Emmanuel MICHEL, Directeur de CAPINORD, pour l'espace de travail mis à notre disposition durant les missions de terrain.
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Pour citer cet article
A propos de : Waselin Salomon
Enseignant-chercheur, Campus Henri Christophe de Limonade, Faculté des Sciences Agronomiques, Halieutiques et Agro-alimentaires, Limonade, Université d'Etat d'Haïti (Haïti). s.waselin1@gmail.com; +50937417208/+50933511330.
A propos de : Yannick Useni Sikuzani
Professeur Associé, Unité Ecologie, Restauration Ecologique et Paysage, Faculté des Sciences Agronomiques, Université de Lubumbashi, 1825, Lubumbashi (RD Congo).
A propos de : Akoua Tamia Madeleine Kouakou
Unité de Formation et de Recherche Environnement, Université Jean Lorougnon Guédé, 150 Daloa (Cote d'Ivoire).
A propos de : Sylvestre Cabala Kaleba
Professeur Associé, Unité Ecologie, Restauration Ecologique et Paysage, Faculté des Sciences Agronomiques, Université de Lubumbashi, 1825, Lubumbashi (RD Congo).
A propos de : Jean-Paul Barthelemy
Professeur, Unité chimie des agro-biosystèmes, Université de Liège, Gembloux Agro-Bio Tech, 5030 Gembloux (Belgique).
A propos de : Jan Bogaert
Professeur ordinaire, Unité Biodiversité et Paysage, Université de Liège, Gembloux Agro-Bio Tech, 5030 Gembloux (Belgique).