Tropicultura

0771-3312 2295-8010

 

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Mwinyi Waziri, Lebisabo Bungamuzi, Kanyama Joseph, Rammeloo Jan, NshimbaSeya Wa Malale & Degreef Jérôme

Culture de Pleurotus tuber-regium (Fr.) Singer sur substrat ligno-cellulosique en République Démocratique du Congo

(Volume 39 (2021) — Numéro 1)
Article
Open Access

Résumé

Cette étude a concerné la culture sur pailles de riz et sciure de bois de Gilbertiodendron dewevrei de Pleurotus tuber-regium, espèce fongique tropicale appréciée pour sa saveur et ses propriétés médicinales. Les blancs ont été obtenus localement par isolement de spores de spécimens récoltés dans leur environnement naturel aux environs de Kisangani (RD Congo). La formation de sporophores est conditionnée à celle de sclérotes 14 jours au préalable. Trois poussées ont été enregistrées avec un rendement total de 42,25 % qui peut être considéré comme très satisfaisant et de loin supérieur au rendement économique de 20 % généralement reconnu pour qu’un substrat soit jugé approprié à la production de champignons.

Abstract

This study concerned the cultivation on rice straw and Gilbertiodendron dewevrei sawdust of Pleurotus tuber-regium, a tropical fungal species appreciated for its flavour and its medicinal properties. The spawns were obtained locally by isolating spores from specimens collected in their natural environment around Kisangani (DR Congo). The formation of sporophores is conditional to the formation of sclerotia 14 days beforehand. Three outbreaks were recorded with a total yield of 42.25 %, which can be considered very satisfactory and far above the generally accepted economic yield of 20 % for a substrate to be considered suitable for mushroom production.


Introduction

1Les champignons sauvages comestibles jouent un rôle important dans la survie des populations rurales en Afrique tropicale. Ils sont particulièrement recherchés pour leur valeur nutritive élevée ainsi que leur valeur marchande, et près de 300 espèces y sont consommées par les populations locales (Rammeloo & Walleyn, 1993 ; FAO, 2006 ; De Kesel & Malaisse, 2010 ; Eyi et al., 2011 ; Degreef & De Kesel, 2017). De nombreuses espèces de champignons sauvages sont récoltées au rythme d’apparition de leurs sporophores dans leur milieu naturel, généralement durant quelques semaines en période pluvieuse.

2Des études taxonomiques permettent d’inventorier progressivement la diversité de ces champignons comestibles africains mais très peu de souches sauvages ont, jusqu’ici, fait l’objet d’essais de mise en culture, particulièrement en Afrique centrale (Degreef et al., 2016 ; Diansambu et al., 2015 ; Dibaluka et al., 2010 ; Yongabi, 2014). Pleurotus tuber-regium (Fr.) Singer est une espèce comestible saprotrophe, dont le cycle de vie est associé au développement d’un sclérote souterrain globuleux qui peut atteindre jusqu’à 30 cm de diamètre. Ce caractère très rare chez les macromycètes en permet une identification immédiate et ne prête à aucune confusion. Bien que son rattachement au genre Pleurotus ait été confirmé par des études moléculaires (Hitoshi &Takao, 1995; Njouonkou, 2011), de nombreux auteurs persistent à maintenir l’espèce sous Lentinus tuber-regium Sing. (Zmitrovich & Kovalenko, 2016) en raison de ses caractères macroscopiques plus proches de ceux des lentins que des pleurotes, et notamment par la présence de tissus dimitiques. L’origine australasienne de Pleurotus tuber-regium a été révélée par l’étude phytogéographique d’Isikhuemhen et al. (2000).

3Elle est ainsi rapportée d’Australie et de Papouasie-Nouvelle Guinée, mais également de Madagascar, d’Inde, du Sri Lanka, des Iles Salomon et de nombreux pays d’Afrique où elle est très appréciée comme aliment (Pegler, 1983).

4En Afrique tropicale, l’espèce est signalée dans tous les types de forêts et dans les plantations, notamment au Bénin, au Burundi, au Cameroun, en République du Congo, en République démocratique du Congo, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Ghana, en Guinée, au Kenya, au Liberia, au Nigéria, en Ouganda, en Sierra Leone, en Tanzanie, au Tchad, en Zambie et au Zimbabwe (Degreef & De Kesel, 2017). Outre les qualités nutritionnelles du sporophore (Apetorgbor et al., 2013 ; Okhuoya & Isikhuemhen,1999), le sclérote est également utilisé à des fins thérapeutiques et est alors généralement réduit en poudre après séchage (De Kesel et al., 2017 ; Eyi et al., 2011; Isikhuemhen & Nerud,1999).

5Des études biochimiques ont ainsi mis en évidence la présence de composés actifs tels que des flavonoïdes, des phénols, différents alcaloïdes, des glycosides, des protéines et des enzymes dans le sclérote (Apetorgbor et al., 2013 ; Chenghua et al., 2000; Fasidi & Ekuere, 1993 ; Isikhuemhen & Nerud, 1999 ; Nwokolo, 1987 ; Wang & Ng, 2001 ; Zhang et al., 2001). Elles ont également révélé son intéressant pouvoir anti-oxydant (Sukumar etal., 2018).

6Au Nigéria, les médecins utilisent ces sclérotes pour la préparation d’un remède qu’ils administrent aux femmes enceintes afin d’aider le développement du fœtus (Oso, 1977). Au Ghana, ce même sclérote est utilisé pour soulager les maladies liées à la malnutrition et à l’anémie chez les enfants (Isikhuemhen & Okhuoya, 1995). Le sclérote aurait également des pouvoirs coagulants et désinfectants (Chengua et al., 2000 ; Yongabi et al., 2011).

7Un compte rendu ethnographique sur les bénéfices de la consommation de ce champignon a été publié par Baeke (2005). Le mycélium de Pleurotus tuber-regium aurait même la capacité d’améliorer les sols pollués aux hydrocarbures (Adenipekun, 2008 ; Isikhuemhen et al., 2003).

8Une technique empirique de culture de Pleurotus tuber-regium est pratiquée dans la plupart des pays où l’espèce est signalée. Elle consiste à repérer la présence de l’espèce aux sporophores qui émergent du sol, à creuser quelques dizaines de centimètres et à prélever le volumineux sclérote souterrain qui est alors ramené au village et généralement enterré dans un endroit frais, humide et ombragé (Zadrazil & Kurtzman, 1982).

9Cette pratique culturale a été adoptée avec succès par des chercheurs nigérians afin de maximiser la production de sporophores de Pleurotus tuber-regium en conditions contrôlées (Fasidi & Olorunmaye, 1994 ; Isikhuemhen & Okhuoya, 1995,1996; Oghenekaro et al., 2008 ; Okhuoya & Etugo, 1993 ; Okhuoya & Okogbo, 1990, 1991 ; Okhuoya et al., 1998). Elle présente néanmoins l’inconvénient majeur de faire dépendre la mise en œuvre de la culture de la disponibilité de sclérotes prélevés en milieu naturel et dont la capacité à fournir des sporophores diminue en cours de production en raison de l’épuisement de leurs ressources.

10Par ailleurs, en déterrant un sclérote et en l’utilisant comme semence, aucune garantie n’est donnée au producteur que la productivité de cette souche sauvage sera intéressante. Pour faire face à ces contraintes, la présente étude a opté pour une technique d’isolement de souche de Pleurotus tuber-regium à partir de spores, suivie de la production de blanc de semis. Cette méthode présente l’avantage de permettre de sélectionner et de conserver sur milieu gélosé les souches les plus performantes, tant au niveau de la croissance mycélienne que de leur capacité à produire des quantités importantes de sporophores.

11Une technique apparentée, consistant à prélever un fragment de sclérote pour produire du blanc de semis, a précédemment été adoptée lors d’une étude dont l’objectif principal était d’estimer la valeur nutritive des sporophores de Pleurotus tuber-regium (Apetorgbor et al., 2013).

Matériel et Méthodes

Isolement de la souche et mise en culture

12Un sporophore frais (spécimen P0252019Kis conservé en herbier à l’Université de Kisangani) a servi de matériel de référence pour l’obtention de spores. Un fragment du chapeau du spécimen frais est prélevé et fixé à l’ouverture d’un tube à essai à l’aide de ruban Parafilm, face hyméniale dirigée vers le milieu de culture PDA (filtrat de cuisson de 200 g de pommes de terre + 20 g d’agar-agar + 20 g de dextrose porté à 1 l et dilué dans 1 l d’eau déminéralisée) (Dibaluka, 2005) (Figure 1). Le tube est mis à incuber à l’obscurité et à température ambiante durant 12 à 14 jours jusqu’à envahissement complet du milieu gélosé par le mycélium.

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Figure 1 : Isolement de souche à partir d’une sporée

13Le substrat de semis est préparé à partir de grains de sorgho traités comme suit : nettoyage à l’eau propre, cuisson (15 min), égouttage, ajustement du pH voisin de la neutralité avec de la chaux éteinte (2 %), répartition du milieu (300 g) dans des bocaux fermés par un tampon d’ouate placé sous un couvercle vissé, stérilisation à l’autoclave (120°C, 1 h, 1 atm).

14L’inoculation du substrat de semis avec le mycélium de la culture pure prélevé sur milieu gélosé est réalisée dans des conditions de stricte asepsie sous flux laminaire, à côté d’une flamme à gaz.

15L’incubation des grains de sorgho est menée dans une armoire aérée à l’obscurité (27-29°C, 15 jours).

16Le substrat de fructification constitué de pailles de riz et de sciure de bois de Gilbertiodendron dewevrei est préparé et mis à tremper dans l’eau pendant 24 h. Il est ensuite égoutté et mis à fermenter sous bâche pendant 10 jours, puis composté pendant 30 jours. La teneur en eau du substrat de fructification avoisine alors 65 %.

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Figure 2 : Ballots fructifères avec anneau de 3 cm à l’encolure bouché d’ouate et couvert de papier aluminium.

17La confection des ballots de fructification est réalisée par remplissage de sacs en plastique thermorésistants et doublés (19 × 28 cm) contenant 600 g de substrat (figure 2) dont la composition est donnée au tableau 1. Les sacs sont ensuite pasteurisés à l’autoclave à 120°C pendant 1 h 20 min sous une pression de 1 atm.

Tableau 1 : Composition des substrats de fructification des ballots fructifères

Substrat

Poids (g)

Proportion (%)

paille de riz

6000

68

sciure de bois

1200

20

son de riz

600

10

Gypse

120

2

18Le lardage du substrat est réalisé 24 h après pasteurisation, en conditions aseptiques sous flux laminaire, à raison d’une cuillère à café de blanc de semis par ballot de fructification. Les ballots sont ensuite incubés dans des armoires à température ambiante (28°C) et dans l’obscurité. L’uniformisation des conditions d’incubation est assurée par un déplacement aléatoire des ballots à l’intérieur de l’armoire, deux fois par semaine. L’incubation se poursuit avec l’envahissement total du substrat de production par le mycélium suivi de l’apparition des sclérotes. La technique du gobetage est utilisée pour la phase de production. Les ballots de fructification contenant les sclérotes sont incisés et placés dans des caisses en bois puis enfouis sous de la terre meuble.

Analyse des données

19La vitesse de croissance du mycélium est estimée par mesurage, à l’aide d’une règle graduée, de l’envahissement du milieu de culture. Elle est calculée sur le milieu de culture gélosé, sur le substrat de semis ainsi que sur le substrat des ballots de fructification.

20La production de 17 ballots de fructification est évaluée par pesée du poids frais des sporophores produits par ballot lors de chacune des trois levées successives. L’analyse pour la comparaison des moyennes est réalisée sur les données des trois levées. Le rendement de production est estimé en pourcentage du poids total de sporophores frais obtenu par rapport au poids total de substrat des ballots de fructification.

21Un test ANOVA est utilisé pour comparer les moyennes de production et un test de Tukey pour réaliser une comparaison multiple des moyennes.

Résultats

Croissance du mycélium

22La vitesse moyenne de croissance du mycélium est de 0,24 ± 0,11 cm/jour sur milieu PDA, de 0,75 ± 0,29 cm/jour sur le substrat de semis constitué de grains de sorgho et de 0,90 ± 0,33 cm/jour sur le substrat des ballots de fructification.

Productivité en sporophores

23L’envahissement complet des ballots de fructification par le mycélium est observé après 27 jours d’incubation. Quatorze jours s’écoulent ensuite avant la formation des sclérotes. La première levée survient 10 jours après la mise en terre des ballots fructifères contenant les sclérotes (Figure 3). La récolte est réalisée 3 à 4 jours après l’apparition des sporophores car ceux-ci deviennent rapidement coriaces et leur appétence en est diminuée. Deux autres levées se succèdent à un intervalle d’environ 30 jours.

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Figure 3 : Production de sporophores de Pleurotus tuber-regium par technique de gobetage

24La productivité en sporophores est détaillée au tableau 2.

Tableau 2 : Productivité en sporophores (g) de 17 ballots de 600 g chacun

Levée 1

Levée 2

Levée 3

Poids total (g)

2354,4

1317

638,6

Poids moyen (g) par ballot

138,49 ± 45,90

77,47 ± 28,33

37,56 ± 24,88

Rendement (%)

23,08 ± 0,55

12,91 ± 0,31

6,26 ± 0,15

25À l’issue des trois levées, les 17 ballots de fructification de 600 g (soit 10.200 g de substrat) ont produit un total de 4310 g de sporophores frais, soit un rendement total de 42,25 %.

26Le poids le plus élevé est enregistré lors de la première levée et diminue ensuite jusqu’à l’épuisement du substrat. Le rendement par levée est obtenu en divisant le poids total de sporophores produits par le poids total du substrat. La comparaison des poids moyens obtenus par levée est illustrée dans la figure 4.

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Figure 4 : Evolution du poids moyen en sporophores (g) par ballot au cours de la production.

27Les tests de comparaison multiple des moyennes de production et des rendements de chaque levée révèlent qu’elles diffèrent significativement les unes des autres (p < 0,05), notamment en raison de l’épuisement du milieu, au fur et à mesure de la production.

Conclusion

28La méthode de fructification de Pleurotus tuber-regium à partir de blanc de semis (obtenu non à partir de sclérotes mais par isolement de spores de spécimens récoltés dans leur environnement naturel) a donné des résultats prometteurs. Cette méthode ainsi que les résultats obtenus ouvrent des perspectives quant à la possibilité de sélectionner, en Afrique tropicale, des souches performantes de Pleurotus tuber-regium pour la mise en culture. Cet essai préliminaire, limité à une souche sauvage isolée dans les environs de Kisangani en République démocratique du Congo, a en effet démontré une vitesse de croissance du mycélium importante et des rendements de production en sporophores encourageants. Le rendement total de 42,25 % obtenu à l’issue de notre expérimentation peut en effet être considéré comme très satisfaisant et de loin supérieur au rendement économique de 20 % généralement reconnu pour qu’un substrat soit jugé approprié à la production de champignons (Dibaluka et al., 2010 ; Oei, 2016). La réussite de la culture de Pleurotus tuber-regium apparaît très dépendante du choix du substrat comme en témoignent les échecs enregistrés sur feuilles de jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes) et pailles de millet (Eleusine coracana) (Apetorgbor et al., 2013). Le mélange de riz paddy et de sciure de bois utilisé dans le présent essai constitue une alternative aux feuilles de bananier plantain ou à la sciure de bois compostée (Triplochiton scleroxylon) qui assurent également une production de sporophores de cette espèce (Apetorgbor et al., 2013). L’enjeu est désormais de réduire les délais entre les levées à travers une sélection de souches de diverses origines.

Remerciements

29Le premier auteur remercie le Projet VLIR-UOS pour l’appui financier dans la réalisation de ce projet, les différentes formations en mycologie et algologie dont il a bénéficié ainsi que le soutien dans sa participation à différents symposiums sur la mycologie.

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To cite this article

Mwinyi Waziri, Lebisabo Bungamuzi, Kanyama Joseph, Rammeloo Jan, NshimbaSeya Wa Malale & Degreef Jérôme, «Culture de Pleurotus tuber-regium (Fr.) Singer sur substrat ligno-cellulosique en République Démocratique du Congo», Tropicultura [En ligne], Volume 39 (2021), Numéro 1, URL : https://popups.uliege.be/2295-8010/index.php?id=1695.

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