Tropicultura

0771-3312 2295-8010

 

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El Hadji Balla Diéye, Tidiane Sané, Boubacar Solly, Boubacar Demba Ba, Ngor Ndour, Oumar Sy, Mamadou Thior, Victor Mendy, El Hadji Sidy Babacar Tall, Catherine Mering & Amadou Tahirou Diaw

Dynamique de la mangrove et perceptions locales dans le Département d’Oussouye (Basse-Casamance, Sénégal) entre 1972 et 2018

(Volume 40 (2022) — numéro 1)
Article
Open Access

Résumé

En Basse-Casamance, la mangrove constitue un écosystème particulier qui abrite de nombreuses ressources et reste le siège des principales activités rurales. Dans la zone d’Oussouye, cette mangrove a connu une régression importante au cours des décennies 1970 et 1980. L’étude de sa dynamique spatio-temporelle, à partir des outils de la géomatique couplés à des enquêtes de terrain, a permis d’appréhender son déclin, entre 1972 et 1994 de -42 % ; et son évolution positive de +22,44 % entre 1994-2018. Les facteurs à l’origine de la régression durant les années 70 et 80 sont principalement le déficit pluviométrique avec comme conséquences la salinisation et l’acidification des terres, et la faiblesse de la régénération naturelle. L’étude a aussi montré que les actions anthropiques telles que la coupe du bois pour diverses raisons et des racines échasses ont longtemps porté préjudice aux écosystèmes de mangrove. La reprise constatée au cours des dernières décennies est à replacer dans le contexte du retour de la pluviométrie à une situation meilleure et à la prise de conscience des populations du rôle stratégique et important de la mangrove.

Index de mots-clés : Mangrove, Dynamique, Gestion, Cartographie, Basse-Casamance, Sénégal

Abstract

Mangrove dynamics and local perception in the Department of Oussouye (Basse-Casamance, Senegal) between 1972 and 2018.

In Lower-Casamance, the mangrove is a particular ecosystem that is home to many resources and remains the seat of the main rural activities. In the Oussouye area, this mangrove has experienced a significant decline during the 1970s and 1980s. The study of its spatio-temporal dynamics, using geomatics tools coupled with field surveys, made it possible to apprehend its decline between 1972 and 1994 of -42 %; and its positive evolution of +22.44 % between 1994-2018. The factors behind the decline during the 1970s and 1980s were mainly the rainfall deficit, with the consequences of salinization and acidification of the land, and the weakness of natural regeneration. The study also showed that anthropogenic actions such as cutting wood for various reasons and stilt roots have long harmed mangrove ecosystems. The recovery observed in recent decades is to be seen in the context of the return of rainfall to a better situation and the awareness of the populations of the strategic and important role of the mangrove.

Index by keyword : Mangrove, Dynamics, Management, Mapping, Lower-Casamance, Senegal

Introduction

1Depuis plusieurs années, l’opinion publique a pris conscience de la dégradation et de la diminution des ressources naturelles mais aussi de la nécessité de leur utilisation rationnelle et de leur conservation. Parmi ces ressources, nous avons la mangrove, un écosystème vulnérable. Longtemps considérées comme des milieux inhospitaliers, les mangroves sont désormais reconnues « d’utilité publique » et présentent un intérêt tant sur le plan économique (Cormier-Salem, 1992 ; Werner, 1995) qu’écologique et restent une zone d’une originalité structurale et fonctionnelle remarquable. Aussi, elles jouent un important rôle dans les chaînes trophiques côtières (Ndour, 2005) et représentent une importante source de revenus et de moyens de subsistance pour les populations. Les mangroves du Sénégal et de la Gambie sont les plus septentrionales de type atlantique sur la côte africaine.

2Les écosystèmes les plus importants restent ceux des estuaires du Saloum, de la Gambie et de la Casamance (Marius, 1985 ; Diéye et al., 2013b). Ils ont connu ces dernières années de profondes modifications suite à la forte instabilité climatique et aux actions anthropiques (Andrieu, 2008 ; Diéye et al., 2013a ; Diédhiou & Mering, 2019 ; Diéye et al., 2021). Des études antérieures ont montré une diminution de leurs superficies. Ainsi, à Saint-Louis, les mangroves sont à l’état de reliques, alors que dans l’estuaire du Saloum, la mangrove a perdu 25  % de sa superficie dans les années 1990 à cause de l’importance de la baisse de la pluviométrie (Diéye et al., 2013b).

3En Casamance, et particulièrement dans le département d’Oussouye (fig. 1), les modifications survenues au sein de la mangrove n’ont pas été jusque-là correctement évaluées. La vulnérabilité de l’écosystème du fleuve Casamance tient en grande partie de sa dépendance vis-à-vis des précipitations (Sané et al., 2010). Cependant, la sécheresse qui a sévi dans le pays durant les années 1970 et 1980, s’est caractérisée par une diminution des précipitations et la contraction de la saison des pluies. Cette situation a eu pour conséquences une importante augmentation de la salinité des cours d’eaux et des nappes phréatiques (Bassel, 1993), une modification considérable de la zonation végétale, une extension des zones nues aux dépens de la mangrove, une raréfaction de certaines espèces végétales et une baisse de la diversité de l’ichtyofaune et de la production rizicole, activité traditionnellement importante dans les mangroves de la Casamance (Marius, 1985).

4Bien que la dynamique spatiale de la mangrove au Sénégal reste le plus souvent influencée par des facteurs naturels, les actions anthropiques demeurent aussi non négligeables (Giulia, 2009 ; Diéye et al., 2013a ; Solly et al., 2018 ; Soumaré et al., 2020). En effet, les coupes abusives, l’inadaptation du mode d’exploitation des huîtres, les effets négatifs des barrages hydro-agricoles, le manque d’application de la législation sur l’écosystème de mangrove surtout dans les zones classées… ont causé des dommages importants à cet écosystème.

5Face à tout cela, cette étude cherche à comprendre la dynamique spatio-temporelle de la mangrove dans le département d’Oussouye et ses impacts. De manière spécifique, il s’agit de : cartographier et d’évaluer les changements spatio-temporels de la mangrove ; analyser les différents facteurs responsables des changements observés ; déterminer les impacts sur les activités socio-économiques ; et évaluer le niveau de sensibilisation des acteurs et les actions prises ou envisagées pour la réhabilitation de cet écosystème de mangrove.

Matériel et méthodes

Présentation de la zone d’étude

6Le département d’Oussouye est situé dans l’estuaire de la Casamance, au sud du Sénégal (fig. 1). Il couvre une superficie de 891 km² et une population estimée à 48 331 habitants (ANSD, 2017).

Image 1000000000000C270000081F0863E72EC65BA46D.pngFigure 1. La situation géographique de la zone d’étude

7En Basse Casamance, le département d’Oussouye est la zone la plus pourvue en mangrove qui forme une formation végétale amphibie localisée dans la zone intertidale. Elle se particularise aussi par la variété de ses ressources et des activités qui s’y mènent (riziculture, pêche, cueillette des huîtres et des arches, etc.). Au-delà de son rôle protecteur des côtes contre l’érosion, la mangrove fournit aussi des substances nutritives, du bois de chauffe et de service, de la matière première à la pharmacopée, etc., qui sont des produits indispensables aux communautés côtières.

8Du point de vue climatique, le département d’Oussouye appartient au domaine sud-soudanien côtier caractérisé par les influences océaniques (Sané et al., 2010). Deux saisons nettement tranchées, dues à l’alternance de la circulation des alizés et de la mousson, caractérisent l’ensemble de la zone.

Données utilisées

9La cartographie diachronique de la mangrove a nécessité l’utilisation de l’imagerie spatiale pour une bonne discrimination des faciès. Les images satellitaires utilisées sont celles acquises par le satellite Landsat en 1972, 1988, 1994, 2000, 2010 et 2018 (Tableau 1).

Tableau 1 : Données satellitaires utilisées

Satellite

Série

Capteur

Date

Résolution spatiale

Landsat

L1

MSS

05/11/1972

60 m

L5

TM

29/11/1988

30 m

L5

TM

04/04/1994

30 m

L7

ETM+

06/11/2000

30 m

L5

TM

26/11/2010

30 m

L8

OLI_TIRS

16/01/2018

30 m

10Bien que l’image MSS de 1972 soit de faible résolution (60 m), elle apporte cependant des informations indispensables à une meilleure compréhension des dynamiques anciennes. Quant aux autres images, elles sont produites dans des résolutions suffisantes pour cartographier la dynamique spatio-temporelle de la mangrove (Diéye, 2007 ; Andrieu, 2008).

11Les données pluviométriques de la station d’Oussouye sur la période 1951-2018 ont été utilisées pour déterminer le rôle de la variabilité pluviométrique sur les changements intervenus. Également, des enquêtes ménages ont été réalisées pour mieux comprendre les changements, les facteurs de changements, les impacts et les stratégies de gestion de la mangrove.

La cartographie de l’évolution spatiale de la mangrove

12La cartographie des changements nécessite une bonne superposition des images Landsat acquises à des dates différentes et avec des capteurs différents. Pour cela, les bandes spectrales plus récentes de 2018 ont été choisies comme références pour effectuer le ré-échantillonnage des pixels des autres bandes spectrales notamment de l’image Landsat MSS (1972) et leurs corrections géométriques (Diéye et al., 2013b ; Solly et al., 2018) en utilisant un polynomial de degré n dont le nombre de points de contrôle au sol ou GCP (Ground Control Points) sélectionné est supérieur à (n+1)² et une erreur résiduelle inférieure à 0,1.

13Par la suite, la méthode de classification supervisée a été utilisée pour regrouper les pixels à partir de la valeur spectrale. Elle est renforcée par une bonne connaissance de terrain (à travers des enquêtes, entretiens, relevés de points GPS) et sur certains résultats issus de la cartographie dynamique (Conchedda et al., 2008 ; Andrieu & Mering, 2008 ; Diéye et al., 2015) et celles participatives (Cormier-Salem & Sané, 2017 ; Sané et al., 2017). Huit (8) classes ont été cartographiées pour caractériser l’occupation du sol : eau, mangrove dense, mangrove peu dense, tannes humides, tannes secs, végétation dense, végétation peu dense à clairsemée, et zones de culture et sols nus. Le taux d’évolution de la mangrove a été calculé selon la formule suivante : (S2-S1/S1) x 100 avec S1, la superficie de l’année de départ ; S2, la superficie de l’année d’arrivée (Caloz & Collet, 2001).

14Pour étudier les modifications intervenues au sein de la mangrove, nous avons centré la cartographie des changements sur les thèmes mangrove (mangrove dense et mangrove peu dense), tanne, et eau. Les autres thèmes sont regroupés dans la classe autres facies. Aussi, nous nous sommes intéressés à trois changements : les régressions, qui correspondent à la diminution d’une classe au profit d’autres (changement négatif) ; les progressions, qui correspondent à l’augmentation d’une classe au détriment d’autres (changement positif) ; la stabilité, lorsqu’une classe ne subit aucun changement pendant la période d’étude.

L’analyse des données climatiques

15L’analyse des données pluviométriques de la station d’Oussouye s’est appuyée sur des outils statistiques pour déterminer la significativité des changements et identifier la non-stationnarité des séries. Nous avons choisi le test de Pettitt (1979) en raison de sa robustesse et de ses performances. Ce test, non paramétrique et libre, dérive du test de Mann-Kendall et permet de déterminer la rupture dans une série à une date inconnue. Il consiste à découper la série principale de N éléments en deux sous séries à chaque instant t compris entre 1 et N-1.

16La série principale présente une rupture à l’instant t si les deux sous séries ont des distributions différentes. Son hypothèse nulle étant l’hypothèse de non-rupture. Les hypothèses du test sont H0 : la série est stationnaire ; H1 : la série présente une rupture. Nous avons aussi utilisé la méthode des anomalies standardisées qui permet de montrer les excédents (chiffres de signe positif) et les déficits (chiffres de signe négatif) pluviométriques dans une série.

Les enquêtes de terrain et le traitement des données collectées

17Les enquêtes de terrain ont nécessité la confection de questionnaire et la définition de critères pour la sélection des localités où se sont déroulées les enquêtes. Les critères sont : importance et représentativité de la mangrove dans le terroir villageois, poids démographique (ANSD, 2006), sécurité et accessibilité de la localité, existence de pratiques influencées par la mer et la mangrove, risque et vulnérabilité (érosion côtière, salinisation, changements de paysages…) ; existence de pratiques de conservation de l’écosystème et position transfrontalière (avec la Guinée-Bissau). Un pas de sondage de 32  % a été défini et appliqué, soit un total de 18 villages d’enquêtes (fig. 2) sur les 55 que comptent les quatre (4) communes « rurales » du département.

Image 10000000000010FF00000AF84821D881BA2D6101.pngFigure 2 : Localisation des villages d’enquêtes dans les communes « rurales » du département d’Oussouye

18Pour les ménages, un taux de sondage de 10  % a été retenu, soit un total de 305 ménages d’enquêtes répartis dans les 4 communes : Diembéring (87 ménages), Mlomp (147 ménages), Oukout (45 ménages), Santhiaba Manjacques (26 ménages). De manière générale, 64,9  % des personnes interrogées sont des hommes contre 35,1  % des femmes. En ce qui concerne l’âge des personnes enquêtées, 88,2  % sont âgées de plus 35 ans, ce qui garantit une certaine fiabilité des résultats par rapport à l’historique de la dynamique de la mangrove.

19Le traitement des données issues des enquêtes de terrain a été réalisé selon des méthodes statistiques appropriées. En effet, les données ont été saisies sur un masque électronique élaboré à l’aide du logiciel CSPRO tandis que le traitement statistique et l’analyse ont été exécutés dans le logiciel SPSS. Le plan d’analyse tient particulièrement compte des différenciations selon les zones et les caractéristiques des communes sur lesquelles ont porté les investigations.

Résultats

Cartographie de l’occupation des sols en 1972, 1988, 1994, 2000, 2010 et 2018 du Département d’Oussouye

20L’étude de la dynamique de la mangrove a été réalisée sur la base de cartographies diachroniques à partir de l’imagerie spatiale. Elle met en évidence l’évolution des différents faciès à mangrove et permet la visualisation des zones où elle a le plus évolué. L’analyse des statistiques de l’occupation du sol révèle une forte évolution des faciès à mangrove (fig 3).

Image 10000001000009B800000466E40E6F21774B53C7.pngFigure 3 : Évolution de l’occupation du sol dans le département d’Oussouye entre 1972 et 2018

Valeurs exprimées en ha.

21En effet, entre 1972 et 1988, les faciès mangrove dense ont progressé de +42,32 % alors que ceux de mangrove moins dense ont régressé de -39,14 % soit une perte globale de -26,92 % de mangrove pendant cette période. Entre 1988 et 1994, il a été noté une perte globale de -20,63 % ; soit -4,48 % pour la mangrove peu dense, et -59,81 % pour la mangrove dense. Par contre, la mangrove a évolué positivement pendant les périodes 1994-2000 (mangrove dense : -95,33  % ; mangrove peu dense : +31,93  % soit un total de +13,11 %), 2000-2010 (mangrove dense : +2711,69  % ; mangrove peu dense : -4,62  % soit un total de +11,92 %) et 2010-2018 (mangrove dense : +123,59  % ; mangrove peu dense : -7,09  % soit un total de +12,90 %).

Cartographie diachronique de la mangrove du Département d’Oussouye

22Les différents traitements cartographiques ont permis la localisation spatiale des différents changements au sein de la mangrove du département d’Oussouye entre 1972 et 2018. En effet, les régressions se retrouvent essentiellement dans les zones périphériques de la mangrove correspondant à la limite inférieure des tannes. Elles sont plus importantes dans les parties Est et Sud-Est du département et principalement dans les zones de Niambalang, Youtou et Batinière où la disparition de la mangrove a été très marquée entre 1972 et 1988, (fig. 4).

Image 100000000000114800000B9CD6E20DF2906679C5.pngFigure 4 : Évolution de la mangrove dans le département d’Oussouye entre 1972 et 2000

23Les dynamiques notées en 1994 et 2000, se sont confirmées entre 2000 et 2018 avec une stabilité et une apparition de la mangrove plus importante et une disparition encore plus faible (fig. 5). Cette apparition de mangrove est essentiellement localisée dans les parties où la disparition était importante entre 1972 et 1988. Aussi, la spatialisation des évolutions nous renseigne que, dans la zone comprise entre Djiramate, Nianbalang et Youtou, les étendues de tannes restent toujours importantes.

Image 100000000000116200000BA2F1A02C85521F2754.pngFigure 5 : Évolution de la mangrove dans le département d’Oussouye entre 2000 et 2018

24La synthèse des changements spatiaux au sein de la mangrove entre 1972 et 2018 (fig. 6) indique une perte de surfaces beaucoup plus marquée dans la zone comprise entre Djiramate, Nianbalang et Youtou. En effet, la mangrove dans ce secteur peine toujours à retrouver son envergure ; même s’il faut reconnaître une régénération relativement importante notée en 2018 autour de Batinière. Aussi, la synthèse des changements montre une progression importante de la mangrove autour de la Pointe Saint-George, et dans la partie ouest du département.

Image 100000000000115800000BA7EE89BABC998119B0.pngFigure 6 : Analyse rétrospective de l’évolution de l’emprise spatiale de la mangrove en 2018

Les facteurs naturels et anthropiques à l’origine de la dynamique de la mangrove à Oussouye

L’instabilité pluviométrique

25Les conditions climatiques constituent un facteur écologique important dans le fonctionnement et la répartition des écosystèmes. La vulnérabilité de la mangrove est élevée du fait de sa dépendance aux conditions climatiques. L’analyse de la pluviométrie de la station d’Oussouye montre que celle-ci a connu une très forte instabilité interannuelle.

26Le test de Pettitt, appliqué à l’analyse de la pluviométrie interannuelle à la station pluviométrique d’Oussouye, pour la période 1951-2018, indique une rupture dans la série en 1968 et une très forte variabilité avec des déficits et excédents assez importants. Après le signal donné en 1968, les périodes 1980-1987, 1992-1995 et 2002-2007 se distinguent par des déficits significatifs (fig. 7).

Image 1000000100000B980000046E999C1385736BAC9C.pngFigure 7 : Test de Pettitt et Indices pluviométriques à Oussouye (1951-2018)

27Ces périodes de déficits s’inscrivent globalement dans la plus grande sécheresse du siècle en Afrique de l’Ouest survenue durant les années 1970 et 1980. En effet, la réduction du volume et de la fréquence des précipitations combinée à la faiblesse de la pente du fleuve Casamance ont provoqué une augmentation considérable de la salinité de ce cours d’eau et des écosystèmes associés.

28Les résultats des enquêtes de terrain corroborent la thèse selon laquelle le climat a influencé fortement la dynamique de l’écosystème de mangrove. Le pourcentage de réponses positives des populations qui incriminent la sécheresse dans la disparition de la mangrove se situe entre 33,6  % et 42,6  % (Tableau 2).

Tableau 2 : Principales causes de la dégradation de la mangrove selon la population enquêtée

Facteurs de dégradation

Diembéring

Mlomp

Oukout

Santhiaba Manjacques

Ensemble

%

%

%

%

%

Sécheresse

33,6

39

40,4

42,6

38,9

Salinisation

24,8

25,8

29,4

37

29,25

Déboisement local

18,1

28,4

28,4

16,7

22,9

Surpêche

0

2,6

0,9

0

0,88

Abandon des terres

1,3

0,9

0,9

0

0,78

Plus de personnes

0,7

0,3

0

0

0,25

Avancée de la mer

0,7

0,3

0

0

0,25

Ne sait pas

9,4

1,2

0

0

2,65

Non réponse

11,4

1,5

0

3,7

4,15

Total

100

100

100

100

100

29Les ménages enquêtés estiment que la tendance générale observée dans l’écosystème est la dynamique régressive avec 62  % dans la commune de Diembéring, 89,1  % à Mlomp, 88,9  % à Oukout et 80,6  % à Santhiaba Manjacques (Tableau 3).

Tableau 3 : La dynamique de la mangrove selon les personnes enquêtées

Variables

Diembéring

Mlomp

Oukout

Santhiaba Manjacques

Total

Effectifs

%

Effectifs

%

Effectifs

%

Effectifs

%

Effectifs

%

Très forte augmentation

13

14,9

6

4,1

1

2,2

1

3,8

21

6,9

Faible augmentation

7

8

5

3,4

3

6,7

2

7,7

17

5,6

État statique

9

10,3

4

2,7

1

2,2

2

7,7

16

5,2

En régression

43

49,4

116

78,9

17

37,8

6

23,1

182

59,7

Très forte régression

11

12,6

15

10,2

23

51,1

15

57,7

64

21

Ne sait pas

4

4,6

1

0,7

0

0

0

0

5

1,6

Total

87

100

147

100

45

100

26

100

305

100

30L’analyse de la dynamique des faciès à mangrove entre 1972 et 1988 montre que la mangrove d’Oussouye est l’une des plus touchées par la sécheresse dans la région. Cette sécheresse, en plus d’avoir entrainé la perte de surfaces de mangrove à cause du déficit pluviométrique, est aussi à l’origine de la salinité et de l’acidification qui ont été néfastes à l’écosystème.

La salinisation et l’acidification

31La salinité joue aussi un rôle important sur l’efficacité métabolique des espèces végétales, en particulier sur la productivité de la mangrove. Avec le déficit prolongé de la pluviométrie, le domaine fluvio-marin fonctionne sous l’influence du régime hydrologique marin. La faiblesse des apports d’eau douce a provoqué la modification des régimes de salinité.

32Il faut aussi ajouter que la succession des années à pluviométrie déficitaire a fait sensiblement reculer les limites tidales provoquant ainsi la remontée des fronts de salinité loin en amont du fleuve Casamance. Ce qui constitue une préoccupation majeure dans la mesure où la salinité élevée a provoqué la mortalité de la mangrove dans le bassin de la Casamance, surtout durant les années 1970 et 1980.

33Les mesures faites par Diop (1990), indiquent à la date du 16 octobre 1980, un taux de salinité de 49 ‰ au Kamobeul bolong, et 46 ‰ au bolong de Loudia Wolof. À la date du 06 novembre 1983, le taux de salinité était respectivement de 48 ‰ et de 42 ‰ dans ces deux bolong. À cette cause de dégradation, s’ajoute l’acidification des sols de bas-fonds du fait de la baisse régulière des nappes d’eau. Cette acidification s’explique aussi par le fait que les racines de la mangrove à Rhizophora mangle qui favorisent l’accumulation de sulfures dans les sols engendrent après une exondation prolongée, une acidification forte et irréversible.

34Elle conduit à la disparition progressive puis totale de la mangrove et laisse la place à de nouveaux tannes. De la même manière, les halophytes qui formaient le tanne herbacé n’ont pas résisté à la sursalure et à la place, on trouve fréquemment une couche plus ou moins épaisse, poudreuse formant une véritable « moquette » c’est-à-dire une sorte de pseudo-sable.

L’érosion côtière

35L’érosion côtière est très perceptible et très active dans les communes de Diembéring et de Mlomp. Elle se manifeste par le décapage des vasières et des cordons dunaires qui bordent les plages, notamment entre les secteurs Carabane-Gnikine-Diembéring et Cabrousse-Boudiediette. Elle conduit à la modification du milieu et un recul du couvert végétal, notamment la mangrove et les palmeraies. À ce sujet, le rythme élevé de l’érosion dans les localités de Carabane, de Pointe Saint-Georges (Photo 1) et du littoral Diembéring-Gnikine, reste très préoccupant.

Image 1000000100000B48000003E4FEE06CFE6A6FB4DF.pngPhoto 1 : Érosion côtière très active à Carabane (gauche) et à Pointe Saint-Georges (droite)

36Dans la partie estuarienne de l’embouchure du fleuve Casamance où la mangrove est considérée comme la ligne de référence pour représenter le trait de côte, le recul est de 0,60 m/an (Thior et al., 2022). Au Sud de l’embouchure, entre Diembéring-Gnikine, le recul est compris entre 9,30 m et 1,40 m/an (fig.8). Les plages de Diembéring globalement sont en érosion malgré les taux d’accrétion par endroits, témoignant une importante dynamique sédimentaire.

37Ceci s’explique par le fait que l’embouchure de la Casamance fonctionne comme un système estuarien très classique avec un poulier en accrétion et un musoir en érosion (Pointe de Diogué). Le point de déviation correspondant à une ancienne embouchure qui pourrait expliquer l’érosion de Gnikine qui est moins alimenté en sables.

Image 10000000000007D0000006098F61D5E3784F351D.jpgFigure 8 : Synthèse de l’évolution de la ligne de rivage de 1968 à 2017

Utilisation du bois de mangrove par les communautés

38Les populations riveraines de la mangrove dépendent de ces écosystèmes pour le bois utilisé sous différentes formes. Le tableau 4 donne les détails sur les principaux usages du bois de mangrove.

Tableau 4 : Principaux usages du bois de mangrove dans le département d’Oussouye

Variables

Diembéring

Mlomp

Oukout

Santhiaba Manjacques

Ensemble

%

%

%

%

%

Cuisson

48,5

49,1

48,4

52

49,5

Habitat

47,3

49,5

46,2

48

47,8

Artisanat

2,4

0,7

1,1

0

1,1

Clôture

1,2

0,7

4,4

0

1,6

Fumage de poisson

0,6

0

0

0

0,2

Total

100

100

100

100

100

39En effet, de la mangrove est tiré du chaume résistant à l’eau et aux termites pour les toitures. Le palétuvier, au bois dur et dense, est l’arbre le plus recherché pour la construction des maisons, la fabrication des chaises et autres instruments traditionnels utilisés dans les maisons. Le bois de mangrove est aussi très apprécié pour la fabrication des charpentes, des plafonds des maisons, des maisons sur pilotis et des supports de greniers.

40Le bois de Rhizophora est également utilisé comme piquets pour faire les clôtures des concessions et des barrages palissades. Il est aussi très apprécié pour la cuisson des aliments du fait qu’il se consume totalement et une fois allumé, il s’éteint difficilement. En saison des pluies, le bois de Rhizophora brûle sans peine malgré l’humidité. Le bois de mangrove est très sollicité pour les opérations de transformations des produits halieutiques, notamment au niveau des centres de pêche comme Elinkine.

41Dans tous les sites de transformation, on retrouve des tas de bois de mangrove destinés à cette activité. Les claies de séchage des produits halieutiques sont fabriquées à partir du bois de mangrove comme l’atteste la photo 2. La coupe du bois de mangrove, une pratique illégale, est l’une des causes de dégradation de la mangrove du département d’Oussouye. Ce sont surtout les formations de Rhizophora, dont la hauteur et la valeur commerciale sont plus importantes, qui sont les plus touchées.

Image 10000000000005DC000001FA6C8F8EF11D02921F.jpg

Photo 2 : Claies de séchage (Elinkine) et tas de bois (Kamobeul) à base de mangrove

42Par ailleurs, dans une zone à forte ruralité et à forte densité de réseau hydrographique comme à Oussouye, les ménages ont très peu de choix en termes d’énergie pour la préparation des aliments. C’est la raison pour laquelle 25  % des ménages n’ont que le bois de mangrove comme bois énergie. L’usage important de ce bois s’explique également par l’importance de la démographie dans cette région. Aussi, la collecte du bois ne connaît ni période, ni sites spécifiques même si la période de saison sèche reste celle pendant laquelle il est le plus exploité. L’importance des activités de transformation des produits halieutiques contribue à la forte exploitation du bois de mangrove.

L’exploitation des huîtres

43La filière des huîtres en Basse-Casamance consiste essentiellement en la cueillette des huîtres de palétuviers, à marée basse. Les huîtres sont séchées et fumées puis auto-consommées, échangées ou vendues sur place ou ailleurs à Ziguinchor ou à Dakar. C’est une activité qui reste dynamique. Elle fait donc partie des activités les plus importantes exercées par la population locale dans la mangrove. Elle apporte un complément de revenus indispensables et un appoint alimentaire hautement valorisé. Elle est une activité essentiellement menée par les femmes.

44Les instruments utilisés pour la cueillette des huîtres sont constitués de coupe-coupe, de bâton, de hache et des paniers en fibre de Borassus aethiopum (rônier). Les techniques d’exploitation par ablation des rhizophores et des rameaux des palétuviers contribuent, surtout en période de déficience pluviométrique, à la dégradation de la mangrove. Il en est de même des coupes inconsidérées de bois de chauffe et de service.

Les impacts écologiques et socio-économiques de la dynamique de la mangrove du département d’Oussouye

45Les impacts écologiques liés à la dynamique de la mangrove sont nombreux et variés. Il s’agit, entre autres, de la diminution de la productivité halieutique (poissons, huîtres et mollusques) du renforcement de l’érosion hydrique, de la baisse de la fertilité des sols et du développement de tannes, de la régression des palétuviers et de la difficile régénération naturelle. Il faut également noter la dégradation de la qualité de l’eau, la solidification des vasières qui peut générer l’augmentation de la mortalité des palétuviers (Photo 3), la dégradation du cadre de vie des populations (perte d’une protection naturelle) et la destruction d’habitats de la faune sauvage.

Image 1000000100000B5A0000041A7E39F195B99794FA.pngPhoto 3 : Forte mortalité de la mangrove dans le bolon de Niambalang

46De même, les populations ont noté la disparition des tortues marines et du lamantin, mais aussi la raréfaction du mérou bronzé, de la raie guitare et du barracuda, qui étaient très abondants dans la mangrove de la zone d’Oussouye. En effet, ne retrouvant plus les conditions nécessaires pour survivre, beaucoup d’espèces ont soit migré, devenues rare ou disparu.

47Cette situation se traduit aussi par la faiblesse des quantités des prises halieutiques chez les autres espèces de poissons comme les mollusques et les crustacés. La dynamique régressive de la mangrove a aussi engendré le recul du nombre de niches des oiseaux migrateurs et marins qui séjournent dans cet écosystème. Ces derniers, même s’ils sont toujours présents dans la zone, leur nombre semble diminuer considérablement.

48La régression de la mangrove et ses corollaires, qui se poursuivent jusqu’à présent, se sont répercutés sur les conditions de vie des populations. Les secteurs socio-économiques les plus touchés sont, entre autres, la riziculture de mangrove et la pêche. En effet, la régression de la mangrove, l’épuisement des terres rizicoles et l’abandon de certaines parcelles rizicoles, l’acidification et la salinisation des cours d’eau et des zones humides sont à l’origine de la baisse des revenus des populations locales.

49Cette situation a provoqué l’appauvrissement d’une fraction importante de la population. Elle est aggravée par les effets négatifs du conflit armé qui a paralysé, dans certains secteurs, les activités socio-économiques. La dégradation des écosystèmes de mangrove a entraîné l’affaiblissement des revenus des populations locales tirés essentiellement de l’agriculture et de l’exploitation des zones de mangrove. Les populations locales considèrent que la dégradation de la mangrove a des répercussions directes sur leur vécu quotidien (Tableau 5).

Tableau 5 : Perception populaire des impacts de la dégradation de la mangrove sur le vécu quotidien

Variables

Diembéring

Mlomp

Oukout

Santhiaba Manjacques

Total

Effectifs

%

Effectifs

%

Effectifs

%

Effectifs

%

Effectifs

%

Oui

39

44,8

139

94,6

44

97,8

23

88,5

245

80,3

Non

24

27,6

4

2,7

0

0

1

3,8

29

9,5

Ne sait pas

7

8

1

0,7

1

2,2

0

0

9

3

Sans réponse

17

19,5

3

2

0

0

2

7,7

22

7,2

Total

87

100

147

100

45

100

26

100

305

100

50En effet, plus de 80  % des personnes enquêtées estiment que la régression de la mangrove, dans leurs localités respectives, a eu pour conséquences, entre autres, la rareté des ressources halieutiques, la perte de terres rizicoles et la baisse de la production, la rareté du bois de mangrove, la baisse des revenus et l’installation de la pauvreté. Cette dernière, bien qu’amplifiée par les contraintes du milieu, trouve sa justification, en partie, dans la marginalisation des zones rurales contribuant ainsi à la dégradation des ressources de mangrove.

51L’effet combiné de ces facteurs avec celui de la déficience pluviométrique a contribué à installer une situation d’insécurité alimentaire dans cette partie où les populations locales ont développé des stratégies de survie se traduisant par des pressions encore plus intenses sur les ressources de mangrove.

52Les relations entre pauvreté et dégradation des ressources de mangrove dans le département d’Oussouye entraînent des difficultés majeures dont les manifestations se révèlent désastreuses à la fois pour les populations locales et leur environnement. Il apparaît dès lors indispensable de rompre les mécanismes qui la sous-tendent pour pouvoir jeter les bases d’une véritable stratégie de développement durable susceptible d’accroître les richesses matérielles produites en vue de la satisfaction prioritaire des besoins fondamentaux des populations mais aussi de préserver la base des ressources naturelles que sont les écosystèmes de mangrove.

Les stratégies de lutte contre la dégradation des écosystèmes de mangrove dans le département d’Oussouye

53Face aux nombreuses difficultés induites par la dégradation des écosystèmes de mangrove, les populations locales se mobilisent, avec l’appui des partenaires au développement, pour apporter leur contribution à la protection de leur environnement. Les enquêtes révèlent que les stratégies d’intervention pour la préservation et la réhabilitation des écosystèmes de mangroves d’Oussouye concernent principalement le reboisement des palétuviers, les actions de sensibilisation et de formation des acteurs (Tableau 6).

Tableau 6 : Les stratégies de préservation et de réhabilitation des écosystèmes de mangrove

Domaines d’intervention

Diembéring

Mlomp

Oukout

Santhiaba Manjacques

Ensemble

%

%

%

%

%

Repos biologique

3,4

0

0

0

0,9

Pisciculture

9

0,4

2,4

2,4

3,6

Apiculture

0

0,7

0

0

0,2

Conservation

2,21

0,7

0

0

0,7

Transformation

0

2,6

0

0

0,7

Reboisement

56,22

54,1

53,6

63,4

56,8

Ecotourisme

2,2

1,9

0

4,9

2,3

Sensibilisation/formation

23,6

39,6

44

29,3

34,1

Construction de digues

1,2

0

0

0

0,3

Ne sait pas

1,1

0

0

0

0,3

Sans réponse

1,1

0

0

0

0,3

Total

100

100

100

100

100

54Les populations sont aidées dans leurs stratégies de gestion de la mangrove (préservation et réhabilitation) par les partenaires au développement, les projets et programmes de développement et les organisations non gouvernementales (ONG) qui interviennent dans le domaine de l’environnement. Les actions de reboisement et de protection de la mangrove commencent à avoir des impacts positifs et ont largement contribué à la régénération de la mangrove de 2000 à 2014 comme l’atteste nos résultats.

55Le tableau 7 montre que les Organisations Communautaires de Base (OCB) et l’ONG Océanium occupent une place centrale dans le reboisement de la mangrove au niveau de la zone d’étude. Elles représentent respectivement 75  % et 57,2  % des réponses.

Tableau 7 : Organismes d’appui dans les opérations de préservation et de réhabilitation de la mangrove

Promoteurs des interventions

Diembéring

Mlomp

Oukout

Santhiaba Manjacques

Total

Effectifs

%

Effectifs

%

Effectifs

%

Effectifs

%

Effectifs

%

ONG nationale

16

27,1

51

34,9

15

33,3

5

19,2

87

31,5

ONG étrangère

2

3,4

0

0

1

2,2

1

3,8

4

1,4

Gouvernement

2

3,4

5

3,4

2

4,4

0

0

9

3,3

OCB (de femmes et /ou de jeunes)

34

57,6

113

77,4

36

80

24

92,3

207

75

Institution de recherche

0

0

1

0,7

0

0

0

0

1

0,4

Océanium

19

32,2

88

60,3

33

73,3

18

69,2

158

57,2

Eaux et forêts

2

3,4

2

1,4

4

8,9

0

0

8

2,9

Caritas

0

0

0

0

5

11,1

2

7,7

7

2,5

PAM

0

0

1

0,7

5

11,1

0

0

6

2,2

Mairie

1

1,7

0

0

0

0

0

0

1

0,4

PADERCA

0

0

0

0

3

6,7

0

0

3

1,1

Ne sait pas

10

16,9

0

0

0

0

0

0

10

3,6

Sans réponse

2

3,4

0

0

0

0

0

0

2

0,7

Total

59

100

146

100

45

100

26

100

276

100

Discussion

56Depuis l’avènement des images géospatiales, les mangroves sénégalaises font l’objet d’une évaluation perpétuelle par la communauté scientifique. Les résultats de cette étude concordent avec ceux notés dans plusieurs études en Basse-Casamance d’une manière générale (Diédhiou & Mering, 2019 ; Andrieu et al., 2019 ; Fent et al., 2019 ; Diéye et al., 2021) et à l’échelle de plusieurs secteurs tels que Tobor (Diéye et al., 2013a ; Bassène, 2016), Thiobon (Solly et al., 2018), et Kafountine (Soumaré et al., 2020).

57Globalement, une régression des surfaces de mangrove a été notée dans la mangrove de la Casamance entre le début des années 1970 et la fin des années 1990, et une stabilité suivie d’une régénération importante depuis 2000. De 1972 à 1994, la mangrove a connu une importante régression en faveur des tannes. La régénération a été appréhendée à partir de la période 1994-2000. Cette augmentation a concerné au début la mangrove moins dense, qui s’est densifiée en 2000, 2010 et 2018. Toutefois, malgré l’augmentation des surfaces de mangrove les tannes restent toujours importantes surtout dans la partie est et sud-est du département.

58L’analyse des facteurs de la dynamique des faciès à mangrove a montré que la sécheresse a joué un rôle important dans la régression durant la période 1972-1988. Le CSE (2008) précise que cela est dû à l’importance de la faiblesse du bilan hydrique. Cette faiblesse des apports d’eau douce a provoqué la modification des régimes de salinité (Lombard et al., 2020). Il faut noter que la salinité joue un rôle important sur l’efficacité métabolique des espèces végétales, en particulier sur la productivité de la mangrove.

59Les conditions écologiques, la taille de la mangrove, sa densité, sa composition floristique et sa productivité varient en fonction des zones de mangrove (Ndour, 2005). De plus, en l’absence d’une pluviométrie normale, le front de salinité remonte très loin dans les marigots ; ce qui explique la disparition de la mangrove par endroit. Le rôle de l’érosion côtière est aussi à compter parmi les facteurs de dynamique de la mangrove. Durant la période 1968-2917, l’érosion est de 5,85 m/an à la plage de Diogué ; 0,60 m/an à l’île de Karabane ; 3,30 m/an au sud de l’embouchure, et 0,91 m/an entre Gnikine-Diembéring (Thior et al., 2019). Elle a été toutefois plus forte durant la période 1986-2004.

60L’action de l’homme à travers les coupes abusives et illicites pour la cuisson, le plafonnage des maisons, la clôture, ainsi que la cueillette des huîtres ont joué un rôle important dans l’évolution des mangroves dans plusieurs secteurs de la Casamance (Bassène, 2016 ; Solly et al., 2018). Ces pratiques sont aussi notées dans la mangrove du département d’Oussouye ; où les populations font presque exclusivement recours au bois de la mangrove.

61La présente dynamique notée au sein de l’écosystème de mangrove du département d’Oussouye ainsi que les facteurs explicatifs ont eu des répercussions écologiques et socio-économiques importantes. En effet, la mangrove peine à jouer le même rôle qu’elle jouait avant. Le poisson est peu abondant en zone de mangrove ; les rizières de mangroves sont de plus en plus dégradées et abandonnées (Sané, 2017 ; Diédhiou & Mering, 2019) ; la côte est de plus en plus vulnérable (Thior et al., 2019 ; Sané et al., 2021).

62Toutefois, il faut reconnaître qu’avec le développement des actions de reboisement avec l’appui des partenaires au développement, l’élaboration des règles de conduites mise en place au niveau local, l’application des textes réglementant l’utilisation des ressources végétales d’une manière générale et de la mangrove en particulier, la prise de conscience par les populations de l’importance de la mangrove (Diatta et al., 2020), et le retour à de meilleures conditions pluviométriques, un retour à la situation des années 1970 semble possible.

Conclusion et recommandations

63La mangrove du département d’Oussouye représente un écosystème à hautes potentialités aussi bien au plan écologique, environnemental que socio-économique. En effet, elle abrite les activités les plus essentielles pour les populations locales. Cependant, au cours de ces dernières décennies, elle a subi des pressions provenant des changements climatiques et des actions anthropiques. Son habitat est dégradé par la sécheresse, la construction de certains aménagements hydroagricoles et l’usage parfois abusif. Tous ces facteurs concourent à la perte des superficies de cet écosystème de -26,92 % durant la période 1972-1988 et de -20,63 % durant la période 1988-1994.

64Le retour à de meilleures conditions pluviométriques accompagné d’une prise de conscience des populations explique l’évolution positive de la mangrove de +13,11 % entre 1994-2000, de +11,92 % entre 2000-2010 et de +12,90 % entre 2010-2018. Les résultats de cette étude doivent nourrir les réflexions sur l’avenir de la zone aux riches potentialités naturelles et humaines. En effet, avec des conditions pluviométriques de plus en plus favorables, l’accent devrait être mis sur une sensibilisation des acteurs concernés sur les enjeux et défis de la préservation de la mangrove et d’accompagner les collectivités territoriales à mettre en place des dispositifs de gestion communautaire basés sur une approche participative et concertée.

65Les futurs plans d’aménagement devront favoriser la mise en place de nouvelles pratiques plus respectueuse de l’environnement afin d’assurer une meilleure exploitation des ressources par les populations locales. Ils devront aussi permettre un renforcement des capacités des acteurs en matière de protection, de réhabilitation et de restauration de la mangrove et l’élaboration des programmes de recherche et d’éducation environnementale en vue d’approfondir les connaissances et de vulgariser les meilleures pratiques de gestion.

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Werner B., 1995. Exploitation et gestion de la mangrove de la Réserve de la Biosphère du Delta du Saloum (Sénégal). Université des Sciences Agronomiques de Gembloux, UEF de Sylviculture, Belgique, 95.

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El Hadji Balla Diéye, Tidiane Sané, Boubacar Solly, Boubacar Demba Ba, Ngor Ndour, Oumar Sy, Mamadou Thior, Victor Mendy, El Hadji Sidy Babacar Tall, Catherine Mering & Amadou Tahirou Diaw, «Dynamique de la mangrove et perceptions locales dans le Département d’Oussouye (Basse-Casamance, Sénégal) entre 1972 et 2018», Tropicultura [En ligne], Volume 40 (2022), numéro 1, URL : https://popups.uliege.be/2295-8010/index.php?id=2016.

Over : El Hadji Balla Diéye

Laboratoire de Géomatique et d’Environnement (LGE), Département de Géographie, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal. Laboratoire d’Enseignement et de Recherche en Géomatique (LERG), Université Cheikh Anta Diop, Sénégal. Laboratoire Mixte International Patrimoines et Territoires de l’Eau (LMI-PATEO).

Over : Tidiane Sané

Laboratoire de Géomatique et d’Environnement (LGE), Département de Géographie, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal. Laboratoire d’Enseignement et de Recherche en Géomatique (LERG), Université Cheikh Anta Diop, Sénégal. Laboratoire Mixte International Patrimoines et Territoires de l’Eau (LMI-PATEO).

Over : Boubacar Solly

Laboratoire de Géomatique et d’Environnement (LGE), Département de Géographie, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal. Laboratoire Mixte International Patrimoines et Territoires de l’Eau (LMI-PATEO). Auteur correspondant : b.solly1087@zig.univ.sn 00221771516283

Over : Boubacar Demba Ba

Laboratoire de Géomatique et d’Environnement (LGE), Département de Géographie, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal. Laboratoire Mixte International Patrimoines et Territoires de l’Eau (LMI-PATEO).

Over : Ngor Ndour

Département d’Agroforesterie, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal. Laboratoire Mixte International Patrimoines et Territoires de l’Eau (LMI-PATEO).

Over : Oumar Sy

Laboratoire de Géomatique et d’Environnement (LGE), Département de Géographie, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal. Laboratoire d’Enseignement et de Recherche en Géomatique (LERG), Université Cheikh Anta Diop, Sénégal. Laboratoire Mixte International Patrimoines et Territoires de l’Eau (LMI-PATEO).

Over : Mamadou Thior

Laboratoire de Géomatique et d’Environnement (LGE), Département de Géographie, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal. Laboratoire Mixte International Patrimoines et Territoires de l’Eau (LMI-PATEO).

Over : Victor Mendy

Laboratoire de Géomatique et d’Environnement (LGE), Département de Géographie, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal. Laboratoire Mixte International Patrimoines et Territoires de l’Eau (LMI-PATEO).

Over : El Hadji Sidy Babacar Tall

Laboratoire de Géomatique et d’Environnement (LGE), Département de Géographie, Université Assane Seck de Ziguinchor, Sénégal. Laboratoire Mixte International Patrimoines et Territoires de l’Eau (LMI-PATEO).

Over : Catherine Mering

Université de Paris (UP), France.

Over : Amadou Tahirou Diaw

Laboratoire d’Enseignement et de Recherche en Géomatique (LERG), Université Cheikh Anta Diop, Sénégal.