Tropicultura Tropicultura -  Volume 37 (2019)  Numéro 1 

Contrats agricoles informels et performance de la production vivrière : cas du maïs au sud du Bénin

E.A. Gandonou
Béninois, PhD, Maître-Assistant, Université d'Abomey-Calavi, Faculté des Sciences Agronomiques, Calavi, République du Bénin. E-mail: egandonou@yahoo.fr
S. Kpènavoun Chogou
Béninois, PhD, Maître-Assistant, Université d'Abomey-Calavi, Faculté des Sciences Agronomiques, Calavi, République du Bénin.
A.B.E.A. Adegbidi
Béninois, PhD, Professeur Titulaire, Université d'Abomey-Calavi, Faculté des Sciences Agronomiques, Calavi, République du Bénin.
A.E.K. Fafeh
Béninois, Ingénieur Agronome, M.Sc., African Union-MESA, Addis Ababa, Ethiopia.
Notes de la rédaction :

Reçu le 24.08.17 et accepté pour publication le 10.01.19

Résumé

Au Bénin, certains paysans produisent le maïs sous contrat conclus avec les petits commerçants. La présente étude vise à caractériser ces contrats informels et à mesurer leur contribution à la performance de la production de cette céréale. Les données utilisées sont issues d'une enquête conduite au sud-est du Bénin, considéré comme l'un des greniers du Bénin. Les résultats obtenus montrent que les 'petits' comme les 'grands' producteurs sont bien représentés parmi les contractants. Grâce aux contrats, ils bénéficient de crédits substantiels (environ 70.000 FCFA par producteur) investis prioritairement pour louer la main d'œuvre. Les conflits autour de cet arrangement institutionnel sont rares. Les résultats de l'analyse économétrique montrent que la production du maïs chez les contractants dépasse celle des non-contractants de 25 % par parcelle, en moyenne. Il existe une relation positive et significative entre l'accès au contrat et la superficie du maïs, mais le lien avec le rendement n'est pas confirmé. L'étude conclut que les contrats agricoles contribuent au financement et à l'accroissement de la production vivrière, mais leurs effets sur les productivités sont moins convaincants. Les programmes publics devraient envisager un soutien financier aux petits commerçants de produits vivriers pour promouvoir des contrats agricoles décentralisés dont les mécanismes inciteraient les producteurs à accroître leur productivité.

Abstract

Informal Contract-farming and Performance of Food Crop Production: The Case of Maize in the Southern of Benin

In Benin, some farmers produce maize under contract concluded with small-scale traders. This study aims at identifying the characteristics of this informal contract-farming and measuring its contribution to the performance of the production of this cereal. The data used are from a survey carried out in the south-east of Benin, one of the largest maize producing area of the country. The results of the study show that 'small' as well as 'large' farmers are well represented among the participants into the contract. The amount of credit received through the contract is substantial (70,000 FCFA per farmer) and used in priority to hire additional labour force employed in agriculture. Conflicts in this institutional arrangement are rare. Econometric analysis shows that farmers under contract have higher maize output per plot ( + 25%). There was a positive and significant relationship between participation into the contract and the maize area, but the link with the yield was not confirmed. The results of the study confirm that farmers' access to contract-farming contributes to agricultural finance and increased food crop production, but the effects on the productivity are not convincing. The study concludes that agricultural development policy should facilitate financial support to small-scale traders in order to promote decentralized private sector-based contract-farming that further motivate smallholder farmers to raise productivity.

Index by keyword : Benin, contract, credit, farming, food crop production, maize, small-scale traders

Introduction

1Au cours des deux dernières décennies, l'agriculture contractuelle a connu un regain d'intérêt. Ce changement est intervenu après la publication du rapport de la Banque Mondiale sur le développement dans le monde, édition 2008, qui a démontré que la croissance agricole est une condition nécessaire pour la réduction de la pauvreté. Toutefois, pour que cette contribution soit une réalité, surtout en Afrique subsaharienne, les pays de cette région doivent trouver des solutions à plusieurs contraintes. Parmi celles-ci se trouvent en bonne place les nombreuses barrières à l'accès aux marchés (des produits et des facteurs de production) érigées contre les paysans (32).

2Les contrats agricoles font partie des mécanismes institutionnels qui permettent de contourner de pareilles barrières et de faciliter la commercialisation des produits agricoles. La production agricole sous contrat existe depuis la nuit des temps. Son origine remonte à la période de la Grèce Antique ou au premier siècle en Chine. L'agriculture contractuelle est un accord entre un exploitant agricole et un acheteur, portant sur la production et la fourniture de produits agricoles, selon des accords à terme, fréquemment à des prix préétablis. Invariablement, l'accord engage aussi l'acheteur à apporter, dans une certaine mesure, un soutien à la production par le biais, par exemple, de fournitures d'intrants, de crédit et de conseils techniques (6, 7, 13).

3Même si dans le passé, cette pratique a été décriée, certains la taxant de réduire l'autonomie et la capacité de négociation des paysans, son image est maintenant réhabilitée. Cette évolution a été favorisée par la vague des programmes de libéralisation des marchés agricoles en Afrique d'une part, et, d'autre part, les succès des travaux menés par les tenants de l'économie néo-institutionnelle ou la théorie des coûts de transactions. Selon l'économie néo-institutionnelle, le contrat ne doit pas être systématiquement considéré comme une mauvaise option pour échanger un produit. Il peut même se révéler le mode le plus profitable pour vendre sur un marché. Tout dépend de la nature du produit, du contexte réglementaire et de l'environnement économique (31).

4Ainsi, plusieurs initiatives et projets appuient aujourd'hui le développement des chaînes de valeur ou l'organisation des filières, sur une base privée, avec comme point d'ancrage la promotion des contrats agricoles. Dans le même temps, la littérature en agroéconomie s'est enrichie de plusieurs travaux qui traitent des contrats agricoles surtout pour montrer leurs impacts sur le bien-être des paysans. La plupart de ces travaux de recherche ont confirmé de larges effets sur les revenus et le bien-être des paysans (5, 10, 24).

5Toutefois, on reproche à ces initiatives, projets ou travaux de recherche le fait d'être surtout confinés aux cultures d'exportation ou à haute valeur commerciale. Les cultures vivrières constituent rarement leur centre d'intérêt (30). Certains auteurs pensent qu'on ne devrait pas s'en étonner (24), pour plusieurs raisons. En plus d'être considérées comme des cultures à faible valeur commerciale, trois autres arguments-clés sont évoqués. Premièrement, il est supposé que peu de paysans vendent les produits vivriers en Afrique subsaharienne et lorsqu'ils le font ce sont de faibles quantités qui sont échangées. Les cultures vivrières seraient pratiquées pour l'autoconsommation exclusivement ou presque; l'intégration aux marchés ne seraient donc pas la priorité des paysans pour ces cultures. Deuxièmement, le risque de ventes parallèles serait plus élevé et le non-respect des obligations contractuelles  devrait être plus fréquent pour ces produits. Troisièmement, le système de commercialisation des produits vivriers est dominé par de  petits commerçants qui n'ont pas la capacité de proposer des contrats accompagnés d'avances.

6Avec les transformations survenues en milieu rural africain ces dernières années, la plupart de ces arguments sont remis en cause. Selon Carletto et al. (8), la proportion de paysans qui vendent une partie de leur production vivrière est de 79 %, 84 % et 91 % en Ouganda, au Malawi et en Tanzanie.  Selon ces auteurs, le volume des ventes du maïs, l'une des principales céréales dans ces pays, représente 29 % et 36,5 % de la production, respectivement en Tanzanie et en Ouganda.

7Selon Kpènavoun Chogou (22), les paysans des principales zones de maïs au sud du Bénin sont fortement orientés vers les marchés même si le maïs est leur produit alimentaire de base. Dans les communes de Kétou et de Pobè, ils commercialisent, en moyenne, 82 % de la production de cette culture. Ces évolutions signalées par un nombre croissant de recherches récentes vont probablement se poursuivre dans le futur. Elles résultent de l'effet combiné de l'accroissement des besoins exigeant des revenus monétaires en milieu rural et d'une demande alimentaire urbaine croissante.

8Par ailleurs, les données récentes permettent de nuancer l'argument selon lequel, en Afrique, les petits commerçants ne sont pas capables de proposer des avances ou des crédits aux paysans dans le cadre des contrats agricoles. Certes, les études menées dans plusieurs pays africains montrent que les contrats agricoles informels sont rares. Leur incidence se situe entre 7 % et 10 %, y compris les contrats formels, promus par les grandes entreprises (23, 24). Néanmoins, des exceptions existent.

9Selon Fafchamps et Gabre-Madhin (14), 25 % des petits commerçants du Bénin proposent des contrats agricoles accompagnés d'avances pour garantir l'offre auprès des paysans. L'analyse a été poussée plus loin sur ce phénomène par Kpènavoun Chogou (22) qui a trouvé que 48 % des paysans ont souvent l'habitude de cultiver le maïs sous contrat conclu avec les commerçants au sud du Bénin. Les avances ou crédits octroyés par les commerçants constituent effectivement un des termes-clés du contrat. Avec ces résultats, le Bénin est probablement un cas atypique en Afrique concernant les contrats agricoles en agriculture vivrière, ce qui mérite d'être davantage documenté.

10Des détails sur les arrangements contractuels informels au Bénin sont présentés par Kpènavoun Chogou (22). Mais des données complémentaires permettant de bien les caractériser sont nécessaires. Par exemple, cet auteur n'a pas évalué les montants des avances ou crédits offerts par les commerçants et l'utilisation que les paysans en font réellement. C'est ce gap que la présente recherche se propose de combler. Le but poursuivi est d'identifier et de caractériser les types de contrats conclus par les paysans avec les commerçants de maïs au sud du Bénin. L'étude cherche, par ailleurs, à déterminer l'utilisation que les paysans font des avances ou crédits reçus et dans quelle mesure les contrats agricoles contribuent à l'amélioration de la performance de la production du maïs.

11Les résultats obtenus montrent que les contrats agricoles informels sont répandus dans les grandes zones de production du maïs au sud du Bénin. Les termes contractuels ne sont pas toujours uniformes (en particulier, le mode de fixation des prix). Les prix sont fixés ex post chez certains et ex ante (préétablis) chez d'autres. Les montants des crédits que les paysans reçoivent grâce aux contrats sont substantiels (70.000 FCFA par producteur par an). Ils servent prioritairement à financer la production agricole (à raison de 76 %) et presque la totalité est consacrée à la location de la main d'œuvre. L'étude a confirmé que la production du maïs obtenue par les contractants dépasse celle des non-contractants de 25 % par parcelle, en moyenne. Il existe une relation positive significative entre l'accès au contrat et la superficie du maïs, mais le lien avec le rendement n'est pas confirmé.

12A notre connaissance, c'est pour la première fois qu'une étude a cherché à analyser les contrats agricoles promus par les petits commerçants et leur lien avec la performance de la production d'une principale culture vivrière au Bénin (le maïs), voire en Afrique. La seule exception notable est peut-être l'étude conduite par Vande Velde et Maertens (30). Toutefois, cette étude concerne le riz.  Même si la consommation du riz progresse rapidement au Bénin, la principale culture vivrière du pays demeure le maïs qui est l'objet de la présente recherche. Par ailleurs, les contrats agricoles étudiés par ces auteurs  ne sont pas promus par les petits commerçants mais par une Organisation Non Gouvernementale (ONG).

13Le reste de l'article est structuré comme suit. La section suivante présente les données utilisées et les méthodes d'analyse. La troisième section est consacrée à la présentation et à la discussion des résultats obtenus. La dernière section est réservée aux principales conclusions de l'étude.

Matériel et méthodes

Données utilisées

14Les données utilisées sont issues d'une enquête menée entre juillet et octobre 2009. L'enquête s'est déroulée dans la commune de Kétou, au sud-est du Bénin. Les villages d'Adakplamè et d'Ewè ont été choisis dans l'arrondissement d'Adakplamè, une des grandes zones de production du maïs dans la commune de Kétou.

15Un échantillon représentatif de 70 ménages agricoles a été sélectionné à raison de 35 ménages par village. Comme une liste exhaustive actualisée des ménages par village n'était pas disponible, l'échantillonnage s'est déroulé en plusieurs étapes. Avec l'appui des personnes ressources du milieu, les principales directions (Nord-Sud ou Est-Ouest) qui peuvent être parcourues pour retrouver facilement les ménages ont été identifiées. Dans chaque direction, 2 - 3 localités sont retenues: une grande, une petite ou une localité de taille moyenne. Ensuite, un dénombrement sommaire des ménages a été effectué par localité. De la liste obtenue, quelques ménages ont été tirés d'une façon aléatoire. Par localité, l'effectif des ménages enquêtés varie entre 3 et 14 selon la taille de la localité. Dans cette étude, le producteur interrogé est le chef de ménage.

16Les données ont été collectées essentiellement grâce à des interviews structurées en utilisant un questionnaire. C'est le modèle de questionnaire communément appliqué pour les enquêtes sur les systèmes de production agricole qui a été conçu et appliqué. Il a été adapté pour intégrer les questions qui permettent de caractériser et de cerner tous les termes des contrats agricoles informels observés dans la zone au cours des campagnes agricoles 2008-2009 (grande et petite saison) et 2009-2010 (grande saison uniquement).

17Les données permettant d'estimer la production et les quantités de facteurs de production ont été enregistrées sur chacune des parcelles cultivées ou mises en jachère par producteur au cours de la période de collecte de données, ce qui permet d'accroître leur précision et de mieux estimer la superficie totale disponible par producteur. L'unité d'observation de cette recherche est donc la parcelle. Il convient de souligner que les données concernant les produits et les facteurs de production portent sur la 'grande saison' de la campagne agricole 2009-2010. Au total 187 parcelles (y compris les parcelles en jachère) ont été recensées, soit environ 3 parcelles par producteur, dont 48 % portent le maïs. Les données recueillies par questionnaire ont été complétées grâce à une enquête qualitative et l'analyse de la documentation.

Méthodes d’analyse

18Pour mesurer le lien entre l'accès au contrat et la performance de la production du maïs, nous avons adopté une approche en deux étapes: une analyse bivariée complétée par une analyse économétrique. Les différences entre les parcelles de maïs des producteurs sous contrat et sans contrat ont été estimées pour les principaux indicateurs de performance. Des tests de comparaison de moyennes (t de Student) ont été appliqués pour vérifier si ces différences sont significatives. Comme les données utilisées sont transversales, cette comparaison souffre d'un biais de sélection. Ce biais s'explique par le fait que les producteurs qui ont été retrouvés  sous contrat n'ont pas été choisis aléatoirement par les commerçants. Ils peuvent avoir été retenus par les commerçants sur la base de certains critères. Il se pourrait aussi que ce soit les paysans qui, de leur propre gré, se sont portés vers les commerçants. En conséquence, les 2 groupes (producteurs sous contrat et sans contrat) ne sont pas obligatoirement semblables. Les différences observées entre ces groupes peuvent donc être surestimées ou sous-estimées. L'analyse conceptuelle de ce problème de biais a été proposée par de nombreux auteurs ces dernières années (12, 15, 30).

19Les modèles économétriques permettent de résoudre ce problème. Plusieurs méthodes peuvent être adoptées. La Méthode des Moindres Carrés Ordinaires (MCO) a été appliquée pour estimer un modèle de régression multiple. Après avoir essayé plusieurs spécifications, le modèle retenu se présente dans la formule I.

INDPMA=  α + δCONTRAT + β1AGE + β2TAILLEMENAG + β3ADULTS + img-1.png + β5ETHNIE + β6SUPTOTALE + β7(SUPTOTALE*SUPTOTALE) + img-2.png + img-3.png + β10ACCESSIBILITE + B11CULTASSOCIEE + B12VILLAGE + ε          (I)

20Le principal indicateur de performance retenu (INDPMA) est la production totale de maïs par parcelle, exprimée en quantités physiques (kg) et non en valeur. Il a été retenu d'exprimer la production sous cette forme parce que nous voulons surtout mettre en exergue la contribution des contrats agricoles à la sécurité alimentaire. Il convient de rappeler que la performance d'une entité économique ou  d'une organisation est sa capacité à atteindre des objectifs qu'elle s'est fixés. Lorsqu'on veut choisir un indicateur pour mesurer la réalisation de cet objectif, il est conseillé de retenir celui qui reflète un aspect significatif de cet objectif (on parle encore d'indicateur pertinent). Dans le cas de l'agriculture vivrière au Bénin et ailleurs en Afrique, c'est l'aspect sécurité alimentaire qui focalise l'attention. En effet, une production de maïs abondante signifie que le ménage pourrait assurer aisément son autosuffisance et dégager un surplus qui permettra de satisfaire la demande alimentaire urbaine. Boserup (4) a proposé une théorie générale de la croissance agricole qui montre que, dans les premières étapes des transformations en agriculture, c'est l'objectif de sécurité alimentaire qui est visé par les familles paysannes, voire les communautés rurales. Ces dernières, dans leurs attitudes économiques, ne se focalisent pas sur la productivité agricole (rendement ou productivité de la terre, productivité du travail) comme seul ou principal indicateur de performance dans les premières étapes des transformations agricoles. C'est lorsqu'elles ont atteint l'étape des systèmes de culture sédentarisés ou en sont proches ou bien lorsqu'elles sont capables de pratiquer une agriculture presqu'exclusivement orientées vers les marchés que les productivités deviennent les seuls indicateurs pertinents de performance en agriculture.

21Le but de la présente recherche est de vérifier si l'objectif de sécurité alimentaire poursuivi par les ménages, les communautés rurales ou l'Etat au Bénin peut-être atteint grâce aux contrats agricoles. Nous avons, par ailleurs, cherché à établir le mécanisme qui conduit à la variation de la production totale en vérifiant le lien entre les contrats et le rendement (productivité de la terre), la superficie emblavée, la quantité de travail appliquée, les consommations intermédiaires (engrais minéraux, notamment). Par ailleurs, Vande Velde et Maertens (30), dans leur étude sur l'impact des contrats agricoles sur la production du riz au Bénin, ont aussi suggéré de considérer la production totale comme un indicateur de performance. C'est la démarche méthodologique de ces auteurs qui a été suivie dans la présente étude mais, en nous appuyant sur le cas de la principale culture céréalière du Bénin (le maïs) et sur le cas des contrats agricoles promus par les petits commerçants locaux.

22Les variables INSTRUCTION, FERTILITE et FAIREVALOIR comporte plus de 2 modalités. Pour les introduire dans le modèle, on crée habituellement une série de variables binaires (muettes, codées 0/1); chaque modalité de la variable originelle devient une variable binaire. Ensuite on introduit les nouvelles variables binaires créées dans le modèle mais en prenant soin d'exclure l'une d'entre elles (16).

23Tableau 1. Description des variables explicatives du modèle.

Variable

Description

CONTRAT

Participation du ménage au contrat agricole (variable muette)

Caractéristiques sociodémographiques

AGE

Age du chef de ménage (nombre d’années)

TAILLEMENAG

Effectif des membres du ménage

ADULTS

Effectif des membres actifs du ménage (15 ans et plus)

INSTRUCTION

Niveau d’instruction du chef de ménage (3 modalités)

Aucune instruction (Référence)

N’est pas instruit (variable muette)

Primaire

Niveau d’instruction primaire (variable muette)

Secondaire

Niveau d’instruction secondaire (variable muette)

ETHNIE

Le producteur est d’ethnie Mahi (variable muette)

Patrimoine  

SUPTOTALE

Superficie totale disponible (ha)

Caractéristiques de la parcelle

FERTILITE

Conditions agro-pédologiques prévalant dans la zone où se trouve la parcelle selon la perception du paysan (3 modalités)

Bonnes (Référence)

La terre est de bonne qualité (variable muette)

Plutôt bonnes

La terre est de qualité plutôt bonne (variable muette)

Mauvaises

La terre est de mauvaise qualité (variable muette)

FAIREVALOIR

Mode de faire-valoir de la parcelle (4 modalités)

Héritage (Référence)

La parcelle est héritée (variable muette)

Emprunt

La parcelle est empruntée ‘gratuitement’ (variable muette)

Location

La parcelle est louée (variable muette)

Métayage

La parcelle est en métayage (variable muette)

Caractéristiques de la localité

ACCESSIBILITE

Le village est accessible (variable muette)

CULTASSOCIEE

Association du maïs avec le pois d’angole sur la parcelle (variable muette)

VILLAGE

La parcelle se trouve dans le village d’Adakplamè (variable muette)

Résultats et discussion

Zone d’étude

24La commune de Kétou est située au sud-est du Bénin. Elle fait frontière avec le Nigéria. L'arrondissement d'Adakplamè où les 2 villages enquêtés ont été sélectionnés regorge de réserves de terres aptes à la culture du maïs. La densité de la population est encore faible dans l'arrondissement même si elle progresse rapidement ces dernières années (35 habitants / km2 en 2013 contre 12 habitants / km2 en 1992) (17, 18).

25Le maïs tient une place importante dans les systèmes de culture. Il est cultivé en culture pure ou en association avec le pois d'angole ou le manioc. La part du maïs (en culture pure) et celles des associations 'maïs. + pois d'angole et 'maïs + manioc' dans la superficie totale cultivée sont de 28 %, 48 % et 10 %, respectivement, au cours de la campagne 2009-2010 (grande saison). Les 2 autres cultures importantes sont le manioc et l'igname.

26Selon nos données, le rendement du maïs dans la zone est estimé à 890 kg / ha. Ce rendement est faible mais, il n'est pas très éloigné de la moyenne nationale (1,2 t / ha) (27). Le faible niveau des rendements n'est pas un problème spécifique au maïs au Bénin. Il est général pour toutes les cultures, les céréales notamment. L'une des principales raisons est la faible utilisation des intrants (engrais minéraux, semences améliorées). Par hectare cultivé, la quantité d'engrais minéraux appliquée est d'environ 45 kg au Bénin. Dans la commune de Kétou, elle se situe à moins de 10 kg / ha (21). Il faut encore souligner que le pays a atteint ce niveau d'utilisation des engrais minéraux à cause des doses relativement élevées appliquées dans le nord et le centre du pays où la culture du coton, principale culture d'exportation du pays, est pratiquée. Parmi les raisons de la faible utilisation des intrants, on soulève souvent le problème de manque de liquidités ou de crédit de campagne. Nous avons donc supposé que les producteurs utiliseront les avances ou crédits que les contrats agricoles informels leur assurent pour acheter les intrants et intensifier la culture.

27La zone d'étude fait partie des principales régions du Bénin qui génèrent d'importants surplus du maïs. Ces surplus servent à approvisionner les villes qui sont toutes en forte expansion au Bénin. Les producteurs sont assez bien intégrés aux marchés et la zone est prisée par les commerçants pour les approvisionnements en produits vivriers. Ce changement est intervenu surtout au début des années 1990 quand le Bénin a connu le passage du système d'économie dirigée/planifiée à l'économie de marché. Cette période a aussi coïncidé avec l'avènement d'une ère de rapide croissance démographique et d'expansion urbaine. La zone n'a pas connu de crises majeures d'engorgement des marchés ou d'autres crises sociales ces dernières années. Toutefois, les infrastructures routières restent dans un état de délabrement alarmant. Les autres moyens de communication restent peu accessibles même si l'avènement des GSM semble combler le vide. Cette situation constitue une source importante de mauvais fonctionnement des marchés. Les producteurs rencontrent de réelles difficultés pour se rendre directement sur les marchés situés hors de leurs villages, les marchés urbains notamment, où les prix sont souvent plus intéressants (22). Pour certains producteurs, participer aux arrangements contractuels est une solution à ce problème surtout que ces arrangements sont accompagnés d'avances ou de crédits qui facilitent le déroulement normal de leurs activités.

28Il convient de souligner que la culture du coton est répandue dans la zone d'étude. Il n'apparaît pas parmi les cultures listées ici parce qu'il est cultivé en 'petite saison'. Dans la présente étude, toutes les données de production porte sur la grande saison comme il a été mentionné plus haut.

Caractéristiques des contrats agricoles informels, avances ou crédits reçus et leur utilisation

29Les résultats de l'étude montrent que la production du maïs sous contrat  conclu avec les petits commerçants est bien connue et assez répandue dans les villages enquêtés. L'incidence est de 46 %. Ce résultat est semblable à celui de Kpènavoun Chogou (22). Seul le maïs est concerné par ce type de contrat.

30Le contrat est verbal et dure un an. Il peut être renouvelé. La majorité des producteurs sous contrat (60 %) le sont depuis 3 à 9 années successives. La durée moyenne passée sous contrat est estimée à 7 ans.

31Ce sont les petits commerçants qui ont promu et entretiennent les arrangements contractuels dans la zone d'étude. Leur démarche consiste à créer des relations stables, de longue durée, avec certains producteurs en leur offrant des avances ou des crédits. Comme l'ont relevé Fafchamps et Gabre-Madhin (14); et Kpènavoun Chogou (22), l'étude a permis de confirmer que c'est le besoin de sécuriser l'approvisionnement en maïs qui amène les petits commerçants à recourir aux arrangements contractuels. La zone d'étude, en tant que l'un des greniers du Bénin, est très prisée par les commerçants-collecteurs de produits vivriers. L'expansion urbaine a amplifié la demande en maïs ces dernières années et la concurrence entre commerçants dans les principales zones d'approvisionnement comme la commune de Kétou est forte. Les arrangements contractuels constituent pour les commerçants locaux un moyen pour limiter cet effet de concurrence, agrandir leurs affaires, assurer un approvisionnement régulier de leurs clients dans les grandes villes et par ricochet accroître et stabiliser leurs marges bénéficiaires.

32L'analyse du profil des commerçants impliqués dans les contrats montre qu'il s'agit effectivement de collecteurs-grossistes locaux. Ils résident dans la ville de Kétou (chef-lieu de la commune de Kétou) où la plupart écoule les produits collectés. Ils sont souvent des femmes, comme il est de tradition au Bénin (14, 22) même si la présence des hommes est assez remarquable. Au sein de notre échantillon, la majorité des contractants  (les deux-tiers) ont des partenaires commerciaux de sexe féminin.

33Une fois que les relations ont été tissées entre les deux parties, habituellement ce sont les commerçants qui sont les premiers à offrir des avances aux producteurs. Mais, il arrive, et ceci est fréquent ces dernières années, que des producteurs déjà sous contrat soient les premiers à formuler une demande de crédit. Deux raisons principales sont souvent à la base d'une telle demande: un besoin urgent de revenus monétaires pour faire face aux soins de santé, aux dépenses liées aux sarclages afin d'éviter les retards, aux dépenses de funérailles. Dans ces cas, les commerçants se retrouvent en position dominante et ont recours à des prix préétablis (prix ex ante), nettement inférieurs à ceux du marché au moment où le produit est livré par le producteur. Ceci va à l'encontre de la pratique courante. Habituellement, ce sont les prix ex post, très proches de ceux observés sur les marchés au moment de la livraison du produit, qui sont adoptés dans les relations contractuelles dans la zone. En conséquence, il existe dans le milieu deux grandes catégories d'arrangements contractuels qui ont  des implications différentes pour les principaux termes du contrat (mode de fixation des prix, moment de la livraison).

Les contrats accompagnés d’avances offertes spontanément par les commerçants

34Ils sont les plus fréquents au sein de notre échantillon; ils concernent 70 % des producteurs contractants. Dans ce cas, les prix sont fixés ex post. Néanmoins, il convient de relever que deux variantes de ce type d'arrangement ont été observées. La première consiste à adopter le prix observé sur le marché au moment de la livraison du produit, mais le commerçant négocie un petit abattement (prix ex post, variante 1). Cette variante concerne 47 % des producteurs sous contrat. Dans le cas de la seconde variante (23 %), les deux parties adoptent simplement le prix observé sur le marché, sans abattement (prix ex post, variante 2). En règle générale, dans le cas des contrats avec prix ex post, les paysans ne livrent pas les produits en une seule fois. Une partie est livrée pendant la période d'abondance et l'autre partie pendant la période de soudure. Les paysans sont généralement libres d'organiser leurs ventes comme ils le souhaitent.

Les contrats accompagnés de crédits demandés par les producteurs

35Cette catégorie concerne 30 % des producteurs contractants. Ces contrats sont souvent nés parce qu'à un moment donné de la saison, les producteurs se sont portés en premier vers des commerçants avec qui ils sont habituellement en relation d'affaires pour demander un crédit. Les besoins urgents de liquidités sont à l'origine de cette demande. Les prix préétablis (prix ex ante) constituent la règle dans ces cas. Ce type de contrats mentionne, au moment de leur établissement, la quantité qui doit être livrée par le producteur en contrepartie du crédit reçu. Il n'est pas donné au producteur contractant la possibilité de livrer le produit en plusieurs tranches.  Il est tenu de livrer la totalité de la quantité promise pendant la période d'abondance (juste après la récolte).

36L'étude n'a pas permis d'identifier des catégories de contrats dans lesquels les prix offerts aux producteurs sont supérieurs au prix du marché afin de les inciter à adhérer aux contrats comme Dièye et al. (11) l'ont constaté dans le cas du système laitier local au Sénégal.

37Le tableau 2 montre les prix reçus par les paysans au cours de la campagne 2008-2009 selon le type de contrat. Les prix reçus sous le mode des prix préétablis sont inférieurs de 33 % comparés aux autres modes ou au prix qui prévaut sur le marché du village.

38Il convient de souligner qu'habituellement, quel que soit le type de contrat, il est stipulé qu'après avoir effectué les livraisons qui correspondent aux montants des avances ou des crédits reçus, les paysans peuvent vendre librement le reste de leurs produits à travers d'autres circuits de commercialisation. Par ailleurs, ce sont les commerçants qui se déplacent pour collecter les produits au domicile des paysans. Les frais de transport sont donc à la charge des commerçants.

39Il existe des divergences concernant les avantages et les inconvénients des arrangements contractuels. Selon Fafchamps et Gabre-Madhin (14), on ne trouve pas d'indices suffisants permettant de conclure qu'au Bénin les arrangements contractuels informels constituent un moyen utilisé par les commerçants pour 'exploiter' les producteurs. Les données sur les prix reçus par les producteurs contractants ayant obtenu des avances ou des crédits sont rarement différents de ceux du marché. Kpènavoun Chogou (22) a aussi révélé qu'il n'existe pas une différence statistiquement significative entre les prix de vente reçus par les producteurs sous contrat et ceux pratiqués sur les marchés spot. Nos données montrent néanmoins que cette conclusion doit être nuancée. Les producteurs qui ont reçu des crédits de leurs partenaires commerciaux pour faire face à des besoins urgents au cours de la campagne 2008-2009 se sont vus imposer des prix de vente nettement inférieur à ceux des marchés spot (33 % de moins) (Tableau 2). Par ailleurs, l'analyse des perceptions des producteurs au sujet des avantages et inconvénients des arrangements contractuels  a révélé un net clivage au sein de la population.

40Les producteurs sous contrat ne trouvent aucun inconvénient aux arrangements contractuels même si quelques-uns redoutent des problèmes de défaut de paiement en cas de mauvaises récoltes. Selon eux, ils ne peuvent maintenir ou accroître leur niveau de production du maïs qu'en ayant recours aux avances ou crédits reçus des commerçants. Ils pensent que ces avances sont indispensables surtout pour louer la main d'œuvre salariée en vue d'effectuer les sarclages à temps. Les producteurs sans contrat ont une position contraire. Selon eux, les arrangements contractuels sont accompagnés de prix très bas et ne sont donc pas rentables. En plus, ils seraient des sources de conflits à cause des problèmes de défaut de paiement. Plusieurs producteurs ayant souscrit à ces arrangements dans le passé les ont abandonnés pour ces raisons et préfèrent désormais vendre librement leurs produits sur les marchés spot.

41Tableau 2. Prix moyens reçus par les producteurs sous contrat selon le mode de fixation des prix au cours de la campagne 2008-2009.

Prix

(FCFA par sac de 100 kg)

Période d’abondance Période de rareté

Contrat avec prix ex ante (préétablis)

11 250

--

Contrat avec prix ex post (avec abattement)

16 560

19 390

Contrat avec prix ex post (sans abattement)

16 750

22 500

Prix sur le marché du village

16 900

22 625

42Source : Notre enquête (2009).

43Les avances ou les crédits accordés par les commerçants aux producteurs constituent le principal centre d'intérêt des arrangements contractuels dans la zone d'étude. Leurs montants sont substantiels. Ils varient entre 10.000 FCFA et 125.000 FCFA par paysan par an au cours de la campagne 2008-2009 (66.400 FCFA, en moyenne). Ces montants sont comparables à ceux octroyés par les structures de microfinance ou projets gouvernementaux aux petits producteurs en milieu rural au Bénin. A titre de comparaison, Sossou (27) a trouvé que 66 % des exploitations agricoles ayant exprimé une demande de crédit reçoivent des montants qui varient entre 10 000 FCFA et 120 000 FCFA

44Les avances ou crédits reçus grâce aux contrats sont consacrés à raison de 76 % au financement de la production agricole. Le reste, 24 % est destiné principalement aux funérailles, aux soins de santé, à l'alimentation et aux frais d'écolage. La plupart des paysans (81 %) utilise la part orientée vers la production agricole pour louer la main d'œuvre. L'utilisation de la main d'œuvre salariée est prépondérante dans les villages enquêtés. Selon nos données, la main d'œuvre salariée représente, en moyenne, 54 % de la main d'œuvre totale utilisée par parcelle pour produire le maïs chez les 2 groupes de paysans.

45Les résultats de cette étude rejoignent ceux obtenus par Sossou (27). Selon cet auteur, la réduction de la main d'œuvre salariée est constamment évoquée par de nombreux paysans (42 %) comme une réponse au rationnement ou au manque de crédits. En d'autres termes, la location de la main d'œuvre est certainement une destination importante des crédits reçus par les exploitations agricoles au Bénin.

46Dans la zone d'étude, les exploitations ne peuvent plus compter sur la main d'œuvre familiale pour conduire les opérations culturales même si les ménages sont de grande taille (8 personnes dont 5 adultes). Cette nouvelle contrainte s'explique, entre autres, par le taux croissant de scolarisation dans les villages. Les jeunes ne sont plus disponibles dans les périodes de travaux champêtres, ce qui oblige les familles à avoir recours souvent à la main d'œuvre salariée.

47L'acquisition des engrais minéraux est la seconde destination des avances encaissées par les producteurs dans le cadre des contrats. Mais, seule une minorité de producteurs, 19 %, font ce choix. Les montants consacrés à cet intrant sont aussi dérisoires.

48Il faut souligner que le fait de privilégier les dépenses de main d'œuvre au lieu des consommations intermédiaires (engrais minéraux, semences…) est cohérent avec la théorie de la croissance agricole proposée par Boserup (4) et soutenue empiriquement par Tiffen et al. (29). Dans la section précédente, il a été souligné que selon Boserup (4), le principal objectif des agriculteurs ou des communautés rurales surtout aux premières étapes des transformations agricoles, c'est d'augmenter la production vivrière totale du ménage ou la production vivrière par tête. Comme moyens pour accroître la production vivrière dans ces systèmes agricoles, les agriculteurs privilégient deux options. La première consiste à mettre en valeur davantage de terres. La deuxième est l'invention ou l'adoption de diverses techniques antiérosives et un meilleur entretien physique des terres cultivées afin d'éviter la chute des rendements, voire de les relever légèrement. Sans ces pratiques, les rendements devraient connaître une baisse drastique à cause de la réduction de la durée des jachères ou de leur disparition. Des terres cultivées plus étendues avec des rendements plus ou moins stabilisés permettent souvent à ces communautés de garantir une production par tête suffisante. L'extension des superficies cultivées et l'application des techniques d'amélioration physique des sols pratiquées exigent une main d'œuvre importante (4).

49Dans les systèmes agricoles de ce genre, les paysans ne sont incités à accroître les consommations intermédiaires (engrais minéraux, semences améliorées…) que lorsque les cultures sédentarisées deviennent la règle et / ou lorsque l'accès aux marchés et aux intrants est facilité par de bonnes infrastructures de communication (les routes notamment) ou des arrangements institutionnels appropriés. Il faut souligner que les marchés des engrais minéraux spécifiques à l'agriculture vivrière et des semences améliorées sont presqu'absents dans la zone d'étude. En définitive, le fait que les exploitations agricoles familiales interrogées privilégient les dépenses de main d'œuvre au lieu des intrants comme les engrais minéraux n'est pas forcément une attitude irrationnelle comme l'a soutenu Boserup (4).

50Il n'a pas été relevé des restrictions ou des freins particuliers à la participation aux arrangements contractuels pratiqués dans la zone d'étude. Il a été relevé précédemment que les producteurs sans contrat ont une perception très négative des arrangements contractuels. C'est souvent la seule explication de leur refus d'y prendre part. Par ailleurs, les données ne permettent pas de remarquer nettement que les commerçants sélectionnent les producteurs sur la base de caractéristiques particulières. Par exemple, le lien social (lien de parenté, amitié…) ou les signes de richesse ne se sont pas révélés comme étant des critères de choix utilisés par les commerçants. Il est particulièrement intéressant de remarquer ici que les contrats ne sont pas confinés aux paysans qu'on pourrait appeler " grands producteurs " dans le milieu. Comme le montrent les figures 1 et 2 les tout petits producteurs sont aussi bien représentés parmi les contractants.

51Comme des interviews détaillées n'ont pas été menées avec les commerçants, des données précises sur leurs perceptions des freins à leurs engagements n'ont pas été recueillies. Toutefois, plusieurs producteurs ont indiqué qu'ils n'ont pas pu souscrire aux contrats parce que les commerçants se sont retrouvés en manque de liquidités.

52Comme d'autres auteurs l'ont déjà souligné, c'est la confiance qui détermine la participation aux arrangements contractuels informels et ceci est basé sur la réputation acquise par le partenaire à la suite de transactions répétées (11). Il est intéressant de souligner qu'aucun cas de conflits récents dus au non-respect des obligations contractuelles n'a été signalé par les producteurs interrogés, ce qui confirme les résultats obtenus par Fafchamps et Gabre-Madhin (14); et Kpènavoun Chogou (22).

img-4.jpg

53Figure 1: Pourcentage de producteurs sous contrat par classe de superficie totale disponible.

54Source : Notre enquête, 2009

img-5.jpg

55Figure 2: Pourcentage de producteurs sous contrat par classe de superficie totale disponible par tête.

56Source : Notre enquête, 2009.

Lien entre les contrats agricoles informels et la performance de la production du maïs

57Le tableau 3 présente les résultats de l'estimation des différences entre les contractants et les non-contractants pour les indicateurs retenus, sur la base de la comparaison des moyennes. Les écarts entre les 2 groupes sont positifs pour la production et la superficie. Pour le rendement et la main d'œuvre salariée, les écarts sont négatifs. Mais, les tests t de Student montrent que les différences estimées ne sont pas significatives statistiquement. Toutefois, ces résultats souffrent de biais de sélection que l'analyse économétrique peut contribuer à neutraliser comme il a été précédemment discuté.

58Tableau 3. Résultats de la comparaison des moyennes pour les indicateurs de performance.

Variable dépendante

Producteurs sous contrat

Producteurs sans contrat

Différence

t de Student

Production du maïs par parcelle (kg)

1960,4

1830,8

130,4

0,6ns

Superficie du maïs par parcelle (ha)

2,3

2,1

0,2

1,0ns

Rendement par parcelle (kg/ha)

875,4

901,9

-25,6

-0,7ns

Main d’œuvre salariée par parcelle (hommes-jours)

83,4

85,2

-1,8

-0,1ns

59ns  non significatif.

60Les différences estimées sur la base de l'analyse économétrique sont présentées dans le tableau 5. Les caractéristiques des variables explicatives des modèles de régression estimés sont reportées dans le tableau 4. Les résultats détaillés de ces modèles se trouvent dans le tableau 6. Les résultats présentés dans le tableau 5 correspondent aux valeurs affichées au niveau de la ligne 'contrat agricole' dans le tableau 6. Il convient de souligner que les modèles ont été estimés en appliquant la Méthode des Moindres Carrés Ordinaires (MCO) avec l'option cluster sous STATA. L'unité d'observation retenue dans cette étude est la parcelle et plusieurs variables explicatives introduites dans les modèles estimés caractérisent le contexte du ménage. Il se pose donc le problème de l'indépendance des observations comme il a été souligné dans la section précédente. La MCO avec l'option cluster permet d'améliorer les erreurs-types.

61Il faut noter que dans l'analyse économétrique, les parcelles qui ont été prises en compte sont au nombre de 77 sur 90 parcelles de maïs recensées. Les parcelles qui portent la culture associée (maïs + manioc) ont été écartées. Seules les parcelles qui portent une culture pure ou l'association 'maïs + pois d'angole' ont été retenues. Le mode de conduite des parcelles qui porte l'association maïs + manioc est complexe et leurs résultats de production souffrent d'importantes erreurs de mesure. Par ailleurs, les analyses préliminaires ont donné des résultats incohérents lorsque ces parcelles ont été prise en compte.

62Tableau 4. Statistique descriptive des variables explicatives des modèles de régression estimés.

Caractéristiques des ménages

Variable

Ensemble échantillon

(N=70)

Sous contrat

(N=32)

Sans contrat

(N=38)

t de Student

Contrat agricole

0,46  

  -         -          -

Age du chef de ménage (Nombre d’années)

37,6 (9,8)

35,0 (7,9)      

39,7 (10,9)  

-2,4**

 Taille du ménage

7,3 (2,7)

7,2 (2,9)

7,5 (2,6)

-0,5ns

Effectif des adultes (15 ans et plus)

4,8 (2,7)

4,5 (2,7)

5,1 (2,7)

-0,9ns

Aucune instruction

0,4 (0,5)

0,4 (0,5)

0,4 (0,5)

0,36ns

Primaire

0,4 (0,5)

0,3 (0,5)

0,5 (0,5)

-1,88*

Secondaire

0,2 (0,4)

0,3 (0,5)

0,1 (0,3)

1,9*

Ethnie du chef de ménage (Mahi)

0,8 (0,4)

0,8 (0,4)

0,7 (0,5)

0,7ns

Superficie totale disponible (ha)

4,2 (2,4)

4,3 (2,7)

4,1 (2,1)

0,4ns

Accessibilité

0,8 (0,4)

0,7 (0,5)

0,8 (0,4)

-1,0ns

Village (Adakplamè)

0,5 (0,5)

0,5 (0,5)

0,5 (0,5)

-0,5ns

Caractéristiques des parcelles

Variable

Ensemble échantillon

(N=77)

Sous contrat

(N=34)

Sans contrat

(N=43)

t de Student

Terres de bonne qualité

0,4 (0,5)

0,3 (0,4)

0,5 (0,5)

-2,2**

Terre de qualité plutôt bonne

0,5 (0,5)

0,7 (0,4)

0,4 (0,5)

3,1***

Terre de mauvaise qualité

0,1 (0,2)

0,0 (0,0)

0,1 (0,3)

-1,8*

Terres héritées

0,7 (0,5)

0,5 (0,5)

0,9 (0,3)

-4,0***

Terres empruntées

0,1 (0,3)

0,3 (0,4)

0,0 (0,2)

3,3***

Terres louées

0,1 (0,2)

0,0 (0,2)

0,10 (0,3)

-1,1ns

Terre en métayage

0,1 (0,3)

0,2 (0,4)

0,0 (0,0)

3,3***

Parcelle avec association de culture (maïs+pois d'angole)

0,6 (0,5)

0,7 (0,5)

0,5 (0,5)

1,7*

63Dans les parenthèses sont reportées les valeurs les écarts-types ; ***significatif à 1%,  ** significatif à 5%,  *significatif à 10%,  ns non significatif.

64Tableau 5. Estimation de la contribution des contrats agricoles informels à la performance de la production du maïs (MCO avec cluster).

Indicateur

Différence

entre contractants et non-contractants

t de Student

Production du maïs par parcelle (kg)

470,0

2,3**

Superficie du maïs par parcelle (ha)

0,5

2,0**

Rendement parcelle (kg/ha)

42,8

0,9ns

Main d’œuvre salariée par parcelle (hommes-jours)

31,7

2,0**

65** significatif à 5%,  ns non significatif.         

66Tableau 6. Résultats des modèles de régression sur la relation entre la participation aux contrats et les indicateurs de performance (MCO avec cluster).

Production

Rendement

Superficie

Main d’œuvre salariée

Contrat agricole, variable muette

470,0

(2,3)**

42,8

(0,9)

0,5

(2,0)**

31,7

(2,0)**

Age du chef de ménage

-8,3

(-0,7)

0,5

(0,2)

-0,0

(-1,0)

-0,8

(-0,7)

Taille du ménage

35,2

(0,5)

-13,1

(-1,0)

-0,1

(-0,9)

5,1

(1,1)

Effectif des adultes (15 ans et plus)

-67,6

(-1,0)

4,8

(0,3)

-0,1

(-1,1)

-5,3

(1,1)

Niveau d’instruction du chef de ménage

Aucune instruction, variable muette

Référence Référence Référence Référence

Primaire, variable muette

-57,4

(-0,3)

-15,4

(-0,4)

-0,0

(-0,1)

-10,7

(-0,6)

Secondaire, variable muette

-371,9

(-1,7)

-40,5

(-1,0)

-0,4

(-1,4)

-33,2

(-2,1)**

Ethnie, variable muette

-215,6

(-0,8)

1,9

(0,1)

-0,2

(-0,9)

-13,3

(-0,7)

Superficie totale disponible (ha)

374,3

(2,4)**

-29,1

(-1,0)

0,5

(2,4)**

11,7

(1,2)

Superficie totale disponible au carré

-13,6

(-0,9)

3,0

(1,1)

-0,0

(-1,0)

0,1

(0,2)

Conditions agro-pédologiques de la parcelle selon la perception du paysan

Bonnes, variable muette

Référence Référence Référence

Référence

Plutôt bonnes, variable muette

-332,1

(-1,5)

-2,2

(-0,1)

-0,3

(-1,2)

-16,2

(-1,1)

Mauvaises, variable muette

119,4

(0,4)

-82,8

(-0.7)

0,5

(1,4)

13,9

(0,5)

Mode de faire-valoir de la parcelle

Héritage, variable muette Référence Référence Référence Référence

Emprunt, variable muette

-918,2

(-3,2)***

-185,1

(-4,7)***

-0,7

(-2,0)**

-74,4

(-4,4)***

Location, variable muette

-751,3

(-2,6)***

-348,7

(-5,2)***

-0,2

(-0,6)

-59,9

(-3,1)***

Métayage, variable muette

-342,9

(-0,8)

-127,8

(-3,0)***

-0,1

(-0,3)

-39,2

(-1,9)*

Accessibilité, variable muette

-277,3

(-1,4)

22,1

(0,6)

-0,4

(-2,0)**

-8,0

(-0,5)

Culture associée, variable muette

88,6

(0,5)

-6,0

(-0,2)

0,1

(0,5)

-0,9

(-0,1)

Village, variable muette

-191,7

(-0,7)

95,8

(2,3)**

-0,4

(-1,4)

21,3

(1,1)

Constante

1965,0

(2,8)***

998,0

(9,3)***

1,8

(2,3)**

78,5

(2,1)**

R2

0,48

0,61

0,45

0,48

F

5,7***

7,9***

6,0***

18,3***

Racine EQM

733,7

121,1

0,86

49,6

N (nombre d’observations)

77

77

77

77

67  Dans les parenthèses sont reportées les valeurs t de Student.   *** significatif à 1% , ** significatif à 5%,  * significatif à 10%.    

68Les résultats du tableau 5 montrent que le lien entre la participation au contrat et tous les indicateurs  de performance est positif. Les paysans sous contrat ont une production de maïs par parcelle supérieure de près d'une demi-tonne comparée aux producteurs sans contrat (soit un accroissement de 25 % par rapport à la production moyenne de l'échantillon). Il est confirmé que les paysans sous contrat utilisent une quantité de main d'œuvre salariée plus élevée (+ 38%). Cette main d'œuvre additionnelle a surtout permis d'emblaver par parcelle une superficie plus grande (+ 0,5 ha, soit un accroissement de 23 %). L'analyse du tableau 5 montre que c'est le principal canal par lequel transite la contribution des contrats à l'accroissement de la production totale. La contribution à l'amélioration du rendement est faible ( + 5%) et elle n'est pas statistiquement significative.

69Les résultats présentés dans le tableau 5 sont cohérents avec ceux analysés précédemment en ce qui concerne l'utilisation faite des crédits reçus. Les crédits reçus par les producteurs sous contrat sont orientés prioritairement vers la location de la main d'œuvre salariée. Ils ne sont pas utilisés pour acquérir les intrants susceptibles d'accroître substantiellement les rendements comme les engrais minéraux ou les semences améliorées.

70Les études ayant estimé le lien entre les contrats agricoles informels et la performance de la production d'une céréale principale, comme le maïs, sont rares au Bénin, et même en Afrique. Toutefois, les résultats de la présente étude peuvent être comparés à ceux de Vande Velde et Maertens (30) pour le riz. Les tendances entre les 2 études se rejoignent presque.

71Vande Velde et Maertens (30) ont trouvé, en appliquant l'analyse économétrique avec la Méthode des Moindres Carrés Ordinaires (MCO), que les contrats agricoles permettent d'accroître la production du riz ( + 62%). Ceci est dû surtout à l'accroissement de la superficie emblavée ( + 24%). Ils ont confirmé un effet positif  pour le rendement ( + 14%) mais, significatif seulement au seuil de 10 %. L'accroissement positif  significatif obtenu par Vande Velde et Maertens (30) dans le cas de la superficie indique probablement que les contrats ont favorisé l'utilisation d'une quantité de main d'œuvre plus grande étant donné que la riziculture est manuelle dans la zone d'étude. C'est donc un résultat semblable à celui que nous avons obtenu. Il faut, par ailleurs, souligner que dans l'étude menée par Vande Velde et Maertens (30), l'ONG promotrice des contrats offre des crédits en nature (engrais minéraux, semences améliorées, etc.) et un appui-conseil. Ceci peut justifier l'effet positif faiblement significatif que Vande Velde et Maertens (30) ont trouvé dans le cas du rendement.

72Les résultats de la présente étude montrent que les rendements demeurent faibles (une tonne par hectare environ) y compris chez les contractants. Même avec des débouchés sécurisés et le crédit assuré grâce aux contrats les producteurs interrogés ne sont pas motivés à accroître l'utilisation des intrants (engrais minéraux, semences améliorées…) pour intensifier la culture. Ce résultat est surprenant mais il est intéressant. Il s'agit sûrement d'une défaillance importante du type d'arrangements contractuels analysé dans cette étude. Ce problème sera approfondi dans nos recherches futures.

73Opter pour une intégration des producteurs de céréales (de maïs notamment) aux marchés en encourageant les contrats agricoles peut s'avérer non-viable si les rendements restent faibles. Avec les niveaux de rendements qui prévalent dans la zone d'étude, la rentabilité est souvent dérisoire (27). L'activité peut alors difficilement attirer des agriculteurs du type 'agro-entrepreneurs' considérés souvent comme les acteurs-clés d'une agriculture contractuelle favorable à l'intensification et la transformation agricoles. Et effectivement, ce type d'agriculteurs est rare dans la zone d'étude.

74Les données de cette étude montrent, cependant, que le lien prôné entre agriculture contractuelle, intensification agricole et agro-entrepreneuriat pourrait être moins évident dans le cas de la production des céréales de base au Bénin. Boche (3) a aussi montré que ce lien devrait être analysé avec réserve. Les arrangements contractuels axés sur les petites exploitations familiales est une bonne piste à explorer. Il faut noter que les contrats agricoles observés existent dans la zone d'étude depuis près de trois décennies en dépit des faibles rendements et d'une rentabilité limitée du maïs. Les producteurs ont confirmé que ces contrats motivent la production de surplus substantiels de maïs qui servent à approvisionner les grandes villes du Bénin. Il est légitime de se demander pourquoi ces arrangements persistent malgré la faible rentabilité de la production.

75En fait, dans un contexte marqué par des imperfections des marchés, la rentabilité (calculée aux prix du marché) n'est pas le seul critère qui guide les choix des petits agriculteurs, en agriculture céréalière notamment. Comme preuve, le maïs est la culture qui reçoit l'essentiel des investissements dans la plupart des exploitations familiales au sud du Bénin malgré le niveau dérisoire de la rentabilité (27). C'est peut-être un paradoxe mais, deux raisons justifient ce comportement. Premièrement, cette plante est produite avant tout avec comme objectif l'autoconsommation. L'autoconsommation atteint, en moyenne, 60 % de la production du maïs au Bénin (27). Même avec des rendements relativement faibles, les agriculteurs continuent de cultiver cette plante, simplement parce que la survie de leurs ménages, surtout leur sécurité alimentaire, en dépend largement. Deuxièmement, le maïs est de plus en plus cultivé pour garantir de petites ventes dans le but d'obtenir des revenus monétaires et satisfaire des besoins devenus pressants dans les communautés rurales comme les soins de santé, l'amélioration du logement, la scolarisation des enfants, diverses célébrations (funérailles, mariages…). Ces ventes sont davantage facilitées avec la forte croissance de la demande alimentaire urbaine. C'est la combinaison complexe de ces deux objectifs qui débouche sur les choix, souvent surprenants, opérés par les producteurs.

76La simple application des modèles économiques standard basés sur le seul critère de rentabilité (maximisation du profit) ne permet pas de prendre convenablement en compte comment ces deux objectifs servent de guide aux choix des producteurs. Les modèles qui conviennent sont ceux dits modèles de ménage agricole non-séparables. L'agriculteur est obligé de poursuivre l'objectif d'autoconsommation parce qu'il opère dans un environnement où les marchés (des produits et des facteurs de production) sont absents ou fonctionnent très mal. Dans un contexte pareil, compter sur le marché pour s'approvisionner en maïs est très risqué pour le paysan si entre-temps il a vendu toute sa récolte. L'écart entre le prix à la vente et le prix à l'achat est souvent énorme. Il ne lui reste donc que l'option de produire prioritairement pour l'autoconsommation et vendre les surplus s'ils existent.

77La principale conclusion des modèles de ménage agricole non-séparables est que les produits et les facteurs de production ont des prix implicites qui ne sont pas nécessairement égaux aux prix affichés dans les  marchés et c'est ce qui explique certains choix surprenants des agriculteurs. Lorsque ces derniers reçoivent des incitations, les niveaux des prix implicites sont ajustés et leurs décisions changent (2, 19, 20, 28).

78Les données de cette étude montrent que les arrangements contractuels constituent une bonne incitation à la production de surplus relativement importants de maïs dans la zone d'étude. L'approvisionnement des grandes villes du Bénin en maïs est assuré aujourd'hui par cette zone. Les producteurs interrogés ne sont pas devenus des agro-entrepreneurs mais, la composante commercialisation occupe désormais une place de choix dans leurs systèmes de production. C'est une transformation qui mérite d'être accompagnée parce qu'elle peut améliorer la productivité.

79Selon nos résultats, il faut probablement appuyer les petits commerçants locaux qui ont promu les arrangements contractuels en production céréalière au Bénin. Les clauses que ces commerçants ont développé et appliquent dans le cadre de ces arrangements semblent être en adéquation avec les exigences de la production du maïs. Aussi, les petites exploitations familiales ont-elles démontré qu'elles peuvent satisfaire aux exigences de ces arrangements. On signale rarement des cas de non-respect des engagements. Il convient donc simplement d'aider ces deux acteurs à mieux faire ce qu'ils font déjà. On pourrait rechercher avec eux, par exemple, les mécanismes à intégrer aux contrats pour accroître davantage les productivités (le rendement notamment).

80Les analyses précédentes permettent de comprendre ce qui guide le comportement des producteurs interrogés, notamment leur adhésion aux arrangements contractuels promus par les commerçants. Il n'en demeure pas moins que le fait que ces arrangements produisent des effets peu convaincants sur l'intensification de la culture et le rendement est une situation à laquelle une étude plus approfondie doit être consacrée.

81En définitive, l'analyse des résultats de la présente recherche permet de conclure que les programmes publics axés sur la promotion des chaînes de valeur des produits vivriers devraient appuyer les petits commerçants capables de promouvoir les contrats agricoles. Une forme de partenariat public-privé peut être envisagée pour accroître les impacts des contrats sur la productivité et les étendre à un plus grand nombre de petits producteurs. Pour bien cerner la faisabilité de ce partenariat, il serait utile d'envisager une recherche qui analyse les contrats agricoles informels  du point de vue des commerçants, contrairement à la présente étude qui a été focalisée sur les producteurs.

Conclusion

82En Afrique subsaharienne, de nombreuses barrières à l'accès aux marchés sont érigées contre les paysans. Cette situation handicape la commercialisation et la croissance agricoles. Les contrats agricoles font partie des mécanismes institutionnels qui permettent de résoudre ce problème. Au Bénin, les contrats agricoles informels promus par les petits commerçants sont fréquents. Ils concernent surtout le maïs, la principale céréale du pays. Cette étude cherche à caractériser ces contrats et à mesurer leur contribution à l'amélioration de la performance de la production du maïs.

83Une enquête a été conduite dans la commune de Kétou (sud-est du Bénin), une zone reconnue comme l'un des greniers du Bénin. Les résultats obtenus montrent que près de la moitié des paysans enquêtés produisent le maïs sous contrat, et la plupart depuis près de 3 à 9 années successives. Les 'petits' comme les 'grands' producteurs sont bien représentés parmi les contractants. Grâce à ces contrats, les producteurs bénéficient de montants substantiels d'avances ou de crédits (environ 70.000 FCFA par producteur) investis prioritairement pour  louer la main d'œuvre. Le mode de fixation des prix n'est pas uniforme. Les prix sont fixés ex post pour certains producteurs et ex ante (préétablis) chez d'autres. La participation au contrat contribue à un accroissement de 25 % de la production du maïs, en moyenne. Il existe une relation positive significative entre la participation au contrat et la superficie du maïs, mais le lien avec le rendement n'est pas confirmé.

84Il ressort de l'analyse des résultats que la promotion des contrats agricoles au profit des cultures vivrières principales, comme le maïs, au Bénin est faisable en partenariat avec les petites exploitations familiales à condition de prévoir des clauses contractuelles adaptées et flexibles. C'est un mécanisme institutionnel efficace susceptible d'assurer la croissance de la production vivrière et d'améliorer la sécurité alimentaire. Ils méritent donc d'être mieux intégrés aux stratégies nationales de développement agricole. Les programmes publics axés sur la promotion des chaînes de valeur des produits vivriers pourraient étendre leurs appuis aux petits commerçants pour accroître les impacts des contrats sur la productivité et inciter un effectif plus important de paysans à y adhérer.

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Pour citer cet article

E.A. Gandonou, S. Kpènavoun Chogou, A.B.E.A. Adegbidi & A.E.K. Fafeh, «Contrats agricoles informels et performance de la production vivrière : cas du maïs au sud du Bénin», Tropicultura [En ligne], Volume 37 (2019), Numéro 1, URL : https://popups.uliege.be/2295-8010/index.php?id=264.