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- Volume 37 (2019)
- Numéro 1
- La pêche continentale malade du paludisme en Afrique centrale
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La pêche continentale malade du paludisme en Afrique centrale
1Le Plan National de Lutte contre le Paludisme (PNLP, 2009, 2013, 2016) en République Démocratique du Congo (RDC) a bénéficié pour son élaboration de contributions des experts internationaux de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et de Roll Back Malaria (RBM) et a été aussi appuyé par de grands organismes internationaux tels que l’UNICEF, la Banque Mondiale, le Département Britannique pour le Développement et l’USAID. Ces organismes internationaux veulent à juste titre «contribuer à l’élimination du paludisme en visant l’amélioration de l’état de santé de la population par la réduction du fardeau humain et socio-économique dû au paludisme ». Ces PNLP se basent et s’élaborent suite à une évaluation de Plans Nationaux Stratégiques (PSN) successifs. Bien que le dernier PNLP 2016-2020 en RDC prévoit le renforcement de la surveillance épidémiologique et le suivi évaluation, personne n’a détecté jusqu’à présent les fortes dérives du plan de distribution des Moustiquaires Imprégnées à Longue Durée d’Action (MILDA), dues aux connections particulières infirmiers-pêcheurs sur le terrain. Ces derniers utilisent les MILDA comme poche de capture (15 à 30 moustiquaires cousues) pour leur senne de plage. Et cela risque de durer encore longtemps quand on sait que la durabilité et la qualité des MILDA est limitée à 1 an, ce qui conduit le PNLP à recommander de les renouveler chaque année. A noter que la durée de vie d’une senne de plage à moustiquaires est aussi d’un an. Quant aux insecticides utilisés pour l’imprégnation, il s’agit essentiellement de pyréthrinoïdes tels que deltaméthrine et perméthrine (Equiterre, 2019) sans influence néfaste directe sur l’homme mais toxique pour les poissons, les batraciens et les invertébrés d’eau douce, inhibant notamment la capacité de filtration des mollusques bivalves. Ces substances présentent aussi un fort potentiel de bioaccumulation dans les tissus des organismes aquatiques et pourraient poser problème au bon fonctionnement de l’écosystème lacustre comme fluviatile. Et qu’en est-il de la consommation des poissons contaminés au contact de ces MILDA par les enfants à protéger de la malaria?
2Cette pêche illégale à la senne de plage à moustiquaires, qui se pratique dans les lacs et rivières du bassin du Congo, s’est effectivement généralisée depuis 2009 avec la distribution de ces MILDA dans toutes les provinces de la RDC, dont celle du Bandundu. Le lac Maï Ndombe qui y a particulièrement été étudié est ainsi soumis à une forte surexploitation, notamment des espèces de Cichlidae telles que Coptodon ( = Tilapia) congica et Tylochromislateralis frayant sur les plages de sable et de diverses espèces d’Alestidae, Distichodontidae, Citharinidae, Mormyridae, Claroteidae, Schilbeidae, Clupeidae, etc., que leurs alevins utilisent comme nurseries. Enfin, les revenus nets que génèrent cette pêche aux groupes de jeunes soi-disant pêcheurs au lac Maï-Ndombe sont de l’ordre de 150.000 FC /mois /pêcheur en 2015, ce qui est assez conséquent dans le contexte local. Ce niveau de revenu ne fait toutefois que baisser car cette pêche avec des filets moustiquaires à mailles de 2 mm ne permet plus le recrutement naturel des espèces classiquement capturées adultes aux filets maillants, pêche qui aussi décline fortement pour la même raison.
3Les ressources halieutiques du bassin du Congo présentent une nette tendance à la surexploitation vu le trop grand nombre de pêcheurs artisanaux, les pratiques de pêche illégales avec des filets à mailles trop petites, l’absence de repos biologique, etc. Cette surexploitation s’est fortement amplifiée suite à la mise en œuvre du Plan National de Lutte contre le Paludisme (PNLP) avec une dérive d’utilisation des filets moustiquaires, distribués par les infirmiers des centres de santé, qui arrivent dans les mains des pêcheurs à la senne de plage. Il y a donc lieu de changer de cap en modifiant les pratiques actuelles non seulement des soi-disant pêcheurs aux filets de senne de plage à moustiquaires mais aussi du monde médical qui devrait s’engager dans une approche systémique (verticale + transversale) de ses activités et mieux évaluer et surveiller la filière moustiquaire pour une utilisation adéquate telle que prévue dans le PNLP. Avec un budget de 1,5 milliard de UDS dollars sur 5 ans (2016-2020) attribué dans le cadre du Fonds Mondial pour la Santé par divers organismes multilatéraux et bilatéraux au PNLP de la RD Congo, cela devrait être possible.
4Le Plan d’aménagement et de Gestion du Lac Maï Ndombe, élaboré de façon participative avec toutes les parties prenantes sous l’égide du CENADEP-WWF fait espérer en tout cas ce changement, étant donné que, dans ce cadre, la Fédération des pêcheurs s’est dotée d’une mini charte de la pêche durable. Faudrait-il toutefois que les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre soient effectivement disponibles.
5En conclusion, la pêche et la lutte contre la malaria sont en train de se télescoper en RD Congo (Luhusu et Micha, 2013, Mulimbwa et al., 2018) mais aussi au-delà, notamment en Tanzanie où « the use of free malaria bed nets for fishing is widespread along Lake Tanganyika, and that this dynamic will have an adverse effect on fish ecology» (McLean et al., 2014). Et pourtant, les filets moustiquaires (MILDA) n’ont rien à faire dans l’eau des lacs et rivières, ni dans les mains des pêcheurs. En tout cas, cette magnifique démarche de lutte contre le paludisme, approvisionnée en centaines de millions de dollars, a subi quelques dérives et ce programme de santé du Fonds Mondial n’est pas près de sauver des millions de vie comme espéré, conduisant même à augmenter l’insécurité alimentaire en réduisant, par surexploitation, l’accès des populations à ces précieuses et excellentes ressources halieutiques.
6Photos: Publicité d’un pêcheur pour lutter contre la malaria en utilisant les filets moustiquaires pour pêcher les alevins sur les plages du lac Maï Ndombe !!!
Pour citer cet article
A propos de : J.-C. Micha
Université de Namur (UNamur), Unité de Recherche en Biologie Environnementale (URBE), Namur, Belgique et Ecole Régionale post-universitaire d’Aménagement et de gestion Intégrés des Forêts Tropicales et Territoires Tropicaux (ERAIFT), Kinshasa, RD Congo.