Un musée des ex-voto au Brésil : exposer le miracle
Résumé
À travers l'analyse d'une exposition d'ex-voto, l'article explore les problématiques de la sélection des œuvres et des modalités de mise en scène des « miracles ». Dans ce but, l'interlocution avec un collectionneur d'art ainsi que les expériences et impressions suscitées par certains dispositifs de présentation de l'exposition Casa dos Milagres - Santos e Ex-votos na Coleção de Antônio Marques, organisé dans dans la ville de Natal, l'état de Rio Grande do Norte, au Brésil, sont thématisés suivant une perspective ethnographique. Les principaux débats développés explorent les caractéristiques des espaces où les ex-voto sont exposés en contexte dévotionnel; les inflexions de la vie rituelle des ex-voto; le potentiel de l’exposition d’activer les pouvoirs des objets et, enfin, sur l' exposition comme un rituel.
Abstract
From the analysis of an exposition of ex-votos, I investigate the issues regarding the selection of works and the displays of the so-called “miracles”. For this purpose, the interaction with a Brazilian art collector is discussed in ethnographic perspective, in addition to the experiences engendered by the exhibition Casa dos Milagres – Santos e Ex-Votos na Coleção de Antônio Marques, held in the city of Natal, state of Rio Grande do Norte, Brazil. The main debates developed explore the characteristics of the spaces where the ex-votos are exhibited in a devotional context; the inflections of the ritual life of these objects; the potential of exhibition to activate the powers of objects and, finally, about exhibition as a ritual.
1. Quelques mots préliminaires sur les ex-voto et les salles des miracles
1Au Brésil, les ex-voto, aussi appelés milagres (miracles), sont offerts aux saints dans les églises catholiques et autres lieux de culte, comme au pied des croix et dans les cimetières. Dans les églises et les sanctuaires, il est courant que de tels objets soient exposés dans des espaces adjacents, appelés « Sala dos Milagres » (Salle des Miracles)1. Les définitions les plus connues de l'ex-voto le qualifient de paiement aux saints en échange de faveurs. Une telle lecture d'inspiration mercantile méconnaît que l'établissement d'un lien avec un saint n'est pas toujours équivalent à un engagement à court terme et qui est finalisé après la liquidation de dette (Gomes 2013)2. C'est-à-dire, les salles des miracles sont pleines d’objets qui échappent à la définition d’ex-voto présent dans les dictionnaires (généralement basées sur la locution latine ex-voto suscepto qui signifie « en raison d’un vœu fait »).
2Les objets choisis par les dévots pour montrer la puissance des saints dans leur vie sont très éclectiques. Ils peuvent s'agir d'objets ordinaires transformés en offrandes, par exemple, des clés pour rendre visible l'acquisition d’une maison ou des lunettes en allusion à guérison d’un problème ophtalmologique. Les dévots peuvent aussi acheter des objets fabriqués à des fins votives, résultants de procédés techniques mis en œuvre pour générer une représentation plastique. Il ne s'agit pas de l'utilisation de quelque chose qui existe déjà, mais de la manipulation de matières premières pour créer un objet destiné à être offert au saint. Il est assez courant que cet objet ait la forme de parties du corps humain, telles que les pieds, les mains, les bras, le cœur, la tête, etc. Ce sont des ex-voto « anatomiques », souvent réalisés en cire, en plâtre ou sculptés dans le bois.
3Comme le propose Heinich (2009), les collections d'ex-voto réalisés en série, sans qualité artistique ni ancienneté particulière, posent des défis particuliers à la logique patrimoniale, construite autour des notions d'unicité, de beauté et de singularité. Pour Didi-Huberman (2007) « les images votives sont organiques, vulgaires, aussi désagréables à contempler qu'abondantes et diffuses. Banales pour l'ethnologue, les images votives semblent tout simplement inexistantes pour l'historien de l'art » (p. 7). Selon l’auteur, les ex-voto causent de l’inconfort parce qu'ils ne correspondent pas aux modèles esthétiques, ni aux visions positivistes de l'histoire comme chaîne narrative continue, compte tenu qu'ils contribuent à réduire les clivages entre paganisme et christianisme.
4Comme nous pouvons le constater, les salles de miracles sont des espaces d’exposition assez provocateurs. Outre le caractère hétéroclite des collections, il n'y a souvent pas de distance entre les œuvres, ni de disposition uniquement à la hauteur du regard du visiteur. La description de ces milieux comme denses et tendus - car en plus d'être saturés d'objets, dans différents états de conservation, les ex-voto concernent une multitude de pathologies et autres situations complexes de la vie des fidèles - contrastent avec l'émerveillement des dévots devant les collections formées en raison de la dévotion aux saints (Gomes 2013).
5Dans les prochaines sections du texte, j'aborde l'exposition Casa dos Milagres – Santos e Ex-Votos na Coleção de Antônio Marques, tenue en 2013, dans la ville de Natal, dans l'État de Rio Grande do Norte, au Brésil. L'organisation d'une exposition d'art à partir d'objets religieux connus pour être traditionnellement exposés dans des lieux perçus comme marqués par un manque d'ordonnance et d'attractivité esthétique est opportune pour l’articulation d’une série des questions. Les ex-voto brésiliens sculptés étaient et sont socialement classés comme artistiques, bien qu'ils soient aussi considérés comme primitifs, artisanaux, folkloriques, populaires, naïfs et ainsi de suite. Au-delà des classifications, il est important de réfléchir sur le transit des ex-voto pour les collections et les expositions à partir des potentialités et des limites d'un type d'objet qui présente déjà une fonctionnalité esthétique et d’exposition dans les lieux où il est offert dans le cadre des pratiques religieuses.
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2. La conception du Musée d’Ex-voto / Exposition Casa dos Milagres – Santos e Ex-Votos na Coleção de Antônio Marques
7Entre 2012 et 2013, dans le cadre de ma recherche doctorale (Gomes 2017), j'ai suivi les pratiques de recherche, de commercialisation, de collecte et d'exposition d'objets d’un collectionneur d'œuvres d'art. Il s’agit d’Antônio Marques de Carvalho Junior, qui vit à Natal, dans l’État du Rio Grande do Norte, situé au Nordeste du Brésil, région de production et circulation des miracles sculptés en bois. La production de données ethnographiques a été rendue possible par la participation à différentes situations : voyages à la recherche d'objets dans des sanctuaires, des antiquaires et des fermes ; rencontres avec l'organisme public responsable de la culture du Rio Grande do Norte ; visites d'ateliers d'artistes, d'espaces de collections et de foires d'art et d'artisanat.
8Les réflexions ci-dessous sont issues d’une ethnographie basée dans le processus de dialogue et d'interlocution que j'ai établi avec lui dans la conception de l'exposition. Antonio Marques a travaillé pendant de nombreuses années en tant que professeur et est réputé comme un spécialiste de l'art, y compris ses dimensions liturgiques et socioanthropologiques3. Cette position unique en tant que collègue prédécesseur et enseignant a faite de moi, dans plusieurs situations de terrain, une apprentie. Dans d'autres, j'étais une interlocutrice, puisque le collectionneur accueillait avec attention mes suggestions de textes, des recherches sur les espaces d'exposition et autres questions d'intérêt commun.
9Antonio Marques a idéalisé un musée pour abriter les ex-voto de sa collection, ainsi que quelques images de saints. La Casa dos Milagres (Maison des Miracles) a été conçue comme l’exposition inaugurale et permanente du Museu do Ex-voto (Musée d’Ex-voto). Pendant la période où j'étais sur le terrain, Antônio Marques a décidé de sortir le musée de l'état de projet et en faire une réalité. Par conséquent, nos débats se sont principalement concentrés sur les possibilités d'exposition des miracles.
10Mes expériences de recherches précédentes concernaient le contexte où les objets ne suscitaient pas l'intérêt des collectionneurs, puisqu'ils étaient majoritairement industrialisés (Gomes 2013). L'administration de la salle des miracles en question a déclaré que tout devait être exposé, car, pour le dévot, aucun miracle n'est plus important que l'autre. Cependant, cette option d'agrégation continue – et pratiquement illimitée – d'objets n'est pas généralisable à toutes les salles des miracles.
11Dans la littérature sur les sanctuaires à grande échelle, on trouve des références à des cas où les objets sont explicitement triés avant d'être exposés (Souza 2012 ; Perrée 2017). Lygia Segala (1999) signale qu'à Aparecida, dans le plus grand sanctuaire marial du monde4, « il y a une équipe formée qui sélectionne, organise, classe les pièces votives par sujet et matière et expose les offrandes. [...] Les miracles sont purifiés, en choisissant, dans l'ordre d’exposition, les expressions appropriées de reconnaissance » (p. 17)5.
12Et quelles seraient les expressions votives choisies par un collectionneur d'art – pour montrer la Casa dos Milagres ? Qu'est-ce qui a justifié le transfert de la collection privée vers une exposition publique ? Dans le projet de création de la Casa dos Milagres (Carvalho Jr., s/d ), qui a été présenté à l'organisme publique responsable de la culture du Rio Grande do Norte, Antônio Marques a abordé la « réserve »6 de « l'Église officielle » en ce qui concerne les ex-voto, qui n'encourage pas la pratique, mais la relègue à un espace « annexe » au temple officiel. Une autre pratique de l'Église catholique servant de justification à la création du musée était la destruction des miracles, qui a lieu de manière récurrente dans de nombreux sanctuaires. J'aborderai la destruction en question plus tard.
13Le besoin de « préservation » des ex-voto a été abordé dans les années 1970 par Luis Saia, qui a « découvert » les ex-voto quelques décennies plus tôt et est devenu l’auteur de la première mention aux ex-voto sculptés en bois dans la littérature sur l'art brésilien7. La Casa dos Milagres a également été proposée en raison d’un autre besoin soulevé par Saia : celui d’avoir quelqu’un qui choisisse correctement « sous les montagnes des miracles », de façon périodique, et qui, pour cela, soit connaisseur des lieux où se produit le phénomène votif. Tandis que Saia rencontrait les ex-voto en tant que voyageur pressé ; Antônio Marques vit à proximité des lieux où ils affluent et cultive une collection avec des objets « bien choisis » depuis des années.
14Alors, il a proposé d'en transférer une partie – sous forme de prêt – pour les exposer dans le musée public qui serait créé et géré par une association qu’il présiderait8. La constitution de partenariats avec l’Église se ferait en vue de constituer la collection propre du musée, qui deviendrait progressivement moins dépendante des pièces du collectionneur, puis curateur. Cette collection graduellement constituée appartiendrait à l’État, contrairement aux œuvres de sa collection privée, qui resteraient sa propriété.
15L'installation de la Casa dos Milagres a été prévue pour un espace spécifique, situé dans un Centre de Tourisme, placé dans le centre historique de Natal. Le Centre de Tourisme fonctionne depuis 1976 dans un bâtiment du XIXe siècle et il est formé d'un ensemble de magasins destinés aux touristes, tels que des commerçants de produits régionaux et artisanaux, ainsi que des souvenirs9. Antônio Marques avait un magasin d'antiquités et d'art populaire dans ce centre commercial, mais a décidé de fermer les activités de l'établissement pour les orienter vers un autre espace du Centre de Tourisme, l’ancienne chapelle.
16Le collectionneur a pris conscience de l'espace en question en le fréquentant à des réunions liées à l'administration du centre. L’ancienne chapelle avait déjà été utilisée pour organiser des célébrations catholiques pour les prisonniers (lorsque le bâtiment était utilisé comme prison publique). Son intérieur a été dépersonnalisé lors de la rénovation du Centre de Tourisme, entre 1975 et 1976. Depuis, selon le collectionneur, la chapelle est restée « fermée et sous-utilisée ». L'implantation du musée impliquerait « de profiter des possibilités architecturales existantes, y compris les détails », comme les « arcades latérales », dans lesquelles « des répliques stylisées des principaux sanctuaires religieux du Rio Grande do Norte seront installés » (Carvalho Jr., s/d).
17Et quels objets choisir pour produire « des répliques stylisées des sanctuaires » ? Malgré le rôle d'Antonio Marques dans l'enseignement des sciences sociales, sa collection privée n'était pas constituée, a priori, comme ethnographique, mais comme un ensemble d'œuvres d'art. Sa recherche d'objets reposait avant tout sur les aspects stylistiques des objets, comme nous le comprendrons mieux par la suite. La migration des miracles esthétiquement significatifs dans les collections implique souvent de les détacher d'autres ex-voto qui peuvent être assez banals, comme cela a été suggéré, aussi bien que dégoûtant10.
18Voyant mes photos d'ex-voto beaucoup plus variées (en termes de matériel, de facture, etc.) que celles que j'imaginais à la Casa dos Milagres, Antônio Marques a suggéré qu'il serait intéressant d'en avoir quelques-unes dans l'exposition. Les pièces en question - par exemple, des photographies – n'avaient pas leur place dans sa collection, mais le collectionneur a affirmé qu'un musée « plus anthropologique » pourrait avoir des objets comme ceux-là. J'ai alors réalisé que comment mon interlocuteur concevait le musée comme un espace qui abriterait des pièces qui auparavant n'auraient pas de place dans sa collection. En d'autres termes, l'exposition présenterait des objets votifs de la vie quotidienne dans les salles des miracles, mais qui ne sont pas toujours requalifiés en œuvres d'art par les collectionneurs.
19Antônio Marques a toujours indiqué qu'il était important pour moi de connaître les sanctuaires qui seraient stylisés dans la Casa dos Milagres. Compte tenu qu’il a conçu le musée de manière directement inspirée par la vie religieuse de l'intérieur du Nord-est brésilien, il faudrait que je connaisse personnellement certains lieux pour comprendre la complexité des phénomènes qui seraient abordés dans l'exposition. Et outre le but de constituer l'exposition, en tant que chercheuse intéressée par les ex-voto, je devrais visiter les sanctuaires vers lesquels ils affluent, afin de pouvoir parler correctement de ces objets. Et en particulier ceux sculptés dans le bois, avec lesquels je n'étais pas familier ni aux manières de les fabriquer, ni à celles de les exposer au public.
20En janvier 2013, partiellement soutenus par l’organisme publique responsable de la culture du Rio Grande do Norte, nous nous sommes mis en route vers différents lieux de culte : Covinhas (« les petites tombes »), dans la ville de Rodolfo Fernandes ; Sanctuaire de Lima, à Patu; Monte do Galo (« Mont du Coq »), à Carnaúba dos Dantas; Monte das Graças (« Mont des Grâces »), à Florânia; Sanctuaire de Santa Rita, à Santa Cruz. L'itinéraire de voyage a été conçu en vue de contempler les sanctuaires de l’état avec la plus grande présence de pèlerins et, par conséquent, un plus grand flux d'ex-voto. Tous les emplacements étaient déjà connus d’Antonio Marques11 et son ex-associé dans le magasin d'antiquités, Francisco Francinildo, qui est aussi collectionneur et qui nous accompagnaient également. Il faut cependant tenir compte du fait que les espaces d'exposition des sanctuaires sont assez dynamiques, ils cherchaient donc à se mettre à jour sur les salles miracles qu'ils avaient déjà visitées à la recherche d'objets pour leurs collections privées.
21Il a été possible d'observer différentes manières d'exposer les ex-voto et les divers gestes de collecte (Bondaz 2014) qui permettent la constitution d'une collection de miracles. Il importe, avant tout, de connaître la dynamique des espaces de dévotion. Qui les administre ? Quelles sont les politiques d’élimination ? Quels sont les moments de plus grand afflux d'objets ? Quelle est la prédominance de l'offre dans chaque lieu ?
22Quelle serait cette prédominance ? Comme évoqué ci-dessus, des objets de nature très variée peuvent être offerts en ex-voto. Les salles des miracles peuvent néanmoins concentrer des ex-voto qui font allusion à la « spécialité » de leurs saints. Un exemple : au Brésil, Sainte Lucie est vénérée comme protectrice de la vision. C'est pourquoi de nombreux ex-voto en forme d'yeux sont amenés dans des lieux de dévotion à ce saint. Ainsi, on peut penser à une conception des espaces d'exposition d'ex-voto dans leurs lieux rituels, en vue de la concentration d'objets résultant d'un pouvoir de guérison ou d'action qui se distingue parmi ceux attribués à une divinité.
23De plus, il faut considérer que les réaménagements par les responsables de la gestion des espaces d'exposition sont fréquents. Certains objets, comme ceux en forme d'organes génitaux, ont tendance à être cachés, tandis que d'autres ont tendance à être mis en valeur, comme les offrandes faites par des dévots célèbres. Malgré les nombreuses différences entre les espaces d'exposition, il est courant que les objets soient regroupés par similarité formelle. Ainsi, des têtes sont réunies sur une même étagère, des jambes sur une autre, des lettres et des photos sur les murs, etc.
24Les expositions de miracles en tant que processus de sélection et d'exposition impliquent des agences imbriquées. Le choix des objets par les personnes qui s'occupent des lieux de dévotion est un aspect indiscutable des caractéristiques des espaces d'exposition, mais il faut tenir compte du fait qu'un tel choix se fait à partir d'ex-voto qui concernent l'agence d'autres sujets, comme les dévots, les artistes et les saints. L'exposition est donc un acte créatif composite.
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3. Exposition et interaction
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27Face à l'impossibilité de structurer le Musée de l'Ex-voto dans les termes prévus, tels que la constitution et régularisation d'une association ; l’appel d'offres public, le catalogage de la collection dans son intégralité et l’élaboration d'un plan muséologique, une exposition a été inaugurée en août 2013 comme une sorte d'avant-première de la Casa dos Milagres, occupant l'espace pour lequel l'initiative a été conçue. De la porte au fond de la salle qui accueillait l'exposition Casa dos Milagres – Santos et Ex-votos da Coleção de Antônio Marques, il y avait un tapis rouge qui culminait dans l'autel de la chapelle. La couleur forte du tapis au sol, le positionnement face à la porte d'entrée et l'élévation de la structure se sont conjugués pour attirer l'attention du visiteur. La nef centrale de la chapelle était ornée d'une image du Christ crucifié et juste en dessous, sur l'autel principal, était placée une Notre Dame de l’Annonciation (Sainte Patronne de la ville de Natal), flanquée de vases et de candélabres.
Figure 1 – De l’entrée de l’exposition à l’autel. Photo : Edilson Pereira, 2014.
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29Le visiteur qui regardait l'image de la sainte, placée un peu au-dessus du niveau des yeux, voyait le Christ au-dessus d'elle. S'il continuait à diriger ses yeux vers le haut, il trouverait le toit de la chapelle inondé de drapeaux en papier bleu. Ce « ciel » se déplaçait avec le vent de Natal pratiquement continu et typique qui entrait par la porte et les fenêtres latérales. L'équipe organisatrice de l'exposition envisageait de suspendre les ex-voto au toit, comme c'est très courant dans les salles des miracles des sanctuaires, mais ils pouvaient tomber sur la tête des visiteurs. Par conséquent, l'occupation de la structure a été pensée en raison de la fragilité du toit de la chapelle, qui ne pouvait pas supporter le poids des miracles en suspens. Dans les images suivantes, nous avons des exemples de salles des miracles dans lesquelles l'espace du toit est utilisé dans le but d’exposer des ex-voto anatomiques.
Figure 2 – Salle des miracles du Sanctuaire de Nossa Senhora dos Impossíveis, situé à Patu - RN. Photo : Lilian Alves Gomes, 2013
Figure 3 – Salle des miracles de l'église Nossa Senhora do Carmo, situé à São Cristóvão - SE. Photo : Lilian Alves Gomes, 2012.
30Revenant à l'exposition organisée à Natal, des « Portraits de la foi » ont été placés dans des cadres et fixés à l'une des structures de l'exposition. Les photographies recueillies dans les salles des miracles font référence à différentes scènes de la vie des dévots, telles que les rites de passage (diplômes, mariages, baptêmes, etc.) et aussi les moments critiques de la maladie (personnes alitées ; blessées, avec des parties du corps mobilisées ; photos de membres blessés ou d'autres maladies, etc.).
31Comme indiqué dans le projet du Musée d’Ex-voto, les sanctuaires ont été « stylisés » à l'intérieur des arcades de l'ancienne chapelle. La proposition d'occuper l’espace en profitant des possibilités architecturales existantes était importante pour que la mise en œuvre de la Casa dos Milagres ne soit pas considérée comme une menace d'une nouvelle dé-caractérisation de l'ambiance. L'utilisation passée comme lieu de cérémonies religieuses a imposée certaines configurations, comme l'emplacement du maître-autel. Mais pourquoi Antônio Marques a-t-il imaginé des sanctuaires à l'intérieur des arcades ?
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Figure 4 - Vue de l’exposition avec les arcades et sanctuaires « stylisés » à gauche. Photo : Giovanni Sérgio, 2013.
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34Dans ses réflexions sur la fonction sociologique de la porte, Roger Bastide (2006) explique l'existence de
35« […] dans la pensée mystique des foules, la porte est un des éléments essentiels du cérémonial et […] ajoute grandeur et noblesse au geste de l'homme qui marche, qui franchit le seuil de tout un monde. [...] Seule l'église conserve la porte comme un spectacle artistique, comme un cadre dans lequel la toile peinte est remplacée par une peinture toujours changeante - celle des individus qui entrent et sortent et à qui l'escalier, par la discipline qu'il impose aux muscles, il donne momentanément un air de danse ou de procession rituelle. » (Bastide, 2006, p. 130-13212)
36Dans le sillage des propos de Bastide, les arcades de l'ancienne chapelle servent de cadre aux œuvres exposées à l’intérieur. Plus que d'attirer l'attention sur un cadre précis, ils favorisaient une certaine « magie de l'ouverture » , faisant de l'acte de les franchir une forme de bénédiction. En ce sens, l'accès aux sanctuaires était, dans la manière et selon les possibilités de l'espace et du collectionneur, solennisé.
Figure 5 – Détail du contenu d’une arcade. Photo : Giovanni Sérgio, 2013.
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38Les sanctuaires stylisés étaient composés à la fois d'images commandées à des artistes spécialement pour figurer à la Casa dos Milagres, et de pièces ayant déjà appartenu à la collection du collectionneur, comme c'est le cas de la plupart des miracles proches des saints, remplissant les murs. La plupart de ces ex-voto accrochés aux murs étaient constitués de bras, de mains, de jambes et de pieds. Les membres inférieurs étaient concentrés en dessous et dans la séquence au-dessus d'eux, les membres supérieurs, peu après, des représentations du corps entier et, dans la partie la plus haute, touchant presque le toit, une étagère sur laquelle étaient disposées des têtes.
39Paulina Fagundes a réalisé des analyses techniques, thématiques et stylistiques de la collection d’Antonio Marques pour obtenir son diplôme universitaire en Arts Visuels. L’expérience de la chercheuse avec la collection a été enrichie par son rôle de médiatrice de l'exposition analysée. Selon son récit13, quelques visiteurs ont identifié la dynamique de la Casa dos Milagres avec celle des sanctuaires ou des objets sont offerts aux saints. Ainsi, en entrant dans l'espace d'exposition, ils s'adressent directement aux autels pour prier devant les images. D'après la médiatrice de l'exposition, il était courant que les gens entrent dans la chapelle à genoux, enlevant leur chapeau et faisant le signe de la croix.
40Il est à noter que le désir de toucher les œuvres, récurrent dans les récits de diverses expositions, a été motivé par l'expérience dévotionnelle dans le cas de la Casa dos Milagres. La référence à des gestes variés montre comment l’expérience de la visite de l’exposition organise un parcours corporel et des sens, en allant au-delà de la vision. Au lieu de contempler uniquement, le dévot entre en interaction avec l'espace et, principalement, avec l'image de saint dont le pouvoir est matérialisé par les ex-voto exposés autour de lui.
41Le personnel du musée a également été surpris par l'interprétation de certains visiteurs, selon laquelle le lieu, ainsi que les salles des miracles, seraient un espace d'accueil permanent d'ex-voto. Aux yeux de ces personnes, la composition de l'exposition reposerait donc sur une agrégation continue de miracles. L'exposition s'est enrichie de nouvelles pièces prises par le public. Dans son récit des jours qui ont suivi l'ouverture de l'exposition, Antonio Marques14 a souligné le cas d'une dame qui a demandé à son fils de laisser une main sculptée dans le bois sur l'autel de Notre Dame de l'Impossible. La dévote a fait une telle demande après avoir vu la nouvelle de l'ouverture de la Casa dos Milagres à la télévision et avoir faite une promesse qui devrait être tenue lors de l'exposition. Cette visite a alors été motivée par la rencontre avec une sainte, rendue possible par les objets exposés à la Casa dos Milagres. De l'argent et des billets adressés aux saints et laissés au pied des images ont également été mentionnés comme des offrandes significatives de la part des visiteurs partis à la recherche des saints exposés, car ce type d'offrandes est très courant dans les lieux de dévotion.
42Paulina Fagundes a, de plus, raconté des situations dans lesquelles les gens ont immédiatement réalisé que l’espace « était un musée ». La médiatrice a identifié ces visiteurs parce qu’ils se sont concentrés principalement sur le contenu des vitrines et au lieu de se diriger directement vers les autels. Les travaux ont suscité différentes réactions :
43« Les [visiteurs] qui savent déjà ce que c'est, ils expliquent déjà aux autres qu'ils ne savent pas. Les enfants demandent beaucoup à leurs parents : - Qu'est-ce que c'est ? Ensuite, ils expliquent que ce sont les gens qui font des promesses et autres. Alors, je me rends déjà compte qu'ils connaissent la tradition. Mais ils trouvent souvent le matériel étrange. La plupart des touristes qui arrivent ici connaissent la cire, là ils trouvent différent d'être en bois, chaque pièce est unique, il y a une pièce très naturaliste, certains sont surpris par la représentation de la plaie ou de la maladie en elle-même. Il y a des gens qui se sentent bien, qui se sentent en paix. Il y en a d'autres qui ne se sentent pas si bien, ils partent, les photos sont impressionnantes. Mais la grande majorité aime ça. Je suis là tous les jours, je pense que s'ils transmettent une énergie, c'est de la positivité, c'est un remerciement, c'était une guérison. »15
44Antônio Marques a rapporté avoir entendu des critiques pour la création d’une exposition aimable à partir de pièces qui, dans leurs contextes « d'origine », sont en rapport avec la souffrance des gens. Gardant à l'esprit que dans les salles des miracles, la plupart des ex-voto concernent des maladies et d'autres événements critiques dans la vie des dévots, la Casa dos Milagres a été qualifiée de « trop joyeuse » par un visiteur. Une exposition inspirée des « vraies salles des miracles » ne pouvait avoir un caractère aussi festif. Selon le collectionneur, cependant, « - La Casa dos Milagres est précisément une maison de fête ! ». Ce qu'il fallait solenniser, de ce point de vue, ce n'est pas la douleur, mais la relation entre les fidèles et les saintes, et principalement, les objets que produit cette relation.
45Toujours selon Antonio Marques, le secrétaire du Tourisme du Rio Grande do Norte de l'époque, tellement enthousiasmé de l'exposition et de ses effets sur les visiteurs, a même suggéré que la chapelle de la Casa dos Milagres soit à nouveau consacrée par l'Église, afin que l'espace soit considéré comme un lieu de messes et de prières. Certains organisateurs de circuits de pèlerinage ont commencé à utiliser l'exposition comme une première étape du voyage rituel qui commençait vers l'un des nombreux sanctuaires du Rio Grande do Norte. En racontant l'un de ces épisodes, Antônio Marques affirmait : « – C'est le musée de l'ambiguïté ! ».
46Une telle ambiguïté est renforcée par la configuration de l'exposition en dialogue avec les structures architecturales de la chapelle et ses vocations religieuses. La nef centrale, présidée par l'image du Christ et un autel avec la sainte patronne, avait peu d'éléments par rapport aux nombreux et hétéroclites objets présents dans les sanctuaires stylisés. Cette partie de l'expographie faisait donc référence à la position mise en scène des images trouvées dans la plupart des temples catholiques, respectant l'orientation post-concile du Vatican II16 qui recommande l'exposition, de préférence, de seulement trois images dans les temples : le Christ (le seul requis), la Vierge Marie et le patron de l'église ou de la dévotion communautaire. L'ordre d'exposition doit correspondre à la juste hiérarchie de la dévotion, en donnant toujours la priorité au Christ.
47Dans la Casa dos Milagres, les images qui pourraient être considérées comme « excessives » selon les directives susmentionnées, n'étaient pas situées sur l'autel principal, mais dans les représentations des sanctuaires organisées dans les arcades de l'un des murs latéraux. Les années de séminariste du collectionneur et sa longue expérience de visite des sanctuaires à la recherche d'objets lui ont donné une grande connaissance des pratiques liturgiques recommandées et de celles qu'il ne faut pas encourager. Cela dit, il nous invite à réfléchir sur les actes de dévotion observés dans un milieu où, au départ, l'appréciation de la « dimension esthétique de la religiosité populaire » (Carvalho Jr. 2013) ne seraient pas uniquement due à ce qu'un regard non méfiant pourrait prendre pour une incompréhension des visiteurs/dévots.
48Même si cela n'est pas ouvertement déclaré, il semble que de tels gestes étaient attendus et actualisés dans les récits, car ils accroissent le discours sur la complexité des pratiques du catholicisme populaire. Ainsi, le collectionneur évoquait l’expérience de la religion qui implique des pratiques spirituelles vécues en famille et en communauté en rattachant les dévots directement à la divinité, sans obligatoirement passer par la présence du prêtre / l’appareil officiel de l’Église.17 Après tout, c’est le regard attentif, porté au fil des années sur les supports matériels de telles pratiques, comme les ex-voto, qui a permis leur accumulation et, par conséquent, cette exposition. Ainsi, on constate que les objets ont également été réunis dans l'exposition afin d'exalter les pratiques du catholicisme populaire.
49La performance muséale de la Casa dos Milagres, comme nous l'avons vu plus haut, ne comprend pas seulement la reproduction des environnements des salles des miracles, mais aussi l'agencement créatif de la collection dans certaines structures d'exposition. En ce sens, les objets ne sont pas que scénographiques, car, dans leur mise en scène, ils ont agi et permis la (ré)activation de la force rituelle d'un espace. Ainsi, l'association des saints, des ex-voto, des fleurs et des autels relativise le caractère latéral du mur qui abrite les sanctuaires stylisés. Les aménagements sous les arcades sont puissants au point d'être vus comme des demeures de divinités et ce sans avoir à passer par des consécrations officielles.
4. Sauvez et exposez les miracles
50La nef principale et les sanctuaires stylisés dans des arcades latérales de l'ancienne chapelle sont des structures fondamentales pour comprendre la dynamique de visite de l'exposition en question. Cependant, d'autres configurations ont joué un rôle prépondérant dans la construction de la représentation de soi que le collectionneur cherchait à mettre en valeur. Sur les côtés du tapis rouge qui parcourait le centre de l'exposition, des vitrines étaient disposées. L'un d'eux était consacré aux « Ex-voto exhumés ».
51Les objets de cette vitrine revêtent une importance particulière pour le collectionneur et nous orientent vers la question de la destruction des objets rituels. Dans les sanctuaires, l'élimination a généralement lieu avant les pèlerinages, car il est nécessaire de faire de la place pour de nouveaux objets. Les façons de se débarrasser des ex-voto sont variées. Ils peuvent être brûlés, enterrés ou jetés directement à la poubelle. Le fait que cette dernière solution ne soit pas l'option la plus fréquente n'est pas fortuit.
52Comme le rappelle Corbey (2003), il est important de considérer que la destruction ou « profanation » peut être une partie essentielle du cycle de vie des objets rituels. De tels actes neutralisent le pouvoir des choses, potentiellement nuisibles lorsqu'elles circulent dans des espaces imprévus ou tombent entre de mauvaises mains. Dans cette clé de lecture, l'ex-voto hors du lieu sacré est dangereux et menaçant pour un ordre. La destruction apparaît alors comme un acte de précaution, car elle exclut la possibilité d'une circulation indue. D'un point de vue plus institutionnel, les récits de destruction d'ex-voto renvoient à la lutte contre la superstition et les pratiques païennes qui ont toujours imprégné le catholicisme.
53Les ex-voto exhumés présentés dans l'exposition ont été déterrés par Antônio Marques et un collègue, également collectionneur. Ils ont découvert que plusieurs miracles avaient été enterrés au pied d'une croix. Selon Antônio Marques, l'inhumation a été réalisée sur les ordres d'un missionnaire qui est passé par le site, au motif que les ex-voto « seraient une chose du diable ». L'indignation face à l'outrage a conduit les collectionneurs aux autorités ecclésiastiques locales, qui ont autorisé l'exhumation. Comme le montre l'épisode, la posture de l'Église n'est pas proprement iconoclaste ; elle est ambivalente, puisqu'elle implique à la fois la destruction et l'autorisation du « sauvetage » des ex-voto.
54Les ambiguïtés et les hésitations qui imprègnent la destination des ex-voto concernent toujours la réflexion sur la propriété de ces pièces. À qui appartiendraient-ils ? Aux fidèles qui les ont offerts ? Aux administrateurs des sanctuaires où ils ont été laissés ? Aux saints ? À l’Église ? Ce n’est pas un problème pour Antônio Marques, puisque, selon lui, ils auraient la destruction comme destination certaine.
55Entre les possibilités de destruction et de conservation, la transformation en marchandise peut être observée dans le cadre de certains sanctuaires. Les acheteurs sont des dévots, mais ils peuvent aussi être des collectionneurs et des marchands d’art. Comme le précise Caroline Perrée (2017), les attitudes des autorités ecclésiastiques à l’égard de ces objets oscillent entre concession, souvent pragmatique, puisque les ex-voto peuvent être économiquement exploités, et intégration, parce qu'ils propagent les pouvoirs des saints.
56À la Casa dos Milagres, le pouvoir de persuasion des ex-voto était dirigé vers un autre but. Les miracles exhumés ont été placés dans une « vitrine spéciale » :
57« Après cette exposition, le brûlage ou la destruction des objets votifs ne peuvent plus être tolérés. Pour illustrer ce qu’il ne faut pas en faire, des dizaines de pièces sont exposées dans une vitrine spéciale de la nef centrale de la chapelle. C'est des ex-voto d’aspect calciné, du fait qu’ils ont été enterrés, [...]. Dans ce même ensemble, il y a deux têtes, en parfait état, car elles ont été recueillies au même endroit – Cruz da Prêta – bien avant l’action iconoclaste et le non-respect de la culture populaire. » (Carvalho Jr. 2013, p. 21.)
58Comme on peut le voir, le collectionneur juxtapose des ex-voto dans différents états de conservation pour montrer « ce qu'il ne faut pas en faire ». Dans ce contexte, l'accent mis sur les miracles déterrés non seulement éclaire l'inflexion dans la vie rituelle de ces objets, mais met également en évidence comment ils, lorsqu'ils sont transportés dans un environnement muséal, deviennent les défenses incontestées d'un discours de « sauvetage ».
59Une tête déterrée était juxtaposée à deux autres attribuées par le collectionneur a un artiste populaire appelé Salomão Fontes Rangel18. En démontrant que les ex-voto sont aussi des créations de sculpteurs d'images de saints, Antônio Marques s'oppose à l'association fréquente entre les miracles et la sculpture afro-noire. Le collectionneur montre de plus qu'il est possible d'aborder l’attribution d’auteur-e des ex-voto, habituellement traités de mystérieux. Confrontant la conception courante selon laquelle les sculpteurs n'aiment pas associer leur nom à la production d'ex-voto, le collectionneur expose des miracles sur lesquels les noms des sculpteurs étaient imprimés par les artistes eux-mêmes, en guise de signature. De cette façon, en plus des offres faites par les fidèles, la collection exposée s'est aussi développée grâce au don de pièces faites par des artistes qui, ainsi, ont commencé à affirmer avec Antônio Marques que la présence du nom de l’auteur dans les représentations du corps des fidèles n'implique pas de tabou.
Figure 6 – Ex-voto juxtaposés dans la vitrine spéciale. Photo : Giovanni Sérgio, 2013.
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61Dans le processus de faire connaître une partie de sa collection privée, le collectionneur appose en quelque sorte sa signature sur les objets, afin de rappeler qu'ils ne sont là que parce qu'ils ont été sélectionnés, collectés, sauvegardés, traités, conservés et, enfin, correctement exposés. Dans l'exposition, l'ambiguïté objet votif/œuvre d'art était réitérée pour célébrer à la fois l'exubérance matérielle d'une pratique et la spécialité du regard qui la capte à travers la collection d'objets.
62Comme l’a montré Notteghem (2012), la réflexion sur le réemploi des objets de culte catholiques et leurs transformations ontologiques est un espace privilégié pour vérifier la pertinence de la notion de « biographie d'objet » inaugurée par Arjun Appadurai en 1986. Mais c'est aussi l'occasion de percevoir cette notion comme indissociable des celle des personnes. Donc, non seulement les objets sont convertis, mais aussi ceux qui s'engagent avec les choses et même les institutions où ils se déplacent : « les objets sont le lieu de mobilisation des individus pour redéfinir leur rapport à la religion, aussi bien ceux qui veulent s’en défaire que ceux qui la vivent au quotidien, et pour repenser le religieux dans la société » (idem, p. 48). La proposition de l'auteure est particulièrement féconde pour le contexte que j'ai recherché, dans lequel un ancien séminariste devient collectionneur, enseignant, marchand, conservateur... et, significativement, « prêtre des arts », comme il apparaît occasionnellement dans des reportages sur sa collection.
63Dans l’imaginaire que l’humanité a conçu sur la magie, les manipulations de choses potentiellement malveillantes ont tendance à nuire (Mauss & Hubert, 2003). Dans cet imaginaire, la magie, au contraire de la religion, opère secrètement. Évidemment, déterrer des ex-voto est une action suspicieuse, car elle suppose le contact avec des choses imprégnées de forces. Cependant, en exposant les ex-voto aux regards, Antonio Marques cherche à se démarquer des images subversives telles que le profanateur et le sorcier. Alors, la Casa dos Milagres est l'offre instructive du collectionneur pour diffuser sa vision. Après tout, la bonne magie ouvre des mystères à tout le monde, et la mauvaise en cache et en mystifie.
64Au moins depuis Van Gennep (1978), les rites de passage sont investis de la fonction de réduire les effets néfastes caractéristiques des processus de changement d'état des personnes et des choses. Dans cette perspective, je souligne la pertinence de « ritualiser » les processus impliqués dans le transit d'objets qui ont déjà été impliqués dans des relations dévotionnelles, ce qui permet la compréhension de l'exposition examinée comme un rite de montrer. La théorisation de Carol Duncan (1995) a déjà exploré le musée d'art en tant que site rituel et a démontré comment une institution d'élite moderne, post-Lumières, est scénarisée comme un rite de citoyenneté. Dans cette perspective, le musée instaure un espace-temps liminaire qui engendre des performances des visiteurs. Ce que j'ai essayé de mettre en évidence, cependant, c'était la performance du curateur / collectionneur, au cœur de la conception et de la réalisation de l’exposition.
65L'achèvement prévu du musée de l’Ex-voto est devenu irréalisable, en raison du manque de soutien du gouvernement pour la continuité des activités. En 2017, craignant que les images, têtes et œuvres apparentées exposées à la Casa dos Milagres ne deviennent de la « nourriture pour termites », Antônio Marques démonte l'exposition et rentre chez lui avec les œuvres. Le sauvetage de la destruction semble toujours provisoire…
5. Considérations finales
66En vue de mettre en évidence les actions, agents et situations qui instituent de nouveaux statuts pour les objets, l'approche ethnographique a privilégié les processus (collecte, exposition, etc.) plutôt que les états reconnus des objets (chef-d'œuvre, artefact, œuvre d'art, collection, etc.). Dans cette perspective, la réalisation de l'exposition/futur musée s'est imposée comme une occasion opportune d'observer comment les usages rituels ne s'effacent pas complètement dans l'espace configuré pour l'appréciation esthétique et qu'au contraire, de tels usages peuvent même être favorisés à partir de certains dispositifs de présentation. Nous avons vu que les opérations de présentation d’ex-voto en tant qu'œuvre d’art sont complexes et ne sont pas réductibles à une nouvelle sorte de sacralisation ou encore à une sacralisation laïque.
67Pendant les dernières années, les objets et les collections apparaissent de plus en plus comme des problèmes et pas seulement comme des données secondaires ou illustratives dans la recherche anthropologique (Gomes 2013). La réalisation d'ethnographie des processus d'exposition met en évidence la fécondité de la réflexion anthropologique sur des musées et au-delà de la problématique autours des peuples traditionnellement étudiés par la discipline, dits « non occidentaux ». Ainsi, outre le public, mais évidemment sans négliger de le considérer dans les processus étudiés, il faut garder à l'esprit que les actions des collectionneurs, curateurs, gestionnaires et autres sujets peuvent également faire l'objet de réflexion.
68En supposant que la production de connaissances à partir de collections et d'expositions basées sur celles-ci doit nécessairement être interdisciplinaire, on attend que cette analyse ait permis d'articuler les questions anthropologiques autour des ex-voto et les enjeux propres à la muséologie, tels que les modalités de mise en scène des objets, questions de conservation et gestion du patrimoine, les discours des curateurs et les expériences suscitées par l'exposition.
Bibliographie
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Gomes Lilian, 2017 : A peregrinação das coisas - trajetórias de imagens de santos, ex-votos e outros objetos de devoção, thèse de doctorat en Anthropologie Sociale, Musée National de l’Université Fédérale du Rio de Janeiro.
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Notteghem Émilie, 2012 : « Frontières et franchissements. Les objets du culte catholique en artification », in Heinich Nathalie & Shapiro Roberta (orgs), De l'artification: Enquêtes sur le passage à l'art, Paris, Éditions d'EHESS, p. 47-62.
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An Gennep Arnold, 1978 : Os Ritos de Passagem, Petrópolis, Vozes.
Notes
1 D'autres dénominations similaires, tels que « Quarto das Promessas » (Chambre des Promesses), « Casa dos Milagres » (Maison des Miracles), « Museu do Ex-voto » (Musée d’ex-voto) sont aussi utilisées. Par convention, tout au long de la discussion je nommerai les espaces d'exposition organisés dans un contexte dévotionnel comme « salle des miracles ».
2 À travers des objets, les dévots remercient non seulement pour les miracles, mais aussi pour les « grâces ». Un miracle se réfère généralement à quelque chose d'extraordinaire (la guérison d'une maladie grave, par exemple), tandis que la grâce se réfère à l'intercession du saint dans des événements plus quotidiens (comme être appelé pour un travail ou acheter une propriété). Cette distinction a des frontières fluides pour les fidèles et plutôt rigides pour l'Église catholique, qui a des procédures spécifiques pour enquêter et juger des événements potentiellement miraculeux (Baccetto 2021). De plus, les objets sont offerts pour montrer l’existence de l’attachement au saint indépendamment de la réalisation d'une demande ou d'une promesse.
3 Sa formation vient d'un Baccalauréat en Arts et d'un Master en Sciences Religieuses et Sociologie de la Culture de l'Université de Louvain, en Belgique, où il est allé en tant que séminariste. Néanmoins, à son retour au Brésil, dans les années 1970, il a choisi de ne pas exercer le rôle de prêtre et a commencé à travailler comme professeur d'université dans des cours de Sciences Sociales et d'Arts, rôle qu'il a occupé jusqu'à sa retraite.
4 Le sanctuaire de Nossa Senhora da Conceição Aparecida, patronne du Brésil, est situé au Vale do Paraíba, sur l'axe Rio-São Paulo et, selon les données disponibles sur le site Internet de l'institution, reçoit 12 millions de pèlerins chaque année. La « Salle des Promesses » est située au sous-sol de la basilique et est le deuxième lieu le plus visité du sanctuaire. L'espace d'exposition reçoit environ 19.000 ex-voto par mois et au mois d'octobre, lorsque la fête de Nossa Senhora Aparecida est célébrée, ce nombre atteint 30.000. Il est possible d'effectuer une visite virtuelle de la salle des promesses via le site internet de l'institution : https://www.a12.com/santuario/localis-turisticos/sala-das-promessas (consulté le 12 octobre 2022).
5 En portugais dans le texte original.
6 En portugais dans le texte original, ainsi que toutes les citations de l'auteur du projet sur les pages suivantes.
7 Alors qu'il était encore étudiant en architecture, Saia a été formée à la réalisation de collectes ethnographiques en 1936 par Dina Dreyfus, responsable du cours « Instructions pratiques pour la recherche en anthropologie physique et culturelle », basé sur des modèles scientifiques de l'époque et en lien avec des institutions françaises telles que le Musée du Trocadéro et le Musée des Arts et des Traditions Populaires. La formation fut une initiative du Département de la Culture de la Municipalité de São Paulo, alors dirigé par Mario de Andrade, qui deviendra la principale figure du modernisme brésilien. Ce mouvement important dans l'histoire de l'art brésilien a réuni avant-garde et tradition en la recherche d'une identité culturelle et esthétique propre du pays - ladite « brésilianité » . Pour une analyse plus approfondie de la relation entre ex-voto et intellectuels modernistes, voir Gomes (2022).
8 Ce mode de gestion s'inspire du statut du Musée Afro Brasil, situé à São Paulo et fondé par l'artiste plasticien, collectionneur et commissaire d’expositions Emanoel Araújo. L'Association Museu Afro Brasil a été créée en 2005 et est devenue en 2009 une « entité privée de caractère public », liée au Secrétariat d'État à la Culture. Cette constitution a permis de recevoir des fonds du gouvernement de l'État de São Paulo et a impliqué le don d'œuvres à l'État fait par le fondateur, en plus du don d'œuvres de l'Associação Museu Afro Brasil. Emanoel Araujo a été directeur et commissaire de l'institution jusqu'à sa mort le 7 septembre 2022. Source : www.museuafrobrasil.org.br (consulté le 12 octobre 2022).
9 Natal est une ville touristique connue pour ses plages et son climat favorable pour en profiter tout au long de l'année.
10 Les salles des miracles abritent ainsi des objets qui se trouvaient autrefois dans le corps des fidèles - des nombrils de bébé, des tumeurs enlevées lors de biopsies, des objets avalés ou aspirés par accident, des calculs rénaux, des dents, des ongles et des touffes de cheveux, par exemple. En raison de ce type d'ex-voto, la susmentionnée Salle des Promesses à Aparecida dispose de bombes à incinération pour les éliminer dès leur arrivée dans l'espace d'exposition (Souza 2012).
11 Une exception à ce critère fut la visite à les Covinhas, qu'Antonio Marques a voulu connaître après avoir lu une étude sur cette dévotion.
12 En portugais dans la version du texte consultée.
13 Je remercie énormément Raquel Santos Souza Lima pour la réalisation, sur ma sollicitation, de l’entretien avec Paulina Fagundes à la Casa dos Milagres le 8 août 2014. Je suis reconnaissant aussi à Edilson Pereira pour les photos de l’exposition produites dans la même occasion.
14 Compte tenu que je n'effectuais plus de terrain à Natal lors de l'ouverture de l'exposition au public, j'ai enregistré les premières impressions de mon interlocuteur à partir d'échange d'e-mails (beaucoup d'entre eux avec du matériel publié par la presse de Natal), de contacts téléphoniques et lors d'une visite, il s'est rendu à Rio de Janeiro fin 2013. En 2015, j'ai visité l'exposition, qui à l'époque n'était ouverte qu'aux groupes et sur rendez-vous. Cela dit, les analyses de cette partie du texte concernant le fonctionnement de la Casa dos Milagres ont été produites à partir de témoignages de personnes ayant reçu des visiteurs dans l'espace d'exposition.
15 En portugais dans l’entretien.
16 Le Concile Vatican II (11 octobre 1962 au 8 décembre 1965) a été marqué par renouvellement de la liturgie. L'Église devient officiellement plus christocentrique et dissuasive en rapport les édifices remplis d'images, comme c'était très courant dans le catholicisme brésilien d'héritage portugais, très attaché au culte des saints.
17 « Beaucoup de saints, très peu de prêtres ; beaucoup de prières, très peu de messes (muito santo pouco padre/muita reza pouca missa) » est une expression populaire qui synthétise cette caractéristique historique du catholicisme brésilien.
18 Salomão Fontes Rangel (1892 – 1975), connu aussi sous le nom de « Santeiro de Tenório » en référence à la ville où il est né.