Les Cahiers de muséologie Les Cahiers de muséologie -  Numéro 3  Articles 

Musées communautaires et développement touristique au Cameroun. Une valorisation du territoire problématique

Rachel Mariembe
Rachel Mariembe, archéologue, conservateur et muséographe, est titulaire d’un Ph.D en Sciences du Patrimoine. Chef de Département Patrimoine et Muséologie à l’Institut des Beaux-Arts de l’Université de Douala à Nkongsamba, elle a participé à la réalisation de 7 Musées Communautaires au Cameroun ainsi qu’à l’exposition « Sur la Route des Chefferie du Cameroun : Du visible à l’invisible » au Musée du Quai Branly Jacques Chirac en tant que Commissaire Associée. Le développement des Industries Culturelles et Créatives par les éléments culturels immatériels du patrimoine au Cameroun et la conservation préventive à travers l’analyse des symboles, des interdits sociaux sont ses principaux centres de recherche. Contact : rmariembe@yahoo.fr ; mariembe.prdc@yahoo.fr
Uriel Ngniguepaha
Uriel Ngniguepaha, chercheur en patrimoine et muséologie, est titulaire de deux Masters, l’un en Gestion et Conservation du Patrimoine Culturel et l’autre en Civilisations, Cultures et Développement obtenus à l’Université de Douala respectivement en 2020 et 2022. Passionné du numérique il est membre fondateur de l’Association ACT Découverte qui travaille à la decouvrabilité de l’art, de la culture et du tourisme notamment par le biais de la virtualisation 3D. Actuellement, il occupe le poste d’Assistant Gestionnaire au Musée Case Patrimoniale de Bapa et celui de Responsable du développement culturel au sein de l’association ACT. Entrepreneur culturel, il est à la tête du projet du Musée Virtuel de l’Intemporel. Contact : gnuriel9@gmail.com

Résumé

Quand on analyse l’environnement culturel au Cameroun, les musées semblent être les institutions qui connaissent un essor considérable. Un peu de partout, ils s’ouvrent. Cette expansion s’explique par la richesse et la diversification du patrimoine culturel camerounais, le développement d’un fort intérêt en faveur de l’identité culturelle et l’insuffisance de l’exposition des œuvres aux publics locaux, le pays étant régulièrement victime du trafic illicite. Cependant, la perception du terme « musée » reste confuse. Pour certains, il renvoie à collections, galeries, réserves, entrepôts. Pourtant, quelques musées, inégalement répartis entre musées publics et musées privés existent. La nécessité s’impose donc d’examiner l’apport de ces derniers pour le développement du tourisme culturel, qui représente 40% du tourisme mondial, au regard du contexte actuel dominé par la crise sanitaire relative au COVID-19. Il est question de réfléchir sur les voies nouvelles de diffusion, de transmission et de médiation culturelle dans les musées, à l’heure où le réseau mondial de connexions devient chaque jour plus complexe, divers et intégré. Autrement, comment développer un tourisme culturel qui satisfait les besoins actuels de tous les acteurs, en protégeant et en améliorant les perspectives pour l’avenir ? La réponse à ce questionnement se présente comme une sorte d’oxymore éclaté en quatre parties à savoir : cadre conceptuel, théorique et légal des musées au Cameroun ; diagnostic des activités de diffusion et de médiation culturelle dans les musées ; quelles missions, quels programmes pour des musées ethnographiques ; nouvelles voies de médiation numérique.

Mots-clés : musées, tourisme durable, tourisme culturel, développement

Abstract

When we analyze the cultural environment in Cameroon, museums seem to be the institutions that are experiencing a considerable growth. They are opening up everywhere. This expansion can be explained by the richness and diversification of Cameroon's cultural heritage, the development of a strong interest in cultural identity, and the lack of exhibitions of works to local audiences, as the country is regularly victim of illicit trafficking. However, the perception of the term "museum" remains confused. For some, it refers to collections, galleries, storerooms, warehouses. However, a few museums exist, unequally distributed between public and private museums. It is therefore necessary to examine the contribution of the latter to the development of cultural tourism, which represents 40% of world tourism, in the current context dominated by the health crisis relating to COVID-19. It is to think about the new ways of diffusion, transmission and cultural mediation in museums, when the world network of connections is becoming more complex, diverse and integrated every day. Otherwise, how to develop a cultural tourism that satisfies the current needs of all actors, protecting and improving the prospects for the future? The answer to this question is presented as a kind of oxymoron broken down into four parts, namely: conceptual, theoretical and legal framework of museums in Cameroon; Diagnosis of dissemination activities and cultural mediation in museums; What missions, what programs for ethnographic museums; New ways of digital mediation.

Keywords : museums, sustainable tourism, cultural tourism, development

Introduction

1Pendant longtemps, les musées avaient pour priorité l’acquisition et la sauvegarde des objets ayant un intérêt pour l’enrichissement de leur collection. Mais, depuis le début du XXIe siècle, avec l’avènement de la nouvelle muséologie comme approche méthodologique, plusieurs musées ont commencé à s’intégrer dans les communautés qu’ils servent tout en restant ouvert aux touristes. Ils vont à la conquête de nouveaux publics, les publics défavorisés, retissant ou plus lointains. Il faut donc trouver des stratégies en adéquation avec l’environnement économique, politique et socioculturel. À cet effet, les institutions muséales « apparaissent ainsi comme des outils à la fois politique et culturel » (Nizésété 2007, p. 12). Cela offre un éventail d’opportunités pour la promotion du tourisme, notamment la possibilité de développement du principe de tourisme solidaire, de cases d’hôtes, de nouvelles approches de médiation culturelle pour une consommation accrue du produit culturel.

2Le Cameroun dispose d’un patrimoine culturel riche et varié qui reste encore très sous exploité. Pourtant, ce potentiel culturel peut contribuer significativement à l’augmentation du Produit Intérieur Brut (PIB). Il suffit de mettre sur pied une politique adéquate de développement des Industries Culturelles et Créatives (ICC). La situation actuelle étant alarmante, les salles de cinéma sont fermées, très peu de bibliothèques, de Salles de spectacle et de dépôt des fonds d’archives sont fonctionnelles. Cela semble, malgré les efforts du gouvernement à mettre sur pied une politique de développement des arts et de la culture, se justifier par la faible structuration du secteur, le manque des capacités techniques et financières, un déficit d’appui. D’un autre côté, les entreprises culturelles opérationnelles sont peu nombreuses. On relève tout de même qu’un intérêt sans cesse croissant est accordé aux musées. Ce qui fait constater Heumen (2017, p. 418) que « probablement près de 80% des musées du Cameroun ont été créés dans les années 2000 ». Ce qui montre à suffisance que c’est un secteur prometteur dans l’univers culturel de l’Afrique en miniature. Or, dans l’imaginaire populaire, le concept de musée à l’occidental rentre dans ce qu’on pourrait qualifier des intraduisibles si on reprend les mots de Wozny et Cassin (2014).

3Cependant, malgré le potentiel touristique riche et diversifié, il est triste de remarquer que les musées, premiers pôles d’attraction, dans leurs fonctionnements, ne contribuent presque pas à la valorisation des autres ressources culturelles de leur territoire. Plus encore, la population locale qui n’a pas la culture de musée pour des raisons socio-culturelles, ne consomme pas cet outil considéré élitiste, à sa juste valeur. Face à cette situation, la question fondamentale à se poser est celle de savoir : quels mécanismes peuvent être mis sur pied par les musées au Cameroun pour un développement touristique local ? Cette question, inscrite dans le cadre méthodologique des Sciences de l’Information et de la Communication, et les Sciences du Patrimoine, sera analysée à la lumière de l’état des lieux des musées au Cameroun, du difficile développement du tourisme local par les Musées Communautaires, et la proposition d’une politique d’amplification touristique adaptée.

1. État des lieux des musées au Cameroun

4L’univers muséal au Cameroun est caractérisé par une prolifération et une dominance des musées communautaires. Les musées publics se comptent au bout des doigts. Selon les statuts, la première catégorie de nature ethnographique appartient à des particuliers, des communautés et la deuxième du domaine de l’État dont les employés sont nommés par le Ministère en charge de la culture. Comprendre l’impact de ces institutions sur le développement du tourisme local revient à questionner leur acception, leur mode de fonctionnement, le personnel et les activités mises en place pour conquérir les publics.

1.1. Acception de musée

5Si le musée traditionnellement va à la conquête des biens anciens, c’est un établissement qui reste ouvert à la dynamique contemporaine. Il doit rester « un laboratoire, un conservatoire, une école, un lieu de participation, de notre temps » (Rivière 1989, p. 47). Il ne plonge pas dans un statisme sclérosant, mais au contraire, s’invente et se réinvente quotidiennement tout en s’adaptant aux nouvelles réalités de son environnement. Ce dynamisme dévolu à l’institution muséale ressort parfaitement dans la définition proposée par l’ICOM-Canada (2019, p. 3) selon laquelle le paradigme muséal doit favoriser la coopération et les échanges interculturels et permettre de bien comprendre l’interdépendance entre les personnes et leur environnement.

6Au Cameroun, l’acception officielle du musée n’est pas très éloignée de celle de l’ICOM. Elle est statuée à l’article 2 de la loi n° 2013/003 du 13 Avril 2013 régissant le patrimoine culturel au Cameroun. Mais, au regard de l’idée que se fait l’opinion populaire du musée, il y’a un grand décalage. Sa perception reste confuse. Pour le citoyen lambda, il renvoie à collection, galerie, réserve, entrepôt ou alors à un « lieu où l’on conserve les objets anciens ». Cette vision réductrice dans une approche critique présente l’institution muséale comme un établissement renfermé et tourné vers le passé. La dominance des musées ethnographiques peu ouverts sur la contemporanéité justifie cette considération. Seuls, deux musées se démarquent : le Musée Maritime de Douala (musée d’Entreprise) et Bandjoun Station (musée d’art contemporain). L’absence de la diversification typologique continue à entretenir ce flou conceptuel dans les esprits.

7Par ailleurs, l’ICOM1 qui est le régulateur international de la norme déontologique vient d’approuver une nouvelle définition :

8« un musée  institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel. Ouvert au public, accessible et inclusif, il encourage la diversité et la durabilité. Les musées opèrent et communiquent de manière éthique et professionnelle, avec la participation de diverses communautés. Ils offrent à leurs publics des expériences variées d’éducation, de divertissement, de réflexion et de partage de connaissances. »

9Cette définition qui a connu la participation des professionnels de 126 comités nationaux ressort à suffisance son rôle participatif et inclusif dans la société contemporaine. Loin d’être un simple lieu de conservation et de rangement de bien culturel, il se positionne comme un partenaire culturel actif, qui, au quotidien, s’intègre dans la vie culturelle. Cette acception se rapproche de l’imaginaire populaire au Cameroun. Tout en mettant en avant ces cinq actions importantes se déclinent clairement de sa nature à savoir l’acquisition, la conservation, l’étude, la transmission et l’exposition du patrimoine, il faut une sensibilisation accrue des populations.

1.2. Législations muséales au Cameroun

10La création des premiers musées au Cameroun remonte à 1930 avec l’ouverture du musée des arts et traditions Bamoun. De cette période à nos jours, le cadre légal de fonctionnement d’un musée se limite à l’autorisation d’ouverture signée du ministre des Arts et de la Culture sur présentation, pour certains, du Projet Scientifique et Culturel. Aussi, conformément au Décret de 2011 portant réorganisation du ministère des Arts et de la Culture, le service des musées est chargé :

  • du suivi de la politique du gouvernement en matière de patrimoine muséographique ;

  • de la préparation et suivi de l’application du cadre législatif et règlementaire en matière du patrimoine muséographique ;

  • de la définition des normes techniques applicables aux musées ;

  • de l’enrichissement des collections publiques ;

  • de l’étude et du développement de la recherche en matière de patrimoine muséographique ;

  • du suivi et de la gestion du Musée National ;

  • du suivi de la coopération internationale dans tous les domaines concernant l’activité des musées ;

  • du développement de la formation en matière de muséologie ;

  • de l’appui à la conservation et à la valorisation des collections communautaires ;

  • de l’appui à la création des musées.

11Si certaines de ces missions sont progressivement mises en application, on déplore un vide juridique ou l’absence d’un cadre réglementaire général de gestion et de fonctionnement des musées au Cameroun. Peu de décideurs politiques ont travaillé en faveur de la promulgation d’une loi régissant le fonctionnement des musées à l’échelle nationale. Or, aujourd’hui les lois apparaissent pour beaucoup de pays et institutions muséales comme étant : « un combat pour que le culturel cesse d'être à la remorque de l‘économique, que la culture ne demeure pas immuablement ce parent pauvre auquel on fait appel pour les basses besognes, cet incorrigible réactionnaire qui parle de valeurs humanitaires alors qu'on cause profit » (Aithnard 1976, p. 183). Tous les pays où les musées connaissent une certaine aisance professionnelle, une politique est établie pour aider à agir avec beaucoup d’efficacité dans la légalité.

12Par ailleurs, à travers deux décrets, on peut appréhender la vision déontologique du Cameroun en matière de musée. Ceux-ci semblent poser une probable et future politique muséale. Il s’agit spécifiquement du décret n° 2014/0881/PM du 30 avril 2014 portant organisation et fonctionnement du Musée National et du décret n° 2015/1372/PM du 8 Juin 2015 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées aux communes en matière de réhabilitation et de promotion des musées locaux.

13Le décret du 30 avril 2014 permet de mieux cerner l’esprit du gouvernement dans l’élaboration d’une éventuelle politique muséale, pour le moment, quasi inexistante. Cette règlementation telle qu’elle est conçue considère le musée comme un établissement d’administration et non comme une industrie de développement culturel qui se veut plus impulsive, innovante. Certes, il est prévu le recrutement d’un Directeur et éventuellement assisté d’un adjoint tel que stipulé par l’article 14. Il n’existe toutefois pas de texte précisant le profil de ces derniers. Dès lors, les fonctions traditionnelles de recherches, de conservation et d’exposition auront des difficultés pour être remplies par l’édifice. Le constat est que les autorités ne tiennent pas compte dans une large mesure de la déontologie, mais ont plutôt une vision du musée nourrie par une volonté « de garder une emprise sur le champ culturel, voir le politiser » (Ndobo 1999, p. 794). Il est sans doute évident qu’une vision subjective de la politique du musée constitue un frein véritable à son insertion dans la vie culturelle des citoyens et la contribution au développement durable.

14Le décret n° 2015/1372/PM du 8 juin 2015 fixant les modalités d’exercice de certaines compétences transférées aux communes en matière de réhabilitation et de promotion des musées locaux est une avancée louable pour la valorisation du patrimoine culturel au niveau local. La disposition de ce décret comme le montre l’article 8 est que les communes prennent des « mesures visant à faciliter la création de musée au niveau local, l'octroi des aides financières en vue de la constitution des collections muséales ; l’équipement, en matière, adéquat pour le bon fonctionnement des musées ». Même si cela peine à être mis en œuvre, cette compétence transmise par le gouvernement aux Collectivités Territoriales Décentralisées apparait comme la pierre angulaire d’une véritable politique muséale nourrie par une ambition de se faire une identité nationale. Identité qui est « complémentaire de la reconnaissance des identités régionales. […] qui se développent dans les lieux culturels de rayonnement local et régional et promouvoir, dès lors, les musées régionaux ». (Ndobo 1999, p. 805). Pourtant plusieurs responsables de musée affirment ne pas percevoir de l’aide de la part de la collectivité.

1.3. Gestion et fonctionnement des musées

15À l’heure où le monde est porté vers le numérique, le cadre théorique ne peut être conçu que d’un point de vue communicationnel (Davallon 2004, p. 34-35). Situés dans des contextes culturels et institutionnels particuliers, les stratégies de conservation et de diffusion des musées sont en corrélation avec les acteurs, les politiques de médiation culturelle et, diffèrent selon le statut juridique de la structure. La démarcation se matérialise ou réside dans les dispositifs organisationnels, sociotechniques et communicationnels. Des thématiques diversifiées et hétérogènes englobent des politiques, des pratiques, des logiques d’acteurs et des technologies propres aux réalités locales (Juanals & Minel 2020). Au Cameroun, on va distinguer trois catégories de musées : les musées publics, les musées privés et les musées communautaires.

1.3.1. Des Musées Communautaires/Cases Patrimoniales

16Bien que de statut privé, les Musées Communautaires ou des Cases Patrimoniales sont des institutions portées par des communautés, des Associations, des particuliers, des Entreprises. Ils sont pour l’essentiel des musées des chefferies et des associations ethniques dont le but est le développement local (Heumen 2020, p. 358). On en dénombre trente-sept inégalement répartis sur toute l’étendue du territoire (Abba Ousman 2018, p. 40-42). Parmi eux, le Musée Maritime de Douala, seul Musée d’Entreprise, il appartient au Conseil National des Chargeurs du Cameroun (CNCC) dont le Directeur Général, Auguste Mbape Penda, amoureux de la culture et de l’art, a décidé de marquer d’une tache indélébile son passage à la tête de cette Société parapublique. Au-delà de son exposition permanente portant principalement sur les activités maritimes, la Case des tempêtes qui est un simulateur des tempêtes alliant la technologie 3D à une scénographie contextuelle, attire beaucoup de curiosité, faisant de l’institution, un pôle d’attractivité pour le public environnant. Son positionnement au cœur de la ville de Douala est un atout pour le développement d’un tourisme local. Le personnel vient pour la plupart du CNCC et bénéficie dans ce cadre des formations pour pouvoir animer la structure. Il est promu et géré par le CNCC via son Conseil d’Administration.

17Toutefois, il y a une vingtaine d’année Ndobo (1999, p. 791) relevait déjà que les musées privés étaient majoritaires. Pour elle,

18« l’important de l’existant dans ce domaine est constitué en grande partie par les musées privés qui représentent plus de la moitié du réseau. Ils appartiennent surtout aux pouvoirs traditionnels, (Chefferies et Royaumes, notamment Bamiléké, et Bamoun, dans la partie Ouest du Cameroun), aux organisations religieuses (missionnaires catholiques) et aux particuliers. »

19Ce constat est toujours vérifiable jusqu’aujourd’hui. L’initiative privée en matière d’ouverture de musées est très poussée selon Abba Ousman (2018). C’est une sorte de maladie contagieuse que l’on peut qualifier de « muséomania en vogue » (Heumen 2017, p. 418). Les chefferies des Grassfields2 sont celles qui ont ouvert l’essentiel des musées existants au Cameroun. C’est désormais un luxe pour chaque communauté de posséder un musée, même si ce dernier va rester fermer comme ce fût le cas de la case Patrimoniale de la chefferie Bafou ayant fonctionnée la semaine du Festival culturel lemou dont la clôture a été couronnée par son inauguration, au mois de Décembre 2017. Il n’a été de nouveau ouvert au public qu’en juillet 2021 avec l’arrivée de la Gestionnaire affectée par la Route Des Chefferies (RDC).

20Cependant, ce suivisme ou cette muséomania ne semble pas favoriser le développement d’un tourisme durable. L’écriture et l’exploitation d’une exposition, impliquent des choix conceptuels qui nécessitent des compétences pluridisciplinaires, notamment en conservation, en développement culturel, en informatique et même en communication. On ne peut que le relever pour le déplorer, ces structures sont pour la majorité gérées par des personnes qui n’ont aucune formation en gestion et conservation du patrimoine, les programmes d’activités pédagogiques sont inexistants, aucune communication. En dehors des visites guidées, lorsqu’elles sont sollicitées, ces institutions participent aux événements organisés au sein de leurs communautés (concert, atelier artistique, funérailles et toute activité pouvant susciter la présence d’un grand public). Aussi longtemps que les musées continueront à être des lieux de conservation d’objets anciens, ils ne pourront remplir leurs fonctions régaliennes et participeront efficacement au développement du tourisme.

21Les Cases Patrimoniales, sont le label de la RDC, programme de valorisation du patrimoine culturel. Ce label est obtenu après la signature de la charte du territoire pour devenir partenaire au programme et militer activement à l’Association des Chefs traditionnels de l’Ouest Cameroun pour les chefs de l’aire culturelle Grassfields. D’autres projets de Routes Patrimoniales notamment, la Route des Seigneurs de la Forêt, la Route des Peuples du Sahel et la route des Peuples de l’Eau sont en cours d’implémentation, afin d’aider les communautés en fonction de leur spécificités anthropologiques, culturelles, sociologiques à penser leur développement culturel territorial.

22Ces Cases Patrimoniales, nouveau paradigme muséal camerounais « sont des musées vivants » au sein des chefferies, d’où émergent, à l’occasion de certaines cérémonies et rituels, des objets avec une charge symbolique manifeste, support de l’identité du groupe ou de la chefferie ». Elles sont au nombre de douze. Il s’agit des Musées Communautaires créés avec l’expertise de la RDC à la demande d’un chef. Les thématiques abordées par chacune de ces cases sont originales et propres à la vie culturelle et naturelle de chaque chefferie. Ce sont des projets fédérateurs qui voient la participation des chefs, des élites et de la communauté qui, la plupart de temps, mettent ensemble les moyens financiers, techniques et humains pour se réapproprier leur identité culturelle. Elles traduisent une rupture avec le modèle occidental du musée qui représente les biens du patrimoine sous un angle esthétique pour désormais mettre en avant leur valeur fonctionnelle et culturelle. Cela a fait émerger ces dernières années le concept d’Objets Vivants.3

23La gestion qui est faite d’une institution est la clé fondamentale de sa réussite et de son bon fonctionnement. En ce qui concerne les musées communautaires pour la grande majorité, il y’a un flou managérial. Cette gestion arbitraire constitue en soi un handicap au bon fonctionnement de ces établissements. Quelques-uns ont une certaine visibilité comme le Musée Royal de Batoufam placé sous la tutelle administrative de l’Association Batoufam Tourisme et Loisirs dont le chef est le Président, et la Case Patrimoniale de Bapa placée sous l’administration d’un Comité de Gestion. Ces organismes œuvrent pour le développement communautaire en fonction des missions qui leur sont assignées. Pour d’autres, on va relever la mainmise de certains chefs sur le management et la gestion des ressources. Parfois, ce sont les reines qui n’ont aucune formation qui font office de Responsables de la structure, aucun moyen financier n’est mis à disposition pour soutenir les activités ou bien le salaire est payé au gré du bon vouloir de l’autorité de tutelle. Quand bien même le personnel est qualifié, issu des Écoles des Beaux-Arts, ces employés ont des salaires dérisoires qui, en plus, ne sont pas payés régulièrement. À Bamendjou, le musée est constamment fermé. Cette situation est due aux désaccords entre le chef et la RDC, pour ce qui est de l’affectation d’un gestionnaire. L’autre cas de figure est l’abandon du musée au gestionnaire qui le dispose à sa guise, avec des moyens financiers et matériels insuffisants, tel est le cas de Bafou où la gestionnaire n’a aucune hiérarchie avec laquelle discuter des orientations à donner à la structure. Ce gros handicap ne milite pas en faveur d’un développement d’une consommation locale de la culture.

24Par ailleurs, les populations profitent des cérémonies ou des festivals pour entrer gratuitement au musée. Il leur est difficile de débourser l’équivalent d’un euro pour visiter une exposition. Au-delà des expositions permanentes, les Musées Communautaires offrent une gamme variée de prestations aux publics. On peut relever les activités pédagogiques à destination des publics scolaires, le concept de « vacances utiles » comme à la Case Patrimoniale de Bamendjinda. En fonction des événements communautaires, ces institutions, en dehors du guidage, planifient des activités temporaires comme c’était le cas avec la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) où l’esplanade des musées étaient devenus « des Fan zone » avec des projections. Cependant, les Gestionnaires des musées ont dû faire du porte à porte pour sensibiliser les parents pour qu’ils laissent leurs enfants participer aux activités. Un autre cas a été celui du Musée de l’eau à Bonjo, sur les berges du fleuve Nkam. Le promoteur a mis les moyens de transport à la disposition des établissements scolaires environnants pour assurer le déplacement des élèves vers le musée. Les Enseignants lui ont demandé le perdiem pour assurer l’encadrement des élèves, pourtant, ces activités entrent dans le cadre des activités post et péri scolaires. Tous ces éléments ne sont pas de nature à faciliter un développement touristique local. Mais les structures restent résilientes.

1.3.2. Des musées publics

25Le fonctionnement des musées publics dépend largement de la volonté de l’État par le canal du Ministère de Arts et la Culture (MINAC). Le pôle central est le Musée National de Yaoundé, rouvert au public le 16 janvier 2015, autour duquel gravitent sept autres musées répartis sur le territoire national. Il s’agit de :

  • Musée Multiculturel des Baka de Mayos, (l’Est) ouvert en 2007 ;

  • Musée d’art local de Maroua (Extrême-nord) ouvert depuis 1955 ;

  • Musée d’art local de Mokolo (Extrême nord) date d’ouverture inconnue ;

  • Musée public de Bamenda (Nord-Ouest) ouvert en 1959 ;

  • Musée des Arts et Traditions Bamoun (Ouest) ouvert en 1930 ;

  • Musée de la délégation départementale de la Menoua (Ouest), ouvert en 1983 ;

  • Musée de la délégation régionale des Arts et de la Culture (sud-Ouest), ouvert en 2012.

26Ces musées sont placés sous la responsabilité des chefs services ou des délégués départementaux et ne sont ouverts qu’à la demande des visiteurs. On note une absence de politique de développement culturel, bien que selon les textes règlementaires, les missions à eux assignées soient les suivantes (Philémon 2014, article 3) :

  • acquérir, rassembler, classer, conserver et présenter au public des collections d’œuvres présentant un intérêt historique, scientifique, technique et artistique ;

  • favoriser la connaissance de ses collections en développant la fréquentation du musée et en assurant le suivi scientifique de ses collections ;

  • concourir à l’éducation, la formation et la recherche dans les domaines de l’histoire de l’art, de l’archéologie et de la muséographie.

27Ces missions fort appréciables sont mises en pratique de façon automatique par le Musée National de Yaoundé, au travers de la notoriété dont il jouit dans l’histoire du Cameroun, « Premier Palais Présidentiel » ! Tout camerounais, par altruisme ou chauvinisme voudrait s’y rendre, faisant de cette institution culturelle, un pôle d’attractivité touristique. Il participe à une meilleure connaissance du Cameroun tant sur les plans culturel qu’historique.

28L’attractivité des musées mesurée par le nombre de visiteurs enregistrés, diffère d’une structure à l’autre. Si le musée national fait un grand nombre avec ses concepts d’abonnement annuel limité aux publics scolaires et universitaires, les musées communautaires quant à eux peinent à faire foule.

1.4. De la résilience des Musées Communautaires

29En 2018, les musées de la ville de Yaoundé, en dehors du Musée National avec plus de 1.000 visiteurs, les autres étaient en deçà de 200 (Mekou et al. 2018, p. 289). Sur la base des informations obtenues auprès des Responsables des musées pour l’année 2019, le nombre de visites des Musées privées et Communautaires de la Région de l’Ouest, à l’instar du Musée du Palais des Rois Bamoun avec un peu plus de 5.000 visiteurs comme le Musée des Civilisations à Dschang avec 5.666 visiteurs, le Musée de Bapa 1.339 visiteurs, le Musée de Baham 658 visiteurs, les autres oscillaient entre 150 et 1.000 visiteurs par an. Le Musée National de Yaoundé a obtenu 5.793 visiteurs. Ces nombres incluent les publics scolaires, universitaires, nationaux et étrangers, avec une légère prédominance des publics scolaires dans le cadre des activités pédagogiques.

30Au cours de l’année 2020, le Ministère du Tourisme et des Loisirs (2020, p. 40) du Cameroun a procédé à une analyse des motifs de visite touristique. Les loisirs, la détente et vacances prennent la tête de liste avec les activités telles que les visites de sites, participations à des manifestations sportives et culturelles, activités culturelles, etc. Bien que frappé par la COVID-19, ayant en cette période limitée le déplacement de biens et personnes, la consommation de l’offre culturelle est restée un atout majeur pour l’émergence du tourisme au Cameroun. L’ampleur insoupçonnée de cette crise sanitaire a entrainé des réponses organisationnelles nouvelles et adaptées dans plusieurs musées. Il y a des musées qui ont vu le nombre de leur personnel réduit, d’autres ont carrément fermé limitant leurs activités au dépoussiérage des collections.

31La visite guidée est restée la seule activité que les Cases Patrimoniales ont privilégié en cette période. Elle a été fondamentale à la survie de ces établissements en période COVID-19 et l’est demeurée jusqu’à présent. Le personnel de ces structures a dû se résilier pour continuer de prendre soins du patrimoine qui est sous leur responsabilité.

32Les Cases Patrimoniales sont restées ouvertes au public la plupart de temps, sans politique marketing pour faire venir un max de visiteurs présent sur le territoire chaque weekend pour les festivités diverses. Avec le flux de personnes qui se déplace chaque fin de semaine pour les enterrements mortuaires, elles devraient capitaliser pour en faire une foule, car « l’originalité du tourisme de mémoire réside justement dans le fait qu’il s’agit d’un processus de coproduction tripartite qui nécessite la participation d’un tiers supplémentaire, à savoir : le gardien de la tradition (musée) » (Temgoua 2019, p. 4).

33La situation semble statique au regard du taux de fréquentation des musées pendant et après le COVID -19. Bien que les frontières soient ouvertes, le problème reste le même. Ces structures peinent à faire décoller le tourisme local. Les statistiques de visites annuelles de 2020 et 2021 font état de 3.397 visiteurs par an pour huit Cases Patrimoniales en 2020, 5.808 en 2021. Jusqu’au mois de juillet 2022, on a dénombré 5.864 visiteurs pour dix musées avec 2.931 visiteurs pour le Musée des Civilisations à Dschang. Les tableaux ci-après (fig. 1 et 2) présentent des détails sur le nombre de visiteurs par structure.

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Figure 1 – Statistique de visite des Cases Patrimoniales 2020. Photo : Office Régional de Tourisme de l’Ouest – Cameroun, septembre 2022.

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Figure 2 – Statistique de visite des Cases Patrimoniales 2021. Photo : Office Régional de Tourisme de l’Ouest – Cameroun, septembre 2022.

34Force est de constater que la résilience des musées, de façon générale au Cameroun, relève moins de la crise sanitaire que de l’absence de stratégies locales de développement du tourisme locale. Conscients du fait que les populations appréhendent les Cases Patrimoniales comme des lieux où sont présentés des objets sacrés pour certains, pour d’autres, plus conservateurs, les biens culturels ne doivent pas être exposés, les Gestionnaires devraient mettre l’accent sur les activités hors les murs du musée pour faciliter leur sensibilisation et la réappropriation de leur patrimoine. Ce qui permettrait de développer le territoire en mettant en valeur d’autres attractions touristiques avec le musée comme le centre.

2. Embarras des musées au Cameroun à promouvoir le tourisme local

35« Le tourisme comprend les activités déployées par les personnes au cours de leurs voyages et de leurs séjours dans les lieux situés en dehors de leur environnement habituel pour une période consécutive qui ne dépasse pas une année, à des fins de loisirs, pour affaires et autres motifs non liés à l'exercice d'une activité rémunérée dans le lieu visité. » (OMT 2000, p. 7).

36Comme le souligne la définition susmentionnée, le tourisme dépend clairement d’un déploiement d’activités qui permettent à des personnes en déplacement de s’amuser, de se divertir tout en profitant d’expériences nouvelles. Sa bonne marche dans une localité est tributaire ou consécutive à la présence d’une attraction principale (musée, monument, chutes, etc.) et des attractions secondaires qui viennent enrichir l’expérience. Ainsi, qu’est ce qui justifie le fait que les musées au Cameroun ne contribuent pas efficacement à la mise en valeur touristique de leur localité ? l’état des lieux, une analyse ou le diagnostic des activités de diffusion et de médiation proposé par les musées au Cameroun apportera un éclairci à cette question.

2.1 Absence de personnel qualifié

37Malgré la présence sur l’étendue du territoire national des écoles de formations en muséologie et métier de musée, la pratique déontologique reste encore précaire. Le personnel des musées communautaires fait une gestion approximative, ce qui constitue un véritable frein au développement des activités muséales. Le manque d’expérience réduit l’activité du musée à la collecte et exposition d’objets ainsi que la visite guidée. Table rase est faite sur les activités d’animations à fort attrait touristique. Le bilan de la qualification du personnel de ces musées est mitigé, d’un côté, l’on parle d’incompétence pour ceux ayant reçus une formation et de l’autre, d’ignorance pour les praticiens néophytes.

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2.2. Indifférence du public

39La perception que l’opinion populaire à du musée comme la maison des fétiches ou encore l’affaire des blancs, fait grandir la distance entre cet établissement et son public proche. D’ailleurs, « On observe, chez les camerounais, une certaine distance à l’égard des musées, qui laisserait penser à un manque d’intérêt de leur part. Nombre d’eux n’ont aucune idée d’un musée, et d’autres n’en perçoivent pas l’importance au point d’assimiler sa fréquentation à une perte d’argent et surtout de temps. » (Makou et al. 2018, p. 279). La position des cases patrimoniales à l’intérieur des chefferies augmente cet éloignement du public, la chefferie étant un milieu clos. À cela, vient se greffer le caractère passéiste des expositions permanente qui ne présente aucun lien avec le vécu quotidien actuel.

2.3. Nature conservatoire du musée

40Les musées ont longtemps été considérés uniquement comme de lieu de conservation, fonction toujours inhérente à leur fonctionnement, car essentielle à la préservation et la transmission du patrimoine culturel aux générations futures. Le problème des musées au Cameroun est qu’ils ressemblent plus à des magasins de stockage et de rangement des objets anciens. Ils restent fermés dans le passé sans aucune démarche de contextualisation des objets qu’ils possèdent. Avec des collections constituées des masques, des statues et bien d’autres objets ethnographiques, ces derniers restent dans un paradigme colonial de la connaissance de l’autre (De L’estoile 2009), avec pour visiteurs principaux les expatriés. Au regard du contexte culturel et de l’appréhension ou le ressenti des populations devant les biens culturels, qui sont parfois contre leur présentation à un public tout azimut, les musées apparaissent pour elles comme des maisons de fétiches. Cette attitude simpliste et dépassée pour les sociétés modernes fait à ce que pris sur trois angles particulièrement, ces musées ne font pas de leur collection un attrait touristique.

41Sur un plan environnemental, ils ne contribuent pas à la promotion des spécificités et des diversités culturelles et naturelles de leur territoire. C’est une vision très étriquée qui est donnée à ces biens. Or, la conservation doit favoriser la connaissance, la sauvegarde, la transmission et la mise en valeur des cultures au sein de communautés et en dehors. Cette situation s’explique par le manque de moyens tant financiers, matériels qu’humains. L’absence d’une politique générale de développement de territoire impulsée par les Collectivités Territoriales Décentralisées ou même de l’instance dirigeante du musée est un grand handicap. On fait face à la négligence et la non prise en charge salariale du personnel quand bien même celui est formé.

42Sur un plan économique, cette manie à laquelle ils sont restés attacher ne vise pas à générer de l’emploi, de produits, de services novateurs en tant qu’acteurs du tourisme culturel. À titre d’exemple, aucun musée au Cameroun ne possède un espace de promotion des techniques traditionnelles de conservations et des savoirs faire endogènes. Or cela peut améliorer le niveau de vie des détenteurs du savoir par la génération des revenus liés à l’attrait touristique.

43Sur un plan social, la gestion qui est faite des biens culturels ne favorise pas leur accessibilité et l’épanouissement culturel des collectivités, ne stimule pas l’échange interculturel et intergénérationnel, n’améliore pas la qualité culturelle des cadres de vie et ne contribue pas à l’éducation de divers publics, à la préservation et à la valorisation des identités locales, régionales et nationales. Pourtant, si ces actions sont positivées, l’image plurielle de la localité sera particularisée.

2.4. Absence de communication

44Dans le monde technoscientifique d’aujourd’hui où la concurrence est presque inévitable, plusieurs structures, quelle que soit leur taille, ont compris que pour fonctionner de manière permanente, elles doivent faire de la communication un atout majeur. Mais les musées camerounais n’ont pas encore épousé cette tendance par l’appropriation des outils de communication qui vont du physique au numérique. La mass média et multimédia de communication est presqu’inexistante ou mal utilisée. Les pages Facebook pour ceux qui en ont sont rarement animées. Les pages Web inexistantes pour certains et peu fournis et renseignées pour d’autres. Loin de là même, sur un plan informel, beaucoup de musées sont étrangers dans leur propre environnement. Très peu de personnes peuvent se renseigner sur leurs activités. La définition d’une stratégie avec des objectifs précis est un défi majeur pour les musées qui veulent garantir et affirmer leur présence en participant à l’intégration et le développement du tourisme.

45C’est vraiment triste de voir, avec les multitudes d’évènements qui sont organisés au sein des communautés camerounaises, un manque de communication de la part des musées. La Région de l’Ouest qui regorge l’essentiel du réseau muséal fonctionnel, regroupe des festivals et cérémonies organisés à des périodes régulières, dont ces établissements n’en profitent pas pleinement.

2.5. Position géographique

46Il n’est pas aisé de nos jours de faire des dépenses sans toutefois statuer sur le cadre géographique, l’accessibilité, la logistique et apprécier la qualité mais aussi la quantité de ce pourquoi on le fait. Cette logique nourrie anime l’état d’esprit de nombreux consommateurs, que ce soit pour la satisfaction des besoins primaire, secondaire ou tertiaire. Le ratio moyen/service est très déterminant pour le déplacement des hommes dans une localité. Les attractions principales que sont les musées dans leur localité ne suffisent pas à attirer les touristes. Situés pour la plupart dans des territoires ruraux, l’accès pour certains n’est pas très aisé, les musées au Cameroun ne proposent pas d’attractions secondaires devant contribuer à l’attrait du territoire.

2.6. Insuffisance des capitaux

47Évoluant dans un contexte où les pouvoirs publics disposent de peu de moyen pour soutenir les projets culturels et muséologique en particulier, les musées peinent à fonctionner et à supporter les charges qui sont leurs. Dans ce contexte d’insuffisances de capitaux, il n’est pas facile pour les musées, même si la volonté y est, de mener à bien les activités planifiées. Monter un programme d’action ou animation culturelle nécessite un fond d’investissement avant de s’attendre à un retour sur investissement. Que ce soit pour un inventaire du patrimoine ou l’organisation d’évènements, tout cela requiert des moyens dont la plupart des musées ne disposent pas. Les musées au Cameroun ne participent pas suffisamment au développement et au renouvellement d’expériences exceptionnelles devant attirer de nombreux visiteurs.

48Nonobstant ces manquements relevés dans le fonctionnement des musées communautaire au Cameroun, il est important de noter qu’ils se trouvent entourer de richesses patrimoniales utiles. Richesses qui peuvent être utilisées à leur compte au titre de Capitale social, environnemental et économique pour impulser le développement touristique.

3. Des Musées Communautaires au cœur du tourisme local au Cameroun

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3.1. De nouvelles missions pour les Musées Communautaires

50Avec l’essor considérable que connait de nos jours le tourisme de masse, pour ne pas être dépourvus, les musées communautaires au Cameroun doivent se positionner sur le marché du tourisme en se fixant de nouvelles missions. Jusqu’ici dirigés par la vision occidentaliste, c’est à dire essentiellement tournée vers les touristes étrangers venus connaitre les peuples autochtones, il est temps de casser les codes, d’adapter, d’ancrer les musées dans leur environnement socioculturel propre, de créer le modèle adéquat afin d’africaniser le tourisme. Il s’agit de :

  • développer les activités culturelles associant le musée et la communauté ;

  • contribuer à la création de nouvelles richesses patrimoniales ;

  • être acteur du tourisme solidaire ;

  • utiliser le numérique pour accroitre l’activité touristique.

3.2. Des initiatives adaptées pour l’essor du tourisme

51Longtemps considérés comme un enjeu du tourisme, les musées au Cameroun désormais résultent d’une réflexion profonde, qui, dès l’initiation du projet, les place au centre du développement endogène. La population locale qui est productrice de la culture, doit en être la première consommatrice. Cela passe par un véritable mécanisme d’attirance massive des personnes. À l’ère de la mondialisation des activités touristiques, Brianso (2017, p. 154) soutient l’idée de la participation du musée au développement touristique en ces termes : « établissement patrimonial réputé à cause de son architecture, de son histoire et de la richesse de ses collections. Il bénéficie d’une notoriété artistique quasi universelle au point d’être recommandé, autant par les ouvrages et revues spécialisés, que par les guides touristiques classiques et en ligne ». Dans cette logique, nous proposons ici un essai méthodologique pour le développement du tourisme par les musées camerounais.

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Figure 3 – Essai méthodologique pour le développement du tourisme par les musées camerounais.

La conception architecturale

52L’architecture du musée aujourd’hui ne vise plus à faire un bâtiment devant simplement accueillir une collection et des expositions. Elle relève d’une actualité brulante qui prône « une forte identité à l’édifice ». Le musée doit être « un monument » qui donne « un sentiment de fierté » (Donada 2004). Cette satisfaction découle du fait que sa construction fait ressortir une originalité révélatrice par sa forme. L’unicité et l’originalité sont en soi des facteurs de curiosité et d’attraction touristique, le musée devenant une icône dans son environnement.

53Le cas du Musée Guggenheim de Bilbao en est très illustratif, conçu dans les années 1990 par les autorités basques, il a été un facteur déterminant pour la régénération urbaine, mais aussi pour façonner une image positive de la ville qualifiée de ville noire. La présence de musée avec une architecture singulière a participé au développement touristique dans la région. Il apparait donc clair avec le cas du Louvre d’Abu-Dhabi qu’une conception bien pensée du musée participe à une logique de marketing urbain ou rural.

54De nombreux promoteurs de musée au Cameroun comprennent déjà la nécessité de construire des musées qui épousent les réalités locales avec une originalité, chargée de nombreuses symboliques. Leur architecture est une marque référentielle, un identifiant unique de la localité à l’échelle nationale. À titre d’exemple, un visiteur du Musée Des Civilisations à Dschang vivant au Maroc a affirmé avoir vu la photo du bâtiment sur internet, surpris que cela soit au Cameroun, il a pris la résolution de le visiter une fois de retour au pays natal4. Ainsi, l’on rencontre sur l’étendue du territoire d’autres musées dont l’architecture est un véritable outil marketing du territoire. C’est le cas du Musée des Rois Bamoun à Foumban (2018), du Musée Case Patrimoniale de Bapa (2018), du Musée Maritime de Douala (2013), etc. (fig. 4-6).

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Figure 4 – Musée des Rois à Foumban. Photo : Dimitri Kom, 2021.

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Figure 5 – Musée Case Patrimoniale de Bapa. Photo : Uriel Ngniguepaha, 2021.

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Figure 6 – Case patrimoniale de Bafou. Photo : Uriel Ngniguepaha, 2022.

55Cette logique qui doit s’harmoniser à l’échelle nationale, pour la mise sur pied des musées porteurs d’une identité visuelle marquante. Cela demande une réflexion approfondie sur le lien entre le bâtiment et le concept développé, et le lien avec la culture (l’environnement) du musée. La priorité doit tant bien que mal être donnée aux musées construits qu’aux réaffectations pour une contribution efficace à l’essor du tourisme.

Devenir des centres de recherches

56La connaissance aujourd’hui est facteur de déplacement pour des personnes qui sont en quête du savoir. Ce qui est l’occasion pour les musées au Cameroun de donner leur caution pour un accès mondial à la connaissance du patrimoine dont ils ont la charge. D’où l’urgence, pour eux de cesser d’être des conservateurs, mais devenir des lieux qui promeuvent la recherche. L’actualité est de documenter la culture, la mémoire collective et diverses expressions matérielles et immatérielles de l’homme à travers les âges.

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Événementiel

58Les musées doivent être fortement impliqués dans les évènements festifs qui ont lieu dans leur environnement. Ils peuvent à cet effet être des participants ou des initiateurs. Des occasions connues du grand public sur le territoire national sont à exploiter par ces derniers. À ce titre, la fête de la jeunesse (11 février), la Journée Internationale de la Femme (8 mars), la fête du Travail (1 mai), la fête de la nativité (24-25 décembre), la saison des funérailles, les programmes vacances utiles sont à capitaliser. Ce sont autant d’occasions pour les institutions muséales d’établir des liens avec leur thématique pour offrir de véritable spectacle vivant au public. Il s’agit pour elles de faire une veille stratégique pour qu’à chaque évènement stable, ils puissent développer des activités touristiques et montrer un nouveau visage au public.

59Par ailleurs, les musées peuvent faire preuves d’audace en matière d’évènements, en étant eux-mêmes initiateurs et acteurs. Ils sont capables de créer dans leur environnement des moments de loisirs, de pouvoir joindre l’utile à l’agréable. Un musée sans évènement apparait comme une belle fleur sans véritable parfum d’agréable odeur. Or, ces institutions qui semblent avoir de plus en plus du succès auprès de la population camerounaise doivent pouvoir se montrer apte à initier l’organisation des concerts de musique, de spectacles théâtraux, à s’impliquer dans l’organisation des festivals, des soirées géantes, des performances artistiques… La démarche du Musée Des Civilisations à Dschang est très illustrative dans cette logique. Avec le soutien de la Route Des Chefferies5, il a organisé du 26 au 27 mai 2012 le « weekend des mécènes » qui a favorisé le déplacement massif de plusieurs partenaires et mécènes pour la ville de Dschang. Ce fut un weekend riche en couleur avec l’organisation de concert de musique, de la visite de quelques sites touristiques du département de la Ménoua ainsi que des échanges dinatoires. Cependant, cette activité est restée isolée. À dire qu’il faut pousser les Responsables à la rendre cette démarche régulière.

Création d’une identité culturelle

60Il est certes vrai que la mission traditionnelle des musées est de conserver le patrimoine culturel et naturel. Avec la tendance qui promeut aujourd’hui l’attractivité des territoires, les musées camerounais peuvent se servir de l’outil marketing qu’est le patrimoine et toutes ses composantes pour créer la marque du territoire dont ils sont au service. Ceci passe par la combinaison active de quatre actions : identifier, inventorier, documenter et communiquer autour du patrimoine, afin de favoriser les réactions positives de la part de potentiel touriste.

61L’identification et l’inventaire consistent à mettre à jour les différents éléments patrimoniaux significatifs faisant la particularité du territoire. Cela permettra au musée de mettre sur pied des circuits appropriés pour une consommation optimale et efficiente du patrimoine par le visiteur.

62La documentation et la communication supposent la production des contenus logiques autour du patrimoine. Au travers de différentes approches et moyens médiatiques des mécanismes peuvent être mis sur pied pour faciliter leur accès au grand public. Il s’agit des médias et réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, etc.) ; la télévision (documentaire, publicité, etc.) ; impression des tracts et prospectus. B. Nizésété, (2007, p.13) préconisait que les musées aujourd’hui mettent à leur profit les moyens nouveaux qu’offrent les Technologies de l’Information et de la Communication, afin d’attirer un maximum de visiteur dans leur territoire. Combiner ces actions contribue à définir une approche marketing qui va mettre sur pied une véritable marque culturelle du territoire et attirer de nombreux touristes.

Actions d’éducation culturelle

63Les musées, plus que jamais, doivent se positionner comme des lieux d’accueil tout azimut des personnes venant s’instruire ou pour partager des connaissances particulières. L’accent ici peut être centré vers des forums de discussions patrimoniales par catégories socio-professionnelles, développer des activités qui favoriseront leur déplacement en fonction de leur intérêt. À ce titre, des colloque, conférence, table ronde, excursion, etc. peuvent être organisés. Les musées camerounais disposent d’une source inépuisable de sujets propres à leur environnement. Ils peuvent donc mobiliser, à des intervalles de temps réguliers, des experts pour des échanges, lesquels sont un appel à l’innovation dans les manières d’agir et de concevoir les choses, mais aussi un excellent moyen de déplacer les personnes qui vont séjourner dans la localité en tant que touristes.

Colonie de vacances

64Dans le déploiement des activités culturelles de grandes portées, les musées en collaboration avec la population et les autorités locales, sont appelés à initier l’accueil des colonies de vacances. Il s’agit pour ces derniers de créer dans les limites de leur territoire un cadre propice pour l’accueil et le logement des personnes venues participer à des activités spécifiques organisées. Il faut disposer des centres d’hébergement décent6 et des activités spécifiques déclinées sur une période bien déterminée. L’animation, les ateliers d’éducation culturelle, le sport et autres activités de détente ingénieuse propre à chaque territoire meublent le quotidien. C’est un excellent moyen pour les musées camerounais de donner leur caution pour l’essor du tourisme solidaire. Au-delà de l’idée simpliste de la détente, les activités proposées doivent participer au développement humain à travers l’enrichissement des expériences personnelles, l’autonomisation de la personne, le développement de l’esprit critique et d’autres aptitudes nouvelles. Mais aussi, au vivre ensemble qui passe par le respect des valeurs propres à l’autre et l’ouverture culturelle des participants. Les volets économiques et environnementaux n’en sont pas en reste.

4. Politique des musées d’ethnographie au Cameroun pour le développement touristique

65Les défis majeurs de notre temps se présentent davantage dans l’utilisation du numérique. Aucun secteur ne peut aujourd’hui se soustraire à cette mouvance alimentée par les avancées technologiques. Avec la tendance actuelle, les musées doivent avoir une politique tournée vers le numérique pour participer à un tourisme planétaire avec la pratique de l’hyper connectivité. Cette approche permettra de toucher non seulement les nationaux mais les internationaux et le musée devenant « un media » (Davallon 1992). L’un des aspects de cet iconoclasme passe par la disponibilité des contenus numériques multilingues (Anglais/Français). En plus du fait que ce soit les langues officielles du Cameroun, il est important de noter que l’Anglais est la langue mondiale des échanges quelle que soit leur nature. Certes une majorité des musées a des panneaux bilingues, mais l’heure étant à une convention, transfert de l’analogique vers le numérique, ces établissements doivent se doter des compétences humaines capables de rendre leur contenu aisément accessible sur le web.

66Par ailleurs, le déploiement de nouveaux services numériques est aussi un moyen d’accroitre l’activité touristique. Cela comprend des supports d’aide à la visite (Audioguide bilingue) ; de valorisation du patrimoine (Cyber musée, musée numérique, portail de collection, etc.) ; technologiques pour la facilitation de service (billetterie numérique, conception d’applications, site internet, Community manager). Le projet de mise sur pied de la billetterie centralisée pour les musées de la Route Des Chefferies est une initiative louable dans ce domaine. Elle veut donner la possibilité à un touriste de visiter sans exception tous les musées du réseau en se procurant le billet en un seul point, qui de manière automatique relaie l’information aux autres. Aussi, les Musées Communautaires au Cameroun exposent leur patrimoine, mais doivent s’exposer avec leur territoire au travers des innovations technologiques. Pour cela, il est important qu’ils soient introduits dans le plan guide Cameroun et ils apparaitront facilement dans les recherches sur les attractions touristiques nationales.

Conclusion

67Au regard de l’environnement muséal camerounais actuel, les musées ne jouent pas encore le rôle qui est le leur dans l’essor du tourisme. Il s’agit là d’une situation qui découle de la vision théorique et conceptuelle nationale qui leur donne peu de pouvoir et les réduits à des établissements dont la conservation et la présentation au public des collections restent les activités du quotidien. Ces musées minimisent l’atout majeur qu’ils ont en tant qu’attraction touristique principal pour participer activement au marketing de leur territoire. Il est donc indéniable et impératif pour eux de mettre sur pied des actions culturelles inédites devant favoriser un déplacement de personnes et par conséquent développer le tourisme local voire national. Au-delà de l’insuffisance des ressources matérielles, financières, le personnel à force de faire le guidage acquiert par reflexe les compétences pour développer localement des activités touristiques. Il est impératif de travailler avec les Associations des Parents d’Élèves ‘APE), les milieux associatifs, les Collectivités Territoriales Décentralisées (CTD), la diaspora pour développer le tourisme en adéquation avec l’environnement socioculturel dans une démarche territoriale.

Bibliographie

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Notes

1 ICOM, 2022 : L’ICOM approuve une nouvelle définition des musées. Disponible sur : https://icom.museum/fr/news/licom-approuve-une-nouvelle-definition-de-musee/#:~:text=R%C3%A9seauL'ICOM%20approuve%20une%20nouvelle%20d%C3%A9finition%20de%20mus%C3%A9e&text=Le%20nouveau%20texte%20se%20lit,du%20patrimoine%20mat%C3%A9riel%20et%20immat%C3%A9riel (consulté le 30 janvier 2023).

2 Le Programme Route des Chefferies sous la houlette de son Coordinateur Général Sylvain Nzache depuis 2009 contribue efficacement à l’ouverture de la quasi-totalité des musées dans le Grassland.

3 Il s’agit d’une expression consacrée des chefferies Grassfields pour parler des objets faisant partie des collections de musée et qui sont toujours utilisées par les entités traditionnelles qui les détiennent pour diverses pratiques.

4 Scène vécue par Ngniguepaha pendant un Stage académique en avril 2018.

5 La Route des Chefferies est une Organisation Non Gouvernementale (ONG) qui œuvre à la valorisation du Patrimoine culturel et naturel dans la région de l’Ouest Cameroun.

6 Dans la plupart des communautés, l’on retrouve des villas appartenant à des élites vivantes dans les centres urbains. Ces derniers peuvent à titre d’exemple être sollicitées pour l’hébergement.

Pour citer cet article

Rachel Mariembe & Uriel Ngniguepaha, «Musées communautaires et développement touristique au Cameroun. Une valorisation du territoire problématique», Les Cahiers de muséologie [En ligne], Numéro 3, Articles, p. 53-76 URL : https://popups.uliege.be/2406-7202/index.php?id=1497.