Comme un cristal posé sur l'eau. Le Musée des Arts asiatiques à Nice (France)
1La dynamique féconde impulsée par Émile Guimet au début du XXe siècle, nourrie des intentions du pédagogue autant que des passions du collectionneur, a donné naissance à trois musées au moins : le premier à Lyon, intégré aujourd’hui au Musée des Confluences, celui de Paris ensuite, qui porte encore son nom, et le benjamin à Nice, créé un peu par hasard dans la dernière décennie du siècle.
2Petit mais dynamique, le Musée des Arts asiatiques de Nice, logé dans un bâtiment contemporain aux formes géométriques simples posé sur un miroir d’eau, ambitionne de donner un aperçu des grandes civilisations d’Asie orientale, de l’Inde au Japon et à la Cochinchine, et, au-delà à l’Indonésie.
3Pourtant, l’intention est toute autre lorsque le projet démarre, au début des années 1990.
4Dans les années 80, la Ville de Nice, sous l’impulsion de son maire Jacques Médecin1, promeut le développement d’un nouveau quartier en périphérie de la ville, à côté de l’aéroport de Nice-Côte d’Azur lui-même rénové et agrandi. C’est dans ce cadre que naît le projet d’un musée consacré à l’artiste Pierre-Yves Trémois (1921 - ), membre de l’Académie, qui promet de céder ses œuvres à une fondation à créer à Nice. Trémois est attiré par le Japon, où il effectue de nombreux séjours. Il possède une petite collection d’œuvres de cette civilisation, surtout des estampes, qu’il envisage de céder également.
5La décision est prise de construire un bâtiment contemporain. Un concours d’architecture est lancé et c’est le japonais Kenzo Tange qui l’emporte. En 1990, la chute de Médecin compromet l’avancement du projet mais, après quelques atermoiements, le Département reprend en charge et mène à bien le chantier de construction du musée.
« Tel est cet édifice de marbre blanc posé sur l’eau, servant de mirage vers un autre monde, comme un mandala flottant » (Kenzo Tange).
6Que faire, cependant, de ce très beau bâtiment, privé de sa destination initiale ? L’origine de l’architecte et la philosophie qui semble sous-tendre sa conception orientent le projet vers un musée d’art asiatique. Mais il n’y a pas, à Nice, de collection de ce type, ni à la Ville, ni au Département, pas même dans les mains de privés. Après avoir engagé une conservatrice, Marie-Pierre Froissy – Aufrère (en 1996), le Conseil général se tourne vers le Musée Guimet, à Paris, pour obtenir des prêts en attendant de constituer une collection propre. Le musée s’ouvre, sur cette base, en 1998.
7Le nouveau quartier qui se développe, depuis la rénovation de l’aéroport, à l’ouest de la ville de Nice, tout au bout de la Promenade des Anglais, favorise la mixité des fonctions : immeubles d’affaires liés aux activités aéroportuaires, hôtels, espaces résidentiels, loisirs. Le parc Phoenix dans lequel est implanté le Musée des Arts asiatiques constitue un vaste îlot de verdure qui rassemble un jardin botanique doté de serres tropicales géantes, des salles de sport, une grande salle de concert et le musée. Les plans d’eau et les cascades rafraichissent l’atmosphère et animent les lieux. Le nouveau musée bénéficie de cet environnement dynamique mais il en constitue également un point d’attractivité.
8Le bâtiment2 conçu par Tange – « d’une esthétique délicate » – se présente comme un pavillon de marbre blanc et de verre posé sur un vaste plan d’eau où s’ébattent cygnes et canards. Il associe des formes géométriques simples : « des carrés, symboles de la terre au Japon, et le cercle, symbole du ciel ». Une pyramide de verre complète l’ensemble et permet à la lumière naturelle de pénétrer au cœur de l’édifice. Un perron semi-circulaire précède la façade et descend dans l’eau, comme si l’accès se faisait en barque.
Vues extérieures du musée (2016). Photographies de l'auteur.
9En réalité, une grande partie du bâtiment – l’essentiel des salles d’exposition – se situe sous le niveau de l’eau. Les salles d’accueil et de services, quant à elles, sont logées dans un bâtiment en forme de croissant construit sur la rive et relié au pavillon central par une passerelle. C’est par là que le visiteur accède au musée.
10Disposé à l’opposé de l’aile d’accès, un belvédère sur pilotis, lui aussi relié au pavillon par une passerelle, donne une certaine légèreté à l’ensemble et offre aux yeux du visiteur des vues changeantes sur le bâtiment, mettant en valeur le jeu plastique des volumes et des perspectives, dans l’atmosphère reposante du plan d’eau.
Vues extérieures du musée (2016). Photographies de l'auteur.
11Le petit bâtiment d’accueil en forme de lune, sur la rive de la pièce d’eau, abrite la billetterie, ainsi qu’un petit bar et une boutique dont l’éventail de produits est exclusivement tourné vers l’Asie : soie et autres tissus, laques, calligraphies, céramiques, crayons et papiers, boîtes à thé… ainsi que des publications.
12Une passerelle permet au visiteur d’accéder au pavillon central par-dessus le plan d’eau. L’exposition de référence occupe quatre salles carrées aveugles disposées elles-mêmes en carré pour former les angles du volume principal, au niveau de l’eau. Chaque salle s’ouvre par une large baie sur le patio central, en pleine lumière grâce à la verrière pyramidale qui le surmonte. Ces quatre espaces sont consacrés chacun à un domaine géographique spécifique : Inde, Chine, Japon, Sud-est asiatique. Un panneau introductif situe à chaque fois le propos.
Exposition permanente (2016). Photographie de l'auteur.
13Très peu d’objets sont exposés, sur socle ou sous vitrine. La sélection associe du mobilier, des sculptures en pierre ou en métal, des œuvres en deux dimensions (peintures, gravures, calligraphies), des objets de plus petite taille (statuettes, objets cultuels…), ainsi que des objets de la vie quotidienne. Cette association d’œuvres dites artistiques et d’objets ethnographiques est une des caractéristiques de ce musée, avec la grande qualité de chaque pièce exposée : peu d’objets, mais de qualité et porteurs de signification ; avec pour objectif de représenter de façon synthétique les traits marquant d’une civilisation. Une gageure avec un aussi petit nombre d’expôts, d’autant que le musée ne se fixe aucune limite chronologique, des temps préhistoriques à aujourd’hui. Le résultat paraîtra caricatural pour celui qui connaît quelque peu l’histoire des cultures d’Asie mais l’esthétique de la présentation, due à l’architecte François Deslaugiers, emporte l’adhésion du visiteur vers une expérience plus sensible que didactique.
Exposition permanente (2016). Photographie de l'auteur.
14L’exposition de référence se prolonge sur la mezzanine circulaire qui surplombe le patio, dans le volume cylindrique du premier étage. Là, c’est le bouddhisme et sa diffusion au long des routes de la soie qui sont évoqués, avec un accent mis sur le caractère unificateur – ou plutôt intégrateur – de cette religion. Au-delà de ce trait qui offre l’occasion de donner un aperçu géographique de cette partie du monde, il faut y voir, sans doute, le reflet des préoccupations d’Emile Guimet, telles que les a retracées Aurore Francotte dans son article. L’espace en mezzanine accueille également de petites expositions temporaires (en août 2015, Abstraction lyrique montre des œuvres du peintre contemporain chinois Wang Yan Cheng) mais c’est le sous-sol qui est surtout consacré aux activités événementielles.
15Un escalier hélicoïdal inscrit dans une ellipse unit les trois niveaux, au centre du bâtiment.
Vue de l'escalier hélicoïdal (2016). Photographie de l'auteur.
16Le sous-sol offre la surface la plus vaste car il s’étend sous l’eau au-delà des limites du pavillon central. Des éléments structurels y délimitent naturellement des espaces qui autorisent la présentation de plusieurs expositions temporaires simultanées. Les thématiques en sont diversifiées, tant en termes de zone géographique que pour ce qui concerne la chronologie et les techniques. La part-belle est faite aux artistes contemporains, plasticiens, mais aussi calligraphes, maîtres-tisseurs, photographes, designers, stylistes, joaillers, etc. Toutes les matières sont présentes dans ces expositions contemporaines et trouvent un écho dans les objets exposés de façon plus permanente aux étages supérieurs, y compris textiles et bijoux.
17Lors de ma dernière visite (août 2015), par exemple, on pouvait voir trois expositions consacrées respectivement aux œuvres textiles de Samiro Yunoki (Danse des formes), aux photographies d’Isabelle Garcia – Chopin (Voyage chez les enfants moines) et à des calicots calligraphiés contemporains.
18Ce souci, très présent, de pousser l’exploration des civilisations orientales jusqu’aux créateurs actuels constitue certainement un des traits les plus marquants du Musée des Arts asiatiques de Nice et renforce son attractivité de façon significative. Ceci compense, d’une certaine façon, le côté restreint, voire caricatural, de l’exposition de référence, tournée vers les pièces anciennes.
19La vie du musée s’articule aussi autour de la programmation régulière de conférences et d’activités diverses, animées par des intervenants extérieurs de qualité, sur des thématiques liées à l’Asie, son histoire, ses civilisations et ses créations contemporaines.
20L’une d’elle est organisée de façon régulière un samedi par mois : la cérémonie du thé, exécutée dans un pavillon isolé, conçu à cet effet par Kenzo Tange et relié au pavillon central du musée par une passerelle. Là sont rassemblés des objets3, anciens ou actuels, relatifs à la culture et à la consommation du thé ou plutôt au rituel qui entoure cette dernière. En dehors des séances cérémonielles, cette exposition donne du sens à l’espace que découvre le visiteur.
21Le Musée des Arts asiatiques à Nice s’est créé, en l’absence de toute collection propre, sur les prêts, nombreux et de qualité, que le Musée des Arts asiatiques Emile Guimet à Paris a consentis, dans un bel esprit de collaboration. Ce faisant, les responsables du musée parisien exécutent une des missions des musées nationaux à l’égard des musées de province. Cependant, l’objectif du Conseil général des Alpes-Maritimes est bien, dès le départ, de mettre en œuvre une politique d’acquisition volontariste pour constituer, aussi rapidement que possible, une collection conforme aux lignes de force du projet muséal. Des moyens financiers récurrents sont prévus dès 1997 pour acquérir sur le marché des pièces significatives. Aujourd’hui, la plupart des objets présentés dans l’exposition de référence appartiennent en propre au musée niçois. Cela ne signifie pas que la collaboration avec le Musée Guimet a pris fin. Si les prêts sont moins indispensables, l’institution niçoise reste un jeune musée dont l’équipe, peu étoffée, a besoin de l’aide et des conseils de son aînée. En 2014, les deux musées ont préparé en commun une exposition consacrée à Clémenceau, le Tigre et l’Asie. Mais cette collaboration n’est pas à sens unique : la réelle expertise acquise par le musée de Nice en matière de création contemporaine asiatique peut servir le Musée Guimet, moins actif sur ce terrain.
22L’originalité du projet muséal du Musée des Arts asiatiques, cet accent fort mis sur le contemporain, très perceptible lorsqu’on le visite, doit être soulignée. Il ne s’agit pas seulement de compenser la faiblesse relative de la collection, ni de se différencier des deux musées fondés par Guimet. Cet accent, qui est peut-être un reste du projet initial avorté de Fondation d’Art contemporain, s’inscrit parfaitement dans le projet urbanistique de développement d’un quartier moderne et dynamique, tourné vers le futur, autour de l’aéroport de Nice-Côte d’Azur. Il est particulièrement bien en accord avec le bâtiment de Kenzo Tange, architecture contemporaine qui intègre des références culturelles japonaises.
Notes
1 Jacques Médecin (1928 – 1998) est issu d’une famille liée à la vie politique niçoise. A la mort de son père Jean, en 1965, il lui succède à la mairie. Il est également Conseiller général (de 1961 à 1990) et député. En 1976, il est secrétaire d’Etat au Tourisme dans le gouvernement Barre. Mais tout ce pouvoir est fondé sur le « Système Médecin » qui lui vaut aussi d’être poursuivi en justice pour fraude fiscale, corruption et abus de biens sociaux. Condamné en 1990 et déchu de tous ses droits civiques, il s’enfuit en Uruguay où il meurt en 1998.
2 Tout ce passage sur le bâtiment est largement inspiré du texte de Bernard Jeannel sur l’architecture (aux pp. 3-9) dans la brochure relative au musée : Musée des Arts asiatiques. Musée du Conseil général des Alpes-Maritimes, Nice, 2014, 48 p. Toutes les citations dans mon texte sont de Kenzo Tange et extraites de cette brochure.
3 Dont certains prêtés par le Musée des Arts décoratifs à Paris.