La Thérésienne La Thérésienne -  2020 / 1 : Varia 

Le retour des morts. Les Belges et la Grande Guerre, 1914-1923

Laurence van Ypersele

Laurence van Ypersele est professeure ordinaire à l’UCLouvain où elle enseigne l’histoire contemporaine et la critique historique. Elle est également membre du centre international de recherches de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne (France), ainsi que de l’Académie royale de Belgique.

Résumé

La Grande Guerre a confronté tous les belligérants à la mort violente. Dès la fin de la guerre, les familles belges réclament les corps de leur défunt afin de pouvoir en prendre soin. Mais l’État commence par s’y opposer pour des raisons de sécurité et d’hygiène, mais aussi pour des raisons d’égalité. Aussi bien, entre la volonté des familles de se réapproprier les morts et la volonté du gouvernement de les nationaliser, le bras de fer durera plus de trois ans. Le retour des morts se fait dès lors en plusieurs étapes.

Index de mots-clés : Première Guerre mondiale, Deuil, Morts pour la patrie, Familles endeuillées, Sortie de guerre

Abstract

The Great War confronted all the belligerents with violent death. At the end of the war, Belgian families claimed the bodies of their deceased so that they could take care of them. But the State begins by opposing it for reasons of safety and hygiene, but also for reasons of equality. As well, between the families' will to reclaim the dead and the government's will to nationalize them, the showdown will last more than three years. The return of the dead therefore takes place in several stages.

Index by keyword : First World War, Mourning, Death for the fatherland, Bereaved families, Out of war

1La Première Guerre mondiale, avec ses quelque dix millions de morts au combat, a confronté toutes les sociétés belligérantes à la problématique du deuil de façon particulièrement dramatique. En effet, la mort à la guerre a ses tragiques spécificités : l’impossibilité d’accompagner l’être cher dans ses derniers moments, l’absence des corps, l’idéalisation officielle des morts et l’inversion réelle des générations sont autant de difficultés supplémentaires à un travail de deuil en soi éprouvant qui vont faire évoluer les pratiques de deuil pendant la guerre et après. Les rites traditionnels qui consistent à prendre soin du corps du défunt comme s’il était encore vivant, à veiller le mort pour réaliser l’inacceptable, à s’en séparer à travers les funérailles et à se remettre à vivre malgré la douleur de la perte, ne sont pas toujours possibles. Aussi assiste-t-on, non pas à la disparition des traditions, mais à leur renouvellement : simplification, voire absence de certains rites et apparition de nouveaux gestes1.

2Cette évolution se situe dans un contexte où chaque jour apporte son nouveau lot de morts. Les veuves, portant les habits de deuil, deviennent un élément du paysage quotidien. La mort à la guerre devient banale. Or, il semble bien que l’invention de nouveaux gestes de deuil réponde au refus de la banalisation de la mort à travers l’individualisation des défunts. Ce qui correspond à la lente évolution du rapport des sociétés occidentales à la mort. En effet, la génération qui bascule dans cette guerre hors norme est directement issue du xixe siècle et de ses évolutions contradictoires. D’un côté, le xixe siècle est traversé par une montée de l’individualisme et de l’expression de l’affectivité dans les relations familiales, ainsi que par un recul de la violence physique dans l’éducation et la société en général. Ce qui a des répercussions sur le rapport à la mort. Les tombes individuelles ou les caveaux familiaux deviennent la norme et les supports du culte familial. La mort est ainsi dramatisée et mise à l’écart de la vie quotidienne2. Mais, d’un autre côté, le xixe siècle est marqué par la montée des nationalismes. Les individus intériorisent leur appartenance à la nation perçue comme une cause sacrée, c’est-à-dire une cause à défendre même au prix de sa propre vie. « Au nom de la patrie » a bel et bien été le leitmotiv de la Grande Guerre3.

3La situation particulière de la Belgique au sein de la conflagration mondiale a un impact direct sur les pratiques de deuil. En effet, lors de l’invasion, d’août à novembre 1914, nombre de soldats belges, français, britanniques et allemands ont été enterrés à la hâte là où ils sont tombés. De même, quelque 6 000 civils ont été massacrés et enterrés sans égards. À partir de la stabilisation des fronts, les familles n’ont plus guère accès ni aux informations concernant les leurs ni aux corps des morts tombés dans les boues de l’Yser. Au total, on compte quelque 40 000 soldats belges morts au champ d’honneur. En revanche, dans la zone occupée, près de 300 patriotes sont fusillés tout au long de la guerre, au moins 2 600 déportés meurent loin de chez eux, d’autres à leur retour et un nombre indéterminé de civils meurt lors de bombardements, surtout en 1918. En Belgique, l’accès aux corps des civils et des militaires diffère donc considérablement selon les cas, engendrant des pratiques de deuil quelque peu différentes.

Pendant la guerre

4Dès la stabilisation du front, à l’automne 1914, l’identification et la réinhumation des corps des soldats et des civils morts pendant l’invasion deviennent une priorité à la fois pour les autorités allemandes dans une optique hygiéniste et pour nombre de familles dans une perspective de deuil. Car l’identification des corps permet aux proches de se mettre en face de la douloureuse réalité, d’offrir au mort une tombe décente et d’entamer un processus de deuil. En outre, pour les veuves et les orphelins, cette identification leur permet d’être reconnus en tant que tels, de bénéficier des œuvres de solidarité qui se mettent rapidement en place, voire de recevoir une pension de veuve.

L’identification des morts civils

5Toutefois, dans un contexte d’occupation de guerre, ce travail d’identification se révèle compliqué. De nombreux cadavres de civils, défigurés ou carbonisés, ne sont pas identifiables. De même, pour les corps des soldats pulvérisés par l’artillerie ou ensevelis dans les décombres de certains forts. Il faut ajouter à cela l’attitude de l’occupant vis-à-vis des morts. En effet, les Allemands considèrent les civils fusillés lors de l’invasion comme des francs-tireurs qui ne méritent ni égard ni cérémonie.

6Pourtant, dans la chaleur de l’été 1914, la question de l’enterrement des victimes se pose immédiatement, ne fut-ce qu’en termes d’hygiène. Les premiers ensevelissements se font d’ailleurs sous les ordres des Allemands. Ainsi, à Tamines, le 22 août 1914, l’officier qui avait donné l’ordre d’exécuter un premier groupe de civils fait appel à des volontaires parmi le deuxième groupe qu’il a épargné pour creuser deux fosses communes et y mettre les cadavres souvent défigurés et difficile à identifier. Ils sont tellement nombreux que l’on doit les entasser sur plusieurs niveaux. Une fois le travail terminé, le chanoine Crousse est désigné par les Allemands pour bénir la fosse4. Mais tout ornement de cette fosse reste interdit durant l’occupation. À Dinant, le 23 août 1914, les cadavres sont enterrés à la hâte sur ordre des Allemands dans des jardins qui font office de fosses communes. Là aussi, nombre d’entre eux sont carbonisés et impossible à identifier. Mais, dès le 10 septembre 1914, le conseil communal ordonne l’exhumation des corps et leur réinhumation dans le cimetière communal5. Toutefois, l’inscription « martyr », comme partout, fut prohibée et l’utilisation de draps mortuaires interdite par l’occupant. En Gaume, où la bataille des frontières eu lieu et où l’on compte une série de villages martyrs, les habitants sont chargés de s’occuper prioritairement des soldats et ensuite seulement des civils. Sur les lieux des massacres, comme à Ethe, les survivants affolés vont spontanément chercher à identifier leurs proches6. Tandis que les habitants de Rossignol fusillés à Arlon le 22 août 1914 ne peuvent être rapatriés dans leur commune malgré les demandes répétées des familles adressées à l’occupant. L’identification des cadavres et leur réinhumation dans des tombes dignes ne sont donc guère soutenues par l’occupant. Il ne reste à ces populations particulièrement traumatisées que les messes pour rendre hommage à leurs morts. Un peu partout des services funèbres sont organisés, sur les lieux des massacres, mais également à Bruxelles7.

L’identification des morts militaires

7En revanche, les soldats morts pendant la guerre de mouvement ont droit à bien plus d’égards. Dans l’immédiat, là où de grandes batailles ont eu lieu, les Allemands réquisitionnent des civils belges pour enterrer les soldats des deux camps. C’est le cas, par exemple, en Gaume où 500 civils des alentours de Maissin sont réquisitionnés du 24 au 30 août 1914 pour créer les premiers cimetières militaires dans le village8. Dans l’urgence, ce sont parfois les autorités communales qui prennent l’initiative et demandent de l’aide aux Allemands, comme à Rossignol où ce sont des soldats français prisonniers et des civils belges qui sont mis à disposition pour ce lourd travail d’inhumation9. Par la suite, les soldats morts sont, dans la mesure du possible, méthodiquement répertoriés et rassemblés dans des cimetières tantôt par l’occupant qui s’occupe des soldats allemands mais pas uniquement, tantôt par les autorités locales, tantôt par des œuvres de charité un peu particulière. L’œuvre de Jeanne Orianne, une habitante de Londerzeel, est entièrement dédiée à « l’exhumation et à l’identification des soldats belges ». Elle travaille de 1914 à 1916 avec le soutien de l’occupant, puisque celui-ci lui accorde toutes les autorisations nécessaires10. Grâce à cette œuvre, quelque 1 100 soldats identifiés reçoivent une tombe décente. De même à Malines, le bourgmestre Charles Dessain crée dès octobre 1914 un nouveau service communal pour l’inhumation des soldats décédés lors des combats autour de Malines. C’est un instituteur malinois, Hendrik Haesen, qui est nommé à la tête de ce service. Sous la surveillance de l’occupant, aidé par une équipe d’ouvriers, il s’emploie à trouver, identifier et inhumer les corps des soldats belges et allemands. Comme partout la tâche est difficile car les corps ne sont pas toujours identifiables. Au total, quelque 508 victimes ont ainsi reçu des tombes dignes de ce nom11. Les dizaines de lettres de remerciements envoyées par des familles issues des quatre coins de la Belgique au bourgmestre ou à l’instituteur témoignent, malgré une intense tristesse, du soulagement et la gratitude ressentis par ces endeuillés de savoir qu’il repose désormais dans une tombe décente12. Indéniablement, ces œuvres ont eu une grande importance pour les familles. Cela dit, il n’est pas rare que certains corps soient déplacés à plusieurs reprises sous l’occupation13.

8La collaboration entre l’occupant et les occupés montre combien le respect dû aux morts au combat est partagé par les différents belligérants et qu’il s’adresse non seulement à ses propres morts, mais aussi aux morts ennemis. Les préoccupations hygiénistes sont également importantes, surtout en zone d’Étapes, comme à Arlon où les instructions de l’occupant quant au traitement des corps sont très précises14. Ainsi, voit-on se mettre en place des cimetières germano-britanniques, comme à Saint-Symphorien près de Mons en 1916, ou des cimetières créés par les Allemands pour des soldats français, comme à La Claireau ou à Malome en Luxembourg belge15.

La recherche d’informations

9La guerre qui se poursuit continue d’apporter son lot quotidien de morts. Dès lors, pour les familles restées en pays occupés, une autre obsession se fait jour : la recherche désespérée d’informations. En effet, si l’armée belge est largement protégée par l’attitude du roi Albert qui refuse de participer aux grandes offensives, les soldats et leur famille sont sans nouvelle les uns des autres. Les familles n’ont guère plus de nouvelles des soldats prisonniers ou des civils déportés, si ce n’est à travers la maigre correspondance organisée sous l’égide de la Croix-Rouge. Aussi, apprennent-elles la mort d’un proche soit par le courrier clandestin très irrégulier qui subsiste entre le front et le pays occupé, soit par les rapports partiels de la Croix-Rouge publiés dans la presse censurée, mais sans jamais avoir accès aux corps et sans connaître vraiment les circonstances de la mort de leur cher défunt. Le cas des patriotes fusillés est un peu différent. Jusqu’en 1916, l’occupant annonçait par voie d’affiche leur exécution afin de dissuader toute résistance. Mais l’accès aux corps, inhumés sans égard par l’occupant sur le lieu de leur exécution, n’était pas permis16. Par la suite, l’effet dissuasif des affiches n’étant pas à la hauteur des espoirs de l’occupant, l’annonce à la famille se fait tantôt par le biais d’un aumônier compatissant, tantôt brutalement au moment d’une visite qui arrive trop tard. Pour tous ces morts, il fallait inventer de nouveaux gestes ou renouveler les traditions afin de les honorer et entamer un travail de deuil.

Renouvellement des traditions

10En pays occupé, les populations recourent spontanément aux rites catholiques traditionnels comme expression publique du deuil. La Toussaint, par exemple, devient dès le début de la guerre un jour de prière pour les morts civils et militaires. Partout, des messes sont célébrées pour le repos de leur âme. Et la traditionnelle visite au cimetière pour fleurir les tombes familiales se mue en un discret hommage aux morts de la guerre : les tombes des soldats même non identifiés sont fleuries par toute la population. Des messes sont également célébrées pour les soldats morts, le 21 juillet à l’occasion de la fête nationale ou dans les Écoles catholiques pour les anciens écoliers morts au front17. D’autres le sont dans les villes et villages martyrs. Mais surtout, en l’absence des corps, au moment où l’on apprend la mort d’un soldat ou d’un patriote, des messes funèbres sont organisées en lieu et place de véritables funérailles pour exprimer la douleur et l’espoir, pour réaffirmer aussi les liens sociaux autour des endeuillés, car ces messes attirent tout au long de la guerre des foules considérables18. Enfin, pour les patriotes surtout, la presse clandestine leur rend hommage, se transformant en véritable tombeau littéraire, pour garder la mémoire de leur sacrifice. Tous ces gestes publics de deuil disent à la fois la grandeur des morts et la douleur des vivants, l’espérance et l’angoisse19. Les endeuillés peuvent y trouver une certaine consolation. D’autant que ces rituels se prolongent dans l’expression concrète de la solidarité envers les veuves et les orphelins, via les innombrables œuvres privées organisées en leur faveur.

11Au front, les pratiques de deuil dans le secteur belge ne diffèrent guère de celles des autres secteurs. Dans la mesure du possible, les corps sont identifiés et enterrés généralement sous de simples croix de bois. Les messes funèbres, le plus souvent catholiques, rassemblent une foule de soldats. Alors que les célébrations dominicales sont largement désertées. En fait, les compagnons d’armes remplacent en quelque sorte les familles restées en pays occupé. Ils sont en tous cas les premiers endeuillés. Mais, devant la violence de la guerre, de nouveaux gestes apparaissent20 : certains compagnons d’armes mettent une lettre avec les restes du mort dans sa tombe, d’autres déposent le casque du défunt sur la croix, les journaux des tranchées publient un hommage plus ou moins long, voire une poésie, linceul de papier.

12En réalité, il faut attendre la fin de la guerre pour que l’on puisse vraiment prendre soin de tous ces morts.

Au sortir de la guerre

13Dès la fin de la guerre, les familles réclament les corps de leur défunt afin de pouvoir en prendre soin personnellement. Mais l’État belge, comme la plupart des belligérants, commence par s’y opposer pour des raisons de sécurité et d’hygiène, mais aussi et peut-être surtout pour des raisons symboliques. Déjà avant la fin de la guerre, le 9 septembre 1917, le gouvernement belge décide que les corps seront conservés dans des cimetières militaires aux frais de l’État. Car il craint que « […] la dispersion de nos glorieux morts n’affaiblisse un jour leur souvenir […] ». Le 19 février 1918, le Service des Sépultures militaires est créé par arrêté ministériel pour organiser les cimetières sur les champs de bataille. Au lendemain de l’armistice, le gouvernement persiste. Il s’agira pour l’État de réorganiser les cimetières militaires afin de pérenniser le sacrifice des soldats pour la patrie à travers des stèles dignes de ce nom. En septembre 1920, on peut encore lire dans une lettre adressée par le Gouverneur de la province du Hainaut ff aux communes de sa province :

« le Gouvernement compte que les familles belges auront à cœur de sacrifier leurs convenances personnelles à l’intérêt général, qu’elles comprendront que le véritable lieu de repos du soldat est sur le champ de bataille qu’il a arrosé de son sang »21.

14Pour bien des familles, cela reste inacceptable. Dès lors, entre la volonté des familles de se réapproprier les morts et la volonté du gouvernement de les nationaliser, le bras de fer durera plus de trois ans. Le retour des morts se fait dès lors en plusieurs étapes.

Réinhumation des civils morts en pays occupé

Pour les civils morts pendant la guerre, l’accès aux corps est assez simple et sans danger. Dès le départ des Allemands, les villes et les villages martyrs peuvent réinhumer dignement leurs défunts. Ainsi, par exemple, les Taminois érigent en novembre 1918 une grande croix de bois provisoire à l’emplacement où furent massacrés le 22 août 1914 quelque 383 des leurs et réinhument quelques cadavres identifiés dans des tombes individuelles autour de l’église. Tombes dont on retirera soigneusement les termes « victime de la barbarie teutonne » ou « lâchement assassiné » lors de la seconde occupation, en 1940.

Le cas de Rossignol est plus complexe. Les 123 habitants du village et des environs qui avaient été fusillés à Arlon le 22 août 1914 n’avaient pu être rapatriés sous l’occupation, l’occupant s’y opposant farouchement. Dès janvier 1919, les familles réclament le rapatriement des leurs. Mais leur demande n’est pas entendue. Un « comité d’initiative pour le transfert des corps des martyrs » est alors fondé. Celui-ci réitère leurs vœux lors de la visite du souverain le 19 décembre 1919 et fait publier une lettre dans La Nation belge, un journal d’envergure nationale. Le Conseil provincial s’empare alors de l’affaire, mais il est divisé et les discussions s’éternisent22. Finalement, les 18 et 19 juillet 1920, les corps sont exhumés et transférés solennellement d’Arlon vers leur village d’origine. La cérémonie, rehaussée par la présence du roi Albert, assimile ces martyrs d’août 1914 aux glorieux soldats de l’Yser. Dans cette optique, outre la présence de la Fraternelle des Anciens Combattants, les dépouilles sont déposées sur des prolonges d’artillerie pour le transport, ce qui caractérise les cérémonies funéraires militaires. Ensuite, le trajet du retour se fait en deux jours. à chaque localité traversée, un nouveau cortège composé des délégations de ces lieux s’ajoute pour les accompagner dans leur marche. Une fois Rossignol atteint, le 19 juillet, un office en plein air est célébré en présence de l’évêque Mgr Heylen et du souverain. La foule est émerveillée par l’aspect grandiose de cette « messe des morts »23. Une fois la messe terminée, les cercueils sont placés dans le caveau prévu pour eux et situé à l’entrée du village.

15Il en va de même pour les patriotes fusillés par l’occupant tout au long de l’occupation. Dès la fin du conflit, les familles, diverses associations, ainsi que les autorités communales et les enfants des Écoles viennent se recueillir devant les tombes des patriotes fusillés, de simples croix de bois portant un numéro, sur les lieux mêmes des exécutions, au Tir national de Bruxelles, au Tir communal de Gand, à la Chartreuse de Liège, etc. Ces multiples hommages sont consciencieusement relayés par une presse locale qui reparaît rapidement. À partir de mars 1919, à la demande des familles ou des autorités communales, on se met à exhumer les corps des fusillés pour les ré-enterrer solennellement dans leur commune d’origine. Ainsi, le 25 mai 1919, le corps de Charles de Simonet, héros montois, fusillé en septembre 1915 au Tir national de Bruxelles, est solennellement réinhumé à Mons aux frais de la commune24, tandis que le 13 juillet 1919 c’est la commune d’Ixelles qui réinhume solennellement son héros Franz Merjay, fusillé à 65 ans lui aussi au Tir national de Bruxelles25. La réappropriation des corps des héros par les communes, qui prennent financièrement en charge les funérailles, semble aller de soi. Or cela correspond non seulement à la volonté des familles, mais également aux dernières volontés de maints fusillés exprimées dans leurs lettres d’adieu26. D’ailleurs, l’inhumation de Gabrielle Petit à Schaerbeek plutôt qu’à Tournai suscite un véritable tollé dans la presse tournaisienne27. Cette vague d’hommages extrêmement rapide culmine en 1919, au travers de funérailles nationales collectives particulièrement grandioses, en l’honneur des héros civils : à Anvers, Bruxelles, Schaerbeek et Liège, les autorités nationales et locales, le haut clergé, les associations les plus diverses, les enfants des Écoles et la foule se rejoignent dans un même élan commémoratif28. Notons que si ces funérailles sont collectives, les différents patriotes sont individualisés par les récits qu’en font les journaux. Incontestablement, la Belgique tout entière tient à ses martyrs civils.

Les fêtes du retour ou la visibilité des absents

16En revanche, les familles des soldats morts sur l’Yser doivent attendre que le gouvernement change d’avis. Le premier « retour » des morts se fait donc en creux, lorsque les soldats vivants sont solennellement accueillis par leur commune. En effet, le retour des uns souligne l’absence des autres29. À ces fêtes du retour qui ont lieu le plus souvent en 1919, les endeuillés sont également conviés et reçoivent un diplôme et/ou une breloque-souvenir qui donnent aux absents une tragique visibilité. Mieux même, ces fêtes commencent toujours par un hommage aux morts, ensuite les vivants sont solennellement accueillis par les autorités locales. À Salzinne, par exemple, le 26 octobre 1919, la cérémonie commence à l’église où une messe est célébrée pour le repos des soldats de la paroisse morts au combat. Ensuite, un discours est prononcé par le bourgmestre en mémoire des soldats et des civils morts pour la patrie et une stèle commémorative avec les noms des 31 soldats et des 12 civils morts pendant la guerre est inaugurée. Le soir, les soldats et les déportés sont conviés à un banquet, puis à une soirée dansante30. De même à Malines, le 8 novembre 1919, la cérémonie commence par une messe pour les défunts. Ensuite, un cortège en tête duquel on trouve les autorités communales se dirige vers l’Hôtel de ville où les anciens combattants sont alors honorés par des discours et des remises de médailles31.

17Manifestement, cette reconnaissance par les autorités locales apaise bien des parents endeuillés et des veuves qui voient la mémoire de leur défunt publiquement honorée. Ainsi, seize personnes prennent la peine d’écrire une lettre au bourgmestre d’Ixelles pour le remercier de la cérémonie du 26 octobre 1919. Marguerite Lebay Barelle, une habitante d’Ixelles, écrit le jour même combien cette cérémonie a été importante pour elle et son mari, combien la petite breloque – qualifiée de « bijou » – restera le signe d’une reconnaissance officielle précieuse, malgré l’infinie tristesse qui perdure32. On trouve presque le même ton chez la mère de Maurice Dewez, un volontaire de guerre, originaire de Saint-Gilles, tombé à vingt ans. La breloque reçue, le 6 juillet 1919, est ici qualifiée de « jolie médaille ». Mais, malgré la fierté vécue lors de cette cérémonie glorifiante, le désir de récupérer le corps de son fils persiste.

« Monsieur le Bourgmestre,

[…] Ce fut certes pour moi une journée douloureuse, de ne plus posséder mon petit Maurice, de ne pouvoir l’acclamer dans le défilé de ces glorieux combattants, mais je me sentis très fière aussi en songeant que cette fête grandiose de Saint-Gilles était la glorification de ses braves enfants dont il fut ; ce 6 juillet sera pour moi et les membres de la famille que j’avais convié, une journée mémorable et dont je suis reconnaissante.

En terminant, Monsieur le Bourgmestre, je vous réitère une prière, celle de voir notre belle commune de Saint-Gilles, prendre sous votre haute initiative, la décision du retour de la dépouille mortelle de nos chers héros ; exauçant ainsi le désir cher de leur maman qui consentit au plus douloureux des sacrifices, vous lui donnerez enfin l’occasion de rendre à leur sépulture des fréquentes visites, seul apaisement à leur douleur.

[…]

Epouse E. Dewez »33

18Ces nombreuses lettres empreintes d’émotions, conservées dans les archives communales, sont presque toujours écrites par les mères, parfois par les épouses, mais très rarement par les pères. Elles oscillent entre l’expression de la douleur du deuil et la fierté d’avoir un fils ou un mari honoré publiquement ; comme si l’héroïsation du mort permettait de mieux accepter la mort de l’être cher.

Le retour des objets personnels

19En l’absence des corps, à partir d’août 1919, les familles peuvent récupérer les objets personnels du défunt en s’adressant au « bureau des successions » du ministère de la Guerre à Bruxelles, via la commune. Tous les héritiers doivent être mentionnés et ceux-ci ont l’obligation de signer une procuration autorisant une personne de la famille à récupérer les objets du soldat décédé34. Les effets personnels du défunt sont alors envoyés par la poste à la commune qui les rend directement aux familles. Carnets, lettres, chapelets, montres, photos, médailles militaires ou religieuses, livrets de caisse d’épargne, bottes35 vont ainsi devenir de véritables reliques familiales. Car ces objets représentent symboliquement le mort à l’intérieur des foyers et lui donnent une présence presque tactile. Objets transitionnels, ils permettent aux endeuillés de garder une forme de contact physique avec le défunt et deviennent une sorte de lieu où laisser les émotions se vivre. Rien qu’à Malines, ce sont plus de septante familles qui en font la demande. C’est dire l’importance que revêt cette démarche pour les endeuillés. À défaut de témoignages belges, citons cette demande d’une mère française pendant la guerre à la directrice de l’hôpital de Poperinghe, Maria van den Steen de Jehay, de lui envoyer quelque chose qui puisse représenter son fils : « Vous verriez sa tombe, vous recueilleriez un peu de terre, des fleurs qui poussent dessus, des choses enfin que je pourrai tenir en mains, sur lesquelles je pourrai pleurer »36.

20D’ailleurs, les commémorations du centenaire de la Grande Guerre ont montré combien ces objets ont été précieusement conservés au sein des familles et transmis de génération en génération jusqu’à aujourd’hui.

Le retour des noms sur les monuments aux morts

21Une autre forme de « retour des morts » est le rapatriement des noms des morts dans les communes, les Écoles, les Paroisses. Dès la fin du conflit, les communes se mettent à dresser des listes de noms pour en faire des tableaux d’honneur, des stèles ou des monuments plus élaborés, voire des noms de rue. Il en va de même pour nombre de Paroisses, d’Écoles et d’Associations diverses qui apposent des plaques ou inaugurent des monuments à l’intérieur de leurs murs. L’importance pour les familles de l’inscription du nom du défunt sur un monument proche de chez eux n’est pas à négliger, surtout lorsque le corps n’a pu être identifié. Ainsi, par exemple, la veuve de Charles Grégoire se désole, dans une lettre du 28 octobre 1919, de ne pas avoir pu lire le nom de son mari sur le tableau d’honneur dressé à l’hôtel de ville d’Ixelles lors de la cérémonie. Sa demande est simple : « J’espère bien […] que son nom prendra sa place qu’il a bien mérité »37. D’autres lettres sont envoyées aux autorités communales pour s’assurer que le nom de leur cher défunt figurera bien sur le monument de la commune où ils sont domiciliés et non, éventuellement, sur le monument de la commune où le soldat était né. Pour les familles de disparus, le monument aux morts communal est bien le lieu où ils peuvent venir se recueillir et pleurer38.

22D’ailleurs, très souvent, la décision d’ériger un monument aux morts est précoce, même s’il faut attendre le début des années 1920 pour pouvoir les inaugurer. Les inaugurations sont d’ailleurs des moments forts où les autorités communales et la population forment le temps de la cérémonie une seule communauté de deuil. Tout au long de l’entre-deux-guerres, les communautés continuent de se rassembler autour de ces monuments, le 11 novembre ou le jour du massacre en août 1914, selon les lieux, pour honorer leurs « enfants morts pour la patrie ». C’est bien là, devant le nom de l’être cher, qu’à défaut de tombe les familles de disparus viennent se recueillir. Devant ce nom qui le rend présent dans l’espace public et permet aux solidarités de se vivre à intervalle régulier.

Le retour des corps et les réinhumations de soldats

23Malgré toutes ces initiatives, les familles endeuillées, soutenues par la presse et les associations d’anciens combattants, continuent de réclamer les corps pour pouvoir se les réapproprier en les réinhumant dans leur terre natale. La multiplication des circulaires interdisant toute exhumation témoigne du non respect de ces directives par nombre de particuliers39. Ainsi, par exemple, un fossoyeur brugeois qui avait clandestinement déterré quatre corps fut condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis et à une lourde amende40.

24Il est vrai que l’inquiétude des familles, largement relayée par la presse, grandissait à juste titre : sur le front, les tombes se dégradent de plus en plus. L’inquiétude peut même se transformer en colère, comme en témoigne la lettre d’une veuve gantoise aux autorités communales de Bruges, le 6 janvier 1919 :

« Monsieur le Bourgmestre,

Ayant visité hier pour la première fois la tombe de mon mari au cimetière de Steenbrugge, j’ai été douloureusement surprise en constatant qu’il n’y avait encore rien sur la tombe.

Voilà deux mois que le pauvre malheureux est mort ! Il me semble qu’on devrait honorer ceux qui sont morts sous les drapeaux !

Ici à Gand les tombes de nos chers soldats sont soignées à la perfection et on se plaît à les visiter. Malheureusement j’ai dû constater qu’à Bruges il n’en est pas de même ! Il me semble que c’est le devoir de l’autorité compétente de soigner les tombes de nos héros ! […]

J’espère, Monsieur le Bourgmestre, que je ne vous aurai pas transmis cette plainte inutilement. Par le journal j’ai appris quel grand patriote vous êtes !

Je vous prie d’agréer entretemps, Monsieur le Bourgmestre, l’assurance de ma plus haute considération,

Veuve Edmond Becquevot »41.

25Cette plainte n’a pas été vaine, puisque l’on trouve une annotation sur la lettre qui annonce que :

« des instructions ont été données et sont en ce moment en voie d’exécution »42.

26Afin d’apaiser les familles et leur permettre de se recueillir sur la tombe des leurs, le gouvernement avait opté, dès janvier 1919, pour la gratuité ou du moins de fortes réductions sur les frais de transport pour les membres les plus proches de la famille du défunt43. Mais cela ne suffit pas comme en témoignent de nombreuses lettres adressées aux bourgmestres44.

27Finalement, il faut attendre que les États-Unis décident en avril 1920 le rapatriement des corps de leurs ressortissants et que la France fasse de même en juillet de la même année45, pour que le gouvernement belge commence à changer de position. En octobre 1920, un avis public du ministère de la Défense nationale annonce que le gouvernement prend des dispositions pour donner aux soldats une sépulture à perpétuité dans des cimetières spéciaux à charge de l’État ou dans des parties de cimetières communaux. Chaque tombe aura une stèle identique avec le nom du soldat, son unité, ses distinctions honorifiques, les dates de naissance et de décès et la mention « Mort pour la Belgique »46. De cette façon le gouvernement espère à la fois respecter les familles, garantir l’égalité de tous devant la mort et glorifier la cause patriotique pour laquelle ils sont morts. Le 23 octobre 1920, une annonce officielle faite à Bruges montre que le gouvernement cède aux familles, mais à contrecœur :

« si des familles, pour des raisons de sentiments demandaient la restitution des corps, le Gouvernement examinerait la possibilité d’entrer dans cette voie, sous les conditions suivantes : Les corps seraient remis aux familles à la gare de chemin de fer la plus rapprochée du lieu de sépulture choisi par les parents, les frais d’exhumation, de mise en bière conditionnée pour le transfert à distance, et de transport jusqu’à la dite station seraient assumés par l’État, tous autres frais ultérieurs seraient à charge des familles (transport de la gare d’arrivée au lieu de sépulture nouveau – réinhumation – concession perpétuelle -entretien de la tombe, – etc)»47.

28Deux mois plus tard, le 20 décembre 1920, le gouvernement belge cède définitivement et les familles peuvent demander le rapatriement des corps qui se fera aux frais des communes concernées. Elles ont un court délai de trois mois pour se faire connaître. Les corps des déportés morts loin de chez eux peuvent également être rapatriés, mais seulement à partir de la loi de 1923 qui élargit celle de 1920. La majorité des corps réclamés ont été enterrés dans un des innombrables cimetières situés en Flandre, d’autres viennent de cimetières situés en Wallonie, en France et en Allemagne.

29La recherche d’informations pour identifier correctement les corps reste donc une priorité. Bien des familles sont désespérées d’être sans nouvelles de leur parents et se tournent vers les communes pour obtenir la moindre information. Pour que l’exhumation puisse avoir lieu, il faut d’abord que le Service des Sépultures qui dépend du ministère de la Défense nationale ait identifié le mort et avoir obtenu de la commune l’autorisation de le réinhumer dans sa terre natale. Les exhumations peuvent se faire avec ou sans la présence de la famille48. À partir de ce moment-là, les autorités militaires du Service des Sépultures passent la main aux communes qui prennent en charge le transport en train, l’annonce aux familles, l’accueil à la gare et les funérailles. Chaque étape ritualise la démobilisation des morts et leur réintégration dans les communautés locales. En mars 1921, toutes les autorisations sont accordées. Certaines communes, comme Malines ou Mons, font preuve d’une sollicitude toute particulière vis-à-vis des familles. Ainsi, les demandes que deux frères ou deux amis d’enfance morts à des moments et des endroits différents soient enterrés côte à côte sont acceptées49. De même, la commune d’Ixelles accepte de poser une stèle dans le carré militaire pour un soldat disparu, à la demande de son père50. Malheureusement, les demandes d’exhumations qui arrivent hors délais ne peuvent être accordées, même lorsque la commune apporte son soutien51.

Pour préparer la cérémonie, les communes demandent à la gendarmerie de se porter présente pour maintenir l’ordre face à la foule qui sera présente, qu’on prépare les gerbes de fleurs pour décorer la ville, que l’on mette les drapeaux en berne, que l’on sollicite les associations d’anciens combattants, voire une délégation militaire, ainsi que les membres du conseil communal et les enfants des écoles locales pour qu’ils s’imprègnent de l’héroïsme dont ont fait preuve leurs aînés52. La presse locale annonce presque toujours la date et le nom du défunt qui rentre au pays.

Le déroulement de l’évènement semble partout à peu près similaire, qu’il s’agisse du retour d’un ou de plusieurs soldats. Une fois que les cercueils arrivent à la gare, ils reposent quelques heures ou quelques jours soit à l’hôtel de ville, soit chez la famille, soit dans un wagon à l’arrêt, soit ailleurs. Le ou les cercueils sont recouverts du drapeau national, symbole de la cause pour laquelle ils sont morts. Ensuite, ils sont escortés jusqu’au cimetière. En effet, parfois ces cérémonies concernent plusieurs soldats ou déportés décédés, mais le plus souvent elles ne sont dédiées qu’à un seul défunt. À Saint-Gilles, par exemple, la proposition d’un conseiller communal d’organiser des funérailles collectives pour soulager les services funèbres est refusée parce que contraire aux désirs des familles53.

Le plus souvent, la population locale, les anciens combattants, les autorités communales et les musiques de la fanfare forment un cortège nombreux autour des familles pour rendre hommage aux héros enfin rentrés chez eux54. Ces cérémonies prennent donc une dimension publique et identitaire qui touche l’ensemble de la communauté. D’ailleurs, très peu de familles demandent que la cérémonie se fasse dans la plus stricte intimité. À Arlon, par exemple, sur les 25 soldats rapatriés, seulement trois d’entre eux sont réinhumés dans l’intimité55. Il semble donc que, pour la majorité des endeuillés, la présence de l’ensemble de la communauté locale, les médailles accordées à titre posthume et les discours glorifiants prononcés par les autorités locales soient un véritable réconfort et une aide réelle dans leur travail de deuil. D’ailleurs, l’immense majorité des lettres de remerciements envoyées aux bourgmestres après ces réinhumations insistent sur l’importance qu’a eu pour eux la présence des autorités communales et de la population56. Ainsi, par exemple, la lettre adressée au Collège communal de La Louvière par les parents d’un soldat :

« Messieurs les Échevins et Bourgmestre de la ville de La Louvière,

Nous avons été très touchés dans notre vive douleur par l’hommage touchant rendu à la mémoire de notre regretté soldat Van Sterre par la municipalité, par les divers corps constitués qui se sont fait largement représenter et par la foule si nombreuse qui a tenu à accompagner le corps. À tous, nous disons très sincèrement merci. Soyez persuadé de ce que nous avons trouvé dans cette manifestation, une réconfortante consolation et que nous en conserverons un souvenir reconnaissant.

Agréez, Messieurs, l’expression de notre profond respect,

La Famille Van Sterre »57

30Au total, de 1921 à 1923 (avec un pic important en 1921), comme en France58, entre 25 et 30 % des corps identifiés sont solennellement rapatriés et réinhumés dans les communes d’origine permettant ainsi aux familles de prendre soin de leurs défunts59 ; tandis que les corps non identifiés ou non réclamés sont soigneusement rassemblés dans des cimetières militaires sur le front. Le rapatriement des corps des déportés se fait un peu plus tard, de 1923 à 1926, selon le même cérémonial glorifiant. Alors que les déportés revenus vivants sont soupçonnés d’être des travailleurs volontaires, les déportés morts sont assimilés aux glorieux soldats qui se sont sacrifiés pour la patrie et reçoivent des autorités et des populations locales les mêmes honneurs60.

31La volonté des familles de pouvoir récupérer « leur » mort et en prendre soin individuellement a donc fini par être entendue. Or, quand on voit l’intense battage médiatique que ce bras de fer a suscité pendant plus de trois ans, on peut se demander pourquoi deux tiers des familles n’ont finalement pas demandé le rapatriement du corps de leur défunt. Il est évidemment difficile de répondre à la question. Mais, si la majorité des communes attend que les familles se manifestent pour se mettre à leur service, la ville de Mons a pris l’initiative, le 4 octobre 1921, d’envoyer une lettre à chaque famille endeuillée pour leur demander si elles souhaitaient le rapatriement de leur parent. Sur les 113 lettres envoyées, 94 ont répondu, dont 24 avaient déjà fait la demande de rapatriement et dont d’autres expliquent qu’ils ne le souhaitent pas. La première raison invoquée pour justifier ce refus est le patriotisme auquel le gouvernement n’a cessé de faire appel : le corps du défunt doit rester là où il s’est « vaillamment sacrifié », mais aussi là où se trouvent ses compagnons d’armes. Ainsi, par exemple, la sœur d’Albert Carton souhaite que son frère repose « entouré de ses frères d’armes morts en même temps que lui au champ d’honneur »61. Un deuxième raison peut être le déménagement de la famille vers un lieu plus proche du cimetière où il repose. Une troisième raison réside dans la peur insoutenable de revivre le traumatisme vécu lors de l’annonce de la mort et la peur que l’on se soit trompé de corps. C’est le cas de monsieur Vanoverskaeken qui, affaibli par la perte de son fils, se voit « obligé d’éviter pareilles épreuves, ma santé ne me permettant plus de revivre les moments douloureux par lesquels j’ai déjà dû passer »62. Enfin, une dernière raison invoquée est le désir de passer à autre chose. Léondine Ondereet, par exemple, estime que depuis son remariage deux auparavant « il n’est plus de mon devoir de faire pareille demande »63. À ces raisons, il faut ajouter ceux qui ont fait la demande de rapatriement trop tard, ceux qui ont eu peur que cela ne soit trop cher pour eux – même si c’est à tort puisqu’il faut constater que la majorité des communes a pris en charge plus qu’il n’était légalement obligatoire64 – et ceux pour qui les démarches écrites vis-à-vis des communes étaient trop compliquées, voire insurmontables.

Le Soldat inconnu

32Ce n’est sans doute pas un hasard si c’est au moment où les familles rapatrient les corps de leur parent dans leur commune d’origine que l’État belge se rallie à l’idée d’inhumer un Soldat inconnu sous la colonne du Congrès à Bruxelles en 1922. Cette invention mémorielle permet à la fois de nationaliser les morts au profit de la patrie et de rendre à l’héroïsme militaire sa place centrale. Et cela avec le soutien de la plupart des anciens combattants65, mais aussi des familles endeuillées. Notons que l’inhumation d’un Soldat inconnu à Bruxelles n’allait pas de soi. En effet, à la veille de la signature du traité de Versailles, les autorités belges souhaitent se démarquer des Alliés. Durant les négociations, la Belgique s’est sentie ignorée, voire méprisée par les grandes puissances alliées. D’où son désir de réaffirmer sa différence, celle d’un petit pays neutre lâchement agressé : quoi de mieux pour la symboliser qu’un grand monument national à la gloire de la Belgique héroïque et martyre ? Or, ce monument ne verra jamais le jour. C’est donc sous la pression des anciens combattants et de leurs familles, soutenus par l’opinion publique et les médias, que le gouvernement se rallie en 1922 aux pratiques inaugurées par les Alliés français et britanniques deux ans auparavant.

33Le 10 novembre 1922, cinq corps de soldats non identifiés, issus des places fortes de Liège, Namur et Anvers ainsi que du front de l’Yser et de la zone reconquise par les armes à l’automne 1918, sont déposés dans une chapelle ardente, à la gare de Bruges. Les cercueils, recouverts du drapeau national, sont rangés côte à côte. Un aveugle de guerre, guidé par le ministre de la Défense, désigne le quatrième cercueil. Celui-ci est alors placé dans un sarcophage en acajou surélevé, tandis que les quatre autres sont inhumés solennellement au cimetière de Bruges. Le lendemain, un train spécial achemine la dépouille du soldat inconnu jusqu’à la gare de Bruxelles. Le sarcophage est déposé sur un affût de canon attelé à six chevaux. Un long cortège se forme et prend la direction de la colonne du Congrès. Tout le long du parcours, la foule est là, recueillie, tandis que le roi Albert et le prince Léopold suivent à pied le char funèbre. À la colonne du Congrès, devant le caveau, le roi épingle plusieurs décorations sur le drapeau belge qui recouvre le cercueil, puis s’incline. Des délégués français, américain et italien y ajoutent leur médaille nationale. Ensuite, la dépouille est descendue dans la fosse, tandis qu’un coup de canon retentit, suivi d’une minute de recueillement. Le roi prononce alors un discours qui fait du Soldat inconnu un symbole national où gloire, attachement à l’indépendance et deuil de reconnaissance ne font qu’un.

34Ensuite, un long défilé fait disparaître le tombeau du soldat inconnu sous un amoncellement de couronnes de fleurs. Au même moment, toutes les cloches de Bruxelles retentissent. À l’évidence, la cérémonie est un véritable succès de foule. Les places réservées tout le long du parcours pour voir passer l’illustre inconnu sont insuffisantes. Et les pèlerins continueront de défiler pour déposer des fleurs ou simplement se recueillir jusqu’à la fin du mois de novembre66.

Conclusion

35La violence de l’invasion a d’emblée suscité un problème de gestion des corps. Pour des raisons évidentes d’hygiène, l’occupant et les autorités communales vont rapidement se mettre à la tâche. Durant toute l’occupation, Belges et Allemands coopèrent, dans un même respect envers les combattants tombés au champ d’honneur, pour identifier les corps et les inhumer dignement dans les cimetières communaux ou dans de nouveaux cimetières militaires. En revanche, les corps des civils massacrés en août 1914 ou fusillés durant l’occupation n’ont droit à aucun égard de la part de l’occupant.

36En fait, il faut attendre la fin de la guerre pour que l’on puisse vraiment prendre soin de tous les morts, à commencer par les civils. Dès 1919, les corps des fusillés sont solennellement réinhumés en présence des autorités nationales et locales, des associations, des familles et de la foule. De même, les corps des civils massacrés reçoivent très rapidement des tombes dignes de ce nom. Par contre, le gouvernement commence par interdire le rapatriement des corps des soldats, pour des raisons d’hygiène et de sécurité, mais aussi pour des raisons symboliques : il s’agit d’organiser sur les champs de bataille des cimetières militaires qui disent à la fois l’égalité de tous devant la mort et la grandeur de la cause nationale pour laquelle ils sont morts. Cette volonté de nationaliser les morts culmine dans l’inhumation du Soldat inconnu en 1922. Or, les familles ne s’opposent pas à la nationalisation « des » morts, mais réclament le rapatriement de « leur » mort pour pouvoir en prendre soin. Le bras de fer entre l’État et les familles dure trois ans. Aussi bien, le retour des soldats morts se fait par étapes. D’abord, le retour des soldats vivants souligne l’absence des morts. Ensuite, le retour des objets les rend symboliquement présents à l’intérieur des foyers. Tandis que le rapatriement des noms sur les monuments aux morts permet d’avoir un lieu à proximité où pleurer. Enfin, à partir de décembre 1920, l’État belge autorise le rapatriement des corps des soldats d’abord et des déportés ensuite. De 1921 à 1926, plus d’un quart des corps sont ainsi rapatriés, aux frais des communes. La plupart des familles endeuillées souhaitent que la commune organise des funérailles individuelles, mais publiques. La présence des autorités locales, les discours glorifiants, les décorations posthumes, le drapeau national posé sur le cercueil et la participation de la foule sont autant d’éléments qui consolent et apaisent la plupart des endeuillés, ne fut-ce que le temps de la cérémonie.

37Tous ces gestes publics, les cérémonies organisées autour des monuments ou le combat des familles endeuillées pour récupérer les corps des leurs témoignent de la volonté collective et individuelle de ne pas oublier, de donner du sens à la mort et d’entretenir les solidarités autour des endeuillés6768.

Notes

1 Capdevilla L. et Voldman D., Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre, Paris, Payot, 2002, p. 16-173.

2 Bertherat B., « Le siècle des tombes (France – xixe siècle). Brève histoire d’un paradoxe », dans Becker A. et Tison S., Un siècle de sites funéraires de la Grande Guerre, Paris, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2018, p. 37-51.

3 Cf. Audoin-Rouzeau St. et Becker A., 14-18 retrouver la guerre, Paris, Gallimard, 2000.

4 Alexandre S., Mémoire d’une « cité martyre ». Le massacre de Tamines du 22 août, Bruxelles, Archives générales du Royaume (Études sur la Première Guerre mondiale, 3), 2001, p. 45.

5 François A., Les événements du mois d’août 1914 à Dinant. Essai sur la genèse d’un massacre et réflexion autour de la culture de guerre, Bruxelles, Archives générales du Royaume (Études sur la Première Guerre mondiale, 2), 2001, p. 36.

6 Capon H., Les horreurs commises à Ethe, canton de Virton (Luxembourg belge), par les Allemands le 22-23-24 août 1914, Arlon, A. Willems, 1919.

7 Gille L., Ooms A. et al, Cinquante mois d’occupation allemande, Bruxelles, Dewit, 1919, t. I, p. 149-150.

8 Schmitz J. et Nieuwland N., La bataille de la Semois et de Virton, coll. Documents pour servir à l’histoire de l’invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg, t. 6, Bruxelles, Van Oest, 1924, p. 194.

9 Hubert J. et Neujean J., Rossignol, les drames de l’invasion allemande dans le Luxembourg, Tamines, Duculot, 1929, p. 107-108.

10 Claisse St., Du Soldat Inconnu aux monuments commémoratifs de la guerre 14-18, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2013, p. 210-214. Un arrêté de l’occupant datant de juin 1916 oblige les administrations belges à prévenir les autorités occupantes 48 h à l’avance de tout enterrement de soldats belge.

11 Clerbout G., Oorlog aan de Dijle. Mechelen tijdens de Eerste Wereldoorlog, Kessel-Lo, Uitgeverij van Halewijck, 2012, p. 87-99.

12 Malines, Stadsarchief Mechelen, Secretariaatsarchief, n° 47, Ontgrangsdienst Mechelen, lettres de remerciements pour le bourgmestre et/ou Monsieur Haesen.

13 C’est le cas, par exemple, du soldat Ferdinand Cuypers, originaire d’Uccle et décédé le 23 août 1914 à Marche-les-Dames : il est d’abord enterré à la hâte par des paysans dans le cimetière de Wartet à Marche-les-Dames, ensuite sous l’occupation il est transféré au cimetière de Boninne et enfin au cimetière militaire belge de Marchovelette. Cf. Namur, Archives communales de Namur, Fonds de la commune de Marche-les-Dames, n° 739, Dossier relatif aux militaires du 8e et 10e de ligne tombés les 22 et 23 août. 1920-1926, lettre de l’État-Major demandant des informations quant au soldat Ferdinand Cuypers mort dans la commune, 5 mars 1926.

14 Arlon, Archives générales du Royaume, Cabinet du gouverneur, Série A, Instruction du commissaire civil Knock de Neufchâteau aux bourgmestre concernant l’inhumation des militaires et le respect des tombes, 5 avril 1915, n° 1578.

15 Le cimetière de Malome est un cimetière franco-allemand, tandis que La Claireau n’abrite que des tombes françaises.

16 van Ypersele L. et Debruyne E., De la Guerre de l’ombre aux ombres de la guerre. L’espionnage de 14-18 en Belgique occupée. Histoire et mémoire, Bruxelles, Labor, 2004, p. 107-112.

17 Cf. van Ypersele L., Debruyne E. et Kesteloot C., Bruxelles, la mémoire et la guerre (1914-2014), Waterloo, La Renaissance de Livre, 2014, p. 85-87.

18 Ibid., p. 90.

19 Cf. Winter J., Entre deuil et mémoire. La Grande Guerre dans l’histoire culturelle de l’Europe, Paris, Armand Colin, 2008, p. 112.

20 Cf. Capdevilla L. et Voldman D., Nos morts. Les sociétés occidentales face aux tués de la guerre, Paris, Payot, 2002.

21 Mons, Archives communales de Mons, Section Grande Guerre, n° 25, 1921, 4e division, 2e secteur. Inhumations et transports funèbres. Objets divers, copie d’une lettre du Député ff de Gouverneur L. Chevalier, 4 septembre 1920.

22 Arlon, Archives générales du Royaume, Cabinet du Gouverneur, Demande des habitants de Rossignol, St- Vincent et Tintigny de l’autorisation d’exhumer les corps des membres de leurs familles fusillés en aout 1914 et enterrés dans le cimetière d’Arlon, 30 mai 1919-1r octobre 1919, n° 687.

23 Hubert J. et Neujean J., op. cit., p. 164.

24 Mons, Archives communales de Mons, Section Grande Guerre, Inhumations et transports funèbres au cimetière de Mons du corps du citoyen montois Charles Simonet, fusillé par les Allemands, n° 23, 1919.

25 Ixelles, Archives communales d’Ixelles, Première Guerre mondiale (1914-1930), n° 93.

26 Cf. Debruyne E. et van Ypersele L., Je serai fusillé demain. Les dernières lettres des patriotes belges et français fusillés par l’occupant. 1914-1918, Bruxelles, Racine, 2011.

27 Cf. De Schaepdrijver S., Gabrielle Petit. Dood en leven van een belgische spionne tijdens de eerste wereld oorlog, Antwerpen, Horizon, 2018, p. 235-246.

28 Cf. van Ypersele L. et Debruyne E., op. cit., p. 120-134.

29 Cf. Tison St., Comment sortir de la guerre ? Deuil, mémoire et traumatisme (1870-1940), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 281-283.

30 Vers l’Avenir, 30 octobre 1919, p. 1-2.

31 Malines, Stadsarchief Mechelen, Stadssecretarie, n° 290, Feest ter eere der Oudstrijders, Huldebetooging aan de gesneuvelde soldaten, 75, n° 9, 1919.

32 Ixelles, Archives communales d’Ixelles, Fonds Culture – Breloques anciens combattants / Soldats morts pour la patrie (14-18) / Fêtes de charité : “Cérémonie patriotique du 26 octobre 1919”. Les archives communales possèdent 16 lettres de remerciements.

33 Saint-Gilles, Archives communales de Saint-Gilles, lettre d’Adèle Bourgeois au Bourgmestre de Saint-Gilles, le 16 juillet 1919.

34 Arlon, Archives générales du Royaume, Circulaire du ministère de l’intérieur relative aux instructions données par le département de la guerre pour permettre aux héritiers des militaires décédés de rentrer en possession des objets de valeurs ayant appartenu à ces derniers, 20 août 1919, Cabinet du Gouverneur - série A, n° 332.

35 Namur, Archives communales de Namur, Fonds de la commune de Vedrin, n° 433, dossier relatif à l’exhumation de soldats, 1919-1920.

36 Lettre citée par Florence de Moreau de Villegas de Saint-Pierre, Une châtelaine dans les tranchées, Bruxelles, Racine, 2009, p. 61.

37 Ixelles, Archives communales d’Ixelles, Première Guerre mondiale (1914-1930), n° 75, Dossier concernant les soldats ixellois morts pour la Patrie, 1919, Lettre de la veuve Charles Grégoire, 28 octobre 1919.

38 C’est en tous cas ce que répond la commune de Bouge à la veuve Petitjean qui réclamait un endroit pour se recueillir et pour pleurer la mort de son mari. Cf. Namur, Archives communales de Namur, Fonds de la commune de Bouge, n° 1, Registre brouillon des procès-verbaux de réunion des assemblées locales (Conseil, Collège et Bureau de Bienfaisance), 17 septembre 1914-23 décembre 1935, 26 mai 1919.

39 Cf. Claisse St., Du Soldat Inconnu aux monuments commémoratifs belges de la guerre 14-18, Bruxelles, Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, 2013, p. 79-80.

40 Van der Fraenen J., « Le rapatriement des victimes de guerre. Deuil personnel ou intérêt national ? », dans Lierneux P. et Peeters N. (dir.), Au-delà de la Grande Guerre. La Belgique 1918-1928, Bruxelles, Racine, 2018, p. 223.

41 Bruges, Stadsarchiefs Brugge, Overdracht Burgerlijke Stand Belgische militaire oorlogslachtoffers 1914-1918, Boîte 1, Lettre du 6 janvier 1919 de la veuve Becquevot aux autorités communales de Bruges.

42 Ibidem.

43 Les conditions sont élargies dans le Moniteur belge, 6 avril 1919, p. 1384-1385.

44 Entre autres : Archives communales de Saint-Gilles, lettre signée Eugène Dewez, mais rédigée par sa femme, au Bourgmestre de Saint-Gilles, le 5 juillet 1919.

45 Pau B., Le Ballet des morts, État, armée, familles : s’occuper des corps de la Grande Guerre, Paris, La Librairie Vuibert, 2016, p. 287.

46 Namur, Archives communales, Fonds de la commune de Wierde, n° 48, Correspondance générale entrante et sortante de l’administration communale, 15 octobre 1920.

47 Bruges, Stadsarchiefs Brugge, Overdracht Burgerlijke Stand Belgische militaire oorlogslachtoffers 1914-1918, Boîte 1, Affiche informant des dispositions relatives aux sépultures des militaires décédés pendant la durée de la guerre, le 23 octobre 1920.

48 À Bruges, 44 % des exhumations se font en présence de la famille.

49 Malines, Stadsarchief Mechelen, Secretariaatsarchief, Opgravingen en herplaatsing der lijken van Belgische soldaten, 17, n° 8, 1921 : il s’agit des frères Rombauts ; ainsi que des amis George Hustin et Raoul Linard.

50 Ixelles, Archives communales d’Ixelles, Première Guerre mondiale (1914-1930), Procès-verbaux du Collège, Séance du 5 juillet 1921.

51 Mons, Archives communales de Mons, Section Grande Guerre, n° 23, Inhumations. Retour de soldats montois tués au front. Correspondances diverses, lettre du secrétariat général de l’office des sépultures militaires du Ministère de la Défense nationale au Collège des Bourgmestre et Échevins de la ville de Mons, 28 décembre 1922.

52 Arlon, Archives générales du royaume, Inhumation des corps de combattants G. G. 1921-23, inventaire non-classé.

53 Bruxelles, Archives communales de Saint-Gilles, inv. 25, n° 106, Lettre du Bourgmestre de Saint-Gilles au conseiller Laventurier, 21 juin 1921.

54 Claisse St., La mémoire de la guerre 1914-1918 à travers les monuments aux morts des communes d’Étalle, Habay, Léglise et Tintigny, op. cit., p. 101-102.

55 Arlon, Archives générales du royaume, Inhumation des corps de combattants G. G. 1921-23, inventaire non-classé, 23 mai 1922 / 23 septembre 1922. Il s’agit de Pierre Doucet, Gustave Jacminot et Zéphir Defoin.

56 Cf. Malines, Stadsarchief Mechelen, Secretariaatsarchief, Opgravingen en herplaatsing der lijken van Belgische soldaten, 17, n° 8, 1921.

57 La Louvière, Archives de la Ville de La Louvière, La Louvière. « Guerre 1914-1918 ». Funérailles soldats 1920-1923, n° 0.9.7., f° 24.

58 Pau B., « Des familles divisées dans le deuil : laisser les corps dans les cimetières militaires ou demander leur restitution », dans Becker A. et Tison S. (dir.), op. cit., p. 75-89.

59 Par exemple, à Arlon, sur environ 80 soldats morts, 25 sont rapatriés ; à Malines, sur 320 morts, 114 sont rapatriés ; à Bruges, sur 839 morts, 176 sont rapatriés ; à Mons, sur une centaine de morts, 28 sont rapatriés ; à Ath, sur 91 soldats morts, 30 sont rapatriés ; à Marcinelle, sur 89 soldats morts, 21 sont rapatriés ; à La Louvière, sur 93 soldats morts, 15 sont rapatriés (ce qui est très en dessous de la moyenne), etc. Globalement, sur les quelque 40 000 soldats tombés au champ d’honneur, au moins 9 000 ont été rapatriés dans les communes.

60 C’est particulièrement le cas à La Louvière où 30 corps de déportés seront rapatriés à partir de 1923, pour seulement 15 corps de soldats. Les corps des déportés arrivent d’Allemagne à la caserne de Bourg-Léopold, puis sont transférés vers les communes concernées. Cf. La Louvière, Archives de la Ville de La Louvière, La Louvière. Funérailles des déportés 1922-1923, n° 0.9.7.

61 Mons, Archives communales de Mons, Service Grande Guerre, n° 23, Inhumations et transferts funèbres. Inhumations au cimetière de Mons de soldats montois tués à l’ennemi. Lettre de madame Delabry Carton, 9 novembre 1921.

62 Mons, Archives communales de Mons, Service Grande Guerre, n° 23, Inhumations et transferts funèbres. Inhumations au cimetière de Mons de soldats montois tués à l’ennemi. Lettre de L. Vanoverskaeken, le 16 novembre 1921.

63 Mons, Archives communales de Mons, Service Grande Guerre, n° 23, Inhumations et transferts funèbres. Inhumations au cimetière de Mons de soldats montois tués à l’ennemi. Lettre de Léondine Ondereet, veuve Decot, épouse Maroquin Baoul, 1921.

64 Les communes prennent, en effet, des décisions différentes quant à ce qu’elles prennent en charge : corbillard de 1re ou de 2e classe, gerbes de fleurs ou non, fanfares, etc.

65 Si la majorité des anciens combattants (Association des anciens combattants et Fédération Nationale des Combattants, mais aussi les Prisonniers Politiques) se réjouissent d’être associés à la cérémonie et entendent y jouer un rôle central, deux factions (Vlaamse Oud Strijders flamands et Anciens Combattants socialistes) se désolidariseront de l’événement par antimilitarisme essentiellement.

66 Cf. van Ypersele L., « À l’ombre du Soldat Inconnu : les pratiques mémorielles autour de la colonne du Congrès à Bruxelles au 20e siècle », dans Revue du Nord, Lille, t. 96, n° 404-405, janvier/juin 2014, p. 331-346.

67 D’ailleurs, les solidarités vécues pendant la guerre se poursuivent après la guerre. Ainsi, par exemple, la section du CNSA consacrée aux orphelins est pérennisée par la loi du 19 juin 1919 et devient « l’œuvre des Orphelins de Guerre ». Tandis que les lois d’indemnisation adoptées en 1919 mettent sur pied d’égalité les veuves de soldats et les veuves de civils morts pour fait de guerre. Cf. Jacques C.et Piette V., “Une grande bataille: sauver l’enfance”, dans Une Guerre totale ? La Belgique dans la Première Guerre mondiale, Bruxelles, Archives générale du Royaume, 2005, p. 171-182.

68 Article résultant de l’exposé de Laurence van Ypersele à la séance de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique du 2 mars 2020.

Pour citer cet article

Laurence van Ypersele, «Le retour des morts. Les Belges et la Grande Guerre, 1914-1923», La Thérésienne [En ligne], 2020 / 1 : Varia, 1-15 URL : https://popups.uliege.be/2593-4228/index.php?id=1016.