- Home
- 2018 / 1 : Varia
- L’orangisme en Belgique, 1830-1850
View(s): 1704 (24 ULiège)
Download(s): 195 (0 ULiège)
Attached document(s)
original pdf fileRésumé
En 1830, le Royaume-Uni des Pays-Bas, dans lequel les Pays-Bas septentrionaux et méridionaux avaient été réunis en 1815, est démantelé au terme d’une révolution. Penser qu’il s’agit là d’un simple tournant de l’histoire serait faire fi de l’opposition des orangistes. Les partisans de la maison d’Orange, composé de l’élite (principalement francophone) de Flandre, de Bruxelles et de Wallonie, a en effet tout mis en œuvre pour obtenir le retour du Royaume-Uni. Dans les années 1830 en particulier, ces orangistes ont œuvré ouvertement en cheville avec le roi pour le rétablissement du royaume. Non sans prendre certains risques, car les autorités belges n’ont eu de cesse de les priver de leur pouvoir, de les chasser et de les réprimer. Après la ratification du traité des XXIV articles (1839), une partie des orangistes prit le chemin de l’intégration dans le système belge. D’autres se montrèrent irréductibles. Après la mort de Guillaume Ier (1843) et Guillaume II (1849), leur successeur Guillaume III mit enfin un terme à leur formation politique. L’orangisme belge se transforma en un culte de nostalgie pour ce « royaume perdu », qui perdurait pendant tout un temps encore.
Abstract
In 1830, the United Kingdom of the Netherlands, which in 1815 had united the northern and southern Netherlands, was dismantled after a revolution. To believe that this was no more than a turning point would be to disregard the continued opposition of the orangists. The supporters of the House of Orange, which included the (mainly French-speaking) elite of Flanders, Brussels and Wallonia, did everything in their power to achieve the return of the United Kingdom. Particularly in the 1830s, these orangists made every effort – openly and in league with the king – to re-establish the kingdom. This was not without risk, since the Belgian authorities were determined to deprive them of their power, pursue and repress them. Following the ratification of the Treaty of the 24 Articles (1839), some orangists decided to blend into the Belgian system. Others adopted the hard-line attitude. After the deaths of William I (1843) and William II (1849), their successor to the throne, William III, finally put an end to their political faction. Belgian orangism turned into a nostalgic devotion to a “lost kingdom” that would endure for quite some time to come.
Table of content
1Après la défaite de Napoléon, les alliés européens décidèrent lors du Congrès de Vienne (1814-1815) de réunir à nouveau les Pays-Bas méridionaux et septentrionaux, qui avaient connu des évolutions séparées depuis la révolte contre l’Espagne dans la seconde moitié du xvie siècle. Baptisée Royaume-Uni des Pays-Bas et placée sous l’égide du roi Guillaume Ier d’Orange-Nassau, la nouvelle nation devait constituer un tampon efficace contre la France. Comme chacun sait, la révolution belge de 1830 mettrait un terme au règne de Guillaume Ier sur notre territoire. Mais ce que l’on ignore généralement, c’est que pendant près de vingt ans, un important mouvement d’opposition composé d’orangistes belges s’efforcerait d’annihiler la révolution et de rétablir le Royaume-Uni, avec à sa tête le même souverain. Malgré son importance pour l’évolution de la Belgique postrévolutionnaire, ce mouvement a été jugé peu pertinent par les historiens, qui ne l’ont jamais étudié en profondeur.
2Cela s’explique en partie. Ces orangistes belges sont en effet les perdants de l’histoire. Ils symbolisent le monde qui ne s’est pas imposé et, généralement, l’histoire des perdants n’est tout simplement pas écrite, surtout si elle ne cadre pas avec la vision nationaliste que la plupart des historiens veulent voir dominer. Réunir le matériel de source surabondant qui se rapporte à ce sujet n’a en outre rien d’évident. Une partie de ces documents sont dispersés dans les archives belges, la majorité se trouvent aux Pays-Bas et beaucoup sont rédigés en langage codé. Il m’a fallu près de cinq ans pour les examiner minutieusement, puis décrire et interpréter les données. Mais le résultat est là : un gros ouvrage qui vient de paraître aussi bien en néerlandais qu’en français, sous le titre Het verloren koninkrijk – Le royaume perdu1. Bien entendu, cette recherche livre une foule d’informations inédites et donne du sujet une image largement revue et corrigée. Un tout autre visage, différant parfois fondamentalement de celui que les synthèses précédentes nous proposaient, est ainsi apparu. Je voudrais énumérer ici mes principaux constats.
Un mouvement largement ramifié, dangereux et durement réprimé
3Contrairement à ce que l’on prétend généralement, l’orangisme n’avait rien d’un mouvement mineur ou marginal. Il était au contraire porté par la majorité de l’élite du sud du pays et, comme j’ai pu le montrer, directement apparenté à l’élite pro-gouvernementale d’avant 1830, qui était satisfaite de la politique de Guillaume Ier. Ce groupe n’a guère reçu de place dans l’historiographie. Étant donné son échec et l’aboutissement du processus révolutionnaire, les historiens se sont principalement concentrés sur les groupes d’opposition de l’époque (libéraux et catholiques).
4En s’intéressant de plus près aux partisans du Royaume-Uni des Pays-Bas, on découvre une toute autre dimension, qui contribue à éclairer une série de faits. Le mouvement contre-révolutionnaire d’après 1830 se composait en premier lieu d’aristocrates légitimistes. Surtout dans le sud du Royaume-Uni la noblesse continuait à occuper une place socioéconomique forte et Guillaume Ier n’avait pas ménagé ses peines pour conquérir cette élite. Elle avait été bien représentée à la Cour, au Sénat, à la Chambre, au Conseil d’État, dans l’armée, dans la diplomatie et aussi dans l’appareil administratif2. Dans les groupes de fonctionnaires – appartenant à la noblesse ou pas – et aussi parmi les magistrats une certaine loyauté vis-à-vis de l’État et du roi s’était développée, ce qui explique non seulement l’orangisme des aristocrates mais aussi de beaucoup de fonctionnaires après 1830.
5Les efforts de Guillaume Ier avaient été les plus manifestes dans le domaine économique. Sa politique interventionniste avait été fondamentale pour l’industrie, le commerce et le monde financier. En tant que planificateur actif, il avait aidé à libérer des capitaux indispensables pour la mécanisation et à créer des institutions et l’infrastructure à la conquête de marchés. Cette politique avait été vivement appréciée par de nombreux entrepreneurs du textile, de l’industrie lourde et du luxe. Grâce à ses exportations vers les colonies, Anvers était devenu le principal port du royaume. Pas étonnant dès lors que tous ces industriels, commerçants et banquiers représentent un élément important du mouvement orangiste et en prennent même la direction.
6Le retard du Sud dans le domaine de l’enseignement primaire avait aussi été comblé entre 1815 et 1830 et le monde intellectuel avait bénéficié d’importants stimulants (trois universités d’état, des institutions scientifiques dans la capitale et dans d’autres grandes villes, une académie à Bruxelles3 etc.). Dans ces cercles, cette politique avait évidemment été appréciée. Guillaume Ier s’était aussi inscrit dans la tradition des souverains éclairés (Joseph II, Napoléon) dont il avait poursuivi la politique de sécularisation (contrôle gouvernemental sur l’enseignement et l’Église, pluralisme religieux, etc.). Cette politique avait rencontré une forte opposition parmi le clergé mais, par contre, avait été aimée par des libéraux anticléricaux. Des membres des professions libérales et des intellectuels jouent donc aussi un rôle dans le mouvement orangiste. Par ailleurs, j’ai également découvert l’existence d’un groupe assez significatif de fonctionnaires du gouvernement belge qui se disaient orangistes en privé et, parfois même, militaient ouvertement. De très nombreux officiers de l'armée belge, mécontents, prirent part au mouvement, sans compter des groupes issus de la classe moyenne, qui pâtissaient des conséquences économiques et sociales de la révolution. Pour ces mêmes raisons, le mouvement recruta jusqu’au sein de la classe ouvrière.
7On se tromperait à croire que ces orangistes étaient tous des libéraux anticléricaux. Le mouvement comptait une minorité non négligeable de catholiques, principalement chez les aristocrates, mais aussi au sein de l’ancienne élite administrative. Les ecclésiastiques catholiques qui avaient accepté la politique religieuse de Guillaume Ier étaient plus nombreux que ce que l’on a cru jusqu’ici et cela vaut aussi pour leur présence dans le mouvement d’opposition orangiste. L’image d’un mouvement uniquement implanté dans les grandes villes doit également être rectifiée. C’est naturellement dans les cités les plus peuplées que l’on trouvait les principaux groupes orangistes, mais la plupart des villes et bourgs de province avaient également leur noyau ou leur centre et, à certains endroits, on pouvait même parler d’orangisme rural. Le mouvement n’était pas non plus désorganisé, loin de là. Ses quartiers généraux se trouvaient à La Haye et à Bruxelles, avec des « sections » (centres d’exilés) à Aix-la-Chapelle, Paris et Lille. Une Association nationale coordonnait les activités des réseaux locaux, qui avaient leurs chevilles ouvrières, leurs fidèles partisans, leurs lecteurs de journaux orangistes et leurs électeurs. Tous formaient ensemble un univers politique et culturel, fondé sur des associations publiques ou privées et des nombreux liens familiaux.
8Ce mouvement était loin d’être sans danger pour le jeune État en devenir. On s’en apercevrait notamment en mars 1831, lorsque le coup d’État fomenté par des orangistes, aidés par des généraux et des personnalités appartenant aux cercles gouvernementaux belges échouerait de peu, et au début août 1831, pendant la campagne des Dix-Jours, lorsque des officiers de l’armée belge retourneraient leur veste et qu’une victoire de l’armée néerlandaise ne serait évitée qu’avec l’aide de la France. À travers leur opposition acharnée dans la sphère publique, les orangistes nuisaient en outre considérablement à la consolidation de l’État belge. Dans un régime politique où seul un petit pourcentage de la population masculine avait son mot à dire, un mouvement réunissant de nombreux membres de l’élite n’était pas à sous-estimer. Les orangistes allaient en effet très loin dans l’opposition et la provocation, cherchant par ce biais à créer un climat favorable à la restauration et à montrer à l’Europe que l’élite belge ne voulait rien savoir de la révolution, ni de Léopold Ier et de ses ministres. La presse orangiste et la plume au vitriol des journalistes, en particulier, contribuèrent largement à forger l’image d’une Belgique non viable sans le nord et son roi. Les villes dans lesquelles les orangistes occupaient des positions clés offraient également une forte résistance. On s’efforça de miner l’autorité de Léopold par des articles au ton blessant et sarcastique. Tous les moyens étaient bons pour s’opposer au pouvoir en place, y compris les alliances avec les groupes d’oppositions anticléricaux et radicaux.
9Cette farouche résistance orangiste explique également pourquoi les révolutionnaires utilisèrent à leur encontre des moyens aussi durs, voire plus encore. La révolution belge a d’ailleurs été bien plus violente que ce que les historiens n’ont osé l’avouer. Violence contre l’élite administrative et juridique, les propriétaires d’usine, les journalistes proches du gouvernement, les fonctionnaires fiscaux, les magistrats, violence pour obtenir l’adhésion, lors des révocations et autres épurations, nombreuses agressions physiques y compris quelques lynchages, nombreuses explosions de fureur populaire généralement organisées par des agitateurs professionnels : les adversaires de la révolution subirent tout cela. Les violences physiques et les nombreux pillages et destructions incitèrent beaucoup à fuir, de sorte que des communautés d’exilés se formèrent dans le nord et ailleurs. Confrontée aux actions et aux provocations orangistes, la Belgique mena une politique de plus en plus répressive. La proclamation de l’état de siège, le recours à diverses mesures coercitives et la violence populaire autorisée entachèrent dʼailleurs gravement l’image libérale du nouveau pays. La liberté de presse fut réduite et les procès se multiplièrent jusqu’à ce que le gouvernement, au milieu de 1834, expulse plusieurs journalistes et vote une loi punissant toute manifestation d’orangisme. Cette politique allait porter un sérieux coup aux moyens d’opposition de ce mouvement.
Un mouvement francophone avec un petit frère flamingant
10Les historiens partisans des Grands Pays-Bas ont toujours affirmé que la révolution belge de 1830 n’avait pas été le fait de la Flandre, qui était restée passive, mais d’une minorité francophone de Bruxelles et de Wallonie. De plus, ils ont volontiers considéré les fondateurs du mouvement flamand comme les piliers de l’orangisme. À présent que nous avons une meilleure idée de l’orangisme belge, nous savons que ce n’est qu’une demi-vérité. Immédiatement après 1830, plusieurs écrivains, largement soutenus sous Guillaume Ier, firent effectivement allégeance à la dynastie d’Orange, mais leurs ténors, Jan Frans Willems en tête, ne tardèrent pas à se rapprocher du régime belge et même à le défendre dans leurs écrits, que ce soit pour éviter de perdre leur boulot ou pour obtenir une aide financière en faveur de leurs activités littéraires en néerlandais. D’autres, qui étaient entrés au service de l’État belge, continuèrent à regretter la scission, mais uniquement en privé ou dans des textes réservés à une cercle restreint. Les écrivains étaient d’ailleurs divisés. Il y avait parmi eux des révolutionnaires convaincus et les catholiques du groupe étaient également favorables à la Belgique. Bref, seuls quelques-uns étaient en contact avec le mouvement orangiste organisé, dont nous venons de faire connaissance. Les écrivains ne se sentaient en général pas appelés à prendre part à la résistance dure, organisée, contre le nouvel État. S’ils souhaitaient contrer l’importance grandissante du français en Belgique et plaidaient pour lʼunité linguistique avec le nord, ce combat était mené en dehors du circuit orangiste4.
11Cela tient largement au fait que l’orangisme organisé était avant tout un mouvement francophone, fortement implanté à Bruxelles et en Wallonie. Certes, le noyau le plus puissant se trouvait à Gand, l’adhésion était forte à Anvers et des centres actifs existaient dans de nombreuses petites villes flamandes. Mais Liège et Bruxelles comptaient en tant que grandes agglomérations de nombreux orangistes et le mouvement était également bien enraciné dans des localités comme Mons, Tournai, Namur et Verviers ; à Marche et à Charleroi, on trouvait même des corps de volontaires, un phénomène que ne connaissait pas la Flandre.
12Le français dominait nettement le mouvement. Cela n’a d’ailleurs rien de surprenant, puisqu’il concernait l’élite et que celle-ci était à l’époque francisée, y compris à Bruxelles et en Flandre. Pour les orangistes, la langue de la culture était donc le français et non le néerlandais. Entre eux, avec le roi et avec La Haye, ils ne correspondaient que dans cette langue. Autrement dit, l’orangisme belge était une affaire de francophones. De ce fait, le mouvement était en grande partie coupé des classes moyennes néerlandophones de Flandre et les liens avec les défenseurs de la langue néerlandaise restèrent très limités. Ceux-ci étaient d’ailleurs perçus dans le mouvement comme le petit frère faible, qui donnait un coup de main lors de certaines actions d’opposition contre le gouvernement, mais que l’on désavouait en raison de ses liens avec la Belgique.
Rejetés par les anciens Pays-Bas, mais fidèles alliés du roi
13Ceux qui sʼattendaient à ce que le mouvement orangiste belge soit largement soutenu par les anciens Pays-Bas se sont également fourvoyés5. Même avant 1830 une opposition contre le Sud s’était déjà développée dans des milieux commerciaux (Amsterdam, Rotterdam) et dans des cercles protestants qui craignaient la dominance catholique du Sud. La révolte d’août et de septembre 1830 n’avait pas affaibli leurs sentiments négatifs. Au contraire, après 1831, le Nord s’opposait au Sud et la politique de Guillaume Ier, visant à garder Pays-Bas et Belgique sous le joug d’une même dynastie même après l’échec de la campagne des Dix-Jours en août 1831, y était vivement critiquée. Les puissances européennes n’étaient en effet plus favorables à cette formule. La France s’était opposée au principe d’un État tampon fort d’avant 1830, la Grande-Bretagne considérait que le Royaume-Uni de Guillaume Ier ne valait pas une guerre et, au milieu de 1832, l’Autriche et la Prusse se rendirent également à l’idée d’une Belgique indépendante. À partir de cette date, l’élite économique et politique néerlandaise, le Parlement et l’opinion publique se mirent à douter de cette coûteuse politique de la ténacité. L’armée était en effet obligée de rester sur pied de guerre, ce qui n’était pas fait pour soulager la lourde dette de l’État. Les nouveaux projets offensifs ou défensifs furent donc rejetés.
14Quant à soutenir l’orangisme belge, ces cercles ne voulaient pas en entendre parler. Au contraire, comme ils retardaient le moment où Guillaume mettrait fin à sa politique d’acharnement, les orangistes belges étaient dénigrés et les exilés traités sans grands égards. Les élites du Nord et du Sud ne s’étaient d’ailleurs guère rapprochées avant 1830. Il n’existait donc pas de base pour une véritable solidarité. Bref, le Nord étouffait clairement l’aspiration des orangistes belges à un rapide rétablissement du royaume. En 1838, la pression sur le roi était devenue telle qu’il dut envisager la signature du traité de paix avec la Belgique. Après son abdication et l’intronisation de son successeur Guillaume II en octobre 1840, la résistance ne fit que croître au Pays-Bas. Les orangistes furent en effet jugés coresponsables de la situation internationale humiliante dans laquelle le pays se retrouvait. L’échec de la dernière tentative de riposte, en octobre 1841, renforça encore cette amertume.
15Autrement dit, l’orangisme était un mouvement principalement soutenu par le roi Guillaume Ier et, après 1840, par son successeur, Guillaume II. C’était la loyauté dynastique qui lui servait de ciment. Le roi était le pivot du mouvement, le centre de son univers, sa principale référence politique, son soutien dans les moments difficiles et, à travers sa politique de la ténacité, le symbole d’un futur économique et politique meilleur. Pendant huit ans, il allait en effet camper sur ses positions, refusant de renoncer aux Pays-Bas méridionaux malgré la résistance et les ingérences étrangères, principalement françaises et anglaises. L’orangisme belge montrait à l’Europe que le roi et sa politique pouvaient compter sur le soutien d’un mouvement élitaire. Un culte orangiste très pratiqué, chargé de symboles et de rituels, accompagnait cette loyauté et cette pensée légitimiste, lui procurant un support psychologique et politique. Ceux qui faisaient preuve de loyauté ou rendaient service au mouvement pouvaient toujours compter sur une aide financière. Ce soutien devint un peu plus problématique sous Guillaume II, mais celui-ci ne laissa pas non plus tomber les anciens fonctionnaires, les leaders du mouvement ni les laissés pour compte et les victimes de la répression belge.
16À mesure que le soutien royal diminua, le mouvement se délita. Après la ratification du traité des XXIV articles au milieu de l’année 1839 et l’abdication de Guillaume Ier, une série d’orangistes prirent la voie de l’intégration dans le système belge, un processus que tant l’ambassadeur des Pays-Bas que le roi Léopold Ier encouragèrent. D’autres se montrèrent irréductibles, renforcés dans leurs convictions par le soutien que La Haye leur prêtait à eux, à leur organisation et leur presse. L’orangisme politique ne s’éteindrait qu’avec la diminution et, finalement, la disparition de l’aide royale. Trois moments clés jalonnent cette évolution : la mort de Guillaume Ier en décembre 1843, le rapprochement entre Guillaume II et Léopold Ier, suite à la révolution de 1848, qui avait fait craindre au souverain néerlandais une conquête de la Belgique par la France républicaine et la mise en danger de son propre trône, et la mort de Guillaume II, en 1849, année où son successeur Guillaume III mit un terme à l’existence de la formation politique. Il fit savoir aux dirigeants qu’il ne voulait plus soutenir le mouvement. L’orangisme belge perdit alors ses leaders les uns après les autres et se transforma en culte de la nostalgie pour le royaume perdu. Dans quels cercles et jusqu’à quel point cette nostalgie perdura-t-elle dans la société belge après 1850 ? C’est là un sujet qui réclame d’autres recherches. De nombreux signes suggèrent en effet que l’orangisme sentimental continuerait à agir pendant tout un temps encore6.
Notes
1 Witte E., Het verloren koninkrijk. Het verzet van de Belgische orangisten tegen de revolutie, 1828-1850, Anvers-Amsterdam, De Bezige Bij, 2014, 688 p. ; Le royaume perdu. Les orangistes belges contre la révolution, 1828-1850, Bruxelles, Samsa, 2016, 663 p.
2 Dans « L ‘aristocratie belge et l’orangisme, 1815-1850 », j’ai approfondi cet aspect du mouvement contre-révolutionnaire (Revue belge de philologie et d’histoire, 93, 2015, p. 439-486).
3 Voir Tollebeek J., Witte E., Kurgan G. (dir.), De wereld van de Zuidelijke geleerden. Le monde des savants du Sud des Pays-Bas. De heropgerichte Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles tijdens de regering van Willem I (1816-1830). Le rétablissement de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles sous le régime de Guillaume Ier (1816-1830), Louvain, Peeters, 2018.
4 Witte E., « Hoe Oranjegzind waren de taalminnaren ? », dans Wetenschappelijke Tijdingen, LXXIII, 2, juin 2014, p. 105-129.
5 Witte E., « Noordelijke blikken op het Belgisch orangisme », dans Grijzenhout F. & Raedts P. (dir.), Deze lange eeuw. Metamorfosen van het vaderland, 1780-1950, Amsterdam, 2015, p. 99-116.
6 Cet article est la version revue de la lecture faite en séance publique de la Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques de l’Académie royale de Belgique le 11 mai 2015.
To cite this article
About: Els Witte
Els Witte est historienne, membre de la Koninklijke Vlaamse Academie van België voor Wetenschappen en Kunsten et professeur émérite et recteur honoraire de la Vrije Universiteit Brussel. Elle s'intéresse principalement à l'histoire économique et sociale de la Belgique aux XIXe et XXe siècles.