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Frontières de la représentation et « théâtre impossible »
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Le présent article se centre sur la figure de Federico García Lorca et concrètement sur son drame posthume El público (Le public) appartenant à son théâtre expérimental, appelé couramment « théâtre impossible » dû à son caractère « irreprésentable ». Le caractère métathéâtral de ce drame le rend particulièrement intéressant pour explorer les « frontières de la représentation » à partir du jeu avec le masque et la rupture des paradigmes habituels.
Abstract
This article concentrates on the figure of Federico Garcia Lorca and more directly on his posthumous play El público (The public), which belongs to his experimental plays, often called his "impossible plays", because of the difficulty to stage them. The metatheatrical quality of the play makes it particularly interesting when it comes to exploring the limits of the representation in connection with the use of masks and the transgression of usual paradigms.
Table des matières
1Si aborder le phénomène de la représentation est toujours intéressant à n’importe quelle époque de l’histoire de l’humanité, sa considération par rapport aux temps actuels devient plutôt une exigence. Dans cette ère post-moderne – ou post-post-moderne – que nous habitons, considérée d’un point de vue sociologique, « le phénomène des grandes villes, la société de consommation et la révolution électronique ont multiplié les niveaux de théâtralité », ainsi que le remarque Óscar Cornago. Cette hypertrophie de la théâtralité va de pair avec une sorte de revendication générale du droit à la représentation, médias et réseaux sociaux aidant1. Excès de théâtralité, mais excès aussi de représentation, celle-ci se double paradoxalement d’une crise qui concerne tous ses niveaux, y compris le politique2. Nous sommes dans l’ère de la « post-vérité », du « trans-humanisme », où le mot « contemporain » a même perdu sa valeur, et l’on parle d’« ultracontemporain », nous plaçant plutôt dans l’après de l’après, le « post- » du « post- », dans une espèce de vertige, dépassés et dévorés par nous-mêmes3.
2Parler de frontières de la représentation (ou la re-présentation) nous mène à nous interroger sur la relation entre frontières et identité, sur le dépassement et la transgression, sur l’instabilité de tous les lieux que nous croyons pouvoir définir, embrasser et habiter, alors que nous sommes debout sur un iceberg d’incertitude soutenant en même temps une quête sans arrêt et presque héroïque en tant qu’êtres humains, au-delà du sens et du non-sens.
3Pour articuler ma réflexion sur ces questions et bien d’autres encore, j’ai choisi une pièce de théâtre parmi les moins visibles du célèbre dramaturge espagnol Federico García Lorca : El público (Le public)4. Ce drame, qui fascine aujourd’hui critiques et metteurs en scène, appartient à cette autre dimension moins connue de l’auteur de La casa de Bernarda Alba (La maison de Bernarda Alba), celle de « l’amour obscur » et de la création expérimentale, aussi bien poétique (Poeta en Nueva York [Poète à New York], Sonetos del amor oscuro [Sonnets de l’amour obscur]) que spécifiquément théâtrale (Así que pasen cinco años [Lorsque cinq ans seront passés], Comedia sin título [Comédie sans titre]). Ces deux pièces (inachevée la deuxième, dont on ne possède que le premier acte) avec Le public, lui aussi incomplet5, constituent ce que l’on classe couramment parmi le « théâtre impossible » de Lorca, en raison de son caractère « irreprésentable »6, ainsi que l’auteur lui-même l’avait reconnu à propos de Le Public. Il en explique lui-même les raisons :
« Il n’y a pas de compagnie qui veuille en faire la mise en scène ni public qui la tolère sans en être indigné. Eh bien, parce que c’est le miroir du public. C’est-à-dire, faisant défiler sur scène les drames personnels auxquels chacun des spectateurs est en train de songer, pendant qu’il regarde, souvent sans y faire attention, la représentation. Et comme le drame de chacun est parfois très poignant et généralement bien peu honorable, alors les spectateurs se lèveraient tout de suite indignés et empêcheraient la représentation de continuer… »7.
4Lorca, homme de théâtre dans toute l’étendue du concept, croyait fermement à la capacité prospective du théâtre sur la société et sur le monde. Ainsi que les réformateurs situés aux avant-gardes européennes du xxe siècle, il refuse le théâtre bourgeois, conventionnel et commercial, et propose un renouvellement destiné à provoquer un changement radical dans le goût du public, au moyen d’un procédé brusque et apparemment peu « démocratique », car le nouveau goût doit être imposé au public :
« Le théâtre doit s’imposer au public et non pas le public au théâtre. Pour cela, les auteurs et les acteurs doivent se revêtir, au prix du sang, d’une grande autorité […] »8.
5En effet, le public doit apprendre à développer une attitude nouvelle, un goût nouveau, exactement comme l’enfant doit faire son apprentissage à l’école, c’est-à-dire, sous l’autorité d’un maître9. Or ce maître, ce principe d’autorité, n’est autre que le théâtre lui-même à partir de l’action rayonnante et coordonnée d’auteur, acteurs et metteur en scène (que Lorca ne cite pas dans le texte reproduit plus haut, mais auquel il accorde une importance capitale dont Le public montre l’exemple) dans un processus d’enseignement-apprentissage qui doit déranger, bouleverser et abattre les frontières de la représentation, même si c’est coûteux, « au prix du sang ».
6Le public est une pièce dans laquelle on est bien tenté de trouver une particulière symbiose avec son auteur, une espèce de communication au-delà des limites temporelles, la prémonition d’une voix qui parle – comme Lorca poète – de « l’autre côté »10. Le drame, sous-titré « en vingt tableaux et un assassinat »11, et qui revendique un « théâtre sous le sable » destiné à montrer « la vérité des sépultures »12, semble un avatar prémonitoire du destin tragique du poète lui-même, assassiné et « sous le sable » depuis 1936, sans qu’il ait été encore possible de trouver la vérité de sa sépulture. Le Public a été lui aussi d’ailleurs un drame « sous le sable » jusqu’aux années 70 du siècle dernier13. Et depuis lors, les représentations, professionnelles ou pas, se sont succédé et ont proliféré, étant aujourd’hui l’une des pièces de García Lorca parmi les plus troublantes et fascinantes pour les metteurs en scène14. Ainsi, pour Ricardo Iniesta, directeur du Théâtre TNT Atalaya de Séville, Le public a été une pièce si importante dans sa carrière que depuis le premier montage en 2001 elle a marqué un avant et un après dans l’esthétique de la compagnie faisant partie de son répertoire15. C’est d’ailleurs le même sentiment manifesté par Lluís Pasqual, pour qui la pièce a supposé une expérience décisive sur le plan théâtral et existentiel16.
7Le public – et c’est bien l’opinion des metteurs en scène et de Lorca lui-même – est une pièce d’une totale et absolue modernité, à l’architecture très complexe et au « sens » difficile à décrypter, exigeant une collaboration active et constante de la part du public récepteur. Cette architecture est disposée en multiples niveaux de représentation, aux frontières glissantes, chaque niveau étant articulé autour d’un conflit :
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Conflit intime (l’homosexualité/l’amour)
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Conflit dramatique-social (les masques sociaux)
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Conflit métaphysique (la mort)
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Conflit épistémologique (connaissance de la vérité)
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Conflit métathéâtral (concernant la représentation elle-même).
Ces niveaux – dont je me sers du schéma de Julio Huélamo pour les trois premiers17 – sont superposés, inclus les uns dans les autres suivant une projection en réverbération, à la manière de cercles concentriques et expansifs qui seraient disposés non à l’horizontale, mais en profondeur. En effet, chaque niveau est une surface, mais faisant partie d’une profondeur abyssale, puisque, au dire d’un personnage de la pièce, une profondeur est faite de mille surfaces18. Et cette surface à chaque niveau n’est autre que la scène théâtrale avec son nœud conflictuel.
8En fonction de tout cela, la tension et confrontation dialectiques qui dynamisent chaque niveau scénique génèrent toute une série d’oppositions entre des frontières conflictuelles que l’on pourrait schématiser dans la progression suivante :
9Entre moi et moi (ça, moi et surmoi)
10Entre moi et nous
11Entre nous et les autres
12Entre le masculin et le féminin
13Entre la vérité et le mensonge
14Entre la représentation et le représenté
15Entre passé et temps virtuel
16Entre l’espace et le temps
17Entre la vie et la mort
18Entre les vivants et les morts
19Entre le masque et le creux
20Entre moi et moi
21Cette progression ne doit pas être comprise dans un sens linéaire, ni circulaire non plus, mais décrivant une dérive en spirale, générée par une dynamique de superpositions et glissements progressifs qui permettent de sauter d’un plan à l’autre.
22Le lieu d’arrivée est le même que le lieu de départ (la chambre19 du Metteur en scène), mais entre les deux temps, tout un trajet intérieur a été parcouru dans un mouvement vers les profondeurs, toujours en descente. Ce mouvement est d’autre part multiple et complexe, puisqu’il offre la nervure sur laquelle sont greffés tous les noyaux conflictuels dépassant la sphère du moi vers la totalité de l’existence et la sphère du monde. En fonction de tout cela, Le public explore toutes les frontières de la représentation, y compris la re-représentation à partir de la tragédie de Shakespeare Roméo et Juliette20. La rupture de la linéarité est produite par la dynamique de condensation et superposition qui organise l’univers sémiotique et sémantique du drame sur le plan onirique, dramatique et poétique, chacun renfermant l’autre. Le choix du mode onirique (qui est en soi-même dramatique) comme mode de la représentation commande la pièce et permet l’articulation de la « logique poétique », ainsi que Lorca l’appelait, qui accorde sa cohésion à cet univers.
23Par rapport à l’action dramatique, le thème de l’homosexualité devient d’une importance capitale. Car, outre l’aspect de revendication sociale, fortement transgressive à une époque marquée par l’homophobie, l’utilisation ouverte de l’homosexualité au niveau dramaturgique constitue un paradigme qui dans sa transversalité ébranle et remet en question notre approche du monde et nous fait sortir de la zone de confort provoquant la subversion de toutes les catégories esthétiques, éthiques et épistémologiques.
Théâtre sous le sable versus théâtre en plein air
24La dénomination « théâtre en plein air », utilisée dans la pièce pour définir le théâtre conventionnel, et celle de « théâtre sous le sable », pour signifier le véritable théâtre, sont consciemment paradoxales, car les termes sont strictement inversés, et leurs connotations détournées bouleversant notre horizon d’attente21. Ainsi, le théâtre en plein air est le théâtre à l’air vicié, irrespirable, théâtre faux, prostitué à l’opinion du public et aux intérêts commerciaux. S’il se montre « en plein air » ce n’est pas parce qu’il soit authentique et vrai, mais tout simplement parce qu’il s’offre à la vue de tous, sous un masque convenu destiné à rassurer les mauvaises consciences. Par contre, le théâtre authentique se trouve sous le sable, renfermant « la vérité des sépultures ». L’utilisation de l’image du sable est très intéressante et riche en suggestions. Ainsi, le sable est l’élément qui préserve la vérité : c’est dans le sable que les trésors sont gardés intacts, à l’abri du temps et au-delà du temps, dépassant les limites spatio-temporelles, et c’est encore le sable qui garde et cache les morts, la vérité profonde des sépultures que le théâtre doit avoir pour tâche de chercher, découvrir et montrer à la vue de tous.
25Cette tâche, cette quête, n’est pas simple ni ordinaire, bien au contraire : elle tient du défi, car il faut oser pour mettre au jour ce qui est sous le sable, parce que cela implique braver l’opinion du monde. Mais, en plus, l’utilisation du mot « sable » (« arena », en espagnol) et non « terre » (« tierra »), par exemple, permet d’établir des associations avec le monde de la taureaumachie, si proche de Lorca, le sang, le combat et la mort.
Mais qui est le public ?
26
En effet, on doit se demander qui est ce public qui donne son titre à la pièce comme une énigme en lui accordant un statut protagoniste. Loin de constituer un bloc homogène, le public se situe à différents niveaux ou degrés de proximité, allant d’un degré plus proche, c’est-à-dire plus intime (représenté par les personnages principaux), jusqu’à un degré plus externe (constitué par la masse du public et certains personnages individualisés, comme les dames et les étudiants). En conséquence, à travers le public plus proche on plonge dans les profondeurs psychanalytiques, mais aussi on atteint les niveaux métadiscursif et métathéâtral qui à leur tour sont ceux qui touchent essentiellement le public externe. En tout cas, le public se présente dans la pièce comme un prisme en mouvement constant et, dans tous les cas, il s’agit d’un public acteur, qu’il le veuille ou pas, d’un public qui transgresse ou traverse, volontairement ou involontairement, les frontières de la représentation. L’évocation concernant le public établit le début et la clôture (qui n’en est une) de la pièce à partir du micro-dialogue suivant entre le Metteur en scène et le Valet :
« VALET. Monsieur
METTEUR EN SCÈNE. Oui ?
VALET. Le public est là.
METTEUR EN SCÈNE. Qu’il entre donc »22.
Ce petit dialogue se répète comme un refrain à quatre moments de la pièce : au tout début du premier acte, ensuite après la première scène, encore au dénouement, après la représentation sous le sable et la subséquente révolte du public, et finalement après celui-ci, à la fin exacte de la pièce. Il fonctionne comme une charnière qui permet l’entrée d’un public acteur et de cette façon passer à un autre niveau de représentation. Ainsi, le premier public qui réclame d’entrer au théâtre, (la chambre du Metteur en scène) est constitué par quatre chevaux blancs, qui représentent les différents niveaux et stratégies de l’inconscient pulsionnel, et après la répétition du dialogue cité plus haut feront leur entrée trois hommes habillés en noir (« habillés en frac exactement pareils. Ils portent des barbes sombres »23) qui représentent différents degrés concernant le masque par rapport à l’homosexualité24.
27Toute l’action développée par le Metteur en scène et les trois Hommes peut être considérée comme un micro-tableau qui fonctionne comme mise en abyme du tableau général mais aussi de toute la pièce. Ou, pour parler plus justement, un degré déterminé de mise en abyme, étant donné l’essentielle dynamicité du drame, où rien ne demeure exactement de la même façon. Ainsi, ces hommes, qui sont public dans le théâtre intérieur ou intime (« ce qui nous arrive »), secouent et remettent en question le théâtre conventionnel (« ce qui arrive »)25, mais plus tard, une fois en dehors de la chambre du Metteur en scène et sur un autre niveau scénique, ils n’oseront pas (excepté l’Homme 1) aller jusqu’au bout. En ce qui concerne la fonction de mise en abyme générale du sens de la pièce, ils expriment et mettent à découvert le but du drame, à savoir, qu’il faut traverser les frontières de la représentation du théâtre conventionnel « pour que l’on sache la vérité des sépultures », d’après les paroles de l’Homme 3.
28L’Homme 3 est précisément celui qui se cache le plus sous le masque, et pourtant c’est lui qui ose prononcer ces mots, ce qui sert d’exemple pour montrer comment les personnages n’ont pas des contours définis, mais fonctionnent comme des articulations mouvantes. Dans cette perspective, c’est l’Homme 2, et non pas l’Homme 1 (le plus direct par rapport à l’authenticité) celui qui ose poser au Metteur en scène les questions essentielles qui ont été esquivées dans la représentation conventionnelle que celui-ci vient de donner du Roméo et Juliette dans le théâtre en plein air :
« Comment pissait Roméo, Monsieur le Metteur en scène ? Combien de fois a-t-il feint de se jeter de la tour pour être emprisonné dans la comédie de sa souffrance ? Que se passait-il, Monsieur le Metteur en scène… lorsque cela ne se passait-il ? Et le sépulcre ? Pourquoi, à la fin, n’avez-vous pas descendu l’escalier du sépulcre ? Vous auriez pu voir un ange qui emportait le sexe de Roméo pendant qu’il laissait l’autre, le sien, celui qui lui correspondait. Et si je vous dis que le personnage principal de tout a été une fleur venimeuse, qu’en penseriez-vous ? Répondez ! »26.
Descente sous le sable. Parcours et masques
29Cette descente que l’Homme 2 réclame au Metteur en scène part d’une première négation, d’une résistance motivée par la peur de la part de ce dernier :
30
« […] Que ferais-je du public ? Que ferais-je du public si j’enlève les barrières au pont ? Le masque viendrait me dévorer. J’ai vu une fois un homme dévoré par le masque. […] N’allez-vous pas me supposer capable de faire sortir le masque sur scène »27.
31En réalité entre le Metteur en scène et les Hommes, mais cela se passe aussi avec les autres personnages qui apparaissent dans la pièce, les fonctions sont interchangeables dans un drame où, d’après les paroles de l’Homme 1, « tout le monde a de la place ». Les personnages sont en réalité les mêmes mais agissant sur des plans différents qui peuvent être simultanés, de telle façon qu’ils sont les mêmes et en même temps ils sont autres. La scène devient alors le « véhicule qui rend possible ce changement continu de formes, comme si la transformation elle-même constituait la caractéristique définitoire des personnages »28, et cette transformation suppose un dépassement progressif et continu des frontières de la représentation. C’est ainsi que l’Homme 1 prend le rôle du Metteur en scène le forçant à agir, c’est-à-dire, à cesser de représenter, ou plutôt, à aller vers un autre niveau de représentation :
« HOMME 1- Entrez dedans, avec nous. Vous avez de la place dans le drame. Tout le monde. (Au Metteur en scène) Et toi, passe derrière le paravent »29.
32Dans le drame, si les personnages sont en même temps des spectateurs (public), ils le sont comme il se passe dans les rêves, de telle façon que certains appels ou voix, certaines perceptions qui apparaissent à des moments donnés appartiennent à des niveaux oniriques parallèles mais perméables, qui sont traversés. C’est ce que Julio Huélamo appelle dans son étude un éclairage d’un rêve à l’autre30 : les personnages peuvent traverser les différents niveaux de réalité des rêves, les frontières oniriques d’un rêve à l’autre.
33En fonction de tout cela et une fois déclenchée l’action du drame depuis la première attitude de refus et résistance de la part du Metteur en scène, l’évolution décrite se projette vers une direction multiple, en tous sens, atteignant finalement la circularité à partir de la totale ouverture du drame. Le mouvement de descente (trouver et exhumer « la vérité des sépultures ») est celui sur lequel s’articulent tous les autres et en conséquence le trajet et la dynamique actantielle de la pièce. Mais il ne s’agit pas d’une descente au sens ordinaire du mot, car on descend constamment mais sans jamais bouger de la surface, et celle-ci n’est autre que la surface de la scène, sur laquelle nous sommes toujours : redisons-le encore, la dimension de la profondeur se construit dans Le public comme une condensation et multiplication de surfaces, étant donné qu’« un volume c’est mille surfaces ».
34C’est justement là que se montre la grande habileté du personnage du Metteur en scène : il a fait en sorte que les spectateurs (le public) se retrouvent soudain et sans s’apercevoir du mécanisme (substitution des acteurs dans la représentation du drame classique Roméo et Juliette) sur une autre surface, en plein théâtre sous le sable. Lorsque la masse du public découvre que Juliette n’est pas une femme, que ce rôle est joué par un homme – pourtant le Roméo et Juliette « sous le sable » incarne l’amour vrai –, il se considère trompé, trahi, et se révolte, assassinant Juliette, celle qui est homme mais aussi la « véritable » Juliette-femme, cachée dans les fauteuils du théâtre. Ce public ne tolère pas que le Metteur en scène – dont il ira même jusqu’à demander la mort – ait subverti la dynamique de la représentation, c’est-à-dire, la dynamique du mensonge31, à laquelle il tient et veut rester accroché sans quitter sa zone de confort. Il a vu le Metteur en scène comme un prestidigitateur qui a fait un tour de passe-passe, alors que ce qu’il a fait c’est un « très difficile » et risqué « jeu poétique » : le public n’a pas compris le poète32.
Faire sortir le masque sur scène
35L’utilisation du masque est en pleine cohérence avec la métathéâtralité de la pièce. Élément scénique de premier ordre, le masque dans Le public l’est tout d’abord au sens strict du mot et suivant sa fonction primaire, c’est-à-dire, fonctionnant comme élément de déguisement : c’est, essentiellement, le rôle joué par les costumes. Mais le masque est aussi un élément symbolique, un thème-paradigme sur lequel s’articule toute la pièce et qui permet de dépasser les différents niveaux (ou frontières) de signification. D’autre part, sa fonction actantielle est déterminante, car la dynamique actantielle du drame se construit en fonction d’un mouvement de succession continue de masques, depuis le début jusqu’au dénouement.
Le « solo du berger niais »33
36Placé par Rafael Martínez Nadal entre les tableaux 5 et 6, considéré par d’autres auteurs plutôt comme un prologue, le « Solo du berger niais » (« Solo del pastor bobo »), monologue sous forme de poème-énigme-devinette, contient et condense en abyme la signification et jeu dramatique de la pièce. Le décor est essentiel et dynamique, en interaction avec le personnage, qui « porte sur la tête un entonnoir rempli de plumes et de petites roues »34. La disposition spatiale, précise la didascalie, contient « au centre, une grande armoire remplie de masques blancs ayant des expressions diverses »35. À un premier niveau, ces masques représentent la virtualité en fonction de leur diversité expressive. Mais cette première apparence se double d’un aspect inquiétant : le blanc qui caractérise les masques les place du côté de la mort et de l’angoisse, à partir de l’allusion au plâtre qui renvoie au masque funéraire. L’aspect inquiétant s’accroît par le détail de la « petite lumière » placée devant chaque masque-tête de mort. Si, d’autre part, le blanc du masque nous permet de nous remonter dans le monde classique (ce qui serait confirmé par la référence au « masque du masque/qui était en plâtre de Crète ») avec le statisme ou fixation temporelle que cela connote, la petite lumière accroît l’« inquiétante étrangeté » vivante et mouvante du masque (« masque du masque » : le masque en cache un autre), et paradoxalement par là la rend vivante, l’humanise et donc rapproche du spectateur36.
37Cette humanisation se double en même temps d’une animalisation à partir du moment où, vers le milieu du monologue du berger et jusqu’au moment où il quitte la scène, les masques se mettent à bêler, faisant ce qui les définit théâtralement, c’est-à-dire, jouer un rôle, feindre, imiter (« imitant les moutons », précise la didascalie). Et, d’une façon très théâtralement réussie, exemple de la génialité de Lorca comme dramaturge, cette imitation est rendue visible, exhibant le code théâtral, à travers le petit détail contenu dans la didascalie qui précise que « quelque [mouton] tousse », nous faisant prendre conscience qu’un agent « humain » (ou rendu tel : le masque) contrefait le mouton dans une imitation parfaite, dont le caractère « faux » n’aurait pas été perçu sans ce petit détail de la toux37.
38D’autre part, à travers le thème du masque comme élément discursif qui articule son monologue-poème, le solo du berger démasque les différentes stratégies d’imposture qui, du point de vue métathéâtral, châtrent la véritable création poétique, le vrai théâtre, l’authenticité et la promesse d’avenir, représentée par ces enfants « qui portent des manchettes en dentelles/et pourrissent sous un champignon », ces « aigles avec des béquilles » et cette Europe qui, jadis mère nourricière et féconde, « s’arrache les tétons »38. À sa place, le berger propose l’énigmatique devinette d’un « théâtre sans fauteuils et d’un ciel rempli de chaises »39 avec ce « creux d’un masque » qui demeure un inquiétant masque en creux.
Un masque au-delà du personnage : le costume
39Si, en ce qui concerne le personnage et son niveau métathéâtral, l’influence de Pirandello dans Le public a souvent été remarquée par la critique, Lorca va même au-delà par l’utilisation scénique qu’il propose du costume. Les différents costumes qui apparaissent dans la pièce sont autant d’avatars du personnage – avatars du moi – projetés dans le rôle social joué vis-à-vis de soi et des autres. Mais, en plus, et loin d’être un accessoire, figure du masque, c’est le personnage qui est subordonné au costume, de telle façon que le costume a la vie plus longue que le personnage et lui survit. Ainsi,
« Lorsque les costumes parlent, les personnes vivantes sont déjà des boutons d’os sur les murs du calvaire »40.
40Vie transcendante, d’ailleurs, car le costume finit par acquérir une dimension humaine (« les costumes parlent ») et plus qu’humaine, du moment où les « personnes vivantes » sont devenues « des boutons d’os » dépassant le niveau individuel après avoir traversé l’agonie et la souffrance de la mort (le « calvaire ») pour faire partie d’un ensemble supra-individuel plus vaste intégré à l’architecture des « murs du calvaire ».
41Cependant le costume est déjà personnage, et telle est sa fonction scénique dans Le public. Un personnage au deuxième degré qui, en tant qu’avatar du moi, ne peut être entièrement faux, gardant toujours quelque chose de l’identité de celui qui l’a porté, ni entièrement vrai. De ce point de vue, le costume est un double, mais un double en creux, qui garde des traces identitaires préalables mais qui en même temps est autre, laissant alors entrevoir un trou d’ombre entre une identité et l’autre.
Les deux Nus
42En principe, on pourrait penser que l’absence totale de masque montrant la vérité du personnage serait l’élimination totale du costume, représentée dans la pièce par le Nu blanc au deuxième tableau et le Nu rouge au cinquième. Or malgré les apparences le nu peut se montrer à son tour comme un masque. C’est le cas du Nu blanc en plâtre (donc funéraire) qu’est devenue la Figure aux Feuilles de vigne dans une dernière métamorphose. Cette figure, qui dans sa lutte avec la Figure aux Grelots représente le combat latent du drame de l’homosexualité et du désir entre refoulement et acceptation, se soumet finalement à l’Empereur, donc à la norme. Cette soumission est jugée comme une trahison par la Figure aux Grelots, mais encore par l’Homme 1 (Gonzalo) que Grelots appelle à son secours et par le Metteur en scène, qui sont autant d’autres avatars du drame intime, autant de doubles. La signification, pourtant, ne demeure pas là, n’étant jamais univoque dans cette pièce, car plus loin, l’Homme 1 reconnaîtra que « le moment n’est pas encore venu pour que les chevaux emmènent un nu que j’ai rendu blanc à force de larmes »41.
L’authenticité serait plutôt représentée dans le drame par le Nu rouge de sang du cinquième tableau, personnage « couronné d’épines bleues » – comme le Christ – et placé sur un lit vertical au centre de l’espace scénique. Tué par l’ignorance des uns et l’intransigeance des autres, par une société aseptique qui s’éloigne de l’humain, l’inauguration du théâtre sous le sable suppose son immolation, dont il accepte le sacrifice au prix de son sang que l’infirmier extrait42. À la fin de la scène « sur l’envers du lit apparaît l’Homme 1 couché, toujours avec frac et barbe noire »43, ce qui suppose un dédoublement du personnage du Nu. L’Homme 1, celui qui se revendique comme ne portant jamais de masque, apparaît pourtant avec le costume du premier acte, qui est un masque nettement défini dans le rôle social du théâtre du monde44.
Plurivocité et besoin du masque. Le masque et la mort
43Comme il a été souligné plus haut, Le public évolue à partir d’une succession continue de masques, articulant un processus de métamorphose du début à la fin. Toute la dynamique actantielle de la pièce s’articule sur le binôme actantiel masquer-démasquer. Or, en tant que signe, le masque présente un caractère plurivoque chargé de significations diverses, voire contraires45. Il peut osciller entre le positif et le négatif, par exemple. Ainsi, la première connotation du masque est apparemment négative, comme l’équivalent de la fausseté, du mensonge, de ce que l’on veut cacher. Mais en même temps ce que le masque cache c’est l’authentique, la vérité : le Metteur en scène refuse de « faire sortir le masque sur scène » parce que le masque renferme le vrai, et de surcroît la vulnérabilité.
44Du point de vue métathéâtral, faire sortir le masque – icône théâtral par excellence – sur scène suppose dévoiler la théâtralité, démasquer. C’est une action dangereuse dans la double scène, celle du monde et celle du théâtre, côtoyant toujours la mort (cette mort omniprésente dans l’imaginaire de Lorca) à partir des associations métaphoriques entre masque, lune, métamorphose en poisson lune, masque funéraire, etc.
45Ôter le masque n’est pas un geste simple, parce qu’il y a toujours un masque en-dessous, parce que chaque masque en cache un autre. Et, comme nous avons montré, chaque démasquement, chaque métamorphose, garde quelque chose de la peau précédente, une identité n’annule pas l’autre, elle s’y superpose en se décalant, en en gardant des traces, se répand comme un écho réverbérant. À la limite, « masque » est synonyme de « forme »46, étant donc nécessaire à la création artistique. Mais, en plus, le masque est nécessaire au poète, qui doit sauvegarder ce qu’il renferme de plus pur :
« …Et ensuite… Faisant constamment en sorte que ton état ne transperce pas dans ta poésie, parce qu’elle te jouerait le mauvais tour d’ouvrir ce que tu as de plus pur devant les regards qui ne doivent jamais le voir… »47.
Au bout du masque. Désarroi et désorientation du public
46À la limite du processus de dépouillement des masques successifs, de toutes les peaux, on trouve le squelette. Voilà ce qui explique les mots scandalisés de la dame 2 spectatrice de la mise en scène sous le sable offerte par le Metteur en scène :
« Les voix étaient vivantes et leurs apparences aussi. Quel besoin avions-nous de lécher les squelettes ? »48.
47Les dames représentent le public « comme il faut », appartenant au théâtre conventionnel compris au sens total du terme, c’est-à-dire, en tant qu’espace où se conjuguent conventions sociales, morales et systèmes de représentation. Ce public n’est pas encore prêt, ainsi que fait voir le personnage de l’Étudiant 3 :
« Et qu’est-ce qu’ils ont obtenu de tout cela ? Un raisin de blessures et une désorientation absolue »49.
48C’est un public scandalisé, pour qui tous ses repaires ont été soudain usurpés et qui, pour cette raison, demeure au dénouement de la pièce attrapé dans le théâtre incapable d’en trouver la sortie. Pour l’Étudiant 2 ce public a dépassé une frontière qu’il aurait dû respecter :
« Le public ne doit pas traverser les soies et les cartons que le poète dresse dans son alcôve. Roméo peut bien être un oiseau et Juliette peut bien être une pierre. Roméo peut bien être un grain de sel et Juliette peut bien être une carte. Qu’est-ce que cela peut faire au public ? »50.
49Car, d’après lui,
« Un spectateur ne doit jamais faire partie du drame. Lorsque les gens vont à l’aquarium ils n’assassinent pas les serpents de mer, ni les rats d’eau, ni les poissons couverts de lèpre, mais ils glissent les yeux sur les vitres et apprennent »51.
50Par contre, pour l’Étudiant 5 la question doit être posée non pas en termes d’apprentissage, mais d’expérience vécue, ce qui signifie éliminer toutes les frontières : « (Quant à moi) je n’ai pas de temps pour penser si c’est homme ou femme ou enfant, mais pour voir que cela me plaît avec un très joyeux désir »52. Il adopte le même point de vue que le personnage de Juliette (« Je ne me soucie pas des discussions à propos de l’amour ou du théâtre. Aimer, voilà ce que je veux »53).
51La désorientation produite dans le public venu voir la représentation sous le sable du Roméo et Juliette donnée par le Metteur en scène, est une mise en abyme de celle prévue par Lorca pour le public virtuel réel de son théâtre « irreprésentable ». La dynamique déroutante de Le public se construit à tous les niveaux dans l’architecture et enchevêtrement de la pièce. Suivant l’analyse de María Clementa Millán,
« La désorientation que ces caractéristiques produisent sur le spectateur – et par conséquent le renforcement du dramatisme que cela renferme – devient encore plus intense à cause de la structure brisée de la pièce. […] De cette façon, l’action appartenant au monde objectif, commencée au bureau du Metteur en scène au début de la pièce, s’est vue interrompue à la fin du premier tableau à cause de l’entrée du théâtre sous le sable, en même temps que cette action, accomplie par Hélène, le Metteur en scène et les trois Hommes (déjà transformés après être passés derrière le paravent) est brusquement brisée au deuxième tableau par le dialogue entre la Figure aux Feuilles de vigne et celle aux Grelots. Celles-ci, d’ailleurs, sont le dédoublement des personnages principaux du théâtre sous le sable, commencé au tableau précédent. Pareillement, cette dernière action est brisée au troisième tableau au moyen de l’apparition d’Hélène et les autres personnages du théâtre véritable, se brisant, au cinquième tableau, par ce qui est en train d’avoir lieu à l’intérieur du théâtre en plein air, qui, à son tour, tranche avec l’action du dernier tableau, à nouveau dans la chambre du Metteur en scène »54.
Cette « structure brisée », construite à partir de détournements et de sauts, suppose la rupture de toutes les frontières de la représentation, l’appel à un théâtre qui soit totale ouverture, car, ainsi qu’expose le Metteur en scène,
« C’est en brisant toutes les portes la seule façon que le drame a de se justifier, voyant, de ses propres yeux, que la loi est un mur qui se dissout à la moindre goutte de sang. […] Le véritable drame est un cirque d’arcs où l’air et la lune et les créatures entrent et sortent sans avoir une place où se reposer »55.
Ne pas avoir « une place où se reposer » veut dire ne pas avoir une place où se cacher, et cela concerne aussi bien les vivants que les morts. Pour le moment, au dénouement – s’il en est un – de la pièce ce sont les morts le seul public à avoir compris le drame, manifestant leur reconnaissance au moyen des applaudissements muets signifiés par la pluie de gants blancs qui tombent du décor56. Mais, puisque les portes du théâtre ne se ferment jamais, le drame est toujours à recommencer. Ainsi, les dernières paroles qui marquent la fin de Le public sont la répétition en écho de celles que prononce le Metteur en scène agonisant. À la différence que cette fois toutes les voix viennent du hors-scène :
« VOIX. (Dehors.) Monsieur.
VOIX. (Dehors.) Quoi ?
VOIX. (Dehors.) Le public.
VOIX. (Dehors.) Qu’il entre donc ».
Nous pouvons nous demander si, à un autre niveau, ces voix ne sont plus celles des morts, mais d’un autre public, un public virtuel qui continue à appeler, à demander d’entrer, ce public de l’avenir en mesure d’affronter un nouveau théâtre, où il ne soit plus question de « représentation mais de présentation de conflits « réels » »57, où l’on n’ira plus pour voir « ce qui arrive », mais « ce qui nous arrive ».
Aujourd’hui, en plein xxie siècle, Le Public, malgré la grande difficulté structurale de la pièce, n’est plus, stricto sensu, « irreprésentable ». La question de l’homosexualité, d’autre part, a heureusement perdu sa stigmatisation dans une partie importante et d’ailleurs grandissante du monde civilisé. Mais la question profonde posée par la pièce demeure ouverte, à savoir s’il existe toujours un théâtre impossible, jusqu’où peut-on reculer les frontières de la transgression, de la représentation, jusqu’où le public, actuel et à venir, peut-il résister à être confronté à lui-même, à nous-mêmes, dans l’ébranlement des derniers mirages de certitude.
Bibliographie
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Martínez Nadal Rafael, « El Público ». Amor y muerte en la obra de Federico García Lorca, Madrid, Hiperión, 1988.
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Vitale Rosanna, El metateatro en la obra de Federico García Lorca, Madrid, Pliegos, 1991.
Notes
1 « Le phénomène des grandes villes, l’apparition des masses provoquée par la révolution industrielle, la société de consommation et la révolution électronique des média, ont multiplié les niveaux de théâtralité. Le nombre de scènes sur lesquelles agir, regarder et être vus, a connu une écrasante augmentation avec la prolifération d’écrans, caméras et autres espaces publics à la portée de tous. Le droit à la représentation a connu une sorte de paradoxale démocratisation ». (« El fenómeno de las grandes urbes, el surgimiento de las masas provocado por la revolución industrial, la sociedad de consumo y la revolución electrónica de los medios de comunicación, ha potenciado los niveles de teatralidad. El número de escenarios donde actuar, en los que mirar y ser visto, ha conocido un abrumador aumento con la proliferación de monitores, cámaras y otros espacios públicos al alcance de todos. El derecho a la representación ha conocido una suerte de paradójica democratización ». (Cornago, Ó. « ¿Qué es la teatralidad? Paradigmas estéticos de la Modernidad », dans Telón de fondo, nº 1, août 2005, en ligne : http://www.telondefondo.org/, [consulté le 30 mai 2019]). Je fais la traduction de cet extrait ainsi que celle de tous les textes cités de l’espagnol qui apparaissent dans le présent travail.
2 Comme remarque Jean-Marie Denquin, à propos de la « crise de la représentation », « jadis les représentés acceptaient la représentation parce que les représentants étaient représentatifs. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi. Seul un retour à la représentativité des représentants serait de nature à restaurer la communion des représentés avec ceux-ci » (« Pour en finir avec la crise de la représentation »: http://juspoliticum.com/article/Pour-en-finir-avec-la-crise-de-la-representation-215.html, consulté le 30 mai 2019).
3 Ou par ce que Pedro Almodóvar, dans une récente interview à propos de son dernier film Dolor y Gloria, appelle « le contexte » : « Nous habitons une époque où personne ne contrôle le contexte. Surtout maintenant où les médias sont ce qu’ils sont […]. N’importe quel commentaire politique que je puisse faire fagociterait le contenu de toutes les réponses ». (« Vivimos un tiempo en el que nadie controla el contexto. Y más ahora tal y como están los medios. […] Cualquier comentario político que haga fagocitaría el contenido de todas las respuestas » : https://www.elmundo.es/papel/cultura/2019/03/18/5c8ba0dffc6c83e1748b45a4.html, consulté le 30 mai 2019).
4 Pour toutes les références au texte, je suis l’édition de Millán M. Cl., Federico García Lorca. El público, Madrid, Cátedra, col. Letras Hispánicas, 1987.
5 Rafael Martínez Nadal, qui avait gardé un manuscrit autographe de Le public que Lorca lui avait confié la veille de son départ fatal pour Grenade en juillet 1936, affirme qu’il y manquerait un quatrième tableau, dont il assure l’existence pour l’avoir écouté réciter dans quelque soirée où Lorca avait donné lecture de la pièce. Il explique toute ces questions dans le chapitre « Lo que yo sé de El público », de son livre « El Público ». Amor y muerte en la obra de Federico García Lorca, Madrid, Hiperión, 1988 (le livre est la troisième édition enrichie de El Público, Amor, teatro y caballos en la obra de Federico García Lorca, Oxford, Dolphin Book Cº Ltd., 1970). Pourtant, la critique lorquienne, et très particulièrement Julio Huélamo, trouve le texte parfaitement cohérent tel qu’il nous est parvenu. Voir Huélamo Kosma J., « El público: un laberinto textual soluble », dans El teatro imposible de García Lorca. Estudio sobre El Público, Universidad de Granada, 1996.
6 Martínez Nadal nous a laissé un témoignage direct de la lecture privée de la pièce faite par Lorca à la fin de 1930 ou début 1931 : « “Tu vas voir quelle pièce. Très osée et avec une technique tout à fait nouvelle. C’est la meilleure chose que j’ai écrite pour le théâtre”. […] Il lut avec enthousiasme et talent, utilisant tous les registres de sa voix, nuançant l’intonation, parfait le rythme, mais à la fin il s’est produit un silence qui n’était pas provoqué par une impression profonde, mais désorientation ou surprise. “Magnifique”, a dit quelqu’un, “mais irreprésentable”. Et un autre, plus sincère : “Moi, à la vérité, j’avoue que je n’ai absolument rien compris.” La soirée finie nous sommes sortis ensemble. Federico parlait sans ressentiment, mais avec assurance : “Ils n’ont rien compris ou ils ont eu peur et je le comprends. La pièce est très difficile et pour le moment irreprésentable, ils ont raison, mais dans dix ou vingt années ce sera un énorme succès ; tu vas voir” ». (« “Ya verás qué obra. Atrevidísima y con una técnica totalmente nueva. Es lo mejor que he escrito para el teatro”. […] Leyó con entusiasmo y maestría, utilizando todos los registros de su voz, matizando la entonación, perfecto el ritmo, pero al terminar se produjo un silencio que no lo motivaba honda impresión, sino desorientación o sorpresa. “Estupendo”, dijo alguien, “pero irrepresentable”. Y otro, más sincero: “Yo, la verdad confieso que no me he enterado de nada”. Terminada la velada salimos juntos. Federico hablaba sin resentimiento, pero con seguridad: “No se han enterado de nada o se han asustado y lo comprendo. La obra es muy difícil y por el momento irrepresentable, tienen razón.pero dentro de diez o veinte años será un exitazo; ya lo verás” ». (Op. cit., p. 17).
7 Cit. par Ramos L. T., « De la tradición a la innovación en los prólogos dramáticos de Federico García Lorca », dans Olmedo A. S. et alii (éd.), Federico García Lorca, clásico moderno (1898-1998), Congreso internacional, Diputación de Granada, 2000, p. 359.
8 Texte original : « El teatro – afirmará Lorca – se debe imponer al público y no el público al teatro. Para eso, autores y actores deben revestirse, a costa de sangre, de gran autoridad […] ». Cit. par Ramos L. T., op. cit., p. 357.
9 Lorca croit à la capacité d’apprentissage du public s’il est bien Conduit : « On peut enseigner au public – remarquez que je dis public et non pas peuple – ; on peut lui enseigner, parce que j’ai vu huer Debussy et Ravel il y a des années, et j’ai assisté après à des ovations éclatantes qu’un public populaire faisait aux œuvres avant refusées. Ces auteurs ont été imposés d’après un très haut critère d’autorité supérieur à celui du public courant, comme Wedekind en Allemagne et Pirandello en Italie, et tellement d’autres ». (« Al público se le puede enseñar – conste que digo público, no pueblo – ; se le puede enseñar, porque yo he visto patear a Debussy y a Ravel hace años, y he asistido después a las clamorosas ovaciones que un público popular hacía a las obras antes rechazadas. Estos autores fueron impuestos por un alto criterio de autoridad superior al del público corriente, como Wedekind en Alemania y Pirandello en Italia, y tantos otros.) (« Charla sobre teatro », Lorca F. G., Obras Completas, III (Prosa), éd. de Miguel García-Posada, Barcelona, Galaxia Gutenberg-Círculo de Lectores, 1997, p. 256).
10 « Parce que je ne suis pas un homme, ni un poète, ni une feuille,/mais un pouls blessé qui guette les choses de l’autre côté ». (« Porque yo no soy un hombre, ni un poeta, ni una hoja,/pero sí un pulso herido que ronda las cosas del otro lado ». [Poema doble del lago Eden (Poème double du lac Éden), Poète à New York, 1930].
11 Dans le manuscrit original Lorca avait écrit « El público. Drama en veinte cuadros y un asesinato » (Biblioteca digital hispánica : http://bdh-rd.bne.es/viewer.vm?id=0000206841&page=1).
12 « Para que se sepa la verdad de las sepulturas », dit l’Homme 3 (page 123) au premier tableau. Le cheval noir, qui représente le psychopompe, redira les mêmes mots au troisième tableau.
13 Avant de donner la première édition du texte, Rafael Martínez Nadal en avait publié l’exégèse dans El público. Amor, teatro y caballos en la obra de F. García Lorca (op. cit.) en 1970. Le manuscrit a été publié par Martínez Nadal en 1976 : F.G.L., Autógrafos II: El público, Oxford, Dolphin Books, 1976.
14 La première mise en scène professionnelle, « officielle » et mondiale de Le Public a eu lieu en 1986 par le Centro Dramático Nacional sous la direction de Lluís Pasqual (Teatre Lliure) au Piccolo Teatro di Milano, montage repris en 1987 à Madrid dans le théâtre María Guerrero. Le TNT Atalaya de Séville a créé la pièce pour la première fois en 2001, et le Teatro de la Abadía de Madrid, sous la direction de Alex Rigola (Teatre Lliure) en 2016. Atalaya a repris la pièce en 2018, dans le cadre du II Festival Cultura con orgullo (Séville, 2-24 juin 2018). Cette année 2019, « Año Lorca », où l’on commémore le centenaire de l’arrivée de García Lorca à la Résidence d’étudiants de Madrid, de nombreuses représentations théâtrales concernant l’auteur et ses pièces ont été programmées à Madrid, y compris le « théâtre imposible ».
15 Voir l’interview à l’occassion du montage de Le public à Séville en juin 2018 : http://www.escenariosdesevilla.org/el-publico/ (consulté le 30 mai 2019). Pour Iniesta Le public serait « l’un des grands textes du xxe siècle au niveau mundial » (« es uno de los grandes textos del siglo xx a nivel mundial »).
16 Dans une interview à propos de la présentation de son livre De la mano de Federico, il avoue comment « Ce n’est pas par hasard que [Le public] est au centre de mon livre, parce que Le public c’est… comme jouer La passion selon Saint Matthieu. C’est en même temps le début de quelque chose et l’arrivée quelque part, personne ne passe à travers cette pièce et en sort indemne, si on le fait honnêtement, parce qu’on ne peut pas la mettre en scène sans une implication personnelle ; autrement au bout de dix minutes c’est un jeu de mots incompréhensible. Le public est un vrai vomissement. Lorsque tu es passé à travers lui tu ne regardes plus rien de la même façon, parce que tu as cherché dans des régions où tu n’avais pas été. On ne va pas dans ces endroits-là ». (« No es una casualidad que esté en el centro del libro, porque El público es… como tocar La pasión según San Mateo. Es al mismo tiempo el principio de algo y la llegada a algún sitio, nadie pasa por esta obra y sale indemne si lo hace honestamente, porque no se puede llevar a escena sin una implicación personal; si no, a los diez minutos es un juego de palabras incomprensible. El público sí que es un verdadero vómito. Cuando has pasado por él ya no miras nada igual, porque has buscado en zonas en las que no habías estado. A esos sitios no se va », Interview du 10 mars 2016 : https://elpais.com/cultura/2016/03/09actualidad/14557552700_705940.html (Consulté le 30 mai 2019).
17 Voir le chapitre 2 de son étude (op. cit.) : « La estructura de El público: un ajustado rompecabezas ».
18 C’est le cheval blanc qui affirme, au troisième tableau qu'« Un volume, c’est mille surfaces » (« Un volumen son mil superficies », El público, p. 156).
19 Lorca utilise le mot “cuarto” (chambre) et non pas “despacho” (bureau), ajoutant de cette façon une nuance d’espace intime.
20 À l’égard de Shakespeare la présence intertextuelle de Le songe d’une nuit d’été est aussi importante dans Le public.
21 Pour María Estela Harretche, Le public présenterait en réalité trois théâtres : le théâtre en plein air, le théâtre sous le sable et celui qu’elle appelle « théâtre de la crise », le seul visible pour le spectateur, de telle façon que « trois théâtres coexistent. L’un (théâtre sous le sable) qui naît comme opposition du premier (théâtre en plein air) et comme reflet d’un troisième (théâtre de la crise), ce dernier étant le seul qui est représenté comme développement d’une action partagée par nous en tant que spectateurs ». (« […] Conviven tres teatros. Uno (teatro bajo la arena) que nace como oposición del primero (teatro al aire libre) y como reflejo de un tercero (teatro de la crisis), siendo este último el único que se representa como desarrollo de una acción que compartimos como espectadores ». (Harretche M. E., Federico García Lorca. Análisis de una revolución teatral, Madrid, Gredos, 2000, p. 87). Ce théâtre de la crise se construit à partir d’un jeu de miroirs : « C’est dans le théâtre de la crise, à force de démasquement, que va se faire le véritable théâtre (le théâtre sous le sable). L’argument de la pièce du véritable théâtre se regardera dans le miroir du théâtre de la crise, se faisant, par conséquent, ensemble en action, l’un à l’image de l’autre. Nous pouvons parler sans doute de métathéâtre, puisque le Metteur en scène, dont la crise est représentée tout au long de Le public, va la vivre, précisément, lorsqu’il veut créer un nouveau théâtre, théâtre de la sincérité. […] ». (« Es en el teatro de la crisis, a fuerza de desenmascaramiento, donde se va a ir haciendo el verdadero teatro (el teatro bajo la arena). El argumento de la obra del verdadero teatro se mirará en el espejo del teatro de la crisis, haciéndose, por lo tanto, juntos en acción, uno a imagen del otro. Podemos, sin duda, hablar de metateatro, ya que el Director, cuya crisis se representa a lo largo de El público, la vivirá, precisamente, al querer crear un nuevo teatro, teatro de la sinceridad. […] », (Ibid., p. 86).
22 « CRIADO. Señor
DIRECTOR. ¿Qué?
CRIADO. Ahí está el público
DIRECTOR. Que pase ». (El público, p. 119).
23 « vestidos de frac exactamente iguales. Llevan barbas oscuras ». (Ibid., p. 122).
24 L’Homme 1, le seul à avoir un nom (Gonzalo) et le plus authentique et celui qui avoue ne pas porter de masque. Eux tous, y compris le Metteur en scène (Enrique) représentent différents degrés par rapport au masque. L’analyse détaillée de ces aspects concernant la conflictivité de l’inconscient en fonction des personnages des Chevaux et des Hommes est faite par Julio Huélamo dans son intéressante étude (op. cit.).
25 Dans la Comédie sans titre, le personnage de l’Auteur fait cette adresse aux spectateurs revendiquant un nouveau théâtre : « Pourquoi devons-nous toujours aller au théâtre pour voir ce qui arrive et non pas ce qui nous arrive ? » (« Por qué hemos de ir siempre al teatro para ver lo que pasa y no lo que nos pasa? », Comedia sin título, Lorca F. G., Obras Completas, vol. II (Teatro), éd. de Miguel García-Posada, Barcelona, Galaxia Gutenberg-Círculo de Lectores, 1997, p. 770.
26 « ¿Cómo orinaba Romeo, señor Director? ¿Es que no es bonito ver orinar a Romeo? ¿Cuántas veces fingió tirarse de la torre para ser apresado en la comedia de su sufrimiento? ¿Qué pasaba, señor Director…, cuando no pasaba? ¿Y el sepulcro? ¿Por qué, al final, no bajó usted las escaleras del sepulcro? Pudo usted haber visto un ángel que se llevaba el sexo de Romeo mientras dejaba el otro, el suyo, el que le correspondía. Y si yo le digo que el personaje principal de todo fue una flor venenosa, ¿qué pensaría usted? ¡Conteste! ». El público, p. 123.
27 « […] ¿qué hago con el público si quito las barandas al puente? Vendría la máscara a devorarme. Yo vi una vez a un hombre devorado por la máscara. […] No me supondrá usted capaz de sacar la máscara a escena ». (Ibid., p. 124).
28 « El escenario se convierte en El público en el vehículo que posibilita este cambio continuo de formas, como si la misma transformación constituyese la característica definitoria de estos personajes ». (Étude préliminaire pour El Público, éd. cit., p. 56).
29 « HOMBRE 1- Pasad adentro, con nosotros. Tenéis sitio en el drama. Todo el mundo. (Al Director) Y tú, pasa por detrás del biombo ». (El público, p. 126).
30 « Quoi qu’il en soit, les parties qui composent un rêve aboutissent à différentes versions du même, soit à partir des mêmes matériaux interprétés autrement, soit à partir de matériaux différents connectés entre eux pour refléter le même avec différente intensité (dans ce cas, chacun des rêves éclaire l’autre ». (« En cualquier caso, las partes que constituyen un sueño abocan a distintas versiones de lo mismo, sea partiendo de los mismos materiales diversamente interpretados, sea partiendo de materiales diferentes que se conectan entre sí para reflejar con distinta intensidad lo mismo (en este caso, cada uno de los sueños ilumina al otro) ». (Huélamo, op. cit., p. 92).
31 En effet, ils ne tolèrent pas l’exhibition de la dynamique de la théâtralité, où, dans l’expression de Óscar Cornago, « ce qui est fondamental dans l’effet de la théâtralité, c’est que cette dynamique de mensonge ou feinte soit rendue visible, c’est-à-dire, que celui qui regarde découvre derrière le déguisement de femme la véritable identité de l’homme ». (« Lo fundamental en el efecto de la teatralidad es que esta dinámica de engaño o fingimiento se haga visible, es decir, que el que mira descubra por detrás del disfraz de mujer la verdadera identidad de hombre », Cornago, op. cit.).
32 « Voilà pourquoi j’ai osé réaliser un très difficile jeu poétique dans l’attente que l’amour brise avec force et donne une nouvelle forme aux costumes ». (« Por eso me atreví a realizar un dificilísimo juego poético en espera de que el amor rompiera con ímpetu y diera nueva forma a los trajes ». (El público, p. 184). Pour ce faire, le Metteur en scène a creusé « le tunnel pour [s]’emparer des costumes et, à travers eux, montrer le profil d’une force cachée lorsque déjà le public n’aurait d’autre remède que prêter attention, rempli d’esprit et subjugué par l’action ». (« Yo hice el túnel para apoderarme de los trajes y, a través de ellos, enseñar el perfil de una fuerza oculta cuando ya el público no tuviera más remedio que atender, lleno de espíritu y subyugado por la acción ». (Ibid.).
33 El « Solo del pastor bobo ». C’est Martínez Nadal qui dénomine de cette façon la scène.
34 « lleva en la cabeza un embudo lleno de plumas y ruedecillas » (El público, p. 179). La critique lorquienne a très justement vu dans la représentation de ce personnage une présence intertextuelle du célèbre tableau de Jérôme Bosch Le jardín des délices, très admiré par García Lorca.
35 « En el centro, un gran armario lleno de caretas blancas de diversas expresiones », (El público, p. 179).
36 Il y a dans tout cela un côté attirant qui n’est autre que l’attraction et vertige de l’abîme. Comme le souligne Cornago dans son étude sur les paradigmes de la théâtralité « Cela nous invite à aller au-delà, nous intrigue à propos du secret que les masques gardent ; mais lorsque l’on s’en rapproche ce que l’on découvre c’est la limite où commence un vide, où les sens se déséquilibrent, tandis que la tentation de continuer à avancer devient plus intense […]. Cet Autre n’est pas le lieu du désir ou l’aliénation, mais du vertige ». (« Esto nos invita a ir más allá, nos intriga acerca del secreto que guardan las caretas; pero cuando uno se acerca lo que descubre es el límite donde empieza un vacío, donde los sentidos se desequilibran, mientras que la tentación de seguir avanzando se hace más intensa […]. Ese Otro no es el lugar del deseo o la alienación, sino del vértigo ». (Cornago, cit.).
37 Ce petit détail ne me semble nullement anodin, mais bien au contraire : ces toux sont aussi celles des spectateurs au théâtre « réel » (phénomène que l’on y peut observer couramment et qui d’ailleurs est contagieux dans le public). À part l’introduction d’un autre niveau du public dans la pièce (un méta-niveau en fait), l’indication sur les moutons qui bêlent qualifie les spectateurs comme des spectateurs moutons.
38 « Careta,/de los niños que usan la puñeta/y se pudren debajo de una seta./Caretas,/de las águilas con muletas » (El público, p. 179). « Europa se arranca las tetas,/Asia se queda sin lunetas/y América es un cocodrilo/que no necesita careta ». (Ibid., p. 180).
39 Rosanna Vitale voit dans cette référence un paralléllisme avec la scène remplie de chaises vides dans la pièce de Ionesco Les chaises (Vitale R., El metateatro en la obra de Federico García Lorca, Madrid, Pliegos, 1991, p.71). Le théâtre expétimental de Lorca comme préfigurateur du théâtre de l’absurde et notamment de Ionesco a souvent été remarqué par la critique lorquienne.
40 « Cuando los trajes hablan, las personas vivas son ya botones de hueso en las paredes del calvario. » (El público, p. 183).
41 « No ha llegado todavía la hora de que los caballos se lleven un desnudo que yo he hecho blanco a fuerza de lágrimas ». (El público, p. 158).
42 Pour Gwynne Edwards, le Nu rouge est Roméo, non pas celui de Shakespeare, mais construit comme figure lorquienne, « la personnification de l’amour trahi par la mort, une espèce de Christ dolent » (« la personificación del amor traicionado por la muerte, una especie de Cristo doliente […] ». Edwards G., El teatro de Federico García Lorca, Madrid, Gredos, 1983, p. 108.
43 « Sobre el reverso del lecho aparece tendido el Hombre 1, siempre con frac y barba negra ». (El público, p. 173).
44 Pour Edwards, quelque soit l’interprétation que l’on puisse donner au personnage du Nu, la transformation en Homme 1 « prétend être une image d’autres hommes, de nous-mêmes, et puisque nous sommes témoins de son angoisse, nous sommes témoins de la nôtre ». (« Cualquiera que sea la interpretación que se le dé a este personaje, lo que resulta indudable es que al transformarse ante nosotros en el Hombre 1º, pretende ser una imagen de otros hombres, de nosotros mismos, y que al ser nosotros testigos de su angustia, somos testigos de la nuestra propia ». (Ibid.).
45 Voir le chapitre « La verdad como utopía » dans l’étude de Julio Huélamo où il analyse différentes fonctions du masque. La notion de masque peut être appliquée aussi aux différents niveaux de réalité (ceux que je dénomme niveaux scéniques) faisant partie du drame: « Chacun des différents niveaux de réalité se constitue de cette façon comme une surface, comme un masque (c’est moi qui souligne), qui laisse la place à une autre surface dans un processus sans fin dans lequel on ne peut jamais trouver le fonds sur lequel devrait s’asseoir la vérité dernière ». (« Cada uno de los diferentes niveles de realidad se constituye así como una superficie, como una careta, que deja paso a otra superficie en un proceso sin final en el que jamás puede hallarse el fondo en que habría de sustentarse la verdad última ». (Ibid., p. 118).
46 « Tout n’est qu’une question de forme, de masque ». (« Todo es cuestión de forma, de máscara ». (El público, p. 169).
47 « …Y luego… Procurando constantemente que tu estado no se filtre en tu poesía, porque ella te jugaría la trastada de abrir lo más puro tuyo ante las miradas que no deben nunca verlo ». (Cit. par Julio Huélamo, op. cit., p. 73.).
48 « Las voces estaban vivas y sus apariencias también. ¿Qué necesidad teníamos de lamer los esqueletos? ». (El público, p. 168).
49 « ESTUDIANTE 3: ¿Y qué han sacado en claro? Un racimo de heridas y una desorientación absoluta ». (El público, p. 174).
50 « […] El público no debe atravesar las sedas y los cartones que el poeta levanta en su dormitorio. Romeo puede ser un ave y Julieta puede ser una piedra. Romeo puede ser un grano de sal y Julieta puede ser un mapa. ¿Qué le importa eso al público? » (El público, p. 169).
51 « Un espectador no debe formar nunca parte del drama. Cuando la gente va al acuario no asesina a las serpientes de mar, ni a las ratas de agua, ni a los peces cubiertos de lepra, sino que resbala sobre los cristales los ojos y aprende ». (El público, p. 173).
52 « (A mí) no me queda tiempo para pensar si es hombre o mujer o niño, sino para ver que me gusta con un alegrísimo deseo ». (Ibid., p. 175).
53 « A mí no me importan las discusiones sobre el amor o el teatro. Yo lo que quiero es amar ». (Ibid., p. 147).
54 « La desorientación que producen en el espectador estas características – y por tanto la potenciación del dramatismo que llevan consigo – se intensifica además por la estructura quebrada de la pieza. […] De este modo, la acción perteneciente al mundo objetivo, iniciada en el despacho del Director al comienzo de la obra, se ve interrumpida al final del cuadro primero por la entrada del teatro bajo la arena, al tiempo que esta acción, llevada a cabo por Elena, el Director y los tres Hombres (ya transformados al pasar por detrás del biombo) se quiebra bruscamente en el cuadro segundo por el diálogo entre la Figura de Pámpanos y la de Cascabeles. Éstos, a su vez, son el desdoblamiento de los principales personajes del teatro bajo la arena, iniciado en el cuadro anterior. Igualmente, esta última acción se rompe en el cuadro tercero con la reaparición de Elena y el resto de personajes del verdadero teatro, quebrándose, en el cuadro quinto, con lo que está sucediendo en el interior del teatro al aire libre, que, a su vez, contrasta con la acción del último cuadro, de nuevo en el despacho del Director ». (El público, p. 73)
55 « Es rompiendo todas las puertas el único modo que tiene el drama de justificarse, viendo, por sus propios ojos, que la ley es un muro que se disuelve en la más pequeña gota de sangre. […] El verdadero drama es un circo de arcos donde el aire y la luna y las criaturas entran y salen sin tener un sitio donde descansar ». (Ibid., p. 185).
56 « C’est ainsi que prend son sens que la mort du Metteur en scène s’accompagne, dans son entrée dans les domaines funéraires, d’une silencieuse ovation (je parle des gants aux mains absentes qui tombent à la fin de la pièce) de ce nouveau public auquel il va faire face dans une parcelle inédite du drame. La spectrale ovation, si différente des applaudissements faciles que le Metteur en scène poursuivait dans son théâtre conventionnel, pourrait bien être la reconnaissance des morts pour cet essai d’aide reçu, même si celui-ci a été frustré […]. Même pas la mort n’offre d’issue, ou, mieux, il n’existe pas d’issue ». (« Así adquiere sentido que la muerte del Director sea acompañada, en su entrada en los dominios funerarios, por una silenciosa ovación (me refiero a los guantes de manos ausentes que caen al final de la obra) de ese nuevo público al que va a enfrentarse en una parcela inédita del drama. La espectral ovación, tan distinta del fácil aplauso que el Director perseguía en su teatro convencional, bien podría ser el reconocimiento de los muertos por el intento de ayuda recibido, aunque haya sido frustrado […]. Ni siquiera la muerte ofrece la salida, o, mejor, la salida no existe ». (Huélamo, op. cit., p.112-113).
57 « La pretensión de Lorca es crear un teatro donde no haya representación sino presentación de conflictos « reales » : Gómez M., « El teatro imposible. Lectura crítica de El Público de Federico García Lorca », https://www.academia.edu/ (consulté le 30 mai 2019).
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A propos de : Concepción Pérez-Pérez
María Concepción Pérez Pérez est professeur des universités à l'Université de Séville, où elle enseigne Littérature Française et Littérature Comparée. Son domaine initial de recherche a été le XVIIIe siècle français, particulièrement la littérature libertine, mais elle a travaillé sur des auteurs très divers à partir du XVIIIe siècle. Elle est particulièrement intéressée par les frontières entre les genres et l'écriture hétérodoxe, et a promu la création du master officiel en Arts du spectacle vivant à l'Université de Séville, ayant coordonné aussi la filère du Master européen Erasmus Mundus en Arts du spectacle vivant.