Au nom de l’amour
Université d’Amsterdam
Images de la » mixité conjugale « dans la campagne d’affichage Zelfgekozen
1En mai 2017, la ville de Rotterdam a lancé une campagne d’affichage intitulée Zelfgekozen. Cette initiative d’un conseiller municipal du parti d’extrême-droite Leefbaar Rotterdam, réalisée en collaboration avec les ONG Femmes for Freedom, Veilig Thuis et DonaDaria, a été soutenue par la majorité du conseil municipal de Rotterdam. La campagne, dont le titre peut être traduit approximativement par « choisi par soi-même », se compose de quatre affiches représentant chacune un couple en train de s’embrasser devant le pont Erasmus, symbole de la ville de Rotterdam. Les images sont accompagnées de l’affirmation suivante : « Aux Pays-Bas, on choisit son partenaire » ainsi que de la question : « Te sens-tu libre de choisir ? » Les couples représentés n’ont pas été choisis au hasard parmi les couples de Rotterdam. Au contraire, ils ont été soigneusement sélectionnés pour représenter des différences ethniques, culturelles et religieuses à travers des signifiants religieux, culturels et phénotypiques tels qu’un hijab, une kippa, un long caftan brodé, ou encore la couleur des cheveux et de la peau. Ces signifiants sont utilisés pour transmettre un message : toutes ces personnes sont en relation amoureuse avec quelqu’un d’extérieur à leur groupe ethnique, culturel et/ou religieux (présumé) ; elles sont donc engagées dans des unions dites « mixtes » (en néerlandais : « gemengde relaties »). Bien que la campagne soit une initiative locale et que les affiches n’aient été exposées que dans l’espace public de Rotterdam, elle a suscité beaucoup de débats et a attiré l’attention des médias à travers tout le pays. La campagne a fait polémique à la télévision publique nationale et a fait l’objet de reportages et de discussions dans la presse écrite et en ligne.
2Dans cet article, j’analyserai cette campagne et la façon dont elle a été discutée. Je m’intéresserai en particulier à certaines représentations dominantes forgées au sein et à propos de la nation néerlandaise. Je souhaite contribuer à une compréhension analytique de la façon dont les débats publics sur la « mixité » participent en réalité le plus souvent d’une critique directe de la communauté musulmane. J’entends ainsi apporter un nouvel éclairage sur l’exceptionnalisme sexuel néerlandais en prêtant une attention particulière à la manière dont la race, la religion, la sexualité et le genre sont intriqués dans la logique de mixité valorisée par la campagne Zelfgekozen.
La campagne Zelfgekozen et la figure de la femme musulmane
3La campagne Zelfgekozen comprend au total quatre affiches similaires, présentant chacune quelques variations (voir les images 1 à 4). Toutes les images incluent un baiser intime entre des couples, le célèbre pont Erasmus de Rotterdam en arrière-plan et les textes « Aux Pays-Bas, on choisit son partenaire » et « Te sens-tu libre de choisir ? ». Le message transmis à travers ces textes implique ainsi à la fois une affirmation normative (« voilà comment le choix de partenaire fonctionne dans ce pays ») et une question introspective posée au spectateur ou à la spectatrice (« comment cela se passe-t-il pour toi ? »). Sur deux des affiches (images 1 et 2), la partenaire féminine d’un couple hétérosexuel est une femme musulmane, reconnaissable au fait qu’elle porte un hijab. Sur la première affiche, la femme embrasse un homme juif, que l’on peut reconnaître à sa kippa. Sur la seconde affiche, une autre femme musulmane embrasse un homme blanc aux cheveux blonds. La troisième affiche (image 3) représente également un moment d’intimité d’un couple hétérosexuel composé d’une femme à la peau mate avec de longs cheveux noirs et lisses, a priori originaire d’Asie du Sud, et d’un homme noir à la peau plus foncée1. Enfin, la quatrième affiche montre deux femmes échangeant un baiser. L’une est blonde et porte une blouse rose, tandis que l’autre a les cheveux noirs et porte une longue robe brodée, d’un bleu profond, qui s’apparente à un caftan ou une takchita, ainsi que de nombreux bijoux. Sur toutes les affiches, les couples sont pleinement concentrés l’un·e sur l’autre, plutôt que sur la personne les regardant. Les affiches nous donnent à contempler ces couples, leur intimité, la ville de Rotterdam, et à méditer sur l’affirmation et la question posée.
4Au-delà du contenu des affiches, il est pertinent de se pencher sur la manière dont les organisateurs et organisatrices ont justifié la création de la campagne, sa pertinence et son importance. Ronald Schneider, le conseiller de Leefbaar Rotterdam, et Shirin Musa, la présidente de l’ONG Femmes for Freedom, expliquent, tout au long de la couverture médiatique de la campagne, comment et pourquoi cette dernière a été mise en place. Schneider met l’accent sur l’importance d’être stimulant, de susciter une réaction (prikkelend) et d’inciter au débat sur le sujet du choix du ou de la partenaire2. Bien que le message selon lequel tout le monde est libre de choisir son ou sa conjoint·e aux Pays-Bas semble évident, il ne l’est pas pour tout le monde, souligne-t-il. Schneider fait ici référence en particulier aux femmes musulmanes et au fait que, pour celles-ci, comme sur l’affiche, tomber amoureuse d’un homme juif ne devrait pas susciter de gêne à aller chez lui, à lui tenir la main dans la rue, à l’embrasser devant le pont Erasmus3. La campagne, d’après Schneider, a délibérément été créée pour représenter des couples qui « peuvent s’attendre à des problèmes dans leurs cercles sociaux », et s’est particulièrement concentrée sur des femmes « de certaines cultures et avec une certaine éducation religieuse », comme écrit dans le quotidien de Volkskrant4. D’autres commentaires sur cette campagne n’utilisent pas ces termes, mais font spécifiquement référence à des femmes de « communautés musulmanes », de « communautés patriarcales », et à des personnes « issues de l’immigration5 ».
5Les propos de Shirin Musa dans les médias néerlandais ont souvent présenté la campagne sous l’angle d’un discours sur les droits des femmes. Dans une tribune, elle résume le message de la campagne de la façon suivante : « Aborder le droit du libre choix du conjoint ou de la conjointe pour tout le monde6. » Bien que Musa ait fait état de l’importance de ce droit pour « tout le monde », plus loin dans l’article elle fait en particulier référence aux femmes et aux filles de « communautés musulmanes et autres communautés patriarcales ». Il est important de lutter spécifiquement pour leurs droits humains fondamentaux, affirme Musa. Aborder ce sujet à travers un débat est « une étape essentielle dans l’émancipation des femmes de ces communautés7 ». Elle a souvent mentionné le « droit à l’autodétermination », le « droit de tomber amoureux » et « le droit de se peloter » (« recht op friemelen8 »). En outre, il apparaît clairement à travers la tribune de Musa et les autres récits diffusés dans les médias que la campagne ne vise pas seulement à promouvoir la « liberté » du choix du ou de la conjoint·e, mais qu’elle a été créée spécifiquement en opposition aux mariages forcés et aux violences liées à l’honneur. Car, selon Musa, lorsque les femmes entament une relation amoureuse comme celles représentées dans la campagne, elles sont susceptibles d’être victimes de leur entourage masculin9. En plus de l’accent mis sur les droits humains et particulièrement les droits des femmes, Musa positionne explicitement la campagne comme féministe et l’inscrit dans le sillage des militantes féministes néerlandaises de la seconde vague, les Dolle Mina, et de leur slogan pro-choix « Baas in eigen Buik » (littéralement : « chef dans mon propre ventre ») des années 196010.
6À travers l’intertextualité du matériel visuel, du texte d’accompagnement et des récits des organisateurs et organisatrices sur la pertinence de la campagne, il est évident que dans la question « Te sens-tu libre de choisir ? », le tu n’est pas censé s’adresser à n’importe qui, mais à une personne spécifiquement genrée et racialisée11. Comme l’ont aussi souligné Shifra Kisch, Annelies Moors et Rahma Bavelaar12, c’est un sujet particulier qui est mis au centre de cette campagne, à savoir celui des femmes musulmanes. Cette figure de la femme musulmane n’est pas toujours nommée explicitement, mais elle est convoquée via une nette représentation des femmes musulmanes sur la majorité des affiches. De plus, cette surreprésentation s’accompagne des déclarations des initiateurs et initiatrices de la campagne dans les médias néerlandais à propos de la culture, la religion, la communauté et le statut migratoire. La femme musulmane est celle qui fait partie d’une communauté patriarcale, a une culture particulière et une expérience migratoire. Surtout, la femme musulmane n’est pas libre et a besoin d’être libérée de l’oppression exercée par les hommes de sa communauté. Cette figure de la femme musulmane opprimée n’est pas une nouveauté, de même que son instrumentalisation par des mouvements féministes libéraux qui en soulignent le manque d’agentivité et de liberté13. Nous pourrions analyser cette campagne en nous focalisant entièrement sur cette figure, mais ce qui est particulièrement intéressant dans la campagne Zelfgekozen est son enchevêtrement avec le concept de mixité. Dans ce qui suit, je me focaliserai sur la manière dont les démonstrations d’affection en public entre des couples mixtes sont présentées comme l’incarnation de la liberté, de l’émancipation et de l’autodétermination des femmes musulmanes.
La mixité en tant que transgression
7Afin de comprendre pourquoi une campagne qui est supposée se concentrer sur la liberté, l’émancipation et l’auto-détermination d’un sujet particulier, racialisé et genré, le fait à travers la focale de la mixité, il est important de disposer d’abord d’une compréhension un peu plus générale des discours et des représentations des mariages mixtes et des relations amoureuses aux Pays-Bas. Dans la métropole néerlandaise et dans l’empire néerlandais, les mariages et les relations mixtes ont été historiquement considérés de différentes manières. À différentes périodes de l’empire néerlandais, des modalités de régulations des mariages mixtes ont été largement utilisées et ont connu des évolutions : interdictions juridiques totales, ségrégation spatiale et juridique des groupes, conseil conjugal prémarital, répercussions sur la citoyenneté et lois migratoires14. Ces réglementations ont majoritairement été justifiées par le fait que les femmes blanches néerlandaises avaient besoin d’être protégées des relations amoureuses et intimes avec des hommes non blancs. Ces inquiétudes ont d’abord été exprimées dans les colonies néerlandaises, puis plus tard également aux Pays-Bas suite à l’arrivée de travailleurs migrants et post-coloniaux. Ce danger perçu pour les femmes blanches était souvent articulé à des normes familiales, de classe et de race : les hommes racialisés étaient soupçonnés d’avoir des mœurs et des besoins sexuels qui ne correspondaient pas à l’idéal du mariage amoureux monogame et hétérosexuel de la classe moyenne. On considérait alors que les femmes blanches avec qui ils pouvaient entamer une relation intime manquaient d’agentivité et d’autodétermination pour atteindre cet idéal, une fois « tombées dans les bras » de ces hommes15.
8Outre des relations franchissant des limites racialisées, la mixité au sein de la métropole néerlandaise se référait souvent aux mariages entre personnes de « piliers » différents (zuilen), et particulièrement aux mariages entre catholiques et protestants. Le terme « gemengd huwelijk », ou « mariage mixte », a longtemps fait référence aux unions entre partenaires d’églises chrétiennes différentes, avant de faire référence aux mariages « interethniques ». Jusqu’aux années 1970, le mariage œcuménique était un sujet d’intérêt pour nombre de chercheurs affiliés aux différentes églises16. En outre, du fait de l’inscription de la confession religieuse (kerkelijke gezindte) de chaque répondant·e et de son ou sa partenaire pour le recensement national, il était possible de déterminer le nombre de mariages mixtes dans le cadre des statistiques de la population. Ce fut le cas pour les recensements de 1947, 1960 et 197117. Dans l’organisation pilarisée des Pays-Bas, où la vie sociale s’inscrit pour une large part dans les limites d’un de ces piliers, ces mariages étaient souvent considérés comme problématiques et indésirables. Le célèbre proverbe néerlandais, « Lorsque deux croyances partagent le même oreiller, c’est que le diable dort entre les deux18 » (« Twee geloven op een kussen, daar slaapt de duivel tussen ») en est significatif. Dans les recherches sur les mariages mixtes, la plupart effectuées par des chercheurs affiliés à l’Église catholique ou à l’Église réformée19, on trouve également une problématisation claire des mariages mixtes qui dépassent les différences religieuses. Le mariage est alors décrit comme la relation humaine la plus intime, qui requiert des visions, des valeurs, des normes et des modes de vie qui sont en harmonie les uns avec les autres. C’est précisément la différence de religion ou de « modèle culturel » qui peut mettre en danger l’unité du mariage. De plus, un nombre croissant de mariages mixtes était considéré comme un danger potentiel pour les identités de groupe et donc pour la communauté religieuse20. L’intérêt intellectuel et public pour les mariages mixtes (entre piliers) se tarit toutefois à partir des années 1970, une période que de nombreux intellectuels qualifient « de dépilarisation », tant l’importance culturelle et institutionnelle des piliers n’a cessé de décliner depuis lors.
9En analysant les discours actuels sur les mariages et les relations mixtes, nous pouvons voir que le terme « gemengde huwelijken/relaties » se réfère non plus aux mariages entre personnes de confessions chrétiennes différentes, mais qu’il revêt aujourd’hui une forte connotation raciale. La définition contemporaine dominante de la mixité est fermement liée à des classifications de populations dominantes, ainsi qu’aux politiques et aux discours sur l’intégration. Même s’il n’existe pas d’inscription officielle de race ou d’ethnicité dans les statistiques de la population aux Pays-Bas, le lieu de naissance de chaque habitant·e ainsi que de ses parents sont inscrits dans les registres municipaux. Cela autorise le bureau des statistiques gouvernementales à avoir accès aux données enregistrées, lui permettant de distinguer les personnes selon leur expérience migratoire, indiquée comme autochtoon (autochtone) ou allochtoon (allochtone)21. Une personne « autochtone » est définie comme étant née aux Pays-Bas et dont les deux parents sont également nés dans le pays. « Allochtone » se réfère strictement à quiconque est né en dehors des Pays-Bas ou ayant au moins un parent né en dehors des Pays-Bas. Cependant, le terme sous-entend généralement « non occidental » et implicitement « non blanc » ; il est d’ailleurs utilisé pour faire référence aux quatre « communautés de migrant·e·s » les plus importantes aux Pays-Bas : les personnes aux origines surinamaises, antillaises, marocaines ou turques. Il est également de plus en plus utilisé pour les réfugié·e·s et migrant·e·s récent·e·s du Sud, personnes considérées comme « non occidentales ». En comprenant la racialisation à travers les travaux de Stuart Hall, qui décrit la race comme un signifiant glissant, nous pouvons dire que la catégorisation autochtoon/allochtoon produit une distinction racialisée entre une population majoritairement blanche « d’origine » et des populations minoritaires non blanches rendues par essence étrangères et « non occidentales22 ». C’est précisément cette limite raciale décrétée entre ces populations d’autochtones et d’allochtones qui est censée être transgressée au sein d’une relation mixte. Dans de nombreuses publications, qu’il s’agisse de textes politiques, de rapports de recherches ou de travaux journalistiques, le terme « gemengde huwelijken/relaties » est utilisé pour désigner des relations entre un·e partenaire blanc·he/néerlandais·e/autochtone et un·e partenaire non blanc·he/migrant·e/allochtone. Ceci signifie qu’un mariage ou une relation mixte peut impliquer deux citoyen·ne·s néerlandais·es, du moment que l’un·e possède une supposée « origine migratoire » et que l’autre non. De même, une relation entre deux personnes qui ont toutes deux une « origine migratoire », bien que différentes, n’est souvent pas considérée comme pertinente, puisque c’est précisément cette limite entre allochtone et autochtone qui doit être « franchie ».
10Il est raisonnable de dire que dans l’ensemble des « archives culturelles23 » néerlandaises, la mixité a été articulée de façon très différente, mais que lorsqu’elle fait l’objet de questionnements et d’inquiétudes, elle est alors comprise comme la transgression de limites racialisées et religieuses. Il est important de noter que le « phénomène » des mariages et des relations mixtes ne peut pas être situé dans n’importe quelle société. Au contraire, les discours sur les mariages et relations mixtes nous indiquent les catégories socialement construites qui sont considérées comme politiquement pertinentes à un moment et à un endroit particuliers. Ils nous en disent beaucoup sur la manière dont la société s’envisage, se rêve et se perçoit. Le trope de la mixité peut ainsi constituer un prisme à travers lequel nous pouvons déconstruire les imaginaires sociaux de la société néerlandaise, de la nation et des populations racialisées. Il nous reste à nous demander : que fait le trope de la mixité à ces imaginaires dans la campagne Zelfgekozen, et comment est-il entremêlé à la figure de la femme musulmane ?
La mixité en tant que » rêve multiculturel « d’une nation sexuellement exceptionnelle
11Ce qui ressort immédiatement de la campagne Zelfgekozen est que la transgression de la mixité n’est pas problématisée mais, au contraire, idéalisée. Bien que les mariages et relations mixtes aient été historiquement considérés comme des risques potentiels, ils sont désormais présentés comme le moyen pour que l’amour et la liberté prévalent. Pendant ma recherche sur les discours contemporains portant sur les relations mixtes, j’ai trouvé de nombreux exemples dans lesquels la mixité était présentée comme un idéal désirable. Dans ces discours, les relations mixtes sont vues comme une preuve que l’amour transcende toute différence, et comme une affirmation forte suivant laquelle trouver un partenaire devrait toujours être purement et simplement une question d’amour entre deux individus. Toutefois, il y avait simultanément dans de nombreux débats et conversations sur le sujet une reconnaissance nette selon laquelle les mariages et relations mixtes étaient particulièrement sujets aux difficultés, épreuves et autres échecs. C’est pourquoi j’affirme qu’il y a en fait une importante dynamique relationnelle entre la célébration et la problématisation des relations mixtes. Cette dynamique est maintenue par la description de la mixité comme une transgression risquée de différences essentialisées et racialisées.
12Un exemple dans lequel ces deux aspects contradictoires apparaissent clairement est l’introduction du livre Let’s Make Love: kleurrijke koppels over liefde, cultuur, seks, god en familie24, qui inclut de nombreuses histoires de couples mixtes, chacune rédigée par un journaliste différent25. Les éditeurs du livre expliquent qu’ils veulent proposer une vision alternative au « drame multiculturel » largement débattu aux Pays-Bas. Ils affirment qu’en dépit des aspects négatifs de la société multiculturelle, les couples mixtes montrent les possibilités de « se mélanger ensemble ». Ainsi, ils souhaitent montrer à quoi ressemblent « les vies de partenaires amoureux de mondes différents », quels sont les obstacles et les risques qui existent, et pourquoi les relations échouent. « Faisons l’amour, d’accord, mais comment ? », écrivent-ils dans leur introduction. À la fin de celle-ci, un couple, composé de Maarten et Sofia, est décrit comme illustrant « l’incarnation du rêve multiculturel26 ». Pourtant, écrivent les auteurs, le couple avait demandé le divorce au moment de la publication du livre, montrant ici encore les nombreuses embûches des relations mixtes.
13Ce discours sur la mixité comme quelque chose à célébrer et à encourager et, en même temps, propice à l’échec et au conflit résonne fortement dans la campagne Zelfgekozen. Nous l’avons clairement vu lorsque Shirin Musa et Tanya Hoogwerf, une autre politicienne locale de Leefbaar Rotterdam (le parti d’extrême droite), ont été invitées à parler de la campagne dans Pauw, un talk-show largement suivi et diffusé aux heures de grande écoute27. Tout au long de l’émission, la liberté de choix du partenaire et la mixité ont été présentées comme quelque chose d’évident et de normal aux Pays-Bas. Affirmation déjà perceptible dans la première question posée par l’animateur Jeroen Pauw :
Quel est le message ici, exactement : « Aux Pays-Bas, on choisit son partenaire » ? Bon, honnêtement, pour ma part, il me semble qu’on le savait déjà, non ?
14Ce à quoi Musa répond, visiblement émue et enthousiasmée par les affiches :
Eh bien, ce sont vraiment de belles affiches. À chaque fois que je les vois, cela me rend tellement heureuse, je ne sais pas où regarder, cette affiche est belle, et celle-là aussi. Ce sont différents couples qui s’aiment, qui s’embrassent, parce que c’est permis aux Pays-Bas !
15Elle ajoute ensuite que la liberté de choix du partenaire existe aux Pays-Bas, contrairement à beaucoup d’autres pays, qu’elle peut être considérée comme garantie, bien que ce ne soit souvent pas le cas lorsqu’il s’agit « d’hommes et de femmes de communautés patriarcales ». Lors de l’émission, le ministre démissionnaire des Affaires sociales et de l’Emploi Lodewijk Asscher était également présent, bien qu’invité pour un autre sujet. Lorsque l’animateur Jeroen Pauw, qui l’a présenté comme le « ministre de l’Intégration », lui a demandé son avis sur la campagne, Asscher a qualifié les affiches de belles, émouvantes, mais également de « trop belles pour être vraies dans de nombreux cas ». Il a ajouté qu’il est important « de célébrer ce qui est autorisé aux Pays-Bas, et de faire en sorte que les gens osent faire usage de ce droit qu’ils possèdent, alors qu’ils ne l’osent souvent pas ».
16Il ressort de ceci que les récits de célébration de la mixité ne sont pas tant faits pour célébrer les couples, mais plutôt pour célébrer la nation néerlandaise comme exceptionnellement tolérante, libre et ouverte d’esprit. Ce constat trouve un écho remarquable dans les observations de Jin Haritaworn, selon qui « la mixité et le multiculturalisme sont tous deux en train d’être réinventés comme les caractéristiques d’une nation tolérante », et « les discours publics sur la multiracialité renforcent les fantasmes exceptionnalistes qui présentent des États-nations particuliers comme le sommet de la civilisation et qui néanmoins se fondent expressément sur un fantasme partagé de “l’Occident”28 ». La campagne Zelfgekozen nous permet de considérer ces fantasmes exceptionnalistes comme faisant partie d’un discours d’autosatisfaction de la nation néerlandaise.
17Une grande partie de ce que l’on observe au sein de la campagne Zelfgekozen illustre ce que Sarah Bracke appelle « l’exceptionnalisme sexuel », mettant ainsi l’accent sur le rôle des politiques sexuelles dans la formation d’une image de soi de la nation néerlandaise29. Les universitaires féministes critiques et décoloniales soulignent depuis longtemps la façon dont le genre et la sexualité constituent des terrains de débats majeurs sur le multiculturalisme dans les pays européens30. Aux Pays-Bas, la mobilisation de mouvements d’émancipation des femmes et des LGBTQI+ constitue également un moyen de construire des limites racialisées d’un « nous » libéral et émancipé qui doit être protégé d’un « autre » non civilisé. L’image de soi des Pays-Bas s’est fortement construite sur l’idée d’un pays qui se bat pour les droits des femmes et doté d’une capitale, Amsterdam, connue comme la « capitale gay » de l’Europe. Les dynamiques que l’on peut reconnaître comme ce que les universitaires appellent l’« homonationalisme » et le « féminationalisme » sont observables dans la manière dont les partis de droite ont récupéré des éléments de politiques émancipatoires dans le but de servir un programme nationaliste et anti-immigration31. L’islam et les musulman·e·s occupent un rôle particulier en tant que « autres » archétypiques, dont les normes et valeurs culturelles semblent « incompatibles » avec les « normes et valeurs occidentales ». D’où le fait que l’exceptionnalisme néerlandais soit marqué par la représentation d’une nation en lutte pour les droits des femmes et des LGBTQI+, censé·e·s requérir une protection contre les étrangers culturels, c’est-à-dire contre les musulman·e·s en particulier32.
18La campagne Zelfgekozen fait écho au cadre de l’exceptionnalisme sexuel en soulignant la tolérance et le libéralisme de la nation sur le terrain des pratiques sexuelles et intimes d’« autres » genré·e·s et racialisé·e·s. Comme nous l’avons vu, cette campagne diffuse l’idée qu’aux Pays-Bas le choix du ou de la partenaire est libre et que l’affection et les relations mixtes sont complètement acceptables, ce qui est doublement souligné par les discussions qui ont accompagné la campagne dans les médias. C’est ici que la figure de la femme musulmane opprimée, n’ayant pas son mot à dire concernant sa propre vie intime et sexuelle, est convoquée pour justifier le fait que, bien que la norme néerlandaise soit claire et nette, « les communautés musulmanes et patriarcales » refusent de se conformer à cette norme. La mixité est ici diamétralement opposée à des mariages et à des pratiques matrimoniales attribués à l’islam et vus comme problématiques et islamiques, tels que ne pas se marier par amour, être marié·e de force ou au sein d’unions arrangées. Il ne s’agit pas d’un phénomène entièrement nouveau, car les pratiques matrimoniales des musulman·e·s ont souvent été vues comme problématiques aux Pays-Bas. Cette perception a été renforcée par diverses polémiques et paniques morales au sujet des mariages entre musulman·e·s, du rôle du mariage civil, ou de ce que l’on appelle les « épouses importées ». Dans nombres de cas, ces polémiques ont mené à des changements politiques concrets visant à réguler les pratiques matrimoniales de cette communauté33. La notion d’amour romantique, comme seul point de départ légitime d’une relation entre deux individus et qui prend forme sans qu’aucun autre facteur n’interfère, joue ici un rôle central. Bien sûr, des éclairages anthropologiques et sociologiques sur les modèles de choix de partenaires ont montré que le fait de trouver un·e partenaire et de se marier peut suivre différents « scénarios », et qu’il s’agit rarement d’un processus purement privé et individualisé, mais bien d’un processus relié à la création d’agencements sociaux et de liens de parenté. La campagne Zelfgekozen postule pourtant un cadre de droits et de valeurs « universels » tels que l’amour romantique et le choix d’un ou d’une partenaire basé uniquement sur l’amour, en opposition aux valeurs et pratiques particularisées et culturalisées des communautés musulmanes patriarcales. Suivant ce que Spivak a observé comme le projet colonial de « sauver les femmes non blanches des hommes non blancs34 », la campagne mobilise la figure de la femme musulmane et la notion de mixité afin de présenter le « soi » comme civilisé, par opposition aux « autres » musulman·e·s qui sont en retard sur cette civilisation.
19La campagne Zelfgekozen nous démontre ainsi l’importance du lien entre les fantasmes exceptionnalistes sexuels et la problématisation des musulman·e·s aux Pays-Bas. Elle nous indique qu’on ne peut pas faire l’économie d’une analyse de la manière dont race, religion, sexualité et genre sont entremêlés. Pour l’analyse de cette campagne, il est crucial de se concentrer sur la figure racialisée de la femme musulmane, puisque des photos d’hommes musulmans en relation intime avec, par exemple, des femmes blanches non musulmanes sont absentes des affiches. Alors qu’il existe, aux Pays-Bas et plus largement en Europe, de nombreux exemples historiques et contemporains de la construction de masculinités racialisées constituant une menace pour les femmes blanches35, nous voyons que cette campagne utilise un angle différemment genré et racialisé. Sa focalisation sur les relations sexuelles, la mixité et le choix d’un·e partenaire peut être vue comme l’expression d’inquiétudes biopolitiques, telles qu’elles ont émergé avec l’administration de l’État moderne et le gouvernement de la vie. Cette préoccupation biopolitique pour la population (nationale) soulève la question de la reproduction sociale et biologique36, qui est une question genrée et racialisée, souvent centrée sur les femmes. Celles-ci sont en effet souvent considérées comme celles qui, au sein de la population, maintiennent et transmettent les normes, pratiques et traditions culturelles désirées et idéalisées. Si nous creusons encore davantage, nous voyons que les femmes musulmanes et leurs communautés sont les cibles à discipliner et à « éduquer » pour qu’elles adoptent des comportements sexuels convenables. Pour comprendre les mécanismes du biopouvoir dans les États modernes, il faut mobiliser une analyse biopolitique qui inclut
une notion de sexe, qui opère à la jonction entre le corps (discipliné) et la population (régulée), et un processus de différenciation sexuelle, qui rend compte de la reproduction de la race et de la différenciation raciale tout au long de la construction des identités et des mythes nationaux37.
20Ce que la campagne Zelfgekozen affirme ainsi, c’est que dans l’imaginaire biopolitique qu’elle produit, la différenciation sexuelle et les catégories de genre sont profondément racialisées.
Conclusion : imaginer des futurs post-raciaux et sécularisés
21Dans cet article, j’ai démontré que c’est précisément la mobilisation de figures et de stéréotypes spécifiquement racialisés et genrés, à savoir la femme musulmane opprimée et la mixité comme transgression, qui permet de renforcer l’idée d’une nation néerlandaise exceptionnellement libre et tolérante sur le plan de la sexualité. Pour faire un pas de plus, il serait intéressant d’interroger la dimension temporelle de la campagne Zelfgekozen, ou en d’autres termes : ce que la campagne fait à l’imagination du futur de la nation néerlandaise. Dans la campagne, les Pays-Bas sont clairement imaginés comme une nation où l’amour romantique devrait prévaloir, quelles que soient les différences religieuses, ethniques ou culturelles, mais aussi quels que soient les obstacles considérés comme inhérents à toute relation mixte. Lorsque Musa et le ministre démissionnaire Asscher affirment, durant l’émission Pauw, se sentir touchés par les démonstrations d’amour et d’intimité des affiches, cela semble venir de la possibilité d’imaginer un futur où la société néerlandaise a surmonté toutes les différences, de la même manière que les éditeurs de Let’s Make Love évoquent un couple mixte comme « l’incarnation du rêve multiculturel ». Les affiches sont censées représenter ce que les Pays-Bas ne sont pas encore tout à fait, mais devraient devenir : une nation véritablement sans préjugés raciaux et où les différences religieuses, culturelles et ethniques sont complètement absentes de la sphère intime. Comme nous l’avons vu, la campagne suit une logique d’argumentation selon laquelle ce sont les sujets et les populations musulmanes genrés et racialisés qui sont les obstacles par excellence à cette ambition nationale et dont on doit faire un exemple, afin de les discipliner et de les transformer en d’honnêtes citoyens.
22Dans de nombreux États-nations libéraux occidentaux, un certain idéal post-racial accompli est largement accepté, tant à droite qu’à gauche du spectre politique38. Son idée directrice est que le racisme a fait partie des horreurs de la seconde guerre mondiale, et que la race, qui s’est avérée être un mythe, n’a plus de pertinence et ne constitue plus une barrière au succès et à la réussite des minorités contemporaines. En d’autres termes, le racisme est considéré comme une question de préjugé personnel, et il est de plus en plus individualisé et dépolitisé39. Cela va de pair avec la problématisation de la « société multiculturelle », souvent formulée comme une critique légitime de la différence culturelle, et rarement considérée comme une forme de racisme. Ce tournant culturaliste, à l’œuvre dans de nombreux pays européens, n’est pas tant un éloignement du « véritable » racisme biologique, mais constitue en fait une adaptation dans le processus de racialisation de groupes spécifiques, ainsi considérés comme des étrangers culturels40. En d’autres termes, comme l’indique Nadia Fadil, « la post-racialité adopte de nouveaux types de subjectivités racialisées » et « plus que toute autre formation culturelle, l’islam semble être devenu ce à travers quoi se jouent les problèmes multiculturels contemporains41 ».
23Aux Pays-Bas, le multiculturalisme a en effet régulièrement été considéré comme un échec depuis les années 1980. Ce constat a le plus souvent été formulé en vertu d’une logique civilisationnelle qui met l’accent sur un « choc des cultures », particulièrement entre « l’Occident » et l’islam42. Cela est allé de pair avec la déclaration de fin de la pilarisation, laquelle fonctionnait autrefois comme une forme de gouvernementalité séculaire, organisant toutes sortes d’institutions et d’associations sociales en conformité avec des dénominations religieuses43. L’idée dominante était que les Pays-Bas avaient franchi cette étape de la sécularisation et s’étaient éloignés de cette gestion institutionnalisée qui autorisait autrefois les minorités à préserver leur identité propre. Depuis lors, des questions de société brûlantes ont été reformulées comme des questions sur la crise présumée du multiculturalisme, soulignant et problématisant des différences ethniques et culturelles, des incompatibilités culturelles et une problématisation spécifique de l’islam et des musulman·e·s. Le rôle de la figure du musulman ou de la musulmane aux Pays-Bas, et plus largement en Europe, ne devrait ainsi pas être ignoré dans nos analyses des articulations du post-racialisme44. Dans certaines représentations du futur de la nation, telles que la campagne Zelfgekozen, qui incluent des notions de célébration d’« un amour qui ne connaît pas de couleur45 », cela vaut la peine d’analyser plus avant la manière dont les idéaux post-raciaux sont entremêlés aux discours sur le futur du multiculturalisme et de la sécularisation. Aux Pays-Bas, cela nécessite une focalisation spécifique sur le rôle de la (dé)pilarisation et des formes de gouvernementalité séculaire46 en lien avec les notions dominantes d’absence de préjugés raciaux et d’innocence47. Comme je l’ai montré dans cet article, de telles analyses exigent continuellement de tenir compte du fait que la race, la religion, la culture, le genre et la sexualité ne peuvent être désenchevêtrés ou détachés les uns des autres si nous voulons comprendre la formation de ces questions, inquiétudes et imaginaires biopolitiques contemporains.
24Ce travail a été réalisé dans le cadre du programme de recherche « EnGendering Europe’s “Muslim Question” » (projet no 016.Vici.185.077), financé par la Nederlandse Organisatie voor Wetenschappelijk Onderzoek (NWO).
25Il a été traduit de l’anglais par Christelle Compte.
Notes
1 Le couple nous rappelle ici le film Wan Pipel (1976), qui narre l’histoire d’amour entre Roy, afro-surinamais, et Rubia, indienne-surinamaise. Lors de la sortie du film, les tensions entre les communautés afro-surinamaise et indo-surinamaises étaient fortes, et le film brisa le tabou en représentant le couple mixte de Roy et Rubia.
2 Voir les propos tenus par Schneider dans différents journaux : Nadia Berkelder, « Rotterdam voert actie voor seksuele vrijheid », Algemeen Dagblad, 24 mai 2017, URL : https://www.ad.nl/rotterdam/rotterdam-voert-actie-voor-seksuele-vrijheid~a89dfab8/, Sheila Kamerman, « Zoenende moslima’s hangen door heel Rotterdam », NRC, 24 mai 2017, URL : https://www.nrc.nl/nieuws/2017/05/24/zoenende-moslimas-hangen-door-heel-rotterdam-10051938-a1560247 et Janny Groen, « Poster met zoenende moslima en joodse jongeman moet laten zien: dit is normaal in Rotterdam », de Volkskrant, 25 mai 2017, URL : https://www.volkskrant.nl/nieuws-achtergrond/poster-met-zoenende-moslima-en-joodse-jongeman-moet-laten-zien-dit-is-normaal-in-rotterdam~bf9a7a52/
3 Janny Groen, art. cit.
4 Ibid.
5 Nadia Berkelder, art. cit. ; Mark Hoogstad « Friemelen », Algemeen Dagblad, 27 mai 2017, URL : https://www.ad.nl/rotterdam/friemelen~a3fa47e8/ ; Shirin Musa, « Opinie: Wie vrouwenrechten niet op de agenda wil zetten, moet zich schamen », de Volkskrant, 30 mai 2017, URL : https://www.volkskrant.nl/columns-opinie/opinie-wie-vrouwenrechten-niet-op-de-agenda-wil-zetten-moet-zich-schamen~bb02396a/ ; Sheila Kamerman, art. cit.
6 Shirin Musa, art. cit.
7 Ibid.
8 Nadia Berkelder, art. cit., Mark Hoogstad, art. cit., Shirin Musa, art. cit.
9 Nadia Berkelder, art. cit. ; Elif Isitman, « Poster met zoenende moslima oogst kritiek maar toch vooral lof », Elsevier, 25 mai 2017, URL : https://www.elsevierweekblad.nl/nederland/achtergrond/2017/05/posters-met-zoenende-moslima-oogst-kritiek-maar-toch-vooral-lof-507185/ ; Shirin Musa, art. cit. ; Janny Groen, art. cit.
10 Janny Groen, art. cit.
11 Stuart Hall, « The Spectacle of the Other », Representation. Cultural Representation and Signifying Practices [1997], sous la direction de Stuart Hall, Londres, SAGE Publications Ltd, 1998, p. 233. Aux Pays-Bas, parler de race (« ras ») est explicitement tabou depuis la seconde guerre mondiale. Lorsque ce terme est utilisé, on part souvent du principe qu’il se réfère aux différences biologiques et phénotypiques entre les personnes (voir par exemple Gloria Wekker, White innocence: Paradoxes of colonialism and race, Durham, Duke University Press, 2016 et Amade M’charek, « Beyond fact or fiction: On the materiality of race in practice », Cultural Anthropology, 28[3], 2013, p. 420–442). En utilisant la racialisation en tant que concept analytique dans cet article, je ne fais pas référence à cette vision dominante de la race comme biologique, mais aux processus qui sous-tendent la production d’« autres » problématisés et subordonnés en relation avec les conceptions dominantes du sujet. Une variété de marqueurs religieux, linguistiques, ethniques, biologiques et culturels peuvent jouer un rôle dans ces processus de racialisation. Ils ont souvent été historiquement co-constitutifs de catégories et hiérarchies racialisées (voir Anya Topolski, « The Race-Religion Constellation: A European Contribution to the Critical Philosophy of Race », Critical Philosophy of Race, 6[1], 2018, p. 58 ; voir aussi Alana Lentin, « Chapter 49: “Race” », Sage Handbook of Political Sociology, sous la direction de William Outhwaite et Stephen Turner, Thousand Oaks, Sage, 2018, p. 860–877).
12 Shifra Kisch, Annelies Moors et Rahma Bavelaar, « The intimate politics of publicly staging “mixed couples” », texte présenté lors de la conférence Islamic Visualities and In/Visibilities: Reimagining Public Citizenship?, Université de Leiden, 14 décembre 2017.
13 Lila Abu-Lughod, « Do Muslim women really need saving? Anthropological reflections on cultural relativism and its others », American anthropologist, 104(3), 2002, p. 783–790, DOI : https://doi.org/10.1525/aa.2002.104.3.783. Saba Mahmood, « Feminist theory, agency, and the liberatory subject. Some reflections on the Islamic revival in Egypt », Temenos-Nordic Journal of Comparative Religion, 42(1), 2006, DOI : https://doi.org/10.33356/temenos.4633
14 Betty De Hart, « Onwaarschijnlijke koppels: regulering van gemengde seks en huwelijken van de Nederlandse koloniën tot Europees migratierecht = Unlikely couples: regulating mixed sex and marriage from the Dutch colonies to European migration law », conférence inaugurale prononcée à l’université d’Amsterdam, Oratiereeks, no 530, 2015, URL : https://pure.uva.nl/ws/files/2789484/171874_PDF_2857weboratie_De_Hart_def.pdf. Voir aussi, de la même autrice, « Protecting Dutch Girls from the Harem: Premarital Counselling for Mixed Marriages with Muslim Men », Journal of Migration History, 3(1), 2017, p. 78–103, DOI : https://doi.org/10.1163/23519924-00301004 et « Chapter 3: Sexuality, race and masculinity in Europe’s refugee crisis », Migration on the Move, sous la direction de Carolus Grütters, Sandra Mantu et Paul Minderhoud, Leyde, Brill, 2017, p. 27–53, DOI : https://doi.org/10.1163/9789004330467_004
15 Voir par exemple : Ann L. Stoler, « Making empire respectable. The politics of race and sexual morality in 20th-century colonial cultures », American Ethnologist, 16(4), 1989, p. 634–660, DOI : https://doi.org/10.1525/ae.1989.16.4.02a00030 ; Betty de Hart, art. cit., 2015 et « Protecting Dutch Girls from the Harem […] », art. cit., 2017, p. 78–103, ainsi que, plus récemment « Regulating Dutch–Chinese marriages and relationships in the Netherlands (1920–1945) », The History of the Family, 24(3), 2019, p. 539–559, DOI : https://doi.org/10.1080/1081602X.2019.1633678) ou encore Guno R. Jones, « Tussen onderdanen, rijksgenoten en Nederlanders. Nederlandse politici over burgers uit Oost en West en Nederland 1945–2005 », 2007, Rozenberg Publishers, p. 216.
16 Dienke Hondius, « Gemengde huwelijken, gemengde gevoelens: Aanvaarding en ontwijking van religieus en etnisch verschil sinds 1945 », Den Haag, SDU Uitgevers, 1999, p. 15.
17 Ibid., p. 59.
18 NDLT : Traduction de la traductrice.
19 Ibid., p. 15
20 Gerard Dekker, Het kerkelijk gemengde huwelijk in Nederland, Meppel, J.A. Boom en Zoon uitgevers, 1965, p. 7.
21 Depuis 2016, la terminologie a été remplacée dans la recherche et la communication des politiques gouvernementales par « personne sans expérience migratoire » et « personne avec expérience migratoire ». Néanmoins, en pratique, ces nouveaux termes conservent la même signification ; en effet, les termes « autochtoon » et « allochtoon » ayant été utilisés pendant plus de 40 ans, ils demeurent encore très ancrés dans les discours sur le multiculturalisme et la migration.
22 Stuart Hall, « Race – The Sliding Signifier », The Faithful Triangle. Race, Ethnicity, Nation, sous la direction de Kobena Mercer, Cambridge, Harvard University Press, 2017, p. 31–79. DOI : https://doi.org/10.2307/j.ctvqht03.5
23 Gloria Wekker, op. cit. ; Edward Said, Orientalism [1978], London, Penguin Books, 2003.
24 Annet de Groot et Frénk van der Linden, Let’s Make Love. Kleurrijke koppels over liefde, cultuur, seks, god en familie, Amersfoort, Uitgeverij Contact, 2012.
25 Le titre peut être traduit par : « Faisons l’amour : des couples hauts en couleurs sur l’amour, la culture, le sexe, Dieu et la famille ».
26 Ibid., p. 14.
27 L’épisode a été diffusé à la télévision nationale le 30 mai 2017 et peut être visionné en ligne via ce lien : https://www.bnnvara.nl/pauw/videos/290324
28 Jin Haritaworn, The biopolitics of mixing: Thai multiracialities and haunted ascendancies, Londres, Routledge, 2012, p. 14 et p. 21.
29 Sarah Bracke, « Subjects of debate: Secular and sexual exceptionalism, and Muslim women in the Netherlands », Feminist review, 98(1), 2011, p. 28–46, DOI : https://doi.org/10.1057/fr.2011.5 et « Transformations of the Secular and the “Muslim Question”. Revisiting the Historical Coincidence of Depillarisation and the Institutionalisation of Islam in the Netherlands », Journal of Muslims in Europe, 2(2), 2013, p. 208–226, DOI : https://doi.org/10.1163/22117954-12341264.
30 Nira Yuval-Davis, « Gender & Nation », Women, Ethnicity and Nationalism: The Politics of Transition, sous la direction de Rick Wilford et Robert L. Miller, Londres, Routledge, 1998, p. 21–31 ; Jasbir K. Puar, Terrorist Assemblages: Homonationalism in Queer Times, Durham/Londres, Duke University Press, 2007 ; Joan Wallach Scott, « Sexularism: On Secularism and Gender Equality », conférence à l’Institut universitaire européen de Florence, 2009 ; Paul Mepschen, Jan Willem Duyvendak et Evelien H. Tonkens, « Sexual politics, orientalism and multicultural citizenship in the Netherlands », Sociology, 44(5), 2010, p. 962–979 ; Gloria Wekker, op. cit. ; Sara R. Farris, In the name of women’s rights. The rise of femonationalism, Durham, Duke University Press, 2017 ; Sarah Bracke et Luis Manuel Hernández Aguilar, « “They love death as we love life”: The “Muslim Question” and the biopolitics of replacement », British Journal of Sociology, 71(4), 2020, p. 680–701 ; par les mêmes auteur·rice·s, « Racial states – gendered nations. On biopower, race, and sex », Routledge International Handbook of Contemporary Racisms, sous la direction de John Solomos, New York, Routledge, 2021, p. 356–365.
31 Jasbir K. Puar, op. cit. et Sara R. Farris, op. cit.
32 Voir Sarah Bracke, art. cit., 2011 et 2013 ainsi que Paul Mepschen et al., art. cit.
33 Voir par exemple Annelies Moors, Rajnaara C. Akhtar et Rebecca Probert, « Contextualizing Muslim Religious-Only Marriages », Sociology of Islam, 6(3), 2018, p. 263–273, DOI : https://doi.org/10.1163/22131418-00603001 et Annelies Moors, Martijn de Koning et Vanessa Vroon-Najem, « Secular Rule and Islamic Ethics: Engaging with Muslim-Only Marriages in the Netherlands », Sociology of Islam, 6(3), 2018, p. 274–296, DOI : https://doi.org/10.1163/22131418-00603002. Voir aussi Saskia Bonjour et Albert Kraler, « Introduction: Family migration as an integration issue? Policy perspectives and academic insights », Journal of Family Issues, 36(11), 2015, p. 1407–1432, DOI : https://doi.org/10.1177/0192513X14557490
34 Gayatri Chakravorty Spivak, Les subalternes peuvent-elles parler ?, traduit de l’anglais par Jérôme Vidal, Paris, Éditions Amsterdam, 2009 [1988].
35 Voir par exemple Betty de Hart « Protecting Dutch Girls from the Harem […] » et « Sexuality, race and masculinity in Europe’s refugee crisis », 2017, articles cités.
36 Sarah Bracke et Luis Manuel Hernández Aguilar, art. cit., 2021.
37 Ibid.
38 Alana Lentin, « Post-race, post politics: the paradoxical rise of culture after multiculturalism », Ethnic and Racial Studies, 37(8), 2014, p. 1269.
39 David Theo Goldberg, Are We All Postracial Yet?, Londres, Polity Press, 2015.
40 Alana Lentin, art. cit, 2014, p. 1273.
41 Nadia Fadil, « “Are we all secular/ized yet? ”: reflections on David Goldberg’s “Are we all post-racial yet? ” », Ethnic and Racial Studies, 39(13), 2016, p. 2263, DOI : https://doi.org/10.1080/01419870.2016.1202424
42 Sarah Bracke, art. cit., 2011 et 2013.
43 Sarah Bracke, art. cit., 2011.
44 Nadia Fadil, op. cit.
45 Jin Haritaworn, op. cit.
46 Sarah Bracke, art. cit., 2011 et 2013.
47 Gloria Wekker, op. cit.