Eigensinn

Etudes rusées sur lieux communs

2795-8892

 

depuis le 01 janvier 2022 :
Visualisation(s): 49 (2 ULiège)
Téléchargement(s): 13 (1 ULiège)
print        
Romain Huret

Fêter les » vieilles filles « aux États-Unis (1950–1955)

(Mariages)
Article
Open Access

1Au lendemain de la seconde guerre mondiale, aux États-Unis, on voit fleurir des initiatives locales pour réclamer une célébration des « vieilles filles » (old maids), comme elles se désignent elles-mêmes. Le terme, souvent utilisé pour les moquer, est repris à des fins de reconnaissance symbolique de leur fonction sociale. En réclamant leur inscription dans le calendrier, réservé exclusivement à la célébration de la famille et du mariage, ces femmes jamais mariées entendent lutter contre les stéréotypes et les discours d’infériorisation. Leur répertoire sexuel et psychologique, présentant le célibat comme une maladie et une pathologie grave, est très présent dans la culture populaire, mais également savante.

2À Denton (Texas), on doit à une universitaire, Dorothy Babb, le lancement d’une fête locale des « vieilles filles ». Dans son université, le North Texas State College, elle rappelle l’importance numérique des célibataires et leur rôle sur le campus (fig. 1). Avec d’autres collègues, elle réclame l’instauration d’une fête annuelle pour les remercier en leur offrant des cadeaux, pratique réservée jusqu’alors aux couples mariés et à leur progéniture (fig. 2). Grâce au soutien du maire de la petite ville, Mark Hannah, la date du 15 août est choisie, réunissant pour la première fois toutes les « vieilles filles » de la communauté (fig. 3). Dans la presse écrite, la radio et même la télévision (fig. 4), ces femmes se mettent en scène pour démontrer l’inanité des savoirs médicaux et psychologiques faisant d’elles des êtres malades et dérangés en raison de leur choix matrimonial. En 1955, le gouverneur du Texas, Allan Shivers, décide même en 1955 d’étendre la célébration à l’ensemble de l’État.

3Invisibilisée dans les livres d’histoires, cette prise de parole des « vieilles filles » dans l’espace public en dit beaucoup sur l’infériorisation du célibat dans l’Amérique des années d’après-guerre. Elle annonce une remise en cause de l’inégalité statutaire à venir une décennie plus tard. Dans les années 1960, les femmes jamais mariées continueront cette lutte pour une reconnaissance, tout en s’attaquant au langage lui-même. Le terme de « célibataires » (singles) ou le neutre « Ms. » seront désormais préférés pour neutraliser les marques de condescendance. Les femmes jamais mariées sont désormais célébrées dans le calendrier états-unien le 4 juin de chaque année.

4Directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales, historien des États-Unis, Romain Huret achève un ouvrage intitulé Les Oubliés de la Saint-Valentin. Des vies de célibataires aux États-Unis (xxe siècle).

Image 10000201000004380000043813A03609C3ADC639.png

5Figure 1

Image 100002010000043800000438E60474878F813269.png

6Figure 2

Image 1000020100000438000004382CA34449B45B3AB5.png

7Figure 3

Image 100002010000043800000438D198F064E071B7D3.png

8Figure 4

9Les photagraphies sont publiées avec l’aimable autorisation de University of North Texas Special Collections, University Photography Collection (U0458).

Pour citer cet article

Romain Huret, «Fêter les » vieilles filles « aux États-Unis (1950–1955)», Eigensinn [En ligne], Mariages, URL : https://popups.uliege.be/2795-8892/index.php?id=81.

A propos de : Romain Huret

École des hautes études en sciences sociales