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Les défis pour l’éducation de la jeune fille en Afrique : combattre les violences sexuelles et autres obstacles
Résumé
Les violences sexuelles en milieu scolaire constitue est un obstacle presque invisible mais pourtant fréquent à l’endroit de la petite et de la jeune fille car elles sont présentes à tous les niveaux d’enseignement du primaire au supérieur. Les violences dont les filles sont victimes peuvent être commises sous différentes expressions : psychologique (verbales, intimidation), physique (châtiments corporels) et sexuelle( abus sexuels, tentatives d’abus sexuel, sexe transactionnel...).
Les lieux où se déroulent ces violences sont divers : l’école (dans les salles de classe vides, les toilettes, les dortoirs) ; sur le chemin de l’école surtout en période de conflit ou post conflit le risque d’agression est très élevé sur le chemin de l’école, dans les transports ou à pied.
Parmi les auteurs citons les enseignants, mais plus fréquemment les élèves masculins mais aussi d’autres adultes parmi le personnel de l’école, au Cameroun par exemple, selon le rapport de 2014 sur l’éducation des filles, Plan France estime que 30 % des violences sexuelles subies par les filles sont exercées par des élèves masculins contre 13,7 % perpétrés par des enseignants la même tendance s’observe au Ghana et en République Centrafricaine 42,2 % des garçons inscrits dans les écoles secondaires à Bangui ont confirmé s’être livrés à des actes sexuels violents à l’intérieur ou dans les alentours de l’école ; citons également, les chauffeurs des bus ou taxi, les commerçants tenant des boutiques près des écoles. En période de conflits ou post conflit des agents des forces armées, de la police et d’autres acteurs étatiques ont été impliqués dans des affaires de violence sexuelle, mais elles émanent également de groupes terroristes à l’exemple de la tactique des enlèvements perpétués par des groupes terroristes tels que Boko Haram au Nigeria.
Les violences sexuelles en milieu scolaire ont des implications psycho sanitaires graves pour la jeune fille (la honte, la perte de confiance et d’estime de soi, le repli sur soi, la peur, les grossesses précoces et les MST, IST). Cette agression va influer sur son résultat scolaire qui sera médiocre car elle va développer un désintérêt pour l’école où elle ne se sent plus en sécurité et se conclura souvent par un abandon de sa scolarité.
En ce qui concerne la lutte juridique contre les violences sexuelles, en application de dispositions internationales et régionales auxquelles ils sont parties, les Etats africains ont prévu, mais très souvent, dans des dispositions juridiques générales, au niveau national (code de personnes et de la famille, code pénal, code portant protection de l’enfance…) des peines allant de 5 à 20 ans pour les agressions sexuelles, avec pour certaines législations l’alourdissement de la peine lorsque l’infraction est commise sur un enfant en-dessous de 13 ans, à l’exemple des articles 284 à 285 du code pénal au Niger qui alourdissent la peine dans ce cas de quinze à trente ans ou à l’exemple de l’article 348 de la Loi portant code de l’enfance en République du Bénin dispose qui« les peines encourues sont portées à la réclusion de 15 ans à 20 ans et une amende de 500000 à 5 000 000 de Francs CFA, si le viol est le fait du père, du tuteur ou de toute personne exerçant une autorité sur l’enfant ».Il faut saluer les efforts des législateurs dans l’encadrement de la sanction des violences sexuelles infligées aux femmes d’une façon générale, des petites filles en particulier.
Mais sur le terrain de nombreux obstacles entravent encore une lutte effective contre les violences sexuelles en milieu scolaire. Indexons en premier, le manque d’information et de données sur ce fléau qui mine en silence (parfois tues par la victime au Nigéria, par exemple, toujours selon le rapport de Plan France 2014, seuls 4 % des cas de violence sexuelle et 40 % des actes de violence physique avaient été rapportés par les enfants fréquentant l’école primaire ;ou par peur de représailles de l’auteur, stigmatisation par ses camarades et la société ou ses parents considérant que l’honneur de la famille a été souillée). Elles sont parfois couvertes par le corps enseignant et l’administration scolaire, qui ayant découvert le forfait, considèrent que sa dénonciation jette aussi le discrédit sur la profession. Dans certains cas les auteurs des violences échappent à toute poursuite judiciaire en raison soit de la méconnaissance de la loi pénale par les parents et la victime, dans certains cas, soit par leur manque de volonté lié à la crainte des effets de publicité suite aux poursuites engagées et de leurs soucis quant à «l’honneur de la famille », la lenteur de la procédure judiciaire qui décourage souvent la famille et la victime ou parfois lorsque le violeur est connu de l’entourage des accords peuvent avoir lieu pour éviter sa poursuite en justice. Ces insuffisances de l’information sur les violences sexuelles masquent leur visibilité et entraînent des retards considérables dans la mise en place de mécanismes et de structures d’observation adéquats. Le fait que ces actes de violences soient difficilement identifiés entraîne aussi une sous évaluation et une sous-estimation des impacts du phénomène sur les résultats et abandons scolaires. Leur lien avec les abandons scolaires est souvent banalisé.
En vue d’une lutte effective contre les violences sexuelles en milieu scolaire, des mesures juridiques accompagnant des politiques nationales spécifiques de lutte contre les violences en milieu scolaire doivent être prises, conformément aux conventions auxquelles nos Etats sont parties, les violences sexuelles en milieu scolaire revêt une gravité particulière en ce que l’école est cette institution qui, dans la société, est chargée d’instruire les futurs citoyens aux valeurs morales chères à l’humanité et aux règles de conduite afin d’en faire des adultes responsables, de «favoriser l’épanouissement de la personnalité de l’enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités1». Lorsque des actes de violence émane de cette institution, il faut convenir que des mesures juridiques spécifiques doivent être adoptées.
En termes d’actions concrètes sur la terrain, des structures spécifiques de veille et de prise en charge psycho-sanitaire des victimes d’abus sexuels en milieu scolaire doivent être promues.
Il pourrait être aussi envisagé des mécanismes de dénonciation anonyme des enseignants ou élèves qui commettent des abus sexuels sur les élèves filles.
Les médias, en tant que canaux de l’éducation non formelle, doivent contribuer à dénoncer les violences sexuelles en milieu scolaire, à rendre le crime plus visible et contribuer à la vulgarisation des différents textes juridiques applicables à l’infraction.
Certains auteurs attribuent, aujourd’hui, à la mixité une part de responsabilité dans ces violences sexistes et sexuelles commises par les élèves masculins au sein des établissements. Il s’agit en fait d’analyses critiques relatives aux failles de la mixité mais pas d’une incitation à y renoncer. A la suite de ces auteurs, il faut donc convenir que la mixité doit aujourd’hui être repensée. Le constat est en effet amer, que loin d’atteindre l’objectif d’égalité des droits entre garçon et fille, la mixité a au contraire souvent exacerbé les discriminations liées au sexe. Les comportements sexistes et machistes des garçons envers les filles sont encore courants dans les établissements scolaires. Une solution serait d’accompagner la mixité avec une véritable éducation sur le genre qui doit contrer les images stéréotypés de l’infériorité de la femme par rapport à l’homme. Plus qu’une éducation sexuelle, il s’agit d’inculquer tôt aux garçons des valeurs d’homme responsable, respectueux de la femme et de la jeune fille, à qui il reconnaît les mêmes droits que ceux dont il jouit. Les violences sexuelles en milieu scolaire ne sont, cependant pas les seuls obstacles que les acteurs des systèmes éducatifs doivent combattre.
Ces autres obstacles sont d’ordre socio-économique et politique. On peut citer entre autres :
- Les pesanteurs socioculturelles que sont ; les mariages précoces qui constituent la principale cause d’arrêt de la scolarité. La valorisation quasi exclusive du rôle de reproduction de la femme entraîne son confinement dans la sphère domestique et rend superflue voire contre-indiquée une longue scolarisation, l’image négative de l’école considérée comme un lieu déculturalisant et d’acculturation surtout pour la fille.
- Il apparaît aussi de nos jours des comportements de dépravation en milieu scolaire qui concourent à l’échec de la jeune fille parfois dès la 4ème année du primaire.
- Une autre cause est la pauvreté qui a également un impact majeur sur la scolarisation des filles. Quand une famille n’a pas les moyens d’envoyer tous les enfants à l’école, elle préfère miser sur les garçons plutôt que les filles. La pauvreté du ménage est un facteur important de l’exclusion scolaire des filles. A cela s’ajoute, en zone rurale, le problème fréquent de l’éloignement de l’école par rapport à la résidence familiale, particulièrement les collèges bien moins nombreux que les écoles primaires. Les familles n’apprécient guère ces longs et parfois dangereux trajets à parcourir. Elles s’opposent franchement quand l’enfant doit changer de résidence, ce qui est souvent le cas au passage au collège.
- Il est aussi important de souligner un facteur d’ordre macroéconomique : l’insuffisance des budgets alloués par les Etats à l’éducation qui justifierait directement la faiblesse du niveau scolaire des élèves.
A l’insuffisance des budgets alloués, s’ajoute la mauvaise gestion de ces ressources financières. Cette situation entraîne des problèmes récurrents dans le secteur éducatif de ces pays à tous les niveaux ; grèves incessantes et démotivation des élèves aussi bien que des enseignants, manque d’infrastructures, de matériels, etc…
Il faudra, désormais, non seulement résoudre le problème d’accès des filles à l’école, qui persiste encore, mais également, encourager par des dispositions juridiques et politiques nationales et communautaires, le maintien obligatoire de la scolarité de la jeune fille, au moins jusqu’à la fin du second cycle du secondaire et même adopter des lois et des politiques pour interdire le mariage des enfants. Outre, les mariages précoces et forcés, les Etats doivent s’atteler à lutter contre les pesanteurs socioculturelles par des campagnes de sensibilisation sur la déscolarisation des filles et la dépravation en milieu scolaire.
En ce qui concerne le soutien à la réussite scolaire, le rehaussement du niveau des élèves et l’encadrement de qualité, cela nécessite, en amont, un encadrement plus rigoureux dans la formation et le recrutement du personnel de l’enseignement, à tous les niveaux, mais d’abord au niveau primaire ; de même qu’un rehaussement et une bonne gestion des ressources allouées aux dépenses de l’éducation. Il faudra également travailler à augmenter le nombre de classes dans les établissements pour diminuer le surnombre qui ne permet pas un suivi effectif de chaque enfant par l’enseignant; la restauration du système de l’internat pour les filles surtout dans les zones les plus reculées pour éviter leur exposition à des conditions incertaines de résidence. Il faut cependant reconnaître que les investissements requis à assumer ces efforts constituent un véritable défi pour nos Etats avec leurs niveaux actuels de ressources mis en parallèle avec leurs taux d’accroissement démographique et des questions sécuritaires. C’est dire que plusieurs politiques publiques sectorielles doivent être intégrées et mises en cohérence.
La scolarisation de la jeune fille en Afrique fait face à de nombreux obstacles qui sont d’ordre socioculturel, économique ou politique et cette rétention de la jeune fille en dehors du système scolaire réduit très fortement ses opportunités futures d’insertion socio-économique, impactant ainsi négativement sur le développement socio-économique des Etats africains. C’est là une première violence sociale capitale souvent infligée à la jeune fille. Les Etats africains ne peuvent atteindre une croissance économique pérenne en marginalisant la femme et la petite fille. Elles sont l’« actrice principale » dans la lutte pour la réalisation des ODD par l’Afrique. Leur accès à une éducation de qualité constitue la condition sine qua non dans la lutte contre la pauvreté, mère de la maladie, de la violence, du terrorisme et de la déliquescence sociale.