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Avec qui décider ? Aspects procéduraux et substantiels de la délimitation des entités politiques
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11. –Du village autogéré aux empires intercontinentaux, l’exercice de la puissance publique a connu à peu près toutes les échelles que la taille de notre planète permet d’envisager. La délimitation des entités politiques en général, et des métropoles en particulier, soulève des questions aussi délicates que passionnantes. Dans les démocraties, l’enjeu de l’opération qui consiste à tracer les limites d’une entité politique est considérable : ce choix fondamental revient à déterminer avec qui – avec quels autres citoyens – les habitants d’un lieu donné vont partager le pouvoir d’influencer les choix politiques et le contenu des normes juridiques qui leur sont applicables.
2Dès lors, la question de savoir comment – selon quelles procédures et selon quels critères substantiels – les limites des entités politiques sont fixées mérite une réflexion. Nous proposons ici une analyse juridique en deux parties : la première sera consacrée à une approche théorique de la problématique, tandis que la seconde portera sur des applications pratiques sélectionnées dans le contexte belge et, plus particulièrement, wallon.
I. Réflexion théorique
32. – Dans le cadre de la première partie de la contribution, nous proposons de réfléchir à deux objets. Nous voudrions d’abord approfondir l’examen des enjeux fondamentaux de la délimitation des entités politiques (A), avant d’aborder les principales difficultés procédurales et substantielles qui se présentent typiquement lorsqu’il est envisagé de créer des entités politiques nouvelles ou de faire évoluer leurs frontières (B).
A. Enjeux de la délimitation et de son évolution
43. – La question du choix des limites est susceptible de se poser pour toute entité politique : pour l’État en tant que tel, pour ses composantes, régionales ou locales, ou encore pour des entités de nature supranationale. Elle peut par ailleurs être envisagée dans tout type de régime, mais présente une dimension particulière dans le contexte démocratique. En effet, si le pouvoir de décision se trouve dans les mains du peuple, il y a lieu définir ce qu’est le peuple, en précisant qui fait partie de la communauté et pourra participer aux décisions sur une matière déterminée.
5 La réponse donnée à ce type d’interrogation est déterminante pour le fonctionnement de l’entité démocratique concernée. En choisissant une échelle et des limites précises, on dessine un territoire, mais on constitue surtout un groupe qui inclut certains individus et en exclut d’autres. Or, le contenu des décisions qui seront prises et des normes qui seront adoptées au sein de l’entité est susceptible de varier significativement en fonction notamment des caractéristiques propres – par exemple socio-économiques ou culturelles – de la communauté ainsi définie. Dès lors, en précisant les limites du territoire d’une entité (où ?), on détermine les contours d’une communauté politique (qui ?) et on contribue à influencer les orientations de l’action politique qui y sera menée (quoi ?).
6Cette thématique est abordée dans la littérature de philosophie politique où l’on traite des limites du demos (the boundary problem)1, de la constitution du demos (constituting the demos)2 ou encore de l’unité de référence (the problem of the unit)3. Quel que soit le nom donné à la problématique4, celle-ci présente une grande importance dans toute réflexion sur la démocratie.
74. – Si la question présente un intérêt académique indéniable, il est aussi vrai que les occasions de s’en saisir en pratique sont nombreuses. C’est par exemple une préoccupation de cette nature qui agite le débat sur l’éventuelle indépendance de la Catalogne. Il s’agit au fond de savoir si les habitants de Barcelone ou de Gérone ont primordialement vocation à décider avec les autres Catalans ou avec les autres Espagnols. On s’interroge en l’espèce sur les limites du demos au niveau d’une entité politique de dimension nationale. La question peut se poser à l’intérieur du cadre étatique, sans que surgisse nécessairement de revendication d’indépendance. On pense ainsi à la réforme territoriale qui, en France, a abouti en 2016 à réduire le nombre de régions. Enfin, de façon similaire, une réflexion concrète peut être menée à l’échelle locale. Si l’on veut par exemple créer une entité politique pour la métropole liégeoise, on devra avant tout déterminer son territoire et, partant, définir le groupe d’individus qui pourra contribuer aux décisions de l’entité. On se demandera alors s’il convient de n’inclure que les habitants du cœur de la ville, ou d’étendre le demos à ceux qui vivent dans l’aire urbaine5, voire à ceux qui sont installés dans les communes plus rurales des alentours6.
B. Difficultés de la délimitation et de son évolution
85. – Comme en témoignent les quelques exemples qui précèdent, les limites nationales, régionales ou locales sont toujours susceptibles d’être revues. Celles qui existent à un moment donné sont toutefois l’héritage d’un passé, parfois lointain, et il apparaît que la flexibilité des frontières politiques est toute relative. C’est en effet un domaine où le statu quo tend souvent à l’emporter ; ainsi, les limites actuelles des départements français ou des provinces belges reposent encore largement sur des choix opérés à la fin du 18e siècle. Cette tendance à la stabilité s’explique notamment par l’existence, inhérente au problème envisagé, de difficultés procédurales (1) et substantielles (2).
1. Les difficultés d’ordre procédural
96. – Le premier type de difficultés résulte de ce que, par définition, l’entité nouvelle (ou l’entité existante dans ses limites nouvelles) n’existe pas au moment où la question de la fixation de ses limites se pose. Dès lors que cette entité est encore à créer, il est impossible d’identifier la communauté qui lui correspond et qui pourra se prononcer sur l’opportunité de sa création avec telle extension territoriale. À défaut de pouvoir véritablement résoudre cette difficulté, on ne peut que la contourner en se fondant sur les institutions qui préexistent. Deux approches distinctes paraissent alors concevables.
10La première consiste à privilégier une approche décentralisée, c’est-à-dire à favoriser un processus où les décisions essentielles sont prises à une échelle institutionnelle inférieure ou égale à celle de l’entité que l’on veut créer ou dont on veut modifier les limites. Cette configuration se produit, par exemple, lorsque des communes procèdent à des fusions entre elles, de leur propre initiative et selon des modalités qu’elles négocient elles-mêmes. Relèverait aussi de ce scénario un mécanisme qui permettrait à une province ou à un département de modifier sa propre frontière avec le seul accord de l’entité limitrophe affectée. Cette approche présente l’intérêt majeur de conditionner les réformes au consentement des entités – et, par leur biais, des populations – les plus directement concernées par les changements entrepris. Elle pêche en revanche par le manque de vision d’ensemble et par le risque de comportements peu solidaires7.
11La seconde manière de concevoir le processus de décision qui mène à de nouvelles délimitations est, au contraire, l’approche centralisée. Il s’agit cette fois de favoriser un processus où les décisions essentielles sont prises à une échelle institutionnelle supérieure à celle de l’entité (ou des entités) à créer ou à modifier. Cette voie est suivie notamment lorsque l’autorité nationale procède elle-même à l’adaptation des limites d’entités infra-étatiques. La centralisation permet de procéder à une approche globalisée, fondée sur un plan, et est de nature à favoriser une certaine harmonie. Elle a cependant le défaut d’imposer des solutions susceptibles de provoquer un sentiment de frustration au niveau local.
12On relève enfin la possibilité de rechercher une voie intermédiaire pour essayer de tirer profit, autant que possible, des avantages respectifs des deux approches susmentionnées. Dans cette hypothèse, la procédure peut alors être dirigée par l’autorité supérieure avec une prise en compte effective des avis émis par des entités du niveau inférieur pertinent. Elle peut aussi, à l’inverse, être menée par les entités subordonnées, pour autant qu’on attribue à l’autorité supérieure un pouvoir d’approbation ou un droit de veto. Il semble toutefois impossible d’atteindre le parfait équilibre, puisque le pouvoir décisif du dernier mot ne peut forcément être détenu que par un seul niveau de pouvoir.
2. Les difficultés d’ordre substantiel
137. – Le second ordre de difficultés inhérentes à tout processus de réforme des limites territoriales est substantiel. Il s’agit de se demander comment – selon quels critères de fond – les nouvelles entités vont être établies.
14 Dans une perspective juridique, le principe de subsidiarité semble offrir un point de repère. Comme on le sait, ce principe signifie qu’il convient d’attribuer les compétences de gestion à l’entité la plus proche de ceux qui sont directement concernés par les actions, à moins qu’il ne soit plus efficace de l’attribuer à un niveau supérieur8. Ceci est certes utile dans un contexte où existent déjà plusieurs niveaux de pouvoirs, organisés selon des échelles différentes, puisqu’il contribue à déterminer le niveau qui est adéquat pour l’affectation d’une compétence. Le principe ne fournit, en revanche, guère d’éléments pour déduire l’échelle adéquate qu’il conviendrait de retenir pour créer ou réformer des entités locales ou régionales au sein d’un État. On doit donc reconnaître que le juriste est démuni face à cette question : il ne peut se référer à aucun dispositif de portée générale.
15 Deux attitudes, complémentaires, sont toutefois envisageables. Le juriste constatera, d’une part, que diverses considérations – de nature économique, sociale, culturelle, géographique, etc. – sont susceptibles de nourrir le débat sur le tracé des limites et que des choix politiques, pour identifier les critères à retenir, doivent être posés par les autorités compétentes. Il pourra souhaiter, d’autre part, que ces choix soient autant que possible objectivés et qu’ils soient, de manière transparente, consacrés dans une législation-cadre qui lie lesdites autorités au cours de la mise en œuvre de la réforme territoriale qu’elles envisagent9.
II. Applications concrètes
168. – Dans la seconde partie de la contribution, nous proposons d’examiner des cas concrets à l’occasion desquels des réformes des limites territoriales ont été entreprises dans le contexte belge, et plus spécialement wallon. Nous essayerons de montrer comment les difficultés procédurales et substantielles, que nous avons identifiées dans la première partie, ont été appréhendées dans la pratique. Notre attention se portera successivement sur la délimitation des communes (A) et des entités supracommunales (B).
A. La délimitation des entités communales
179. – Fixer les frontières communales implique de choisir la dimension que l’on donne aux entités politico-administratives de base. Convient-il de privilégier la formation de petites municipalités, avec une entité pour chaque village, voire chaque hameau, comme c’est notamment le cas en France ? Ou est-ce préférable d’opter pour des territoires plus vastes, à l’instar des kommuner norvégiennes ?
18La Belgique a connu, à cet égard, une évolution considérable. À sa naissance, en 1830, le Royaume comptait 2.492 communes pour environ quatre millions et demi d’habitants10, soit un ratio proche de 1.800 âmes par entité. Aujourd’hui, il existe 589 communes (près de cinq fois moins), alors que la population a plus que doublé, dépassant les onze millions d’habitants. Le nombre moyen d’habitants par commune est désormais supérieur à 20.000. Sous réserve de quelques fusions et scissions isolées, les petites entités de 1830 sont demeurées intactes jusqu’à la moitié du 20e siècle11. Une première vague de fusion est ensuite intervenue en application de la loi du 14 février 196112 – connue sous le nom de loi unique – et a abaissé le nombre de communes de 300 unités environ. L’opération majeure s’est toutefois déroulée au cours de la décennie suivante : sur la base de la loi du 23 juillet 197113, une entreprise ambitieuse de fusion des communes a été menée et a permis d’atteindre le nombre actuel de communes, soit 58914. Très rares sont les communes anciennes qui n'ont pas été fusionnées avec au moins une autre15. En moyenne, quatre à cinq entités de l’ancien régime forment une nouvelle commune. Dans les cas extrêmes, que sont ceux de Namur et Tournai, respectivement 25 et 30 anciennes communes ont été rassemblées au sein de la nouvelle16. On peut sans hésiter considérer qu’il s’agit d’un bouleversement politique et d’une des évolutions institutionnelles les plus remarquable de l’histoire nationale. Dans la suite du propos, nous nous focalisons sur les choix procéduraux (n° 10) et substantiels (n° 11) qui ont été posés à l’époque.
1910. – Quant à la procédure suivie, c’est une approche centralisée qui a été retenue. L’initiative a été prise par le gouvernement, ainsi qu’en témoignent les plans élaborés au sein du ministère de l’Intérieur, notamment lorsqu’il était dirigé par Joseph Michel, sous le gouvernement Tindemans II. Ce dernier avait par ailleurs annoncé sa volonté de suivre « des plans d’ensemble »17. Cette tendance centralisatrice était nuancée par la consultation des conseils communaux et provinciaux, dont les avis n’ont cependant pas toujours été pris en considération, de sorte qu’on a parfois parlé, notamment sur les bancs de l’opposition, de « mariages forcés ». Formellement, la fusion des communes a été adoptée par le biais d’un arrêté royal18, approuvé par une loi du 30 décembre 197519. En raison du caractère prétendument urgent, le Conseil d’État n’a pas rendu d’avis sur le projet.
2011. – La seconde question – relative aux critères substantiels de la réforme – est plus complexe à aborder. Le rapport au Roi (c’est-à-dire le texte introductif) de l’arrêté royal du 17 septembre 1975 apporte des éléments de réponse intéressants. Le gouvernement justifie sa démarche et explique qu’il a cherché à regrouper ce qui est aggloméré ou ce qui se trouve dans la zone d’attraction d’une agglomération, qu’il a retenu les centres de services comme pôles de regroupement, qu’il a pris en considération l’implantation des aires industrielles et des flux commerciaux et qu’il a visé à assurer la viabilité financière des nouvelles entités. À ces critères géographiques, socio-économiques et financiers, il ajoute qu’il « a attaché une importance toute spéciale aux affinités : l’homme devant rester le centre des préoccupations, les mentalités et la manière de vivre ont été déterminantes pour le choix des fusions »20.
21 Sans prétendre que ces critères n’auraient pas effectivement servi de repères pour l’opération de fusion des communes, nous pensons qu’ils sont à ce point généraux et souples, qu’ils ont pu donner lieu à des applications pratiques en divers sens. Un certain manque de cohérence apparaît quand on compare des petites communes entre elles : alors que le nouveau territoire de Dalhem est justifié par la volonté de créer une entité agricole homogène, celui de Lontzen – à quelque 25 kilomètres – est motivé par son caractère hétérogène, qui permet un équilibre entre les intérêts agricoles et industriels21. Des approches variables apparaissent aussi entre les grandes villes. Dans certains cas, la nouvelle commune ne correspond qu’à une partie de l’aire urbaine, comme à Verviers (sans Dison) ou à Liège (qui comprend Jupille, Rocourt, Angleur et Wandre, mais pas Ans, Herstal, Grâce-Hollogne ou Saint-Nicolas)22. Dans d’autres lieux, la nouvelle entité englobe toute l’aire urbaine, voire davantage, comme à Namur, à Tournai ou – dans une moindre mesure – à Anvers.
2212. – Un peu plus de quarante ans après la fusion, l’idée de réduire encore davantage le nombre de communes est revenu à l’ordre du jour, spécialement en Région flamande. Le décret flamand du 24 juin 2016 sur la fusion volontaire de communes prévoit toutefois une procédure bien différente de celle appliquée au 20e siècle : ce sont désormais les communes qui disposent d’un pouvoir d’initiative important, tandis que l’autorité régionale encourage les fusions par des incitants financiers et conserve un pouvoir d’approbation qu’elle n’exerce qu’a posteriori23. Sur le fond, le dispositif juridique ne prévoit pas, à notre connaissance, de critères particuliers pour encadrer ces nouvelles fusions, ce qui laisse une marge d’appréciation significative aux communes intéressées24. En Région wallonne, la possibilité de fusionner des communes est vaguement évoquée dans le Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD), mais celui-ci n’établit pas de procédure particulière et encore moins de règles substantielles25. L’idée de fusionner la ville de Liège avec les communes voisines pour créer une entité communale métropolitaine n’est pas à l’ordre du jour. Enfin, la Région de Bruxelles-Capitale, divisée en dix-neuf petites communes26, n’a pas été touchée par les fusions du 20e siècle et n’a pas de projet actuel de réforme de ses entités communales.
B. La délimitation des entités supracommunales
2313. – Quelle que soit la dimension des communes, la gestion de certains intérêts publics peut être envisagée au niveau supracommunal, c’est-à-dire à un niveau qui demeure local mais dont le ressort correspond au territoire de plusieurs communes. Des mécanismes juridiques qui fondent la supracommunalité existent déjà en Région wallonne ; d’autres pourraient être développés à l’avenir. Cette perspective présente un intérêt particulier pour la réflexion sur la création éventuelle d’institutions propres à la métropole liégeoise.
24Dans l’ordre juridique belge, il existe plusieurs conceptions de la supracommunalité, dont on retiendra ici deux modèles distincts. Le premier est celui de la coopération entre communes afin de gérer, par des structures qu’elles fondent, des intérêts communs (n° 14). Le second modèle peut être qualifié de supracommunalité au sens strict et suppose l’existence d’entités politiques qui occupent un niveau intermédiaire, entre les communes et la région, et qui possèdent certains traits particuliers (n° 15).
2514. – En Région wallonne, plusieurs institutions relèvent de la coopération entre communes27. On peut mentionner les associations de projet28, les a.s.b.l. pluricommunales29, les associations « chapitre XII »30 ou encore les bien nommées intercommunales31, qui vont retenir un instant notre attention.
26 Sur le plan procédural, le système de création des intercommunales est décentralisé : sous réserve du contrôle de tutelle exercé par la Région wallonne, les communes sont à l’initiative du processus. Elles négocient entre elles l’étendue de la compétence territoriale de l’institution, aucune commune n’étant juridiquement tenue d’adhérer à l’intercommunale que ses voisines établissent. Toutes les échelles sont dès lors concevables, de l’entité bicommunale32, à celle qui réunit toutes les communes de la Région wallonne, voire associe des communes d’autres Régions33. La législation applicable prévoit comme seul critère de fond que ces structures ne peuvent avoir que « des objets déterminés d’intérêt communal »34 – notion juridique caractérisée par une élasticité qui est parfois à l’origine d’abus35. Cette forme de supracommunalité est largement utilisée en Région wallonne, où toutes les communes sont impliquées dans au moins une intercommunale, et est notamment fort développée aux alentours de la ville de Liège36. En raison de leur nombre et de leur diversité quant aux compétences matérielles et territoriales, elles ne constituent cependant pas le socle adéquat d’une gestion métropolitaine globale.
2715. – D’autres types d’entités – celles qui relèvent de la supracommunalité au sens strict – peuvent en revanche apporter des solutions. Ces entités occupent une position intermédiaire – entre la Région et les communes – et se distinguent des précédentes notamment en ce qu’elles disposent d’une assemblée composée de membres directement élus et d’un pouvoir fiscal propre. En droit positif, la province est une entité de cet ordre, mais son étendue est plus large que celle de la métropole et ne constitue donc pas le creuset adéquat de son développement. Deux autres voies sont toutefois potentiellement ouvertes.
28 La première consiste à créer une agglomération de communes. Cette solution, est rendue possible par les articles 165 et 166 de la Constitution37, mais n’a été concrétisée qu’à Bruxelles38. Une agglomération liégeoise pourrait être établie par un décret wallon, qui en fixerait le territoire, ce qui signifie que l’initiative échapperait ici aux communes concernées. À droit constant, les compétences de cette agglomération seraient toutefois restreintes à celles qui sont énumérées par la législation organique39, ce qui est peu compatible avec le projet de mettre en place une gestion métropolitaine ambitieuse.
29 La seconde voie ne pourrait être empruntée que si un scénario particulier venait à être suivi : depuis la sixième réforme de l’État, les articles 41 et 162 de la Constitution prévoient la possibilité de supprimer les provinces et, dans ce cas, de les remplacer éventuellement par des entités supracommunales d’une nouvelle espèce, dont le territoire pourrait être plus petit que celui des provinces. Si cette évolution avait lieu, elle offrirait notamment l’opportunité de créer une entité à la taille de la métropole liégeoise. Comparée à l’agglomération susmentionnée, cette entité disposerait d’une compétence plus générale, vraisemblablement inspirée de l’intérêt provincial et adaptée au niveau supracommunal ; elle serait une institution plus souple que l’agglomération et pourrait gérer tout ce qui relève de l’intérêt propre à la métropole.
30*
3116. – De ce qui précède, il ressort que les difficultés procédurales et substantielles que nous avons identifiées en théorie, sont parfois appréhendées en pratique avec un certain degré de systématisme et de transparence, comme ce fut le cas lors des opérations de fusion des communes, et même si – dans cet exemple – la mise en œuvre concrète des principes arrêtés demeure largement critiquable. Dans d’autres situations, que révèle notamment la réflexion sur la création d’institutions propres à la métropole liégeoise, le cadre juridique est pauvre. S’il offre parfois des solutions procédurales – en désignant l’autorité qui pourrait établir de nouvelles entités –, il est presque toujours silencieux sur l’aspect substantiel, ne fournissant guère de critères sur la base desquels les limites de nouvelles entités pourraient être tracées. Or, la réflexion interdisciplinaire – menée par exemple dans le cadre du présent colloque – montre que les sources objectives d’inspiration ne manquent pas.
Notes
1 Cette expression apparaît d’abord dans l’article fondateur de F. Whelan, « Prologue : Democratic theory and the boundary problem », in : J. Pennock et J. Chapman (éds.), Liberal democracy, New York et Londres, New York University Press, 1983, pp. 13-47. Voy. aussi G. Arrhenius, « The boundary problem in democratic theory », in: F. Terman (éd.), Democracy unbound : basic exploration I, Stockholm, Stockholms Universiteit, 2005, pp. 14-29 ; L. Bergström, « Democracy and political boundaries », mimeo, Dept. of Philosophy, Stockholm University, 2006, p. 1. En langue française, Philippe Gérard parle du « problème des limites de la communauté politique » (Ph. Gérard, Droit et démocratie. Réflexions sur la légitimité du droit dans la société démocratique, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires de Saint-Louis Bruxelles, 1995, pp. 239-240).
2 R. Goodin, « Enfranchising all affected interests, and its alternatives », Philosophy and Public Affairs, 2007, pp. 40-68, ici p. 40. H. Brighouse et M. Fleurbaey parlent quant à eux de « composition of the demos » (H. Brighouse et M. Fleurbaey, « Democracy and proportionality », The Journal of Political Philosophy, 2008, pp. 1-19, ici p. 3).
3 R. Dahl, Democracy and its critics, New Haven, Yale UP, 1989, p. 193.
4 Voy. aussi le problème de l’ « élasticité du peuple » évoqué par G. Burdeau (G. Burdeau, Traité de science politique. Tome V : Les régimes politiques, 3ème édition, Paris, L.G.D.J., 1985, pp. 120-121).
5 On pense alors notamment aux habitants des actuelles communes d’Ans, Beyne-Heusay, Grâce-Hollogne, Herstal ou Saint-Nicolas. Se pose aussi la question de l’inclusion de communes urbaines un peu plus éloignées, comme Flémalle et Seraing.
6 Dans cette catégorie, on pourrait notamment placer les actuelles communes d’Awans, Blegny, Chaudfontaine, Crisnée, Fléron, Oupeye, Neupré, Tilff, etc.
7 Ainsi, si on laisse à des entités locales la faculté de procéder librement à des fusions entre elles, il existe un risque que les entités les plus prospères soient tentées de se rapprocher, en laissant, le cas échéant isolées, les entités plus défavorisées. Cette tentation peut être renforcée par l’espoir d’orienter la composition idéologique de l’électorat de manière à favoriser l’accès ou le maintien au pouvoir de tel parti politique. On peut renvoyer ici à la notion de gerrymandering.
8 L’idée est par exemple formalisée dans l’article 4, § 3, de la Charte européenne de l’autonomie locale : « L'exercice des responsabilités publiques doit, de façon générale, incomber, de préférence, aux autorités les plus proches des citoyens. L'attribution d'une responsabilité à une autre autorité doit tenir compte de l'ampleur et de la nature de la tâche et des exigences d'efficacité et d'économie ». On retrouve aussi ce principe dans l’article 5, § 3, du Traité sur l’Union européenne.
9 Ce vœu peut être formulé que l’on suive une procédure centralisée ou décentralisée. Voy. supra, n° 7.
10 E. Van Hecke, « Les fusions de communes : 1964 – 1971 », Courr. hebd. CRISP, 1971, n0s 540-541, p. 2.
11 Au début des années 1960, la commune la moins peuplée de Belgique était Freloux, avec 54 habitants. Idem, p. 24.
12 Voy. en particulier les articles 91 à 95 de la loi du 14 février 1961 d’expansion économique, de progrès social et de redressement financier (Moniteur belge, 15 février, p. 938).
13 Loi concernant la fusion de communes et la modification de leurs limites (Moniteur belge, 6 août 1980, p. 9280).
14 Au 1er janvier 1977, la Belgique ne comptait plus que 596 communes. Le nombre de 589 a été atteint le 1er janvier 1983, après la fusion de huit anciennes communes pour former l’actuelle commune d’Anvers.
15 On peut mentionner, parmi les exceptions, les cas de Martelange ou Spa.
16 Pour une présentation détaillée des opérations, on se référera notamment aux n0s 679, 697-698, 708 et 714 des Courriers hebdomadaires du CRISP, parus en 1975 et 1976.
17 Voy. la déclaration d’investiture du gouvernement Tindemans II du 12 juin 1974.
18 Arrêté royal du 17 septembre 1975 portant fusion de communes et modification de leurs limites (Moniteur belge, 25 septembre).
19 Moniteur belge, 23 janvier, p. 784.
20 Voy. le rapport au Roi de l’arrêté royal du 17 septembre 1975.
21 Voy. le rapport au Roi de l’arrêté royal du 17 septembre 1975.
22 Sur le cas liégeois, voy. J. Digneffe, « L'expérience de Liège », Res Publica, 1982, pp. 649-657.
23 Decreet houdende de regels voor de vrijwillige samenvoeging van gemeenten (Moniteur belge, 19 août 2016, p. 52554).
24 En pratique, plusieurs paires de communes se sont engagées dans le processus. À titre d’exemple, on peut citer les cas de Meeuwen-Gruitode et Opglabbeek, de Deinze et Nevele, de Overpelt et Neerplet, de Sint-Amands et Puurs et d’Aalter et Knesselare.
25 L2111-3, § 3, al. 4, 1°, du CDLD.
26 La surface moyenne d’une commune bruxelloise est de 8,5 km², pour 43,9 km² en Région flamande et 62,3 km² en Région wallonne.
27 Un nombre limité de structures existe toutefois et les communes ne sont en principe pas autorisées à en inventer d’autres. Voy. not. A. L. Durviaux, Droit administratif. Tome 2. Les entreprises publiques locales en Région wallonne, 2e édition, Bruxelles, Larcier, 2012, pp.175 à 179.
28 Voy. l’article L1512-2 du CDLD.
29 Voy. les articles L1234-1 et s. du CDLD.
30 Voy. le chapitre XII de loi organique du 8 juillet 1976 sur les centres publics d’action sociale.
31 Voy. les articles L1512-3 et s. du CDLD.
32 Voy. le cas de l’Académie Court-Saint-Étienne et Ottignies-LLN.
33 On parle alors d’intercommunales interrégionales ; l’intercommunale Publifin relève notamment de cette catégorie.
34 Voy. l’article L1512-3 du CDLD.
35 Sur la notion d’intérêt communal, voy. not. D. Deom et G. de Kerchove, « L’intérêt communal », Ann. Dr., 1980, pp. 147-206 ; A. Coenen, « L’évolution du contenu et des modes de gestion de l’intérêt communal (première partie) », Mouvement communal, 1992, pp. 24-37 ; C. Havard, Manuel pratique de droit communal en Wallonie, Bruxelles, La Charte, 2016, p. 246.
36 Rapport d’analyse du cadastre des intercommunales et organismes supra-locaux en Région wallonne, première partie, juillet 2017, p. 29. Ce document est disponible par le biais du lien suivant : https://pouvoirslocaux.wallonie.be/jahia/webdav/site/dgpl/shared/homepageMarilyn/RAPPORT%20-%20Cadastre%20OSL%20-%20Partie%201_vMLB.pdf
37 Voy. aussi la loi du 26 juillet 1971 organisant les agglomérations et les fédérations de communes (Moniteur belge, 24 août 1971) et, pour ce qui concerne spécifiquement la Région wallonne, les articles L2111-1 et s. du CDLD.
38 Voy. not. J. Sautois, « La Région de Bruxelles-Capitale, chronique de la naissance d’une Région à part », A.P.T., 2014, pp. 108-158, spécialement p. 127 et s.
39 Voy. en particulier l’article L2111-5 du CDLD.
Para citar este artículo
Acerca de: Frédéric Bouhon
Chargé de cours à l’Université de Liège